MANON LESCAUT, UN ROMAN D`AMOUR

Transcription

MANON LESCAUT, UN ROMAN D`AMOUR
UNIVERSITE DE KHARTOUM
FACULTE DES LETTRES
DEPARTEMENT DE FRANCAIS
MANON LESCAUT, UN ROMAN
D’AMOUR
MEMOIRE EN VUE DE L’OBTENTION DE LA
MAITRISE EN LANGUE ET LITTERATURE
FRANCAISES
PRESENTE PAR:
MOUNA ABDEL GADIR EL GACK ABDALLAH
SOUS LA DIRECTION DE :
DR. VIVIANE AMINA YAGI
JUIN 2005
« Je ne suis pas étonné que ce roman, dont le héros est un fripon et
l’héroïne une catin [……] plaise, parce que toutes les mauvaises
actions du héros [……] ont pour motif l’amour, qui est toujours un
motif noble, quoique la conduite soit basse. »
Montesquieu
‫ﺑﺴﻢ اﷲ اﻟﺮﺣﻤﻦ اﻟﺮﺣﻴﻢ‬
‫ﺧــــــــﻼﺻـــﺔ‬
‫ﺭﻭﺍﻴﺔ ﻤﺎﻨﻭ ﻟﺴﻜﻭ "‪ ، "Manon Lescaut‬ﻤﻭﻀﻭﻉ ﻫﺫﺍ ﺍﻟﺒﺤﺙ‪ ،‬ﻫﻲ ﺇﺤﺩﻯ ﺭﻭﺍﻴﺎﺕ ﺍﻟﻜﺎﺘﺏ‬
‫ﺍﻟﻔﺭﻨﺴﻲ ﻻﺒﻴﻪ ﺒﺭﻴﻔﻭ "‪ . "L’Abbé Prévost‬ﺍﺴﺘﻁﺎﻋﺕ ﻫﺫﻩ ﺍﻟﺭﻭﺍﻴﺔ ﺃﻥ ﺘﺨﻠﺩ ﺍﺴﻡ ﺍﻟﻜﺎﺘﺏ ﺒﺄﺤﺭﻑ‬
‫ﻤﻥ ﻨﻭﺭ ﻭﺘﻀﻌﻪ ﻓﻲ ﻤﺼﺎﻑ ﺭﻭﺍﺌﻴﻲ ﺍﻟﻘﺭﻥ ﺍﻟﺜﺎﻤﻥ ﻋﺸﺭ‪ .‬ﻏﻴﺭ ﺃﻥ ﻫﺫﺍ ﻻ ﻴﻌﻨﻲ ﺃﻥ ﺍﻷﻋﻤﺎل ﺍﻷﺩﺒﻴ‪‬ﺔ‬
‫ﺍﻷﺨﺭﻯ ﻟﻠﻜﺎﺘﺏ ﺃﻗل ﻗﻴﻤﺔ ﻤﻥ ﺭﻭﺍﻴﺘﻪ ﻫﺫﻩ‪.‬‬
‫ﻴ‪‬ﻌﺘﺒﺭ ﺒﻁﻼ ﺍﻟﺭﻭﺍﻴﺔ‪ ،‬ﻤﺎﻨﻭ "‪ "Manon‬ﻭ ﺩﻴﻪ ﻜﺭﻴﻭ "‪ ،"Des Grieux‬ﻤﻥ ﻀﺤﺎﻴﺎ ﺍﻟﻤﺠﺘﻤﻊ ﻓﻲ‬
‫ﺍﻟﻔﺘﺭﺓ ﺍﻟﺘﻲ ﺤﻜﻡ ﻓﻴﻬﺎ ﻓﻴﻠﻴﺏ ﺩﻭﺭﻟﻴﺎ "‪ "Philippe d’Orléans‬ﻓﺭﻨﺴﺎ ﻭﺼﺎﻴ ﹰﺔ ﻋﻥ ﻟﻭﻴﺱ‬
‫ﺍﻟﺨﺎﻤﺱ ﻋﺸﺭ‬
‫"‪ "Louis XV‬ﺇﻟﻰ ﺃﻥ ﺒﻠﻎ ﺴﻥ ﺍﻟﺭﺸﺩ‪ .‬ﺍﺘﹰﺴﻤﺕ ﻫﺫﻩ ﺍﻟﻔﺘﺭﺓ ﺒﺘﻔﺸﻲ ﺍﻟﻔﺴﺎﺩ‬
‫ﻭﺍﻟﺘﻔﺴﺦ ﺍﻷﺨﻼﻗﻲ ﻭﺃﺼﺒﺤﺕ ﺍﻟﻤﺎﺩﺓ ﻫﻲ ﺍﻟﻘﻴﻤﺔ ﺍﻟﻭﺤﻴﺩﺓ‪.‬‬
‫ﻋﻜﺴﺕ ﺒﻁﻠﺔ ﺍﻟﺭﻭﺍﻴﺔ‪ ،‬ﻤﺎﻨﻭ "‪ ،"Manon‬ﺼﻭﺭﺓ ﻫﺫﺍ ﺍﻟﻤﺠﺘﻤﻊ ﺍﻟﻼﺃﺨﻼﻗﻲ ﺤﻴﺙ ﺇﻨﻬﺎ ﻜﺎﻨﺕ ﺘﻌﺸﻕ‬
‫ﺤﻴﺎﺓ ﺍﻟﺭﻓﺎﻫﻴﺔ ﻭﺍﻟﺘﺭﻑ‪ .‬ﺃﻤﺎ ﺒﻁل ﺍﻟﺭﻭﺍﻴﺔ‪ ،‬ﺩﻴﻪ ﻜﺭﻴﻭ "‪ ،"Des Grieux‬ﺍﻟﺫﻱ ﻴﻨﺤﺩﺭ ﻤﻥ ﻋﺎﺌﻠﺔ‬
‫ﻨﺒﻴﻠﺔ‪ ،‬ﻜﺎﻥ ﻤﻥ ﺍﻟﻤﺘﻭﻗﻊ ﻟﻪ ﺃﻥ ﻴﺼﺒﺢ ﺃﺒ ﹰﺎ ﻓﻲ ﺍﻟﻜﻨﻴﺴﺔ ﻟﻭﻻ ﻅﻬﻭﺭ ﺍﻟﺒﻁﻠﺔ ﻓﻲ ﺤﻴﺎﺘﻪ ﻭﺴﻘﻭﻁﻪ ﺒﺴﺒﺏ‬
‫ﺴﻌﻴﻪ ﺍﻟﺩﺍﺌﻡ ﻟﺘﻭﻓﻴﺭ ﺍﻟﺤﻴﺎﺓ ﺍﻟﻤﺘﺭﻓﺔ ﻟﻬﺎ ﻓﻲ ﻤﻬﺎﻭﻱ ﺍﻟﺭﺫﻴﻠﺔ‪ .‬ﺴﻤﺢ ﻟﻨﺎ ﺍﻷﺴﻠﻭﺏ ﺍﻟﺫﻱ ﺍﺘﺒﻌﻪ ﺍﻟﻜﺎﺘﺏ‬
‫ﻓﻲ ﺴﺭﺩ ﺃﺤﺩﺍﺙ ﺍﻟﺭﻭﺍﻴﺔ ﺇﻟﻰ ﻤﺭﺍﻗﺒﺔ ﺍﻟﺴﻘﻭﻁ ﺍﻷﺨﻼﻗﻲ ﻟﻠﺒﻁل ﻤﻨﺫ ﺃﻥ ﻗﺎﺒل ﺍﻟﺒﻁﻠﺔ ﻭ ﺇﻟﻰ ﺃﻥ ﻏﺎﺩﺭ‬
‫ﺇﻟﻰ ﺃﻤﺭﻴﻜﺎ ﺒﺼﺤﺒﺘﻬﺎ‪ .‬ﺤﻭل ﻫﺫﺍ ﺍﻟﺤﺏ ﺍﻟﻘﺩﺭﻱ ﺍﻟﺒﻁل ﺇﻟﻰ ﻤﺤﺘﺎل‪ ،‬ﻤﻘﺎﻤﺭ‪ ،‬ﻗﺎﺘل‪....‬ﺍﻟﺦ‪.‬‬
‫ﻟﻡ ﻴﺴﺘﻁﻊ ﺍﻟﺒﻁﻼﻥ ﺃﻥ ﻴﻌﻴﺸﺎ ﺒﺴﻼﻡ ﻓﻲ ﻓﺭﻨﺴﺎ ﻨﻅﺭﹰﺍ ﻟﻠﺘﺄﺜﻴﺭ ﺍﻟﺴﻠﺒﻲ ﻟﻠﻤﺠﺘﻤﻊ ﻋﻠﻴﻬﻤﺎ؛ ﺫﻟﻙ ﺃﻥ‬
‫ﺤﺒﻬﻤﺎ ﻜﺎﻥ ﻤﺭﻓﻭﻀ ﹰﺎ ﻤﻥ ﻗﺒل ﻋﺎﺌﻠﺔ ﺍﻟﺒﻁل ﻭﻤﺤﺎﺭﺒ ﹰﺎ ﻤﻥ ﺍﻷﻏﻨﻴﺎﺀ ﺍﻟﻁﺎﻤﻌﻴﻥ ﻓﻲ ﺍﻟﺒﻁﻠﺔ‪ .‬ﻫﻜﺫﺍ ﺍﺨﺘﺎﺭ‬
‫ﺍﻟﺒﻁل ﺃﻥ ﻴﻨﻔﻰ ﻤﻊ ﺍﻟﺒﻁﻠﺔ ﺇﻟﻰ ﺃﻤﺭﻴﻜﺎ‪.‬‬
‫ﻋﻨﺩﻤﺎ ﻏﺎﺩﺭ ﺍﻟﺒﻁﻼﻥ ﺇﻟﻰ ﺃﻤﺭﻴﻜﺎ ﺃﻟﻬﻤﺘﻬﻤﺎ ﺍﻟﺤﻴﺎﺓ ﺍﻟﻬﺎﺩﺌﺔ ﻭﺍﻟﻨﻘﻴﺔ ﻨﺴﺒﻴ ﹰﺎ ﺍﻟﻌﻭﺩﺓ ﺇﻟﻰ ﺍﻟﻔﻀﻴﻠﺔ‬
‫ﻭﺍﻷﻴﻤﺎﻥ؛ ﺍﻷﻤﺭ ﺍﻟﺫﻱ ﻜﺎﻥ ﻴﺼﻌﺏ ﺘﺤﻘﻴﻘﻪ ﺘﺤﺕ ﺴﻤﺎﺀ ﺒﺎﺭﻴﺱ‪ .‬ﻟﻜﻥ ﻫﺫﺍ ﺍﻟﺤﺏ ﺍﻟﻘﺩﺭﻱ ﻜﺎﻥ ﻤﻭﻋﻭﺩﹰﺍ‬
‫ﺒﺎﻟﻔﺸل ﻭﺒﻤﺤﺎﺭﺒﺘﻪ ﻤﻥ ﺍﻷﻏﻨﻴﺎﺀ ﻭﺍﻷﻗﻭﻴﺎﺀ ﻓﻲ ﻜل ﻤﻜﺎﻥ‪.‬‬
‫ﺘﹸﺨﺘﺘﻡ ﺍﻟﺭﻭﺍﻴﺔ ﺒﻤﻭﺕ ﺍﻟﺒﻁﻠﺔ‪ ،‬ﺃﻤﺎ ﺍﻟﺒﻁل ﻓﻴﺼﺒﺢ ﻤﺤﻜﻭﻤ ﹰﺎ ﻋﻠﻴﻪ ﺃﻥ ﻴﺤﻴﺎ ﺤﻴﺎﺓ ﺘﻌﻴﺴﺔ ﺒﺩﻭﻥ ﺤﺒﻴﺒﺘﻪ‪.‬‬
‫‪I‬‬
DEDICACE
Je dédie ce travail à ma chère mère dont le soutient, l’aide et les conseils
illuminent mon chemin.
Ce travail est également dédié à l’âme de mon père, à ma sœur et à mon frère.
II
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier sincèrement Mme Viviane Amina YAGI de son aide
inlassable et de ses conseils précieux qui m’étaient d’une extrême utilité.
Des remerciements chaleureux doivent, également, être adressés à tous les
professeurs du Département de français de l’Université de Khartoum et
surtout à M. Younis Al Amin, son chef ainsi qu’à M. Jean-Verdeil,
professeur de l’Université de Lyon.
III
INTRODUCTION
Lire Manon Lescaut, c’est se plonger dans un monde
passionnant et fascinant. Mais aussi, c’est être inquiet et avoir hâte de
connaître le sort réservé à ses deux héros infortunés. " Diderot, Goethe et le
marquis de Sade, en personne,
ont pleuré à chaudes larmes sur ses
malheurs. Rousseau, Maupassant et Gide ont apprécié ses charmes"1 .
Auber, Massenet, Puccini ont adapté l’histoire de Manon Lescaut à l’opéra.
Manon Lescaut pourrait porter plusieurs façades : roman
autobiographique, psychologique, classique mais aussi roman de mœurs et
d’amour. Pour nous, Manon Lescaut est, en premier lieu, un roman d’amour.
L’amour y est le moteur principal de l’action. Il est en soi-même le véritable
thème du roman. C’est pourquoi, nous avons choisi, dans cette recherche, de
traiter Manon Lescaut en tant que roman d’amour. "L’amour de Des Grieux
et de Manon est l’unique sujet, les péripéties diverses étant destinées
seulement à l’illustrer et à le développer"2. " Manon Lescaut est avant tout
une immortelle histoire d’amour : Manon et Des Grieux ont leur place
parmi les plus célèbres amants de la littérature. L’Abbé Prévost a peint de
façon saisissante l’élan des deux jeunes gens l’un vers l’autre et la passion
qui asservit entièrement Des Grieux à son empire ; il est même parvenu à
nous faire croire à l’amour sincère de Manon, malgré ses infidélités. En
dépit du caractère frivole de l’héroïne et de la faiblesse coupable du héros,
1
2
www.lire.fr
Raymond Dufeu – 1994- Profile de Manon Lescaut –- Nathan – France – P. 101
la passion qui anime toute l’œuvre garde une sorte d’innocence : c’est
qu’elle est instinctive, naturelle et vraie".3
Les évènements de ce roman se sont déroulés en France
pendant la Régence, période qui court de 1715, date de la mort de Louis
XIV, jusqu’à 1723, date de la majorité de Louis XV. Cette régence était
assurée par Philippe d’Orléans. C’était une période de relâchement des
mœurs, comme réaction contre la rigueur janséniste imposée pendant les
dernières années du règne de Louis XIV. Donc, la société de la Régence était
corrompue où tout se vend et tout s’achète et où la seule valeur qui compte
est l’argent.
Manon, l’héroïne de ce roman, est le reflet de cette société avec
tous ses maux. En subissant la contagion de cette société, Des Grieux, le
héros de ce roman, en devient la victime. Mais son bon fond persiste, à la
fin.
La technique de retour en arrière qu’adopte Prévost/Des Grieux
dans la narration des aventures, permet de mesurer la grandeur de la passion
du héros, l’intervention du destin, l’aveuglement du héros et le ton tragique
du roman.
Cette recherche sera divisée ainsi qu’il suit ;
3
J-P de Beaumarchais, Dr. Couty – 1988- Anthologie des littératures de langue française –– BORDAS –
France - PP. 70-71
Dans le premier chapitre, nous aborderons la période de la Régence d’un
point de vue historique, politique, économique, culturel et moral. Nous
consacrerons une partie considérable pour parler des genres littéraires
relatifs à cette période ainsi que des salons littéraires, des clubs et des cafés
et leur rôle dans la diffusion de la culture française. Figure à la fin du
premier chapitre une biographie de l’auteur ;
Dans le deuxième chapitre, nous donnons, d’abord, un résumé de l’œuvre,
nécessaire à sa compréhension. Ensuite, nous analysons Manon Lescaut en
tant que roman d’amour. L’analyse sera divisée en trois thèmes : l’amour
fatal, fidélité/infidélité et la déchéance. En effet, ces trois thèmes sont
enchaînés les uns aux autres. Mais, il y a des actes où nous trouvons, par
exemple, plus de déchéance que d’amour fatal ou fidélité/infidélité. Alors,
nous traitons principalement ces actes sous le thème de la déchéance tout en
abordant leurs autres aspects dans les thèmes concernés.
1-
LA RÉGENCE
Un Aperçu Historique
Le règne de Louis XIV dure cinquante-sept ans. C'était une
période de conquête et de prospérité politique et culturelle. Pourtant, l'Etat
souffre d'une crise financière accrue.
Frappé par la misère et la pauvreté, le peuple commence à
protester. Ces protestations ont été menées par des éclairés comme: La
Bruyère, Fénelon et Saint-Simon.4
Les dernières années du règne de Louis XIV ont été marquées
par l'austérité religieuse, sous l'influence de Mme de Maintenon. La Bastille
était pleine de jansénistee. Le gouvernement a adopté un régime
d'orthodoxie étouffant.5
1-1
La Régence
En 1715, Louis XIV meurt. Son successeur, Louis XV, n'avait
que 5 ans. Mais le roi défunt avait pris dans son testament toutes les mesures
nécessaires pour assurer la continuité de la régence du royaume. Le régent
4
Cécile de Ligny – Manuela Rousselet, Mars 1997- La Littérature française, auteur, oeuvre, genres et mouvements.
Nathan –p.38.
