Remerciements Dankwoord - Theses and placement reports Faculty

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Remerciements Dankwoord - Theses and placement reports Faculty
Remerciements
Je voudrais d’abord remercier énormément mes parents et ma famille qui m’ont toujours
supporté pendant que j’ai rédigé ce memoire et lorsque j’ai fait mes études. Même dans des
périodes difficiles, ils m’ont toujours été d’un grand soutien.
Je remercie également tous mes amis qui ont été très importants durant mes études. C’est
grâce à eux que mes années d’études ont été formidables. Ce n’était pas toujours facile, mais
j’ai toujours trouvé un appui extraordinaire auprès de ces personnes.
De plus, je voudrais encore remercier spécialement ma directrice du mémoire Brigitte
Kampers-Manhe et mon deuxième superviseur Reineke Bok-Bennema. Cela a pris longtemps
pour terminer mes études, mais elles étaient toujours là pour m’inspirer et m’inciter à
continuer. Je vous suis très reconnaissant de tout ce que vous avez fait pour moi, au niveau
des études ainsi qu’au niveau personnel. Vous m’avez toujours écouté et les portes n’étaient
jamais fermées. Dans ce cadre, je voudrais remercier encore d’autres professeurs qui ont été
importants durant mes études : A. Roué, J. van Os, J. den Toonder et J. Lintvelt.
Dankwoord
Allereerst wil ik mijn ouders en mijn familie bedanken voor alle steun die ik heb ontvangen
tijdens mijn leven en mijn studie, voornamelijk in de moeilijke periodes heb ik erg veel steun
aan ze gehad en ze hebben mede bijgedragen aan het afronden van mijn studie.
Ook wil ik graag mijn vriendengroep bedanken die erg belangrijk was tijdens mijn studie. Het
is dankzij hen dat mijn studietijd zo fantastisch was. Er waren ook moeilijke momenten, maar
door hun bijzondere steun sleepten ze me er altijd weer doorheen.
Speciale dank gaat ook uit naar mijn scriptiebegeleidster Brigitte Kampers-Manhe en mijn
tweede lezer en docente Reineke Bok-Bennema. Het heeft behoorlijke tijd geduurd alvorens
ik mijn studie heb afgerond, maar zij wisten mij altijd te inspireren om door te gaan. Ik ben ze
zeer dankbaar voor al het werk dat ze voor mij verzet hebben tijdens het afronden van mijn
studie, maar ook wanneer ik er persoonlijk doorheen zat kon ik bij ze terecht. Ook bedank ik
een aantal docenten die belangrijk voor me waren tijdens mijn studie: A. Roué, J. van Os, J.
den Toonder en J. Lintvelt.
1
Index
1. Introduction générale
p.4
2. La morphologie générative
p.6
2.0
2.1
Introduction
La morphologie
2.1.1
2.1.2
2.1.3
2.2
La morphologie générative
2.2.1
2.2.2
2.3
Les règles morphologiques génératives
La Règle de la Tête à Droite
La différence entre les langues germaniques et les langues romanes
2.3.1
2.3.2
2.4
L’affixation
La flexion
La composition
A la recherche d’une explication argumentée des différences
Le modèle de Bok-Bennema & Kampers-Manhe (2000)
Conclusion
3. Les préfixes, les prépositions et les préfixoïdes
3.0
3.1
Introduction
Les préfixes
3.1.1
3.1.2
3.2
3.3
3.4
p. 9
p.10
p.12
p.14
p.14
p.16
p.20
p.20
p.23
p.30
p.32
p.32
p.32
Les préfixes en général
Les caractéristiques des préfixes
p.33
p.35
Les prépositions dans les mots composés
Les préfixoïdes
Conclusion
p.42
p.50
p.52
4. Un morphème complexe : anti4.0
4.1
4.2
p. 6
p. 7
Introduction
Synthèse des articles
Les différentes interprétations d’anti4.2.1
4.2.2
L’interprétation d’antihéros
L’interprétation d’antichar et d’antiparlementaire
4.2.2.1
4.2.2.2
L’analyse de Durand (1982)
Le Principe de Copie
p.54
p.54
p.55
p.58
p.58
p.59
p.62
p.71
2
4.2.3
4.2.4
4.3
L’interprétation d’antifrançais
Les cas d’homonymie dans les mots en anti-
Conclusion
5. Le statut d’anti5.0
5.1
Introduction
Le statut d’anti5.1.1
5.1.2
Le statut d’anti- dans antihéros, antimatière (I1)
Le statut d’anti- dans antichar, antirides et
antigrippal, antiparlementaire, antiovulatoire, antidérapant,
antidépresseur (I2)
5.1.2.1
5.1.2.2
5.1.3
5.2
Les mots comme antichar, antirides
Les adjectifs en anti- comme antigrippal,
antiparlementaire et antidérapant,
antiovulatoire, antidépresseur
Le statut d’anti- dans les mots comme antisocial, antimoral
La structure des différents mots en anti5.2.1
La structure des mots comme antihéros, antimatière et
antifrançais
5.2.2
5.2.3
La structure des mots comme antirides et antichar
La structure des mots comme antiparlementaire,
antidérapant, antiovulatoire
p.77
p.79
p.81
p.83
p.83
p.84
p.85
p.90
p.91
p.100
p.107
p.110
p.110
p.111
p.118
5.3
Les mots en anti- en néerlandais
5.3.1
5.3.2
5.3.3
5.4
Les mots en anti- néerlandais ayant le sens I1
Les mots en anti- néerlandais ayant le sens I3
Les mots en anti- néerlandais ayant le sens I2
Conclusion
p.126
p.126
p.127
p.129
p.135
6. Conclusion générale
p.137
7. Bibliographie
p.140
3
1. Introduction générale.
Dans cette étude, nous avons pour but d’analyser le morphème complexe anti-. Aujourd’hui,
nous trouvons de nombreux néologismes dans lesquels le morphème anti- figure, mais il y a
également certains mots en anti- qui existent déjà depuis très longtemps en français. Sans
vouloir fournir toute une étude étymologique, il est pourtant intéressant de voir dans quels
mots ces dérivés en anti- trouvent leurs origines. Le morphème anti- dont nous allons discuter
dans cet article est celui qui est dérivé de la préposition grecque ancienne άντι. A l’époque,
cette préposition fonctionnait déjà comme une sorte de préfixe en se combinant avec des
verbes et des noms déverbaux (Marchand (1969)) Le latin a également adopté anti- dans
certaines combinaisons comme Anticaton de Jules César, qui est un livre qui s’oppose au livre
de Caton. Même dans la Bible, nous trouvons le mot grec anti-christos ( 1 Jean 2,18) ce qui
explique qu’en latin on trouve Anti-Christus, ‘le rival de Christ’. Un des premiers dérivés en
anti- attesté en français est antipape (1390). Pour une étude diachronique intéressante
concernant les dérivés en anti-, nous renvoyons à l’étude de Rey (1968).
Selon de nombreux ouvrages et dictionnaires d’aujourd’hui, anti- est un élément qui intervient
comme préfixe qui a une valeur nette d’opposition. La question essentielle de cette étude est
de savoir comment il faut classifier le morphème anti-. Ce morphème est souvent considéré
comme un préfixe, mais il y a pourtant des linguistes qui sont d’avis que c’est une
préposition. Dans cet article, nous allons attribuer un statut au morphème anti- ou aux
morphèmes anti-, parce que il s’avère qu’il y a différentes sortes d’anti-. De plus, nous allons
donner les structures des dérivés en anti- et nous le ferons dans le cadre théorique établi par
Bok-Bennema & Kampers-Manhe (2000).
Nous discuterons dans le premier chapitre de la morphologie en général et nous parlerons en
détail de La Règle de la Tête à Droite (RHR) proposée par Williams (1981). Nous traiterons
des études qui ont critiqué cette hypothèse de Williams comme étant trop rigide, à savoir,
parmi d’autres, celle de Selkirk (1982) et de Lieber (1992). Les articles de ces linguistes ont
considérablement influencé la conception de la morphologie en stipulant que les règles
valables pour la composante syntaxique sont aussi applicables à la composante
morphologique. Bok-Bennema & Kampers-Manhe (2000) soutiennent également cette
hypothèse et elles suivent le modèle syntaxique présenté par Kayne (1995). Elles proposent
une approche de la morphologie qui permet de rendre compte de la position différente de la
tête dans les composés romans et germaniques et les auteurs ramènent cette divergence à une
4
distinction fondamentale entre les deux types de langue, qui concerne l’unité de base en
matière de composition. Ce modèle est essentiel pour l’analyse des mots en anti-.
Ayant établi en détail notre cadre théorique, nous allons analyser les propriétés des préfixes
dans les dérivés et celles des prépositions et des préfixoïdes dans les composés dans le
chapitre 2. Ceci est nécessaire pour bien pouvoir caractériser le statut du morphème anti-.
Dans le troisième chapitre, nous parlerons des mots qui contiennent anti- et nous traiterons
des théories proposées par d’autres linguistes comme Durand (1982) et Corbin (1987) pour
rendre compte de la formation des mots en anti-. Nous soulignerons les problèmes que les
dérivés en anti- ont posés pour eux dans le passé. Ceci dit, nous exposerons dans le chapitre
final nos propres vues sur la question de savoir quel statut il faut attribuer à anti-. Ensuite,
nous nous servirons de notre cadre théorique pour donner les structures de ces mots
complexes en anti-. Dans le dernier paragraphe de ce dernier chapitre, nous consacrerons
encore quelques mots aux mots dérivés en anti- en néerlandais, une langue germanique. Dans
cette langue, il n’y a jamais eu beaucoup de discussion concernant les mots en anti-. Nous
allons voir si les conclusions que nous avons tirées pour le français concernant la formation de
ces mots, sont valables en néerlandais également.
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La morphologie générative
2.0 Introduction
Dans ce chapitre, nous allons donner le cadre théorique dans lequel nous faisons notre
recherche concernant le statut d’anti-. La question essentielle de cette étude est de savoir
comment il faut classifier le morphème anti-. Le cadre théorique général de ce mémoire est
celui de la morphologie générative. De plus, nous nous servons de nombreux autres ouvrages
dans lesquels sont présentés des modèles morphologiques importants pour notre analyse.
Dans le premier paragraphe, nous allons introduire brièvement ce que c’est que la
morphologie et nous donnerons une esquisse des développements qui ont eu lieu dans l’étude
de la formation des mots. Nous parlerons de l’affixation, de la complémentation et de la
flexion pour donner une vue générale sur la formation des mots.
Dans le deuxième paragraphe, nous allons discuter des théories morphologiques génératives
concernant la formation des mots. Nous parlerons des règles morphologiques formulées par
Aronoff (1976) et de la fameuse Right-Hand Head Rule (RHR) ‘Règle de la Tête à Droite’,
formulée par Williams (1981) qui avait pour but de déterminer la position de la tête dans des
mots composés de plusieurs morphèmes. Ensuite, nous discuterons des inconvénients de cette
règle par rapport à la composition dans les langues romanes.
Dans le troisième paragraphe, dans la première section, nous donnerons, en nous référant à
Selkirk (1982), un survol des théories qui ont été à la recherche d’une explication pour la
différence entre la position de la tête des composés dans les langues germaniques et dans les
langues romanes en mentionnant les ‘Licensing Conditions’, ‘Conditions de légitimation’ de
Lieber (1992).
Puis, nous mentionnerons de façon plus profonde le modèle intéressant, présenté par BokBennema et Kampers-Manhe (2001), qui explique le fait que dans la composition romane la
tête des mots composés se trouve à gauche. Les composés romans posent des problèmes pour
la théorie de la syntaxe des mots existants, mais dans l’étude de Bok-Bennema et KampersManhe, les deux auteurs proposent un cadre théorique qui explique bien ces problèmes et qui
donne une réponse justifiée à la question de savoir pour quelle raison les mots composés dans
les langues romanes ont leur tête à gauche. Nous allons voir qu’il y a également des composés
romans qui ont leur tête à droite, à savoir les composés qui contiennent des préfixoïdes, et qui
forment ainsi une exception par rapport aux autres composés romans qui ont tous la tête à
gauche. Le modèle de Bok-Bennema et Kampers-Manhe fournit également une solution pour
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cette question. Dans la dernière section de ce paragraphe, nous discuterons des structures,
présentées dans l’étude de Bok-Bennema & Kampers-Manhe, qui sont intéressantes pour
l’analyse du morphème anti-.
2.1 La morphologie
Lorsque l’on lit les journaux, les magazines ou même parfois lorsque l’on joue au scrabble ou
à un autre jeu où il faut former des mots, on trouve souvent des mots qui sont nouveaux. Bien
que ces mots ne figurent pas dans le dictionnaire, on sait si ces mots sont possibles ou non. On
n’a donc pas besoin d’un dictionnaire pour créer des mots et notre sentiment de la langue nous
permet de savoir si ces mots nouvellement créés sont corrects ou non. Il faut donc que les
locuteurs d’une langue possèdent un système dans leur cerveau qui fait qu’ils peuvent créer
des mots. En français, par exemple, on ressent immédiatement que le mot eurgrand n’est pas
bien formé, mais que le mot grandeur est tout à fait correct. L’ordre à l’intérieur du mot
eurgrand n’est donc pas un ordre qui est correct en français, parce que la partie –eur doit
suivre la partie grand- et non pas la précéder. C’est pour cette raison que l’on trouve
également des mots comme hauteur au lieu de eurhaut. Bien que le mot n’existe pas en
français, on pourrait suggérer que le mot petiteur devrait être possible en français parce que ce
mot a exactement la même structure que hauteur et grandeur, mais ce n’est simplement pas
utilisé en français. Le mot eurpetit, par contre, serait tout de suite rejeté par les francophones
comme un mot qui ne peut jamais exister en français. Il apparaît donc que la formation des
mots suit des règles spécifiques. L’étude de ces règles et la connaissance (inconsciente) que
les humains ont de ces mots, est l’étude de la morphologie.
La morphologie s’occupe donc des règles de formation des mots et son but est de donner une
caractérisation explicite et finie de tous les mots possibles d’une langue de sorte que l’on
puisse faire une caractérisation de la capacité de former de nouveaux mots par les locuteurs
natifs. Cette caractérisation doit donc comprendre uniquement les mots qui sont acceptés
comme corrects par les locuteurs natifs. C’est ce que l’on appelle l’adéquation
observationelle. De plus, les linguistes exigent qu’une telle caractérisation soit
descriptivement adéquate, ce qui signifie qu’une grammaire doit donner une description de la
connaissance systématique qu’ont les locuteurs par rapport à la construction des mots ce qui
s’exprime dans les intuitions concernant leur grammaticalité et leur ambiguïté etc. (Don, E.A.
et al. (1994 : 18)). Comme nous l’avons vu ci-dessus, le mot non-attesté petiteur pourrait être
7
considéré par les francophones comme un mot qui est bien formé et comme un mot possible
du français. De plus, ils savent tous que ce mot à un rapport avec l’adjectif petit. Une
morphologie qui ne rend pas compte de cette question, n’est pas descriptivement adéquate.
Une autre exigence, surtout mentionnée par les linguistes générativistes, est celle qui consiste
à dire que la caractérisation morphologique d’une langue est explicativement adéquate, ce qui
réfère a l’intention de ce groupe de linguistes de répondre à la question de savoir pour quelle
raison il est possible que les enfants apprennent leur langue maternelle si vite et cela sans
instruction explicite et avec des données incomplètes. Une grammaire qui répond à ce dernier
critère, et qui suit donc la Grammaire Universelle, est considérée comme explicativement
adéquate. Avant de parler plus en détail de la morphologie générative, il faut donner quelques
caractéristiques générales de ce champ d’études. D’abord, il faut savoir la frontière entre la
morphologie, l’étude qui s’occupe des mots, et le domaine linguistique concernant les
éléments plus petits que les mots, à savoir les sons (la phonologie), et celle entre la
morphologie et la syntaxe, l’étude qui analyse la formation des phrases, des éléments plus
grands que les mots. La phonologie concerne la construction des sons et bien qu’il y ait de
l’interaction avec la morphologie, ce sont les règles phonologiques qui expliquent pour quelle
raison un mot comme mngaeable n’est pas correct. Les locuteurs français considèrent un tel
mot comme agrammatical parce que dans les mots simples il n’y a pas un mot qui connaît la
combinaison mng . On explique donc que ce mot est incorrect par des règles phonologiques et
non pas par des règles morphologiques. Par contre, un mot comme ablemange est incorrect
parce que la règle morphologique qui dit qu’un élément comme –able doit suivre la racine et
non pas la précéder, n’est pas respectée. D’une part, la morphologie est donc délimitée par la
phonologie, de l’autre, par la syntaxe, le domaine qui concerne la construction des phrases.
Prenons pour exemple les phrases suivantes (2.1) :
(2.1)
a. Marie regarde les photos avec les enfants
b. Avec les enfants, Marie regarde les photos.
Dans cet exemple, la phrase (a) peut être ambigue, tandis que la phrase (b) ne l’est pas. La
première phrase peut signifier : Marie regarde [ les photos] [ avec les enfants] ou bien Marie
regarde [les photos avec les enfants]. Dans la première phrase, on exprime une activité (
regarder les photos) que Marie fait ensemble avec les enfants, mais dans la deuxième phrase,
Marie ( toute seule) regarde les photos sur lesquelles sont les enfants. Nous comprenons que
lorsque le constituant Avec les enfants est situé devant, il ne peut plus faire partie du
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constituant plus grand Les photos avec les enfants. La syntaxe ne décrit pas l’ordre des
morphèmes, mais les possibilités de l’ordre des mots dans une partie de phrase ou une phrase
en entier. Maintenant que l’on a délimité le domaine de la morphologie, nous pouvons faire
une distinction à l’intérieur des processus de formation des mots. Nous pouvons observer trois
types de formation des mots, à savoir l’affixation, la flexion et la composition.
2.1.1 L’affixation
Par affixation, on entend la concaténation d’un affixe à une base. Dans l’exemple mentionné
ci-dessus, à savoir grand-eur, on pourrait dire que ce mot est dérivé de la base adjectivale
grand en ajoutant l’affixe –eur à la fin. L’affixe –eur est un élément qu’on ne trouve pas tout
seul dans une phrase, mais il doit être attaché à une base. Regardons les exemples suivants
(2.2) :
(2.2)
pomme
pomm- ier
poire
poir-ier
grand
grand- eur
haut
haut-eur
klein
klein-er
klein-heid
ver-klein
‘petit’
‘plus petit’
* ‘petiteur’
‘diminuer’
groot
groot- er
groot-heid
ver-groot
‘grand’
‘plus grand’
‘grandeur’
‘agrandir’
globaliste
anti-globaliste
1
voir
re-voir
faire
dé-faire
grand-ir
(néerlandais)
(néerlandais)
Quand on regarde les exemples, on voit que parfois l’affixe s’attache à droite de la base
(pommier, grandeur, grootheid) et parfois à gauche de la base. Un affixe s’attache toujours
du même côté de sa base ( poir-ier, pomm-ier et non pas ier-poire et ier-pomme). Les affixes
qui s’attachent à gauche de la base, qui donc précèdent la base, sont des préfixes et ceux qui
1
Nous avons classifié anti- ici comme un préfixe, mais c’est juste pour donner un exemple pour montrer que les
mots dérivés qui sont formés avec anti- sont souvent considérés comme des mots préfixés. Je reviens sur cette
question dans les chapitres suivants, mais pour le moment, je suis le point de vue général qui classifie anticomme un préfixe.
9
s’attachent à droite de leur base, qui suivent donc leur base, sont des suffixes. Pour répondre à
la question de recherche, il est important d’analyser les effets causés par l’ajout des affixes
aux mots. Premièrement, l’ajout d’un affixe peut changer la catégorie de la base. L’adjectif
groot en néerlandais devient un nom quand on ajoute le suffixe –heid.. En néerlandais, on
peut même trouver un préfixe qui fait des verbes à partir d’un adjectif. L’ajout du préfixe verà l’adjectif groot, fait que la catégorie change parce que le mot ver-groot appartient à la
catégorie des verbes. Un deuxième changement qui a lieu est que le sens est changé par
l’affixation. Groter veut dire autre chose que groot, et faire ne veut pas dire la même chose
que défaire. Le préfixe ver- change le sens des adjectifs en ‘devenir plus A’. Troisièmement,
la forme phonologique du mot de base peut changer, comme on peut le voir dans les mots
haut et hauteur. Dans haut on ne prononce pas le /t/ final, mais dans hauteur le suffixe –eur
nous force a prononcer le /t/. Quand on analyse les affixes, on peut constater qu’il y a certains
affixes qui forment des noms, certains d’autres qui forment des verbes, des adjectifs ou des
adverbes (-ment p.e.). Les affixes ne s’attachent pas seulement aux mots inarticulés comme
groot, mais ils s’attachent bien également aux formes qui sont déjà affixées comme le montre
l’exemple suivant en néerlandais (2.3) :
(2.3)
werk
ver-werk
ver-werk-baar
‘travailler’
‘transformer’ ‘qui peut être transformé’
ver-werk-baar-heid
‘le fait de pouvoir
être transformé’
Jusqu’ici, nous avons parlé de l’affixation, ce qu’on peut résumer comme étant la
concaténation d’un affixe à une base. Dans le chapitre suivant, nous présenterons en détail
spécialement les caractéristiques des préfixes, parce que cela est nécessaire quand on veut
analyser le morphème anti-, qui est souvent considéré comme un préfixe. Pour donner une
vue complète de la morphologie, il faut d’abord donner une image de l’autre type de
formation des mots, à savoir la composition.
2.1.2 La flexion
Jusqu’ici, tous les exemples d’affixation que nous avons vus sont des exemples de dérivation.
En français, la dérivation est un processus qui fait que l’on crée de nouveaux mots par la
concaténation d’un autre mot et d’un affixe (affixation). La dérivation change la forme
phonétique, le sens et la catégorie. Par contre, l’(in-)flexion est un processus d’affixation qui
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n’a pas comme produit un nouveau mot, mais plutôt une nouvelle forme d’un mot existant
(Don, E.A. et al. (1994 : 18)). La flexion change donc la forme du mot, mais non pas le sens
ou la catégorie. De plus, les possibilités d’utiliser un tel mot en syntaxe sont changées. Nous
voyons ce processus par exemple dans la conjugaison des verbes. Comparons le processus
dérivationnel de l’affixation par l’intermédiaire du suffixe –eur et le processus flexionnel de
l’affixation en –ons (2.4) :
(2.4) (a)
grand-eur
(b)
parl-ons
haut-eur
souffl-ons
splend-eur
habit-ons
Par l’ajout du suffixe flexionnel –ons aux racines parl-, souffl- et habit-, on crée des formes
de ces verbes qui peuvent être utilisés uniquement à la première personne, pluriel, indicatif,
présent. Cette forme fléchie ne peut donc être utilisée que dans certaines fonctions
syntaxiques spécifiques. Si nous voulons utiliser un verbe dans une phrase, il faut employer la
forme fléchie correcte. C’est le contexte syntaxique qui détermine quelle forme est celle qu’il
faut. Ceci est montré dans les exemples sous (2.5) :
(2.5)
a.
# Vous parlons du match de foot entre la France et l’Italie.
b.
Nous parlons de ce qui s’est passé avec Marie.
c.
Nous parlons du film que l’on a vu hier
Ces exemples montrent bien qu’il n’y a pas vraiment un changement de sens, tandis que le
produit d’un processus dérivationnel a vraiment un autre sens : Grand est différent de
grandeur.
En français, il n’y a pas d’exemples de différentes formes de noms singuliers comme en latin
(2.6) :
(2.6)
Latin : hortus ‘jardin’
nom. hortus
gén.
horti
dat.
horto
acc.
hortum
abl.
horto
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Par contre, le français connaît, à côté de la flexion des verbes, également la flexion des
adjectifs, comme ce qui est montré par un pantalon vert vs. une plante verte, dans lequel la
flexion, la partie soulignée, est utilisée pour déterminer si l’adjectif qualifie un nom masculin
ou un nom féminin. Il y a encore d’autres différences qui distinguent la dérivation de la
flexion, mais il n’est pas le but de ce mémoire d’en parler en détail. Nous pouvons maintenant
donner une meilleure définition de la racine : la racine d’un mot est un mot sans affixes
flexionnels et sans d’autres mots qui fonctionnent comme modificateurs. Cette notion joue un
rôle important dans la théorie de Bok-Bennema et Kampers-Manhe (2000). Ayant donné une
définition générale de la morphologie, nous allons nous concentrer maintenant sur les articles
qui ont été rédigés dans le cadre de la morphologie générative, dont nous avons brièvement
parlé ci-dessus.
2.1.3 La composition
Quand on considère l’affixation comme étant la concaténation d’un affixe à une base, on peut
décrire la composition comme la concaténation de deux mots ou morphèmes libres, ce que
l’on peut voir dans les exemples suivants (2.7) :
(2.7)
(a)
NN
homme (N)
grenouille (N)
homme-grenouille(N)
sac (N)
poubelle (N)
sac-poubelle (N)
woorden (N)
boek (N)
woordenboek (N) (néerl.)
‘mots’
‘livre’
‘dictionnaire’
televisie (N)
scherm (N)
televisiescherm (N)
‘télévision’
‘écran’
‘écran de télé’
televisiescherm(N)
fabricagehal(N)
televisieschermfabricagehal (N)
‘hall où on fabrique des écrans de télé’
(b)
AN/NA
long(A)
drink (N)
long drink (N) (angl.)
‘long drink’
chaise (N)
longue (A)
chaise longue (N)
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(c)
PN
sans (P)
diplôme (N)
sans-diplôme (N)
après (P)
shampooing (N)
après-shampooing (N)2
pour (P)
boire (V)
pourboire (N)
Dans les exemples, on peut voir qu’il y a différents types de composés nominaux. Il y en a qui
consistent en un nom et un nom et il y en a qui consistent en un nom et un adjectif et certains
d’autres qui sont composés d’un nom et d’une préposition. Dans le chapitre suivant, nous
discuterons des caractéristiques des prépositions de façon détaillée pour expliquer les mots
complexes qui consistent en une préposition et un nom. Le modèle de Bok-Bennema et
Kampers-Manhe (2000) présente la structure de ces mots composés, ce qui est montré dans la
section 3 de ce chapitre. Dans les langues germaniques, on voit que les mots composés
peuvent
être
réutilisés
comme
le
montre
le
mot
composé
complexe
televisieschermfabricagehal. Le nom de ce phénomène est la récursion, un processus qui est
beaucoup moins fréquent dans les langues romanes, ce qui est expliqué dans le modèle
développé par Bok-Bennema et Kampers-Manhe (2000), dont je parlerai dans la section 3 de
ce chapitre. Les mots composés nominaux forment le plus grand groupe des mots composés,
mais on trouve également des mots composés adjectivaux ou verbaux3 (2.8):
(2.8)
(a)
(b)
bleu (A)
ciel (N)
bleu ciel (A)
hemel (N)
blauw (A)
hemelsblauw (A)
zweef (V)
vlieg(V)
zweefvlieg (-en) (V) ‘faire du vol à voile’
goed (A)
keur (V)
goedkeur (-en) (V) ‘approuver’
Dans ces exemples, il ne peut pas être question de récursion, donc ce phénomène n’existe que
pour les mots composés nominaux. Une question qui se pose est de savoir la raison pour
laquelle certains composés sont nominaux, d’autres verbaux et encore d’autres adjectivaux.
