entretien avec Philippe STARCK sur la réalisation ROXIM LE
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entretien avec Philippe STARCK sur la réalisation ROXIM LE
28 LA VILLE EN PARLE La Gazette n° 1348 - Du 17 au 23 avril 2014 La Gazette n° 1348 - Du 17 au 23 avril 2014 LA VILLE EN PARLE 29 ENTRETIEN EXCLUSIF Quand Philippe Starck plane sur son “Nuage”… (photo prise sur le mur d’eau de Port-Marianne, à deux pas du futur immeuble “Nuage”. Philippe Starck “RESTER PETIT, C’EST UN TRAVAIL DE TOUTE UNE VIE” P hilippe Starck, vous restez au cœur de vos créations : en général les gens de votre stature ont autour d’eux des équipes très fournies, auxquelles ils délèguent beaucoup ? Non, non. Je suis peut-être le dernier des Mohicans mais moi, c’est douze heures à seize heures par jour. Et tout seul. Avec ma femme, on a une collection de cabanes au milieu de nulle part, principalement en Europe, et quelques-unes sans eau et sans électricité. Parfois, je n’en sors pas pendant quinze jours. PHOTO GUILLAUME BONNEFONT Philippe Starck à La Gazette : “Je suis un fanatique du minimum.” Vous êtes attaché à votre bureau ? Non, à mon bureau je ne travaille jamais. À une table à côté de mon lit. Je suis à poil. En général il n’y a qu’une seule pièce. Vous avez tout de même un ordinateur ? Ah non, je n’ai pas d’ordinateur et je travaille seul, seul, seul. Et je produis d’une façon maladive : on a calculé, un projet chaque 1,3 jour. Cinq projets par semaine. C’est une tension. Ma femme est le seul vecteur de transmission avec mon équipe. Moi, je suis un peu autiste. Dans certaines agences, il y a des hommes d’affaires à la tête de bureaux de trois à quatre cents personnes. Nous, en création architecturale, nous sommes cinq. Et en design, là – on est quand même numéro un mondial, c’est nous qui produisons tout, des dirigeables, des avions… – , il y a moi et quatre designers, et c’est tout. Et à l’administration, on doit être quatre, basta cosi. Mais c’est un travail de toute une vie de savoir rester petit. Quand vous êtes quatre cents, vous ne faites plus votre métier, vous n’exercez plus votre don qui est la création, vous devenez un homme d’affaires et moi, je ne sais pas être un homme d’affaires. des électroniciens, c’est une science exacte contrôlable à 100 %. Tandis que l’architecture (il souffle), c’est le grand salon international des aléas. On retrouve le designer : dans “Le Nuage”, vous concevrez le mobilier ? Quand vous avez créé “Le Nuage”, Il y a trente ans, j’aurais été obligé vous étiez nu dans une cabane, de tout concevoir, les chaises, les tables, mais aujourd’hui, après tout et hop ? Totalement, comme toujours ! Mais le travail que l’on a fait et que d’aunon ce n’est pas “hop”, c’est le fruit tres on fait – le fameux résultat du d’une maturation. Cela s’appelle la design démocratique –, il y a des tas créativité. Hier a eu lieu dans nos de bonnes choses sur le marché et locaux, au palais de Tokyo à Paris, de telle qualité que ça ne sert à rien la première réunion de mon labo- de tout concevoir. Créer un produit de qualité demande ratoire de recherche cinq ans de recherfondamentale sur la LA CRÉATIVITÉ, che et autour d’un créativité pure qui million d’investisseréunit les plus grands CE N’EST PAS ment : il vaut quand scientifiques du monde UN DON : même mieux trouver entier. Ce laboratoire sera, dans huit mois, CELA S’ACQUIERT tout fait ! accompagné d’une AVEC UN Vous avez dit un école. Ça sera la première école du monde, ENTRAÎNEMENT jour : “Le populaire est élégant, le rare dans toute l’histoire est vulgaire.” Le de l’humanité, de créativité pure, non appliquée. Et les Nuage illustrera-t-il cette idée ? gens qui entrent là deviendront Oui ! Ce n’est pas un endroit élitiste, c’est un endroit où tout le monde “créatifs”. va pour aimer son corps, et aimer son corps, c’est aimer son cerveau. Dans quels domaines ? Tous ! Je ne m’en occupe pas. Moi, Et aimer son cerveau, c’est aimer je suis un spécialiste