5
Antoine Adam- 1997- Le Mouvement Philosophique dans la première moitie du XVIIIème siècle – Société D'édition
D'enseignement Supérieur- France.
serait son neveu, Philippe d'Orléans âgé de 41 ans mais il doit partager le
pouvoir avec un fils illégitime du Roi Soleil, le Duc du Maine.6
On reconnaît au Duc du Maine quelques bonnes qualités, mais
il est avare, retors et lâche. Pire, il est entouré par des parvenus et des
ambitieux. Quant à Philippe d'Orléans, il représente, au contraire, les
tendances nouvelles de son siècle. Se regroupent autour de lui tous ceux que
Louis XIV avait écartés.7
Bien qu'il ait prouvé une réelle valeur et une ambition
raisonnable, Philippe d'Orléans n'a pas pu obtenir les charges militaires qu'il
souhaitait. Eloigné des intrigues de la cour, il s'isole pour faire des
expériences de chimie. Il trouve que le testament limite ses ambitions.8
Bien que le testament de Louis XIV n'ait accordé à Philippe
d'Orléans que la présidence honorifique du conseil de la Régence, le 2
septembre 1715, le parlement casse le testament en lui confiant totalement la
direction du pays. En revanche, il donne au parlement le droit de
remontrance, supprimé 60 ans auparavant. En conséquence, le Duc du Maine
est éloigné.9
"Philippe d'Orléans né à Saint-Claud en 1674, mort à
Versailles en 1723, est le fils de Philippe, Duc d'Orléans, deuxième fils de
6
Louis Forestier – 1967- Panorama du XVIIIème siècle français – Seghers – Paris – pp. 10-11.
Ibidem p. 11.
8
Ibidem. p. 11.
9
www.yahoo.com
7
Louis XIII et frère de Louis XIV. Il épouse en 1692 Mlle de Blois, fille
légitimée de Louis XIV son oncle et de Mme de Montespan".10
"Le Régent est libéral, généreux et travailleur. Du moins, le
jour, car dès que la nuit tombe, il court aux petits soupers, fêtes galantes et
tableaux vivant organisés pour lui, en compagnie de l'Abbe Dubois, son
ministre et complice".11
"Le Régent est débauché, libertin, immoral, indolent,
organisateur de soupers orgiaques avec ses roués; surnom donné à ses
compagnons; désireux de s'emparer de la couronne royale ou à défaut de
celle d'Espagne. Il est acharné du travail ami de la liberté et admirateur des
libertés anglaises, porté à l'ivrognerie et à la Paillardise, mais veillant à
éviter les scandales; peu dévot par réaction contre Louis XIV", mais bien
disposé envers les jansénistes qu'il a tirés de prison, ami des arts "style
rocaille".12
Le Régent essaie de balancer entre les plaisirs et les affaires. Il
réforme la direction du pays en créant des conseils pour diriger le pays:
conseil de guerre, des finances, de la marine, des affaires étrangères, de
l'intérieur, du culte et du commerce. Ce système appelé polysynodie n'a pas
eu de succès à cause de la lenteur administrative dont il fait preuve. Les
conseils sont supprimés en septembre 1718.13
10
Ibidem.
www.google.com
12
www.yahoo.com
13
Louis forestier, OP. Cit. p. 16-17.
11
Le 25 octobre 1722, Louis XV est sacré à Reims. La Régence
se termine donc lors de la majorité de Louis XV. Philippe d'Orléans est
nommé Premier ministre. Il meurt en 1723.
Parmi les importantes figures politiques pendant la Régence fut
le cardinal Dubois (1656 – 1723). Il naquit à Brive dans une famille
bourgeoise. Son père était médecin–apothicaire. En 1687, il devient
précepteur de Philippe d'Orléans qui était en ce temps-là duc de Chartres.
Dubois est devenu ministre d'Etat, puis secrétaire d'Etat aux
Affaires Etrangères. Il conclut en 1717 la triple alliance entre la France,
l'Angleterre et les Pays Bas.
Son succès en matière de diplomatie est dû à son habileté, son
talent et à sa capacité à la prise des décisions et initiatives.14
1-2
Le Système de Law
Philippe d'Orléans a hérité de Louis XIV une crise financière
accrue. Celle-ci a deux façades, l'une est monétaire, l'autre financière.
En vue de résoudre cette crise, le Régent adopte un nouveau
système financier proposé par l'économiste écossais John Law, devenu
contrôleur général des finances en 1720. Les réformes financières adoptées
par Law visent, en premier lieu, à résoudre la crise monétaire par la création
et la généralisation des papiers-monnaies. "L'augmentation de la masse
14
www.yahoo.com
monétaire devait produire une hausse d'activité commerciale et l'extension
progressive de la dette publique".15
En 1716, Law a créé une banque privée. Ses réformes
financières visent également à régler le problème de la dette publique en
transformant les rentiers de l'Etat en actionnaires de la Compagnie des Indes.
Ainsi, le Régent se trouve libéré de la charge de la dette publique.16
Ce système connaît d'abord un grand succès. La banque devient
royale en 1718. Mais l'émission d'un nombre abondant de papiers-monnaies
amène à l'inflation.17 "Law émet trop de billets. La spéculation, les
manœuvres, la fragilité même du système en provoquent l'effondrement en
1720".18
Aussi, les lenteurs de la colonisation et le faible taux d'intérêt
découragent les actionnaires et même provoquent leur manque de confiance
en ce système. En 1720, la banque suspend ses activités et les actions
tombent. Déçu de l'échec de son initiative, Law s'enfuit en Belgique puis à
Venise.19
Cette initiative a ruiné certaines fortunes considérables, comme
il en a permis la création rapide, "Tel qui n'avait pas un sou la veille se
15
16
17
www.yahoo.com
Ibidem.
Louis Forestier. Op. Cit., p.17
George Duby – 1971- Histoire de la France dynasties et révolutions de 1348 à 1852 – Larousse – France – p. 247.
19
www.yahoo.com
18
trouve millionnaire le lendemain, grâce à des spéculations, des (agiotages),
parfois dépourvus d'honnêteté".20
Cependant, cette expérience a certains reflets positifs sur la vie
française: Prospérité économique et commerciale et encouragement de la
colonisation en Louisiane, remboursement de la dette publique.21
1-3
Les Mœurs
La vie sociale, pendant la Régence, a été marquée par le
relâchement des mœurs, la frivolité, le libertinage, le goût du luxe, du plaisir,
du confort et le désir du gain. Et cela vient comme réaction normale contre
la rigueur janséniste et l'austérité religieuse imposées à la cour pendant les
dernières années du règne de Louis XIV. C'est pourquoi la mort de celui-ci
fut chaleureusement saluée par le public réprimé. "Lorsque Louis XIV meurt,
c'est un tressaillement de joie".22
La libéralisation s'étend à tous les aspects de la vie: religieux,
institutionnel, moral, etc. " C'est le joli temps de la régence où l'on fit tout,
excepté pénitence".♠
En plus de la libéralisation marquant la vie, s'ajoutent aussi un
esprit enfantin, le goût de l'élégance, du confort, des beaux objets, l'impiété
et le désir du gain. "Le libertinage du XVIIIème siècle était une attitude, une
volonté d'affirmer l'autonomie morale de l'homme libre par opposition à
20
Louis Forestier, op. cit, p. 18.
Ibidem. p. 18.
21
22
Ibidem. p. 19.
♠
Chanson populaire.
l'homme soumis à l'autorité religieuse".23 Pendant la Régence les
circonstances étaient propices à l'épanouissement des idées et des traditions
libertines.
Le régent, lui-même, mène une vie joyeuse avec ses
compagnons de débauche, les roués. "Sous son influence les mœurs se
relâchent; à la rigueur du siècle précédent succèdent l'insouciance et la
frivolité".24 La liberté était poussée à l'extrême dans les fêtes qu'il organise.
"On court de mascarades en divertissements, on inaugure les bals de
l'opéra, on danse jusqu'à l'aube…"25
Le mouvement des idées va favoriser le goût pour les plaisirs
"on croit au bonheur en ce monde, et les philosophes réhabilitent contre le
christianisme, passion et instincts".26 On croit donc au bonheur et on
cherche à le trouver dans le bien-être, le luxe et tous les raffinements que
procure l'agent. On commence à confondre entre bonheur et plaisir.
Le dérèglement des mœurs atteint son sommet dans certains
milieux de la haute société. "Cette immoralité cynique ne s'étend que dans
des milieux limités; la frivolité est beaucoup plus répandue: on affecte de
prendre à la légère les questions les plus graves, on rit des défaites de la
France, on considère la vie comme un jeu".27
23
Louis Forestier, op. Cit. p. 18.
Ibidem. P. 12.
25
Louis Forestier, op. Cit. p. 12.
26
Le Garde et Michard - juin 1995- Les grands auteurs français du XVIIIème siècle -, BORDAS –– France p. 9.
27
Ibidem, p. 9.
24
La société de la régence était une société qui vit pour et par
l'argent. Et comme les plaisirs nécessitent beaucoup d'argent, on fit tout pour
s'en procurer, moyens légitimes ou illégitimes. Le système de Law accentue
la démoralisation et la confusion sociale en permettant l'enrichissement
rapide mais aussi la perte immédiate des fortunes.
1-4
Le Cosmopolitisme
Philippe d'Orléans adopte une politique de détente et
d'ouverture envers le monde extérieur. Il se rapproche surtout des nations
capitalistes, libérales et protestantes comme l'Angleterre et la Hollande
"alliance de la Haye, 1716".
La France a connu "une civilisation brillante, un art de vivre
raffiné et un rayonnement étendu qui l'a fait servir de modèle à l'Europe
entière"28.
Bien qu'il combatte la France, Frédéric II, roi de Prusse, parle
français et construit des châteaux à l'exemple de Versailles. Il admire
Voltaire et le fait venir à sa cour. Le style rococo était répandu en Allemagne
aussi bien qu'en Italie.
Les écrivains français se disent citoyens du monde. "Ils croient
à l'universalité de la raison et combattent particularisme et préjugés
nationaux".29 Le cosmopolitisme se traduit également par l'intérêt accordé
aux influences étrangères.
28
29
Ibidem. p. 11.
Ibidem. p. 11.
Montesquieu, Voltaire et l'Abbé Prévost étaient influencés par
la culture anglaise. De plus, ils font connaître aux français "l'image d'un
royaume anglais relativement moderne, où l'on trouve d'avantage de liberté
et même d'égalité qu'en France".30 Voltaire fait connaître Shakespeare aux
français. Mme du Châtelet ainsi que Voltaire répandent la nouvelle
mécanique newtonienne.
L'Abbé Prévost participe également à la diffusion de la pensée
anglaise à travers son journal "le pour et le contre". On est aussi influencé
par Goethe, mais, il faut dire que l'influence de l'Angleterre était la plus
dominante. Les penseurs français sont surtout influencés par les leçons de
tolérances qu'elle leur apporte. La physique de Newton domine au détriment
de celle de Descartes.
L'influence de l'Angleterre se reflète également sur les mœurs:
on préfère les clubs et les jardins à l'anglaise. "Les influences étrangères sont
un facteur décisif d'élaboration d'un nouveau mode de pensée: l'Angleterre
fournit un bon modèle d'esprit critique, la Hollande montre, par le
Protestantisme, le rôle fondamental de la conscience individuelle. Les
voyages des missionnaires et des marchands offrent une leçon de relativité
aux penseurs français qui en profitent pour critiquer les mœurs françaises et
remettre en cause les idées reçues sur la propriété, la justice, la liberté et la
religion".31
30
Michel Charpentier – Jeanne Charpentier –1997- Littérature, textes et documents XVIIIème siècle – Nathan –– France
p. 3.
31
www.yahoo.com
Les récits de voyages ont également participé à répandre l'esprit
cosmopolite. Ceux-ci reviennent à la mode depuis la fin du XVIIème siècle.
Les écrivains qui visitent le monde extérieur écrivent leurs mémoires et les
publient. Ils participent ainsi à faire connaître au peuple français d'autres
cultures, civilisations, modes de pensée, religions…etc.32 "Jean-Baptiste
Tavernier raconte les six voyages qu'il a faits en Turquie, en Perse et aux
Indes pendant l'espace de 40 ans et par toutes les routes que l'on peut tenir,
accompagné d'observations particulières sur la qualité, la religion, le
gouvernement, les coutumes et le commerce de chaque pays, avec les
figures, le poids et la valeur des monnaies qui y ont cours"33
Ainsi, les récits de voyages ont joué un rôle remarquable dans
l'affirmation de la relativité universelle qui a amené plusieurs philosophes à
remettre en examen la plupart de leurs pensées.34
1-5
La Vie Culturelle
Le Régent avait l'esprit ouvert. Il adopte une politique de
tolérance et d'ouverture sur le monde extérieur. Il libère les Jansénistes
emprisonnés à la Bastille, annule les lois étouffant les Protestants.35
Le Régent patronne le courant littéraire, autorisant la liberté de
l'imprimerie, vivant au palais royal entouré des philosophes comme:
Fontenelle, l'abbé de Saint-Pierre et l'abbé Dubois.36
32
Le garde et Michard, op – cit. p. 13.
Ibidem p. 13.
34
Legrande et Michard, op – cit. p. 13.
35
Antoine Adam; op – cit. p. 8.
36
Ibidem p. 8.
33
Il était, tout à fait, contre la rigueur de la censure et permettait
la publication des livres interdits auparavant par Louis XIV. Il a travaillé
pour la promotion de l'éducation, ordonnant la gratuité de l'inscription pour
la Sorbonne. Il a ouvert les portes de la bibliothèque royale au public.
Le Régent était fasciné par les arts et surtout la peinture. Il
choisit pour premier peintre, Antoine Coypel, représentant de ce qu'on
appelle le grand genre qui est la forme la plus noble des arts. Ce genre est
connu pour l'importance qu'il accorde à la peinture des figures humaines.
Parmi les peintres les plus célèbres nous comptons: David, Jean-François de
Troy, Restout, Boucher… etc. Ils appartiennent tous à l'école du grand
genre. Ils s'intéressent surtout dans leur peinture, aux scènes bibliques,
religieuses, historiques, antiques et mythologiques.37
1-5-1
Les Genres Littéraires
Parmi les genres littéraires existant pendant la Régence nous
comptons le théâtre et surtout la comédie, la poésie et le roman.
1-5-1-1
Le Théâtre
Pendant la régence, le public fut épris de théâtre. Les
principales salles théâtrales furent: la comédie française, l'opéra et le théâtre
Italien. "Il ne faut pas oublier cet engouement du XVIIIème siècle pour le
théâtre, cela explique tout un côté léger, brillant et insouciant de l'époque.
Le théâtre emprunte à la vie; mais la vie emprunte au théâtre une élégance
de rêve, un goût du dépaysement, et peut-être du factice. Pour beaucoup,
chaque jour de l'existence n'est qu'un tableau dans un long spectacle".38
37
38
www.yahoo.com
Louis Forestier . OP. cit. p. 40.
Pourtant, peu de chefs d'œuvres ont apparu pendant cette
période. La tragédie, se trouve surtout dégradée, sauf les œuvres de
Campistron, Houdart de la Motte et de Crébillon. Ce dernier fut considéré
comme le grand tragique de sa génération. Il a essayé de renouveler le genre
tragique en mêlant l'audace à la réserve. La représentation de l'Idoménée et
Atrée et Thyeste lui fit mériter sûrement ce titre.39
S'agissant de la comédie, Marivaux s'est couronné
incontestablement à son sommet. Sa comédie attaque surtout le monde de
l'argent.
Marivaux a eu le mérite de rendre la comédie amoureuse
célèbre. Dans ses comédies "il mêle l'émotion au rire dans le souci
permanant de rendre compte des évolutions du cœur humain".40 La comédie
amoureuse est principalement une comédie de mœurs. Presque dans toutes
les comédies de Marivaux, le moteur de l'action est l'amour. En cela, il était
influencé par le théâtre italien.41
1-5-1-2
La Poésie
Les genres poétiques classiques se divisent en deux types:
genres sérieux et genres plaisants. Les grands poètes sont sérieux; JeanBaptiste Rousseau (1671 - 1741) représente le poème lyrique et le poème
moral. Quant à Louis Racine, il représente le grand lyrisme religieux, l'ode
39
www.yahoo.com
Cécile de Ligny. Manuela Rousselot. Op. cit. p. 78.
41
Cécile de Ligny. Manuela Rousselot. Op. cit. p. 78.
40
chrétienne et le poème didactique. L'épopée et le poème philosophique ont
été illustrés par Voltaire, "La Henriade".42
Les meilleures réussites poétiques appartiennent aux genres
plaisants. La Motte réussit à illustrer les fables. L'épigramme a également
remporté un grand succès. Piron est son maître. Dans le badinage mondain,
anacréontique et galant, réussit bien Grécourt (1683 – 1743).43
1-5-1-3
Le Roman
Au début du XVIIIème siècle, le roman fut combattu et qualifié
de frivolité et d'invraisemblance.
Il évolue progressivement en suivant l'évolution de la société.
"Ce qui a déterminé l'évolution du roman, c'est le progrès de l'esprit
bourgeois, la nécessité d'élaborer une forme d'expression littéraire à l'image
du monde et de la pensée moderne quand les formes traditionnelles étaient
liées à un état dépassé de la société".44
Le Sage (1668 – 1747) invente le roman des mœurs avec Gil
Blas. "Le Sage a le souci de renouveler le roman. Son goût pour la fantaisie
l'amène à cultiver les genres d’où la rigueur semble exclue. Son roman, Gil
Blas dépeint la France de son temps, médecins, comédiens, beaux esprits,
hidalgos déchus et petits maîtres sans vertu, Gil Blas est un parvenu. Ce
42
V. L. Saulnier – 1970- La Littérature Française du Siècle Philosophique – Presse Universitaire de France p. 18.
Ibidem p. 18.
44
Henri Coulet,-1970- Le Roman Jusqu'à la Révolution: Tome I: Histoire du Roman en France. 3ème édition – Librairie
Armand Colin –– France p. 222 – 223.
43
roman, par sa verve, son entrain et son naturel est l'expression vive d'un
goût tout français".45
Le goût de Marivaux pour le roman réaliste apparaît dans "Le
Paysan Parvenue" et "La Vie de Marianne".
L'Abbé Prévost a le mérite de créer le nouveau roman et de
faire évoluer le roman passionnel. Dans Manon–Lescaut, il peint l'amour
fatal qui conduit les héros à leur perte. "La fatalité s'acharne tellement sur
eux que le lecteur est amené à dénoncer l'ordre social et à revendiquer le
droit au bonheur naturel de la passion".46 Cette pensée hardie fit scandale.