On a vu ce problème également parmi les mots affixés, mais dans ce cas-là, on pouvait dire
que c’étaient les affixes qui étaient responsables du fait que par exemple un adjectif comme
grand est changé en nom par l’affixe –eur, ce qui donne grand-eur. Il suffit de constater qu’il
existe des affixes qui forment des noms, d’autres qui font des verbes etc. Dans les mots
composés, la généralisation est, en tout cas dans les mots composés dans les langues
2
3
ces exemples sont repris à Bok-Bennema et Kampers-Manhe (2000)
ces exemples sont empruntés à Kampers-Manhe (2001) et à Don (1994)
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germaniques, qu’un composé a toujours la catégorie du mot à droite dans le composé. Quand
ce mot à droite est un verbe, tout le composé devient un verbe, quand ce mot est un nom, tout
le composé devient un nom etc. Cette généralisation est très importante pour une discussion
de la position de la tête, entamée par Williams en 1981. Nous y revenons dans la section
suivante, mais d’abord nous allons encore consacrer quelques mots à la flexion en
morphologie pour être complet.
2.2 La morphologie générative
2.2.1 Les règles morphologiques génératives
On a vu que les affixes dans les mots affixés, s’attachent à leur base dans un certain ordre
spécifique. La structure suivante reflète le sens des mots affixés comme ver-werk-baar-heid
‘fait d’être facile à travailler’4 (2.9):
(2.9)
(a)
[[[ver[werk]]baar]heid]
(b)
[werk]
[ ver [werk]]
[[ ver [werk]] baar]
[[[ver [werk]] baar] heid]
Cette une manière pour montrer de quelle façon ce mot est formé, donc premièrement le
préfixe ver- est ajouté à la racine werk, ensuite le suffixe –baar y est adjoint et pour
transformer le dérivé en nom, le suffixe nominal –heid y est attaché. On peut également
utiliser un arbre pour expliquer le sens de ce mot (2.10):
(2.10)
N
A
V
V
ver
werk
baar
heid
Don, E.A. et al. (1994 :34)
4
cet exemple a été emprunté à Don, E.A. et al. (1994)
14
Pour trouver des arguments pour savoir dans quel ordre les affixes sont adjoints, on peut
analyser l’ordre linéaire, la catégorie du mot dérivé, le sens du mot dérivé, les caractéristiques
de sous-catégorisation des affixes.5 Dans la morphologie générative, on essaie toujours de
trouver les principes généraux qui peuvent expliquer de quelle manière les bases et les affixes
peuvent être combinés. Dans la morphologie, on trouve ce que l’on appelle des ‘bracketing
paradoxes’. Ce sont des mots composés que l’on peut représenter par deux structures
différentes, par exemple le mot anglais student film society. On peut donner les structures
suivantes à ce mot (2.11) :
(2.11) (a)
[[student] film society]
(b)
[[student film] society]
Ce mot peut donc avoir deux sens, dont le premier (a) sera une société de films pour les
étudiants et dont le deuxième (b) sera une société de films d’étudiants. Il faut trouver une
manière de représenter systématiquement les structures affixées et composées d’une langue
pour bien expliquer la relation entre le sens et la structure, qui rende compte de la différence
entre les deux structures mentionnées ci-dessus. En 1976, Mark Aronoff a commencé à faire
cela en émettant des règles pour la formation des mots (WFR). En utilisant ces règles, on peut
décrire par exemple les affixes utilisés dans une langue. En néerlandais, le suffixe –ig,
lorsqu’il s’attache à un adjectif (A), donne à cet adjectif le sens de ‘quelque peu A’. Quand on
examine l’adjectif nat ( ‘mouillé’) et quand on y attache le suffixe –ig, on obtient le mot
nattig, qui a le sens de ‘quelque peu mouillé’. Maintenant, on peut formuler une règle qui
décrit le comportement du suffixe –ig en néerlandais (2.12) :
(2.12) [A] + -ig [[A]-ig] A
‘quelque peu A’
Don, E.A.et al. (1994 :39)
C’est un exemple de ce que font les règles d’Aronoff. Les règles de la formation des mots
donnent une impression de ce que l’on sait d’un certain affixe dans ce cas-là. Elles nous
fournissent de l’information sur la catégorie des mots qui sont formés avec cet affixe, sur la
catégorie des bases avec lesquelles cet affixe peut être combiné, sur le sens des mots que cet
affixe forme et finalement, elles nous donnent également de l’information sur la forme
5
Pour une explication détaillée voir Don, E.A. et al (1994 : 33-36)
15
phonétique du mot complexe. En principe, on peut donc décrire tous les mots dérivés et
composés d’une langue en émettant des règles comme celles mentionnées ci-dessus, pour tous
les affixes et toutes les combinaisons dans les mots composés. Pourtant, il faut également
rendre compte du fait qu’il y certaines régularités entre ces règles morphologiques. On
introduit pour cela l’idée que les mots ont, ainsi que les groupes des mots en syntaxe, une tête.
C’est la tête qui détermine la catégorie, le sens et le genre du mot. Quand on regarde de
nouveau les exemples des mots composés ci-dessus, on voit que dans tous les composés
nominaux au moins un des deux constituants est un nom et que dans tous les composés
adjectivaux au moins un des deux constituants est un adjectif etc. La catégorie du mot entier
est déterminée par un des deux constituants, à savoir la tête. On considère les mots composés
dans lesquels il y a une tête comme étant des composés endocentriques. Pour déterminer la
position de la tête, donc si la tête se trouve à gauche ou à droite dans les composés, Williams
(1981) a établi la Règle de la tête à Droite, the Right Hand Head Rule. Il fait usage d’autres
règles que celles dont se sert Aronoff. Williams utilise les mêmes règles que celles qui sont
utilisées en syntaxe à savoir les règles de réécriture ou bien les règles de X’ (X barre). Cette
idée qui consiste à dire qu’il existe un parallélisme entre la syntaxe et la morphologie est
appuyée plus tard, parmi d’autres, par Selkirk (1982) et Lieber (1992). Le fait de considérer
que les règles qui sont valables en syntaxe valent également pour la composante
morphologique a l’avantage qu’il n’est plus nécessaire de formuler des règles pour tous les
affixes et tous les faits morphologiques, parce que l’on considère les affixes comme ayant
plus au moins les mêmes caractéristiques que les radicaux. Les radicaux ainsi que les affixes
sont rangés dans un lexique mental et ce sont donc tous des éléments lexicaux. Les règles-X’
permettent de généraliser beaucoup plus les phénomènes morphologiques. D’abord, nous
allons analyser plus en détail la RHR formulée par Williams (1981), parce que cette règle
rigide a entamé une discussion vivante parmi les linguistes qui ont parlé des mots composés
dans différentes langues.
2.2.2 La Règle de la Tête à Droite et ses conséquences
Pour justifier la position de la tête à droite dans les mots composés anglais, Williams (1981) a
formulé une règle, qui, selon lui, est une règle morphologique universelle, the Right-Hand
Head Rule. Cette règle marque l’élément le plus à droite d’un mot composé comme étant la
16
tête de toute cette structure morphologiquement complexe. Williams suggère que cette règle
est valable pour toutes les langues (2.13) :
(2.13)
Right-Hand Head Rule (RHR)
In morphology we define the head of a morphologically complex word to be
the right –hand member of that word.
Williams 1981 : 248
Il est vrai que cette règle permet de distinguer la position de la tête dans un grand nombre de
dérivés français (1a), espagnols (1b), italiens (1c) et hollandais (1d)6 (2.14)
(2.14) (1)
a. pommier, planchiste, matifier
b. portable ‘portable’, pianista ‘pianiste’, modernizar ‘moderniser’
c. bibliotecario ‘bibliothécaire’, giovanile ‘juvénile’, beatificare ‘béatifier’
d. Amsterdammer ‘habitant d’Amsterdam’, wasbaar ‘lavable’, moderniseren
Dans chaque cas, on voit que c’est le suffixe, l’élément le plus à droite, qui transmet au dérivé
sa catégorie et son genre et qui est donc la tête. Le suffixe –ier est nominal et masculin ainsi
que le dérivé pommier et de plus, il indique que le dérivé marque une sous-classe, à savoir
celle des arbres donnant des pommes. Cette règle est valable également pour les composés
endocentriques en anglais et en néerlandais, comme le montrent les exemples
suivants empruntés à Kampers-Manhe (1993) et Bok-Bennema (1993) (2.15):
(2.15) (2)
a. frogman (angl.), kikvorsman (néerl.)
b.‘garbage-bag’ (angl.), vuilniszak (néerl.)
Mais si l’on regarde leurs équivalents en français et en espagnol, on voit que la RHR ne peut
pas être correcte pour ces composés endocentriques (2.16) :
(2.16) (3)
6
a. homme grenouille ( fr.), hombre rana (esp.)
Ces exemples sont empruntés à Bok-Bennema et Kampers-Manhe (2001)
17
(4)
b. sac-poubelle (fr.), bolsa de la basura (esp.)
Dans les composés endocentriques romans, la tête se trouve à gauche, une caractéristique de
ces mots qui ne correspond pas à la RHR. Bien que Williams et DiSciullo (1987)7
reconnaissent ce problème, ils sont d’avis pourtant que la RHR est universelle, parce qu’ils
considèrent les composés du type timbres-poste comme étant des locutions figées. Ils vont
même encore plus loin en énonçant que la composition n’existe pas du tout en français et que
par conséquent, il n’est pas nécessaire de reformuler la RHR : cette règle est valable pour le
français également. Cela est prouvé d’autant plus, selon eux, par l’existence des mots dérivés
en français qui ont tous leur tête à droite ce qui est conforme à la RHR.
De nombreux linguistes ont critiqué ce point de vue parce que si l’on suit l’optique de
Williams et Di Sciullo, il faut considérer de nombreux composés romans, dont il est très clair
qu’ils ont leur tête à gauche, comme des exceptions. De plus, on voit beaucoup de
néologismes qui sont des mots composés avec la tête à gauche, ce qui prouve que la formation
des mots composés avec la tête à gauche est une règle très productive. 8
Selkirk (1982) est d’accord avec le point de vue que la plupart des composés anglais sont des
constructions endocentriques avec leur tête à droite.9 Pourtant, elle nomme également
quelques types de composés anglais qui ont nettement leur tête à gauche comme grow up
‘grandir’, step down ‘descendre’ et certains composés qui sont exocentriques (p.19). Dans ces
exemples, il est très clair que la tête de ces composés est le verbe qui se trouve à gauche.
Selon Selkirk (1982) la règle énoncée par Williams, la RHR, ne suffit pas pour caractériser les
mots composés anglais dont il est clair que la tête se trouve à gauche comme par exemple la
catégorie mentionnée ci-dessus. De plus, cette règle ne réussit pas à donner une explication
pour les mots fléchis ( p.e. auteur-s ) dont ce n’est pas l’affixe flexionnel qui se trouve à
droite qui est la tête. Selkirk explique qu’en syntaxe en général, un constituant Ci est
considéré comme étant la tête d’un constituant Cj lorsqu’il répond à deux conditions : Il faut
qu’il soit de la même catégorie syntaxique que Cj et il faut qu’il soit à un niveau plus bas dans
la hiérarchie X’ que Cj. Elle propose de changer la RHR pour que cette règle trop rigide soit
capable de rendre compte des composés qui ont la tête à gauche aussi bien que des composés
qui ont la tête à droite. De cette façon, on n’a pas besoin de considérer les composés romans
comme des exceptions à cette règle. Elle énonce sa RHR révisée de façon suivante (2.17) :
7
voir DiSciullo et Williams (1987 : 83)
pour des exemples, voir Bok-Bennema (1993) et Kampers-Manhe (1993)
9
voir Selkirk (1982 :19)
8
18
(2.17)
Right-hand Head Rule (revised)
In a word-internal configuration,
Xn
P
Xm
Q
where X stands for a syntactic feature complex and where Q contains no category with the feature
complex X, Xm is the head of Xn
Selkirk (1982:20)
Quand on utilise cette formulation de Selkirk, c’est l’élément le plus à droite qui est la tête du
mot complexe sauf si cet élément ne peut pas fonctionner comme tête, c’est l’élément
directement à gauche de celui-ci qui est la tête et ainsi de suite jusqu’à ce que l’on trouve un
élément convenable. Selkirk considère que la RHR n’est pas universelle, parce qu’en français
et en vietnamien les composés qui ont la tête à gauche prédominent. Elle est d’avis que la
RHR fait partie de la grammaire anglaise et que c’est un paramètre fixe pour cette langue.
La tête d’un constituant est essentielle dans la description qui explique de quelle façon les
propriétés diacritiques liées à la morphologie flexionelle ainsi que dérivationelle sont
distribuées. Pour faire en sorte que le constituant soit bien formé, il faut une condition qui
assure qu’un constituant et sa tête aient les mêmes traits. Ceci est déjà mentionné par
Williams (1981) et Selkirk formule cette condition comme ce qui suit ( 2.18) :
(2.18) Percolation
If a constituant α is the head of a constituent β, α and β are associated with an identical
set of features (syntactic and diacritic)
Selkirk (1982:21)
Cependant, cette règle révisée sous (2.17) ne donne pas d’explication pour la différence entre
les langues romanes et les langues germaniques concernant la position de la tête dans les
composés du type NN comme sac-poubelle, ou NA/ AN comme chaise longue en français et
19
long chair en anglais.10 La RHR, même révisée, ne rend compte que des ressemblances entre
les dérivés romans et germaniques, qui ont leur tête à droite tous les deux. Pour pouvoir
expliquer ces différences cependant, il faut donc choisir une autre approche qui analyse de
façon profonde les conséquences de la RHR. De nombreux linguistes ont essayé de formuler
une théorie qui permette de bien rendre compte de ces différences. Dans la section suivante,
nous allons parler de différentes approches des linguistes qui ont analysé de façon détaillée
comment la position de la tête est déterminée. Il apparaît que les différences dépendent d’un
choix paramétrique. Nous étudierons spécialement le modèle proposé par Bok-Bennema et
Kampers-Manhe (2000) qui sont d’avis « qu’une conception différente de la structure
morphologique permet de rendre compte de ces faits de façon systématique ».11
2.3 La différence entre les langues germaniques et les langues romanes
2.3.1 A la recherche d’une explication argumentée des différences
Comme nous l’avons mentionné dans la section précédente, les composés du type NN ont été
discuté amplement dans la littérature, comme par exemple par Williams (1981) et par Selkirk
(1982)12 qui ont énoncé une règle pour stipuler lequel des deux éléments est la tête dans un
mot complexe. La RHR énoncée par Williams et les changements de cette règle par Selkirk,
dont nous avons parlé ci-dessus, posent pourtant des problèmes pour la composition dans les
langues romanes. Bien que la RHR essaie de désigner la tête d’un mot composé, elle ne donne
pas d’explication pour les différences entre les composés du type NN dans les langues
romanes et dans les langues germaniques. De plus, cela n’explique pas la raison pour laquelle
les composés nominaux du type NA dans les langues romanes ont comme équivalents dans
les langues germaniques des composés nominaux du type AN ( chaise longue(fr.) vs. long
chair(angl. ‘lounge-chair’)) Il apparaît qu’il est question d’un choix paramétrique par les
langues spécifiques. Un autre problème qui est montré par les langues romanes, c’est que
plusieurs paramètres entrent en jeu. En matière de composition, la position de la tête est à
gauche dans les langues romanes, mais les dérivés romans suivent la RHR et la position de la
tête est donc à droite comme on peut le voir dans les exemples suivants (2.19):
10
voir Bok-Bennema et Kampers-Manhe (2001)
voir Kampers-Manhe (2000)
12
voir également DiSciullo & Williams (1987), Scalise (1988), Hoeksema (1992), Lieber (1992) Brousseau
(1989), Kampers-Manhe (1993), Bok-Bennema (1993), Bok-Bennema & Kampers-Manhe (2001)
11
20
(2.19)
Fr. : poirier, pianiste
Esp. : automovilista ‘automobiliste’, enriquecer ‘enrichir’
Lieber (1992) essaie, déjà avant Bok-Bennema et Kampers-Manhe (2000), de donner une
explication argumentée pour cette différence. Selon elle, la RHR est trop rigide et non
universelle. En 1980, elle avait déjà proposé un système de la percolation des traits qui permet
à l’affixe le plus à l’extérieur, un préfixe où un suffixe, de déterminer la catégorie et les traits
du mot complet. La tête du mot peut être l’élément le plus à droite ou bien l’élément le plus à
gauche. En syntaxe, la direction de la position de la tête est déterminée par la théorie
concernant les rôles thématiques et celle qui règle l’attribution des cas. Alors, si la position de
la tête doit être désignée dans la morphologie d’une langue comme un élément spécifique de
cette langue, il faut qu’il y ait encore des principes de morphologie qui se distinguent des
autres principes de la grammaire. Par conséquent, si la direction de la position de la tête doit
être déterminée pour la formation des mots séparément, il faut permettre une composante de
formation des mots distincte de la grammaire. Selon elle, l’ordre des mots dépend des
principes généraux et il est donc nécessaire de trouver une théorie « in which all principles of
grammar apply both above and below word-level. »(Lieber 1992 : 33) Dans ce cas, cela veut
dire que l’élément tête est déterminé définitivement pour chaque langue, pour la formation
des mots ainsi que pour la syntaxe des phrases.
Elle énonce ces principes généraux comme des ‘Licensing conditions’, des conditions de
légitimation. Ces conditions définissent la position des spécificateurs, des modificateurs ainsi
que la position des compléments par rapport à la tête (2.20) :
(2.20)
Licensing Conditions
a. Heads are initial/final with respect to complements and adjuncts.
i. Theta-roles are assigned to the left/right
ii.Case is assigned to the left/right
b. Heads are initial/ final with respect to specifiers
c. Heads are initial/ final with respect to modifiers
(Lieber 1992: 35)
Selon Lieber, ces ‘Licensing Conditions’ représentent « the minimal set of parameters needed
to fix the linear order of heads with respect to nonheads », l’ensemble minimal de paramètres
qui est nécessaire de stipuler l’ordre linéaire des têtes par rapport aux non-têtes. (Lieber 1992:
21
35) Elle essaie d’expliquer de nombreuses différences entre les types de formation des mots
en anglais et ceux en français et en néerlandais qui sont, selon cette linguiste, une
conséquence d’un choix paramétrique. En analysant ces diversités de cette façon, l’auteur
montre que le français ne choisit que pour les modificateurs un ordre différent de celui en
anglais. Par conséquent, le français choisit donc d’autres paramètres pour la position des
modificateurs que l’anglais, parce qu’en français, le modificateur est placé à droite de la tête.
Lieber fixe les ‘Licensing Conditions’ pour le français (2.21) :
(2.21)
Licensing Conditions for French
a. Heads are initial with respect to complements
b. Heads are initial with respect to modifiers
c. Heads are final with respect to specifiers
Lieber (1992:65)
Maintenant qu’elle a énoncé ces conditions pour le français, Lieber peut dire aux quelles
différences on peut s’attendre entre la formation des mots en français et en anglais. Pour cette
raison, le mot ‘timbre-poste’ a sa tête à gauche en français et son équivalent en anglais
‘ postage stamp’ a sa tête à droite.
Les ‘Licensing Conditions’ que Lieber a formulées nous aident à expliquer les différences
entre les langues concernant la formation des mots. Pourtant, suivant les développements de
la théorie de la syntaxe, il est montré que la vérification des rôles thématiques ou celle des cas
est seulement faite par des déplacements visibles (Kayne, 1995). Alors, les différences de
l’ordre linéaire, comme on a vu dans les exemples anglais et français, sont le résultat des
déplacements. Si l’on accepte ce point de vue qui détermine l’ordre des mots en syntaxe d’une
part et si l’on veut garder l’idée de Lieber qui a dit qu’il faut trouver une théorie qui fixe
définitivement l’élément de la tête pour la formation des mots ainsi que pour la syntaxe
d’autre part, voir ci-dessus, il faut expliquer les différences entre les langues concernant la
formation des mots d’une autre manière. C’est ce que Bok-Bennema et Kampers-Manhe ont
essayé de faire en proposant leur modèle en 2000. Dans ce qui suit, nous allons discuter de
façon plus détaillée de leur modèle concernant la formation des mots.
22
2.3.2 Le modèle de Bok-Bennema & Kampers-Manhe (2000)
Dans le modèle de Bok-Bennema & Kampers-Manhe (2000), les auteurs essaient de trouver
une approche alternative pour la morphologie, qui est conforme aux développements et aux
principes de la syntaxe de la phrase, énoncés par Chomsky(1995) et Kayne (1995), une idée
que Selkirk (1982) a poursuivie également. Selon les deux linguistes, les principes qui sont
valables pour la syntaxe sont également valables pour la morphologie. Elles fondent leur
conception de la structure syntaxique sur le modèle formulé par Kayne (1995). Selon ce
linguiste, toutes les structures syntaxiques ont un ordre de base fixe. Ces structures
comportent toutes une position de spécificateur/ ajoût, une position de tête et une position de
complément. L’orde fixe découle du LCA, le Linear Correspondence Axiom, ‘l’axiome de
correspondance linéaire’. C’est un principe qui donne une réponse à la question de savoir pour
quelle raison les têtes suivent toujours les spécificateurs et les ajouts, alors qu’elles précèdent
toujours les compléments. L’auteur est d’avis qu’il existe une correspondance entre la
structure hiérarchique et l’ordre linéaire observé qui est rigide. (Kayne 1995 : 14) Kayne
considère cet ordre de base comme valable pour toutes les langues. Alors, toute phrase qui ne
présente pas cet ordre, mais un ordre qui est différent de cet ordre de base, a dû subir des
déplacements. Ce qu’il dit, c’est que la structure de base de la phrase française n’est pas
différente de celle de la phrase anglaise par exemple. Alors, mêmes les différences entre les
langues SVO (comme le français) et les langues SOV (comme le néerlandais) sont le résultat
de déplacements vers la gauche dans les langues SOV, alors que la structure de base n’est pas
différente.
Bok-Bennema & Kampers-Manhe (2000) poursuivent la ligne exposée par Selkirk (1982),
Lieber (1992) et d’autres (Toman (1983), Sproat (1995) et Walinska de Hackbeil (1986)) en
considérant que la structure morphologique est de nature syntaxique. C’est pour cette raison
que pour elles, l’ordre linéaire des constituants est basé sur les mêmes principes qu’en
syntaxe. Alors, elles utilisent le terme ‘morphologie’ pour la notion de formation des mots
présententielle, donc avant la formation des phrases « presentential word-formation » (p.11) Il
est clair que certains éléments typiques de la phrase ne jouent pas un rôle dans la
morphologie, ainsi que certaines relations qui ne sont présentes que dans la phrase.
Cependant, comme nous l’avons déjà mentionné ci-dessus, Bok-Bennema & Kampers-Manhe
adoptent la position qui dit que les règles et les principes qui sont valables en morphologie ont
pratiquement les mêmes caractéristiques que celles et ceux qui sont utilisés en syntaxe. Dans
23
ce sens, elles sont d’accord avec la caractérisation de la morphologie comme de la ‘syntaxe
sous zéro’, un terme qu’elles ont emprunté à Ackema (1995).
Dans leur approche, Bok-Bennema et Kampers- Manhe font une distinction importante entre
les aspects phonologiques et les aspects sémantiques des mots complexes. Elles disent que, si
l’on considère les structures morphologiques comme des simples structures d’adjonction, il
est problématique de rendre compte des propriétés sémantiques des mots complexes. Ceci a
pour conséquence les parenthétisations paradoxales ‘bracketing paradoxes’, ce que nous
avons déjà vu ci-dessus.
La structure morphologique consiste alors, selon le LCA formulé par Kayne, en une position
de spécificateur/ ajout et en une position de complément, à côte de celle de la tête. L’ordre
linéaire de ces positions est donc le même qu’en syntaxe, à savoir Spécificateur/Ajout-TêteComplément dont (2.22) représente la structure complète :
(2.22)
XP
YP
XP
X
ZP
(Kampers-Manhe 2001 : 160)
Cette structure est la structure complète, avec une position d’ajout et une de complément en
plus de celle de la tête. Dans leur article, Bok-Bennema et Kampers-Manhe (p.13) donnent la
structure adjonct-tête (adjonction) dans la figure (2.23 a) et la structure tête-complément
(complémentation) sous (2.23 b) qui montrent que ces structures sont également possibles
sans ajout ou sans complément :
(2.23)
(a)
XP
YP
(b)
XP
XP
X
ZP
X
Les composés endocentriques, comme homme-grenouille et sac-poubelle, dont la tête est
modifiée par un substantif, présentent la structure d’adjonction et selon la théorie de Kayne,
24
ces mots devraient avoir la même structure de base que les composés endocentriques
germaniques comme hemelblauw et frogman.
13
En Grammaire générative, tous les
déplacements se font à gauche, c’est donc la tête qui se déplace dans les langues romanes.
Les mots apparemment exocentriques, comme brekebeen(néerl.), scarecrow (angl.) et
protège-slip, présentent la structure de la complémentation 14(2.24) :
(2.24)
VP
V
NP
breke
scare
protège
been
crow
slip
Les mots dérivés comme poirier, planchista (esp.), bibliotecario (it.) Amsterdammer (néerl.)
présentent également la structure de la complémentation et les suffixes sélectionnent leur
complément. Alors, -ier en français, -ista en espagnol, -ario en italien et –er en néerlandais
sont des suffixes nominaux qui sélectionnent des substantifs. Ensuite, la base substantivale
choisie doit être incorporée à ce suffixe par le déplacement de tête en tête. C’est donc la tête
qui s’adjoint à une autre, ce qui est représenté dans la figure (2.25) :
(2.25)
NP
N
NP
NP
N
N
N
NP
N
N
-ier
-ista
-ario
-er
poir(e)
pian(o)
bibliotec(a)
Amsterdam
poir(e)
pian(o)
bibliotec(a)
Amsterdam
-ier
-ista
-ario
-er
ti
Kampers-Manhe (2001 : 162)
13
14
voir pour plus des exemples Kampers-Manhe (2001)
Kampers-Manhe (2001)
25
Comme un affixe est un morphème lié, il doit se joindre à un radical. Pour expliquer ceci
formellement, Bok-Bennema&Kampers-Manhe citent le Stray Affix Filter de Baker (1988 :
140) en se référant à la théorie du programme minimaliste de Chomsky (1995). Le
déplacement est causé par le fait que l’affixe flexionel possède un trait fort qui doit être
vérifié visiblement par déplacement de son complément, le radical (Bok-Bennema&KampersManhe 2000 : 17-19). Pour répondre à la question de savoir pour quelle raison le déplacement
de la tête dans les composés romans est déclenché, les linguistes commencent par l’examen
des mots simples dans les langues germaniques et dans les langues romanes.
Dans les mots simples dans les langues romanes, et spécialement en espagnol, il est clair que,
quand un mot est utilisé comme base pour un dérivé, il n’a pas la même forme que celle qui
est utilisée dans la phrase, ce qu’on peut voir sous (2.26a) et (2.26 b) :
(2.26)
a.
