etat des lieux et perspectives pour la formation initiale des

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etat des lieux et perspectives pour la formation initiale des
ETAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES
POUR LA FORMATION INITIALE DES
ENSEIGNANTS DE LA FEDERATION
WALLONIE BRUXELLES
Julien NICAISE
Xavier BODSON
Nicolas NAIF
Décembre
Editrice responsable : A. Poutrain – 13, Boulevard de l’Empereur – 1000 Bruxelles
2011
Introduction ............................................................................................ 2
A.
Aux origines de cette réforme ........................................................ 3
B.
Evolution de la formation initiale des enseignants en Belgique. ..... 4
1.
La massification de l’enseignement ............................................. 4
2.
Amorce d’une professionnalisation du métier d’enseignant ............. 4
3.
Diverses initiatives d’allongement inabouties ............................... 5
4.
La réforme de 2000 et 2001 ...................................................... 6
5.
Un attrait fluctuant pour la profession ......................................... 7
6.
Un contexte de pénurie ............................................................. 8
C.
Un engagement du Gouvernement « olivier » pour la législature
2009-2014............................................................................................... 9
D.
La formation des enseignants à l’aune des attentes sociales et des
standards internationaux ...................................................................... 11
E.
Vers un allongement de la durée des études ? ............................. 13
F.
Quelques balises pour réformer la formation initiale des
enseignants de la Fédération Wallonie-Bruxelles. ................................. 15
1
Institut Emile Vandervelde – www.iev.be - [email protected]
Introduction
La présente note, loin de se prétendre exhaustive, tentera de faire le point sur la
thématique de la formation initiale des enseignants au sein de la Fédération
Wallonie-Bruxelles. Elle vise à contextualiser les demandes d’évolutions et de
réformes de la formation initiale des enseignants au regard des enjeux actuels de
l'Education.
La formation des enseignants constitue en effet un levier important pour
améliorer nombre d’aspects de l’Education, parmi lesquels la maîtrise des
apprentissages, la démocratisation de l'Enseignement, l’égalité des chances et
d'accès, l’aide différenciée en faveur des élèves les plus défavorisés, la lutte
contre les lourdes tendances inégalitaires du système éducatif de la Fédération
Wallonie-Bruxelles, son développement social, économique et culturel, etc. C’est
également un élément important pour modifier les représentations du métier
d’enseignant, pensons ainsi à la transformation de l'image de l'enseignant et de
sa fonction, à l’impact de la massification scolaire, à la « dégradation » de la
« confiance » du grand public en l'institution scolaire, etc.
Cette note analysera divers documents d’orientation et de comparaison produit
par les organisations internationales telles que l'Union européenne ou l'OCDE qui,
s'ils ont parfois trop tendance à hiérarchiser les systèmes scolaires les uns par
rapport aux autres, permettent aussi de pointer certaines améliorations possibles
et d'envisager l'impact et l'intérêt de potentielles réformes en la matière sur des
bases objectivées.
Dans ce sens, pour le sujet qui nous occupe ici, on constate que l’on assiste
ainsi, dans des contextes différents, à une professionnalisation de la formation
initiale et du métier d’enseignant sur le registre de l’enseignement supérieur de
type long un peu partout en Europe et au-delà. Deux éléments parmi d’autres
caractérisent ce mouvement général : la logique de l’alternance et le
développement d’une posture réflexive, d’un modèle de l’enseignant
professionnel réfléchi.
Cette analyse ne doit pourtant pas être lue comme les prémices de ce que
pourrait, devrait ou devra être la formation initiale des enseignants réorganisée
demain en Fédération Wallonie-Bruxelles. Nombre de travaux ont encore cours
actuellement sur ce thème, avec parmi ceux-ci une importante évaluation
participative menée jusqu’à début 2012 par le Centre d’études sociologiques
(CES) des Facultés universitaires Saint-Louis (FUSL) qui réunit un millier
d’enseignants et autres parties prenantes pour l’occasion. Elaborée à partir des
avis et réflexions des principaux concernés1, celle-ci devra proposer, à partir de
ce processus de consultation du monde enseignant, une analyse, des balises et
points d’attention pour envisager au mieux les besoins d’évolution du métier
d’enseignant.
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Voir notamment http://www.enseignement.be/evaluation-de-la-formation-initiale pour le détail de celle-ci.
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Ainsi, comme on le verra également ci-dessous, le principe de l'allongement de la
formation initiale des enseignants semble accepté, ou à tout le moins acceptable,
par les acteurs de l'éducation. Cependant, une fois ce constat posé, il reste
encore tout à discuter : les contenus, les modalités, le financement, la pertinence
des réformes, la coordination avec les autres enjeux de l'Education en Fédération
Wallonie-Bruxelles, etc. D’où l’intérêt de poser quelques jalons permettant de
saisir l'évolution chronologique de ce projet, les perspectives ouvertes par les
modèles étrangers et les débats sur les modalités et les possibilités en Fédération
Wallonie-Bruxelles.
A. Aux origines de cette réforme
C’est lors de la rentrée académique 2010-2011 que le Ministre Jean-Claude
MARCOURT (PS), en charge de l'Enseignement supérieur en Fédération WallonieBruxelles, annonça que ce travail de réflexion allait être mené avant
éventuellement de lancer le chantier de l'allongement éventuel de la formation
initiale des enseignants dans le futur2. Il répondait ainsi à la Déclaration de
politique Communautaire 2009-2014 (DPC) du Gouvernement « Olivier », à sa
« feuille de route », qui annonçait « une refonte de la formation initiale des
enseignants », celle-ci devant s’appuyer « sur une évaluation participative ».
Les réactions à cet appel ministériel pour une large concertation de tous les
acteurs, avant d’éventuellement lancer une réforme d’importance, furent
globalement positives, ce qui n'est pas nécessairement monnaie courante pour
les questions touchant à l'Enseignement, surtout fussent-elles d’une telle
ambition. Du côté des organisations syndicales comme de celui pouvoirs
organisateurs, il y eut un écho d'autant plus ouvert que ce chantier faisait partie
des cahiers de revendications de plusieurs d’entre eux depuis plusieurs années
déjà3. Les différents partis politiques démocratiques, tant dans la majorité que
dans l'opposition, se félicitèrent également de l'ouverture de ce chantier, avec
des nuances liées à l’appartenance ou non au Gouvernement.
