Mille grues de papier Chantal Dupuy
Transcription
Mille grues de papier Chantal Dupuy
Chantal Dupuy-Dunier Mille grues de papier Flammarion, 2014 (collection poésie) Quelques mots sur l’auteur : Poétesse née en Arles le 28 novembre 1949. Vit à ClermontFerrand après avoir habité pendant dix ans le petit village de Cronce, dans la Haute-Loire. Crée des spectacles de poésie avec des musiciens. Elle a été invitée à Saint-Louis du Sénégal pour la Fête internationale du Livre en décembre 2010 et à Mayotte pour le premier Printemps des Poètes en 2011. http://www.recoursaupoeme.fr/critiques/mille-grues-de-papier-dechantal-dupuy-dunier/gwen-garnier-duguy Quelques mots sur le livre : l’histoire de Sadako, élément déclencheur du recueil de poèmes mise en résonance avec le propre vécu de l’auteur. Le 6 août 1945 à 8 h 15 du matin, la première bombe atomique explosa environ 580 mètres au-dessus du centre ville d'Hiroshima au Japon. En l'espace de quelques secondes, la ville fut réduite à l'état de décombres au milieu d'une terre brûlée. 70 000 personnes furent tuées ce jour-là. Sadako avait alors deux ans et se trouvait à deux kilomètres du lieu de l'explosion. Alors que la plupart de ses voisins furent tués, elle ne fut pas blessée ou ne sembla pas l'être.Jusqu'en 1954, elle ressemblait à une petite fille normale et joyeuse. Bonne élève, elle passa une enfance sans problème majeur, grandit normalement et se lança dans la course à pied de compétition. Cependant, en 1954, après un relais où elle avait contribué à la victoire de son équipe, elle se sentit extrêmement faible et commença à défaillir. Les vertiges passant, Sadako pensa qu'ils n'étaient causés que par la fatigue, mais ce n'était pas le cas. Dès lors de plus en plus d'alertes se produisirent. Plus tard ses vertiges furent tels qu'elle tomba et ne put se relever. Ses camarades de classe appelèrent l'institutrice qui contacta ses parents. Ces derniers l'emmenèrent à l'hôpital de la Croix-Rouge où fut diagnostiquée une leucémie (une forme de cancer des cellules sanguines), autrement dit le « mal de la bombe atomique » auquel peu survivaient à cette époque. Le mémorial Sadako Sasaki à Hiroshima. La meilleure amie de Sadako, Chizuko, lui raconta l'ancienne légende japonaise des 1000 grues et lui apporta un origami. Selon celle-ci, quiconque confectionne mille grues en origami voit un vœu exaucé. Sadako s'attela dès lors à la tâche, espérant que les dieux, une fois les mille grues pliées, lui permettraient de guérir et de recommencer la course à pied. La famille de Sadako s'inquiéta à son propos et vint souvent lui rendre visite à l'hôpital et l'aider à faire les origamis. Après qu'elle eut plié 500 grues, elle se sentit mieux et les médecins dirent qu'elle pouvait rentrer chez elle pour quelque temps, mais après moins d'une semaine elle se sentit de nouveau mal et dut retourner à l'hôpital. Elle confectionna au total 644 grues de papier. Elle mourut le 25 octobre 1955 à l'âge de douze ans. Elle avait plié ses grues avec tout le papier qu'elle pouvait trouver, y compris des étiquettes de ses flacons de médicament. L'histoire de Sadako eut un profond impact sur ses amis et sa classe. Ils finirent de plier les 1000 grues et continuèrent cette activité afin de collecter de l'argent en provenance des écoles japonaises pour construire une statue en l'honneur de Sadako et de tous les enfants frappés par la bombe. Collégiens japonais offrant leurs grues au mémorial de Sadako. Aujourd'hui, une statue à la mémoire de Sadako, placée sur un piédestal en granite et tenant une grue en or dans ses bras ouverts, se dresse dans le Parc de la Paix d'Hiroshima avec à sa base cette inscription : Ceci est notre cri. Ceci est notre prière. Pour construire la paix dans le monde Tous les ans, des enfants du monde entier plient des grues et les envoient à Hiroshima. Les origamis sont disposés autour de la statue. Grâce à Sadako, la grue en papier est devenue un symbole international de la Paix Pistes de lecture avec les élèves : Toutefois ces pages ne sont pas empreintes de désespoir, elles sont autant de petits cailloux souvenirs collectionnés et retirés d’un journal intime. La mémoire a fait son travail, le temps aussi, qui accorde aux douleurs vives un peu de douceur à défaut de consolation. Je ne sais comment des lycéens peuvent à leur moment de vie sentir cette sédimentation mais ils seront sensibles à la simplicité des mots, aux images conservées, à l’histoire en regard de cette jeune Sadako Sasaki. Les formes courtes que l’on peut méditer, se redire comme un jeu pour ressusciter les moments perdus, l’ intime dévoilé avec pudeur, tout cela aussi peut les toucher. Dans leur forme, les poèmes sont simples, du côté du vers libre. Ils forment come