Cervantes
‘Cervantes’
Cervant-ino
‘de Cervantes’
b.
rosa
‘rose’
rosal
‘rosier’
c.
doute
douteux
En espagnol, c’est visible à l’oral ainsi qu’à l’écrit. Les chercheurs reprennent la théorie de
Harris (1991), qui propose que le mot est seulement un radical et que la seule manière dont il
puisse fonctionner comme mot est de l’employer avec un marqueur de mot. Dans les
exemples de (2.26), on peut constater que c’est uniquement le radical qui est utilisé en
combinaison avec un suffixe et non pas le mot en entier. Dans les autres langues romanes, on
trouve également ces marqueurs de mot, mais c’est moins visible qu’en espagnol. En français
par exemple, c’est le schwa qui est présent dans le mot doute parce que l’on prononce le /t/ et
qui fonctionne comme marqueur de mot. Le schwa est également responsable du fait que le [t]
dans un mot comme toute ne tombe pas lorsque l’on le prononce tandis que l’on prononce
tout comme /tu/. Alors, ceci montre qu’on peut constater la même distinction entre radical et
mot en français qu’en espagnol. Bok-Bennema et Kampers-Manhe (2000) suivent la théorie
de Harris en admettant que tout mot consiste en un radical et en un affixe flexionnel, réalisé
ou non. Elles continuent en mettant au même niveau l’affixe flexionnel et l’affixe
dérivationnel et elles finissent par conclure que la structure d’un mot simple est la même que
celle d’un mot dérivé. Tout comme l’affixe dérivationnel, « l’affixe flexionnel incorpore son
complément et les traits percolent vers la projection maximale, qui correspond au mot
complet » (Kampers-Manhe 2001 : 163) La seule différence est que l’affixe flexionnel n’a pas
26
de traits catégoriels et on obtient donc un substantif fléchi complet, qui peut fonctionner
comme mot dans la phrase. Comparez ainsi (2.25) à (2.27) :
(2.27) (a)
InflP
Infl
(b)
NP
Infl/NP
Infl/N
NP
N
N
Infl
N
a
ros
ros-i
a
ti
e
dout
dout-i
0
ti
Ces mots complets fléchis peuvent être utilisés en syntaxe, et donc ils sont recyclés. Les mots
dans les langues romanes et dans les langues germaniques ont la même structure de base
(comparez poirier à Amsterdammer (2.25)), donc il faut encore trouver une analyse qui
explique la raison pour laquelle les composés endocentriques n’ont pas le même ordre et, en
d’autres mots, pourquoi la tête du mot composé est déplacée vers la gauche. Il apparaît que la
notion de radical est essentielle pour clarifier les différences dans la formation des mots entre
les langues romanes et germaniques qui ont été le sujet d’une grande discussion
morphologique entamée par Williams en 1981 quand il a énoncé sa Règle de la Tête à Droite.
Quand Bok-Bennema et Kampers-Manhe examinent les composés romans et germaniques
plus en détail, elles émettent les hypothèses suivantes qui expliquent la raison pour laquelle
l’ordre de surface des mots composés est différent dans les deux langues.
(2.28) En matière de composition l’unité de base est le radical dans les langues romanes.
(2.29) En matière de composition l’unité de base est le mot dans les langues germaniques.
Kampers-Manhe (2001 : 164)
Suivant ces deux hypothèses, elles réussissent à trouver des réponses satisfaisantes aux
questions concernant la différence entre les mots composés dans les langues romanes et dans
27
les langues germaniques. Dans leur étude, Bok-Bennema & Kampers-Manhe, discutent de
nombreux types de mots composés, mais ce n’est pas le but de cette recherche de les analyser
tous. Dans la section suivante, nous parlerons plus en détail des structures dont discutent BokBennema&Kampers-Manhe (2000).
Dans leur article, Bok-Bennema & Kampers-Manhe suivent leurs hypothèses en commençant
par donner la raison qui explique que la tête dans les composés endocentriques du type NN,
comme par exemple homme grenouille, se déplace vers la gauche. Selon l’hypothèse (2.28) la
structure d’un mot comme sac poubelle sera la suivante (2.30) :
(2.30) (a)
InflP
Infl
0
(b)
NP
InflP/ NP
Infl/N
NP
NP
N
N
Infl
NP
N
poubelle
sac
saci
0
poubelle
ti
(Bok-Bennema&Kampers-Manhe (2000:20)
Dans cette figure (2.30), on voit que l’unité de base, dans ce cas le radical nominal sac est
modifié par le substantif complet poubelle qui lui est adjoint. Un affixe flexionnel qui lui
permet de fonctionner comme mot, sélectionne le NP ainsi formé. Ensuite, la tête nominale
est incorporée à l’affixe flexionnel et le trait de sa catégorie percole vers le nœud au-dessus, et
on obtient un substantif complet, qui peut-être utilisé de nouveau en syntaxe. « Ce
déplacement rend compte de la position linéaire de la tête : à gauche du modificateur. »
(Kampers-Manhe (2001 : 164)). Reste encore à expliquer la raison pour laquelle ce
déplacement ne se fait pas dans les langues germaniques. D’après l’hypothèse (2.29), c’est le
mot qui est l’unité de base dans la composition dans les langues germaniques. Alors, si l’on
prend la structure du mot composé néerlandais vuilniszak, qui est l’équivalent de sac poubelle,
dans la figure (2.31), on voit que le substantif complet est modifié par un autre mot qui lui est
adjoint. Contrairement à l’exemple (2.30), c’est maintenant un mot complet qui est la tête et
28
alors, aucun affixe flexionnel n’est nécessaire pour en former un mot. C’est pour cette raison
qu’il n’y a pas de déplacement de la tête et que l’ordre de base est conservé.
(2.31)
InflP/ NP
NP
InflP/NP
vuilnis
zak
Dans leur étude, les auteurs admettent que l’idée que la tête des mots composés est un mot
complet n’est pas nouvelle. Cette idée est déjà exprimée par Selkirk (1982) pour l’anglais et
de plus, elles considèrent la distinction concernant les suffixes qui jouent un rôle dans la
dérivation dans les langues germaniques, comme la preuve que le mot complet est une unité
de base dans ces langues. En néerlandais par exemple, on trouve des suffixes qui
sélectionnent des mots, comme -loos ( moeder-loos ‘sans mère’, dans lequel moeder est la
forme complète et il en va de même dans einde-loos ‘sans fin’ où einde est la forme complète)
et d’autres qui sélectionnent des radicaux, comme –ig ( genad-ig ‘clément’ alors que l’unité
de base est genade). Dans le cas de –loos, l’unité de base est un mot parce que la forme est
inchangée alors que dans les langues romanes la forme est différente ( niñ-o/ niñ-eria vs.
moeder/ moeder-loos).
Ces hypothèses (2.28) et (2.29) permettent également d’expliquer pourquoi le phénomène de
récursivité est possible dans les langues germaniques, mais impossible dans les langues
romanes. Bok-Bennema & Kampers-Manhe (2000) ne le mentionnent pas, mais pour obtenir
par exemple [sac poubelle] dépôt, ‘un dépôt pour les sacs-poubelle’, dans cet ordre
spécifique, il faut que la tête sac se déplace à gauche pour être incorporée à l’affixe flexionnel
pour former un mot complet. Tenant compte de l’hypothèse (2.28), ce mot complet ne peut
pas fonctionner comme base d’un composé. Cependant, dépôt [sac poubelle] sera bien
possible, parce que dans ce cas, sac-poubelle est le modificateur et rien ne l’empêche de
fonctionner de telle façon. Ayant émis ces deux hypothèses, Bok-Bennema et KampersManhe arrivent à expliquer les grandes différences qui existent entre les mots composés
romans et germaniques en énonçant que la différence dans l’ordre concernant la position de
la tête dans les composés est le résultat du fait que les composés romans ont le radical comme
unité de base en matière de composition, tandis que les composés germaniques ont le mot
comme unité de base. Ces chercheurs expliquent également de façon détaillée la structure des
29
déverbaux exocentriques du type Verbe-Complément, qui est presque la même que la
structure des composés exocentriques du type PN et elles discutent également du rôle des
préfixoïdes, dans des mots comme narco-dollar. Dans le chapitre suivant, nous parlerons des
caractéristiques des préfixes dans les dérivés et de celles des prépositions et des préfixoïdes
dans les ‘composés’ et c’est après cette description que nous allons donner les structures de
ces types de mots mentionnées dans l’article de Bok-Bennema et Kampers-Manhe (2000).
30
2.4 Conclusion
Dans ce chapitre, nous avons établi le cadre théorique de notre recherche en donnant dans les
premières sections une vue générale sur la morphologie et les premières théories qui ont été à
la base de la morphologie générative. Nous avons discuté de la RHR énoncée par Williams en
1981, qui a entamé un vif débat sur la position de la tête dans les mots composés. Nous avons
vu que Selkirk (1982) propose une RHR révisée, parce que la RHR établie comme telle par
Williams ne rend pas compte des mots qui ont exceptionnellement la tête à gauche en anglais,
comme grow up, ni de la plupart des mots composés dans les langues romanes. Lieber (1992)
était une des premières qui a vraiment essayé de donner une explication pour les différences
entre les langues romanes et les langues germaniques en matière de la position de la tête, en
formulant ses ‘Conditions de légitimation’. Le modèle de Bok-Bennema et Kampers-Manhe
(2000) poursuit la ligne de Lieber en voulant donner une explication argumentée pour les
différences claires entre les langues romanes et les langues germaniques concernant la
formation des mots composés. Leur théorie fournit une solution intéressante pour de
nombreuses différences concernant la position de la tête dans les composés romans et les
composés germaniques. Les deux hypothèses mentionnées sous (2.28) et (2.29), dont nous
avons amplement discuté dans la section 3 de ce chapitre sont essentielles pour une meilleure
compréhension des différences, jusqu’à maintenant non-résolues, qui existent entre la
composition romane et la composition germanique.
Dans le chapitre suivant, nous allons analyser les caractéristiques des préfixes, des
prépositions et des préfixoïdes et nous allons donner des définitions pour qu’on puisse
classifier de façon claire et précise ce que c’est qu’un préfixe, ce que c’est qu’une préposition
et ce que c’est qu’un préfixoïde. Nous nous servons entre autres du modèle de Bok-Bennema
& Kampers-Manhe (2000) dont nous avons présenté les grandes lignes dans ce chapitre et de
la théorie de Selkirk (1982).
31
Les préfixes, les prépositions et les préfixoïdes
Les caractéristiques et les propriétés
3.0 Introduction
Dans ce chapitre, nous allons donner une définition de ce que sont respectivement un préfixe,
une préposition et un préfixoïde. Pour analyser de plus près le statut d’anti-, on aura besoin
des définitions précises de ce genre de morphèmes. D’abord, il est important de savoir
comment les préfixes et les prépositions sont caractérisés, et en quoi ils se distinguent les uns
des autres. Dans ce contexte, il y a un autre groupe de mots qui est également intéressant à
analyser, à savoir celui des préfixoïdes, puisque certains linguistes considèrent anti- comme
une sorte de préfixoïde. Ayant fait cela, il est possible de donner un statut à anti- qui tient
compte de ses caractéristiques.
3.1 Les préfixes
Dans la littérature théorique concernant la morphologie, qui s’est surtout concentré sur
l’anglais, les chercheurs ont toujours attribué plus d’attention aux suffixes qu’aux préfixes.
Une raison pour ceci est que nombreuses de ces études se sont intéressées plus aux aspects
phonologiques et syntaxiques de l’affixation. En anglais, ces aspects sont plus clairs pour les
suffixes, parce que ce sont souvent ces morphèmes qui sont responsables d’un changement
d’accent et qui ont une influence importante sur la structure d’arguments de la base. De plus,
les suffixes sont plus souvent que les préfixes la tête d’un mot dérivé. Pourtant, il y a certaines
exceptions, dont nous allons parler plus tard. Dans le cadre de cette recherche, il est surtout
important d’analyser les caractéristiques des préfixes. Anti- a toujours été considéré comme
un préfixe, bien que ce morphème ait toujours posé des problèmes pour les linguistes. Dans
cette partie, nous allons décrire les caractéristiques des préfixes et nous montrerons comment
plusieurs autres linguistes ont caractérisé la préfixation dans le passé, comme Huot (2001),
Selkirk (1982), Siegel (1979), Booij (2005) et Lieber (1992).
32
3.1.1. Les préfixes en général
Quand les linguistes décrivent la formation des mots, ils parlent entre autres des affixes,
puisque la dérivation est un processus élémentaire de la morphologie. Le but des processus
dérivationnels est de former de nouveaux lexèmes qui appartiennent à une certaine catégorie
lexicale. Nous pouvons distinguer entre la suffixation et la préfixation. La préfixation se
caractérise par l’ajout d’un affixe devant une racine ou un radical. La liste des suffixes en
français moderne n’est pas soutenue par tout le monde, mais il existe encore plus de
discussion sur la liste des préfixes français.15 Ceci est dû au fait qu’il n’y a pas de définition
claire et stable de ce type de morphèmes. Du point de vue étymologique, les préfixes français
trouvent pour la plupart leurs origines dans les préfixes latins. Ces derniers étaient eux-mêmes
souvent dérivés d’anciennes prépositions. Le contact entre ces prépositions-préfixes et les
mots de base auxquels ils se rattachent a influencé, suivant les règles phonétiques du latin, les
traits de ces premiers. En latin déjà, on trouve de nombreux verbes préfixés qui sont différents
des verbes qui sont à leur origine. ( legĕre : ‘lire’ vs. eligĕre : ‘élire’) Surtout dans le
vocabulaire savant du français moderne, on retrouve de nombreuses traces de ces préfixes
latins, par exemple transmettre, soumettre qui sont basés sur le verbe latin simple mettĕre
‘mettre’, mais aujourd’hui, ces mots ne sont plus liées sémantiquement les uns aux autres. Un
grand nombre de préfixes latins sont également transmis en français par le langage populaire.
Il est clair que de nombreux mots français proviennent en effet des mots préfixés en latin,
mais souvent il est compliqué de reconnaître un mot préfixé. Cette question en entame une
autre qui est celle de savoir quels préfixes latins peuvent être considérés comme appartenant
aux préfixes du français moderne. Les préfixes ont donc un lien étroit avec les prépositions
parce que souvent ils en proviennent, mais lorsqu’on repère des mots entêtés par une
préposition, comme contre-attaque, est-ce que ce sont encore des mot préfixés ou non ? Dans
l’exemple de contre-attaque, le trait d’union semble suggérer que ce n’est pas le cas, mais on
trouve également des mots comme contredire ou le trait d’union est absent. La frontière entre
les mots préfixés et les mots composés n’est donc pas toujours bien tracée, ce qui est
exactement le clou de la discussion lorsque l’on analyse les mots complexes en anti-. La
distinction cruciale entre les mots composés et les mots dérivés est que dans les mots
composés les deux constituants sont une forme d’un lexème, tandis que dans les mots dérivés
on voit des affixes, des morphèmes non-lexématiques. Bien que certains mots soient
15
Voir Huot (2001)
33
clairement composés de deux éléments, ils sont pourtant considérés comme des préfixés,
lorsque le premier élément n’est pas de la catégorie nominale, adjectivale ou verbale ou si le
premier élément est d’origine grecque.
16
Cette question mentionne déjà une des
caractéristiques des préfixes à savoir celle de devoir toujours s’adjoindre à un radical et celle
de ne pas pouvoir figurer tous seuls dans une phrase syntaxique. Ils sont souvent
monosyllabiques, mais non pas toujours, comme le montre le mot poly+glotte et de plus ils
peuvent avoir des formes allomorphiques dépendant de l’initiale du radical (p.e. le préfixe
négatif in- dans in+traduisable vs. in+apte). Les préfixes peuvent appartenir soit au
vocabulaire populaire soit au vocabulaire savante, ou à tous les deux. Un argument pour les
considérer comme des préfixes appartenant au français moderne est le fait qu’ils jouent encore
un rôle dans la formation de mots français nouveaux et sont donc productifs.
Généralement, on considère que les préfixes ne peuvent pas déterminer la catégorie du dérivé
en tête duquel ils figurent. Cet argument est souvent utilisé pour distinguer les préfixes des
suffixes et il y a de nombreux exemples qui appuient cette conclusion, comme par exemple
loyal (A) déloyal (A), locataire (N) colocataire (N) ou bien lire (V) relire (V). Dans
ces exemples mentionnés, la catégorie du dérivé est la même que celle du mot de base. Tout
comme les suffixes, les préfixes ne peuvent pas se rattacher à n’importe quel radical, mais ils
présentent également des traits de sous-catégorisation qui définissent avec quelle catégorie ils
peuvent se combiner. En français, la plupart des préfixes sont productifs dans la dérivation
des verbes, tandis que la formation des substantifs préfixés est beaucoup moins fréquente. Au
niveau sémantique, Huot (2001 : 97) nous apprend que les éléments que l’on peut caractériser
comme des préfixes du français moderne ont souvent une valeur très générale ( directionnelle
( p.e. a-/ad- dans agrandir ), associative ( p.e. co- dans colocataire), privative ( p.e. dé- dans
décentraliser) ou négative ( p.e. in- dans impoli ) ) et que les préfixes qui sont
indiscutablement considérés comme tels sont restreints en nombre, contrairement au grand
nombre de suffixes. Dans ce qui suit, nous analyserons les caractéristiques mentionnées cidessus plus en détail et nous allons voir ce qui a été dit de ces morphèmes dans le passé par
différents linguistes.
16
Voir Huot (2001)
34
3.1.2
Les caractéristiques des préfixes
Dans cette partie, nous allons parler des caractéristiques spécifiques des préfixes. Chaque
théorie de l’affixation doit représenter l’information essentielle qui est associée de façon
idiosyncratique à tous les affixes particuliers, donc aussi à tous les préfixes. Un affixe est une
unité lexicale ; il possède une catégorie et une entrée lexicale. Suivant cette théorie, toute
information idiosyncratique qui est associée à un affixe fait partie de son entrée lexicale. Nous
divisons cette information en trois sections, à savoir les propriétés syntaxiques, sémantiques et
phonologiques. Selon Selkirk (1982) ces données doivent être présentes dans l’entrée lexicale
d’un préfixe, qu’elle présente de la façon suivante (3.1) :
(3.1)
Lexical Entry of an Affix
a. Category (including type (always Affix), syntactic category features, and diacritic
features)
b. Subcategorization frame
c. Semantic functions
d. Phonological representation.
Selkirk (1982:64)
Premièrement, la catégorie d’un préfixe est toujours notée comme Affixe. La plupart des
préfixes ne sont pas capables de changer la catégorie du mot de base en tête duquel ils
figurent. Ils sont la sœur d’un constituant qui a les mêmes traits catégoriels que la nœud mère.
Nous voyons cela par exemple dans le mot anglais de-centralize dans lequel la partie de droite
est un verbe et le dérivé au complet est de la catégorie verbale également. Aucun de ces
préfixes ( qui ne changent pas la catégorie du mot de base) ne sera jamais considéré comme
étant la tête de son constituant suivant La Règle de la Tête à Droite, formulée par Williams
(1981). Ils n’ont pas de catégorie et c’est pour cette raison que les préfixes sont listés comme
Affixe. Pour un affixe comme de- dans decentralize l’entrée lexicale sera donc : a. Affixe.
Cette entrée lexicale montre le manque de catégorie syntaxique de ce préfixe. Cela oppose les
préfixes aux suffixes, qui sont souvent la tête d’un dérivé et qui ont donc une catégorie
lexicale, ce qui est montré par l’entrée lexicale du suffixe nominal –hood, dans brotherhood
‘communauté ou union’ : a. Naf . L’hypothèse qui consiste à dire que les préfixes n’ont pas de
catégorie lexicale a été souvent reprise pour d’autres langues, comme Booij (2005) pour le
35
néerlandais et Zwanenburg (1992) pour le néerlandais et le français, et Lieber (1992) pour le
français.
Deuxièmement, un affixe particulier présente deux caractéristiques syntaxiques. La première
caractéristique concerne la catégorie de la sœur à laquelle l’affixe s’adjoint et la place ou le
préfixe se rattache au mot de base, avant ou derrière celui-ci. Selkirk (1982 :86) donne
l’exemple con + tribute ‘contribuer’ La seconde propriété syntaxique de l’affixe, c’est le nom
de la catégorie qui domine l’affixe et sa sœur. Dans l’exemple mentionné ci-dessus, la
catégorie qui domine con- est toujours verbale. La linguiste admet qu’il n’est pas nécessaire
de nommer ce type de catégorie dominante, parce que l’on peut le déduire également de
principes grammaticaux généraux et c’est la raison pour laquelle cette information peut être
absente. Pour une explication détaillée voir Selkirk (1982 :61). Dans le modèle présenté par
Selkirk et repris souvent par d’autres linguistes, ces premières caractéristiques de nature
syntaxique sont exprimées par un cadre de sous-catégorisation de l’affixe. Par exemple pour con-, le cadre sera caractérisé comme [Af V]. Lorsque con- veut fonctionner dans un mot
correct, il faut que sa sœur soit un verbe, et que le préfixe con- précède ce verbe. Alors, quand
on veut classifier les propriétés syntaxiques d’un affixe, il faut donner ses traits de souscatégorisation.
Troisièmement, il faut analyser les propriétés sémantiques des préfixes. Il n’est pas toujours
possible de caractériser la sémantique d’un affixe par des règles lexicales uniquement. Dans
tous ces cas, il faut mentionner les fonctions sémantiques appropriées dans l’entrée lexicale
d’un tel affixe. L’exemple suivant emprunté à Booij (2005) montre de quelle façon la
sémantique peut influencer la dérivation. Le préfixe un- ‘dé’-, quand on l’attache aux verbes,
a le sens de renversement d’une situation, par exemple screw ‘visser’ un-screw ‘dévisser’.
En général, les dérivés en dé- peuvent être interprétés comme ‘contrarier l’action de V’. A
cause de ce sens spécifique, on ne peut pas dire # dénager qui aurait un sens absurde. Cette
restriction n’est pas vraiment une restriction sur un processus de formation de mots
particulier, mais l’impossibilité d’un verbe comme # dénager est due à l’incompatibilité entre
le sens du préfixe un- et celui du verbe de base. C’est donc le préfixe qui force le verbe de
base à appartenir à un type de verbe sémantiquement particulier et il impose ainsi une
interprétation particulière au verbe préfixé en entier.
Finalement, ce sont les caractéristiques phonologiques des affixes qui doivent être
mentionnées dans l’entrée lexicale, dont la plus évidente est celle de la prononciation. Il est
également important de savoir les influences de cet affixe sur l’accent. Certains affixes
changent l’accent d’un mot complexe auquel ils sont affixés et parfois, ils influencent même
36
la prononciation des mots qui figurent autour d’eux. Un problème complexe pour tous les
linguistes qui analysent la morphologie dérivationnelle d’une langue spécifique est de bien
caractériser la distinction entre les deux classes d’affixes dérivationnels. Les propriétés
phonologiques qui opposent les deux classes l’une à l’autre ont été le sujet de nombreux
articles et cela a surtout été discuté, parmi d’autres, par Siegel (1974, 1979) et Selkirk (1982).
Siegel (1979) et Selkirk (1982) se servent des termes classe I et classe II pour distinguer entre
les deux types d’affixes. Ces affixes se distinguent les uns des autres par leurs caractéristiques
phonologiques et morphologiques. Ici, nous ne reprenons que les préfixes connus (anglais) de
la classe I et de la classe II, puisque nous nous intéressons spécifiquement à ce genre d’affixe
(3.2) :
(3.2)
Classe I préfixes : re-, con-,de-, sub-, pre-, in-, en-, beClasse II préfixes : re-, sub-, un-, non- de-, semi-, anti-17
Il y a différentes façons, dont la phonologie est responsable des différences entre les deux
classes, à savoir, entre autres, le fait que les affixes de la première classe sont sensibles à des
processus phonologiques, tandis que les affixes de la deuxième classe n’y sont pas sensibles.
Les préfixes de la première classe peuvent inciter et subir des processus phonologiques nonautomatiques, ce sont des processus qui dépendent précisément de quels types de morphèmes
y sont impliqués. Les affixes de la classe II n’incitent que des processus phonologiques
automatiques, qui sont des processus qui s’appliquent indépendamment de la structure
morphologique du mot. En même temps, ces affixes de la deuxième classe ne subissent que
des processus automatiques. Certains préfixes de la première classe attirent l’accent du mot de
base sur eux-mêmes, un phénomène qui ne se fait normalement pas avec des affixes de la
seconde classe18, ce qu’on voit dans les exemples suivants de la classe I (3.3):
(3.3)
a.
fínite ínfinite
b.
maríne súbmarine
De plus, il y a différentes manières dont les affixes des deux classes se distinguent sur le plan
morphologique. Les affixes de la classe I sont plus près de la racine que ceux appartenant à la
17
18
Ces exemples sont repris à Spencer (1991: 79)
Ces exemples sont empruntés à Spencer (1991:80)
37
classe II quand il y a des affixes des deux classes dans un mot. Ceci est également mentionné
par Selkirk (1982) qui parle d’une Affix Ordering Generalization ‘Généralisation sur
l’Ordre des Affixes’. Les mots qui présentent des séquences du type préfixes Classe I +
Classe II sont excluses, comme par exemple un mot anglais comme *irrefillable. Les affixes
de la première classe peuvent s’attacher à un radical, tandis que ceux de la deuxième classe ne
s’attachent qu’aux mots (3.4) :
(3.4)
Classe I
Classe II
re-fer
re-fur19
in-ept
un-fair
pre-fix
anti-infectieux
Dans le dernier exemple, nous avons utilisé anti- comme préfixe pour montrer de quelle façon
ce morphème a été souvent classifié. Selon de nombreux linguistes, anti-, quand c’est un
préfixe, est un préfixe qui appartient à la Classe II, ce qui correspond à son comportement,
dont nous allons parler dans le chapitre suivant.
Nous pouvons donc conclure qu’il y a des différences systématiques entre les deux groupes
d’affixes. Nous connaissons aujourd’hui le modèle présenté par Siegel comme la Level
Ordering Hypothesis, ( ‘L’hypothèse sur l’ordre des niveaux’) dans laquelle cette linguiste
montre que l’on peut rendre compte de l’insensibilité à l’accent des affixes de la seconde
classe en acceptant que les deux types d’affixation se fassent à des niveaux différents.
L’affixation de la classe I se fait premièrement, ensuite les règles concernant l’accent
s’appliquent et c’est après ces deux stades que l’affixation de la classe II a lieu, ce qui est
montré dans le modèle suivant (3.5) :
(3.5)
affixation Classe I
Règles concernant l’accent
affixation Classe II
Nous pouvons donc dire que la préfixation d’anti- se passerait au dernier stade de ce modèle,
si l’on considère ce morphème comme étant un préfixe.
19
Dans ce cas, également emprunté à Spencer (1991), re- de re-fer est un morphème différent de re- dans re-fur.
Les derniers exemples (pre-fix et anti-infectieux) sont de l’auteur de ce mémoire.
38
Après avoir donné de nombreux exemples des préfixes et leurs caractéristiques, il faut parler
des affixes qui peuvent changer la catégorie, ce qui est mentionné entre autres par Selkirk
(1982) et Lieber (1992) pour l’anglais, Lieber (1992) et Zwanenburg (1992) pour le français
et le néerlandais, Booij (2005) et Trommelen & Zonneveld (1986) pour le néerlandais.