du travail dans son esprit, c’est une suite logique. la prescience, c’est-à-dire la limite entre le conscient et l’inconscient. L’architecture est-elle politique ? Ce qui me permet de travailler sur L’architecture peut-elle être de autant de choses avec autant de droite ou de gauche ? concentration. J’inhibe les automa- Évidemment. Tout est politique, toute action est politique, tout achat tismes et je désinhibe le reste. est politique, toute production est La créativité ne serait donc pas politique. Notre système est binaire et on va le caricaturer ainsi : la un don ? Non, cela s’acquiert avec un entraî- droite, c’est l’égoïsme et la gauche, c’est l’altruisme. Il y a des bâtiments nement. qui sont structurellement fascisants, Votre créativité s’applique éga- monumentaux, oppressants, opprilement en architecture et en mants, ils montrent simplement la design : vous ne choisissez pas ? gloire de quelque chose ou du proCertains sont obligés de choisir. De priétaire, ou de l’architecte, ou la très bons architectes font de très puissance d’une société. Et il y en mauvais meubles, de très bons a d’autres qui sont faits pour le bondesigners ne font pas d’architecture heur des gens qui vont y vivre. ou très peu. Moi, je fais les deux et d’ailleurs pourquoi choisir ? Si on “Le Nuage” est un bâtiment de me torturait pour choisir, j’irai plu- gauche ? tôt vers le design. Dans le design Ah oui, bien sûr, c’est tout à fait clair. vous travaillez avec des ingénieurs, Et moi, je me suis toujours tenu, PHOTO GUILLAUME BONNEFONT Il travaille tout nu dans des cabanes, il a cinq projets par semaine, il est le designer français le plus connu au monde : Philippe Starck est aussi l’architecte de l’un des bâtiments les plus fous jamais réalisés à Montpellier, “Le Nuage”. De passage dans notre ville l’autre mercredi, il le présente ici après avoir parlé philosophie, politique et avenir du monde. Décoiffant. UN TOUCHE-ÀTOUT DE GÉNIE sauf erreur, sauf faiblesse, à faire une production de gauche. Vous vous dites “favorable à une architecture qui serait de ne pas faire d’architecture”. N’est-ce pas paradoxal pour un architecte ? Mais je ne suis pas un architecte, je suis une sorte d’explorateur qui sait faire deux ou trois trucs avec ses deux doigts en tenant un crayon. On me pose des problèmes et, en général, je sais à peu près y répondre, à la grande surprise de mes interlocuteurs qui font toujours le geste (il se frappe le front) : “Mais bon sang pourquoi on n’y a pas pensé ?” Et ça me met en joie pendant une semaine. Aujourd’hui, il faut remplacer les modes de construction qui sont totalement archaïques. Cet archaïsme est entouré de technologie formidable, mais cette technologie est sur l’accessoire. L’architecture doit passer à un stade industriel. Un jour, on construira plus rapidement et pour moins cher ? Bien sûr et le plus vite possible, car, vu la démographie, les gens ont besoin de toits, et les toits sont trop chers. Construire moins cher, cela veut de 100 €, 40 €, voire 30 € ! Cela doit dire construire moins solide ? maintenant être fait dans l’architecNon, plus solide ! Aujourd’hui les ture. Nous avons gagné la bataille maisons sont chères et fragiles du design démocratique, c’est forparce qu’elles imitent des maisons midable. À présent, il faut passer à traditionnelles : le jour où vous arrê- l’architecture démocratique. Et je tez d’imiter, vous gagnez un argent m’y attelle : je viens de lancer une fou. Le jour où vous arrêtez de faire compagnie d’architecture préfabride fausses tuiles, de fausses poutres, quée écologique, qui s’appelle Path. de fausses pierres, de faux machins, vous arrivez à ce qui est nécessaire, Démocratique ? Des maisons à là se dégage une autre beauté, la quel prix ? beauté de la vérité et Elles vaudront au du vrai service. Donc plus bas 100 000 €, SI JE CARICATURE 150 000 €. Mais il faut passer à l’industrialisation. C’est qu’elles NOTRE SYSTÈME : j’affirme un problème d’humapeuvent