Il faut dire que cette volonté du politique de prendre à bras le corps la question
de la formation initiale des enseignants faisait officiellement consensus entre les
quatre partis politiques démocratiques. Le PS, comme le MR, le CDH ou Ecolo ont
annoncé, dans leurs programmes électoraux respectifs pour le scrutin de 2009,
vouloir envisager d’augmenter la durée de formation initiale afin notamment de
contribuer à une revalorisation du métier d’enseignant, à une meilleure maitrise
des matières enseignées et des méthodes pédagogiques, le tout en proposant
une formation plus poussée aux nouveaux enseignants.
La Libre Belgique, 20 septembre 2010.
Voir par exemple la prise de position de la CGSP-Enseignement pour le passage de la formation initiale des
enseignants à un niveau d’enseignement supérieur de type long (master en 120 crédits) affirmée lors de son
Congrès communautaire du 20 mai 2009 (http://www.cgsp.be/publication/fr/ens_juin09.pdf) ou encore le
Mémorandum 2009 de l'Enseignement catholique qui plaide pour un renforcement de ses contenus
(www.segec.be/Documents/memorandum/Memorandum_EC_2009.pdf).
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Il était donc acquis depuis la formation du nouveau Gouvernement de la
Fédération Wallonie-Bruxelles que cette thématique devrait revenir au cours de
la législature puisqu'elle avait été inscrite dans la Déclaration de Politique
communautaire, balisant l'action du Gouvernement pour la législature 20092014.
B. Evolution
de
la
formation
enseignants en Belgique.
initiale
des
Les travaux d’Anne VAN HAECHT4 et de Jacqueline BECKERS5, montrent que la
formation initiale des enseignants a évolué très significativement depuis
cinquante ans. D'une formation encore sommaire et réduite au sortir de la
Seconde Guerre Mondiale, elle a pris de plus en plus d'importance, tant du point
de vue de la quantité des matières intégrées au cursus que de leur qualité. Ainsi,
il est possible de retracer rapidement quelques-unes des étapes chronologiques
de cette évolution.
1. La massification de l’enseignement
Il faut préciser que l'enseignement, au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, se
caractérisait encore par une forte ségrégation sociale où les niveaux
d’enseignement secondaire et, surtout, supérieur, étaient réservés en grande
partie aux seules classes aisées. Cependant, avec le mouvement d'émancipation
amorcé (et signifié notamment par le Pacte social de 1944), une véritable
démocratisation de l'enseignement put s’amorcer progressivement au-delà du
seul enseignement primaire, entraînant une massification progressive des
différents niveaux d'enseignement. On est ainsi passé de 40.000 étudiants dans
le supérieur au début des années soixante à près de 170.000 en 2009,
multipliant par quatre le nombre de jeunes inscrits dans des études
d’enseignement supérieure en Fédération Wallonie-Bruxelles.
Au moment où est conclu le Pacte scolaire (1957), il existait une formation
générale et psychopédagogique en quatre ans après l’école moyenne inférieure
(soit les trois premières années du secondaire) à l’issue de laquelle les futurs
enseignants obtenaient un double diplôme : un diplôme professionnel
d’enseignant et un diplôme d’humanités qui leur permettait de suivre des études
universitaires.
2. Amorce
d’une
d’enseignant
professionnalisation
du
métier
La massification de l’enseignement prit de plus en plus d'ampleur, obligeant les
autorités publiques à adapter les structures et les méthodes d’enseignement. Il y
eut un accroissement concomitant du nombre d'enseignants avec le début du
processus de dévalorisation et de la perte du « prestige » du métier dû
VAN HAECHT (Anne), L'Enseignement rénové, de l'origine à l'éclipse, Bruxelles, Editions de l'Université de
Bruxelles, 1985.
5
BECKERS (Jacqueline), Enseignants en Communauté française de Belgique, Bruxelles, De Boeck, 2008, 2ème
édition.
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principalement à la « baisse relative de la compétence culturelle reconnue [aux]
enseignants »6. En 1967, la formation des enseignants se structura alors en deux
cycles : un premier correspondant au degré supérieur de l’enseignement moyen
(section sciences humaines) suivi d’un cycle post-secondaire de deux ans
consacré à la formation professionnelle sous l’appellation d’enseignement
supérieur pédagogique (ESP) et correspondant à un enseignement supérieur de
type court.
Ensuite, la formation initiale passa de deux à trois ans à partir de 1984 avec, audelà de l’allongement de la formation, l’introduction de cours de formation
générale communs aux trois types d’enseignement (général, technique et
professionnel) et un renforcement du contenu des matières à enseigner.
3. Diverses initiatives d’allongement inabouties
Par la suite, différentes initiatives et projets de réformes seront encore menés,
certains sans aboutir concrètement, parmi lesquels :
•
•
•
En 1990, le rapport produit par la Commission scientifique d’études de la
formation des enseignants présidée par le Professeur Gilbert DE
LANDSHEERE (ULg) proposait une formation unifiée des enseignants du
maternel au secondaire supérieur, organisée à l’université au moins pour
les candidatures et en synergie avec les instituts d’enseignement supérieur
pédagogique (IESP) pour les licences, plus particulièrement pour les
stages et la pratique de classe.
En 1992, le Conseil supérieur de l’enseignement pédagogique prône la
transformation des instituts d’enseignement supérieur pédagogique (IESP)
en un enseignement supérieur de type long (de niveau universitaire), qui
deviendrait maître d’œuvre de la formation initiale et continuée de tous les
enseignants et établirait, selon les besoins, des synergies avec d’autres
institutions comme les universités.
En 1993, dans son rapport sur les systèmes éducatifs en Belgique7,
l’OCDE, tout en soulignant le besoin d’évolutions, émet des réserves quant
au projet de devoir débuter la formation initiale par l’université ainsi que
sur la capacité du pays à assumer la charge financière du passage de tous
les enseignants à un barème de licencié. L’OCDE plaide plutôt pour un
accès plus progressif à ce niveau élevé de qualification, via une formation
continuée, afin de répartir l’impact financier dans le temps.
Finalement, c’est en 1998 que seront entérinées les différentes filières de
formation telles que nous les connaissons encore aujourd’hui8 :
•
•
En hautes écoles : modèle dit « concomitant » pour les instituteurs
préscolaires et primaires et pour les régents de l'enseignement secondaire
inférieur.
A l’université et, dans une moindre mesure, dans les écoles supérieures
des arts et dans certaines hautes écoles : modèle dit « successif » pour les
VAN HAECHT (Anne), op. cit., p. 268.
