Monte là-dessus de Fred Newmeyer et Sam Taylor Maxime

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Monte là-dessus de Fred Newmeyer et Sam Taylor Maxime
Monte là-dessus de Fred Newmeyer et Sam Taylor Maxime Grandgeorge Hypokhâgne J.P. Vernant, Sèvres Difficile de se faire une place au panthéon du burlesque américain : Charlie Chaplin et
Buster Keaton ne cessent de voler la vedette. Quel rôle camper lorsque celui du clown auguste –
le sourire aux lèvres – et celui du clown triste – Keaton, l’homme qui ne sourit jamais – sont
pris ? Qui pourrait prétendre inventer un personnage aussi génial que celui de Charlot, ou bien
interpréter un rôle comique avec le même sérieux que Keaton ? Harold Lloyd réussit à combiner
les deux ! Son personnage de jeune homme au chapeau de canotier en paille et aux petites lunettes
rondes est passé à la postérité. En alliant le charme de Chaplin à l’agilité de Keaton, Harold
Lloyd nous offre une pléiade de gags à un rythme frénétique. Malgré le recours à certains
trucages, les prouesses de cascadeur qu’il réalise n’en donnent pas moins le vertige – ce cassecou y laissa même deux doigts quelques années auparavant. Il joue ici un garçon qui quitte sa campagne natale pour rejoindre la ville et faire fortune,
afin d’épouser sa dulcinée. Emporté sur les ailes de l’amour, ce garçon rêveur veut impressionner
celle qu’il aime tout en conservant son emploi, qu’il est sur le point de perdre. Loin de garder les
pieds sur terre, il se retrouve même à devoir escalader un immeuble. Accroché aux aiguilles
d’une horloge, suspendu au-dessus du vide, Lloyd signe une scène d’anthologie du cinéma. Réalisé en 1923, le film ressort aujourd’hui au cinéma. Si l’image – merveilleusement
restaurée – avait bien besoin d’un petit dépoussiérage, le comique, lui, n’a pas pris une ride. Le
spectateur est emporté par Lloyd et ses péripéties, et se laisse duper à plusieurs reprises : dès le
début, nous sommes leurrés en croyant reconnaître un condamné derrière des barreaux attendant
la potence … alors qu’il ne s’agit que d’une simple scène d’adieu dans une gare ! Par ailleurs,
nous avons beau tous connaître la scène de l’horloge, comment peut-on ne pas réagir lorsque
Lloyd manque de tomber du haut de l’immeuble ? La dynamique et le comique du film restent
intacts malgré ses quatre-vingt-dix bougies. Les réalisateurs Newmeyer et Taylor ne livrent pas ici un film à caractère socio-politique,
mais simplement une brillante étude de mœurs sur l’Amérique des années 20. L’attitude
exécrable du supérieur, l’avidité du patron, la sauvagerie des femmes lors des soldes, l’abus de
pouvoir de certains policiers … tous sont passés au crible, et aucun Américain n’est épargné. Et
pourtant, le film ne cesse de porter un tendre regard sur cet atypique vendeur. Lui et sa fiancée
finissent par s’éloigner, enlacés, après avoir échangé un tendre baiser. A l’image du dernier plan, le film nous laisse une vision optimiste de la société, une image
tendrement douce de la vie. Mais l’humour n’est jamais bien loin, et Lloyd vient nous rappeler
que le bonheur ne tient qu’à une aiguille. C’est peut-être ce caractère contingent, d’où découlent
les situations les plus improbables, qui fait de Lloyd un Grand du burlesque, un acteur d’une
simplicité redoutablement efficace, mais dont l’œuvre est malheureusement largement méconnue
du public.