coûter LA DROITE, C’EST 15 000 euros. nité. L’habitat est la première dépense de L’ÉGOÏSME, ET la vie, avant la nourSi vous aviez la LA GAUCHE, C’EST liberté la plus toriture : c’est au-delà du dément ! tale de créer, que L’ALTRUISME Vous avez des gosses, feriez-vous ? vous voulez les metCe dont on vient de tre à l’abri de la pluie, vous allez tra- parler, c’est ce que je fais. C’est une vailler toute votre vie simplement obsession : donner aux gens un habipour ça. Si on utilisait d’autres tech- tat digne de ce nom en terme quanologies, les mettre à l’abri pren- litatif, en terme économique et en drait cinq ans de votre vie. terme esthétique. L’habitat de toutes les qualités pour tout le monde. On C’est ce que vous avez fait dans était dans une civilisation en voie le design ? d’être civilisée. On voyait que s’il Oui ! Les chaises qui coûtaient n’y avait pas encore de vraies solu1 000 € sont aujourd’hui à moins tions, il y avait des volontés. Il y a • Naissance le 18 janvier 1949 à Paris. • Il est connu dans le monde entier pour ses architectures intérieures et le design de mobilier et d’objets qui, fabriqués industriellement, deviennent des produits populaires. • Certaines de ses créations sont aujourd’hui exposées dans les musées : musée des Arts décoratifs à Paris, Moma à New York, Design Museum de Londres… eu un effondrement pour plein de raisons différentes mais, hélas, convergentes qui font qu’aujourd’hui on n’a plus à se demander : c’est bien, c’est pas bien, c’est beau, c’est pas beau – la question est simplement : il faut sauver des vies ! Aujourd’hui, on est dans le vital. Pour moi, il n’y a désormais que deux sortes de métier : l’utile et l’inutile. L’utile sauve des vies. L’inutile ne sauve pas des vies.R Propos recueillis par Henri-Marc Rossignol PARMI SES RÉALISATIONS • Une école de design industriel. • Le décor des appartements privés de l’Élysée, en 1983, à la demande de François Mitterrand. • Des pâtes pour Panzani. • La flamme des Jeux olympiques d’Albertville en 1992. • Le design du bateau de Steve Jobs, fondateur d’Apple. • L’hôtel Paramount à New York (design, mais “abordable” : 100 $ la nuit), puis les hôtels Mama Shelter (Paris, Marseille, Lyon…). • Des restaurants : Le Paradis du fruit à Paris, le Katsuya, resto japonais de Los Angeles. • La carte Navigo des transports en commun parisiens, etc. 30 LA VILLE EN PARLE LA VILLE EN PARLE 31 La Gazette n° 1348 - Du 17 au 23 avril 2014 La Gazette n° 1348 - Du 17 au 23 avril 2014 ENTRETIEN EXCLUSIF création. Montpellier en fait partie. Il y a aussi Bordeaux, La Rochelle, Lyon… Marseille, je ne sais pas : c’est bourré de bonnes intentions, mais cette ville a tellement de problèmes. Starck : “Ce Nuage ne pouvait être réalisé qu’à Montpellier” On est encore un peu dans les nuages : le nom, d’où vient-il ? Même si sa structure est en béton, c’est le premier bâtiment gonflable de France, la première structure historiquement traitée ainsi, car ce n’est que de l’air : comme si l’énergie qui se dégage du bâtiment le gonflait. Et donc, ça ressemble à un nuage. Un nuage, ce n’est pas de l’air gonflé : c’est un condensateur, et un condensateur, c’est de l’énergie qui est en particules. Et quelquefois, quand la condensation atteint son maximum, il y a une décharge électrique qui crée le tonnerre. C’est finalement ce tonnerre qui crée la vie. C’est un grand cercle : on est dans une logique totalement cohérente. “LE NUAGE” • Ouverture le 1er octobre 2014. • Sera exploité sous la marque “Club 7”. • Sera ouvert 7 jours sur 7. • Coût : 10 millions d’euros. • Le patron de Roxim, Marc Pigeon, a été président de la Fédération de promoteurs immobiliers de France de 2003 à 2006, puis de 2009 à 2012. • Stefano Robotti est l’architecte du “Nuage”, chef de projet auprès de Philippe Starck. Quand Marc Pigeon, le patron de losophique, fonctionnel et biolola société de promotion Roxim, gique. Et, aujourd’hui plus que vous dit : “Je veux construire un jamais, l’économie