ORGANISATION DE COOPERATION ET DE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUES, Examen des politiques nationales
d’éducation : Belgique, Paris, Organisation de coopération et de développement économiques, 1993.
8
LESSARD (Claude), SANTIAGO (Paulo), HANSEN (Jeannot), MÜLLER KUCERA (Karin), Attirer, former et retenir
des enseignants de qualité. Note de synthèse : Communauté française de Belgique, Paris, OCDE, 2004.
6
7
5
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•
agrégés de l'enseignement secondaire supérieur.
Dans l’enseignement de promotion sociale, notamment pour le Certificat
d’aptitudes pédagogiques nécessaire pour les enseignements de cours
techniques et de pratique professionnelle.
4. La réforme de 2000 et 2001
La dernière révision importante du contenu de la formation initiale des
enseignants par le Parlement de la Communauté française date de 20009 et
200110. Initiée par Françoise DUPUIS (PS), Ministre de l’Enseignement supérieur
et de la recherche sous la coalition « arc en ciel », son objectif était d’associer
« plus étroitement » théorie et pratique dans la formation pour « accroître la
professionnalisation » des enseignants, en tenant compte de l’évolution des
élèves et du métier en général.
Depuis, la formation s’articule autour de treize compétences à acquérir par
l’enseignant11. De nouvelles matières sont également entrées au programme de
la formation (sociologie et politique de l'éducation, approche théorique et
pratique de la diversité culturelle et la dimension de genre, éducation aux
médias, etc.) et la formation socio-culturelle devenait plus importante. Le
nombre d’heures de cours dits « obligatoires » augmenta et un certain nombre
d’heures de stages ont été remplacé par des ateliers de formation
professionnelle. Encore une fois, à l’époque, d’aucuns avec parmi lesquels
certains des représentants des organisations syndicales et des pouvoirs
organisateurs, suggérèrent que la formation initiale se prolonge d’au moins une
année d’études supplémentaire.
Les mêmes arguments étaient déjà avancés pour justifier de cet allongement :
formation globalement « insuffisante », nombre d’heures par année académique
trop important, logique de masterisation quasi généralisée chez nos voisins
européens limitant de facto les équivalences avec l’étranger (ce phénomène
s’accentuant notamment avec le Processus de Bologne).
La première cohorte d’enseignants formés selon cette dernière réforme étant
diplômée en 2004, il y a donc sept années que les enseignants nouvellement
diplômés disposent de cette formation.
9
Décret du 12 décembre 2000 définissant la formation initiale des instituteurs et des régents.
Décret du 8 février 2001 définissant la formation initiale des agrégés de l'enseignement secondaire supérieur.
11
Ainsi, la base légale prévoit que les enseignants doivent être capables de :
« 1. Mobiliser des connaissances en sciences humaines pour une juste interprétation des situations vécues en
classe et autour de la classe et pour une meilleure adaptation aux publics scolaires;
2. Entretenir avec l'institution, les collègues et les parents d'élèves des relations de partenariat efficaces;
3. Être informé sur son rôle au sein de l'institution scolaire et exercer la profession telle qu'elle est définie par
les textes légaux de référence;
4. Maîtriser les savoirs disciplinaires et interdisciplinaires qui justifient l'action pédagogique;
5. Maîtriser la didactique disciplinaire qui guide l'action pédagogique;
6. Faire preuve d'une culture générale importante afin d'éveiller l'intérêt des élèves au monde culturel;
7. Développer les compétences relationnelles liées aux exigences de la profession;
8. Mesurer les enjeux éthiques liés à sa pratique quotidienne;
9. Travailler en équipe au sein de l'école;
10. Concevoir des dispositifs d'enseignement, les tester, les évaluer et les réguler;
11. Entretenir un rapport critique et autonome avec le savoir scientifique passé et à venir;
12. Planifier, gérer et évaluer des situations d'apprentissage;
13. Porter un regard réflexif sur sa pratique et organiser sa formation continuée. »
10
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Fin de la législature 2004-2009, le Conseil de l'éducation et de la formation
(CEF), s’est penché sur la thématique de la formation initiale des enseignants et
a réuni acteurs de terrain et responsables de l'enseignement pour examiner le
décret du 12 décembre 2000.
Si le principe des 13 compétences n'était pas remis en question de manière
fondamentale, plusieurs difficultés furent identifiées, le CEF signifiant notamment
que s’il existe un taux d'échec important (près de 50%) au terme de la première
année de baccalauréat de la formation initiale pour devenir enseignant, il
convient d’autant plus de se pencher sur les motivations des étudiants démarrant
des études d’enseignant, celles-ci prenant trop souvent la forme d'un choix par
dépit : « Les étudiants issus du général actuellement sont de plus en plus les
plus faibles et on recrute de plus en plus des étudiants issus de la filière
technique12 : ils n ont pas particulièrement envie de devenir enseignant, les HE
sont confrontées à un problème de motivation, de qualité et d’éthique. On a des
étudiants qui arrivent de 7e année professionnelle, il faut dès lors une structure
de formation qui les aide. Ces jeunes arrivent donc avec un bagage faible, un
manque notoire de pré-requis et de motivation et donc cumulent plusieurs
handicaps. Des acquis d’apprentissage sont insuffisants à l’entrée,
particulièrement en maîtrise de la langue d’enseignement. Le gros de la
population de la première année n’est pas dans les conditions optimales de
réussite. Toutefois, il ne faut pas omettre les étudiants motivés mais qui
manquent de bases. »13. Plus encore, des lacunes importantes sont également
dénoncées dans la maîtrise de la langue d'enseignement par les candidats à la
profession d’enseignant.
Du coup, il semblerait qu’il existe une sorte de logique de « cercle vicieux » où
les étudiants qui arrivent dans les catégories pédagogiques ne sont pas les mieux
« armés » pour devenir enseignants, parfois peu au fait des exigences et de la
complexité de la profession. Eux-mêmes risquant alors de dispenser des cours
avec certaines lacunes, pratiques ou théoriques, que la formation initiale ou
continuée peinera à combler.
