Clotilde Bertoni

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Clotilde Bertoni
Presse témoin, presse meurtrière : femmes jugées, lynchées, transfigurées, dans la
chronique judiciaire
Les femmes impliquées, pour différentes raisons, dans les faits divers, ont été l’objet non
seulement des enquêtes policières et judiciaires mais aussi d’une attention de l’information
souvent excessive et indiscrète. Surtout pendant la deuxième moitié du XIXème siècle et la
première moitié du vingtième, lorsque le public suivait la chronique noire comme s’il
s’agissait d’un feuilleton romanesque, les femmes ont été transformées par la presse en
héroïnes, parfois du bien parfois du mal, exaltées (mais pas toujours) si victimes, démonisées
(ou, moins souvent, justifiées et défendues) si meurtrières, de toute façon dénaturées, chargées
de mythes, tournées en symboles.
L’examen de ce domaine permet d’éclairer plusieurs sujets : la faiblesse de la position
féminine, soumise à un nombre de préjugés, d’attaques, de manipulations ; la fonction
ambiguë de la presse, non seulement moyen d’information mais aussi partie active des
événements, selon les cas pour combattre les abus et les injustices ou pour en commettre à son
tour des autres, pour découvrir des scandales ou pour en créer des faux ; les rapports différents
qui peuvent s’établir entre la presse et la littérature (d’un coté les inventions et les
exagérations des journaux sont souvent modelées sur des stéréotypes narratifs, de l’autre coté
la littérature plus sérieuse s’intéresse aux vicissitudes judiciaires exactement pour s’opposer
aux mystifications faciles, et pour démontrer son pouvoir de creuser les faits plus en
profondeur).
Ces problèmes ont atteint le sommet dans des cas plus ou moins célèbres : à la fin du
XIXème siècle, l’histoire d’Evelina Cattermole – à son tour journaliste et écrivain, sous le
pseudonyme de Contessa Lara – victime non seulement d’un amant repoussé qui la tua, mais
aussi d’un journalisme chacal qui fouilla dans tous les détails scabreux de sa vie ; au début du
vingtième, le cas d’Henriette Cailloux qui, blessée par une campagne diffamatoire du
« Figaro », tua son directeur; pendant les années Trente, les cas de Violette Nozière et des
sœurs Papin, des femmes meurtrières dont les histoires ont été explorées morbidement par les
journaux et au contraire investies d’une valeur symbolique par plusieurs ouvrages littéraires,
de toute façon entraînées dans une dimension bien éloignée de celle effective ; à la moitié du
vingtième siècle, le meurtre de Wilma Montesi, devenue le centre d’un scandale ramifié et
l’emblème de la corruption et des mystères de l’Italie de l’après-guerre.
Après une réflexion générale sur ces sujets, mon intervention se concentrera sur le cas de
Linda Murri, qui fut accusée, au début du vingtième siècle (avec son frère et des autres gens),
du meurtre de son mari. Une femme qui fut diffamée par la presse, et au contraire défendue,
même exaltée par plusieurs écrivains, qui inspira des romans et des drames, qui écrivit à son
tour des mémoires, et dont l’histoire familiale sembla une révélation des secrets de l’haute
bourgeoisie, révélation tout à fait bouleversante pour le moralisme et l’hypocrisie de
l’époque : elle fut comparée soit aux anciennes héroïnes du mythe et de la tragédie soit aux
nouvelles figures indépendantes et anticonformistes crées par Ibsen, elle fut prise pour
exemple soit des perversions de l’âme féminine soit des revendications du féminisme
naissant. Un cas typique dans lequel, à travers la presse et la littérature, le procès à une femme
est devenu le procès à un siècle, un moyen pour faire face à un tournant historique, à des
changements fondamentaux de la pensée et des moeurs.
Clotilde Bertoni