Normalement, ce ne sont que les suffixes qui présentent cette caractéristique, mais pourtant,
en anglais, en français et en néerlandais il y a également quelques préfixes qui changent la
catégorie (3.6):
(3.6) a. anglais :
a. a-sleep]V]A
‘dormant’
b. en-slave]N]V
‘être esclave de’
a-kin]N]A
‘semblable’
en-noble]A]V
‘ennoblir’
be-cloud]N]V
be-calm]A]V
‘se couvrir’
‘se calmer’
de- de de-bug]N]V
‘enlever la vermine’
Selkirk (1982 :87)
b. néerlandais : a. be-licham]N]V (-en)
be-droev]A]V (-en)
‘incarner’
‘désoler’
ont-har]N]V (-en)
ont-heilig]A]V (-en)
‘épiler’
‘profaner’
ver-slav]N]V (-en)
ver-diep]A]V (-en)
‘être esclave de’
‘approfondir’
b.
ge-mak]A]N
ge-mis]V]N
‘préf. bénin’
‘préf.manquer’
‘calme’
‘manque’
Zwanenburg (1992 : 168)
39
c. français :
a. em-bouteill]N]V(-er)
en-cav]N]V (-er)
dé-barqu]N]V (-er)
Lieber (1992: 68)
La Règle de la Tête à Droite proposée par Williams (1981), dont nous avons discuté dans la
deuxième section du chapitre précédent, identifie les suffixes comme étant la tête d’un mot, et
c’est pour cette raison que ce genre d’affixes détermine la catégorie. En effet, il est vrai que
cette règle est valable pour de nombreux exemples. Pourtant, la conséquence d’une règle si
rigide est le fait que les préfixes ne sont jamais capables de déterminer la catégorie d’un mot
dérivé. Les exemples ci-dessus ont été considérés comme des exceptions à la RHR présentée
par Williams (1981), mais la RHR révisée de Selkirk permet de définir ces préfixes comme
étant la tête du mot complexe. La RHR révisée désigne ces préfixes comme la tête du mot
complexe qu’ils forment puisque ce sont ces éléments dont les traits percolent à la catégorie
au-dessus. Donc, a- est un préfixe qui forme des adjectifs et les autres sont des préfixes qui
forment des verbes. Nous ne trouvons pas seulement des préfixes qui forment une exception à
la RHR, mais on trouve également des suffixes qui sont neutres par rapport à la catégorie du
mot complexe (category-neutral) comme la plupart des préfixes. Les suffixes ‘transparents’
qui ne fonctionnent pas comme tête posent également des problèmes pour la RHR, comme le
suffixe diminutif néerlandais –tje, qui dérive des noms des noms, des adjectifs des adjectifs
etc. (appartement ‘appartement’ appartement-je ‘petit appartement’. (Booij (2005))
Lieber (1992) a également analysé la dérivation selon ses conditions de légitimation, dont
nous avons parlé dans le chapitre précédent. D’abord, elle établit les conditions pour l’anglais,
que je répète dans la figure suivante (3.7):
(3.7)
Licensing Conditions : English
a. Heads are initial with respect to complements.
b. Heads are final with respect to specifiers.
c. Heads are final with respect to modifiers.
Lieber 1992: 54
40
Selon ces conditions, les têtes suivent les spécificateurs et les modificateurs et c’est pour cette
raison qu’on trouve de nombreux exemples de formation de mots qui ont la tête à droite. En
effet, en anglais, la majorité des dérivés et des composés ont une structure dans laquelle la tête
se trouve à droite. On trouve donc des suffixes qui changent la catégorie des mots complexes,
des préfixes qui ne changent pas la catégorie du mot dérivé, et des composés dont l’élément
le plus à droite fonctionne comme la tête du mot complexe. Pourtant, la première condition
suggère que la formation des mots en anglais devrait également être capable de créer des mots
qui ont une structure différente. Selon la condition en question la tête précède son
complément ( les rôles thématiques sont attribués vers la droite) et comme cette condition de
légitimation existe, il faudrait donc trouver des structures dans lesquelles la tête se trouve à
gauche et attribue le rôle thématique à droite. Lorsque l’on analyse de plus près les mots
dérivés qu’on pourrait trouver, il doit être clair que toutes les catégories ne peuvent pas
figurer comme tête dans une telle structure prédite par cette première condition, parce qu’il
faut que la tête soit d’une catégorie capable d’attribuer des rôles thématiques : ce sont
uniquement les préfixes qui appartiennent à la catégorie verbale ou prépositionnelle.
20
Un
préfixe nominal ne peut pas attribuer des rôles thématiques parce qu’il est caractéristique des
noms qu’ils ont des rôles thématiques qui ne sont attribués que lorsque ces noms sont dérivés
des verbes. Ces noms-là héritent des verbes la capacité d’attribuer des rôles thématiques. Si
nous acceptons que les préfixes sont des unités non-dérivées, ils n’ont rien dont ils peuvent
hériter le rôle thématique. Selon Lieber, il n’est pas probable que l’on trouve des prépositions
affixales, parce que les prépositions forment pratiquement une classe fermée, ce qui signifie
qu’il est presque impossible de dériver de nouveaux membres de cette catégorie. Celle qui
reste est donc la catégorie verbale. En effet, la grande plupart des préfixes qui changent la
catégorie en anglais sont des préfixes qui forment des verbes à savoir le préfixe en- et le
préfixe de- qui s’attachent aux noms ( et aux adjectifs pour en-) pour en former des verbes. Il
apparaît que de- et en- attribuent un rôle thématique à l’intérieur du mot ( vers la droite).
Sémantiquement, le nom de base auquel de- s’attache, a le rôle du thème : par exemple, to
decapitate X ‘décapiter X’ signifie ‘enlever la ‘caput’’ (tête en latin) de X. Pour en- on peut
dire que ce préfixe attribue un rôle locatif obligatoire à son radical : to encage Y ‘encager Y’
veut dire ‘mettre Y dans un cage’. Elle mentionne que les suffixes qui forment des verbes
comme par exemple –ize ‘-iser’ ou –ify ‘-ier’ n’attribuent pas de rôles thématiques à leurs
radicaux, mais qu’ils attribuent leurs rôles thématiques obligatoires à l’extérieur du mot
20
Pour une explication détaillée voir Lieber (1992: 57)
41
dérivé. Lieber donne les exemples to unionize X ‘* unionniser X’ ce qui signifie ‘faire X une
union’ et to purify X ´purifier X’ qui a le sens de ‘rendre pure X’, pour expliquer que les
radicaux auxquels ces suffixes s’attachent sont plutôt des prédicats que des arguments
obligatoires de l’affixe. Donc, comme les rôles thématiques sont attribués vers la droite en
anglais, il n’y a que les préfixes déverbaux qui sont capables d’attribuer des rôles thématiques
à leurs radicaux à l’intérieur du mot. Les suffixes déverbaux sont obligés d’aller à l’extérieur
du mot pour attribuer des rôles thématiques, et dans ce cas le radical nominal ou adjectival
fonctionne comme prédicat.
Cette linguiste mentionne également que ce genre de préfixes ont causé des problèmes pour la
théorie de la formation des mots, spécifiquement pour la RHR, qui prédit que les préfixes qui
changent la catégorie ne peuvent pas exister du tout. C’est le clou de la discussion lorsque
l’on analyse les dérivés en anti-. Elle fait une analyse semblable, selon ses conditions de
légitimation qu’elle établit pour chaque langue séparément, pour le français et pour le
néerlandais, et il en résulte qu’en français et en néerlandais, on trouve également ce genre de
préfixes qui changent la catégorie à savoir les équivalents des préfixes en- et de- qui sont en
français en- ( en+cage encag(-er) ) et dé- ( dé+barque débarqu(-er) et dé+culotte déculott(-er)) et qui sont en néerlandais ont- et be-. Comme Booij (2005), elle mentionne
également le préfixe déverbal ver- en néerlandais qui s’attache aux adjectifs et aux noms.
Dans le cas de ver-, ce sont les bases qui fonctionnent comme des prédicats comme par
exemple dans le verbe préfixé zich verslaven qu’on peut interpréter comme ‘se rendre un
esclave’.
Nous avons vu jusqu’ici les caractéristiques des préfixes et de quelle façon ils se comportent
dans la dérivation discutée par plusieurs linguistes. Analysons maintenant les prépositions
dans les mots composés et leurs caractéristiques.
3.2 Les prépositions dans les mots composés
Dans cette section, nous donnerons une analyse du comportement des prépositions
lorsqu’elles figurent dans des mots composés. Nous sommes d’avis qu’il n’est pas pertinent
de parler des prépositions qui figurent toutes seules dans une phrase syntaxique, parce que ce
sont surtout les prépositions et la structure des mots composés dans lesquels elles sont
présentes qui nous intéressent. Nous laissons également de côté les prépositions qui figurent
dans les binominaux non déverbaux, comme à et de, dans des mots comme pomme de terre et
42
sac à dos. Ces prépositions ne portent pas de sens et puisqu’il est clair qu’anti- a un sens
spécifique, nous ne voyons pas le besoin d’analyser de façon détaillée ce genre de
prépositons. Dans ces synapsies, la préposition « n’a pas de statut référentiel et [qu’] elle ne
sert qu’à légitimer le complément d’un verbe dont la catégorie n’est plus visible par suite de
son incorporation à un suffixe dérivationnel ou d’un substantif, dont les traits catégoriels ne
permettent pas de légitimer le complément » (Kampers-Manhe 2001 :108) C’est le clou de la
discussion de savoir si les mots en anti- font partie de la dérivation, et si anti- est un préfixe,
ou de la composition, ce qui signifierait qu’anti- est une sorte de préposition. Il faut donc
pouvoir donner des caractéristiques claires et précises d’une préposition pour savoir si nous
pouvons considérer anti- comme une préposition ou non. Nous nous servons de l’article de
Wiecher Zwanenburg (1992), dans lequel il formule des règles de formation des mots nonmorphologiques pour les mots composés qui ont toujours été problématiques pour La Règle
de la Tête à Droite (RHR) formulée par Williams (1981). Nous analyserons également la
position adoptée par Kampers-Manhe (2001) envers les prépositions dans les mots composés.
Nous donnerons également les structures de ce type de mots composés, (les mots composés
du type PN) qui ont été établies dans l’article de Kampers-Manhe et Bok-Bennema (2000)
que nous avons présenté dans le chapitre précédent
Nous pouvons distinguer deux sortes de structures parmi les composés en tête desquels figure
une préposition. Considérons d’abord les mots composés suivants (3.8):
(3.8)
Sans-papier, sans-cervelle, contre-poison, après-communisme, pour-compte
Kampers-Manhe (2001 :101)
Ces mots complexes présentent tous une relation de complémentation entre la préposition et le
substantif, qui est la même que dans la structure syntaxique : un sans-papiers est un homme
qui n’a pas de papiers. Cette relation de complémentation entre une préposition et le substantif
est une caractéristique des prépositions dans les composés. La préposition présente donc une
valeur référentielle, qui est la même que celle qu’elle a dans les syntagmes prépositionnels en
syntaxe. Cette projection modifie une tête nominale zéro, qui n’est pas phonétiquement
réalisée. Bok-Bennema & Kampers-Manhe (2000) ont repris cette notion d’une tête zéro à
Rohrer (1977) qui a introduit cette idée pour les composés apparemment exocentriques du
type essuie-tout ou coupe-vent et c’est cet élément zéro qui comporte des traits syntaxiques et
sémantiques. Cette tête nominale vide fait que le dérivé est du genre masculin, que c’est un
43
substantif et il rend compte de son sens, ‘personne sans papiers’, par exemple, pour sanspapiers. Selon la théorie de Bok-Bennema et Kampers-Manhe (2000), cette projection
nominale est le complément d’une projection flexionnelle qui fait qu’elle peut fonctionner
comme mot et cette structure a beaucoup de ressemblances avec celle des déverbaux
exocentriques du type Verbe-Complément comme coupe-pluie, protège-slip, dont nous avons
discuté dans le chapitre précédent lorsque l’on a parlé du cadre théorique de Bok-Bennema et
Kampers-Manhe (2000) La structure d’un composé du type Préposition + substantif où la
préposition fonctionne comme la tête du constituant, sera la suivante (3.9) :
(3.9)
InflP
Infl
NP
PP
NP
N
P
0
sans
NP
papiers
0
Kampers-Manhe (2001 :102)
Comme dans les exemples homme-grenouille et sac-poubelle, dont nous avons parlé dans le
chapitre précédent, la tête nominale zéro s’incorpore à l’affixe flexionnel pour former un mot
correct. Comme nous l’avons déjà mentionné, il existe encore un autre groupe de composés
du type Préposition + Substantif dont nous voyons quelques exemples sous (3.10) :
(3.10) contre-culture, sous-consommation, surhomme, avant-pont, arrière-pays
Kampers-Manhe (2001 :102)
Les prépositions référentielles dans ces mots n’ont pas le statut de tête parce que le composé
désigne une sous-classe des référents de l’élément de droite. Un surhomme par exemple est
44
une sorte d’homme. Kampers-Manhe suit Zwanenburg (1990) dans son analyse qui consiste à
dire que ces prépositions sont des modificateurs. Zwanenburg (1990) oppose les mots du type
sous-bois à ceux du type avant-bras et Kampers-Manhe propose que ces mots aient une
structure d’adjonction. Pourtant, ces prépositions ont leur sens plein et donc le statut de la
préposition est la même que dans les composés mentionnés au début de cette section, mais la
relation sémantique avec la tête nominale change. Kampers-Manhe (2001) accorde la
structure de base (3.11) suivante à ce genre de mots composés:
(3.11)
InflP
Infl
-e
(3.12)
NP
InflP
P
P
NP
contre
cultur-
contrej
InflP
Infl
NP
N
Infl
P
NP
culturi
e
tj
ti
Kampers-Manhe (2001 :102)
Dans la figure (3.12), on voit que le substantif est ensuite incorporé à l’affixe flexionnel et
que la préposition est adjointe à la position Spec-InflP. Ce déplacement d’un élément léger est
expliqué dans le modèle de Bok-Bennema et Kampers-Manhe (2000) quand elles analysent
les préfixoïdes, dont nous allons parler dans la section suivante. Les deux structures
mentionnées ici rendent donc bien compte du statut référentiel de la préposition, qu’elle figure
comme tête ou comme modificateur. La préposition a donc la même valeur référentielle que
dans les syntagmes prépositionnels en syntaxe ce qui est une différence avec ce qui a été dit
par Zwanenburg (1992).
Dans son article, Wiecher Zwanenburg analyse des exemples, dans différentes langues, qui
posent un problème à la RHR de Williams, qui définit que la tête d’un mot
morphologiquement complexe est le membre le plus à droite de ce mot. Comme nous l’avons
déjà mentionné, il y a de nombreux linguistes qui ont critiqué cette règle, comme Lieber et
Selkirk, qui
montrent que dans certaines langues c’est l’élément le plus à gauche qui
45
fonctionne comme tête, comme dans la composition vietnamienne. Zwanenburg (1992) essaie
pourtant de garder la RHR telle qu’elle est formulée par Williams (1981). Dans les langues
romanes, l’affixation se fait conformément à la RHR, parce que les dérivés dans les langues
romanes ont leur tête à droite, mais la composition est déviante, parce que dans la
composition de ces langues c’est l’élément le plus à gauche qui est la tête. Comme nous
l’avons déjà montré dans la section 3.1, Booij (2005), Lieber (1992) et Selkirk (1982) relèvent
des préfixes transcatégoriels pour le néerlandais, l’anglais et le français, qui devraient être
considérés comme des exceptions à la RHR. Outre ces exemples, Zwanenburg essaie de
rendre compte des mots qui forment un problème plus important à cette règle. Il argumente
pour les composés français dans lesquels il est indiscutable que la tête se trouve à gauche
comme sac-poubelle ou coffres-forts, en se réfèrant à DiSciullo et Williams (1987), que ces
exemples doivent être considérés comme des expressions syntaxiques qui sont listées dans le
lexique. En fait, tous les composés en français, où la tête se trouve à gauche appartiennent
donc au domaine de la syntaxe et ils ne sont pas particuliers parce que les expressions en
syntaxe du français ont généralement leur tête à gauche. Pourtant, Zwanenburg admet que les
structures des mots comme essuie-glace et en-têtes sont encore plus problématiques pour la
RHR. La structure d’ en-têtes surtout est intéressante pour notre analyse des prépositions dans
les composés. Notons que Zwanenburg reprend pour les structures comme brise-glace,
protège-slip une fois de plus la théorie de DiSciullo et Williams (1987). Ces linguistes
introduisent la règle suivante (3.13) :
(3.13) N VP
DiSciullo & Williams ( 1987 : 81)
C’est une règle de formation des mots non-morphologique et ces chercheurs considèrent le
VP comme la tête du N, mais une tête dont les caractéristiques ne percolent pas.
21
Zwanenburg reprend cette théorie en mentionnant que l’on a affaire à une règle de formation
des mots non-morphologique marquée qui introduit la syntaxe à l’intérieur des mots. Dans ces
mots, la structure intérieure reste opaque à la syntaxe des phrases. Alors, la flexion, si elle est
présente, s’applique sur le mot au complet et non pas sur les deux éléments à part, par
exemple, des couvre-chefs et des en-têtes vs. oiseaux-mouches. Suivant cette conception, il
introduit pour les exemples du type N [PN] (en-têtes etc.) également une telle règle (3.14) :
21
voir DiSciullo & Williams (1987) à la page 81 pour une explication plus détaillée.
46
(3.14)
N PP
Comme il y a d’autres exemples dans lesquels le PP n’est pas toujours un nom, mais par
exemple un adjectif ( (des phares) anti-brouillards
22
) ou un verbe ( en-chaîn-(er)), il faut
introduire d’autres règles qui en rendent compte, ce qui résulte en l’exemple sous (3.15) :
(3.15)
A/N/V PP
Zwanenburg 1992 : 172
Une question intéressante qui se pose est de savoir lesquelles des particularités des
prépositions sont responsables du fait que ces éléments peuvent figurer dans des règles de
formation des mots si marquées. Zwanenburg est d’avis que ces structures doivent être entre
la syntaxe ( à cause de la position de la tête ) et la composition dans la morphologie ( à cause
du niveau X-bar des constituants), mais il admet ne pas pouvoir fournir une explication plus
profonde.
Comme nous l’avons vu dans Kampers-Manhe (2001), Zwanenburg fait une distinction
importante entre les différentes structures des mots qui contiennent des prépositions, parce
que toutes les structures contenant des prépositions ne sont pas issues de la règle sous (3.15).
Il faut comprende que dans la plupart des exemples de mots complexes du type PN, on a
affaire à une indiscutable préposition. Pourtant, on trouve également les mêmes structures qui
contiennent des préfixes qui ne figurent pas indépendamment comme des prépositions. Il
donne les exemples suivants (3.16):23
(3.16)
a. inter-ligne]N]N
sous-bois]N]N
b. inter-commun]N-al]A
sous-mar]N]-in]A
c. inter-foli]N]V (-er)
sou-lign]N]V (-er)
Dans les exemples de gauche, on voit des préfixes de cette sorte et dans les exemples de
droite, on trouve des véritables prépositions (non-controversées) Dans ces cas, la préposition
fonctionne comme la tête du dérivé. En outre, on trouve également des prépositions qui
22
23
Ici, le morphème anti- est donc nettement considéré comme une préposition !!
Voir Zwanenburg (1992: 173)
47
présentent le même comportement que la plupart des préfixes à savoir le fait de ne pas
changer la catégorie du mot de base comme on le voit dans les exemples suivants (3.17) :
(3.17) a. dé-faveur]N]N
sous-chef]N]N
b. dé-loyal]A]A
sous-jacent]A]A
c. dé-cel]V]V (-er)
sou-lev]V]V (-er)
Zwanenburg en tire la conclusion que la conduite prépositionnelle ou préfixale d’un
constituant dans une structure de mot est indépendante de sa capacité à figurer
indépendamment comme préposition en syntaxe. Il considère les derniers exemples (3.17)
comme appartenant à la préfixation régulière dans laquelle le membre le plus à droite est la
tête, et la préposition donc un modificateur et c’est donc une préposition préfixée, mais les
premiers exemples (3.16) comme ayant la structure N
P P.
Ceci est très important pour l’analyse des données anglaises et néerlandaises qui ne sont pas
conformes à la RHR. Lorsque l’on analyse ces exemples, il faut donc tenir compte du fait
qu’il existe des préfixes,- en tout cas des constituants qui figurent à gauche dans un mot et qui
ne figurent pas comme prépositions indépendantes-, qui peuvent présenter une conduite
prépositionnelle en changeant la catégorie du mot de base dans la structure d’un mot comme
ceux mentionné par Selkirk (1982) et d’autres ( a-, be-, de- et en-) et qu’il existe des
prépositions qui présentent une conduite semblable à celle d’un préfixe et qui ne changent pas
la catégorie du mot de base dans la structure d’un mot. Ceci est une caractéristique importante
et nous avons déjà vu la structure de ces deux sortes de composés du type Préposition +
substantif dans l’analyse de Kampers-Manhe (2001). Comme nous l’avons signalé ci-dessus,
l’idée que les prépositions qui fonctionnent comme modificateur sont utilisés pour la
préfixation selon Zwanenburg différe de l’hypothèse de Kampers-Manhe (2001) qui dit que la
préposition, dans les deux cas, a son sens plein et a le même statut dans les deux structures.
Nous suivons l’hypothèse de Kampers-Manhe (2001) qui résulte directement de notre cadre
théorique proposé par Bok-Bennema & Kampers-Manhe (2000).
Ayant donné ces exemples, il faut référer à la théorie de Walinska de Hackbeil (1985) qui a
étudié en détail des verbes commençant par en- et qui propose pour des verbes comme
enchaîner la structure suivante24 (3.18) :
24
Reprise à Zwanenburg (1992)
48
(3.18)
V
PP
V
P
N
en
chain Ø
Notons que Walinska de Hackbeil (1985) introduit un suffixe zéro verbal, mais que
Zwanenburg n’est pas d’accord avec cette analyse. Ce qui est intéressant pour notre étude
c’est que Walinska de Hackbeil considère en- comme une préposition en se basant sur des
propriétés syntaxiques et phonologiques que ce morphème a en commun avec la préposition
in. Zwanenburg est d’accord avec cette position, mais il propose une règle comme V PP
sans suffixe zéro pour ce genre de verbes. Il considère ces exemples anglais donc également
comme le résultat d’une règle de formation de mots non-morphologique marquée. Le
chercheur ne voit pas pourquoi cette règle ne serait pas valable pour les verbes commençant
par be- an de- dans be-calm et de-bug considérant que les prépositions et les préfixes peuvent
alterner dans des fonctions prépositionnelles et préfixales. Le statut de be- dans ce cas serait
alors celui d’un préfixe, mais un préfixe qui présente une fonction prépositionnelle.
Il conclut de toutes ces analyses que les règles formulées pour les exemples français difficiles
pour la RHR valent également pour les exemples anglais et néerlandais, puisque le
néerlandais connaît également des préfixes qui changent la catégorie du mot de base, comme
nous l’avons déjà vu dans la section concernant les préfixes. Ce que nous pouvons donc
conclure de cet article de Zwanenburg, c’est que les préfixes qui changent la catégorie du mot
de base peuvent présenter des fonctions prépositionnelles et l’inverse est également possible.
Nous voyons donc ici, que la frontière entre préfixe et préposition n’est pas si facile à
déterminer quand on considère les prépositions dans les mots composés. Ayant dit cela, nous
insistons sur le fait que pour nous, dans les deux structures du type Prép. + substantif
mentionnées, le statut de la préposition est indiscutable. Dans les deux cas, il s’agit des
prépositions au sens plein, mais la relation sémantique avec la tête nominale est différente
dans des exemples comme avant-bras ou contre-culture. Dans la structure de ces derniers, il
se produit un déplacement d’un élément léger. Nous allons voir dans la section suivante,
qu’un tel déplacement a lieu également dans la formation des dérivés contenant des
préfixoïdes. Jusqu’ici nous avons parlé des préfixes et prépositions et nous avons vu que
certains linguistes sont d’avis, notamment Zwanenburg (1992), que les prépositions peuvent
présenter une conduite préfixale et que les préfixes peuvent présenter un comportement
49
prépositionnel. Dans le paragraphe suivant, nous allons discuter des morphèmes qui ne sont ni
l’un, ni l’autre, à savoir le groupe des préfixoïdes.
3.3 Les préfixoïdes
Dans les langues romanes, en français en particulier, il y a un groupe de mots qui semblent
avoir la même structure que celle des déverbaux dans les langues germaniques, comme
gevangenisbewaker ‘gardien de prison’. . Les préfixoïdes sont un groupe de morphèmes qui
ont également des traits intéressants et parfois mêmes semblables à ceux d’anti-. Comme il est
possible que anti- puisse être considéré comme un préfixoïde, il est intéressant de savoir la
structure de ce groupe de mots composés. C’est un type spécial des composés NN (et AN)
dans lesquels le modificateur se trouve à gauche contrairement aux composés comme homme
grenouille, ou ce sont des mots composés qui ont leur complément à gauche, contrairement
aux composés exocentriques comme protège-slip.
Selon Bok-Bennema & Kampers-Manhe (2000), les mots comme câblo-opérateur,
narcotrafiquant légitiment leur complément dans la position adjointe au NP. Il est vrai qu’un
mot comme narcotrafiquant présente une relation tête-complément dont la signification est
‘quelqu’un qui fait le trafic des drogues’. Cependant, le complément narco- a une forme
différente de celle du morphème de son mot de base, à savoir narcotique ; notons qu’il est
impossible de remplacer narco- par narcotique dans le mot narcotrafiquant ( * narcotiquetrafiquant) Bok-Bennema et Kampers-Manhe (2000)concluent que cette forme tronquée qui
est narco- , est une forme défective, qui est différente de la forme de son radical dans les mots
analogues. Les linguistes comparent ces préfixoïdes avec d’autres formes défectives, à savoir
les clitiques et les adverbes légers (bien) . Toutes ces formes défectives ont la caractéristique
de ne pas pouvoir fonctionner toutes seules en syntaxe. Il faut que ces formes soient adjointes
à un autre élément et ceci est traduit formellement par un trait spécial qui est présent dans leur
entrée lexicale. Cette analyse explique pourquoi ces préfixoïdes doivent se déplacer
obligatoirement vers la gauche et c’est pour cette raison qu’ils se trouvent à gauche de la tête.
L’approche de Bok-Bennema et Kampers-Manhe permet de donner une explication pour cet
ordre modificateur/complément- tête qui semble exceptionnel à première vue. Les deux
linguistes sont d’avis que la structure de base de ces mots est la même que celle des mots
composés endocentriques nominaux comme homme grenouille, donc une structure
d’adjonction normale, ce qui est illustré par la structure (3.19)(a). Dans la structure de base,
50
c’est la tête nominale qui est incorporée au suffixe flexionnel et la projection maximale du
préfixoïde est adjointe à la projection maximale Infl/ NP (3.19) :
(3.19)25 a.
InflP
Infl
b.
NP
InflP
NP
NP
NP
0
narco
dollar
-e
grenouille
homm-
InflP/NP
Infl/N
N
narcoj dollari
NP
Infl/N NP
NP
0
ti
tj
Kampers-Manhe (2000 :170)
Les préfixoïdes comme narco- et câblo, dans la structure dérivée des substantifs déverbaux,
sont adjoints à la projection maximale du suffixe dérivationnel et sont ainsi légitimés. Les
auteurs présument que les préfixoïdes sont dispensés de la légitimation, parce qu’ils n’ont pas
de statut catégoriel comme les préfixes, et c’est pour cette raison que les préfixoïdes peuvent
figurer comme des compléments de nom. Bok-Bennema & Kampers-Manhe réussissent à
rendre compte du fait que les préfixoïdes ne sont pas des exceptions aux règles de la
composition dans les langues romanes, mais que c’est leur dépendance phonologique qui fait
que leur ordre est différent par rapport aux mots composés présentant la même relation.
25
voir Bok-Bennema & Kampers-Manhe (2001 : 37)
51
3.4 Conclusion
Au début de ce chapitre, nous avons donné une image des caractéristiques des préfixes en
analysant plusieurs théories concernant la dérivation. Selkirk (1982) explique quelle sorte
d’information est nécessaire pour pouvoir caractériser les préfixes. Elle nomme certains traits
qui doivent être présents dans l’entrée lexicale d’un préfixe afin qu’il puisse fonctionner dans
un mot. Les préfixes ont un cadre de sous-catégorisation pour leurs traits syntaxiques. Siegel
(1979) a contribué à la caractérisation des préfixes en établissant sa Level Ordering
Hypothesis ‘l’hypothèse sur l’ordre des niveaux’. Elle parle de deux classes de préfixes et
elle analyse les caractéristiques qui distinguent ce deux types des préfixes. Nous avons vu que
le morphème anti- appartient, selon elle, à la Classe II des préfixes. Booij (2005) et Lieber
(1992) ont également discuté de la dérivation. Un point commun à toutes ces théories est la
notion de la capacité de changer la catégorie. Nous avons vu que ce sont surtout les suffixes
qui ont cette caractéristique, mais tous ces linguistes ont montré qu’il existe également
quelques préfixes qui ont cette capacité à savoir a-,be-,de-,en- en anglais. Ces préfixes ont des
équivalents en néerlandais (Booij) et en français (Lieber).