5. Un attrait fluctuant pour la profession
Au-delà, comme les Indicateurs de l'Enseignement le pointent via le graphique
ci-dessous14, la fréquentation de la formation initiale des enseignants a connu de
fortes fluctuations ces dernières années. La forte baisse de la fin des années
nonante, dû à un climat social difficile et à des incertitudes entourant la
profession d'enseignant, s’est peu à peu résorbée jusqu’à atteindre des sommets
au début de la deuxième moitié de la première décennie des années deux mille,
notamment grâce au refinancement de l'enseignement au début des années
deux mille. Celui-ci permit notamment de dégager une revalorisation progressive
des salaires des enseignants et des moyens de fonctionnement des
12
Cet état de fait quant au « recrutement » des étudiants dans les catégories pédagogiques des hautes écoles
fut d’ailleurs confirmé par une étude longitudinale ad hoc menée sur le sujet par l’Observatoire de
l’enseignement supérieur début 2011.
13
CONSEIL DE L’EDUCATION ET DE LA FORMATION, La formation des enseignants et leur entrée dans le
métier. Dossier d'instruction, Bruxelles, CEF, 2009, p. 74
14
MINISTERE DE LA COMMUNAUTE FRANÇAISE - ENTREPRISE DES TECHNOLOGIES NOUVELLES DE
L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION (ETNIC), Les indicateurs de l’enseignement, édition 2009, n° 4,
Bruxelles, Ministère de la Communauté française, 2010.
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établissements scolaires, attendue depuis longtemps,
globalement, une revalorisation du métier en lui-même.
ainsi
que,
plus
Ainsi, après une forte chute de fréquentation des filières de formation initiale des
enseignants dans la deuxième moitié des années nonante, on a observé par la
suite une reprise des inscriptions tout aussi spectaculaire jusqu’au début de la
deuxième moitié de la première décennie des années deux mille. Cependant,
depuis 2006-2007, on semble assister à un certain retournement de tendance
avec un tassement des inscriptions. Il est trop tôt pour dire aujourd’hui s’il s’agit
simplement d’un ajustement à un niveau moyen « raisonnable » ou d’une
nouvelle chute importante et durable mais il faut avoir cette perspective à l’œil.
Si l’on examine le nombre de diplômés sortit des sections pédagogiques des
hautes écoles ou titulaire de l’agrégation de l’enseignement universitaire, en
2006, bien qu’on enregistre une diminution du nombre de nouveaux instituteurs
primaires, on comptait 1.126 agrégés de l’enseignement secondaire supérieur
(AESS) et 2.818 diplômés du type court pédagogique, soit un nombre de
diplômés encore en progression par rapport à l’année précédente. Mais en 20072008 et 2008-2009, la tendance à la hausse se tasse, particulièrement pour les
enseignants du secondaire supérieur : 945 puis 832 agrégés de l’enseignement
secondaire supérieur (soit une baisse de 17% des diplômés).
6. Un contexte de pénurie
Reporté au contexte de pénurie que connaît actuellement l'enseignement de la
Fédération Wallonie-Bruxelles pour certaines professions d’enseignants dans
certains lieux géographiques ainsi qu'à la dévalorisation structurelle de l'image et
du statut de l'enseignant, ces données interpellent. D'autant plus si l'on prend
également en compte le décrochage des jeunes diplômés évalué par d’aucun à
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quatre jeunes enseignants sur dix après cinq ans de métier et même à six jeunes
enseignants sur dix par endroits !
De facto, la revalorisation du métier d'enseignant s'impose bel et bien comme
l’un des enjeux fondamentaux pour l’ensemble de la Fédération WallonieBruxelles… D’autant plus si l’actuelle pyramide des âges du corps enseignant
appelle un renouvèlement d’une part importante de celui-ci dans les prochaines
années ; ce renouvellement constituant sans doute une réelle opportunité de
renforcer globalement la formation des enseignants.
C. Un engagement du Gouvernement « olivier »
pour la législature 2009-2014
Sous la législature 2004-2009, le processus participatif qui amena à la signature
du Contrat pour l'Ecole, début 2005, identifiait, parmi les dix priorités retenues,
un certain nombre de perspectives pour « mieux préparer les enseignants » à
l'horizon 2013. Il y était notamment prévu que la formation initiale soit réévaluée
à la lumière des orientations prises par le Contrat pour l'Ecole.
Sur cette base, la Commission de Pilotage remis, en 2006, un avis sur la
question15 identifiant notamment deux difficultés majeures, sur lesquelles nous
aurons l'occasion de revenir ci-dessous : d'une part, l'écart entre la formation
reçue par les futurs enseignants et les conditions d’exercice du métier et, d'autre
part, la complexification de la pratique quotidienne de l'enseignant.
Fort d’une demande en la matière de plus en plus présente, le Ministre de
l’Enseignement obligatoire Christian DUPONT (PS) s’engagea officiellement dans
cette voie à la rentrée scolaire 2008-2009 en se déclarant favorable à
l’allongement de la formation initiale des enseignants16 . C’était le point de
départ, après plusieurs années « d’absence », d’une réouverture du débat au
sein des médias francophones17 ainsi qu’au Parlement de la Communauté
française. Quelques mois plus tard, le même ministre allait, dans le cadre d’un
accord sectoriel conclu avec les organisations syndicales, franchir un premier pas
particulièrement significatif en la matière : désormais, les instituteurs et les
régents ayant obtenu ou obtenant un master en lien avec leur fonction
d’enseignant bénéficieraient d’une revalorisation salariale pour le reste de leur
carrière via l’octroi du barème dit « 501 » (donné habituellement aux agrégés de
l’enseignement secondaire supérieur) en lieu et place de leur barème classique
dit « 301 ».
Dans la foulée, le Gouvernement « olivier » se plaça dans ce sillon creusé par le
Contrat pour l'Ecole et s'engagea à aller de l’avant au travers de la Déclaration
de politique communautaire (DPC) 2009-2014.
15
COMMISSION DE PILOTAGE, Proposition provisoire de la Commission de pilotage relative aux améliorations à
apporter à la formation initiale des enseignants afin de l’inscrire dans les objectifs du Contrat pour l’Ecole,
Bruxelles, Commission de Pilotage, 2006.
16
AGENCE BELGA, Christian Dupont : « Une formation des instituteurs et régents en 5 ans », Bruxelles, Agence
Belga, 01.09.2008.
17
Voir notamment les éditions du 1er au 3 septembre 2008 des quotidiens Le Soir et La Libre Belgique.