est fondamenimmeuble dédié au bien-être”, tale. L’architecture démonstrative, tout de suite vous lui soumettez expressionniste, qui existe depuis cette idée de bulle, d’élément une trentaine d’années, dont j’ai été gonflable sur lequel vous aviez quasiment à la source, et qui débouche sur le mouvement formaliste, travaillé à vos débuts ? Oui, à l’époque j’avais réalisé une implose et s’écroule ! L’apogée de structure gonflable. Le gonflable est cette forme d’architecture est visible quelque chose d’extraordinaire à Dubaï. parce qu’on arrive à créer des objets Cette architecture et des lieux qui sont “démonstrative” faits de rien ! n’est plus dans l’air Puisque les murs LA PHILOSOPHIE du temps ? font un dixième de DU “NUAGE” : Ce n’est pas qu’on millimètre, ils ne prennent forme et “CE QU’ON PEUT n’en veut plus, c’est qu’on ne peut pas la rigidité que par la pression d’air. C’est FAIRE DE MIEUX AVEC payer, on ne peut plus se la permettre. un poumon ! Chez LE MINIMUM” La terre ne peut plus moi qui suis un la produire, l’énergie fanatique, un Khmer rouge du minimum, il y a une per- ne peut plus la produire, c’est la failmanence. Mais non, je n’ai pas lite de ce système, c’est la faillite pensé à cette création gonflable dès d’une architecture. Depuis quelque le début. Simplement avec cette his- temps je fais le moins possible d’artoire de lieu de sport, lieu d’huma- chitecture, mais j’ai réalisé un très nité et avec tous les paramètres bel exemple de l’antithèse de l’arimmatériels que je vous ai décrits, chitecture démonstrative avec La cela aurait été un non-sens absolu Alhondiga de Bilbao (1). Là, j’ai construit un truc très gros, avec de faire différemment. beaucoup de fonctions, qui fait Marc et Carole Pigeon ont tout de l’unanimité, comme disait le maire qui vient de mourir : “Vous vous rensuite adhéré à votre projet ? Oui. Tout ce qui existe dans la dez compte, Philippe, que même l’opnature, dans notre univers et même position n’a rien eu à dire.” au-delà de cette terre est géré par l’économie, pas par l’économie de C’est l’antithèse du musée Gugbout de chandelle, par l’économie genheim (2) de Gehry ? avec un grand E, c’est un statut phi- Oui, ce bâtiment est basé sur cette Nuage, de cette bulle, sera très fine ? Une feuille de papier. Donc si on revient au Nuage, à travers la bulle, les passants découvriront la structure ? Oui, là aussi on est “à l’os” : il n’y a rien de superflu. À Bilbao, on peut voir deux époques : l’époque blingbling, où on dépense du blé, le Guggenheim, des façades en titane, des volumes, je ne critique pas mais c’est une époque, et à quatre cents mètres de là, on voit La Alhondiga faite avec une grande rigueur, sur plusieurs années. Et là, il faut du courage pour tenir, pour ne pas se faire plaisir à un moment ou à un autre, parce qu’on a toujours envie de rigoler un peu. Mais on voit bien qu’on a marqué une étape, qu’on a fait quelque chose de très remarqué en architecture. La nouvelle voie que ce bâtiment de Bilbao montre, Le Nuage de Montpellier la continue. Vous dites que l’enveloppe (3) du PHOTO GUILLAUME BONNEFONT DOCUMENT PHILIPPE STARCK/ROXIM La Gazette. Qui a eu l’idée de baptiser du nom de “Nuage” cet immeuble montpelliérain dédié à la remise en forme et au bienêtre ? Philippe Starck. Dans un monde où tout est trop, il est du devoir des producteurs de faire moins que moins. Moins, ça serait triste, mais moins que moins, ça devient philosophique. Donc, c’est un état philosophique : ce bâtiment va être dédié à l’énergie humaine. Ce n‘est pas de la matière, c’est de la passion, du dépassement, de l’effort, de l’enthousiasme, de la croyance en soi-même et tout cela ce sont des mots qui expriment des concepts immatériels. Donc il fallait que ce bâtiment soit le plus immatériel possible. DOCUMENT PHILIPPE STARCK/ROXIM philosophie éthique de l’économie avec un grand E. Je n’ai rien dessiné et à un moment l’ingénieur “structure” me dit : “Il va falloir faire des