Pour les prépositions, nous nous sommes concentré sur les prépositions qui sont présentes
dans les composés, parce que ce sont elles qui nous intéressent parce que le morphème antiest souvent attaché à un mot de base. Pour analyser ce genre de composés et spécialement
pour savoir le statut de la préposition dans de telles structures, nous avons donné les points de
vues de Zwanenburg (1992) et de Bok-Bennema & Kampers-Manhe (2000) concernant ce
sujet. Bien que ces linguistes n’aient pas les mêmes idées, la discussion qu’ils mènent sur les
prépositions dans les composés est intéressante pour notre analyse. Zwanenburg (1992)
montre que nous pouvons considérer un bon nombre de préfixes comme des prépositions et
l’inverse. Bok-Bennema & Kampers-Manhe (2000) donnent nettement les structures des mots
composés qui sont formés par l’intermédiaire des prépositions. Enfin, nous avons traité
également des préfixoïdes, un groupe de morphèmes qui est intéressant à analyser parce qu’ils
présentent des propriétés semblables à ceux d’anti- et il faut en rendre compte. Ayant
caractérisé les préfixes, les prépositions et les préfixoïdes, il est temps maintenant d’analyser
de plus près les caractéristiques et le comportement de ce morphème déjà beaucoup
mentionné dans cet article : anti-. Dans le chapitre suivant, nous attaquons vraiment la
question centrale de notre recherche qui est de savoir comment nous pouvons classifier anti-.
Dans le chapitre suivant, nous essayons de donner une bonne image de ce morphème en
52
fonction des caractéristiques que nous avons établies dans ce chapitre pour les préfixes, les
prépositions et les préfixoïdes.
53
Un morphème complexe: antiLes problèmes présentés par les formations en anti-.
4.0 Introduction
Dans ce chapitre, nous revenons à la question de recherche qui est de donner un statut plus
clair au morphème anti-. Dans le passé, certains auteurs ont déjà parlé des problèmes posés
par les formations en anti-. Pourtant, ces auteurs ne donnent pas de réponse précise à la
question de savoir si anti- est un préfixe ou une préposition. La plupart des linguistes qui ont
traité d’anti- considèrent ce morphème comme un préfixe, sans se poser plus de questions sur
les caractéristiques prépositionnelles qu’anti- présente.
Nous donnerons une synthèse des articles publiés dans le passé par d’autres linguistes
concernant les formations en anti-. Nous nous intéressons particulièrement aux articles de Rey
(1968), de Durand (1982), de Corbin (1987), de Fradin (1998) et de Serrano-Dolader (2002).
Dans le premier paragraphe, nous donnerons les diverses caractéristiques que présente anti-,
comme, entre autres, son caractère transcatégorisant, une dénotation reprise à Fradin (1998).
Dans la seconde partie de ce chapitre, nous discuterons des différentes interprétations que
peut avoir anti-. Nous reprenons le cadre qui a été présenté en 1998 par Fradin pour distinguer
les interprétations d’anti-. Dans le même paragraphe, nous analyserons plus profondément les
analyses de Durand (1982) et de Corbin (1987). Ces auteurs ont essayé de rendre compte des
questions diverses auxquelles on a affaire lorsque l’on analyse des formations comme
antichar et antiparlementaire. Nous avons décidé de présenter en détail ces analyses, à savoir
celle de Durand qui concerne plutôt le niveau sémantique et celle de Corbin qui concerne le
Principe de Copie, parce que ces études montrent bien les difficultés que posent ce genre de
formations en anti-.
Nous terminerons ce chapitre par la conclusion dans laquelle nous essaierons de donner un
survol de ce qui a été dit sur les mots en anti- dans le passé.
54
4.1 Synthèse des articles
Le morphème anti- a toujours posé beaucoup de problèmes quand les linguistes ont essayé de
le classifier et de donner une meilleure image de l’interprétation de ce morphème. Ceci a
souvent abouti à encore plus de questions, surtout parce que le sens d’anti- n’est pas toujours
évident. Il y a pourtant certains auteurs qui ont essayé de structurer la discussion sur anti- en
l’analysant de plus près. Malheureusement, il n’y a pas beaucoup d’auteurs qui ont parlé en
détail du statut d’anti-, parce que ce morphème a toujours été considéré comme un préfixe
dont le sens précis était difficile à déterminer. Il y a un auteur qui se demande cependant si les
caractéristiques présentées par anti-, surtout les caractéristiques que ce morphème a en
commun avec les prépositions, doivent mener à une nouvelle discussion sur son statut, à
savoir Serrano-Dolader (2002). Dans ce paragraphe, nous donnerons un survol de certains
articles dans lesquels anti- a été analysé comme préfixe. Nous avons consulté quelques
auteurs qui ont rédigé des articles intéressants pour le développement de notre propre
recherche, à savoir ceux, par ordre chronologique, de Rey (1968), de Durand (1982), de
Corbin (1987), de Fradin (1998) et pour conclure de l’auteur mentionné ci-dessus, SerranoDolader (2002).
Dans tous ces articles, il y a certains poins communs dans l’on analyse du comportement
d’anti-. Une des premières caractéristiques d’anti- est le fait qu’il peut figurer isolément
comme forme amputée d’antiX, une caractéristique qui le distingue de la plupart des autres
préfixes en français (Fradin 1998). Dans ce cas-la, son interprétation est ‘partisan s’opposant à
X’ et dans cet emploi, sa forme symétrique est pro-, qui figure également comme forme
amputée de ‘proX’. Cette capacité est une des raisons pour se poser des questions sur son
statut, mais c’est une question sur laquelle nous reviendrons dans un stade ultérieur. Un autre
trait particulier d’anti- est son caractère « transcatégorisant » (Fradin 1998). Cela veut dire
qu’anti- a la capacité de créer des adjectifs à partir de noms Les bases peuvent être des noms
communs (antihausse) des noms propres ( antideGaulle), des groupes nominaux ou des noms
composés (antipouvoir personnel). Les syntagmes nominaux dans (4.1) en sont quelques
exemples :
(4.1)
police antiémeute, missiles antichar, démonstration antideGaulle, phares
antibrouillard
55
Le fait que nous pouvons caractériser les unités antiX de (4.1) comme des adjectifs repose sur
plusieurs critères. Une première raison selon Rey (1968 :40) et selon Serrano-Dolader
(2002 :390) est que c’est la tradition de les considérer comme des adjectifs ; c’est pourtant
une raison très faible, parce que la tradition n’est pas un véritable critère. Deuxièmement, une
raison plus importante est le fait que ces unités antiX figurent souvent dans une position
d’épithète après le nom dans une structure N A, ce qui est typique des adjectifs en français.
En tant qu’épithète postposée, les adjectifs modifient le nom-tête du syntagme nominal
(NP).26 Finalement, ces unités antiX se laissent paraphraser par une relative du genre ‘qui V
contre X’, où V est un verbe approprié comme combattre ou protéger. Pourtant, ces adjectifs
en anti- présentent certaines caractéristiques qui font qu’ils se distinguent des adjectifs
ordinaires. C’est un point de discussion sur lequel nous reviendrons plus tard.
Quand nous étudions les articles mentionnés, nous voyons qu’anti- peut se combiner avec des
bases qui sont de la catégorie syntaxique nom (N), ce qui inclut les noms propres comme antiJuppé. (cf. Fradin 1998 :337) Les adjectifs fonctionnent également comme base à laquelle
anti- peut se préfixer, ce qui est montré par des mots comme anti-allemand, anti-viral, mais il
semble même que certains adverbes puissent servir de base pour la formation des unités antiX,
comme antidémocratiquement et antichimiquement (relevé chez Fradin p. 337). Pourtant, on
se demande si les adverbes peuvent figurer comme bases avec lesquelles anti- se combine. La
structure profonde des mots comme antidémocratiquement est, selon nous, plutôt la suivante :
[[ anti + démocratique] + -ment]. Dans ce cas-là, il s’agit encore d’un adjectif qui figure
comme base au lieu d’un véritable adverbe, ce qui est admis par Fradin également qui dit que
ce ne sont que des adverbes dérivés d’un adjectif qui peuvent servir de base.
Chez Rey (1968 :56), nous trouvons également une unité antiX intéressante que l’auteur a
relevée dans un article de Pierre Daninos, dans l’Express, du 20 mars 1967, à savoir ‘les
antitout, les antiriens…’. Dans ce cas-là, le ‘tout’ et le ‘rien’ à droite d’anti- sont des pronoms
et c’est donc une autre catégorie à laquelle anti- peut s’attacher pour donner des noms qui
sont assez fréquents dans la langue parlée, bien que les pronoms soient en quelque sorte des
noms également.27
Depuis longtemps, différents linguistes ont montré qu’anti- ne figure pas comme préfixe en
combinaison avec les verbes ( p.e : #antiattaquer, #antichoisir, #antiargumenter)28 et pas non
plus en combinaison avec les adjectifs non-dérivés. Nous voyons des
preuves de cette
26
Voir Durand (1982: 7)
Voir Rey (1968:41) pour des exemples
28
Voir Fradin (1998: 337)
27
56
agrammaticalité chez Durand (1982 :15) qui mentionne #antigris, #antitendre et #anticontent.
Pourtant, il semble que ce ne soit pas la complexité morphologique qui fait que ces mots sont
agrammaticaux mais que c’est plutôt la nature sémantique de l’adjectif-base qui est en cause,
ce qui est montré par les unités antiX du type ethnique comme antiturc, antiallemand,
antichinois. Rey (1968 : 42) nous a montré avec son excellente étude diachronique de
quelques repères lexico-graphiques que l’usage et le comportement d’anti- ont évolué
énormément. La formation des mots en anti- est un processus qui est encore très productif et
en développement. Comme certains des articles étudiés ont été rédigés il y a quelques années
déjà, il est nécessaire de voir dans notre propre recherche si cette combinatoire
morphologique du morphème anti- n’a pas changé dans les dernières années ou s’il a la
capacité de changer.
Dans tous les articles analysés, les auteurs essaient de décrire anti-, mais ils concluent que
pour donner une bonne caractérisation du sens d’anti-, il faut faire une analyse sémantique
parce que ce morphème a plusieurs sens. Comme anti- a un seul signifiant, de nombreux
auteurs ont essayé de formuler pour la formation des mots en anti- une seule opération
fondamentale. Dans les articles étudiés, les auteurs montrent déjà que pour une bonne
description du sens d’anti- plusieurs règles de formation sont requises (Rey (1968), Durand
(1982), Corbin (1987) et Fradin (1998)).
Corbin (1987) formule 4 règles pour décrire les différentes interprétations d’anti-. Elle est la
seule qui inclut le morphème anti- spatio-temporel dans ces règles, alors que les autres auteurs
excluent ce sens d’anti-, parce que Rey (1968 :44) a déjà montré par son étude diachronique
que dès le XVIIIe siècle, ce sens d’anti- ne figure que dans les composés lexicalisés comme
antichambre, dans lequel anti- a le sens de avant qui correspond au latin ante. Pour être
complet, nous donnons cependant cette Règle de Création des Mots (RCM) (4.2) :
(4.2)
RCM anti-1 :
N1 N2
« N2 situé devant N1 »
( Corbin 1987 : 652)
Le morphème anti- se combine avec des bases nominales pour former des noms et dans ces
formations anti- indique une location qui est devant une autre, indiquée par la base nominale.
Une antichambre par exemple est une chambre située devant une autre chambre. En
néerlandais, nous connaissons encore le mot ‘voorkamer’ (littéralement traduit en fr. devantchambre). C’était la pièce dans les grandes maisons ou dans les grandes fermes où les hôtes
57
étaient accueillis. Un autre exemple de cette interprétation est le verbe antidater qui est
composé d’antidat- + -er signifiant « marquer d’une antidate ». Il s’agit donc de la structure
N1 date N2 antidate et cette structure est transformée en verbe par l’ajout de –er dans un
stade ultérieur. Une antidate est une date inscrite sur un document antérieure à la date réelle
où il a été établi.
29
Il faut bien se rendre compte ici que le contraire du morphème anti-
figurant dans ce genre de formations est le morphème post- : l’inverse d’antidater est le verbe
postdater. Il s’agit donc en effet d’une structure suivante : N1 date N2 postdate qui est
converti en verbe.
Dans cet article nous mettons plutôt l’accent sur les autres interprétations d’anti-, dont
l’origine est la préposition grecque anti-. Le contraire de ce morphème anti- est le morphème
pro- dans certains cas comme : anti-communiste vs. (pro)-communiste.
Pour ce genre de formations en anti-, Corbin formule encore trois règles pour décrire
l’interprétation de ces mots que nous donnerons en discutant des différentes interprétations d’
anti-.
4.2 Les différentes interprétations d’anti4.2.1 L’interprétation d’antihéros
Une des premières interprétations d’anti- (I1) sur laquelle tout le monde s’entend, est que
certaines unités antiX fournissent des entités qui ont le sens de ‘contraire antipodal’ de ce que
dénote le N-base ( Lyons 1977 :207-335 ). On parle également ‘d’image en miroir’ (Rey
1968 :54) parce que ce sens implique que les traits pertinents du nom dérivé en anti- sont
opposés diamétralement aux ceux du N-base. Dans ce cas-là, anti- s’applique à des bases
nominales pour former des substantifs qui ont tous le même genre que celui de la base. (un
héros- un antihéros vs. une héroïne – une antihéroïne). Donnons d’abord la règle formulée
par Corbin (1987 :652) pour décrire la formation des ‘contraires antipodaux’ comme
antihéros (4.3):
(4.3)
RCM anti-2 :
N1 N2
‘ N2 opposé de/à N1’
29
Voir le Petit Robert (1996) sous antidate
58
Très généralement, on peut dire que si N1 présente quelques caractéristiques stéréotypiques,
antiN (N2) désigne des objets ou des personnes qui présentent des propriétés diamétralement
opposées à celles de N1.
Voici quelques exemples empruntés à Durand (1982) de ce type antiX (4.4) :
(4.4)
anticorps, anticyclone, antihéros, antilambda, antimatière, antimémoires
4.2.2 L’interprétation d’antichar et d’antiparlementaire
L’interprétation incontestée sous-catégorisée sous (I2) par Fradin est celle qu’on remarque
dans les exemples suivants relevés dans Fradin (1998) (4.5) :
(4.5)
antichar
‘qui combat les chars’
antivol
‘qui protège du vol’
antigel
‘qui combat le gel’
antireflet
‘qui protège des reflets’
Pour ces exemples, Corbin (1987 : 652) fournit la RCM anti-4 (4.6) :
(4.6)
RCM anti-4 :
NA
« Qui s’oppose à N »
La règle décrivant le fonctionnement d’anti-4 indique que sur des bases nominales peuvent
être construits des adjectifs qui signifient « qui s’oppose à N ». Ces adjectifs peuvent subir
ultérieurement un changement de catégorie qui leur permet de fonctionner comme nom
(antigel, antirides). Les bases peuvent être des noms communs (antihausse) des noms propres
(antideGaulle), des groupes nominaux ou des noms composés (antipouvoir personnel). Nous
reviendrons sur ces exemples plus complexes plus tard dans ce paragraphe.
Nous pouvons caractériser le sens des mots sous (4.5) par une paraphrase ‘qui s’oppose aux
effets de ce que dénote N’ (Fradin 1998). Plus généralement, nous pouvons ramener ce sens à
une valeur de base qui est ‘contre’, mais ce n’est qu’une description approximative. Ce mode
de formation est très productif. Ce qu’il faut mentionner c’est que cette analyse semble
59
suggérer que toutes ces unités sont des adjectifs, mais qu’elles se distinguent pourtant des
adjectifs ordinaires.
D’abord, ces adjectifs en anti- n’acceptent pas d’emploi prédicatif. (* Ce canon est antichar
(Durand 1982 :8)) En espagnol, comme en français par ailleurs, ces adjectifs ne sont pas
obligés de suivre le nombre du substantif de base (Serrano-Dolader 2002 :388) (4.7) :
(4.7)
a Medidas antialcohol ( ‘mesures antialcool’)
b Dispositivos antirrobo (‘dispositifs antivol’)
c Leyes antihuelga (‘lois antigrève’)
De plus, ces adjectifs sont invariables en genre (Serrano-Dolader 2002 :394) (4.8) : Comparez
(1) à (2)
(4.8)
1 a El faro hermoso (‘ le beau phare’)
b La luz hermosa
( ‘la belle lumière’)
2 a El faro antiniebla ( ‘le phare antibrouillard’)
b La luz antiniebla ( ‘la lumière antibrouillard’)
Contrairement aux adjectifs ordinaires, les adjectifs en anti- de ce genre n’admettent pas
d’intensification ( Un produit très utile vs * un produit très antigel) et ils n’admettent pas non
plus de degré de comparaison ce qui est encore montré par Serrano-Dolader (2002 :394)
(4.9) :
(4.9)
* Este policía est más antidisturbios que el otro
* ‘Cette police
est plus antiémeute que l’autre’
* Estos misiles son más antibuque que los de los americanos
* ‘Ces
missiles sont plus antinavire que ceux des américains.’
Pourtant, il y a en français des adjectifs comme pétroliers, qui n’acceptent pas non plus de
degré de comparaison, ni d’emploi prédicatif. Les exemples ci-dessus qui sont valables pour
le français ainsi que pour l’espagnol montrent que les adjectifs en anti- présentent des
différences nettes avec les adjectifs ordinaires comme beau, long, petit etc. D’autre part, la
plupart des unités en anti- analysées avec cette interprétation de ‘contre’ sont des adjectifs,
60
mais elles sont souvent substantivées. Lorsque ces formations sont utilisées comme des noms
ce sont donc, avec un terme emprunté à Durand, des noms déadjectivaux qui ont la structure
interne suivante : [n[adj anti-[n gel]]] ( Durand 1982 : 9) Il s’agit donc d’une transposition
d’un adjectif en nom.
En français, tous les noms doivent être marqués pour le genre et la question est de savoir quel
est le genre de ces noms en anti-. Dans le cas d’antihéros il est clair que c’est le substantif qui
suit anti- qui donne le genre à cette unité en entier. Il semble logique, comme le fait le Trésor
(1974 :123), de suggérer que « le genre du substantif est déterminé par celui du syntagme
initial » Alors, dans le syntagme un produit antigel, le genre de ‘produit’ est responsable du
fait qu’‘antigel’ est masculin, un antigel. Dans ‘un antimites’, la base nominale ‘mite’ est
féminine, mais c’est un antimites à cause du groupe de départ produit antimites. Pourtant,
quand on analyse ‘un antirides´ le groupe de départ pourrait bien être crème antirides qui
aurait pu créer un dérivé au féminin, mais ce n’est donc pas le cas. Selon Durand, il faut donc
conclure par défaut que toutes les unités en anti- qui sont substantivées à partir d’un adjectif
sont marquées du genre masculin.
Pourtant, il y a des unités en anti- qui ont la même interprétation que celles sous (4.5), à
savoir ‘qui s’oppose aux effets de ce que dénote N’, mais dont l’analyse est plus compliquée.
Fradin (1998) attribue à ces unités la même interprétation que celles des unités en antimentionnées sous (4.5) et il groupe ces exemples sous l’interprétation I2, tandis que Durand
(1982) considère que ces entités plus compliquées ont une autre interprétation. Durand
remarque que tous les adjectifs de cette sorte sont complexes et que le sens du dérivé en antin’est pas un résultat simple du sens d’anti- et du sens de l’adjectif. Antireligieux ne signifie
pas ‘contre religieux’ ou ‘ le contraire de religieux’, mais bien ‘contre la religion’. Il se
demande si cette présence de cette forme adjectivale n’est pas une question de surface et si
une autre analyse n’est pas nécessaire. Nous présenterons cette analyse de Durand dans
laquelle il essaie également de classer ces unités en anti-sous un seul groupe, dans le
paragraphe qui suit. Voici quelques exemples de ces unités en anti- plus complexes (4.10) :
(4.10)
anticyclique
‘qui prévient les cycles’
antidépresseur
‘qui combat la dépression’
antigaullien
‘qui s’oppose à de Gaulle’
antiparlementaire
‘contre le parlement’
antireligieux
‘contre la religion’
(Fradin (1998 : 399))
(Durand (1982 :15))
61
anticlérical
‘contre le clergé’
Fradin est d’avis que tous les exemples sous (4.10) sont du même type d’anti- que ceux de
(4.5), la seule différence avec les unités en anti- comme antichar, antivol etc. est que le nom
dans la paraphrase « doit être recouvré d’une manière ou d’une autre » (Fradin 1998 :399). On
peut recouvrer ce nom à partir du sens de l’adjectif qui sert de base à la préfixation, ou bien il
faut conclure que ce sont des formes obtenues par la ‘préfixation sur’ un N, suivie d’un
processus de suffixation qui explique le suffixe adjectival.
Pour les exemples de ce genre de formations en anti-, Corbin (1987 :652) formule la RCM
anti-4 , que l’on déjà vue ci-dessus (4.11):
(4.11) RCM anti-4 :
NA
« Qui s’oppose à N »
Cette règle ne vaut pas uniquement pour les exemples mentionnés sous (4.5) comme antigel,
mais donc également pour les exemples comme antidépresseur et anticycliques. Cela relève
du fait que les formes qui sont construites par la RCM anti-4 sont soumises au Principe de
Copie, ce que nous expliquerons après l’analyse que Durand présente dans son article
concernant ce genre de structures en anti-. Nous présenterons cette analyse de Durand, qui
reprend en détail les études de Dell (1970), Bally (1944) et Lévi (1978) pour arriver à sa
propre hypothèse, dans ce qui suit. Nous avons choisi de traiter de ces études également en
détail parce qu’elles sont essentielles pour la compréhension de la solution proposée par
Durand (1982).
4.2.2.1 L’analyse de Durand (1982)
D’abord, Durand reprend l’étude de Dell (1970 :202-210) qui mentionne dans son analyse que
la parasynthèse pourrait donner une réponse à la question de savoir pourquoi dans un mot
comme antiparlementaire, anti- touche uniquement le sens du nom de base et non pas celui
de l’adjectif en entier.
La parasynthèse, c’est la formation des mots par ajout simultané d’un préfixe et d’un suffixe,
par exemple celle du verbe attrister. Le verbe # trister n’existe pas, donc il semble être
logique de penser qu’attrister est formé sur la base adjectivale triste par préfixation de a- et
l’introduction de la terminaison verbale –er. L’argument que propose Dell qui favorise une
analyse par parasynthèse des exemples sous (4.10) est le suivant. Les exemples de (4.5) et de
62
(4.10) sont fondamentalement du même type. Dans toutes les formations mentionnées, antiest attaché à un nom pour créer un adjectif. La différence entre (4.5) et (4.10) consiste en
l’absence d’un adjectif correspondant aux noms de (4.5) ( # charreux, # charraire), ce qui
explique pourquoi ils restent tels quels en surface. On ne retrouvera donc qu’antichar. Par
contre, tous les noms qui sont à la base des exemples de (4.10) ont un adjectif correspondant
( cf.parlement parlementaire). Ces noms utilisent la partie adjectivale des adjectifs
correspondants, qui est dans le cas de parlementaire, le suffixe –aire, pour former une
structure qui a la fonction ainsi que la morphologie d’un adjectif. Les exemples comme
antiparlementaire, antialcoolique et antidémocratique sont tous des dénominaux et antin’affecte que la base nominale de l’adjectif et non l’adjectif au complet : anticancéreux
signifie ‘contre le cancer’ et non pas ‘contre cancéreux’. Durand propose une nouvelle règle
de la forme suivante (4.12) :
(4.12)
[X]n [ anti- [X]n x] a
interpretation sémantique: ‘ contre X’
( Durand 1982 : 17)
Cette règle doit être accompagnée d’un principe de complémentarité (4.13) :30
(4.13)
-
Si X n’a pas d’adjectif correspondant x = 0
-
Si X a un adjectif correspondant X sélectionne le même suffixe que cet
adjectif.
Selon Dell, le morphème inter- présente le même comportement, ce qu’il montre par les
exemples suivants : interarmes, interallié vs. intercontinental, interprofessionnel. Bien que
cette théorie soit attractive, elle présente cependant des problèmes importants. D’abord, il y a
des exceptions au principe de complémentarité mentionné ci-dessus. En général, il est vrai
que les bases nominales sous (4.5) n’ont pas d’adjectif correspondant, mais pourtant les
dictionnaires consultés par Durand montrent qu’un mot comme antiagression existe, tandis
qu’agressif existe aussi. Il en va de même pour antifatigue et antifraude, qui ont comme
adjectifs correspondants à leur base nominale respectivement fatiguant et frauduleux. Il est
30
Voir Durand (1982:17)
63
difficile de savoir parmi quels critères il faut choisir pour former la bonne séquence.
Deuxièmement, Dell parle de l’existence d’un adjectif similaire à la forme adjectivale qui suit
anti- comme d’un accident en proposant que le seul rôle que joue l’adjectif est de fournir le
suffixe nécessaire à la parasynthèse. Cela devrait donc être valable pour tous les préfixes qui
ont cet effet sémantique, mais ce n’est pas le cas, ce qui est montré par intra- qui se combine
uniquement à des adjectifs, selon l’auteur. ( intraveineux vs. # intraveine)
Selon Durand, sur le plan morphologique, la règle formulée ci-dessus se heurte à un troisième
point de critique. Prenons le mot antiparlementaire, dont la base évidente est le nom
parlement. Pourtant, pour les mots comme anticlérical, il n’est pas si évident que la base soit
clergé. Selon le sens de ce mot, la base doit être clergé, mais morphologiquement, il est
difficile de relier le mot clérical à clergé par une règle aussi générale que celle formulée sous
(4.12).
Pour surmonter les problèmes que présente cette théorie de Dell, Durand essaie de trouver une
autre théorie qui puisse aider à résoudre ces problèmes, à savoir une analyse dans le cadre de
la sémantique générative. Pour être plus spécifique, il essaie de trouver une solution pour les
problèmes mentionnés ci-dessus à l’aide d’une analyse du type transformationnel.
Nous avons vu que les adjectifs des exemples (4.10) sont tous complexes et ce fait à attiré
l’attention des linguistes. Pour trouver une réponse à cette question, Durand reprend Bally
(1944 :97) qui a rédigé une étude sur ce phénomène. Bally traite les adjectifs comme aérien,
cancéreux et solaire comme des pseudo-adjectifs qui, selon lui, sont en réalité des substantifs
déguisés et les syntagmes nominaux qui les contiennent sont alors des composés. Durand
(1982 :19) donne une citation que nous reprenons ici sous sa forme originale (4.14) :
(4.14) « Dans les composés d’accord, mentionnons le type chaleur solaire. Un groupe formé
d’un substantif et d’un adjectif est un composé quand l’adjectif apparaît étroitement lié
au substantif par le fait qu’il repousse la syntaxe de l’adjectif ordinaire. Ainsi dans
chaleur solaire, solaire ne peut pas se placer devant le substantif ( solaire chaleur est
impossible) ; il ne peut recevoir les adverbes propres à l’adjectif ; on ne peut pas dire
chaleur très solaire ; enfin et surtout, il ne peut fonctionner comme prédicat : Cette
chaleur est solaire serait inintelligible »
Bally (1944 : 97)
Bally mentionne encore quelques d’autres exemples comme crânien, cérébral et sanguin et il
insiste sur le fait qu’il ne faut pas confondre ces formes avec des formations homonymes ou
64
celles qui ont la même structure et qui sont de véritables adjectifs. Bally introduit le terme
‘adjectif de relation’ et dans les composés comme chaleur solaire, cet adjectif de relation
« transpose des substantifs (soleil, crâne, cerveau etc.) SANS RIEN CHANGER A LEUR
VALEUR DE SUBSTANTIF » ( Bally 1944 : 97)
Durand poursuit ensuite que dans le cadre de la sémantique générative, cette idée des adjectifs
de relation a été réinterprétée par Lévi (1978 : 15-48 et passim) qui a fait une analyse détaillée
des mots équivalents en anglais. Les adjectifs de relation ont l’étiquette N à un niveau sousjacent, mais par une transformation tardive, ils sont convertis en adjectifs. Lévi (1978)
observe les faits suivants en anglais (4.15):31
(4.15)
1) Les noms et les adjectifs de relation sont des « synonymes cognitifs » (Durand 1982 :
20) quand ils figurent dans les composés, par exemple atom bomb = atomic bomb et
city parks est l’équivalent de urban parks.