9
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Parallèlement, un collectif de signataires issu du secteur de l’Education
(organisations syndicales, représentants des étudiants, professeurs d’universités,
organisations non gouvernementales actives dans le secteurs scolaires et
parascolaires, etc.), réunis dans le cadre de la « Plateforme de lutte contre
l’échec scolaire », faisait publier le 16 juillet 2009 dans le quotidien Le Soir, une
Carte blanche intimant au futur gouvernement de « mettre sur la table la
question de l’allongement des études pour devenir enseignant afin de débattre
sereinement mais fermement sur le contenu et les méthodes de formation des
futurs enseignants, afin d’aborder également la qualité et les méthodes de
formation continue »18.
Deux chapitres particuliers de la Déclaration de politique communautaire (DPC)
2009-2014 – l’un pour l’enseignement obligatoire et l’autre pour l’enseignement
supérieur – abordèrent dès lors spécifiquement la thématique de la formation
initiale :
« 3.3.1. Une formation initiale renforcée
Le Gouvernement entreprendra une refonte de la formation initiale des
enseignants. Celle-ci reposera sur une évaluation participative de la mise en
oeuvre de la précédente réforme et des besoins exprimés par les acteurs
concernés (formateurs d’enseignants, enseignants, maîtres de stage, directeurs,
inspecteurs, conseillers pédagogiques). Cette réforme devra notamment leur
permettre d’appréhender les multiples facettes d’un métier exigeant et ainsi
garantir au mieux leur intégration directe et harmonieuse dans la profession.
L’objectif de cette augmentation du temps de formation est d’outiller davantage
les enseignants dans leur travail de transmission et de construction des savoirs.
Face aux exigences du métier et aux besoins exprimés par les enseignants, cette
refonte implique à terme un allongement de la durée des études à 5 ans. Le
renforcement progressif de la formation initiale des instituteurs et des régents
permettra une plus-value pour le contenu de cette formation en y intégrant à la
fois les besoins nouveaux et une plus grande collaboration avec les enseignants
du terrain. La réforme de la formation initiale sera notamment guidée par les
principes suivants :
•
•
•
•
•
•
•
•
18
La connaissance des disciplines enseignées, y compris leurs didactiques
particulières ;
La formation à la détection précoce des difficultés scolaires et aux techniques
de remédiation immédiate, en tenant compte des différents modes
d’apprentissage des élèves ;
La maîtrise de la langue de l’enseignement ;
La maîtrise des techniques d’apprentissage du français langue étrangère ;
La gestion de l’hétérogénéité des niveaux et des modes d’apprentissage dans
la classe ;
Les capacités d’auto-évaluation de leur pratique ;
La gestion des conflits ;
Une entrée progressive dans le métier via des stages et des aller/retour entre
pratique et théorie ;
Le Soir, 16 juillet 2009.
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•
•
•
•
L’aptitude à s’adapter aux évolutions sociologiques et technologiques (NTIC) ;
L’organisation pour tous de modules les préparant à l’enseignement
spécialisé, aux approches différenciées ;
La professionnalisation de la fonction de maître de stage ;
La sensibilisation des enseignants au genre et à la diversité.
Ce renforcement de la formation sera progressif et veillera à maintenir
l’accessibilité à tous. »
D. La formation des enseignants à l’aune des
attentes
sociales
et
des
standards
internationaux
Si l'on peut logiquement s’interroger sur le bien-fondé et l'idéologie sous-jacente
de certaines études internationales (en termes, par exemple, de standardisation,
d'employabilité ou d'opérabilité des élèves ou des contenus de cours19), force est
de constater qu'elles permettent de pointer des problèmes structurels aux
systèmes éducatifs en les rendant objectivables.
Dès 1993, l'OCDE avait ainsi relevé les effets pervers de l’absence de définition
formelle et centralisée en Wallonie et à Bruxelles des niveaux à atteindre par
tous les élèves20. Cette absence était préjudiciable à plusieurs titres, favorisant
l’inégalité de traitement des élèves, la compétition entre les établissements
scolaire, l’évaluation normative, l’opacité du système, etc.21. La réponse apportée
par les pouvoirs publics fut l’adoption du décret missions22 et la définition des
socles de compétences et des compétences terminales communs à tous
établissements scolaires organisés ou subventionnés.
Alors que la Communauté française commençait à faire évoluer son
enseignement avec une première ébauche de système de pilotage, les problèmes
de fond demeuraient. Comme le notait le Congrès mondial de l'Internationale de
l'éducation, en juillet 1998, la condition enseignante était en déclin dans de
nombreux pays. Il était urgent d'enrayer cette tendance lourde pour que la
profession redevienne attrayante. La formation initiale était déjà identifiée
comme l'une des solutions à privilégier.
19
Ainsi, comme le souligne l'Association pour une Ecole Démocratique (APED), les chercheurs de l'Université de
Liège qui sont en charge des tests PISA pour la Fédération Wallonie Bruxelles, indiquaient que « La question est
moins de savoir ce que les élèves de telle année peuvent faire, mais bien comment les élèves de 15 ans sont
préparés à entrer dans la vie adulte. C’est pour cette raison que PISA évalue la culture mathématique ou
scientifique, et pas les mathématiques ou les sciences. Ce qui pourrait sembler être un détail terminologique
traduit la volonté de l’OCDE de voir si la culture des jeunes en mathématiques et sciences est suffisante par
rapport aux demandes des sociétés industrialisées » BAYE (Ariane), DEMONTY (Isabelle), LAFONTAINE
(Dominique), MONSEUR (Christian), « La lecture à 15 ans, premiers résultats de PISA 2009 » dans Les cahiers
des sciences de l’Education, n° 31, 2010, ASPE - Université de Liège, p. 1.
20
ORGANISATION DE COOPERATION ET DE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUES, ibid., 1993.
21
ROMAINVILLE (Marc), « Quel socle commun ? » dans Les Cahiers pédagogiques, n°439, janvier 2006, pp.
24-25. Il est à noter que l’étude de l'OCDE pointait également les dépenses en personnel trop élevées par
rapport aux moyens financiers de la Communauté française. Quelques mois plus tard, la Communauté française
entamait un programme d'économie drastique, provoquant un mouvement de protestation important (voir
BECKERS (Jacqueline), ibid., 2008, pp. 118-119).
22
Décret du 24 juillet 1997 définissant les missions prioritaires de l'enseignement fondamental et de
l'enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre.