La Parution Parisienne de Manon Lescaut fut condamnée au feu.
Une autre forme du roman apparaît au XVIIIème siècle. Le
roman libertin. Le style du libertinage est une question de technique plus que
de vision. Le libertinage devient au XVIIIème siècle un procédé d'expression
universel. Il y a du libertinage, par exemple, chez Prévost, Marivaux,
Montesquieu, Voltaire.47 "Tout le XVIIIème siècle a reconnu et proclamé le
rôle des sens, la détermination du moral par la physique et cherché un
langage décent pour expliquer ce rôle dans le sentiment le plus souvent
idéalisé: l'amour".48
Nous pouvons dire que le roman a eu un succès considérable,
malgré le mépris et l'opposition auxquels il est soumis pendant les deux
premiers tiers du siècle. Il devient le moyen d'expression de la bourgeoisie en
arrivant à peindre la réalité de l'existence et y intègre toutes les catégories
45
www.yahoo.com
Cécile de Ligny – Manuels Rousselot. OP – cit. p. 82.
47
Henri Coulet. OP – cit. p. 386.
48
Ibidem p. 386.
46
sociales. Il se donne également pour tâche de refléter la réalité humaine, de
peindre l'homme moderne, de définir ses besoins, ses espoirs, ses rêves, ses
craintes…etc.
Le roman devient le genre littéraire le plus populaire grâce à la
simplicité de son style et à sa libération des règles de l'art auxquels se soumet
le théâtre, par exemple.
Pour Prévost, le roman doit donner une leçon sur la vie réelle.49
"Le roman au XVIIIème siècle est devenu l'école de la vie, non
seulement le manuel des belles manières et des conversations mondaines
qu'il avait été à l'époque baroque, mais une image fidèle et pleine de sens de
l'homme en société et de son destin".50
Avec le roman, la bourgeoisie sera, pour la première fois,
représentée sur le plan littéraire.
Pourtant, la critique n'a cessé de lancer ses attaques au roman.
"La critique discutait la vraisemblance des romans, leur qualité artistique,
leur valeur morale, leurs mérites comparés à ceux de l'histoire parce qu'au
fond elle ne reconnaissait pas la légitimité du genre romanesque, impossible
à juger selon les règles du goût appliquées aux genres poétiques et indigne
de rivaliser pour le sérieux avec les disciplines dispensant une
connaissance, comme la philosophie morale et surtout l'histoire".51
49
Henri Coulet. OP – cit. p. 388.
Ibidem p. 319.
51
Henri Coulet. OP – cit. p. 323.
50
La critique s'acharne contre le roman au nom du goût et de la
morale; Au nom du goût; le roman ne mérite pas d'être placé avec les genres
littéraires. "On lui reprochait son invraisemblance et son réalisme, le
dogmatisme esthétique, contradictoire et confus, recouvrait une réalité
sociologique très forte… Aucun écrivain ne s'est acquis par un roman une
réputation vraiment indiscutée, pas même Prévost avec Cleveland et un
grand nombre de romans étaient anonyme".52 Au nom de la morale, le roman
a également subit sa part de critique. En dessinant la vie telle qu'elle est avec
ses bons et mauvais côtés, le roman a reçu une critique amère l'accusant de
propager pour les tendances de l'époque moderne: hédonisme, individualisme,
réalisme… etc.
Les romanciers affirment, de leur côté, que leur rôle reste
seulement d'exposer les réalités vécues, de donner des leçons concrètes. Ils
affirment également que la peinture des vices et des défauts ne veut pas dire
les approuver. "Ils ne pouvant prétendre être les défenseurs de la morale et
de la vertu qu'en jouant sur les mots".53
Le mépris et le discrédit auxquels est soumis le roman
apparaissent clairement dans la citation ci-après. "Ni la critique, ni les gens
de goût n'en avaient l'idée; plus important que l'hostilité du P. Porée ou de
l'abbé Jaquin est le dédain de Vauvenargues, de Voltaire, de Rousseau: "de
semblables puérilités n'ont pas leur place dans un esprit saint" déclare le
premier; "les vrais gens de lettres les méprisent", dit le second; et le
troisième, dans le préface du roman le plus lu, et de beaucoup,de tout son
siècle: "il faut des spectacles dans les grandes villes, et des romans aux
peuples corrompus… jamais fille chaste n'a lu de romans".54
52
Ibidem p. 324.
Ibidem p. 325.
54
Henri Coulet. OP – cit. p. 326.
53
1-6
Les foyers intellectuels: salons, cafés et clubs
Le rôle de la cour royale dans la diffusion de la culture et de
l'art cède la place aux salons littéraires, aux clubs et aux cafés.
1-6-1
Les Salons Littéraires
Certains (es) aristocrates éclairés (es) rassemblent dans leurs
salons des hommes de lettres. Les salons fournissent une ambiance culturelle
et attirent aux écrivains, des admirateurs, des relations utiles et parfois de
l'aide matérielle. Ils commencent d'abord littéraires et mondains, mais
deviennent par la suite, philosophiques. Ils rassemblent une élite éclairée et
assoiffée de rencontrer des écrivains, des artistes ou des étrangers.
La femme a tenu une place privilégiée dans les salons
littéraires. Ceux-ci ont développé l'art de conversation. En Province, il
existait aussi des salons littéraires, mais ils étaient moins riches que ceux de
Paris.55
Les salons littéraires importants pendant la Régence furent:
1-6-1-1
La Cour de Sceaux (1710 – 1733)
Petite fille du grand Condé, mariée à un fils légitimé de Louis
XIV, la duchesse de Maine accueille au château de Sceaux beaucoup
d'intellectuels parmi lesquels furent: Fontenelle, La Motte… etc. En 1718,
elle fut arrêtée pour conspiration. Elle fut libérée par la suite, mais la cour
devient moins active. La cour de Sceaux était le salon favorisé par les
courtisans qui veulent échapper à la rigueur de la cour royale. La duchesse
s'intéressait à l'organisation des fêtes, soupers, comédies plutôt qu'à la
diffusion de la culture, c'est pourquoi son salon n'a pas ajouté grande chose à
la vie culturelle.56
55
56
www.yahoo.com
Louis Forestier – cit p. 30 – 31.
1-6-1-2
Le Salon de Mme de Lambert (1710 – 1733)
La marquise de Lambert désapprouve la dégradation morale
régnant dans la société. Elle choisit bien les gens qui fréquentent son salon.
Elle reçoit les mardis des savants, artistes, écrivains; les mercredis, des gens
du monde. Fénelon, Fontenelle, la Motte, Montesquieu, Marivaux
fréquentaient son salon.57 En choisissant bien les fréquenteurs de son salon,
Mme de Lambert a réussi à en faire un phare littéraire.
1-6-1-3
Le Bureau d'Esprit (1710 – 1733)
Il était tenu par Mme de Tencin. Après une jeunesse frivole,
Mme de Tencin écrit des romans et établit son salon de la rue Saint-Honoré.
C'est un salon plus libre que celui de Mme de Lambert. Mme de Tencin
soutient solidement les lettrés qui fréquentent son salon.58 Elle reçoit des
philosophes: Duclos, Marmontel, Helvétius, Mably; des hommes de lettres:
l'Abbé Prévost, Piron, d'illustres étrangers: Lord Bolingbroke, Lord
Chesterfield, Tronchin, le célèbre médecin de Genève. Elle anime vivement
les discussions et incite ses hôtes à la hardiesse en exerçant sur eux une
influence indéniable.59
1-6-2
Les Clubs
La création des clubs est propre aux Anglais. Ils sont les lieux
favorisés pour les discussions des sujets politiques. Le plus célèbre club
français fut celui de l'Entresol qui a été crée en 1720, par l'Abbé Alary. Il
réunit dans l'Hôtel des Présidents Hénault, place Vendôme, des éclairés
57
Le garde et Michard OP –cit p. 8.
Ibidem p. 8.
59
Antoine Adam – Georges Lorminier - Edouard Morot Sir OP – cit. p. 315.
58
sérieux s'intéressant à la politique. Montesquieu, l'abbé de Saint-Pierre et
Fleury furent de ses habitués. Ce club a vu le développement de l'esprit
d'examen. "Ainsi le club de l'Entresol de l'Abbé Alary qui réunit une
vingtaine des plus forts esprits du temps en sorte d'Académie libre où se
discutai les problèmes les plus variés et à qui l'Abbé de Saint-Pierre
présente ses idées humanitaires et ses plans ingénieux de réformes".60
Les activités du club étaient en vogue de 1720 à 1730. Il embrasse les
réunions des réformistes.
1-6-3
Les Cafés
Les cafés sont apparus pendant la seconde moitié du XVIIème
siècle. Ce sont les lieux favorisés par la société polie. Les gens des lettres y
menèrent des discussions sérieuses. On préfère aussi y parler de politique.
Le premier café français a été crée à Paris en 1667. Le succès
rapide remporté par les cafés pousse beaucoup de teneurs des salons à les
transformer en cafés.61 En 1723, on comptait plus de trois cent quatre-vingt
cafés.
Les cafés ont joué un rôle de premier plan dans la diffusion des
lumières. Ils ont eu le mérite de rendre sociable la culture française. Les
œuvres publiées y sont discutées. Chez le Sicilien Procope, en face de la
comédie française, se jugent les pièces nouvelles. Deux autres cafés célèbres
furent celui de la Veuve Laurent et le Gradot. Dans ce dernier café se
réunissent J.J. Rousseau, Fontenelle, la Motte. Ils regroupent des membres
60
61
Georges Duby – OP – cit. p. 251.
Louis Forestier. OP – cit. p. 14.
de l'Académie française et de l'Académie des Sciences. Le café de la
Régence fut fréquenté par Voltaire, Piron, Crébillon, Marmontel.62
1-7
BIOGRAPHIE DE L’ABBEB PREVOST
Antoine-François d’Exiles, dit l’Abbé Prévost est né le 1er avril
1697 à Hesdin (Pas-de-Calais). Son père, Liévin Prévost est procureur et
conseiller du roi au bailliage d’Hesdin. Sa mère est morte en 1711, ainsi
qu’une sœur qu’il adorait. 63
Suite à la mort de sa mère, son père l’envoie obligatoirement
chez les Jésuites d’Hesdin pour être prêtre. Il brille chez les jésuites, mais
coupe soudain ses études pour adhérer à l’armée qu’il quitte pour revenir
chez les Jésuites. 64
« De seize à vingt ans, il retourne, à deux reprises, au métier des
armes, revenant chez les Jésuites dans les intervalles. Hésitations,
contradictions, incertitudes, on retrouve ces traits chez beaucoup de
personnages de ses romans. »65 En effet, de nombreux thèmes figurant dans
ces différentes œuvres sont le reflet de sa vie réelle : affection entre frère et
sœur, mort de la sœur, mort de la mère, brouille avec le père, amour-fou
….etc. La vie de l’Abbé Prévost est aussi remplie d’aventures que ses
62
63
64
Louis Forestier . OP – cit. p. 17.
Dufeu Raymond, 1994 - Profile de Manon-Lesacut- -Nathan – France- P. 3
Ibidem P. 3
Beaumarchais Jean-Pierre et autres, 2001 - Dictionnaire des écrivains de la langue française – Larousse – Paris P. 1421
65
romans. Caractère instable, il reste comme il dit « ami de la sévère vertu,
mais faible et lent quelquefois à la pratiquer. »66
En 1718, il devient officier mais il se trouve obligé de fuir en
Hollande à la suite d’un scandale. En 1720, il joint les Bénédictins de
Jumièges (Normandie).
Il commence à écrire, sa première œuvre, les Mémoires et
aventures d’un homme de qualité qui s’est retiré du monde dont la parution
s’étende sur quatre années (1728-1731).
En 1724, il participe à des publications érudites et fait passer en
Hollande Les Aventures de Pomponius, un récit libertin et satirique sur la
Régence.67
En 1726, Prévost devient prêtre. En novembre 1728, il fuit en
Angleterre pour échapper à des poursuites et s’y convertit au protestantisme.
Il y apprend également l’anglais tout en s’intéressant à sa littérature.
Suite à des difficultés financières, il fuit pour la Haye où il
rencontre une certaine Lenki dont il tombe amoureux. Selon lui, c’est une
« demoiselle de mérite et de vertu » et selon un autre témoin « une véritable
sangsue ». 68 Celle-ci a épuisé sa petite fortune que lui procurait son travail à
la solde des libraires.
66
Adam Antoine et autres - 1976 – literature française Tome “1” – Larousse - France P 321
67
Bompiani Laffont- 1999Le nouveau Dictionnaire des auteurs – Laffont –- France – P.2586
Adam Antoine et autres – op. cit P. 321
68
Il repasse en Angleterre en compagnie de Lenki. Une fausse
lettre de change le conduit en prison. Sorti, il regagne la France pour se
réconcilier avec l’église.
En 1731, il publie l’histoire de Monsieur Cleveland, fils naturel
de Cromwell, écrite par lui-même. Ce roman a exercé une forte influence
pendant tout le siècle. La même année, il donne l’Histoire du Chevalier Des
Grieux et de Manon-Lescaut qui suscite un vif débat. Ce roman est compté
parmi les romans français les plus édités. « Prévost interrompt, janvierfévrier 1731, la rédaction de Cleveland pour écrire comme en se jouant l’un
des plus illustres romans français et peut être le plus réédité »69 . « En 1735,
nouvelle édition de Manon Lescaut saisie et supprimée chez les libraires , à
cause de son caractère licencieux et peut être aussi de ses vagues sympathies
jansénistes…En 1737…, le scandale soulevé par Manon s’est apaisé :
réimpression à Amsterdam et à Paris…En 1743, traduction allemande de
Manon à Stockholm …En 1753, publication à Amsterdam d’une édition de
l’Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lesacut, revue corrigé,
augmentée par l’auteur…En 1759, nouvelle édition de Manon Lescaut,
corrigé par l’auteur à Amsterdam et à Leipzig, avec privilège du roi de
Pologne ». 70
En 1733, la parution parisienne de Manon Lescaut fut
condamnée au feu.
69 Jean-Pierre de Beaumarchais – Daniel Couty , 1994 - Dictionnaire des œuvres littéraires de la langue
française – BORDAS – Paris P. 1196
70
www. terres des écrivains.com
En 1736, il devient aumônier du Prince de Conti. De 17331740, il publie " le pour et le contre " , journal ayant pour tâche de faire
connaître l’Angleterre aux Français.
En 1739, son père est mort.
Suite à une crise financière, Prévost participe à une feuille de
nouvelles scandaleuses, ce qui l’amène encore en prison.
Prévost fut protégé par les Condés. Le Pape Benoît XVI lui a
accordé un bénéfice. Il était favorisé par Mme de Pompadour et a eu l’amitié
de Rousseau qui admirait beaucoup Cleveland.71
En 1754, il fut chargé par le Prince de Conti d’écrire l’histoire
de la maison de Condé et de Conti. Il s’installe à Saint-Firmin dans l’Oise
pour être près des archives de Chantilly.
Il meurt, en 1763, dans une crise d’apoplexie. Il est enterré
dans l’abbaye des Bénédictins. « 25 novembre 1763, mort de l’Abbé Prévost,
frappé par l’apoplexie en forêt de Chantilly, devant un calvaire, à Courteuil,
entre Chantilly et Senlis, alors qu’il allait (paraît-il) visiter, après dîner, des
Bénédictins du voisinage. Les Bénédictins achètent au curé de la paroisse le
droit d’enterrer l’Abbé Prévost dans leur abbaye. Ce calvaire qui fit doter
très vite d’une inscription commémorative rappelant l’événement, fut l’un
71
Raymond Dufeu, op. cit. P. 5
des premiers lieux de mémoires littéraires à être classés Monument
Historique dès 1950. »72
En 1918, les allemands ont détruit le château de Sissonnes,
propriété de ses descendants. Tous les documents qui concernent Prévost
seront brûlés.73 Un neveu analphabète de Prévost achève de ruiner sa
bibliothèque qui servait à l’allumage de sa pipe. 74
Sa production littéraire est abondante. Il laisse plus de cent
volumes. Ses œuvres les plus importantes sont :
ƒ
Mémoire et aventure d’un homme de qualité qui s’est retiré du
monde (sept tomes). Ces Mémoires montrent les souffrance des
personnes inspirées par des passions condamnées par la société et la
raison, reconnaissant la sagesse sans pouvoir la pratiquer ;
ƒ
Le Philosophe anglois ou Histoire de Monsieur Cleveland ;
ƒ
Le Doyen de Killerine, histoire morale composée sur les mémoires
d’une illustre famille d’Irlande ;
ƒ
La jeunesse du Commandeur. Contrairement à Manon Lescaut, le
héros combat contre la déchéance que lui cause son amour pour une
femme indigne de lui et réussit à faire triompher sa vertu.
ƒ
Tout pour l’amour , traduction de « Dryden’s tragedy » ;
ƒ
Histoire de la maison de Stuart, prise de Hume’s History of
England ;
72
www.yahoo.com
73
Antoine Adam-Georges LERMINIER- Edouard Morot- Sir, op.cit. P. 321
www.yahoo.com
74
ƒ
Histoire d’une Grecque moderne. Elle montre l’impossibilité de la
compréhension de l’âme féminine.
ƒ
Mémoires pour servir à l’histoire de Malte ;
ƒ
L’histoire de Marguerite d’Anjou ;
ƒ
Les Campagnes philosophiques ou Mémoires de M. de Montcal. Ils
peignent des âmes menées par des passions violentes vivant dans un
monde paradoxale.
ƒ
Histoire de Guillaume le Conquérant ;
ƒ
Histoire général des voyages ;
ƒ
Le Monde moral, ou Mémoires pour servir à l’histoire du cœur
humain.
ƒ
Les voyages de Rober Lade. C’est un récit exotique.