poutres et des liaisons de poutres : monsieur l’architecte, vous voulez dessiner quelque chose ?” Je lui réponds : “Montrez-moi ce qu’on peut faire de mieux avec le minimum.” Il dit : “Eh bien voilà, là il y a cinq boulons.” Je lui lance : “Cinq boulons, vous êtes sûr ? Pas quatre, ou même trois ?” Et lui : “Ah, oui, vous avez raison, même deux en diagonale.” Tout a été fait à l’os. J’aime beaucoup le terme “à l’os”. Tout à côté du mur d’eau de Port-Marianne, voici le dessin du “Nuage”, en construction avenue RaymondDugrand. Philippe Starck : “Un jour, j’avais 18 ans, j’ai fait une église gonflable qui s’est envolée un jour de grand vent.” DOCUMENT PHILIPPE STARCK/ROXIM Le “Nuage” à Port-Marianne sera “le premier bâtiment gonflable de France”. Elle est constituée d’une double paroi. J’aurais adoré que ce soit un ballon complet, mais non : l’air est compressé entre deux parois. Quand le mistral ou la tramontane soufflent ici, il faut s’accro- Derrière la bulle, le béton sera cher : cette structure résistera-t- laissé à l’état brut ? Totalement, brut de décoffrage. elle ? Elle est garantie quarante ans. Et Mais un béton extrêmement bien vous savez pourquoi la tour Eiffel fait, on peut applaudir l’entreprise est la tour Eiffel ? Avant, on construi- de la région qui l’a réalisé. Et il vaut sait des bâtiments en pierre, et des mieux que ce soit bien fait parce pierres, on en mettait beaucoup, que lorsqu’on fait aussi peu, il faut comme pour les phares. Et au bout que ce peu soit magnifique. “God is du compte, on ne savait pas si ça in the details” (4), ce n’est pas une n’allait pas se casser la gueule à blague. cause du vent. Eiffel reprend le proEt de l’extérieur, blème à l’envers et en dehors de la dit : et si je rigidifiais structure en béton, par le vide ? Et là, il VOUS POUVEZ que verra-t-on ? crée une structure PRENDRE Des plateaux parsetridimensionnelle qui laisse passer le TOUS LES VENTS, més de cabanes avec, entre, de pe vent. C’est la preLE “NUAGE” SERA tites rues aléatoires. mière structure aérodynamique, INDESTRUCTIBLE C h a q u e c a b a n e porte la matière de mais elle est l’équisa fonction : si c’est valent d’un “gonflable”, c’est-à-dire qu’au lieu de faire un lieu humide, carrelage, si c’est de la masse, elle fait de la rigidité, un lieu de gym, bois, si c’est un lieu elle crée de la tension. La tension, où il y a besoin de transparence, c’est indestructible ! Vous pouvez polycarbonate. prendre tous les vents, le truc il est dur comme ça (il frappe sur le verre L’homme de la rue verra ce qui se passe à l’intérieur de l’immeude la table). ble ? C’est ça qui est formidable ! La bulle ne se déformera pas ? Non, non. J’adorerais qu’elle se L’homme de la rue va voir un bâtidéforme. J’ai eu mon époque “grand ment comme si on l’avait tranché. gonflable”, j’avais dix-huit ans : Il sera comme les gosses qui, derj’avais fait une église gonflable qui rière une vitre, voient les fourmis s’est envolée un jour de grand vent. évoluer dans leur fourmilière. Il C’était le jour de la démonstration verra les lumières, les ombres chidevant le docteur Muller, qui est noises, les projections, les grandes l’inventeur des structures gonfla- photos rétro-éclairées. bles, il y avait une belle musique, et voir une église s’envoler, c’était Et de l’intérieur, on verra la réalité déformée à cause de la bulle ? extraordinaire. Non, la bulle ne déformera pas la Et à Montpellier, qu’y aura-t-il à vision. On verra comme derrière l’intérieur de cette bulle ? De une fenêtre. Il y a un tout petit voile, mais ce n’est pas grand-chose. Vous l’air ? Après avoir créé un bâtiment aussi novateur que Le Nuage, reviendrez-vous incognito pour savoir comment les usagers s’en servent ? Non, parce que je voyage énormément, et c’est regrettable. Je fais des endroits merveilleux de par le monde, des hôtels sidérants, des restaurants et des bars sur-rigolos, mais je n’y reviens jamais et c’est une tristesse ! savez, l’homme n’est pas très