11
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L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)
s'empara du sujet et lança, outre les premiers tests PISA (2000), un projet
collaboratif ambitieux sur l'attractivité du métier d'enseignants (2002). Il
s'agissait alors de développer des pistes de politique d'éducation à destination
des gouvernements. La partie concernant la Communauté française fut menée
sous la houlette du Professeur Jacqueline BECKERS de l'Université de Liège23. Un
rapport final fut publié en 2005 sous le titre « Le rôle crucial des Enseignants.
Attirer, former et retenir des enseignants de qualité »24.
Du côté européen, suite à la définition des objectifs de Lisbonne (2000), l'Union
Européenne fit de la formation des enseignants l'un des enjeux majeurs de son
développement à long terme. C'est ainsi que Eurydice, son réseau d'information
sur l'éducation, fut chargé de mener des études comparatives sur ce thème entre
les différents pays membres.
Les études menées sous l'égide de l'OCDE et celles menées par l'Union
Européenne arrivent globalement aux mêmes constats généraux et interpellent
toute deux le système éducatif de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
D'une manière globale, partant du postulat que l'influence majeure « sur les
acquis des élèves [est celle] qui [a] trait aux enseignants et à
l'enseignement »25, il apparaît que la qualité de l'enseignant est la principale
variable capable d'influencer les résultats des élèves. L'ensemble des travaux
s'accordent aussi pour dire que l'enseignant est d'autant plus « performant »
qu'il possède les compétences théoriques et les connaissances dans la discipline
enseignée. Pour résumer, les instances internationales font le constat que la
société change, donc que l'Ecole doit changer, et la formation nécessairement
s'adapter. A ce jour, l'OCDE se centre toujours principalement sur les résultats
des élèves plutôt que sur les qualifications des enseignants, sommés de jouer de
nouveaux rôles. Cette posture n’est pas sans produire des tensions dans le corps
enseignants, notamment au niveau du rapport au métier : leur demande-t-on
d'évoluer pour mieux faire réussir les élèves les plus en difficulté au nom d'un
principe d'équité sociale, ou pour mieux les adapter à une société libérale chaque
jour plus sauvage, plus concurrentielle et plus individualiste ?
Cependant, il est tout aussi admis que l'enseignement est dans une phase de
complexification aiguë. Comme le note Eurydice, « les évolutions de
l’enseignement et de la société imposent de nouvelles exigences aux
enseignants. Par exemple, outre qu’ils doivent dispenser les connaissances
élémentaires, les enseignants sont de plus en plus fréquemment appelés à aider
les jeunes à devenir des apprenants parfaitement autonomes grâce à
l’acquisition de compétences clés, plutôt que par la mémorisation d’informations
; ils sont priés de mettre au point des méthodes d’acquisition de connaissances
plus constructives, davantage axées sur la collaboration, et d’être, non plus des
23
BECKERS (Jacqueline), JASPAR (Steve), VOOS (Marie-Catherine), Attirer, former et retenir des enseignants
de qualité, Rapport présenté par la Communauté française dans le cadre de l’étude thématique de l’OCDE,
Communauté française, avril 2003.
24
OCDE, Le rôle crucial des Enseignants. Attirer, former et retenir des enseignants de qualité. Aperçu, Paris,
OCDE, 2005, p. 2
25
OCDE, ibid., 2005, p. 2
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formateurs ex cathedra, mais des animateurs et des administrateurs de classes »
.
26
Parmi les nouvelles demandes de la société aux enseignants, figure également la
prise en compte de l'individualisation des études. Les parents souhaitent une
école qui amène leur enfant au plus loin de ses capacités. Pour ce faire, des
mesures adaptées à chacun, au plus près de ses besoins doivent être élaborées.
Les enseignants doivent donc être en mesure, pour répondre à ces attentes
parentales, de proposer des dispositifs d’apprentissage particulier. Un des enjeux
majeurs devient la gestion de l’hétérogénéité des besoins des élèves au sein du
groupe-classe.
La formation initiale des enseignants comme la formation continue doivent
former un système cohérent pour permettre aux enseignants de rester au fait
des compétences requises dans la société de la connaissance. Et le rapport
d’Eurydice de poursuivre en soulignant que « Comme dans n’importe quelle autre
profession moderne, la responsabilité leur incombe également de repousser les
frontières de leurs connaissances professionnelles par la pratique de la réflexion,
la recherche et un engagement systématique vis-à-vis de la formation continue,
du début à la fin de leur carrière. Les études et la formation qui leur sont
destinées doivent leur en offrir la possibilité »27.
E. Vers un allongement de la durée des études ?
Intégrer toutes ces connaissances et compétences diversifiées ne peut
s’envisager sans poser la question de l’allongement des études, en particulier
pour les enseignants du fondamental et des premières années de l’enseignement
secondaire. La prise en compte de ces changements est une évolution majeure
dans la profession : individualisation des apprentissages, complexité de la tâche,
autonomisation de l'élève, utilisation des nouvelles technologies, etc. Or, le
volume horaire actuellement dédicacés aux étudiants dans les catégories
pédagogiques des hautes écoles (2.880 heures sur trois ans) est déjà
sensiblement plus élevé que dans d’autres formations de l’enseignement
supérieur de type court qui, elles, ne dépassent généralement pas plus de 2.500
heures sur trois ans.
La CGSP-Enseignement a bien résumé cette problématique28 : si l'enseignement
préscolaire se caractérise par une approche particulièrement pluridisciplinaire (de
l'expression orale jusqu'à la pré-lecture, en passant notamment par la
psychomotricité, des notions de mathématique, etc.), nombre d'instituteurs
manquent de formation et d'outils pour détecter au plus tôt certaines difficultés
scolaires et pour y remédier. Au niveau primaire, la tâche est aussi complexe
puisque l'instituteur doit avoir une bonne connaissance des différentes matières
enseignées et des manières de les transmettre, tant du point de vue pratique
26
COMMISSION DES COMMUNAUTES EUROPEENNES, Communication de la Commission au Conseil et au
Parlement européen - Améliorer la qualité des études et de la formation des enseignants, Bruxelles,
Commission des Communautés européennes, COM(2007) 392 final, 03.08.2007.
27
Ibid., p. 5.
28
CGSP-ENSEIGNEMENT, Réforme et revalorisation de la formation initiale. Adopté au Comité Communautaire
du 20 mai 2009 à Charleroi, Cgsp-Enseignement, 2009, pp. 3 et suivantes.
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que théorique. A ce stade aussi, les savoirs et compétences se fondent et toute
faille dans l'apprentissage peut rapidement devenir synonyme d’handicap pour la
suite du cursus.