Prévost laisse deux romans inachevés : Les Mémoires d’un
honnête homme (1745) et Le Monde Moral (1760). 75
Il entreprend de nombreuses traductions : Pamela (1742), Clarisse Harlove (1751), Histoire de sir Charles Grandisson
(1755) ;
Mais la plus célèbre de toutes ces œuvres est Manon Lescaut
qui est considérée comme son chef d’œuvre.
Pourtant, les recherches
récentes portent un grand intérêt aux autres travaux de Prévost comme « Les
mémoires d’un homme de qualité, Cleveland, Killerine ».76 « Jusqu’à la fin
du XIX siècle, il ne fut que l’auteur scandaleux ou fascinant de Manon
75
Henri Coulet -1968- Le roman jusqu’à la révolution – Tome I : histoire du roman en France, 3ème édition
– Librairie Armand Colin –– France P. 357.
76
Raymond Dufeu, op. cit. P. 8
Lescaut….Il faudra attendre 1896 pour que des études universitaires
commencent à envisager l’ensemble de la vie et de l’œuvre, mais c’est
seulement à partir des années 1960, en particulier grâce au colloque
international qui lui a été consacré à Aix-en-Provence en 1963, que Prévost
a commencé avec justice à (être considéré comme l’égale de Balzac, de
Proust ou de Dostoïevski "H. Coulet, le roman jusqu’à la révolution.")77
« Réduit aujourd’hui à Manon Lescaut, Prévost est une figure
importante de la vie intellectuelle des Lumières en France, et l’un de ses plus
grands romanciers.»78
« Prévost réunit toutes les qualités qui font le grand romancier :
l’invention des personnages qui intéressent, des situations frappantes, la
connaissance de l’âme humaine même dans ses parties que l’on ose le moins
à explorer, un style souple, coulant, imagé, suggestif, la conception
d’intrigues nécessaires, l’expérience de la réalité et le sens de ce qui est audelà du réel. Ne voir en lui que l’auteur de Manon Lescaut est l’appauvrir de
manière caricaturale. Il mérite d’être considéré comme l’égale de Balzac, de
Proust ou de Dostoïevski. »79
« L’univers de Prévost, porté par l’inquiétude, perpétuellement
sous tension, est ainsi l’expression d’un moment historique où le sujet,
perdant ses repères métaphysiques et politiques, voit s’ouvrir à lui la liberté
77 Jean-Pierre de Beaumarchais – Daniel Couty , Alain Rey , op. cit , P. 1422
78
79
Laffont-Bompiani , Op. Cit. P. 2586
Henri Coulet- Op. Cit. P. 364.
non seulement de faire l’histoire mais aussi de se définir lui-même. Lire
Prévost, c’est revenir au moment où l’homme moderne se découvre. »80
2-1
RESUME DE L’OEUVRE
Manon-Lescaut constitue le septième et dernier tome des
Mémoires et aventures d’un homme de qualité écrits par l’Abbé Prévost.
Dès 1735, il publie séparément l’histoire du Chevalier Des Grieux et de
Manon-Lescaut.
Le récit est divisé
en deux parties : livre premier et livre
second. Le récit est raconté par deux narrateurs : L’homme de qualité « Le
Marquis de Renoncour » et Des Grieux.
80
Laffont-Bompiani , Op. Cit. P. 2587
L’homme de qualité rencontre à Pacy-sur-Eure un convoi de
filles de mauvaise vie qu’on envoie en Louisiane. Manon, qui est très jolie,
attire l’attention de l’homme de qualité, mais aussi Des Grieux accablé par la
détresse.
Deux ans plus tard, l’homme de qualité rencontre, à Calais,
pour la deuxième fois, Des Grieux. Celui-ci lui raconte toutes ses aventures
avec Manon-Lescaut.
Ayant dix-sept ans, issu d’une noble famille, excellent élève au
collège d’Amiens et futur chevalier de Malte, Des Grieux se met, par hasard,
en présence de Mlle Manon-Lescaut que ses parents envoient au couvent
contre
son gré. Il tombe aussitôt amoureux d’elle. Ses avances sont
acceptées par Manon qui connaît bien la psychologie des hommes. Les deux
amants décident de prendre la fuite. Cette relation amoureuse n’était pas
approuvée par Tiberge, ami de Des Grieux, homme vertueux, tendre et
généreux.
Des Grieux abandonne, en faveur de Manon, ses études, son
avenir prometteur, sa famille et son ami.
A Paris, les deux amants vivent heureusement pendant trois
semaines. Mais leur situation financière s’aggrave sérieusement. Ce qui
amène Des Grieux à proposer à Manon de renouer avec son père pour avoir
l’autorisation de l’épouser. Mais Manon refuse décidément cette proposition.
En revanche, elle promet de fournir les ressources nécessaires. Pour ce faire,
elle se vend à M. de B., riche fermier général. Ensuite, elle livre, avec la
complaisance de ce dernier, Des Grieux à sa famille.
Touché par la bonté et l’indulgence de son père mais aussi par
les sages conseils de Tiberge, Des Grieux reprend ses études au Séminaire
de Saint-Sulpice. Ce retour fut marqué par un grand succès. Il était même sur
le point d’oublier définitivement Manon. La fatalité est toujours là. Manon
assiste à un exercice public donné par Des Grieux en Sorbonne et réussit à
l’enlever.
Après une rupture de deux ans, les deux amants reprennent un
amour plus chaleureux qu’avant.
Grâce à l’argent emporté par Manon de M. de B., les deux
amants mènent une vie confortable. Ils ont deux maison l’une à Chaillot et
l’autre à Paris. C’est alors qu’apparaît Lescaut, frère de Manon. C’est un
garde du corps, tricheur et homme dénué de tout principe d’honneur. Il
s’impose à la vie des deux amants en les exploitant financièrement.
Le destin déclenche son assaut contre les deux amants : la
maison de Chaillot brûle. Des Grieux qui sait bien que Manon ne supporte
pas la misère, se lance à chercher des moyens de se procurer de l’argent.
Lescaut lui propose d’exploiter ses charmes auprès des vieilles femmes
libérales ou de pratiquer le jeu. Des Grieux refuse ces propositions. Il préfère
avoir recours à Tiberge qui lui procure généreusement son aide financière.
Pourtant, Des Grieux décide de trouver une source stable d’argent sans
lequel il ne peut pas garder Manon. Grâce à Lescaut, Des Grieux fut accepté
au cercle de jeu. L’état financier des deux amants s’améliore manifestement.
Tiberge qui sait bien l’illégitimité de cette source de richesse, conseille à
Des Grieux d’abandonner Manon qui l’entraîne vers le chemin du vice. Vu
l’obstination de Des Grieux, Tiberge rompt avec lui en lui prédisant les
châtiments du ciel qui ne manqueront pas d’arriver.
Les deux amants se
font voler par leurs domestiques. Ils se trouvent complètement ruinés.
Ne supportant pas cette nouvelle misère imposée par le destin,
Manon se vend, suite au conseil de Lescaut, à M. G.M. En plus, elle
demande à Des Grieux de jouer le rôle de son frère cadet auprès G.M. pour
tirer de lui le maximum de profit. Cette duperie fut découverte par G.M. qui
se venge des deux amants en enfermant Manon à l’Hôpital et Des Grieux à
Saint-Lazare. Des Grieux fuit sa prison en tuant un portier. Il délivre, par la
suite, Manon de la sienne. Aucune suite ne sera donnée à ses deux évasions.
Lescaut est tué par un garde de corps qu’il a ruiné au jeu. La vie des deux
amants commence, de nouveau, à se stabiliser. Ils s’installent à Chaillot. Ils
jouissent de l’amitié de M. de T. qui a aidé à la délivrance de Manon de
l’Hôpital Général. M. de T. introduit le fils de G.M., leur ennemi, dans leur
vie. Le jeune G.M. s’éprend de Manon et cherche à la séduire par sa fortune.
Manon saisit bien cette occasion pour se venger de son père. Elle décide de
créer une fortune aux dépens du jeune G.M et le fuir après. Ce plan fut
élaboré avec l’accord de Des Grieux. Fascinée par la richesse de G.M.,
Manon rompt son accord avec Des Grieux et décide de jouir longtemps de la
vie luxueuse que lui fournit le jeune G.M. La réaction de Des Grieux fut
violente. Il décide d’arracher Manon à son rival. Avec l’aide de T., Des
Grieux charge quelques gardes de garder à vue le jeune G.M. pour avoir le
temps nécessaire pour l’enlever. L’enlèvement fut découvert par le vieux
G.M. qui se venge, pour la deuxième fois, du couple en l’enfermant au
Châtelet. Grâce à l’intervention de son père, Des Grieux fut libéré. Mais le
père de Des Grieux et le vieux G.M. obtiennent du Lieutenant Général la
décision de faire déporter Manon pour l’Amérique.
Des Grieux a essayé par tous les moyens de garder Manon en
France, mais en vain. Alors, il décide de l’enlever par force aux gardes qui
l’amènent au Havre de Grâce. Mais cette tentative a également échoué.
Désespéré, Des Grieux décide de s’embarquer, avec Manon, pour
l’Amérique. Là-bas, la vie calme leur inspire le goût de la religion. Ils
décident de légitimer leur situation devant Dieu par un mariage religieux.
Mais le gouverneur qui croyait que Manon était libre la réclame en mariage
pour son neveu, Synelet. Ce dernier et Des Grieux se battent en duel pour
trancher leur compétition sur Manon. Croyant avoir tué Synelet, Des Grieux
et Manon s’enfuient dans le désert par peur des réactions du gouverneur.
Manon meurt d’épuisement.
Tiberge vient en Amérique à la recherche de son ami, Des
Grieux. Celui-ci après avoir vécu ses plus mauvais mois, reprend goût à la
vertu. De retour en France, il apprend la nouvelle de la mort de son père.
2-2
2-2-1
MANON LESCAUT, UN ROMAN D’AMOUR
L'AMOUR FATAL
Dans Manon Lescaut, l'amour est le thème principal. C'est un
amour fatal, voué au malheur et à la malédiction. Prévost atteste dans l'avis
qu'il a donné sur son roman de la fatalité de la passion qui y est dessinée:
"j'ai à peindre un jeune aveugle, qui refuse d'être heureux, pour se
précipiter volontairement dans les dernières infortunes, qui, avec toutes les
qualités dont se forme le plus brillant mérite, préfère, par choix, une vie
obscure et vagabonde à tous les avantages de la fortune et de la nature, qui
prévoit ses malheurs, sans vouloir les éviter, qui les sent et qui en est
accablé, sans cesse et qui peuvent à tous moments les finir"81.
Le hasard met Des Grieux en présence de Manon Lescaut que
ses parents envoient au couvent contre son gré. C'est le coup de foudre.
Fasciné par ses charmes, Des Grieux tombe aussitôt amoureux d'elle " elle
me paraissait si charmante que moi, qui n'avait jamais pensé à la différence
des sexes, ni regardé une fille avec un peu d'attention, moi, dis-je, dont tout
81
Abbé Prévost – 1970 - Manon Lescaut –– Le Livre de poche – France – P. 16
le monde admirait la sagesse et la retenue, je me trouvai enflammé tout d'un
coup jusqu'au transport"82.
Bien qu'il soit connu pour sa timidité et sa réserve, Des Grieux
ne trouve aucune difficulté à s'exprimer et à s'ouvrir à Manon qu'il appelle
déjà la maîtresse de son cœur.
L'apparition de Manon bouleverse complètement la vie de Des
Grieux. Celui-ci qui était un excellent élève "à l'humeur naturellement
douce et tranquille" et qui ne fait pas la différence entre les sexes, se
transforme soudain en amoureux enflammé. C'est ici, il faut le dire, que
réside la fatalité de la passion. L’inexpérience sentimentale de Des Grieux
s'oppose à la maturité de Manon qui connaît "la psychologie des hommes" et
qui reçoit tranquillement les avances de Des Grieux. Elle était heureuse
d'avoir conquis le coeur d'un chevalier appartenant à une classe sociale plus
haute que la sienne.
Des Grieux s'efface complètement sous le pouvoir de la fatalité
de la passion qui le prive de tout libre arbitre. S'ajoute à ce pouvoir, celui de
la séduction de Manon " la douceur de ses regards, un air charmant de
tristesse en prononçant ces mots, ou plutôt, l'ascendant de ma destinée qui
m'entraînait à ma perte .......j’emploierais ma vie pour la délivrer de la
tyrannie de ses parents et pour la rendre heureuse". 83
82
83
Ibidem PP. 28-29
Ibidem PP. 29-30
Des Grieux qui s'engage à rendre Manon heureuse, lui propose
de la faire fuir. Manon accepte immédiatement sa proposition. Nous
pouvons dire que l'élaboration conjointe de l’idée de fuite anéantit toute
distance entre les deux amants et accélère leur union. Désormais, ils ont un
but commun: fuir pour aller vivre ensemble. Après la réussite de l'opération
de fuite, les deux amants s'installent à Paris dans un appartement meublé.
Ils avaient un peu d'argent qu’ils ne croient jamais pouvoir finir. Ils vivent
heureusement pendant trois semaines, lorsque le sort se met à se moquer d'eux en
faisant de Manon son instrument.
Comme il n’a plus d’argent, Des Grieux propose à Manon de renouer avec son père et
d’obtenir son accord pour l'épouser, mais celle-ci refuse fermement cette proposition.
En revanche, elle promet de fournir les ressources nécessaires. Par conséquent, elle se
vend à M. de B, riche fermier général, qui paie généreusement ses charmes.
Désormais, nous ne cesserons pas de compter les trahisons de Manon, dont celle avec
M. de B est la première.
Bien que la servante ait révélé à Des Grieux, la présence de
M.de B dans sa maison et sa relation douteuse avec Manon, Des Grieux
refuse décidément d'y croire " Il me paraissait si impossible que Manon
m'eût trahi que je craignais de lui faire injure en la soupçonnant" 84.
84
Ibidem P. 38
Aveuglé par son amour, Des Grieux se met à chercher des
excuses pour légitimer la sortie furtive de M.de B. Il aimait trop Manon pour
ne pas pouvoir l'accuser d'une telle trahison. Ici apparaît clairement le talent
de l'Abbé Prévost dans l'analyse psychologique de l'état d'âme de Des
Grieux. Il était à la fois perdu, confus, blessé et écartelé. Il ne peut ni
accepter cette réalité ni la nier. Pourtant, trois faits ont affirmé la culpabilité
de Manon: ses nouvelles acquisitions qui dépassent leur richesse, sa
confusion et l'arrivée des laquais du père de Des Grieux pour le reprendre.
Désormais, nous comprenons l'importance prise par l'argent
dans la vie de Manon. En effet, l'argent joue, dans ce roman, un rôle capital
dû à l'influence des milieux parisiens de la Régence, corrompus par l’argent.
Pour nous, nous n'avons pas de doute que Manon aime Des Grieux. Le fait qu'elle se
fait la complice de M.de B. en dénonçant Des Grieux auprès de son père, s'explique
par sa nécessité d'avoir de l'argent. Elle ne peut pas vivre tranquillement dans la
crainte d'en manquer. Pour elle, l'argent est un moyen pour satisfaire son goût pour le
luxe et les plaisirs. Ce n'est que par l'argent que Manon peut échapper à la médiocrité
de son état social.
L'aveuglement de Des Grieux persiste. Bien que son père lui révèle la complaisance de
Manon dans sa dénonciation, il refuse d'y croire. Pour lui, Manon n'est pas capable
d'une telle trahison, et même si elle le fait, ce serait certainement sous la menace de
M.de B. Des Grieux a mérité là, la colère de son père qui l'accuse de sottise et de
crédulité.
Des Grieux sera enfermé pendant six mois dans la maison paternelle. Il lisait des livres
qui aident à le calmer et recevait les visites de Tiberge qui le conseille de continuer ses
études. Des Grieux suit le conseil de Tiberge et reprend ses études qu'il réussit
brillamment. Il acquiret une grande réputation et obtient le titre d’Abbé. Soudain,
Manon réapparaît pour ruiner cet édifice du succès. Des Grieux était même sur le point
de l'oublier définitivement. Elle assiste à un séminaire public donné par Des Grieux.
Pour regagner son amour, elle réussit à le fasciner par ses charmes. "elle était dans sa
dix-huitième année. Ses charmes surpassaient tout ce qu'on peut décrire. C'était un
air si fin, si doux, si engageant ! L’air de l'amour même, toute sa figure me parut un
enchantement".85
Sachant bien que Des Grieux n'a jamais cessé de l'aimer et connaissant sa
psychologie, elle fait semblant de souhaiter la mort afin d'accélérer sa victoire " je
prétends mourir, répondait-elle, si vous ne me rendez pas votre cœur, sans lequel il est
impossible que je vive"86 . La victoire de Manon se concrétise dans cette parole de
Des Grieux « mon cœur n’a jamais cessé d'être à toi".87
Elle signe sa victoire par les caresses qu'elle adresse à Des Grieux et qui finissent par
le faire complètement céder " elle m'accabla de mille caresses passionnées. Elle
m'appela par tous les noms que l'amour invente pour exprimer ses plus vives
85
Ibidem PP. 56-57
Ibidem P. 57
87
Ibidem P. 57
86
tendresses je n'y répondais encore qu'avec langueur. Quel passage en effet, de la
situation tranquille où j'avais été aux mouvements tumultueux que je sentais
renaître!".88
Il est évident, maintenant, que Manon a réussi à reprendre son amoureux. En plus,
nous pensons que l'amour de Des Grieux redevient plus ardent et plus chaleureux. Il ne
s'exprimait maintenant que par les mots de l'amour. Sa parole est un mélange de blâme
et d'amour " Ah Manon, lui dis-je en la regardant d'un oeil triste, je ne m'étais pas
attendu à la noire trahison, dont vous avez payé mon amour. Il vous était bien facile
de tromper un cœur dont vous étiez la souveraine absolue et qui mettait toute sa
félicite à vous plaire et à vous obéir ".89
Pourtant, le retour de Manon fait preuve d'un amour réel pour Des Grieux. Si Manon
était une femme qui cherche seulement les plaisirs, elle pourrait les trouver ailleurs,
mais le bonheur qu'elle a vécu avec Des Grieux était sincère. Donc, c'est la recherche
du bonheur qui la fait revenir vers lui. Pourtant l'amour de Manon est mêlé d'égoïsme
car son retour fera perdre à Des Grieux son succès, sa réputation et sa fortune.