autant de scènes rapides, photographies d’enfance, lieux familiers, évocation de proches, de lieux familiers, des saisons, de la nature, de la ville, d’un père perdu… On peut toutefois s’amuser à repérer des fils, des mots, des images qui rattachent de façon subtile vers le Japon. Avec des jeunes explorer l’idée du vœu, du défi lancé à soi-même. Quel vœu ont-ils déjà fait, quelle ligne de conduite se sont-ils déjà imposer pour qu’un vœu se réalise ? Cf ses petites choses au quotidien : ne pas marcher sur les lignes…prendre que les trottoirs côté pairs etc… Cf les défis côté art et littérature : Un poème par jour pour Jacques Jouet : il tient depuis 22 ans ! Cf Du Juor chez POL Cf Roman Opalka : peindre des chiffres : http://www.opalka1965.com/fr/index_fr.php Cf les jeûnes etc… Réflexion possible aussi sur le sens de l’acte poétique : -cette jeune fille de 14 ans a par son acte de pliage fait un geste gratuit et qui pourtant la dépassée, elle a aussi sans doute sans le savoir dépasser sa propre finitude. Fiche de lecture réalisée par Valérie Rouxel et Nathalie Mansuy-Todeschini de la Médiathèque départementale de Seine-et-Marne [note de lecture] Chantal Dupuy-Dunier, "Mille grues de papier", par le poète Antoine Emaz « Pour ne pas mourir,/une fillette plie des grues en papier »(p.37). Le texte liminaire est plus explicite : il s’agit de Sadako Sasaki, jeune fille atteinte de leucémie après Hiroshima, et qui voulut, selon le proverbe japonais, plier mille grues de papier pour que son vœu soit exaucé : « continuer à vivre ».Elle ne put dépasser les 644 origamis. Sur ce modèle, qui lui donnait comme un cadre, C. Dupuy-Dunier a écrit 644 poèmes. Pour des raisons pratiques, ce volume n’en contient qu’environ la moitié, mais en conservant la numérotation originale, donc l’ordre d’écriture, ce qui permet au lecteur de voir des séries ou des récurrences. Le fil rouge de départ est rappelé au long du livre, toutes les dix pages environ : « Sadako a ramassé une chute de tissu. /Elle plie une grue. (p.56), « C’est une feuille morte/que Sadako a plié cette fois,/grue aux ailes rognées. » (p.64), « Sadako plie un oiseau dans une page du livre. » (p.78), « Sadako plie une grue / dans l’aile diaphane d’un oiseau mort. » (p.104)… Mais si la jeune fille reste présente, il ne faudrait pas penser que ce livre lui est consacré, ni envisager cette poésie comme d’une certaine façon japonisante, même si l’économie de certains poèmes peut faire penser au haïku. Idem pour la « grue » : le mot renvoie le plus souvent à l’oiseau, mais il peut aussi se déplier en grue de chantier : « Une grue est venue / démonter la forêt métallique des grues/devant nos fenêtres.(…)//Demeure le bâtiment gris du nouvel hôpital/sous les nuages gris,/dans la ville grise. » (p.67) Ou bien encore « grues »peut désigner les prostituées qui passent et repassent « sous les lanternes rouges / dans la nuit poisseuse » (p.324). On pourrait aussi établir une relation entre la maladie et la mort de Sadako et le cancer possible de l’auteure (p.266) ou la mort de son père (pp.155, 245…).Mais l’essentiel me semble être dans le geste même de plier/replier/déplier, en quoi consiste tout l’art de l’origami. Il y a dans ce geste de plier le désir de ranger de façon ordonnée ou harmonieuse, mais aussi le désir de se détacher, d’en finir, comme quand on dit « l’affaire est pliée ». Dans ce livre, C. Dupuy-Dunier « plie » son passé en mots. D’où l’abondance des souvenirs d’enfance : l’album d’enfance (p.178), le voyage linguistique en Allemagne (p.234), les villages de Bonnieux ou d’Encreux (p.228…), la maison d’enfance (p.201), le jeu des « petits chevaux » (p.110), la chasse aux papillons (p.146)… Plier pour conserver ce passé lointain, devenu fragile : « À travers la serrure, /l’enfance devient petite,/dessin encore animé/dont le mouvement se ralentit/avec un bruit de vieille bobine. » (p.154) Mais ce peut être aussi un passé plus proche, et plus douloureux : la mort du père (p.157), celle de « Zozo » (p.273), la vieillesse de la mère seule (p.245), ou la retraite pour l’auteure : « Un à un, /mes amis ont pris leur retraite./Mon tour vient./ En quelques jours, je trie quarante années de travail,/déchire,/emplit des sacs-poubelles,/ range,/ rapporte mes tableaux, quelques bibelots. » (p.257) S’il y a bien du pathétique, il est vu au travers du prisme du quotidien, il n’est pas théâtralisé. Et en cela, il touche juste. De même pour l’écriture : elle est toujours brève et en vers libres ; elle peut prendre des formes variées, voire originales, mais demeure toujours simple, immédiatement lisible. Un peu comme s’il s’agissait moins, en poésie, de surprendre ou dérouter, que de partager et de rejoindre. Ce peut être, aussi, un beau projet.