C’est ainsi que pour y remédier, tant que faire se peut, beaucoup d'acteurs
pointent de plus en plus clairement la possibilité d'un allongement de la
formation initiale des enseignants pour calquer celle-ci sur l’enseignement
supérieur de type long (un baccalauréat de 180 crédits en trois ans suivi d’un
master de 120 crédits en deux ans), moyennant naturellement des adaptations
importantes au niveau des contenus, des pédagogies utilisées et des stages
pratiques effectués.
Dans ce sens, la comparaison de la manière dont sont organisées la formation
initiale des enseignants dans les différents pays de l’Union européenne confirme
que la Belgique est parmi ceux qui dispensent les plus courtes formations et, dès
lors, les moins « valorisables ».
Ce tableau emprunté à Eurydice et comparant le niveau et la durée de la
formation initiale des enseignants des différents systèmes éducatifs européens
permet de voir que nombre d’entre eux ont renforcé et allongé la formation
initiale de leurs enseignants à quatre, cinq, voire six années29.
On constate que la formation initiale des enseignants est la plupart du temps
organisée dans le cadre de programmes d’enseignement supérieur de type long
donnant, le cas échéant, accès à des études de troisième cycle et à des
programmes de recherches (bâtonnets rouge plutôt que bâtonnets roses). La
durée minimale consacrée à la formation professionnelle est également souvent
fixée dans la plupart des systèmes éducatifs (bâtonnet blanc) et peut faire l’objet
de certaines adaptations au choix des établissements scolaires ou des pouvoirs
organisateurs (présence d’un « 0 » au-dessus du bâtonnet).
Les recommandations se font désormais pressante pour promouvoir une
formation des enseignants dans le cadre d’un enseignement supérieur de type
long. Tour à tour, plusieurs organisations supranationales telles que l’Union
européenne30 ou l’Organisation de coopération et de développement
économiques31, des organisations non gouvernementales32, des firmes privées
Agence exécutive Education, Audiovisuel et Culture - Eurydice - Eurostat, op. cit. Il s’agit ici
« d’enseignement secondaire inférieur général ».
30
CONSEIL DE L'UNION EUROPEENNE, Conclusions du Conseil et des représentants des gouvernements des
États membres réunis au sein du Conseil du 15 novembre 2007 sur l'amélioration de la qualité des études et de
la formation des enseignants, Luxembourg, Journal officiel de l'Union européenne, C-300/06, 12.12.2007.
31
OCDE, ibid., 2005.
29
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transnationales33, et des réseaux transnationaux de scientifiques34 se sont déjà
prononcés ou se prononcent, peu ou prou, en faveur d’une « masterisation » et
d’un allongement, partout dans le monde, des études supérieures devant mener
au métier d’enseignant.
Au niveau de la Fédération Wallonie-Bruxelles le mouvement va dans le même
sens puisque plusieurs parties prenantes se sont également prononcées ou se
prononcent pour avancer dans cette voie, au rang desquels on trouve
notamment le Conseil de l’éducation et de la formation (CEF), le Conseil général
des hautes écoles (CGHE), le Conseil interuniversitaire de la Communauté
française (CIUF), le Service général de l’inspection pédagogique, la Ligue de
l’enseignement et de l’éducation permanente (LEEP), le Centre d’étude et de
défense de l’école publique (CEDEP), la CGSP-Enseignement, l’Association des
enseignants socialistes (AES), …
F. Quelques balises pour réformer la formation
initiale des enseignants de la Fédération
Wallonie-Bruxelles.
Avec Philippe MEIRIEU, nous retiendrons d’ores et déjà trois points d’attention en
la matière35.
Premier point d’attention : la formation des enseignants doit se concevoir comme
un continuum qui s’étend de la première année du baccalauréat à l’ensemble des
dispositifs de formation tout au long de la carrière. C’est dans ce sens que
MEIRIEU propose que « la formation initiale d’un professeur ou d’un conseiller
principal d’éducation doit, comme celle d’un médecin, être conçue sur sept
années : trois années de licence comportant, à côté des enseignements
disciplinaires, des apports et travaux pratiques centrés sur les conditions
nécessaires à l’exercice du métier (de la maîtrise de la langue à la gestion de la
classe, de la connaissance de l’institution scolaire à celle des TICE, etc.) ; ensuite
deux années de master centrées sur toutes les questions relatives à la
transmission des savoirs à enseigner ; deux années d’accompagnement, enfin,
lors de la prise de fonction pour permettre la construction d’une véritable pensée
réflexive sur le métier… ». D’après lui, c’est la meilleure manière pour évoluer
d’une formation en modèle « successif » à une formation globale en modèle
« simultané ». L’articulation entre la formation initiale et la formation continuée
des enseignants s’avère indispensable afin d’offrir des perspectives d’efficience
comme, par exemple, d’assurer un « retour vers la formation initiale » pour
l’enseignant débutant qui, au cours du début de sa carrière, pourrait poursuivre
contacts et encadrement avec l’institution d’enseignement supérieur qui l’a
32
INTERNATIONALE DE L’EDUCATION, Résolution sur la formation des enseignants, Washington DC,
Internationale de l’éducation, 2008.
COMITE SYNDICAL EUROPEEN DE L’EDUCATION, La formation des enseignants en Europe. Document politique
du CSEE, Bruxelles, Comité syndical européen de l’éducation, 2008.
33
McKINSEY, Les clés du succès des systèmes scolaires les plus performants, McKinsey & Company, 2007.
34
TATTO (Maria Teresa), SCHWILLE (John), SENK (Sharon), INGVARSON (Lawrence), PECK (Ray), ROWLEY
(Glenn), Teacher Education and Development Study in Mathematics (TEDS-M) : Policy, practice, and readiness
to teach primary and secondary mathematics, East Lansing, MI, Teacher Education and Development
International Study Center, College of Education, Michigan State University, 2008.
35
MEIRIEU (Philippe), « Editorial » dans Le café pédagogique. L’expresso du 8 octobre 2008, Paris, 2009.
15
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formé. Cette relation pourrait se prolonger dans la cadre de la formation
continuée le cas échéant.