Les deux amants choisissent de s'installer à Chaillot pour être près de Paris et en même
temps à l'abri des curiosités. Il leur semble que leur bonheur est parfaitement rétabli.
Ils ont pour source financière, l'argent que Manon a emporté de M.B. Ils louent un
88
89
Ibidem P. 58
Ibidem P. 58
autre appartement meublé à Paris pour y passer l’été, mais aussi parce que Manon ne
peut pas vivre loin de la ville tumultueuse de Paris. Mais cette nouvelle situation va
mener leur perte.
Par un hasard malheureux, Lescaut frère de Manon, se trouve habiter la même rue que
les deux amants. Il a vu sa soeur et la reconnaît. L'apparition de Lescaut aura des
conséquences négatives sur les deux amants. Nous voyons clairement que le sort fait
naître, sans cesse, des événements chargés de déstabiliser la vie des deux amants.
Lescaut est un garde de corps. Selon Des Grieux, c’est un homme brutal et sans
principes d'honneur. Il s'impose dans la maison de sa soeur en l'exploitant
financièrement.
Un autre malheur inattendu, la maison de Chaillot brûle et l'argent qui y était a été
volé. Des Grieux a tâché de ne pas mettre Manon au courant de cet événement car il
redoute ses réactions. Le bonheur de Des Grieux se trouve donc sérieusement menacé.
Il sait bien que Manon ne supportera pas la misère. Il ne lui reste qu'à chercher une
autre source d'argent. Il conçoit l'idée de se servir des qualités naturelles que Dieu lui
donne pour se procurer de l'argent " je connaissait Manon ; je n'avais déjà que trop
éprouvé que, quelque fidèle et quelque attachée qu'elle me fût dans la bonne fortune, il
ne fallait pas compter sur elle dans la misère. Elle aimait trop l'abondance et les
plaisirs pour me les sacrifier" 90. " je la perdai, .... malheureux chevalier, tu vas donc
perdre encore tout ce que tu aimes ! " 91.
Nous voyons manifestement comment le destin s'est chargé de bouleverser la vie des
deux amants. Le malheur s'accumule tout d'un coup pour menacer leur bonheur, volé
du monde. Aussi, nous arrivons à imaginer l'état psychologique de Des Grieux: celui
d'un homme troublé, perdu et inquiet sur son bonheur menacé. Ici, le destin a utilisé
l'incendie pour troubler leur vie; ensuite, il utilisera Lescaut pour les mener de
compromissions en compromissions.
Des Grieux a caché l'affaire de l'incendie et du vol de l'argent à Manon de peur
qu'elle ne le quitte. Il sait bien qu'il lui faut de l'argent pour la garder. Il ose demander
de l'argent à son ami Tiberge qu'il a trompé deux fois. Il s'ouvre franchement à
Tiberge, ce qui nous a permis de mesurer son entraînement par la fatalité " je lui
parlais de ma passion avec toute la force qu'elle m'inspirait. Je la lui représentait
comme un de ces coups particuliers du destin, qui s'attachent à la ruine d'un
misérable " 92.
Tiberge conseille à Des Grieux de se séparer de Manon pour pouvoir reprendre sa
vertu, mais celui-ci lui avoue que sa séparation volontaire de Manon serait pour lui la
vraie perte.
90
Ibidem P. 67
Ibidem P. 67
92
Ibidem P. 47
91
Etant donné que Manon est dépensière, Des Grieux savait bien que l'argent que lui
donne Tiberge ne peut pas durer longtemps. Il voulait une source stable d’argent. D’où
l'idée d’avoir recours à Lescaut. Nous voyons clairement que tout le désordre et
l'inquiétude où se trouvait Des Grieux sont dus au tempérament de Manon. Celle-ci ne
s'occupe que de ses passes temps et de ses plaisirs. Il lui faut une source inépuisable
d’argent. Donc, le désarroi où se trouvait Des Grieux était à la hauteur du danger
prévu: recherche par Manon d'un nouvel amant. Nous mesurons également
l'accablement du sort sur Des Grieux qui le fait complètement nier sa raison pour
satisfaire les fantaisies de son amante capricieuse.
Des Grieux trouve dans le jeu la source stable d'argent qu'elle cherche. Désormais, il
gagne beaucoup d'argent. Il ose même révéler à Manon l'affaire de l'incendie et de la
perte d'argent. Il loue comme récompense à Manon une nouvelle maison.
Grâce à l’argent, les amants vivent une période de bonheur, mais le destin leur a
préparé un piège impénétrable : leurs deux domestiques volent leur argent et leurs
vêtements. Les deux amants se trouvent complètement ruinés.
Lescaut incite à Manon de se vendre à M. de G.M, vieux voluptueux qui paie
généreusement les plaisirs. Des Grieux en est complètement choqué, étonné et
bouleversé.
Lescaut et sa soeur élaborent l'idée de duper le vieux G.M. En plus, ils veulent y faire
intervenir Des Grieux pour jouer le rôle du frère cadet de Manon. Des Grieux se
trouve obligé d'y consentir, car c'est Manon qui ordonne et la contrarier veut dire la
perdre. Il maudit sérieusement cet amour fatal qui le déchoit et le déshonore.
"L’amour est une passion innocente, comment s'est- il changé pour moi en une source
de misère et de désordre"93. Des Grieux avait le coeur percé de l'accablement de son
destin. Il lui reste quelques scrupules qui lui font refuser de vivre, dans la maison
louée de G.M pour Manon, en tant que son frère. Il considère que leur grand amour ne
mérite pas d'être traité ainsi. Pourtant, il conseille à Manon d'emporter les cadeaux
offerts par G.M et de le fuir.
Le vieux G.M découvre l’escroquerie dont il était victime. Sa vengeance fut terrible :
il emprisonne Des Grieux à Saint-Lzare et Manon à l'hôpital général.
Manon a mérité ce sort car elle entre dans des relations douteuses Des Grieux le mérite
également, car il ne sait pas freiner la débauche de Manon. A vrai dire, il s'efface
complètement sous ses charmes.
Emprisonné à saint-lazare, Des Grieux ne savait pas que Manon est enfermée à
l'hôpital général. Dès qu'il l'apprend, il devient presque fou, à cause de la mauvaise
réputation de cet hôpital. Il décide de fuir sa prison, non pour trouver sa liberté, mais
surtout pour délivrer Manon " il faut la délivrer .., je n'ai souhaité de liberté que dans
93
Ibidem P. 87
cette vue".94 Il réussit à fuir de sa prison et de la faire fuir, par la suite. Les deux
amants vivent à Chaillot. Mais, ils sont inquiets des conséquences de leurs fuites, mais
aussi de celles de la mort de Lescaut, dont ils étaient témoins.
Manon assure Des Grieux de son amour et lui jure fidélité. Des Grieux était ravi de
cette déclaration, mais il était dépourvu de l’argent sans lequel il ne peut pas la garder.
Il ne pense maintenant qu'à assurer leur situation financière et leur avenir. Il pense tout
de suite à Tiberge. Des Grieux tire plusieurs profits de sa visite à Tiberge: il obtient de
l'argent et apprend que le supérieur de la prison ne l'a pas dénoncé auprès du lieutenant
de police pour la mort du portier qu'il a commise lors de son évasion.
Restant maintenant deux affaires qui rendent les deux amants inquiets: les
conséquences de l'évasion de Manon de l'hôpital et celles de la mort de Lescaut. Cette
fois-ci, c'est M. de T qui rassure Des Grieux en lui rapportant que les administrateurs
de l'hôpital sont convaincus que Manon s'est enfuie avec le valet. S'agissant de la mort
de Lescaut, la police a arrêté l'assassin qui est un de ses amis.
Nous remarquerons que le hasard a arrangé la vie troublée des amants. Ils goûtent
maintenant le plaisir de se trouver ensemble, mais le hasard n'a pas tout mis en ordre
pour assurer leur bonheur. Par contre, il le fait surtout pour préparer les plus rudes
assauts du destin.
94
Ibidem P. 117
Les deux amants s'installent, de nouveau, à Chaillot. Ils vivent leurs meilleurs jours.
Des Grieux tire du jeu l'argent qui satisfait les besoins de Manon. Celle-ci l'atteste
toujours de son amour. La vie des deux amants semble se stabiliser. C'est, maintenant,
le temps propice pour le destin de frapper les deux amants, selon Des Grieux. " j'ai
remarqué dans toute ma vie que le ciel a toujours choisi pour me frapper de ses plus
rudes châtiments, le temps où ma fortune me semblait le mieux établie".95
Le destin a mis sur le chemin des deux amants le fils de vieux G.M, leur ennemi. Il est
l'ami de M. de T et c'est sous ce titre qu'il pénètre dans leur vie. Il fait la connaissance
de Des Grieux et de Manon. Ensuite, il tombe amoureux de celle-ci. L'apparition de
G.M. bouleverse complètement la vie des deux amants. Leur bonheur est toujours
combattu par le destin. Selon Des Grieux, leur amour est promis à de courtes joies et à
de longs supplices.
En peu de temps, G.M. réussit à enlever Manon bien qu’elle se dise, d’abord, vouloir
emporter ses présents et ensuite le fuir. Les souffrances de Des Grieux sont
inexprimables: il est à la fois blessé et dupé par Manon. Il nous semble que la qualité
de l'amour de Des Grieux est incompatible avec son milieu. Lui, il n'a de souci que de
posséder le coeur de Manon alors que celle-ci est fascinée par d'autres choses :
l'argent, les plaisirs et le luxe. Donc, pour garder son bonheur, Des Grieux doit
constamment combattre contre les menaces et séductions que lui fait courir son milieu.
Ainsi, en plus de la fatalité, le milieu pèse sur les deux amants.
95
Ibidem P. 150
Le vieux et le jeune G.M ont, par leur richesse, combattu l'amour des deux amants. Ils
exploitent le point de faiblesse de Manon, c'est-à-dire l'argent, pour la séduire. Des
Grieux en est toujours la victime.
Le destin est toujours là. Il a pour charge de déstabiliser la vie des amants ; soit il les
frappe directement; ou il charge une personne déterminée pour les frapper ou pour
leur inspirer une idée accélérant leur perte.
Des Grieux demande à M de T. de lui procurer la chance de voir Manon, installée chez
G.M., en détournant celui-ci de sa maison. L'ayant vue, Des Grieux était sur le point
de la convaincre de fuir G.M, mais M. de T lui inspire l'idée de garder à vue G.M. et
de se venger de lui en passant la nuit dans sa chambre et avec sa maîtresse. C'est cette
idée fatale qui a perdu les deux amants. Le vieux G.M découvre que Manon et Des
Grieux sont derrière l'enlèvement de son fils. Il les fait emprisonner au Châtelet.
Le vieux G.M et le père de Des Grieux décident d'éloigner Manon du chemin de leurs
fils. Ils obtiennent du lieutenant général la décision de l'envoyer en Amérique.
Des Grieux n'a épargné aucun effort pour garder Manon en France ; mais en vain. Par
conséquent, il décide de la suivre en Amérique. L'amour des deux amants devient
véritable depuis qu'ils étaient en route pour l’Amérique. Manon et Des Grieux y
constituent un couple modèle. Leur amour se trouve à l'abri des séductions et des vices
des milieux parisiens corrompus. Il est vrai que les conditions de vie y sont difficiles,
mais le couple arrive à les surmonter grâce à la solidité de son amour. Désormais, le
changement de Manon devient visible, elle est touchée par les sacrifices et
l'indulgence de son amoureux. Elle se sent coupable du fait que Des Grieux est réduit
à mener cette vie misérable. Elle lui avoue toutes ses fautes et se blâme amèrement de
ses caprices, son infidélité et son insouciance. Elle déclare sincèrement à Des Grieux
un amour pur et éternel. Cette déclaration d'amour l'a tellement ravi à un tel point qu'il
bénit le séjour en Amérique " c'est au nouvel Orléans qu'il faut venir ....quand on veut
goûter les vraies douceurs de l'amour " 96.
L'installation en Amérique inspire aux deux amants le goût de la vertu et de la
religion. Ils décident de se mettre en règle avec la religion en légitimant leur amour par
un mariage officiel. Au moment où les deux amants se réconcilient avec la religion, le
destin les frappe cruellement. Le gouverneur qui a d'abord approuvé le mariage des
deux amants, revient, ensuite, sur ses mots et réclame Manon pour son neveu,
Synnelet. Cette décision est sans issue car les deux amants dépendent du gouverneur
qui représente l'autorité absolue. Des Grieux se trouve complètement choqué par la
décision du gouverneur ce qui le jette dans une inquiétude et pessimisme
indescribtibles " Mais se trouvera-t-il quelqu'un qui accuse mes plaintes d’injustice, si
je gémis de la rigueur du ciel à rejeter un dessin que je n'avais formé que pour lui
plaire ?....Il l’a puni comme un crime. Il m’avait souffert avec patience tandis que je
96
Ibidem P. 223
marchais aveuglement dans la route du vice, et ses plus rudes châtiments m'étaient
réservés lorsque je commençais à retourner à la vertu " 97 .
Une voix impie se fait également entendre à travers cette parole.
Cet amour est toujours promis aux douleurs et aux malheurs ; les deux
amants ne réussissent à surmonter une difficulté que pour tomber dans une
autre plus grave et plus cruelle. Cette épreuve était la plus cruelle car les
deux amants se trouvent privés de toute forme de soutien. Ils sont loin de
leur pays, leurs amis, leurs familles etc. Ils sont vraiment isolés du reste du
monde. Ils ont fui la France dans l'espoir de trouver le soulagement en
Amérique, sans savoir qu'ils y trouveront leur perte.
Pour trancher leur compétition sur Manon, Des Grieux et Synnelet ont recours au duel.
Croyant avoir tué Synnelet, Des Grieux, qui redoute les conséquences de sa mort,
prend la fuite avec Manon. Ils décident soit d'aller chez les sauvages ou bien chez les
Anglais. Ils traversent deux lieux, mais la fatigue les atteint et surtout Manon qui ne
pouvait plus avancer. pourtant, elle soigne la blessure de Des Grieux. Quelque temps
après, Des Grieux remarque que Manon a les mains froides et tremblantes.
Au milieu du désert, loin de la France et de la vie luxueuse Manon rend l’âme. Elle a
eu une mort facile qui l'élève au rang des martyres.
97
Ibidem P. 226
L'Abbé Prévost excelle dans la peinture de la scène de la mort
de Manon. C'est un mélange d’amour, de regret, de douleur et de tristesse.
Des Grieux n'arrive pas, d'abord, à réaliser la mort de l'idole de son coeur, le
seul bien qui le lie à la vie. Il reste deux jours en état de contemplation du
corps de Manon allongé sans mouvement. Son amour ne lui permet pas
d'enterrer " son autre soi-même" pourtant il décide, en fin, de l'enterrer de
peur que son corps ne soit attaqué par les bêtes "j'ensevelis pour toujours,
dans le sein de la terre ce qu'elle avait porté de plus parfait et de plus
aimable " 98.
Pendant l'enterrement de Manon, Des Grieux n'a pas pleuré car il a décidé fermement
d'attendre la mort sur sa tombe. Il refuse cette vie où Manon n'existe plus.
Grande surprise, Synnelet n'est pas mort. Il ordonne de chercher Des Grieux qu'on
trouvera évanoui sur la tombe de Manon. Il souffrait d'une grave maladie pendant trois
mois, due certainement à la douleur causée par la mort de Manon.
Des Grieux et Manon sont sans aucun doute des victimes du destin. Manon meurt et
Des Grieux est condamné à traîner une vie misérable où Manon n'existe plus. Donc, en
plus de la dimension fatale de cet amour, il prend manifestement une autre dimension
tragique.
98
Ibidem P. 236
2-2-2
FIDELITE / INFIDÉLITÉ
Dans ce roman la fidélité est représentée par Des Grieux. Manon ne devient fidèle
que presque à la fin du roman. Nous pouvons en conclure qu'elle a représenté le thème
de l'infidélité tout au long des trois tiers du roman.
Des Grieux est l'image de l'amoureux fidèle. Il n'espère dans ce monde que de
posséder le coeur de Manon " il est sûr que du naturel tendre et constant dont je suis,
j'étais heureux pour toute ma vie, si Manon m'eut été fidèle" 99. Mais l'amour de
Manon pour l'argent est plus fort que celui qu'elle a pour Des Grieux. C'est une
créature qui ne semble née que pour les plaisirs. Elle ne peut pas vivre agréablement
un instant si elle craint d'en manquer. C'est pourquoi, elle lui était facile de livrer Des
Grieux à sa famille pour jouir des libéralités de M. de B. C'est donc son goût
irrésistible pour l'argent qui la fait agir. Ainsi cela peut expliquer ses pleurs quand Des
Grieux fut repris par sa famille.
Dès que l'argent manque, on est promis d'assister à une scène d'infidélité jouée par
Manon. Comme si sa fidélité est conditionnée par l'aisance matérielle.
99
Ibidem P. 35
Manon aime l'argent et Des Grieux n'aime que Manon. C’est pourquoi, Des Grieux
doit avoir toujours suffisamment d’argent Il est toujours fidèle à Manon. Il n’a même
pas pu la soupçonner d’avoir une relation avec M. de B. bien que toutes les données
l’affirment. Il défend Manon devant son père et insiste de son innocence de toute
complaisance avec M. de B.
Après une rupture de deux ans entre les deux amants, Manon réussit à reprendre Des
Grieux. Celui-ci avoue à Manon qu'il ne l'a jamais oubliée " Demande ma vie, qui est
l'unique chose qui me reste à te sacrifier car mon coeur n'a cessé jamais d'être à toi "
100
.