2) Les noms et les adjectifs de relation peuvent être coordonnées ce qui est montré par les
exemples anglais comme solar and gas heating, electrical and water heating. Par
contre, un adjectif de relation ne peut pas être coordonné avec un vrai adjectif : a
#civil and rude engineer.
3) Ces adjectifs se comportent comme des noms en ce qui concerne la préfixation
d’éléments qui signifient un certain type de quantification :
monoplane
monochromatic
# monohigh
biplane
bipolar
# bidelirious
4) Les adjectifs de relation n’acceptent pas la nominalisation quand ils ne peuvent pas
figurer comme prédicat, ce qui est montré par les séquences suivantes (4.16) :32
(4.16)
a. a nervous applicant
The applicant is very nervous
the nervousness of the applicant
b. a nervous disorder
# The disorder is ( # very) nervous
# the nervousness of the disorder
31
32
Voir Durand (1982 : 20-21)
Voir Lévi (1978 : 29)
65
L’ambiguïté des exemples comme civil engineer et criminal lawyer relève de leur capacité
d’être utilisé de façon prédicative ou de leur incapacité de figurer ainsi ( Lévi 1978 : 29). Les
exemples mentionnés ci-dessus et leurs équivalents en français s’expliquent lorsqu’on
considère les adjectifs de relation comme des noms. Concernant les exemples sous (4), Lévi
remarque (4.17) :
(4.17) « In a sense, we might say there is simply no point (or meaning) in nominalizing an
element which is ‘already nominal’. As a consequence, although verbs and predicating
adjectives […] are perfect candidates for this transformation, nouns […] and nominal
adjectives are inherently unsuitable since their function in a sentence, and in Complex
Nominals in particular, is that of a logical argument rather than a predicate »
Lévi (1978: 30)
Le mot atomic bomb aura alors, avant d’atteindre la forme de surface la structure N1+N2
correspondant à atom bomb. Le nom-tête (bomb) dans ce genre de composés est déterminé par
N1 qui est relié à N2 par un prédicat du genre CAUSE, ETRE ou AVOIR. Pour bien montrer
ces propos de Lévi, Durand cite comme exemple la dérivation de viral infection ( Lévi
(1978 :78)). Quelles sont les conséquences d’une telle dérivation pour la dérivation de
l’adjectif de relation français antiparlementaire ? Si les adjectifs du genre parlementaire sont
considérés comme des noms, il est probable que ce ne sont pas de ‘véritables adjectifs’
auxquels anti- s’attache. Il faut donc qu’on s’écarte de la structure en surface et il faut alors
analyser une séquence comme mouvement antiparlementaire de la manière suivante :
mouvement # # mouvement contre parlement # #. Ensuite, il donne lui-même la dérivation de
mouvement antiparlementaire dans le style de Lévi, ce que nous voyons sous (4.18)
(4.18)
a. mouvement # # mouvement contre parlement # #
b. mouvement # # mouvement est contre parlement # #
par introduction de la copule
c. mouvement # # qui # # est contre parlement # # # #
par relativisation
d. mouvement contre parlement
par effacement de Qu-être
e. mouvement antiparlement
66
par transformation de contre en antif. mouvement antiparlementaire
par adjectivisation morhologique
Durand (1982 :23)
Dans les deux théories, celle de Dell ainsi que celle de Lévi, la base de formation est un nom
simple qui se combine avec un préfixe et un suffixe en surface. Le propos de Lévi présente les
mêmes avantages au niveau sémantique parce qu’il groupe ensemble les exemples d’antichar
et ceux du type antiparlementaire. La dérivation sous (4.18) montre que le mot antiparlement
est du type antichar ( étape e : mouvement antiparlement) qui est une étape dans la dérivation
des formations du genre mouvement antiparlementaire.
Pourtant, Durand montre que cette analyse de Lévi connaît également des inconvénients
importants. Elle exige soit des transformations du type contre anti et parlement
parlementaire, soit une réorganisation du lexique, dont Chomsky a déjà mentionné les
difficultés dans ses ‘Remarks on Nominalizations’
33
De plus, certains de ces adjectifs de
relation sont loin de leur base nominale ou ils n’ont même pas de base nominale parce qu’ils
sont empruntés à une autre langue. Par exemple, l’adjectif nucléaire ne correspond pas à une
base noyeau ( de l’atome) mais il est plutôt lié à bombe atomique. Dans certains cas, le nom
de base n’existe même pas du tout, ce qui est le cas pour l’adjectif péristaltique, qui n’a pas
de forme nominale correspondante. Il en va de même pour un adjectif comme
antiferroélectrique, emprunté à Fradin (1998 :339), qui ne connaît pas non plus de forme
nominale.
Lévi (1978) surmonte ce genre de problèmes en modifiant les entrées lexicales. Elle suppose
que les adjectifs de relation et les noms sont classifiés sous une seule entrée lexicale : {atom,
atomic}, et {water, aquatic} pour le français, elle suggère alors {clergé,clérical). Il faudra
seulement spécifier des règles de sélection pour expliquer laquelle de deux structures est
choisie dans un certain contexte. Par exemple, après un déterminant, on choisit le ‘vrai’ nom,
mais dans un contexte prénominal en anglais le nom et l’adjectif de relation peuvent être
utilisés tous les deux. Cependant, un nombre de règles et de facteurs pragmatiques font que
l’on choisit telle ou telle forme. Pour le français, cela impliquerait que la structure fonctions
cléricales devrait être interchangeable avec fonctions clergé. Pourtant, cette dernière structure
33
Voir Durand (1982 : 24)
67
n’est guère acceptable ou ne l’est pas du tout. En français, en position postnominale, il faut
utiliser les adjectifs de relation et non pas les noms.
Pour voir ce que tout cela signifie pour les structures en anti-, on analyse la dérivation de
(4.18). Selon ce système proposé ici médicament anticancer et médicament anticancéreux
sont aussi acceptables l’un que l’autre. Divers facteurs pragmatiques forcent cependant le
locuteur à choisir une forme ou l’autre. Par exemple, dans le contexte médico-scientifique, on
a plutôt tendance à utiliser l’adjectif de relation parce que cette forme adjectivale paraît plus
savante que la forme nominale. Lorsqu’un nom n’a pas d’adjectif correspondant ( char, #
charreux, # charraire), c’est le nom qui doit obligatoirement figurer en surface. Selon
Durand, on ne montre pas par ces deux théories, à savoir celle de Lévi et celle de Dell, que les
adjectifs de relation sont des noms. Les propos de Lévi ne s’appliquent que lorsqu’un adjectif
de relation existe déjà à côté du nom dans le lexique. Comment alors expliquer les
néologismes lorsqu’un locuteur invente un adjectif de relation ? Pour expliquer ces nouveaux
mots, il faut insérer des règles de formation et le modèle perd sa simplicité. Il faut enrichir la
théorie de Lévi et spécifier les caractéristiques des formations en question. Cela a des
conséquences importantes pour les structures en anti-. Comme il y a des règles
morphologiques dans le modèle qui forment des adjectifs à partir des noms, il faut se
demander pourquoi les locuteurs ne créent pas de nouvelles séquences du type # anticharreux.
On ne trouve pas d’exemples de parasynthèse véritable et Durand conclut alors que l’on ne les
trouve pas parce que la formation des structures du genre antiparlementaire s’appuie de
manière fondamentale « sur l’existence de l’adjectif dans le lexique ou sur sa formation
virtuelle préalablement à la préfixation d’anti- » (Durand (1982 : 26)) Ces mots-là sont
simplement créés à partir des adjectifs.
Durand propose alors une autre solution parce qu’il est insuffisant de dire qu’anti- est préfixé
simplement à des adjectifs et il faut rendre compte du fait que tous les adjectifs de (4.10) sont
complexes. Il faut répondre également à la question de savoir pourquoi le sens de ces
structures en anti- fait seulement référence à la base nominale de ces adjectifs ( quand elle
existe).
En cherchant une autre solution, nous suivons Durand (1982) qui admet que les théories de
Bally et de Lévi montrent bien l’existence d’un parallélisme indéniable entre les noms et les
adjectifs de relation, mais il ne suffit pas de rendre compte de ce phénomène en leur donnant
simplement le même statut N en structure profonde ce qui est proposé par Lévi. En outre, si
les remarques de Bally et Lévi suggèrent que les adjectifs de relation forment une classe à
part, ils sont en partie indépendants des noms et ils ne montrent pas la nature syntaxiquement
68
nominale de ces adjectifs. Ceci dit, la nominalisation de ces adjectifs de relation surtout reste
un champ à étudier. Dell (1970) suppose qu’il y a un lien étroit entre le fait qu’un adjectif soit
prédicatif et la nominalisation en –ité. Cependant, la question de savoir si un adjectif de
relation est prédicatif reste compliquée. Il faut pourtant constater que certains adjectifs de
relation peuvent être nominalisés (présidentiel présidentialisme ), bien que les théories de
Bally et de Lévi considèrent un tel adjectif déjà comme une forme nominale.
Durand est d’avis qu’il faut interpréter les tests proposés par Bally et Lévi non pas de
manière strictement syntaxique mais de manière sémantique. « Toute règle lexicale formant
un adjectif de relation [est] une opération d’identité du point de vue sémantique » (Durand
(1982 : 28)). Cette conclusion implique que les règles lexicales qui forment les adjectifs de
relation par l’ajout d’un suffixe comme –aire, -ique convertissent le nom de base en adjectif
syntaxique « sans affecter sa représentation sémantique ».
Dans ce cas, parlementaire signifierait parlement et alcoolique signifierait alcool. Cela
correspond selon Durand aux définitions de ces mots dans les dictionnaires consultés qui
expliquent ces mots comme ‘du parlement’ et ‘relatif à l’alcool’. Durand estime que la seule
différence est que « d’une part […] le relateur ( de, relatif à, concernant) [est considéré]
comme un transpositeur de classe qui n’est pertinent que si l’on envisage l’adjectif de relation
à l’intérieur d’un syntagme et qualifiant un nom » (p. 28) D’autre part, il considère « que le
déterminant que l’on trouve dans de telles gloses est déterminé en français par une simple
contrainte de surface et la valeur qu’on peut lui attacher dépend de facteurs pragmatiques et
des propriétés du nom-souche » (Durand (1978 :28)) Ainsi, il n’est pas nécessaire de l’inclure
dans l’entrée lexicale et un autre avantage est que cette suggestion explique de manière
directe et simple pour quelle raison une combinaison d’anti- avec ce type d’adjectif a
l’interprétation paraphrasée de façon suivante : ‘contre ce que désigne le lexème-base’. De
plus, si l’adjectif de relation s’est écarté de sa base étymologique, comme dans le cas de
nucléaire dans antinucléaire ou s’il n’a jamais eu de base nominale dont on peut dériver
l’adjectif de relation, comme péristaltique dans antipéristaltique, il « ne semble pas moins, si
on en croit les lexicographes, en avoir une signification nominale complexe » par exemple,
(relatif à la ) ‘bombe atomique’ ou ( qui concerne les) ‘contractions du colon’ ( Durand 1982 :
28) On peut alors appliquer ‘contre’ à toutes les significations de ces adjectifs sans qu’il soit
nécessaire d’inventer un nom fictif qui sous-tend un adjectif comme péristaltique. Pour rendre
compte de la création des mots du type antiparlementaire, Durand propose la règle suivante
(4.19) :
69
(4.19)
p
s
/ x + y/
[ + adj ], +[N--]
p’
/anti # x + y /
s’
[+adj], +[N--]
[- COP---] …
m
‘X’
[- COP ---]…
m’
contre ‘X’
« où p, s, m ( resp. p’, s’, m’) représentent les sous-parties
morphophonologique, syntaxique et sémantique de la règle en
question. »
(Durand 1982 : 29)
Sous p, cette règle exprime le fait que l’adjectif de base doit être complexe et y est une
variable qui doit être un suffixe du type –ique, -aire, -al permettant de former des adjectifs de
relation. Sous s sont indiqués les traits syntaxiques qui caractérisent les adjectifs de relation.
Enfin ‘X’ doit être un sens de type nominal, intuitivement cela doit signifier une entité
concrète ou abstraite et non une propriété. Cependant, il est possible de considérer que le sens
‘X’ découle d’une caractérisation morphosyntaxique adéquate de la base adjectivale.
Durand consacre encore quelques mots à la non-prédicabilité des adjectifs de relation. Ce
phénomène a souvent été considéré comme une caractéristique absolue de cette sorte
d’adjectifs qui les distinguent des autres adjectifs. Il faut cependant mentionner que cette nonprédicabilité est relative parce que tout dépend du nom-tête de cette construction. L’auteur
donne l’exemple suivant, une phrase grammaticale : Les réunions de lundi seront syndicales.
En général, il constate que si le nom-tête peut être caractérisé comme une nominalisation
[+action], l’adjectif de relation ne peut pas être utilisé de façon prédicative, ce qui explique
pourquoi la phrase # La réorganisation est syndicale dans laquelle la réorganisation
comporte une certaine notion d’action est inacceptable. La prédication est alors beaucoup plus
acceptable lorsque l’on peut interpréter le nom-tête comme une nominalisation [-action] p.e.
Cette publication est mensuelle. Durand remarque que même si dans certains cas la
prédicabilité des adjectifs de relation est acceptable, ces adjectifs « n’attribuent pas une
70
propriété au SN-sujet mais le sous-classifient » (p. 30) ( Cette publication est mensuelle =
Cette publication est une publication mensuelle) Dans ce cas, les adjectifs de relation se
comportent comme les noms comme avocat ou président qui sous-classent également les NPsujets quand ces derniers figurent en position prédicative. Cela confirme indirectement, selon
Durand, le statut sémantiquement nominal de ces adjectifs de relation. Lorsqu’il s’agit d’un
nom-tête qui est une nominalisation [+action], son interprétation sémantique inclut une ou
plusieurs variables libres qui peuvent être remplies par l’adjectif de relation à condition que
l’on lui attribue une représentation du type nominal. Pour expliquer cela, prenons le mot
élection qui peut être interprété sémantiquement comme : ‘action de x élire y’. Si présidentiel
est l’équivalent de président, alors ‘y’ peut être rempli par cet adjectif. Durand conclut en se
joignant indirectement à Bally en considérant les syntagmes comme élections présidentielles
comme des composés nominaux sémantiques de type endocentrique.
Cinq ans après l’analyse qu’a fait Durand concernant les séquences en anti- mentionnées sous
(4.10), Corbin (1987) formule son Principe de Copie. Elle essaie également de décrire les
structures et les différentes interprétations des entités en anti-. Nous présenterons sa théorie
dans le paragraphe suivant.
4.2.2.2 Le Principe de Copie
Dans son analyse sur la forme des règles de parasynthèse, Corbin (1987 : 131) essaie de
rendre compte des problèmes sur lesquels on tombe lorsque l’on analyse un mot comme
antituberculeux. Nous voyons que ce mot est combiné avec un préfixe ainsi qu’avec un
suffixe, ce qui impliquerait, mentionné déjà par d’autres linguistes dans le passé, que les
règles de parasynthèse se seraient appliquées. Les règles parasynthétiques impliquent trois
opérations différentes, dont la première est la troncation éventuelle du suffixe ou de la
terminaison de la base, p.e. dans tuberculose il faut d’abord tronquer –ose pour former
tuberculeux. Une deuxième opération qui se produit est l’attachement d’un préfixe et la
dernière opération est l’ajout d’un suffixe qui modifie la catégorie lexicale de la base. Pour
accepter une préfixation et une suffixation simultanée il faut surmonter divers problèmes. Il
faut, entre autres, poser une règle pour chaque préfixe et pour chaque suffixe. Corbin
(1987 :132) mentionne qu’elle a trouvé 18 suffixes attestés qui figurent dans les formations en
anti-. Par exemple le suffixe –eux dans antituberculeux ou le suffixe –ique dans
antialcoolique. Cela impliquerait donc 18 règles différentes au moins et cette redondance
71
énorme n’est pas acceptable dans la grammaire. Corbin se prononce donc contre les règles
parasynthétiques.
Pour éviter de la redondance ou des règles parasynthétiques surpuissantes, Corbin (1987 :134)
choisit une morphologie dans laquelle une règle n’applique qu’un seul affixe à la fois, une
théorie qu’elle emprunte à Booij (1977) et à Aronoff (1976). Pour surmonter les problèmes
signalés ci-dessus lorsque l’on analyse ces mots du point de vue de la parasynthèse, Corbin
(1987 :134) propose un autre traitement qui répond aux trois conditions suivantes (4.20) :
(4.20)
1)
rendre compte de l’identité formelle entre l’adjectif porteur de préfixe et l’adjectif
sans préfixe ( antituberculeux / tuberculeux)
2)
rendre compte de l’identité sémantique qui existe entre l’adjectif avec préfixe et
l’adjectif non-suffixé ( antituberculeux = * antituberculose)
3)
n’appliquer qu’un affixe à la fois
Alors, si l’on veut s’en tenir aux principes formulés ci-dessus, il ne reste que deux possibilités
d’analyse a priori. La première option serait celle de Suffixation + Préfixation. Dans ce cas-là,
on pourrait analyser une structure comme antituberculeux de façon suivante (4.21) :
(4.21) [(anti)AF [[ tuberculose] N (eux)AF] A]A
(Corbin 1987 : 134)
Cette structure rend compte de l’identité formelle entre l’adjectif combiné avec un préfixe et
un suffixe et l’adjectif préfixé. Elle répond également au critère qui veut qu’un seul affixe soit
attaché à la fois, mais le problème de cette formation est qu’elle ne rend pas compte de
l’identité sémantique entre antituberculeux et *antituberculose. Dans cette structure,
antituberculeux serait basé sur tuberculeux (A) tandis qu’une structure comme antialcool
serait basée sur alcool (N).
L’option inverse consiste à analyser antituberculeux comme le résultat d’une préfixation
suivie d’une suffixation. On obtiendra alors une structure comme (4.22) :
(4.22) [ [ (anti)af [tuberculose]N ]A (-eux)af] A
(Corbin 1987 : 135)
72
Le problème avec cette analyse est que la structure ne rend pas compte de l’identité formelle
entre l’adjectif préfixé et l’adjectif non-préfixé, donc on s’attendra à la structure :
#antituberculoseux. Il faut donc ajouter des restrictions qui font que l’on ne forme pas de
structures agrammaticales. Pour expliquer ceci formellement, Corbin (1987) propose le
Principe de Copie qu’elle ajoute à l’hypothèse précédente ( préfixation + suffixation). Ce
Principe permet surtout de respecter la première condition mentionnée ci-dessus. Le Principe
de Copie est formulé sous (4.23) :
(4.23)
Principe de Copie :
« Soit X une base appartenant à la catégorie lexicale C, Y et Z deux dérivés de X
appartenant tous deux à la catégorie lexicale C’ ( où C ≠ C’) tels que leur
structure soit la suivante ( p et s désignent respectivement un préfixe et un
suffixe) »
Y= [ [X]C (s)af] C’
Z= [ [ (p)af [X]C]C’ (s)af] C’
« La séquence superficielle Xs de Z est strictement identique à Y »
(Corbin 1987: 136)
Pour une analyse d’antituberculeux, on peut compléter le Principe (4.24) :
(4.24) Y = [ [tubercul-](-eux)af] A
Z = [ (anti-)[tubercul-] (-eux)af] A
En fait, la RCM anti-4, reprise ci-dessous, formerait le mot agrammatical # antituberculose et
le Principe de Copie remplacerait la base nominale par l’adjectif tuberculeux. Cela évite donc
d’obtenir des structures comme # antituberculoseux. D’abord, il faut mentionner que seules
les formations produites par la RCM anti-4 qui sont soumises au PdC. Voyons ici quelques
exemples pour montrer l’application du PdC (4.25) = (4.6) :
73
(4.25)
RCM anti-4 :
NA
« Qui s’oppose à N »
1)
Application normale : antialcoolique
( alcool (N) antialcool (A) PdC= antialcoolique )
antiparasitaire
Lorsque la base est un nom non-construit, l’application du PdC est facultative : les mots
antialcool ou antiparasite dans lesquels il n’y a pas de suffixe sont possibles également.
2)
non-application du PdC :
antijeu
antipouvoir personnel
Lorsque la base nominale non-préfixée ne peut pas être suffixée ( par différentes raisons) le
PdC ne s’applique pas du tout : Dans antijeu, c’est une raison phonétique qui empêche
l’application du PdC et dans antipouvoir personnel, il s’agit d’un nom composé et c’est pour
cette raison que l’on ne trouve pas de suffixe supplémentaire.
3)
Application ‘élargie’ du PdC : antitranspirant ‘qui combat la transpiration’,
antiovulatoire
‘qui empêche l’ovulation’
Dans ce cas-là, on a affaire à une application élargie du PdC, parce que ce sont des cas
particuliers. Ceci a forcé Corbin de revoir son PdC formulé ci-dessus. L’adjectif ovulatoire est
construit sur une base qui appartient à une autre catégorie que la base de l’adjectif préfixé. Le
suffixe –oire ne s’applique qu’aux bases verbales, mais selon Corbin, anti- ne peut pas se
combiner avec un verbe. Il faut donc conclure qu’anti- s’attache à ovulation et que le suffixe
-oire s’attache au verbe ovul-(er). Un mot comme antiovulatoire est le résultat de
l’application du Principe de Copie à antiovulation, qui a le même sens.
Le suffixe –oire s’applique à des bases verbales pour construire des adjectifs, mais la plupart
des adjectifs ainsi construits correspondent à des noms suffixés par –(t)ion (4.26) :
(4.26)
illusoire/ illusion
opératoire/ opération
ovulatoire/ ovulation
74
Tous ces adjectifs peuvent être paraphrasés par rapport au verbe ( peu importe si ces verbes
sont attestés vraiment, mais ils figurent tout de même comme base des noms en –
(t)ion) (4.27):
(4.27)
‘qui est susceptible de V’
Corbin (1987 : 654) formule le Principe de Copie révisé pour rendre compte des faits
mentionnés ci-dessus (4.28) :
(4.28)
Principe de Copie révisé :
« Soit X une base appartenant à la catégorie lexicale C, Y et W deux dérivés de X
appartenant aux catégories lexicales C’ ( nécessairement différente de C) et C’’
(différente de C et C’) tels que leur structure soit la suivante ( p et s, s’ désignent
respectivement un préfixe et des suffixes ( s’ différent de s) : »
Y=
[ [X]c (s)af]c’
W=
[ [X]c (s’)af]c’’
Si une RCM produit un dérivé Z tel que :
Z=
[(p)af [X]c]c’
ou
Z=
[(p)af [W]c’’] c’
il faut remplacer Z par Z’ tel que :
Z’=
[(p)af [Y]c’]c’
Corbin (1982 :654-655)
Alors, les noms en –(t)ion et les adjectifs en –oire sont construits indépendamment sur les
mêmes bases verbales. D’abord, la RCM anti-4 forme antiovulation. Si X correspond à ovul(er), Y à ovulatoire, W à ovulation et Z à * antiovulation, antiovulation sera changé en
antiovulatoire. Cela explique formellement la formation d’antiovulatoire.
75
Cette hypothèse du Principe de Copie révisé est encore appuyée par les formations ayant la
structure anti-XV-ant (antidérapant, antitranspirant). Un produit antitranspirant n’est pas le
contraire d’un produit transpirant mais signifie plutôt un produit qui combat la transpiration,
donc c’est ce mot qui doit être à la base d’antitranspirant. La RCM anti-4 forme l’adjectif
antitranspiration et ensuite le PdC révisé s’applique et remplace -transpiration par l’adjectif –
transpirant issu du verbe transpir-(er).Or, le suffixe –ant ne s’applique qu’à des bases
verbales et non à des bases nominales. Une explication qui construirait ces adjectifs sur des
bases nominales en –(t)ion issues des verbes correspondants est donc impossible, mais le PdC
révisé semble donner une explication satisfaisante pour ce fait.
Si l’on formule le Principe de Copie ainsi, il rend compte des cas discutés sous 3) ci-dessus :
Prenons par exemple alcool comme X, Y correspond alors à alcoolique et Z à *antialcool,
alors le Principe de Copie révisé s’applique et on obtient Z’= antialcoolique.
Si X correspond à déprim-(er),Y à dépresseur, W à dépression et Z à *antidépression, alors
antidépression est remplacé par Z’= antidépresseur suivant ce Principe autrement formulé. Ce
Principe donne également une explication pour les formations en –ant. Par exemple, si X
correspond à transpir-(er), Y à transpirant, W à transpiration, et Z à * antitranspiration,
alors Z’ doit être antitranspirant. Corbin mentionne qu’il est évident que si X est un verbe,
comme dans le cas d’ovuler, et que p ne soit pas associé à une RCM acceptant des bases
verbales ce qui est le cas pour anti- selon Corbin, c’est nécessairement W, et non X, qui sert
de base à Z. Le verbe antiovul(-er) ne peut donc pas exister selon elle. Nous revenons sur
cette question dans le chapitre suivant. Bien qu’il soit nécessaire d’avoir un autre PdC pour
rendre compte des mots comme antiovulatoire, antidérapant etc., la formulation révisée du
PdC ne remplace pourtant pas la première formulation de ce Principe, qui reste nécessaire
pour rendre compte des cas de sélection de terminaisons semblables, comme
gratitude/ingratitude et approbation/désapprobation.
Pourtant, on trouve des critiques sur la théorie formulée par Corbin ci-dessus, en particulier
dans l’article de Fradin (1998). Fradin donne des arguments convaincants qui montrent que le
PdC ne peut pas être la bonne solution non plus, parce que ce principe ne rend pas compte de
certains mots attestés en français. 34D’abord, selon lui, il y a des exemples qui montrent que le
Principe de Copie ne s’applique pas à tous les cas. Il existe en effet des mots comme
anticorrosion et anticorrosif. Il faut savoir alors quand le PdC s’applique en effet ou quand le
34
Voir Fradin (1998:341)
76
PdC ne s’applique pas du tout. Deuxièmement, le fait qu’un adjectif formé sur une base
nominale existe, ne veut pas dire qu’anti- se combine sans problèmes avec cet adjectif. Dans
certains cas, cette combinaison est vraiment impossible, dans d’autres cas, la structure antiA a
un autre sens. Antihaussier pourrait être considéré comme l’adjectif formé sur antihausse,
mais une mesure antihausse signifie ‘une mesure qui vise à combattre la hausse (des prix)’,
alors qu’antihaussier est un terme du vocabulaire de la bourse pour qualifier la hausse des
cours.