loin de la plante verte, il a aussi besoin de la lumière, mais il n’a pas forcément besoin de voir. Parce que quand vous faites vos abdos, vous pensez à vos abdos et regardez à l’intérieur de vous-même. En plus des surfaces réservées au sport et au bien-être, y aurat-il des commerces ? Oui, c’est une vraie ville. Un village vertical. Des appartements ? Non, mais ce serait génial de voir de l’extérieur les gens vivre. On imagine très bien Le Nuage servir de décor à un opéra, Einstein on the beach de Philipp Glass par exemple. L’opéra vous influence-t-il ? Oui, la mise en scène de Robert Wilson pour Einstein on the beach (5), c’est un modèle. Le modèle absolu de la mise en scène de l’humain. Mon travail est imprégné de ce type de mise en scène. Les alignements des petites rues entre les cabanes du Nuage, c’est ça. Vous déclarez que ce bâtiment ne pouvait être construit qu’à Montpellier car “Montpellier est la ville de la créativité”. Qu’estce qui vous fait dire cela ? Ça se sent, ça se voit. Ce Nuage ne pouvait être réalisé qu’à Montpellier. C’est une ville bouillonnante, pleine de projets réalisés, de projets en cours, de projets futurs. Montpellier, c’est une ville spéciale. Il y a des villes en France et dans le monde où on ne peut rien faire. Exemple ? Toute l’Amérique. Des pays et des villes qui ne sont que conservateurs, qu’archaïques. Et il y a d’autres pays et d’autres villes où il y a une avidité, une envie de la nouveauté, de la Le Nuage est implanté dans un quartier où l’on trouve des œuvres de grands architectes : l’hôtel de ville et le magasin RBC de Jean Nouvel, La Mantilla de Jacques Ferrier (6), le pont de la République de Rudy Ricciotti… Qu’est-ce que ça vous fait ? Ricciotti est un ami intime, Jean Nouvel est un ami intime, l’autre je le connais, ce n’est pas un ami intime mais c’est quelqu’un qui a l’air très respectable. C’est mieux que d’être entouré d’ennemis ou de gens mauvais. Après, ça ne me fait rien de plus, parce que je ne travaille pas pour eux, mais pour les gens de cette ville. UN “NUAGE” DÉDIÉ AU BIEN-ÊTRE • Implanté en face du magasin RBC, avenue RaymondDugrand, quartier Port-Marianne, voulu par le promoteur montpelliérain Roxim, créé par Philippe Starck, “Le Nuage” accueillera : - Au rez-dechaussée, un restaurant et des commerces de 15 m2 à 40 m2. - Au premier niveau, un village “santé avec kinés, ostéopathes… - Au deuxième niveau, un “village aquatique” avec une piscine longue de 16 mètres et une micro-crèche. - Au troisième et au quatrième, un “village” fitness, sport et remise en forme. L’usage qui est fait de vos bâtiments n’est peut-être pas celui que vous avez imaginé ? Non, non ! Vous savez, je suis extrêmement précis. On est une machine de précision ! On n’est pas la Suisse, on est la Nasa! Tout est programmé. En fait je ne suis pas architecte, pas décorateur, je suis réalisateur de cinéma. Parce que ce qui m’intéresse, je le répète, c’est la gestion de l’humain et pas la gestion du béton. Donc j’écris des films où chaque rôle est imparti, chaque vision est prévue, les story-boards sont dessinés à l’avance et ils sont tellement précis que je ne me trompe pas. R Propos recueillis par Henri-Marc Rossignol (1) Entrepôt construit en 1909. Philippe Starck l’a réhabilité en lieu de culture et de sport inauguré en 2010. (2) Franck Gehry (né en 1929), architecte américain, va construire une tour de 56 m à Arles, lieu de création et d’exposition financé par la Fondation Luma qui a été créée par la mécène suisse Maja Hoffman. (3) C’est le même matériau que celui utilisé pour habiller l’Allianz Arena, stade du Bayern de Munich. (4) Mies van der Rohe (1886-1969), architecte allemand qui a aussi dit : “Moins, c’est mieux” (“Less is more”). Inquiété par les nazis, il s’est installé en 1938 aux États-Unis. (5) Donné au Corum en 2012. (6) Jacques Ferrier (né à Limoux en 1959), architecte qui a notamment créé le bâtiment français de l’Exposition universelle à Shanghai en 2010.