Deuxième point d’attention pour MEIRIEU, les étudiants doivent pouvoir
s’impliquer progressivement dans des actions auprès des élèves durant leur
formation initiale que ce soit à travers des stages d’observation et de la pratique
accompagnée. Ils doivent progressivement être mis en responsabilité dans des
contextes les plus diversifiés possibles. Les périodes de stages seront notamment
l’occasion d’expérimenter le travail en équipe. Enfin, les stages doivent faire
l’objet d’un retour à partir de travaux avec des formateurs. Ces reprises
systématiques permettraient aux étudiants de s’approprier plus aisément les
modèles théoriques proposés afin de mieux comprendre les enjeux et les
exigences du métier.
Ensuite, il faut articuler l’ensemble du dispositif de la formation initiale à un
développement de la recherche en sciences de l’éducation en le centrant sur le
couple enseigner/apprendre et toutes les questions qui concernent la
transmission. Dans ce cadre, le « cœur du métier » sur lequel s’organise
l’ensemble du travail formatif ne peut évidemment pas se réduire à la seule
maîtrise des savoirs académiques ou à la seule étude des conditions
institutionnelles, organisationnelles et méthodologiques de l’enseignement. Le
« cœur du métier », la manière de « faire classe » concerne « la transmission
des savoirs » dans toutes ses composantes… Ainsi, le futur enseignant doit
pouvoir développer une réflexivité sur son métier de manière à adapter ses
méthodes d’acquisition et la transmission des compétences à chaque groupe
classe et chaque élève.
Pour MEIRIEU enfin, l’objectif d’une future réforme devrait être de développer
une formation qui ne se contente pas de simples collages de modules existants,
mais qui place la question de la transmission et de ses conditions comme vecteur
de tous les apports, de toutes les activités de formation, afin de faire
véritablement de l’enseignant un « métier du futur ».
Au-delà de ces considérations que nous pouvons largement partager, nous
retiendrons encore au niveau des balises importantes :
• Le contexte de pénurie relative dans certaines fonctions enseignantes
aujourd’hui. Déjà évoqué ci-dessus, le fait d’allonger les études
supérieures ne risque-t-il pas de créer un « gap » d’une ou deux années
durant lesquels presque plus aucun jeune enseignant ne sortira diplômé de
la formation initiale ? C’est un des premiers arguments qui est opposé au
projet d’allongement des études. Toutefois, dans plusieurs pays européens
ayant opté pour le système de cinq ans ou plus, le risque de pénurie
d'enseignants semble avoir été compensé par une plus grande attractivité
de la fonction justement liée au nombre d'années d'études et au niveau
« master » de celles-ci (accès direct aux emplois de « niveau 1 » et
assimilés, reconnaissance socioprofessionnelle plus affirmée, barèmes plus
avantageux, meilleure préparation au métier via une maîtrise des
compétences et des connaissances nécessaires, etc.).
• Le fait que l’augmentation du nombre d’années d’études rendrait cette
formation plus coûteuse et/ou moins accessible à des jeunes issus de
milieux modestes. Autre argument parfois avancé et ce, plus que
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certainement à juste titre. Mais dans le même temps, on doit alors
également s’interroger sur cette hypothèse de vouloir préserver une
ascension sociale de quelques-uns plutôt que soutenir le projet de
renforcer l’émancipation sociale de tous. Il faut surtout veiller à préserver
la possibilité pour les publics les plus démunis, de réaliser des études
supérieures dans les meilleures conditions. On notera d’ailleurs que,
malgré les répercussions de la crise économique mondiale de 2008 sur les
finances publiques, différentes mesures d’importance ont encore été prises
récemment pour poursuivre dans le sens de la démocratisation des études
supérieures et de leur accès au plus grand nombre : gratuité du minerval
et des droits d’inscription pour les étudiants boursiers (1 étudiant sur 6 au
total) – ce qui place la Fédération Wallonie-Bruxelles parmi les systèmes
éducatifs les plus progressistes en la matière –, réduction du minerval
pour les étudiants de condition modeste, non-indexation du minerval
jusque 2015 au moins pour tous les étudiants, poursuite de l’amplification
des allocations et bourses d’études, etc.
• L’articulation entre universités, hautes écoles, écoles supérieures des arts
et enseignement de promotion sociale : un cursus de type long n'implique
pas nécessairement qu'il soit en tout ou en partie « universitaire », ni qu’il
demeure (presque) totalement « non universitaire ». Si la formation
initiale des enseignants doit privilégier l’expérience pratique sur le terrain
en lien avec des enseignements théoriques de haut niveau, il va de soi que
les hautes écoles, les écoles supérieures des arts et l’enseignement de
promotion sociale disposent d’une longue expérience et d’une forte
expertise en la matière alors que les universités permettent d’apporter des
dimensions nouvelles de type « recherche et développement »,
« innovation », « troisième cycle et école doctorale », « lien entre savoirs
à enseigner et savoirs pour enseigner »36, etc. Qu’elles travaillent
ensemble sera donc certainement une condition de réussite sine qua non.
• L’articulation entre la formation initiale et la formation continuée des
enseignants, on l’a évoqué en détails ci-dessus.
• Le coût financier de l’opération pour le budget de la Fédération WallonieBruxelles. Sans omettre le « retour sur investissement » et le rendement
qu’une telle dépense pourrait provoquer en matière de qualité de
l’enseignement et, in fine, de réduction de l’échec et de l’abandon scolaire
– l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE)
évalue le facteur de rendement des dépenses publiques dans
l’enseignement supérieur en Belgique comme étant supérieur à 15 pour 137
– on tourne à l’horizon « t + 40ans » autour d’un coût supplémentaire en
base annuelle de l’ordre de cinq cent millions d’euros supplémentaires, la
quasi-totalité de cette somme étant nécessaire à l’augmentation
barémique qui suivrait l’allongement des études supérieures pour les
futurs enseignants des niveaux préprimaire, primaire et d’une partie du
secondaire.
36
ETIENNE (Richard), ALTET (Margueritte), LESSARD (Claude), PAQUAY (Léopold), PERRENOUD (Philippe),
L’université peut-elle vraiment former les enseignants ?, Bruxelles, De Boeck, 2009.
37
OCDE, Regard sur l’éducation 2010. Les indicateurs de l’OCDE, Paris, OCDE, 2010.
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Il s’agit évidemment de coûts très importants mais qui ne se développeront que
petit à petit (à échéance quarante ans donc) et qui devraient se révéler
particulièrement profitable à la lutte contre certains des maux les plus onéreux
de notre système éducatif, on pense évidemment en priorité aux taux record de
redoublement et de décrochage scolaire et à l’abandon précoce du métier par de
nombreux (jeunes) enseignants.
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