35
Un troisième point mentionné par Fradin que l’on ne peut pas expliquer à l’aide du
Principe de Copie est le fait que si antimarxiste est dérivé d’antimarxisme, il s’agit d’un
remplacement du suffixe, parce que –iste remplace –isme. Dans ce cas, on ne peut plus parler
d’un simple ajout. Il est hors de question que ce remplacement soit obligatoire, sinon on
n’obtiendrait jamais antimarxisme. Cependant, le remplacement ne peut pas être facultatif,
parce que dans ce cas, il faut choisir entre le nom antimarxisme et l’adjectif antimarxiste,
c’est la création encore d’un autre genre de doublet qui met à mal le Principe de Copie. Pour
terminer, il y a encore le fait que plusieurs adjectifs sont formés à partir du même nom, dont
seulement un des deux peut figurer comme base avec laquelle anti- peut se combiner :
antifébrile vs. # antifiévreux ( N-base est fièvre). Tous ces faits montrent bien que les facteurs
sémantiques ont beaucoup d’importance dans la préfixation par anti-, mais ils indiquent
également qu’il est difficile de saisir les paramètres auxquels anti- est sensible.
4.2.3 L’interprétation d’antifrançais
Une sorte d’interprétation qui est absente chez Durand et chez Rey est celle qui est introduite
par Corbin (1987) et reprise par Fradin (I3). Selon Corbin, certains adjectifs qui sont
construits par ‘préfixation’ d’anti- sur une base adjectivale sont différents des unités
précédentes en ce qui concerne leur sémantique qui se développe à partir du sens de l’adjectifbase. La paraphrase suivante reflète l’interprétation de ces unités : ‘contraire à ce qui est A’
ou bien ‘qui combat ce qui est A, qui est hostile à ce qui est A’. (Fradin 1998) Voici quelques
exemples empruntés à Fradin (4.29)
(4.29)
35
1.antidémocrate
‘contraire à ce qui est démocrate’
2.antimoral
‘contraire à ce qui est moral’
3.antifrançais
‘hostile à ce qui est français’
Fradin (1998 :342)
77
4.antiferroélectrique ‘contraire à ce qui est ferroélectrique’
5.antidérapant
‘contraire à ce qui est dérapant’
Pour ces exemples Corbin donne la RCM anti-3 (4.30):
(4.30)
RCM anti-3 : A1 A2
« A2 contraire à ce qui est A1 »
La règle anti-3 rend compte des formations en anti- adjectivales. Sur des bases adjectivales
peuvent être formés des adjectifs qui ont le sens contraire à celui de la base. Par exemple, une
attitude a(nti)sociale est une attitude qui est le contraire d’une attitude sociale.
Les deux premiers exemples de (4.29) peuvent avoir la même paraphrase interprétative que
les cas mentionnés ci-dessus sous (4.5) et (4.10), qui est dans les deux cas ‘qui s’oppose à’,
mais pour les autres cas, ils ne sont pas corrélés à un N, ce qui est valable pour les cas de
bases ethniques comme antifrançais et antikurde. Pour les cas 4 et 5 mentionnés sous (4.29),
aucune base nominale n’est directement accessible donc c’est la signification de l’adjectifbase qui est la base de cette interprétation. Pourtant, il faut dire que pour antidérapant le
verbe déraper doit être accessible.
Pour les unités en anti- suivies d’une base signifiant un peuple ou une nationalité surtout, il
est possible qu’il y ait deux interprétations. Dans le syntagme politique antianglaise
l’interprétation peut être soit ‘politique qui combat l’Angleterre’ soit ‘politique hostile à ce
qui est anglais’.
Un autre problème concernant les structures en anti- est le contexte qui joue un rôle important
au niveau du sens que l’on peut attribuer à anti-. L’exemple suivant montre bien que la
syntaxe joue un rôle important (4.31) :
(4.31)
a. Dracula devient un antihéros tragique
b. Une littérature antihéros apparaît à cette époque.
Dans la première phrase, le mot antihéros a l’interprétation I1, donc c’est ‘une image en
miroir’ d’un héros, mais dans la deuxième phrase le mot antihéros a l’interprétation I2, donc
‘qui s’oppose au héros’. Dans ce cas, il est encore assez simple d’expliquer pourquoi il y a
une différence d’interprétation, puisque dans la phrase (a), anti-N occupe une position de N
tandis que dans la phrase (b) cette unité occupe une position de A. Quand on analyse pourtant
78
les phrases suivantes, dans lesquelles figurent des formations en anti- en combinaison avec
une base ethnique, il est plus difficile d’expliquer pourquoi l’interprétation dans la première
phrase se distingue de celle de la deuxième phrase, puisque c’est la même structure N A
(4.32) :
(4.32)
a. Le mouvement arabe antianglais
b. La coalition antianglaise
(Fradin (1998 :343))
Dans la première phrase, antianglais signifie plutôt ‘contre ce qui est anglais’ et dans la
phrase (b), antianglaise signifie ‘contre l’Angleterre’ et même cette distinction que fait Fradin
ici, n’est pas ressentie par tout le monde. Cette double interprétation a déjà été signalée par les
auteurs consultés qui ont analysé anti-, c’est donc le problème de l’ambiguïté. Il est question
d’interprétations différentes pour certaines formations antiX. Corbin (1987) ne peut pas non
plus donner une réponse claire qui explique pourquoi cette différence existe entre les deux
constituants de (4.32). Elle essaie pourtant de rendre compte de ces ambiguïtés en établissant
quelques hypothèses concernant la formation des mots en anti- homonymes. Dans la section
suivante, nous allons en discuter.
4.2.4 Les cas d’homonymie dans les mots en antiDans ce qui précède, nous avons vu les différentes sortes d’anti- qui existent en français et
nous avons donné les RCM de Corbin pour rendre compte de leur formation. Néanmoins, il
est parfois difficile de vraiment bien saisir le sens d’un mot en anti-, parce que les formations
construites par les RCM sont souvent des homonymes. Prenons par exemple le mot antihéros,
qui est attesté comme l’antonyme de héros, ce qui est le résultat de la RCM anti-2. Dans un
autre contexte, comme nous avons déjà vu ci-dessus, ce mot peut cependant figurer comme
adjectif ( dans la phrase A cette époque, une littérature antihéros apparaît.) Dans ce cas,
antihéros est plutôt le résultat de la RCM anti-4 ayant le sens ‘contre le héros’ Pour faire une
distinction entre tous ces différents homonymes possibles et pour «combler systématiquement
les lacunes sémantiques », Corbin (1987 :658) ajoute encore quelques hypothèses à ses RCM
mentionnées ci-dessus.
La RCM anti-2 fournit des noms qui ont pour homonymes des adjectifs produits par la RCM
anti-4, ce que nous avons vu avec l’exemple d’antihéros. Corbin ajoute encore que dans le cas
79
où le mot antihéros figure comme adjectif, cette structure peut également prendre la forme
adjectivale antihéroïque par application du Principe de Copie. Il va de soi que l’inverse est
possible également, ce qui signifie que les adjectifs formés par la RCM anti-4 qui ne sont pas
soumis au PdC peuvent avoir pour homonymes des noms qui résultent de la RCM anti-2. Par
exemple l’adjectif antichar peut être interprété comme un nom antonyme de char ce que l’on
voit dans la phrase suivante : Le nouveau modèle de Hyundai est si mauvais, c’est un
antichar.
Les structures qui sont le produit de la RCM anti-2, dont la base est un nom qui est converti
en adjectif, ou qui peuvent être converties en adjectif, ce qui serait possible avec p.e.
antipsychiatre, ont pour homonymes les adjectifs qui sont formés par la RCM anti-3. Lorsque
l’on considère un mot comme antipsychiatre on peut l’interpréter comme le produit de la
RCM anti-2 ayant ainsi le sens de ‘Psychiatre partisan de l’antipsychiatrie’ selon Corbin
(1987 : 658). Pourtant, antipsychiatre peut figurer également comme adjectif dans une phrase
comme « Paul a avec malades un comportement très antipsychiatre »36 dans laquelle
antipsychiatre est le produit de la RCM anti-3. Nous n’avons pas besoin de mentionner
qu’également dans ce cas, l’inverse est possible.
Les dernières hypothèses de Corbin concernent les adjectifs qui sont construits par la RCM
anti-3. Ces adjectifs ont pour homonymes les adjectifs dérivés de la RCM anti-4 qui ont été
soumis au Principe de Copie si leur base peut être convertie en nom ou résulte du fait que le
nom est transformé en adjectif. Le mieux sera de donner des exemples pour clarifier cela.
Nous nous permettons de citer Corbin une fois de plus en utilisant son exemple d’
antipolicier.37 L’adjectif antipolicier peut être interprété de trois façons différentes. D’abord
comme l’adjectif résultant de la RCM anti-3 ayant le sens de non-policière, ce qui est montré
dans la phrase : « Est-il possible d’imaginer une dictature antipolicière ? ». Deuxièmement,
dans une phrase comme : « Paul est violemment antipolicier », antipolicier est construit par la
RCM anti-4 et signifie ‘contre la police, les policiers’. Une troisième interprétation est fournie
par antipolicier dans une phrase comme : « Paul est l’antipolicier par excellence » dans
laquelle antipolicier semble être le produit de la RCM anti-2. Une analyse comparable pour
les adjectifs construits par la RCM anti-4 qui ont subi le Principe de Copie est possible
également.
36
37
Voir Corbin (1987: 658)
Voir Corbin (1987 : 659)
80
4.3 Conclusion
Jusqu’ici, nous avons donné un survol de ce que d’autres auteurs ont formulé sur le
morphème complexe anti-. Nous avons montré les différents problèmes que ces linguistes ont
rencontrés en analysant les caractéristiques d’anti- et ils ont tous conclu que c’est surtout sa
sémantique qui rend difficile une bonne description de ce morphème à plusieurs sens. Nous
avons vu qu’anti- présente un caractère transcatégorisant. Ensuite, nous avons distingué les
différentes interprétations que peut avoir anti- en utilisant la terminologie de Fradin (1998).
Dans les différentes sous-sections, nous avons caractérise le sens d’antihéros comme
‘contraire antipodal’, le sens d’antiparlementaire et celui d’antidérapant comme ‘qui
s’oppose à (aux effets de) ce qui dénote le N-base et pour terminer nous avons décrit le sens
d’un adjectif comme antifrançais comme signifiant le contraire de ce qui est désigné par
l’adjectif de base. De plus, nous avons présenté des analyses qui ont essayé d’étudier plus en
détail les adjectifs formés par la combinaison d’anti- avec des noms ayant le sens I2. Durand
essaie de surmonter les différents problèmes présentés par les ‘adjectifs de relation’ et par les
adjectifs en anti- du même genre en formulant une sorte de RCM, voir (4.19) qui consiste en
le fait que les adjectifs de relations sont considérés comme une sorte d’unités nominales au
niveau sémantique. Cinq ans après, Corbin tente également de trouver une solution pour les
adjectifs en anti- en présentant son Principe de Copie. Elle remarque par ses hypothèses que
ce n’est pas exclusivement une question de sémantique, mais que la syntaxe et le contexte qui
entourent les mots en anti- influencent le sens du mot en anti- en entier de façon importante.
Pourtant, ce Principe de Copie a également ses inconvénients, ce qui a été montré par Fradin
dans son article de 1998. Il faut donc trouver une analyse qui rend compte de tous ces
problèmes présentés par les formations en anti-. Bien que le Principe de Copie ait beaucoup
d’attrait, il ne donne pas de réponse à toutes les questions révélées en étudiant les adjectifs en
anti-. Il est intéressant de voir si ces adjectifs sont des adjectifs réguliers ou ne le sont pas du
tout. Une autre question intéressante est de voir si le Principe de Copie peut être appliqué aux
autres langues, comme par exemple le néerlandais. En néerlandais, un mot comme
‘antiaanbaklaag’ (fr. couche antiadhésive) existe, ce qui montre qu’en néerlandais anti- peut
se combiner avec des verbes. C’est un élément important qui est à la base du Principe de
Copie lorsque Corbin analyse des mots comme antiovulatoire. Corbin suppose qu’anti- ne
peut pas s’appliquer aux verbes et c’est pour cette raison qu’elle essaie de rendre compte du
fait qu’antiovulatoire existe. Dans ce cas-là, anti- se combine avec ovulation, mais le suffixe
81
–oire est attaché au verbe ovul-(er). Ce fait forme la base pour la formulation du Principe de
Copie révisé. Si cette assomption qu’anti- ne peut pas se combiner avec les verbes n’est pas
valable pour le néerlandais, ce qui est montré par l’existence d’antiaanbaklaag, il faut voir si
le Principe de Copie peut s’appliquer également aux structures en anti- néerlandaises. Une
question essentielle est donc de savoir si les mots en anti- en néerlandais ont les mêmes
structures que ceux en français. En néerlandais, est-ce que l’on a affaire à des adjectifs ? Et de
plus, est-ce que les faits en néerlandais peuvent nous aider à surmonter les questions qui
posent les adjectifs en anti- en français ou est-ce qu’il faut analyser ce genre de mots d’un tout
autre point de vue ? Il est intéressant d’analyser si l’on change le statut d’anti-, si ce
changement de statut nous fournit les éléments pour mieux rendre compte des problèmes qui
sont signalés dans les articles mentionnés ci-dessus. Peut-être que la question de savoir si
anti- est une préposition ou un préfixe n’a pas tant d’importance dans l’analyse des syntagmes
en anti-. Les articles dont nous avons donné une synthèse dans ce chapitre, nous ont bien
montré que l’analyse de ce morphème anti- est très complexe. Dans le chapitre suivant, nous
essayons de structurer cette discussion et de fournir des éléments qui peuvent nous aider à
mieux classifier anti-.
82
Le statut d’antiLe statut du morphème et la structure des dérivés en anti-
5.0 Introduction
Dans ce chapitre final, nous revenons à la question de recherche qui est de savoir quel statut
l’on peut attribuer à anti- . Nous ferons un bilan général de nos propres conclusions après
avoir étudié la question du statut d’anti- dans les chapitres précédents. Dans le chapitre 4,
nous avons distingué trois genres d’anti-. Dans le premier paragraphe de ce chapitre, nous
allons répondre à la question de recherche en attribuant un statut à chaque emploi d’anti-.
Nous présenterons les raisons pour lesquelles il est nécessaire de donner tel ou tel statut à
chaque type d’anti-. Nous dirons pour tous les cas pourquoi il est préférable de considérer
telle ou telle utilisation d’anti- comme celle d’un préfixe ou d’une préposition. Dans le
paragraphe suivant, nous continuerons à discuter du statut d’anti-, mais dans cette partie
l’optique sera différente, parce que nous parlerons surtout des conséquences que les
conclusions du paragraphe 1 sur le statut d’anti- auront pour les structures dans lesquelles
anti- figure. Cette question est peut-être même plus importante que celle de savoir quel est le
statut d’anti-. Nous donnerons dans ce paragraphe 2 les structures des mots en anti- dans le
cadre de Bok-Bennema et Kampers-Manhe (2000) dont nous avons discuté dans le chapitre
un. Notre but sera, même si nous n’arrivons pas à attribuer un statut précis à anti-, de donner
au moins une bonne description du fonctionnement de ce morphème complexe.
Dans le troisième paragraphe, nous élargirons le champ de recherches au néerlandais. Nous
avons amplement discuté des exemples français et espagnol. Dans ce paragraphe, nous allons
voir si certains exemples des structures des mots en anti- en néerlandais peuvent nous aider à
surmonter les problèmes sur lesquels l’on tombe lorsque l’on analyse les structures des mots
en anti- dans les langues romanes. Cela pourrait nous aider à justifier les structures présentées
dans le paragraphe 2. Nous essaierons de voir si les conclusions que nous avons tirées pour le
français et l’espagnol dans le deuxième paragraphe, sont valables pour le néerlandais
également. Dans le cadre de la grammaire universelle, il est très intéressant de savoir si le
morphème anti- qui figure dans les formations néerlandaises comme antirimpelcrème ou
antioorlogsdemonstratie est le même que celui qui est présent dans les formations
équivalentes en français comme crème antirides et manifestation antiguerre.
83
5.1 Le statut d’antiNotre but dans ce paragraphe est de donner un statut à chaque emploi d’anti- que nous avons
distingué dans le chapitre précédent. Nous allons montrer pour quelle raison il est si difficile
de classifier anti-. Dans le chapitre 2, nous avons donné les caractéristiques des préfixes et des
prépositions pour savoir ce qui définit un vrai préfixe ou une vraie préposition. Résumons
brièvement ces caractéristiques. Les préfixes ont un cadre de sous-catégorisation pour leurs
traits syntaxiques et dans ce cadre est, entre autres, indiqué à quel radical le préfixe concerné
peut s’attacher. Par définition, les préfixes ne changent pas la catégorie du mot de base
auxquels ils s’attachent, pourtant quelques-uns présentent cette capacité, comme a-, be-, de-,
en- en anglais et leurs équivalents en français et en néerlandais, comme par exemple en- dans
en- + cage (N) encage (V) (fr. ‘encager’). Nous avons discuté de cet exemple dans le
troisième chapitre en nous référant à l’article de Walinska de Hackbeil (1986) sur le statut
d’en-. De plus, les préfixes ne peuvent pas figurer tous seuls dans une phrase, mais ils doivent
être combinés avec des radicaux. Par contre, les prépositions peuvent figurer toutes seules
dans la phrase sans être attachées à un radical, alors qu’elles peuvent également se combiner
avec des radicaux, comme par exemple la préposition sur dans les phrases suivantes : Nous
avons trouvé une belle coquille sur la plage et Il faut surmonter beaucoup de difficultés si
l’on veut résoudre cette question. Ce qui caractérise surtout les prépositions c’est leur capacité
de changer la catégorie du mot de base auquel elles s’attachent. Cela ne se fait pas toujours, ce
que nous voyons dans les exemples suivants (5.1) :
(5.1)
a.
[sou-[lign]N]V (-er) ( Le mot de base nominale est converti en verbe)
b.
[sous-[chef]N]N
( Le mot de base nominale n’est pas changé)
Maintenant, nous allons montrer pour tous les emplois d’anti- que nous avons distingués dans
le chapitre précédent, à savoir I1 ( antihéros), I2 ( antichar, antiparlementaire) et I3 (
antisocial), si le statut de préfixe ou celui de préposition est le plus approprié pour leur
comportement morphologique. Nous commencerons par l’utilisation d’anti- qui est présente
dans les contraires antipodaux.
84
5.1.1 Le statut d’anti- dans antihéros, antimatière
Pour ce genre de formations en anti- nous sommes d’avis qu’il s’agit d’un véritable préfixe.
Nous suivons la règle de formation pour ces mots qui a été formulée par Corbin (1987 :652)
discutée dans le chapitre 3, que nous reprenons ici (5.2):
(5.2)
RCM anti-2 :
N1 N2
‘ N2 opposé de N1’
Nous avons adapté cette RCM de Corbin. Chez elle, la préposition à est présente dans la
signification parce que Corbin inclut des mots comme anticommunisme dans les mots formés
par la même règle. Sur des bases nominales peuvent être formés des mots ayant soit le sens
d’opposition ‘descriptive’, comme dans antihéros qui signifie un héros sans les
caractéristiques d’un héros habituel, soit le sens d’opposition ‘polémique’, comme dans
anticommunisme qui décrit une attitude hostile au communisme. Corbin a associé les deux
sens dans la même règle, mais il faut mentionner que pour nous la préposition à dans cette
règle devrait être absente. Pour nous, les mots comme anticommunisme, en tout cas, qui ont le
sens d’opposition ‘polémique’ font partie de l’interprétation I2. Nous reviendrons sur ces
structures dans le deuxième paragraphe.
Dans des mots comme antihéros et antimatière, le morphème anti- se comporte comme un
préfixe régulier. Lorsqu’il se lie à une base, il ne change pas la catégorie de la base ce qui
correspond à la conduite régulière des préfixes. Cet emploi d’anti- se caractérise également
par le fait qu’il ne peut pas figurer tout seul dans la phrase. Il faut qu’il se combine toujours
avec une base substantivale dont le mot préfixé reçoit le genre. Quand anti- se combine avec
héros pour former antihéros, antihéros prend le même genre que le mot de base héros qui est
masculin, donc c’est un antihéros. Voyons les régularités dans les exemples suivants (5.3) :
(5.3)
un héros un antihéros
un cyclone un anticyclone
une matière une antimatière
une pièce une antipièce
Nous pouvons donc décrire cet emploi d’anti- comme celui d’un préfixe. Nous avons vu chez
Selkirk (1982) et de nombreux d’autres, comme Lieber (1992) p.e., que les affixes ont une
85
entrée lexicale. Il faut mentionner les traits syntaxiques, sémantiques et phonologiques pour
décrire le comportement de ce préfixe anti-. Dans le chapitre 2, en décrivant la préfixation,
nous avons accepté que les mots affixés ont un élément qui fonctionne comme la tête. Cette
notion est importante dans cette analyse. Comme la plupart des préfixes, ce morphème antin’a pas la capacité de changer la catégorie. C’est parce que la catégorie de la base ne change
pas que le nom de base est la tête du dérivé ce qui correspond à La Règle de la Tête à Droite
formulée par Williams (1981). Ce préfixe anti- est la sœur d’une catégorie qui est identique à
la catégorie de la mère. Le mot héros ( ‘sœur’) qui se combine avec anti- ( ‘sœur de héros’)
est un nom et le mot antihéros ( ‘la mère’) est également de la catégorie nominale. Puisque le
morphème anti- en question ne peut pas figurer comme la tête, on ne peut pas attribuer de
statut catégoriel à ce morphème, ce qui est mentionné par Williams (1981) et Selkirk (1982).
C’est pour cette raison que ces préfixes qui ne changent pas la catégorie du mot de base avec
lequel ils se combinent, sont listés comme Affixe, et ils n’ont donc pas de statut catégoriel,
contrairement aux suffixes qui ont inclus dans leur entrée lexicale cette caractéristique. Pour
un suffixe comme –less en anglais, il est indiqué que lorsqu’il se combine avec un nom, il
forme un adjectif ( tree (N) + -less (Aaf) treeless (A) ). Ceci est valable également pour les
préfixes exceptionnels qui changent la catégorie comme le préfixe de- dans debug. Dans son
entrée lexicale est mentionné que lorsque ce préfixe se combine avec un nom, il forme un
verbe ( de- (Vaf) + bug (N) debug (V) ) (Selkirk 1982 : 86). Il s’agit donc dans le cas d’antidans antihéros d’un préfixe régulier qui ne change pas la catégorie du mot de base et une
autre caractéristique est qu’il ne se combine qu’avec des noms. Comme il n’accepte que des
noms, on peut considérer que son trait de sous-catégorisation est le suivant : [
N]. Il faut
mentionner que l’anti- en question dans cette partie peut s’attacher aux noms propres
également (5.4) :
(5.4)
antihéros, antipape, anti-Madonna, antipsychiatrie, anticorps
Pour expliquer le sens de ces mots, nous pouvons dire que l’antihéros est ‘un héros qui n’a
pas les propriétés d’un héros habituel’ et par exemple que Céline Dion est l’anti-Madonna par
son attitude non-provocatrice, tandis que la provocation caractérise Madonna. Dans cet
exemple, il est intéressant d’étudier de plus près le domaine d’application d’anti-. Une
question intéressante est de savoir quel élément est influencé par anti-. Nous avons déjà
discuté de Fradin (1998), mais nous n’avons pas encore mentionné sa position sur le domaine
d’application d’anti-. Fradin (1998 : 340) montre de façon intéressante qu’ « anti- n’opère pas
86
sur la représentation sémantique du N prise en bloc » mais plutôt sur chaque propriété
sémantique qu’inclut cette dernière (5.5).
Madonna
(5.5)
(a)
Type Propriété
Céline Dion
(b)
Type Propriété
P1
femme (x)
P1
femme (x)
P2
chanteuse (x)
P2
chanteuse (x)
S1
provocatrice (x)
S1
- provocatrice
S2
femme-fatale (x)
S2
- femme-fatale
( P= propriété constitutive, S= propriété stéréotypique)
Si par exemple le nom propre Madonna est associé à une représentation sémantique du type
(5.5a), on voit que la représentation sémantique de Céline Dion ne diffère de celle de
Madonna qu’en ce qui concerne les propriétés stéréotypiques. C’est uniquement dans ce cas,
que l’on peut parler de Céline Dion, l’antiMadonna38. Nous reprenons ce point de vue et nous
remarquons qu’une telle caractéristique d’anti- doit être présente dans l’entrée lexicale.
L’anti- qui est présent dans ces mots du type I1, n’influence que les propriétés stéréotypiques.
Pour donner les traits sémantiques, nous nous appuyons sur Martín García (1996) qui cite
Jackendoff (1983, 1987,1990) et sur Lieber (1992). Dans les travaux de Jackendoff, cités par
Martín García, l’auteur définit la représentation mentale de la structure sémantique d’un mot
ou d’un syntagme, comme la SLC (LCS), la Structure Lexicale Conceptuelle. Cette structure
comprend des fonctions conceptuelles, comme CAUSE, ETRE, AVEC, BUT etc., et des
catégories conceptuelles, comme CHOSE, EVENEMENT, ETAT, LIEU etc. Ces outils
primitifs nous permettent de représenter le sens des mots en anti-. Nous trouvons ces mêmes
fonctions dans l’article de Fradin (1997) dans lequel il donne une esquisse sémantique du
morphème anti-, surtout celui qui est présent dans antidérapant. Comme nous l’avons vu dans
le chapitre 2, Lieber (1992) argumente que chaque affixe a une entrée lexicale qui contient la
SLC. Selon elle, dans cette SLC sont incluses des structures conceptuelles comme (
[EventCAUSE ([Thing ], [EventBE ( LCS of base )])] pour le suffixe -ize en anglais )39 ainsi que
38
39
Voir Fradin (1998: 340)
Voir Lieber (1992: 118-119)
87
des valeurs sémantiques, par exemple la valeur négative du préfixe anglais un-. Pour ne pas
confondre entre les structures conceptuelles, qui réfèrent à la représentation du sens d’un mot
dérivé, et les valeurs sémantiques de l’affixe lui-même, nous croyons que chaque affixe
contient une valeur conceptuelle dans son entrée lexicale qui rend compte de son contenu
conceptuel et de plus, la SLC de la base y est présente40. Il faut donc mentionner ceci dans les
traits sémantiques présents dans l’entrée lexicale. Dans ce genre de formations, anti- a une
fonction conceptuelle d’OPPOSITION, dont la mission est d’opposer les caractéristiques de
l’entité conceptuelle, qui est l’argument de la fonction, à celles de l’entité qui inclut cette
fonction. Avec cette valeur conceptuelle, les dérivés en anti- ne fonctionnent que comme des
noms, qui sont représentés par l’entité conceptuelle CHOSE ou des personnes qui sont
représentés par ETRE. Nous avons constaté plus haut que dans ces cas anti- ne s’oppose
qu’aux caractéristiques stéréotypiques ou habituelles de la base, ce qui doit être indiqué dans
une telle structure. La SLC du dérivé formé par préfixation présente dans des mots comme
antihéros est donc la suivante (5.6) :
(5.6)
[Etre Opposition [traits stéréotypiques héros]].
Cette structure montre que l’on a affaire à un nom qui a les propriétés opposées aux qualités
habituelles d’un héros.