Pourtant, Des Grieux vivait dans une inquiétude permanente de peur d'une nouvelle
infidélité de Manon. Il est prêt à tout faire pourvu que Manon lui serait fidèle. Nous
pouvons dire que cette inquiétude d'une nouvelle trahison de Manon, était le seul souci
qui perturbe le bonheur de Des Grieux. Il dit à Manon " ....au nom de toutes les peines
que j'ai souffertes pour vous, belle Manon, dites-moi si vous serez plus fidèle" 101.
Ainsi nous voyons comment Des Grieux s'est hâté d'obtenir de Manon des promesses
de sa fidélité. Il est vrai que celle-ci s'engage à la fidélité, mais est-ce que cette fidélité,
soit disante, pourrait résister aux charmes de l’argent, ou pourrait persister si elle en
100
101
Ibidem P. 58
Ibidem P. 59
manque. "Elle s'engage pourtant de protestations et de serments qu'elle m'attendrit à
un degré inexprimable " 102 .
Pour Des Grieux, l'amour est plus précieux que la fortune, mais malheureusement
Manon ne partage pas cet avis avec lui. Si Des Grieux veut faire une fortune, ce sera,
seulement, pour satisfaire la soif de Manon pour l’argent.
Un deuxième coup du destin qui accélère la deuxième trahison de Manon était le vol
de tous les biens des deux amants par leurs domestiques.
Manon, sur qui il ne faut pas compter dans la misère, se vend immédiatement au vieux
G.M. sans s'intéresser aux douleurs et aux chagrins qu'elle va causer à Des Grieux. De
plus, elle lui laisse une lettre où elle proteste de son amour et justifie son infidélité par
la volonté de ménager leur fortune " je te jure, mon cher chevalier, que tu es l'idole de
mon cœur, et qu'il n'y a que toi au monde que je puisse aimer de la façon dont je
t’aime, mais ne vois-tu pas, ma pauvre chère âme, que dans l'état où nous sommes
réduits, c'est une sotte vertu que la fidélité ? Crois-tu qu'on puisse être bien tendre
lorsqu'on manque de pain ?…. , mais laisse-moi pour quelque temps, le ménagement
de notre fortune. Malheur à qui va tomber dans mes filets ! " 103.
Blessé de l'infidélité de Manon, Des Grieux n'arrive pas à balancer entre la
protestation d'amour de Manon et sa trahison nette. Il a sacrifié, pour l’ingrate Manon,
102
103
Ibidem P. 59
Ibidem PP. 83-84
son succès, sa réputation, sa fortune, l'appui de sa famille …. etc, mais la récompense
en était sa fuite devant son appréhension de la misère.
Ici, nous pouvons poser deux questions: est-ce que l'amour de Manon pour Des Grieux
est fragile, ou bien le tempérament de Manon et son goût pour les plaisirs sont-ils les
motifs de sa trahison. En effet, nous pouvons répondre positivement à ses deux
questions, l'amour de Manon est fragile et les épreuves ne l'ont pas encore mûri jusqu'à
maintenant ; aussi le goût de Manon pour les plaisirs est aussi irrésistible que son
dégoût pour la misère " la faim me causerait quelque mépris fatal, je rendrais en
quelques jours le dernier soupir, en croyant en pousser un d'amour " 104.
Emprisonné à Saint-Lazare, Des Grieux n’a pas pu haïr Manon, bien qu’elle en soit la
cause. Ayant appris son emprisonnement à l'hôpital général, Des Grieux fuit surtout sa
prison pour la délivrer. Ainsi tous les actes, sentiment, attitudes de Des Grieux font
preuve de sa fidélité inépuisable. Manon apprécie tout ce que Des Grieux a fait pour la
délivrer de l'hôpital et lui jure une fidélité éternelle.
Les charmes de Manon lui procurent un nombre infini d’admirateurs. Les deux amants
s'installent à Chaillot. Un jour, pendant que Manon se promène au bois de Boulogne,
un prince italien l'a vue. Il tombe immédiatement amoureux d'elle et cherche à la
séduire par sa grande fortune. Un valet met Des Grieux au courant de cette affaire.
104
Ibidem P. 83
Saisi d'une jalousie mortelle, Des Grieux se prépare à une
nouvelle trahison de Manon. Par contre, celle-ci voulait profiter de cette
occasion pour lui confirmer sa fidélité. Elle invite le prince à lui rendre
visite. Arrivé chez elle, elle lui présente Des Grieux pour son amoureux tout
en lui disant qu'elle ne peut pas sacrifier un joli amant pour une médiocre
personne comme lui. Elle dit au prince " voyons monsieur, ...., regardezvous bien, et rendez-moi justice. Vous me demandez de l'amour. Voici,
l'homme que j'aime et que j'ai juré d'aimer toute ma vie. Faites la
comparaison vous même si vous croyez lui pouvoir disputer mon coeur,
apprenez-moi, donc sur quel fondement, car je vous déclare ......... tous les
princes d'Italie ne valent pas un des cheveux que je tiens" 105.
L'affaire du prince italien affirme la fidélité de Manon pour Des Grieux. Vu son goût
pour le luxe, le fait de repousser l'amour du prince constitue un grand sacrifice de la
part de Manon. Ainsi, nous comprenons que Manon ne pense jamais à trahir son
amant quand elle se trouve financièrement assurée. Elle ne quitte Des Grieux que dans
la crainte de misère.
Manon avait besoin de jouer cette comédie spectaculaire pour affirmer à Des Grieux
sa sincérité affaiblie par ses deux trahisons passées. Nous pensons que Manon a réussi
à atteindre son but, en jouant ce tour, car Des Grieux en est tellement satisfait. Nous
pensons également que l'Abbé Prévost a inventé l'épisode du prince italien pour
défendre Manon contre toutes accusations éventuelles et pour montrer son bon fond.
105
Ibidem P. 148
Terrible changement, Manon se laisse séduire, peu de temps après cette attestation de
fidélité, par la richesse du jeune G.M. Elle se vend à lui bien qu'elle dise vouloir le
duper pour emporter son argent et le fuir.
Des Grieux a essayé, par tous les moyens, de dissuader Manon de jouer cette aventure
car il avait peur de ses infidélités, mais aussi des dangers éventuels de ce jeu.
Le jeune G.M était plus méfiant que son père. Il voulait s'assurer de tenir Manon,
avant qu'il lui verse son argent.
Quand Manon était sur le point de partir pour exécuter son plan, Des Grieux voulait
l'en dissuader, encore une dernière fois car il ressent la future trahison de Manon, mais
celle-ci lui jure fidélité.
Etrange créature, Manon ne sent jamais les souffrances qu'elle inflige à Des Grieux en
lui imposant un rival. Lui, qui l'aime sincèrement souffre amèrement de ces caprices.
Poussée par un désir aveugle de se venger du vieux G.M. Manon n'a pas envisagé les
peu de chances de réussite de sa duperie. Elle fait, ainsi, preuve de manque de sagesse,
de frivolité et de légèreté.
Elle a complètement oublié son amère expérience avec le vieux G.M qui lui a coûté
chre, ainsi qu'à Des Grieux. Elle pense seulement à s'amuser en dûpant G.M et vivant
à ses dépens. Manon caractérise bien par sa légèreté et son insouciance, l'image de la
femme pendant la Régence.
Manon a rompu le plan de duperie qu'elle a élaboré avec l'accord de Des Grieux. Elle
lui promet d’emporter les présents de G.M et de venir le joindre pour aller vivre dans
une nouvelle demeure loin des mains de G.M. Au lieu de venir le joindre, comme
prévu, Manon lui envoie une jolie fille pour lui remettre une lettre : " G.M. l'avait
reçue avec une politesse et une magnificence au-delà de toutes ses idées. Il l'avait
comblée de présents, il lui faisait envisager un sort de reine. Elle m'assurait
néanmoins qu'elle ne m'oubliait pas dans cette nouvelle splendeur, mais que n'ayant
pu faire consentir G.M à la mener ce soir à la comédie, elle remettait à un autre jour
le plaisir de me voir et que pour me consoler un peu de la peine qu'elle prévoyait que
cette nouvelle pouvait me causer, elle avait trouvé le moyen de me procurer une des
plus jolies filles de Paris, qui serait la porteuse de son billet signé : (votre fidèle
amante, Manon Lescaut) " 106 .
Cette lettre est très insultante pour Des Grieux. Manon l'a remplacé, donc, par G.M.
En plus, elle joue avec les mots comme elle joue avec les sentiments de Des Grieux "
elle remettait à un autre jour le plaisir de me voir", sa signature aussi " votre fidèle
106
Ibidem PP. 161-162
amante, Manon Lescaut ". Elle se dit fidèle bien que son comportement n'a d'autre
interprétation que la trahison.
Blessé par la conduite volage, l’insouciance, le cynisme et la trahison de Manon, Des
Grieux décide immédiatement d’oublier Manon pour jamais. Il renonce en même
temps à toutes les femmes. Il repousse la jolie femme car il ne voulait pas répondre
pareillement à la trahison de Manon.
Des Grieux était extrêmement furieux contre les deux infidèles, Manon et G.M. Il dit à
la jolie femme " rapporte au traître G.M et à sa perfide maîtresse le désespoir où ta
maudite lettre m'a jeté, mais apprends-leur qu'ils n'en riront pas longtemps et que je
les poignarderai tous deux de ma propre main" 107. Ensuite, l'accès de colère se
transforme en une profonde douleur "je ne fis plus que pleurer, en poussant des
gémissements et des soupirs " 108.
Des Grieux n'arrive pas à balancer entre le pouvoir de richesse de G.M., le goût de
Manon pour le luxe et la sincérité de son amour. Il conclut qu'il est le jouet de sa
simplicité.
Bien qu'il ait décidé de se venger de Manon, Des Grieux revient sur ses mots et se met
à examiner tous les moyens possibles pour retrouver Manon. Il repousse toute idée de
107
108
Ibidem P. 163
Ibidem P. 163
l'arracher par violence. Il compte seulement sur son entretien avec elle pour regagner
son coeur. Il charge M. de T. de détourner G.M. quelques heures de sa maison. Des
Grieux compte sur l'importance d'entretenir Manon " il me semblait que si j'eusse pu
me procurer le moindre entretien avec elle, j'aurais gagné infailliblement quelque
chose sur son coeur j'en connaissais si bien tous les endroits sensibles" 109. Pitoyable
amoureux, Des Grieux nie l'évidence et se berce dans l'illusion que Manon est toujours
amoureuse de lui. M. de T. réussit à détourner G.M. de sa maison et à procurer ainsi à
Des Grieux le temps nécessaire pour entretenir Manon.
Bien qu'il soit blessé par l'attitude de Manon, Des Grieux se trouve partagé entre le
plaisir de la voir et les reproches qu'il veut lui adresser. Devant l'agitation dans
laquelle se trouve Des Grieux, Manon se met à trembler. Incapable de soutenir ce
spectacle, Des Grieux reproche tendrement à Manon son infidélité. Il craint de
l'affliger par ses blâmes, alors qu'elle ne cesse de le torturer par ses trahisons. Des
Grieux reprend son courage et demande à Manon de choisir entre lui ou G.M. Cette
fois-ci même les pleurs de Manon ne l'attendrissent pas. IL ose la qualifier de tous les
mots de trahison: "Inconstante Manon, fille ingrate et sans foi, où sont vos promesses
et vos serments ?. Amante mille fois volage et cruelle, qu'as-tu fait de cet amour que tu
me jurais encore aujourd'hui " 110.
109
110
Ibidem P. 166
Ibidem P. 170
En effet, Des Grieux ne peut plus supporter les trahisons successives de Manon. Il a
l'impression que Manon rit de sa simplicité car elle sait qu’il est l'esclave de sa
passion. La défense de Manon était faible: " il faut bien que je sois coupable
.....Puisque j'ai pu vous causer tant de douleur et d’émotion, mais que le ciel me
punisse si j'ai cru l'être , ou si, j'ai eu la pensée de le devenir" 111.
Cette faible défense par laquelle Manon voulait renoncer à sa responsabilité a accru la
douleur de Des Grieux. Par conséquent, il déclare sa rupture avec elle " Horrible
dissimulation ! Je vois mieux que jamais que tu n'es qu'une coquine et une perfide.
C'est à présent que je connais ton misérable caractère. Adieu lâche créature
………J’aime mieux mourir mille fois que d’avoir, désormais, le moindre commerce
avec toi " 112.
Une deuxième fois, Des Grieux est vaincu par sa passion, car il ne supporte pas
d'affliger Manon longtemps. Il lui demande même pardon de l'avoir blessée par sa
parole, alors que Manon qui l'a blessé par ses deux trahisons ne le lui demande jamais.
Pire, elle ne s'en sent pas responsable.
La jalousie a une grande part dans la douleur de Des Grieux. Il prétend mourir si
Manon passe la nuit avec G.M. Manon dit à Des Grieux qu'elle peut le satisfaire, si sa
colère est due à la jalousie en le suivant où qu’il veuille aller. Elle croyait que ses
111
112
Ibidem P. 171
Ibidem P. 171
seules fautes furent d'écrire la lettre et de lui envoyer la fille. Elle n'a jamais mentionné
sa trahison avec G.M.
Elle explique sincèrement à Des Grieux qu'elle a amendé le plan de duperie prévu car
elle a décidé de ne pas se contenter d'emporter les bijoux et les dix milles francs que
G.M lui offre. Celui-ci a tant de biens dont elle ne peut pas se priver. Donc au lieu de
rejoindre Des Grieux, Manon fait comprendre à G.M. que leur amour a refroidi avec le
temps et qu'en se donnant à lui elle décharge Des Grieux d'un fardeau qui lui pèse.
Pour nourrir cette idée, elle invente l'idée d'envoyer l'ancienne maîtresse de G.M. chez
Des Grieux. Elle invente cette idée car elle a une conception particulière de la fidélité
" la fidélité que je souhaite de vous est celle du cœur" 113. Donc, Manon a un cœur
fidèle à Des Grieux, mais elle dispose librement de son corps.
Manon expose franchement le plan de sa trahison à Des Grieux. Il y avait beaucoup de
cruauté, de mépris et d'offense qui ne peuvent être pardonnés que par un amoureux
aveugle comme Des Grieux. Pour comble, il apprécie sa sincérité.
Vu la légèreté de Manon, nous pouvons interpréter le fait qu'elle a envoyé la jolie
femme chez Des Grieux par un sens de responsabilité et de fidélité envers Des Grieux,
chagriné par son absence. Cela nous révèle également qu'elle n'a jusqu'à présent
compris le caractère de Des Grieux. Celui-ci ne peut jamais la remplacer par une autre
personne comme elle le fait.
113
Ibidem P. 176
Les deux amants exécutent l'idée de T. qui consiste à se venger de G.M. en le gardant
loin de sa maison pour enlever Manon. L'enlèvement fut découvert par le vieux G.M.
qui fait conduire les deux amants au Châtelet.
Grâce à l'intervention du père de Des Grieux celui-ci fut libéré, mais on condamne
Manon à être envoyée en Amérique. Ayant appris cette nouvelle, Des Grieux n'a
épargné aucun effort pour la secourir. Il s'évanouit même quand il apprend que Manon
a été transportée à l’hôpital. Des Grieux n'espère la vie que pour délivrer Manon de
son mauvais sort "Manon avait besoin de ma vie pour la délivrer, pour la secourir,
pour la venger. Je jurai de m'y employer sans ménagement"114 .
Des Grieux envisage l'intercession du lieutenant, la violence et l'attendrissement de
son père et du vieux G.M. pour ne pas faire embarquer Manon pour l'Amérique; en
vain.
La violence de l'amour de Des Grieux et sa défense inlassable pour garder son bonheur
lui font attribuer les qualités de : malhonnête, bandit, malin, ....etc. Mais pouvons-nous
accuser Des Grieux de telles qualités. La réponse est bien sûr non, car l’amour justifie
toutes ses fautes. En plus nous nous sentons solidaires de Des Grieux dans sa défense
de son bonheur menacé.
114
Ibidem P. 199
Des Grieux exclut l’idée de faire intervenir le lieutenant de police pour ne pas envoyer
Manon en Amérique car il manque de motifs.
Il ne réussit pas non plus à faire changer le point de vue de son
père et du vieux G.M. à l'égard de Manon. Il ne lui reste que l'épreuve de
violence qui échoue en détruisant son dernier espoir. Vu toutes ces tentatives
faites par Des Grieux pour la délivrance de Manon, nous comprenons et
apprécions la qualité de son amour et de sa fidélité infinie.
Pourtant, Des Grieux réussit, grâce au pourboire, de rejoindre le
convoi qui amène Manon au port. Il a eu également le plaisir de la voir et de
lui parler, mais la vue de Manon sale et enchaînée a fondu de douleur le
coeur de Des Grieux. " Son linge était sale et dérangé, ses mains délicates
exposées à l'injure de l'air, enfin tout ce composé charmant, cette figure
capable de ramener l'univers à l'idolâtrie, paraissait dans un désordre et un
abattement inexprimables"
115
. Manon était touchée par la fidélité de Des
Grieux qu'il ne manque pas de lui prouver à chaque situation difficile. Des
Grieux lui affirme non seulement son soutien, mais en plus, sa décision de la
suivre en Amérique. Cette affirmation de fidélité, sans exemple, fut
chaleureusement appréciée par Manon à un tel point qu'elle " se livre à des
sentiments si tendres et si douloureux que j'appréhendai quelque chose pour
sa vie d'une si violente émotion "116 .
115
116
Ibidem PP. 212-213
Ibidem P. 214
Cependant, Manon, dans cet accès de bonheur, essaie de dissuader Des Grieux de
l’idée de la suivre en Amérique et lui conseille, en revanche, de chercher un nouvel
amour.
Pour la première fois, Manon connaît ce que veut dire le
sacrifice pour un amoureux. Nous remarquons un changement positif dans
son caractère. Elle veut affirmer qu'elle peut aussi être fidèle et soucieuse de
l'avenir de son amant.
