SPECIAL COMMEMORATION Le Temps de la Maturité

Transcription

SPECIAL COMMEMORATION Le Temps de la Maturité
SPECIAL COMMEMORATION
FLASH NEWS
5 avril 2012 - #96
Le Temps de la Maturité
A l'occasion de la 18ème commémoration du Génocide des Tutsi au Rwanda,
Team Brussels a rencontré S.E. M. Robert Masozera, Ambassadeur du Rwanda en
Belgique. Il répond à nos questions.
Team Rwanda : Le Génocide c'était il y a 18 ans. Quel est le sens de la commémoration
aujourd'hui ?
S.E. Robert Masozera : Le temps des commémorations est celui du recueillement et du
partage. Le temps a passé mais il n'a pas effacé la peine. Le Génocide est encore dans la
mémoire de tous les Rwandais. Chacun a perdu un parent, un ami, un voisin, un collègue.
Personne n'est sorti indemne de cette tragédie. Le traumatisme a été surmonté mais la
peine est toujours là.
Chaque année la commémoration a un thème et celui de 2012 nous invite à "tirer les
leçons de l'histoire pour préparer un avenir meilleur". Je crois que c'est un message
d'espoir qui est universel.
Team Rwanda : 18 ans, c'est l'âge de la majorité. Qu'est ce que les jeunes générations
retiennent de cette tragédie ?
S.E. Robert Masozera : Effectivement, 18 ans c'est l'âge de la maturité. Un âge où on
devient plus indépendant et plus responsable. La génération post-génocide a grandi dans
2
l'insouciance de la paix et de la sécurité. Elle a bénéficié de l'effort collectif de tous les
Rwandais pour reconstruire un pays dévasté. Elle vit aujourd'hui dans un pays réconcilié
qui progresse et qui leur offre des opportunités.
Les jeunes Rwandais ne doivent jamais oublier que c'est sur les ruines du Génocide que
le Rwanda moderne s'est construit. Il ne s'agit pas seulement d'entretenir la mémoire du
sang répandu mais de leur faire honorer le courage de ceux qui les ont précédés. Nous
voulons que les jeunes mesurent leur chance et qu'ils ne déçoivent pas leurs ainés.
Team Rwanda : On sait que chaque génocide produit son propre négationnisme. Peut-on
encore contester le massacre de 800 000 innocents ?
S.E. Robert Masozera : Pour être plus précis, le génocide perpétré contre les Tutsi au
Rwanda a coûté la vie à 1.074.017 victimes dont l’immense majorité a été tuée parce
qu’identifiée comme Tutsi (93,6%). Le négationnisme a différents visages mais toujours un
seul objectif: celui de nier la vérité pour effacer le crime commis. C'est en quelque sorte un
autre génocide parce qu'on nie la disparition des victimes pour en effacer la mémoire.
Le révisionnisme est une autre expression du négationnisme. Il s'agit d'une manipulation
intellectuelle qui réinterprète l'histoire pour en réécrire le cours ou les conséquences. C’est
dans le cadre de cette manipulation que certaines personnes parlent de "double génocide"
ou de "génocide rwandais" pour rendre flou ce qui s’est passé au Rwanda au vu du
monde entier en 1994.
En ce qui concerne les manipulations, je veux ajouter qu'il y a une autre pratique tout
aussi coupable: le divisionnisme. C'est une provocation qui cherche à encourager le
ressentiment chez les victimes comme chez les bourreaux pour allumer l'antagonisme.
Nous devons lutter sans faiblesse contre de telles tentatives.
Je remarque par ailleurs que trois procédés sont aussi utilisés en Europe par des experts
autoproclamés et des universitaires qui continuent à défendre des théories absurdes
auxquelles plus personne ne croit.
Team Rwanda : Justement, les théories dont vous parlez ont été invalidées récemment.
Comment peuvent-elles encore circuler ?
S.E. Robert Masozera : Vous faites référence au rapport d'expertise publié en janvier
dernier dans le cadre de l'enquête du Juge français Marc Trévidic. Pour vos lecteurs qui
ne connaissent pas bien le dossier, je rappelle qu'il s'agit d'une contre-expertise sur
l'attentat du 6 avril 1994 contre l'avion du Président Juvénal Habyarimana. Organisé par
3
une clique d'extrémistes dite Hutu-Power qui a ainsi pris le pouvoir en avril 1994, cet
attentat a été l’ultime prétexte pour mettre en pratique l’exécution du Génocide contre les
Tutsi qui avait déjà été testé dans certaines parties du pays (au nord-ouest contre la
communauté des Bagogwe et au sud-est dans la région de Bugesera).
Effectivement, ce rapport des experts mandatés par le Juge Trévidic a donné des preuves
confirmant que c'est un complot politique qui a permis aux génocidaires de passer à
l'action de façon systématique. Le Génocide avait été préparé de longue date,
soigneusement organisé et planifié. Les massacres ont éclaté en même temps sur tout le
territoire. Il n'y a plus aucun doute possible sur le contexte et le déroulement des premiers
jours de cette tragédie.
Bien sûr, des contre-théories circulent encore : complot dans le complot, infiltration des
extrémistes, manipulation, ... Il nous faudrait plusieurs pages d'interview pour les
développer mais je ne vois pas l'intérêt de s'étendre sur de telles élucubrations. Il n'y a
que la vérité qui compte et comme toutes les vérités, elles est unique et il faut l'accepter.
Team Rwanda : C'est encore difficile pour certains d'accepter cette vérité ?
S.E. Robert Masozera : Bien sûr que c'est difficile. Souvenez-vous du contexte des 100
jours pendant lesquels s'est déroulé le Génocide. La communauté internationale a été
incapable d'intervenir et elle a assisté impuissante à un crime de masse.
Dans certains pays, on a même soutenu le régime génocidaire après avoir fermé les yeux
pendant des décennies sur la discrimination et les exactions commises à l'encontre des
Tutsi du Rwanda. Cette complicité coupable rend bien sûr plus difficile l'acceptation de la
vérité. Mais là encore, le temps a fait son œuvre et plus personne ne peut sérieusement
contester la vérité d'un Génocide planifié.
Team Rwanda : Finalement, que répondez-vous à ceux qui incriminent le gouvernement
rwandais pour sa surveillance de la liberté d'expression en ce qui concerne le Génocide ?
S.E. Robert Masozera : Je réponds qu'il ne s'agit pas de contrôle mais de vigilance
attentive. Nous avons un devoir de mémoire à défendre, dans le respect des victimes et
dans la compassion pour les rescapés. On ne peut pas dire ou écrire n'importe quoi
lorsqu'il s'agit d'un crime contre l'humanité. Il y a encore tant de souffrance. Nous avons
vécu l’expérience de la tristement célèbre Radio Télévision des Mille Collines - RTLM et
d’autres média de la haine. Personne ne souhaite revivre la même situation.
4
Pour en revenir à la maturité de la mémoire, je pense qu'au Rwanda, les consciences ont
évolué vers une appropriation collective de cette tragédie. La réconciliation a permis de
partager la parole et le vécu. Il ne faut pas que cet effort soit mis à mal par des
interprétations erronées. Le temps de la maturité, c'est aussi celui de la raison ■
Team Rwanda Brussels
Tel: +32 (0)2 761 94 25
[email protected]
www.ambarwanda.be

Documents pareils