En tout cas, aucune force ne peut empêcher Des Grieux de suivre Manon en
Amérique. Il abandonne pour elle, pays, famille, amis. Il les remplace tous par l'amour
de Manon. Il ne possède, maintenant, que cet amour, d'ailleurs le seul bien qui compte
pour lui. Donc, ce qui importe à Des Grieux, c'est de se trouver inséparablement lié à
Manon, peu importe le lieu de leur installation " vivre en Europe, vivre en Amérique,
que m'importait en quel endroit vivre, si j'étais sûr d'y être heureux en y vivant avec
ma maîtresse "117 .
Cette épreuve difficile qui a montré la fidélité et le sacrifice
mutuels des deux amants, a accru la force de leur amour. Ils deviennent
maintenant un véritable couple.
En Amérique, l'amour des deux amants se trouve menacé par
Synelet, le neveu du gouverneur qui veut épouser Manon. Des Grieux et
Synelet se battent en duel. Croyant l'avoir tué, Des Grieux conseille à Manon
117
Ibidem P. 214
de rester à la colonie et de le laisser partir seul. Mais Manon refuse
décidément et insiste de le suivre jusqu'au bout.
Nous trouvons des signes nets de fidélité de Manon avant et
après sa mort. Malgré sa faiblesse, Manon soigne les blessures de Des
Grieux subies lors du duel. Des Grieux veille aussi sur elle pendant sa courte
maladie.
Après sa mort, il n’arrive pas à l’enterrer de ses propres mains, car c’est une scène
insupportable pour lui. Il ne décide à l’enterrer, après, que de peur que son corps ne
soit attaqué par les bêtes sauvages. Le souvenir de Manon que porte éternellement Des
Grieux dans son coeur, atteste de sa fidélité infinie.
2-2-3
LA DECHEANCE
Ce qui cause la déchéance de Des Grieux, c'est son amour pour
une créature qui ne semble née que pour les plaisirs. En plus, le milieu dans
lequel vivent les deux héros encourage les vices. Les gens de cette société,
sont des êtres dépourvus de tout principe d’honneur, jeunes, vieux,
fonctionnaires, ils sont tous plongés dans les plaisirs.
Comme Manon ne peut pas vivre sans s'assurer d'avoir suffisamment d'argent, Des
Grieux se déclare prêt à tout faire pour lui en fournir. De là, commence sa déchéance.
A vrai dire, sa déchéance commence depuis le jour où il a rencontré Manon. Il tombe
passionnément amoureux d'une inconnue. Il annule, sur-le-champ, tous ses projets,
trompe son ami Tiberge, fait fuir Manon. Il ne s'intéresse même pas au scandale que
va causer sa fuite avec Manon, pour lui et pour sa famille.
Manon s'identifie à son milieu, mais Des Grieux qui était originalement vertueux
semble avoir subit sa contagion.
Manon est donc l'image de la femme fatale qui déchoit et déshonore celui qu'elle aime.
Elle réussit à vaincre le prêtre existant dans l'âme de Des Grieux et y faire dominer
l’amant. Toute la foi de l'enfance et de l'adolescence n'a pas pu résister aux charmes de
Manon.
Après la première trahison de Manon, Des Grieux semble reprendre son goût pour la
vie ecclésiastique. Il éprouve même du dédain pour les faiblesses de l'amour et y
préfère la méditation chrétienne " il me semblait que j'aurais préféré la lecture d'une
page de Saint Augustin, ou un quart d'heure de méditation chrétienne à tous les
plaisirs des sens, sans excepter ceux qui m'auraient été offerts par Manon " 118.
Devenu prêtre, Des Grieux aurait dû jouir d'une foi irrésistible.
Mais l'entraînement de son amour a fait naître le doute dans son âme. Il met
en doute l'efficacité des secours célestes par rapport à la force des passions.
En effet, depuis le jour où Des Grieux a fait la connaissance de Manon, il se
dégrade de mal en pis.
Le deuxième retour de Des Grieux au séminaire est marqué par un grand succès. Il
acquiert le titre d'Abbé et porte la croix de Malte. Mais la réapparition soudaine de
Manon a détruit tout ce succès. Au lieu de continuer son succès, Des Grieux
l'abandonne pour mener une vie vagabonde. Ainsi, il perd le soutien de son père et
son aide financière " ......tout ce qu'on dit de la liberté à Saint-Sulpice est une
Chimère. Je vais perdre ma fortune et ma réputation pour toi, je le prévois bien , je lis
ma destinée dans tes beaux yeux .....Tous mes projets de vie ecclésiastique étaient de
folles imaginations, en fin, tous les biens différents de ceux que j'espère avec toi , sont
des biens méprisables puisqu'ils ne sauraient tenir un moment dans mon coeur contre
un seul de tes regards " 119.
118
119
Ibidem P. 55
Ibidem P. 59
Après avoir vu la dégradation sociale subite par Des Grieux, nous assistons à sa
déchéance morale.
L'incendie de la maison de Chaillot et le vol d'argent par les domestiques bouleversent
la vie des deux amants. Des Grieux est inquiet sur le futur de sa relation avec Manon
dans cette nouvelle misère.
Comme il doit fournir de l'argent pour garder Manon, il déclare vouloir compter sur
ses qualités naturelles pour lui en fournir. Il fonde son idée sur l'exploitation des
riches. Pour lui, la providence a fait naître les riches sots pour que les pauvres puissent
vivre à leurs dépens. Son idée s’énonce comme suit : la plupart des grands et des
riches sont des sots, donc la justice providentielle met la richesse et la sottise d'une
part et la pauvreté et l'intelligence dans l’autre. De là, son idée d'utiliser ses propres
qualités auprès des riches pour tirer des profits.
Le pire dans cette idée, c'est qu'il a attribué à la justice providentielle d'avoir conçu ce
principe d'égalité " la providence ….. n'a-t-elle pas arrangé les choses fort sagement?
La plupart des grands et des riches sont des sots; cela est clair à qui connaît un peu le
monde. Or, il y a là dedans une justice admirable: s'ils joignaient l'esprit aux
richesses, ils seraient trop heureux, et le reste des hommes trop misérables. Les
qualités du corps et de l'âme sont accordées à ceux-ci comme des moyens pour se tirer
de la misère et de la pauvreté ....c'est un fond excellent de revenu pour les petits, que
la sottise des riches et des grands"
120
.
Il paraît que Des Grieux a conçu cette idée pour faire taire ses scrupules mais aussi
pour se préparer à une nouvelle compromission.
Devant l'état de faillite où se trouve Des Grieux il n'a qu'à consulter l'avis de Lescaut
sur les moyens de se procurer de l’argent, car celui-ci excelle dans le chemin de vice.
Lescaut lui fait deux propositions : prostitution de Manon, prostitution de Des Grieux.
Des Grieux refuse la première proposition par jalousie, et la deuxième par peur d'être
infidèle à Manon. Ainsi, nous voyons clairement qu'il n' a fait aucune référence à la
morale dans son refus . En revanche, il demande à Lescaut de lui faire apprendre le
jeu. Expérimenté au jeu, Lescaut conseille à Des Grieux d'adhérer à une association du
jeu car jouer seul cause la perte et jouer en trichant est dangereux.
Doutant en l'aide de Lescaut, Des Grieux a recours à Tiberge. Il voulait s'emparer du
peu d'argent que possède celui-ci. Tiberge saisit cette occasion pour conseiller à Des
Grieux d'abandonner Manon. Mais celui-ci ne veut ni peut entendre ses conseils. Il ne
lui faut que l'argent. Des Grieux avait éprouvé, d'abord, une certaine honte de
demander à Tiberge de l’argent, en raison de sa pauvreté. Mais, il justifie sa hardiesse
120
Ibidem P. 68
par le besoin de garder Manon " Il s'étonne d'avoir pu traiter de honteuse une
tendresse si juste pour un objet si charmant " 121.
Des Grieux suit les consignes de Lescaut et adhère au cercle du jeu. Un des amis de
Lescaut se charge d'initier Des Grieux les règles du jeu. En peu de temps, il devient un
joueur redoutable. Il s'enrichit remarquablement et loue une nouvelle maison. Tiberge
qui rendait fréquemment des visites à Des Grieux a remarqué cette nouvelle richesse
qui dépasse les ressources de Des Grieux. Il était sûr que leur source n'est pas légitime.
Il en accuse Des Grieux et lui conseille de retourner au droit chemin. Mais celui-ci ne
prête aucune attention à son conseil. En plus, il se moque de Tiberge en lui demandant
de ne pas être trop scrupuleux car il y a même certains prêtres qui mènent une pareille
vie et accordent leurs maîtresses avec un bénéfice. Ainsi, nous remarquons comment
Des Grieux persévère dans la dégradation et rejette les conseils de son ami.
Désespéré de ramener son ami au droit chemin, Tiberge rompt avec Des Grieux en lui
prédisant le châtiment du ciel. Cette rupture a attristé Des Grieux, mais Manon le lui
fait oublier pour lui couper toute idée de retour au droit chemin.
Ne supportant pas les conséquences du vol de l’argent, Manon se vend immédiatement
au vieux G.M. Elle élabore, avec la complaisance de Lescaut, l'idée de duper G.M.
pour tirer le grand profit possible. Pour attendrir G.M., Lescaut lui dit que Manon "
121
Ibidem P. 76
avait essauyé des pertes considérables " 122 et qu'elle a à sa charge un frère cadet après
la mort de ses parents. Manon doit s'emparer de l'argent que lui versera G.M. et le fuir.
C'est à Des Grieux de jouer le rôle du frère cadet de Manon. En jouant ce rôle, Des
Grieux se plonge dans l'abîme des vices, sous l'influence de Manon.
Des Grieux a conscience de sa dégradation morale. Il la regrette même en se rappelant
des lieux où il a vécu dans l'innocence et la sérénité. Il regrette même de ne pas avoir
pressé son père pour accepter son mariage avec Manon, mais sa sagesse ne peut pas
longtemps résister contre la séduction de Manon.
Des Grieux devient donc proxénète. Il approuve, facilite et participe à l'escroquerie de
G.M, mais il refuse de vivre dans la maison louée par G.M. en tant que frère de
Manon. Il y trouve un attentat contre sa dignité et contre le grand amour qu'il porte à
Manon. Celle-ci lui promet de renoncer à exécuter son dessin à la lettre.
En revanche, elle lui demande de lui donner le temps de s'emparer des bijoux et de la
moitié de la pension annuelle promis par G.M.
Ainsi, nous voyons que Des Grieux possède encore quelques scrupules "j'eu lieu de
reconnaître que mon coeur n'avait point encore si satisfait d'échapper à l'infamie".123
122
123
Ibidem P. 86
Ibidem P. 90
Manon pique l'argent que lui verse G.M. et le fuit. En dupant G.M., les deux amants
ne savaient pas qu'ils jouaient avec le feu. Ayant une forte influence, G.M. découvre
rapidement la maison des deux amants. Il apprend également l'histoire de leur vie. Des
Grieux sera enfermé à Saint-Lazare et Manon à l'hôpital général.
Donc, Des Grieux est réduit à être prisonnier avec les criminels. Le supérieur de la
prison lui explique que son devoir est de lui faire reprendre le goût de la vertu et de la
religion. Il lui conseille de profiter de sa solitude pour contempler ses fautes passées et
suivre ses conseils. Nous voyons comment Des Grieux qui était vertueux se traite
maintenant en tant que pécheur qui a besoin de conseils.
En faisant de la prison, Des Grieux non seulement s’est déshonoré, mais en plus, il a
déshonoré toute sa famille. Des Grieux s'aperçoit que le supérieur est au courant de ses
aventures, ce qui augmente sa tristesse " cette connaissance fut le plus rude de tous
mes châtiments. Je me mis à verser un ruisseau de larmes, avec toutes les marques
d'un affreux désespoir . Je ne pouvais me consoler d'une humiliation qui allait me
rendre la fable de toutes les personnes de ma connaissance, et la honte de ma famille
".124
Il passe toute la première semaine accablé de honte. Le supérieur a montré une grande
sympathie à l'égard de Des Grieux. En pariant sur son bon fond, il intensifie ses leçons
de morale que Des Grieux faisait semblant d’écouter attentivement. Le supérieur
124
Ibidem P. 97
n'arrive pas à trouver un équilibre entre la vie libertine que menait Des Grieux et son
humeur douce. Il lui dit " vous êtes d'un naturel si doux et si aimable ..... que je ne
puis comprendre les désordres dont on vous accuse. Deux choses m'étonnent : l'une
comment, avec de si bonnes qualités, vous avez pu vous livrer à l'accès de libertinage;
et l’autre, que j'admire encore plus, comment vous recevez si volontiers mes conseils
et mes instructions, après avoir vécu plusieurs années dans l'habitude de désordre
......vous avez de moins un excellent fond de caractère qui me fait espérer que n'avons
pas besoin de vous retenir ici longtemps , pour vous ramener à une vie honnête et
réglée " 125.
Désormais, Des Grieux est sûr du fait qu'il a acquis la
sympathie du supérieur. Il décide de jouer l'hypocrisie pour acquérir d’autres
avantages. En faisant semblant de reprendre sa sagesse et sa vertu, Des
Grieux aura plus de chance de diminuer la période de sa prison. Il nourrit
son hypocrisie pour obtenir le soutien du supérieur. Il lui demande de lui
apporter des livres. Et pour plaire au supérieur, il choisit des livres sérieux.
Pourtant, cela n'était que devant les yeux de supérieur, car dès qu'il est seul,
il ne pense qu'à l'état où il est réduit et à Manon qu'il imagine en compagnie
de G.M.
S'assurant d'avoir obtenu la sympathie du supérieur, Des Grieux
pousse l'audace jusqu'à lui demander si sa libération dépend de lui ou non ?
En effet, ce que peut faire le supérieur, c'est d'intervenir auprès de G.M. et
du lieutenant pour le libérer. Suite à l'attestation favorable que donne le
125
Ibidem P. 98
supérieur en faveur de Des Grieux, G.M. devient curieux de prendre
connaissance de son ennemi. D’abord leur entretien se déroule bien. Des
Grieux supporte patiemment les lourdes plaisanteries de G.M. Ensuite le
scénario tourne mal quand ce dernier lui révèle que Manon est enfermée à
l'hôpital général. Il faut l'intervention de plusieurs hommes pour relâcher
G.M. des mains de Des Grieux.
Cet accident aura des effets négatifs sur Des Grieux G.M. demande au supérieur de
punir sévèrement Des Grieux. Mais le supérieur a refusé car il a noté un progrès
remarquable dans ses attitudes. Il demande à Des Grieux de lui expliquer les mobiles
de cette dispute. Celui-ci le met au courant de son histoire avec G.M. en déguisant les
côtés défavorables. Il accuse G.M. de vouloir se venger de lui et de Manon. G.M. agit
rapidement. Il ordonne qu'on renouvelle l'emprisonnement de Des Grieux pour six
mois. Ayant appris cette nouvelle, Des Grieux décide d'élaborer un plan d'évasion de
Saint-Lazare, avec pour premier but de délivrer Manon de l'hôpital général.
Personne ne peut l'aider à s'évader de Saint-Lazare que Lescaut. Donc, il lui reste à le
contacter. Et pour ce faire, il exploite la bonté du supérieur en lui demandant d'avertir
un saint élcclésiastique, Tiberge, de son emprisonnement. Il exploite également la
sympathie de Tiberge, en lui chargeant de passer une lettre à un de ses amis, avec pour
destinataire principal Lescaut. Dans cette lettre, il demande à Lescaut de venir le
visiter en se faisant passer pour son frère aîné.
Nous remarquons comment Des Grieux progresse dans le vice. Il se révèle ingrat
envers tous ceux qui l’aiment. En plus de son dérèglement moral, nous assistons,
ensuite, à son dérèglement mental ou plutôt à l'égarement de son esprit.
Des Grieux s'ouvre à Tiberge en lui avouant que la punition du ciel n'a pas réussi à le
ramener au droit chemin et qu'il est toujours amoureux de Manon " vous me revoyez
tel que vous me laissâtes il y a quatre mois, toujours tendre et toujours malheureux
par cette fatale tendresse dans laquelle je ne me lasse point de chercher mon bonheur
" 126. Donc, nous remarquons que Des Grieux est conscient de sa persévérance dans le
vice. Les deux idées qui montrent la déchéance intellectuelle de Des Grieux sont : le
chemin de la vertu est plein de peines, mais au bout on trouve la félicité ;
le chemin de l'amour est aussi plein de peines et au bout il y a le bonheur
(Manon).
Donc, pour Des Grieux, les deux chemins sont semblables. Et en plus, celui de l'amour
est plus avantageux car le bonheur qu'il procure est plus tangible et plus proche que
celui promis par la vertu " Toutes choses me paraissent donc égales de votre côté et du
mien, ou s'il a quelque différence, elle est encore à mon avantage, car le bonheur que
j'espère est proche, et l'autre est éloigné " 127.
C'est un raisonnement athée qui élève l'amour au détriment de la vertu. Ainsi, il met
Manon au même rang que "Dieu". Autre raisonnement bizarre : "l'amour, quoi qu'il
126
127
Ibidem P. 107
Ibidem P. 108
trompe assez souvent, ne promet du moins que des satisfactions et des joies, alors que
la religion veut qu'on s'attende à une pratique triste et mortifiante " 128. Des Grieux
réaffirme donc que la voie de l'amour est plus avantageuse que celle de la vertu. Il
demande aux religieux d'adopter une méthode honnête pour attirer les gens à la vertu "
il n'y a pas de mauvaise méthode pour dégoûter un cœur de l’amour, que celui de lui
en décrier les douceurs et de lui promettre plus de bonheur dans l'exercice de la
vertu" 129. Selon Des Grieux, la nature humaine ne connaît de bonheur que l’amour.
Les prédicateurs doivent être honnêtes: montrer l'importance de la vertu tout en ne
cacheant pas la sévérité de sa voie. Tous ces raisonnements montrent une âme
déchirée, troublé, perdue, hésitante et pessimiste.
Nous revenons au plan d'évasion de Des Grieux. Lescaut a reçu
sa lettre et n'a pas manqué de venir en prison pour le rencontrer. Des
Grieux le met au courant de son plan d'évasion et lui demande de lui
apporter un pistolet. L'ayant obtenu, Des Grieux se met à exécuter son plan
audacieux. Il explique poliment au supérieur de la prison qu'il ne peut plus
supporter la prison et qu'il lui faut les clés pour pouvoir sortir. Devant le
refus du supérieur, Des Grieux le menace de son pistolet. Surpris de l'audace
de Des Grieux et blessé par son ingratitude, le supérieur demande secours à
un portier qui entend leur bruit. Décidé de réussir son plan, Des Grieux tire
sur le portier qui meurt aussitôt.
128
129
Ibidem PP. 109-110
Ibidem P. 110
Une fois obtenu sa liberté, Des Grieux pense immédiatement à
faire fuir Manon.
Professionnel dans l'évasion des prisons, Des Grieux décide,
cette fois-ci, de ne pas utiliser la violence. Il se met à se renseigner sur
l’hôpital, ses responsables et leurs familles afin de trouver une lacune à
travers laquelle il puisse y pénétrer.
Il s'intéresse surtout à savoir si un de ces responsables a un fils aussi âgé que lui. M. de
T., un des grands responsables de l’hôpital, a un fils qui remplit toutes les conditions
de Des Grieux. Il s'adresse à lui car il était sûr qu'il " ne saurait être ennemi des
femmes, ni ridicule au point de refuser ses services pour une affaire d'amour " 130.
Là, la dégradation morale de Des Grieux est indéniable. Lui qui se révèle toujours
jaloux rentabilise, maintenant, les charmes de Manon pour acheter l'aide de M. de T .
Des Grieux met M de T . au courant de sa passion pour Manon. Touché par la
souffrance de Des Grieux, M. de T. lui promet de lui procurer l'occasion de voir
Manon. L'ayant vue, il engage un domestique travaillant à l'hôpital de la faire fuir.
L'opération réussit.
Tout au long de ce récit, c'est Manon qui cause les problèmes ;
soit involontairement en séduisant les hommes par sa beauté ou
volontairement en jouant des farces qui tournent mal.
130
Ibidem P. 118
M. de T. a introduit, son ami, le jeune G.M. dans la vie des deux amants. Celui-ci n'a
pas pu résister aux charmes de Manon et tombe immédiatement amoureux d’elle.
Averti de son goût pour le luxe et les plaisirs, il décide de l'inonder d'argent. M. de T.
qui s'en sent responsable, met Des Grieux au courant de l'amour de jeune G.M. pour
Manon Des Grieux , de son tour , en informe Manon .
Saisie par un goût enfantin, Manon décide de jouer un vilain tour pour se venger du
vieux G.M. " il faut nous venger du père, non pas du fils , mais sur sa bourse" 131.
Des Grieux en est inquiet car lui et Manon ont déjà payé chre le jeu avec le vieux G.M
" tu ne songes pas, mon pauvre, que c'est le chemin qui nous a conduits droit à
l'hôpital"132 . Pourtant, Des Grieux approuve l'idée de Manon, car il est incapable de
contrarier l'idole de son cœur.
Des Grieux se fait le complice de Manon dans la duperie de G.M. tout en ne sachant
pas qu’il serait sa dupe. Il facilite l’entretien entre G.M. et Manon. Celle-ci lui
rapporte les propositions de G.M. Le marché est conclu : "il voulait partager avec elle
quarante mille livres de rente dont il jouissait déjà, sans compter ce qu’il attendait
après la mort de son père. Elle allait être maitresse de son cœur, de sa fortune .....il
était prêt à lui donner un carrosse, un hôtel meublé, une femme de chambre, trois
laquais et un cuisinier " 133.
131
Ibidem P. 155
Ibidem P. 156
133
Ibidem P. 157
132
A notre avis, l'attitude de Des Grieux est inexcusable. Aucune raison ne peut le
conduire à accepter d'être trahi et blessé par Manon. Il s'efface complètement devant
elle à un tel point qu'il nie son cerveau. Leur duperie ressemble à celle faite jadis au
vieux G.M. Même si leur plan réussissait, il serait facile à G.M. de les arrêter.
Le plan des deux amants, qui a pour but de se venger du vieux G.M. est comme suit:
Des Grieux doit chercher une nouvelle demeure, quant à Manon, elle emportera
l'argent et les présents offerts par G.M. et le fuir pour rejoindre Des Grieux qui doit
l'attendre devant la comédie.
La vie luxueuse que fournit G.M. pour Manon la fascine et la fait rompre son accord
avec Des Grieux. Elle pense qu'elle ne doit pas seulement se contenter d'emporter
l'argent et les bijoux, mais en plus, elle doit faire une fortune aux dépens de G.M.
Amoureux fou, Des Grieux décide d'enlever Manon à son rival. Pour ce faire, il fait
recours à la ruse. Nous observons que chaque fois que Manon trahit G.M., celui-ci
s’enfonce de plus en plus dans les compromissions. Grâce à l'aide de M. de T., Des
Grieux arrive à voir Manon.
M. de T. qui se sent responsable du malheur de Des Grieux lui propose de se venger
de G.M. en passant la nuit dans sa chambre, en mangeant son souper et en enlevant sa
maîtresse et ce en gardant à vue G.M. pour une nuit.
Des Grieux se moque de l'imagination fertile de T. Mais Manon qui ne peut pas laisser
passer une chance d’amusement, convainc Des Grieux de mettre en oeuvre l'idée de T.
Là, nous remarquons l'instabilité du caractère de Manon. Avant l'arrivée de Des
Grieux elle était prête à passer la nuit avec G.M. Dès que Des Grieux apparaît, elle
encourage et patronne l'enlèvement de G.M.! Elle dit à Des Grieux " vous aurez son
couvert à souper, .....Vous coucherez dans ses draps, et demain de grand matin , vous
enlèverez sa maîtresse et son argent. Vous serez bien vengé du père et du fils " 134.
Devant l'insistance de Manon, Des Grieux cède, non sans réserve, à appliquer le plan
de M. de T.
Une fois G.M. fut enlevé, Des Grieux gagne sa maison pour terminer le plan convenu.
Il est vrai qu'il a mangé son souper, mais il n'a ni dormi dans son lit, ni enlevé sa
maîtresse. Le vieux G.M. est averti de l'enlèvement de son fils. Il découvre que Manon
et Des Grieux sont derrière cet enlèvement. Il les emprisonne au Châtelet après avoir
repris son argent et les accablant d’insultes.
Cette fois-ci le malheur est grand, Des Grieux n'envisage de
l'aide que de la part de sa famille.
134
Ibidem P. 179
Le père de Des Grieux reproche à son fils ses conduites
malhonnêtes. Il lui reproche également d'avoir déshonoré son honneur, mais
aussi celui de sa famille toute entière " Qu'un père est malheureux lorsque,
après avoir aimé tendrement un fils et n'avoir rien épargné pour en faire un
honnête homme, il n'y trouve, à la fin, qu'un fripon qui le déshonore " 135.
Des Grieux reconnaît ses fautes, mais il justifie ses actes par
l'emprise de l'amour sur lui " Je ne mérite pas des noms si durs c'est
l'amour, vous le savez, qui a causé toutes mes fautes. Fatale passion"
136
.
Contrairement à son père, Des Grieux ne voit en ses conduites aucun
déshonneur. Il s’identifie, là, à Manon qui n’assume pas la responsabilité de
ses actes.
Nous avons l’impression que Des Grieux ne ressent pas la
grandeur du scandale qu'il a causé à sa famille. Tous les efforts déployés,
soit par son père, ou par le supérieur de la prison, pour son rétablissement
n'ont pas eu de succès .
Des Grieux réussit à attendrir son père et à le gagner pour sa cause. Pour s'assurer de
cet attendrissement, Des Grieux raconte toutes ses aventures en s'appuyant sur des
exemples des personnes célèbres qui agissent pareillement pour diminuer la gravité de
ses fautes : " Je vis avec une maîtresse, . ..sans être lié par les cérémonies du mariage
: M. le duc de ...en entretient deux , aux yeux de tout Paris , ...j'ai usé de quelque
supercherie au jeu: M. le marquis de ...et le comte de ...n'ont point d'autres revenus ,
135
136
Ibidem P. 193
Ibidem P. 194
M. le prince de ...et M. le duc de ...sont les chefs d'une bande de chevaliers du même
ordre " 137.
Pour faciliter sa délivrance, Des Grieux conseille à son père de s'entendre avec le
vieux G.M. Les deux hommes se mettent d'accord sur deux résolutions : " L'une de me
faire sortir sur le champ du Châtelet, l'autre, d'enfermer Manon pour le reste de ses
jours ou de l'envoyer en Amérique.....M. le lieutenant général de police leur donne sa
parole de faire partir Manon par le premier vaisseau " 138 .
Des Grieux décide, d'abord, de se venger de tous ceux qui ont
contribué au malheur de Manon. Il exclut à peine son père de cette
vengeance. Ensuite, il pense que la vengeance ne serait pas utile à Manon et
qu'il lui faut seulement de l’aide.
Des Grieux pense que toute entreprise de délivrance nécessite
de l’argent. Il n'hésite pas à en demander à Tiberge et à T. bien qu'il les a
épuisés financièrement auparavant.
Des Grieux envisage trois idées pour délivrer Manon : la
première est d'employer des gens pour attaquer les gardes de Manon : idée
dangereuse ; la deuxième est de faire intervenir le lieutenant général pour
faire grâce à Manon : idée irraisonnable ; la troisième est d'inciter le vieux
G.M. et le père de Des Grieux de demander au lieutenant de réduire la
condamnation de Manon : idée quasi impossible par laquelle commence Des
137
138
Ibidem P. 197
Ibidem P. 197
Grieux. Il essaie d'attendrir son père à l'égard de Manon. Mais le père a
refusé car il était au courant de son dossier.
Suite au refus d'intervention du père de Des Grieux, celui-ci
rompt avec lui. Ici, nous disons que l'aveuglement de l'amour a conduit Des
Grieux à l'ingratitude . Il méconnaît tous les efforts déployés par son père
pour sa délivrance. Il est donc prêt à remplacer le monde entier par Manon,
nul n'y échappe, même pas son père.
Des Grieux décide d'arracher Manon par violence. Il se met en contact avec les amis
de Lescaut pour faire fuir Manon, mais les gardes qu'il a employés pour attaquer ceux
de Manon ont fui en le laissant tout seul, ce qui l'amène à demander aux gardes de
Manon l’autorisation de les accompagner pour l'Amérique. Il embarque avec Manon
pour l’Amérique. Là-bas, les deux amants décident de se réconcilier avec la religion.
Mais les grands d'Amérique ont combattu leur amour, comme font ceux de son pays.
Manon meurt. La perte de Manon cause le désespoir de Des Grieux et son doute en la
providence divine. Mais plusieurs mois après la mort de Manon, Des Grieux reprend
goût pour la religion.
Il décide également de rentrer en France pour y recommencer une vie vertueuse et
pour effacer ses scandales passés. Le ciel lui a envoyé Tiberge en Amérique pour
assurer son rétablissement dont il ne manque pas de lui en montrer les marques " je lui
déclarai que les semences de vertu qu'il avait jetées autrefois dans mon coeur
commençaient à produire des fruits dont il allait être satisfait" 139.
Nous avons assisté à la déchéance progressive de Des Grieux qui est choquante car il
nous semble que ce chemin ne devrait pas être le sien. Des Grieux progresse dans le
vice: tricheur, joueur, fripon, proxénète, hypocrite, prisonnier, assassin, ingrat, malin
et exilé. Son retour à la vertu, ou bien son intention de retourner à la vertu fait preuve
de son bon fond et de la persistance de l'éducation religieuse dans son âme. C'était
l'amour que lui inspirait Manon qui a causé toute sa déchéance et son désordre. Donc
le rétablissement du héros n'était possible que par la disparition de Manon D'où la
nécessité, pour l'Abbé Prévost, de faire mourir Manon et de condamner Des Grieux à
mener une vie où Manon n'existe plus.
Pourtant, la déchéance subie par Des Grieux ne l'expose pas au mépris du lecteur car
toutes ses mauvaises actions se justifient par son grand amour et sa défense de son
bonheur. De même, pour Manon que toutes ses mauvaises conduites ne la font pas
détester par le lecteur qui comprend que ses actes sont dictés par son goût irrésistible
pour le luxe et les plaisirs et qu’ils sont dénués de toute méchanceté.
CONCLUSION
139
Ibidem P. 240
Dans Manon Lescaut, L’Abbé Prévost a bien réussi à refléter
l’image de la vie vécue pendant la Régence, avec son dérèglement moral, sa
portée luxueuse, l’importance prise par l’argent et le commencement de la
déportation en Amérique.
Malgré sa brièveté, la Régence est l'une des périodes les plus marquantes de l'histoire
de France. Et cela s'explique par les nombreuses mesures qui furent prises dans
différents domaines et l'entrée de la France dans le monde moderne:
ƒ C'est sous la Régence que la France a connu le système de
polysynodie qui remplacera les ministres par des conseils.
ƒ Le Régent a adopté les réformes financières proposées par John
Law, que malgré leur échec, remboursent la dette publique et font
apparaître l'esprit colonial.
ƒ Le Régent a adopté une politique d'ouverture sur le monde
extérieur, de tolérance et de détente sur le plan militaire. Il conclut
une alliance avec l'Angleterre et la Hollande.
ƒ Le Régent patronne le courant littéraire.
ƒ Sous la Régence, les mœurs connaissent une dégradation
remarquable qui persista jusqu'à la Révolution.
Le roman présente les deux héros comme les victimes de leur société. Manon était
éprise par la vie luxueuse parisienne et Des Grieux l’était pour elle. Donc, pour la
garder, il devrait satisfaire son goût pour le luxe. D’où le désordre, l’insatisfaction et
l’inquiétude perpétuelles où il vit. Le dérèglement des mœurs marquant la société
entraîne Des Grieux dans son cercle en lui faisant gagner malhonnêtement, au jeu,
l’argent par lequel il cherche à garder et à satisfaire Manon.
Ce roman illustre la puissance de la fatalité et la faiblesse de la
volonté humaine. Des Grieux rejette la responsabilité de ses actes. Il les
attribue au destin ou à une force extérieure.
Quant à Manon, elle se sait coupable mais ne se sent pas
responsable. " il faut bien que je sois coupable puisque j’ai pu vous causer
tant de malheur et d’émotion mais que le ciel me punisse si j’ai cru l’être, ou
si j’ai pensé le devenir " .140 La faiblesse de Des Grieux était mise en relief.
En acceptant toutes les décisions maladroites de Manon, il affirme la victoire
de la sensibilité sur la raison.
Donc, Manon et Des Grieux sont bien les victimes de la fatalité
de leur passion mais aussi de leur société. La fatalité s’est acharnée contre
eux en les privant de toute forme de repos, de stabilité et de bonheur durable.
Les jours où ils vivent heureusement sont incompatibles avec les longs jours
de supplice. Aussi, la société, à travers les riches, a cruellement combattu leur
amour sincère. Ceux-ci enlèvent Manon à Des Grieux en la séduisant par
l’argent. Des Grieux répond aux riches en s’enfonçant de plus en plus dans la
dégradation. Mais ce qui est bizarre et étonnant, c’est que la fatalité, sous la
forme des puissants, a frappé sévèrement les amants où moment où ils
voulaient se réconcilier avec la religion.
Le roman nous donne une leçon de sacrifice. Des Grieux sacrifie
pour l’idole de son cœur, l’appui de sa famille, ses études, son avenir
prometteur, sa réputation …..etc. La seule récompense qu’attend Des Grieux
de ses grands sacrifices, c’est de posséder le cœur de Manon.
A la fin du roman, Des Grieux réussit à conquérir le cœur de
Manon, métamorphosée grâce à ses sacrifices et à son indulgence. Seul
l’amour a régénéré Manon.
140
Abbé Prévost – Op. Cit P. 171.
Pour conclure, nous disons que nous nous trouvons
inconsciemment solidaire des deux héros dans leur malheur. Nous
légitimeons, même, leur droit de défendre leur bonheur menacé sans cesse.
Nous oublions avec la même spontanéité leurs débauches, leurs fautes et
leurs victimes tant que leur but, l’amour, est noble.
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L’Ancien Régime –– Presse
TABLE DES MATIERES
SUJET
PAGE
‫اﻟﺨﻼﺻﺔ‬
I
DEDICACE
II
REMERCIEMENTS
III
INTRODUCTION
1
PREMIER CHAPITRE
1- LA REGENCE - UN APERÇU HISTORIQUE
4
1-1- LA REGENCE
4
1-2 LE SYSTEME DE LAW
7
1-3 LES MŒURS
8
1-4 LE COSMOPOLITISME
10
1-5 LA VIE CULTURELLE
12
1-5-1 LES GENRES LITTERAIRES
13
1-5-1-1 LE THEATRE
14
1-5-1-2 LA POESIE
15
1-5-1-3 LE ROMAN
15
1-6 LES FOYERS INTELLECTUELS : SALONS,
19
CAFES ET CLUBS
1-6-1 LES SALONS LITTERAIRES
19
1-6-1-1 LA COUR DE SCEAUX
20
1-6-1-2 LE SALON DE MME DE LAMBERT
20
1-6-1-3 LE BUREAU D’ESPRIT
21
1-6-1-4 LES CLUBS
21
1-6-1-5 LES CAFES
22
1-7 BIOGRAPHIE DE L’ABBE PREVOST
DEUXIEME CHAPITRE
2-1 RESUME DE L’ŒUVRE
2-2 MANON LESCAUT, UN ROMAN D’AMOUR
23
30
34
2-2-1 L’AMOUR FATAL
34
2-2-2 FIDELITE/INFIDELITE
49
2-2-3 LA DECHEANCE
63
CONCLUSION
81
BIBLIOGRAPHIE
84
TABLE DES MATIERES
86

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