Restent encore les traits phonologiques de ce morphème complexe. La prononciation se note
par la séquence phonologique suivante : /ɑti / Dans le chapitre 2, nous avons discuté des
deux classes dans lesquelles on peut classifier les affixes au niveau phonologique (Siegel
1979). En anglais, le préfixe anti- fait partie de la deuxième classe, ce qui est mentionné
explicitement aux pages 147-148 (Siegel 1979 ) ce qui signifie, entre autres, qu’il ne cause
jamais un changement d’accent dans le mot de base. Nous croyons que la même chose est
valable pour l’anti- qui figure en français ce qui est montré par : (anti- + matière =
antimatière ). Le problème en français c’est que cela n’est pas vraiment très visible parce que
l’accent en français tombe toujours sur la dernière syllabe. Ceci est plus visible dans une
langue germanique comme le néerlandais ( anti- + held ‘héros’ = antiheld ‘antihéros’ vs. in +
sluiten ‘fermer’ = insluiten ‘enfermer’. ( La partie soulignée est celle qui porte l’accent) Un
exemple français qui montre que ce morphème est neutre par rapport aux processus
morphologiques, est qu’il devrait y avoir semi-vocalisation de /i/ devant une voyelle, ce qui
40
Voir Martín García (1996: 145-147)
88
est montré par le mot anti-infectieux. On ne dit pas /ɑtjε/ mais /ɑti / infectieux. Comme il n’y
a pas de semivocalisation, on peut dire qu’il y a une frontière de mot entre anti- et infectieux(
anti # infectieux ) qui montre que ce préfixe appartient à la Classe II.
L’entrée lexicale complète du préfixe anti- a donc la forme suivante (5.7) :
(5.7)
Entrée lexicale du préfixe anti1.
Affixe
2.
[
3.
[chose/être Opposition [traits stéréotypiques de la chose/ l’être désignée par la SLC-base]]
4.
/ɑti /
N]
-
s’attache uniquement aux mots, non pas aux racines
-
neutre aux processus phonologiques
La règle générale que l’on peut formuler pour ce genre de dérivés est la suivante (5.8)
empruntée à Selkirk (1982 : 87):
(5.8)
Xn Af Xn
n = Mot
Dans le paragraphe suivant, nous donnerons la structure de ces mots en anti-. Attribuons
d’abord un statut au deuxième type d’anti- qui figure dans les mots comme antichar, antirides
et des mots plus complexes comme antiparlementaire, antidérapant, antiblocage.
89
5.1.2 Le statut d’anti- dans antichar, antirides et antigrippal, antiparlementaire,
antiovulatoire, antidérapant, antidépresseur (I2)
Les dérivés en anti- qui figurent dans ces exemples sont les plus difficiles à analyser. Nous
attribuerons dans ce qui suit un statut provisoire à cet anti-, à savoir celui d’une sorte de
préposition. Après avoir donné les structures des mots comme antigel, antirides et
antidérapant dans le paragraphe suivant, nous attribuerons un statut définitif à ce type d’anti-.
Nous avons vu dans le chapitre précédent que de nombreux linguistes, comme Durand (1982),
Corbin (1987) et d’autres, ont essayé de donner une analyse correcte de la structure des mots
sous (5.9) :
(5.9)
a.
antichar, antivol, antigel, antirides, antiovulation etc.
b.
antidépresseur, antiovulatoire etc.
Dans les cas de (a), le N est donné directement par la base nominale et dans les cas de (b), le
N-base doit être recouvré d’une manière ou d’une autre. Nous avons vu dans le chapitre
précédent que Durand (1982) recouvre le sens à partir de la représentation sémantique de
l’adjectif qui sert de base à la préfixation et que Corbin (1987) formule son Principe de Copie
pour rendre compte de ces mots. Selon nous, il s’agit dans les deux cas de la préposition antiqui est présente dans ces mots. Dans le premier groupe de mots, la base à laquelle anti- se
rattache est simple et directement visible et il n’est donc pas difficile de connaître le sens de
ces formations qui peuvent être paraphrasées comme ‘qui s’oppose à ( aux effets de) ce que
dénote le N-base. Il y a également une sorte de notion de prévention dans ces mots. Un antigel
est par exemple quelque chose qui prévient le gel ou bien, si le gel est là, cette chose s’oppose
aux effets du gel. Par contre, dans le second groupe, la base avec laquelle anti- se combine est
complexe. Selon nous, ces dérivés sont de véritables adjectifs dans ce cas, mais nous allons
montrer que les structures qui sont à la base de ces adjectifs sont très complexes. Voyons
d’abord la RCM que formule Corbin (1987 : 652) pour ce genre de structures (5.10) :
(5.10) RCM anti-4 :
NA
« Qui s’oppose à N »
Corbin (1987) classifie alors des structures comme antichar, antivol ainsi que celles des
antidérapant, antiovulatoire comme des adjectifs. Il faut donc lire cette règle comme anti- +
90
[base]N [ anti- [base]N]A . Cet adjectif est susceptible de subir ultérieurement une
conversion en N ( un antigel). Il s’agit donc dans tous les cas d’une combinaison d’anti- avec
un N, même pour antiovulatoire, antidérapant, antidépresseur. Comme ces mots sont si
difficiles à analyser, nous avons décidé de discuter d’abord des mots sous (5.9)(a), comme
antichar, antirides etc.
5.1.2.1 Les mots comme antichar, antirides
Nous avons vu par la RCM anti-4 de Corbin, qu’anti- se combine avec une base nominale
pour former un adjectif. Selon Corbin, dans cet adjectif anti- fonctionne comme préfixe. Nous
doutons de cette analyse qui consiste à dire qu’un mot comme antichar est un adjectif, parce
que nous sommes d’avis qu’il ne s’agit pas d’adjectifs, mais en fait que ce sont des PP. Dans
ce cas-là, la préposition anti- se combine avec un nom et ce PP peut fonctionner comme
modificateur dans un syntagme comme crème antirides, où le complexe prépositionnel
modifie le NP crème. Nous expliquons d’abord pour quelles raisons nous croyons que la
classification de ces mots comme des adjectifs pose tant de problèmes. Il nous faudra donc à
la fin de cette partie réviser la RCM anti-4 formulée par Corbin, parce que selon nous ce ne
sont pas des adjectifs qui sont formés à partir de cette règle.
Considérons d’abord les conséquences si l’on accepte que ces mots en anti- sont de véritables
adjectifs dans lesquels anti- fonctionne comme un préfixe. Ayant accepté qu’il s’agit d’un
adjectif, il faut donc qu’un changement de catégorie se soit produit dans antirides et
antiovulation puisque la base est nominale ( anti- + rides (N) antirides (A)). Il semble
donc que dans cette interprétation anti- appartienne à la classe des préfixes transcatégoriels
comme a-, be-, de-, en- en anglais et en-, dé- en français. Cette question a entamé une grande
discussion parmi les linguistes qui ont analysé ce morphème complexe. Les linguistes qui
défendent qu’anti- est un vrai préfixe, doivent trouver une solution pour le caractère
transcatégoriel de ce morphème s’ils considèrent qu’antirides dans crème antirides est un
adjectif. Dans ce cas, la base rides à laquelle anti- se rattache est nominale, mais le dérivé
antirides est de la catégorie adjectivale. Ces chercheurs montrent qu’il existe également
d’autres préfixes qui présentent cette conduite comme dans les exemples mentionnés cidessus comme en- dans encag(-er) ( en- + cage(N) encag(-er)(V)) Nous avons vu que ce
préfixe transcatégoriel pourrait bien être considéré comme un allomorphe de la préposition in
/ into, une position vivement défendue par Walinska de Hackbeil (1986) et acceptée par
d’autres linguistes comme par exemple Zwanenburg (1992). Est-ce que cela ne pourrait pas
91
être le cas avec anti- également ? Si c’est en effet le cas, il n’est pas irrégulier qu’anti- puisse
changer la catégorie du mot de base ou non parce que c’est une caractéristique des
prépositions. Nous reviendrons sur les similitudes avec les prépositions dans ce qui suit.
Si nous considérons cet emploi d’anti- (I2) comme un préfixe, on peut argumenter qu’il a un
tel statut parce qu’il y a un morphème semblable qui fonctionne véritablement de cette façon,
à savoir l’anti- qui figure dans antihéros. Une question qu’il faut se poser est de savoir si c’est
le même, ou s’il y a deux préfixes anti-. Il faut accepter ensuite que ce deuxième type d’antichange la catégorie du mot de base et qu’il appartient ainsi aux préfixes transcatégoriels
comme en- dans encager ( Vaf + N V) Il faut donc admettre que certains préfixes, bien
qu’en nombre très restreint, peuvent changer la catégorie du mot de base. Si l’on adopte la
position qui consiste à dire que ce deuxième anti- est un préfixe, et donc un préfixe
transcatégoriel, il faut donc admettre qu’il y a deux sortes d’anti- ; un qui ne change pas la
catégorie du N-base (anti- dans antimatière) et un qui en effet change la catégorie du mot de
base à cause de son caractère transcatégoriel, à savoir celui qui figure dans des mots comme
l’adjectif antigel.
De plus, il faut trouver une explication pour la différence entre les formations suivantes,
empruntées à l’espagnol (5.11) :
(5.11) a. Medicamento antigripe (Médicament antigrippe)
b. Medicamento antigripal (Médicament antigrippal)
Dans l’exemple (a), le changement de catégorie d’antigripe semble être produit par le préfixe
anti-, mais dans l’exemple (b), dans antigripal, il semble que le changement de catégorie
résulte de la présence du suffixe adjectival –al. Il est donc question d’une asymétrie. Ceci est
valable également pour antidépression, antiovulation, antidérapage (a) vs. antidépresseur
antiovulatoire et antidérapant (b), mais également pour l’opposition entre antichar et
antiovulatoire. Nous allons voir que lorsque nous discuterons de ces mots sous (5.11b) dans
ce qui suit, dans ce cas, il s’agit des véritables adjectifs, mais dans les cas de (5.11a), ces mots
ne peuvent pas être des adjectifs au sens plein. Bok-Bennema (2004) donne également
plusieurs arguments, sur lesquels elle s’appuie pour ne pas considérer ce genre des mots en
anti- comme des adjectifs, qui ressemblent à ceux mentionnés par Durand (1982) et SerranoDolader (2002). Résumons brièvement ces arguments. Les ‘adjectifs’ en anti- ne prennent pas
le genre, ni le nombre du substantif qu’ils suivent. ( crème antirides au lieu de # crème
antiride, et el faro hermoso ‘le beau phare’ et la luz hermosa ‘la belle lumière’ mais el faro
92
antiniebla ‘le phare antibrouillard’ et la luz antiniebla ‘la lumière antibrouillard’) De plus, ils
n’admettent pas de degré d’intensification ( Un produit très utile vs. un produit très antigel) et
pas non plus de degré de comparaison ( # Ces missiles sont plus antichar que ceux des
Américains vs. Ces missiles sont plus destructifs que ceux des Américains). Ils ont cette
dernière caractéristique en commun avec des adjectifs comme pétroliers. Il est clair qu’il
existe de nombreuses différences avec les adjectifs réguliers, mais s’ il est clair que ce ne sont
pas des adjectifs, quel est le statut de ces dérivés en anti- alors ? Et quel est le statut d’antidans ces mots ?
Un autre auteur qui est d’avis que ces mots ne sont pas des adjectifs est Martín García (1996).
Il propose qu’en fait il n’y a pas de changement de catégorie dans le dérivé en anti- parce que
le dérivé en anti- est nominal, comme l’est la base à laquelle anti- se combine. Selon lui, c’est
donc anti- + char (N) antichar (N) comme le montre (5.12) :
(5.12) « Desde nuestro punto de vista, los nombres prefijados con ANTI- siguen siendo
nombres sin producirse un cambio en la categoría de la base o una recategorización
de la base. Es decir, tales formaciones con ANTI- funcionan como substantivos y,
dentro de un SN, como modificadores restrictivos del sustantivo, lo que vendría a
explicar que los nombres prefijados con ANTI- puedan confundirse con la
función que desempeñan los adjetivos dentre de un SN. »
( « A notre point de vue, les noms préfixés par anti- suivent des noms sans produire
un changement de catégorie de la base ou une récatégorisation de la base. Ceci
implique que ces formations en anti- fonctionnent comme des substantifs et, à
l’intérieur d’un SN, comme des modificateurs restrictifs du substantif, ce qui explique
que les noms préfixés par anti- peuvent se confondre avec la fonction qui caractérise
les adjectifs à l’intérieur d’un SN. »)
( Martín García (1996 : 142)
Pourtant, il y a un inconvénient à cette analyse, parce que si l’on considère antirides comme
un nom, il faut insister que cela ne peut pas être un mot endocentrique. Dans ce cas-là, ce mot
signifierait une sorte de rides ce qui n’est absolument pas le cas. Un mot comme un antirides
est exocentrique signifiant un produit contre les rides. Cette analyse de Martín García n’est
donc pas satisfaisante non plus, sauf si l’on accepte que la combinaison d’un préfixe avec un
93
nom peut avoir comme résultat un mot exocentrique. Nous reviendrons sur ce point dans ce
qui suit.
Il est donc clair que l’anti- qui figure dans des mots comme antichar et antirides ne peut pas
être un préfixe au sens plein, parce que cette classification fournit des structures qui ne
rendent pas bien compte du sens de ces mots. A notre avis, dans le cas où anti- a
l’interprétation I2, c’est une sorte de préposition et les syntagmes comme missile antichar et
crème antirides sont des PP. Donnons d’abord les arguments qui favorisent une telle analyse.
Considérons les phrases suivantes empruntées à l’espagnol (5.13) :
(5.13) a.
Manifestaciones anti actos terroristas indiscriminados
( ‘ Manifestations anti actes terroristes impitoyables’)
b.
Declaraciones anti comportamientos nepotistas
( ‘Déclarations anti comportements de favoritisme’)
c.
Movilizaciones anti construcción del nuevo túnel
( ‘Mouvements anti construction du nouveau tunnel’)
(Serrano-Dolader 2002 : 389)
Si l’on considère les formations antirides, antigel etc. comme des adjectifs préfixés par anti-,
cela a pour conséquence que dans les constituants de cet exemple (5.13), il y a un préfixe antiqui modifie non seulement le nom qui le suit directement, mais qui modifie tout le syntagme.
Serrano-Dolader (2002), mentionne qu’en espagnol ces constructions sont très habituelles et il
faut alors trouver une explication interprétative. Il est possible de considérer les exemples
(5.13a) et (5.13b) comme des NP syntaxiques ( sans (5.13c) ) et tous les exemples sous (5.13)
montrent qu’en espagnol anti- est plus près de la préposition espagnole. Par exemple, un mot
comme antirides pourrait être considéré comme un syntagme prépositionnel en espagnol.41
Cette préposition anti- a, au niveau de son sens, comme de nombreuses autres en français
(comme en dans En France, on trouve la Tour Eiffel et Il a encagé l’oiseau) un lien étroit
avec le ‘vrai’ préfixe anti- qui figure dans les mots comme antihéros ou antigène et qui ne
présente pas de caractère transcatégoriel. Un mot comme crème antirides, pourrait être
analysé de la façon suivante (5.14) :
41
Voir Serrano-Dolader (2002 :398)
94
(5.14)
crème
anti
rides
(substantif)
(préposition)
(substantif)
Serrano-Dolader (2002) montre que le morphème anti- a des caractéristiques en commun avec
les autres prépositions en espagnol. Il donne les exemples suivants dans lesquels anti- a la
même fonction que les autres prépositions dans le syntagme mentionné (5.15) :
(5.15)
Espagnol
a.
Reunión
para
puesta en común de las ideas
‘Réunion pour rendre commun les idées’
b.
Conversación
entre
nuevos ministros del gobierno
‘Conversation entre (les) nouveaux ministres du gouvernement’
c.
Juicio
sin
pruebas definitivas de inculpación
‘Jugement sans preuves dures d’accusation’
d.
Movilizaciones
anti
construcción del nuevo túnel
‘Mouvements anti- construction du nouveau tunnel’
Serrano-Dolader (2002 : 398)
Français
a.
Conversation
entre
amis 42
b.
Jugements
sans
nuances 43
c.
Organisations
anti
esclavage international44
d
Campagne sms
anti
candidats algériens 45
Alors, si l’on considère anti- comme une préposition, cela a des conséquences pour la
caractérisation morphologique des mots comme antirides. Il ne s’agit donc plus d’un mot
complexe préfixé, mais antirides est alors un mot complexe formé par la combinaison d’une
préposition et d’un substantif : [ Prép. + N] (Serrano-Dolader 2002 :398) Il y a encore
d’autres arguments qui favorisent une classification d’anti- comme préposition.
42
Voir http://www.cafe.umontreal.ca/genres/e-conami.html
Voir http://www.timidite.info/agir/modifier_pensees.htm
44
Voir http://www.amnesty.be/doc/article3948.html
45
Voir http://suffrage-universel.blogspot.com/2006/10/campagne-sms-anti-candidats-algriens.html
43
95
Il n’est pas nouveau de mentionner la relation entre préfixes et prépositions, surtout parce que
de nombreux préfixes trouvent leurs origines dans les prépositions grecques et latines.
Marchand (1969 ) est un des premiers qui considère anti- comme une préposition. Il
mentionne que les préfixes anglais pro-, anti- ou post- sont des allomorphes des prépositions
respectives for ‘pour’, against ‘contre’ ou after ‘après’ :
« A 17th century development is the prepositional type anti-Calvinist ‘one who is against Calvin’. […] The
object of the preposition may be a personal name, as in the type word, or a common substantive, as in
antialcoholist.
(Marchand (1969:142))
Un autre argument pour la classification d’anti- comme une préposition est la comparaison
avec pro. Ce morphème est souvent considéré comme une préposition qui signifie ‘en faveur
de’. Puisqu’anti- se combine souvent avec des bases similaires et comme ces deux
morphèmes figurent dans le même registre, bien que leur signification soit opposée, anti- a
reçu la même classification que pro. Pour le moment, nous considérons l’emploi d’anti- qui
figure dans antirides, antigel, antinazi etc. comme une vraie préposition qui donne des
structures comme celles mentionnées sous (5.14). Nous avons vu que les prépositions peuvent
changer la catégorie du mot de base auquel elles s’attachent, comme sous dans souligner. Vu
que l’anti- dans antichar et antigel est une préposition, le dérivé formé par anti- + N pourrait
être de la catégorie adjectivale, mais nous avons argumenté dans ce qui précède que le
changement de catégorie ne se fait pas vraiment puisque la combinaison anti- + N (p.e. char)
produit un mot complexe ( antichar) qui est un PP. Ceci distingue anti- des préfixes
transcatégoriels qui changent toujours la catégorie du mot de base.46 Il faut cependant
mentionner que si l’on accepte la caractérisation de Selkirk (1982) pour en- qui est Vaf , c’est
alors la tête du verbe encag(-er). Dans ce cas, il n’y pas de véritable changement de catégorie
non plus. Le morphème anti- est selon nous une préposition qui change la catégorie du mot
de base ce qui est conforme à la caractéristique des prépositions qui dit qu’elles peuvent
changer la catégorie du mot de base, mais qu’elles ne le font pas toujours (sous (P)+chef (N)
souschef (N)) En fait, la question de savoir quel statut on peut attribuer à anti- est devenue
moins importante, parce qu’il est plus essentiel de fournir de bonnes structures qui rendent
compte de la forme ainsi que de la sémantique des mots en anti-. Si anti- est une préposition,
46
en-+cage encager ; en- est un Vaf qui signifie qu’il change toujours la catégorie du mot auquel il s’attache
en V.
96
les structures des mots qui incluent des prépositions indiscutables devraient être semblables à
celle dans lesquelles figure anti-. Nous comparons alors la structure des dérivés en anti- avec
celle des mots dans lesquels figurent des vraies prépositions comme dans sans-papiers. Ce
mot exocentrique du type PN est discuté dans notre cadre théorique proposé par BokBennema et Kampers-Manhe (2000), dont nous avons parlé dans le chapitre 1. Dans la partie
concernant les structures nous allons voir que la structure de ces deux formations est en effet
la même.
Le fait que la structure d’un sans-papiers et celle d’un antirides soient équivalentes renforce
l’idée que l’anti- qui figure dans ces mots complexes est en effet une sorte de préposition.
Nous proposons que les dérivés en anti- de l’interprétation I2 français comme antichar et
antirides sont des PP et il faut donc réviser la RCM anti-4 de Corbin de la façon
suivante (5.16) :
(5.16) RCM anti-4 révisée:
N PP
‘Qui s’oppose à N’
Dans le paragraphe suivant, nous analyserons plus en détail la structure des mots comme
crème antirides et missile antichar. Nous verrons dans la partie consacrée aux mots en antien néerlandais que la structure de ces mots néerlandais appuie l’idée que les mots en antisont des PP qui peuvent fonctionner comme des modificateurs d’une tête nominale ( Ceci est
toujours le cas en néerlandais, et il n’est jamais question d’un adjectif en anti- qui modifie la
tête)
On pourrait terminer ici, mais malheureusement, la classification de cette sorte d’anti- comme
préposition est plus compliquée. Il est vrai que l’anti- qui est présent dans les exemples
mentionnés ci-dessus ressemble beaucoup à une préposition au niveau de son comportement
et de son sens. Pourtant, il y a des contre-arguments contre une telle classification.
Il y a des raisons pour dire qu’anti- ne peut pas être une préposition au sens plein. Nous avons
vu qu’anti- présente des caractéristiques communes avec les prépositions, mais il y a
également des différences. Les ‘vraies’ prépositions peuvent lier deux éléments appartenant à
des catégories lexicales différentes, alors qu’anti- ne peut lier que deux éléments de catégorie
nominale. Cette différence est rendue plus clair par les exemples suivants (5.17) :47
47
Voir pour plus d’exemples Martín García (2001 : 230)
97
(5.17) : (a)
(b)
[crème]N anti [rides]N, [missile]N anti [char]N, [campagne]N anti [tabac]N
[entrer]V dans un hôpital, [similaire]Adj à un chien, [immigrer]V dans un
pays
Le morphème anti- ne peut établir une relation que de substantif à substantif. De plus, selon
Serrano-Dolader, la préposition anti- ne peut pas être suivie d’un verbe (anticontamination
mais non pas # anticontaminer) ou d’un adverbe ( dès hier, avant-hier, mais non pas
#antihier)48, ce qui est contraire au comportement habituel des autres prépositions en
espagnol. Nous revenons sur la question de savoir si anti- peut se combiner avec des verbes
dans la section suivante concernant les adjectifs comme antidérapant. D’autre part, les
prépositions pleines acceptent par exemple qu’un article ou qu’un autre déterminant puisse se
placer entre la préposition et l’élément qui suit. Chez Serrano-Dolader (2002 : 400) nous en
voyons des exemples (5.18) déjà mentionnés au Chapitre 3:
(5.18)
Attaque # anti la guerrilla vs. Attaque contre la guerilla
Nous voyons ici que la préposition contre exige l’emploi d’un article devant guerrilla. Cela
pourrait impliquer que le morphème anti- ne peut pas être utilisé en syntaxe comme
préposition au sens plein. Pourtant, il semble possible d’employer un article si l’élément que
suit anti- est accompagné de compléments, mais les hispanophones ont cependant des doutes
sur la grammaticalité de ces syntagmes, comme ceux de (5.19) (Serrano-Dolader (2002 : 400)
:
(5.19) a.
Attaque anti la guerrilla de los integristas musulmanes ( ??)
‘Attaque anti la guérilla des musulmans fondamentalistes’
b.
Movilizaciones anti la construcción del nuevo túnel ( ??)
‘Mouvements anti la construction du nouveau tunnel’
48
Il faut mentionner que # après-hier n’est pas non plus grammatical. En néerlandais, on ne peut pas non plus
dire # overgisteren ( ‘eergisteren’ = avant-hier) ou en espagnol # pasado ayer ( ‘anteayer’ = avant-hier). Le fait
qu’après-hier ne soit pas grammatical repose surtout sur le fait que si l’on est dans le présent, il est impossible de
renvoyer à une date passée de deux jours en disant après-hier. Si l’on prend le présent comme le point de départ,
deux jours dans le passé ( avant-hier) est plus ‘loin’ qu’un jour dans le passé ( hier). Sémantiquement après-hier
est donc impossible, bien qu’une phrase comme « Après hier, la France peut se nommer le champion du
monde » doive être possible. Dans cette phrase, on peut ajouter Après le finale d’hier dans laquelle la France a
remporté la victoire, la France peut se nommer champion du monde.
98
Bien que (5.19) montre que le morphème anti- se comporte comme une préposition, il
présente des différences nettes avec les prépositions au sens plein. Il faut constater que c’est
un élément qui est entre une préposition et un préfixe.
Or, en espagnol, il existe également des exemples où les prépositions ont un caractère
préfixal, comme le montre Bok-Bennema (1993). En discutant des préfixoïdes espagnols, elle
mentionne qu’en espagnol il existe de nombreuses combinaisons endocentriques qui sont
composés d’une préposition et d’un élément d’une autre catégorie majeure, comme antebrazo
PN (‘avant-bras’), contradecir PV (‘contredire’). Traditionnellement, les éléments de gauche
sont considérés comme des formes préfixales des prépositions, ce que nous avons chez
Zwanenburg (1992) également, et il suit de cette constatation que les mots endocentriques du
type PN ou PV sont en fait des dérivés et non pas des composés. Il est logique de considérer
ces mots comme des dérivés puisque dans le domaine de la composition en espagnol, la tête
se trouve toujours à gauche. Vu que la tête dans ces mots se trouve à droite, comme ce qui est
le cas des autres mots appartenant au domaine de la dérivation, comme pianista (‘pianiste’),
ces mots peuvent bien être des dérivés. Bok-Bennema (1993) propose alors une règle qui
transforme des prépositions en préfixes49. Nous pouvons argumenter de façon semblable pour
les mots endocentriques du type PN et PV en français, comme contreculture et contredire,
mais nous ne pouvons pas soutenir que la préposition anti- se comporte comme une
préposition préfixée dans le cas d’antichar. Cette analyse est incorrecte, parce que dans les
mots dont on discute dans cette section, il ne s’agit pas de combinaisons endocentriques, mais
exocentriques. Comme nous l’avons déjà mentionné, un antirides ne signifie pas ‘opposé des
rides’ , mais signifie ‘un produit contre les rides’ . C’est pour cette raison qu’il faut comparer
les mots en anti- comme antichar, antirides, antigel avec les composés apparemment
exocentriques du type PN, comme par exemple un sans-papiers. Nous ferons cela dans le
paragraphe suivant.
Nous voulons alors attribuer à anti- qui figure dans antirides, antigel etc., le statut d’une sorte
de prépositionoïde suivant la ligne de conduite qui a eu pour effet la création du terme
préfixoïdes, des éléments qui ont beaucoup de similitudes avec les préfixes, mais qui ne le
sont pas au sens plein. Nous indiquerons cela dans les structures d’arbres par P-oide .C’est
selon nous la position qui rend le mieux compte des problèmes que l’on rencontre en
analysant cet emploi d’anti-. C’est uniquement lorsque les locuteurs français ou espagnols
49
Voir pour plus de détails de cette analyse Bok-Bennema (1993:17)
99
acceptent des phrases comme (5.20) comme des phrases grammaticales que l’on pourrait
parler du morphème anti- comme étant une préposition pleine qui est interchangeable avec
l’indéniable préposition contre :
(5.20) (a) Nous nous sommes revoltés anti ( contre) le gouvernement.
(b) Anti balas es anti lo que es el chaleco
Anti balles est anti lequel est la veste
vs.
Contra las balas es contra lo que es el chaleco50 .
Contre les balles est contre lequel est la veste
(c) Aujourd’hui, il y a eu une manifestation anti (contre) la nouvelle loi.
Analysons, maintenant que l’on a proposé que l’anti- présent dans antichar et antirides est un
prépositionoïde, les mots en anti- plus complexes comme antigrippal, antiparlementaire et
antidérapant, antiovulatoire et antidépresseur.
5.1.2.2 Les adjectifs en anti- comme antigrippal, antiparlementaire et antidérapant,
antiovulatoire, antidépresseur
Dans cette sous-section, nous allons parler des adjectifs en anti- ayant le sens I2. Une fois de
plus, il faut faire une distinction parce que les adjectifs comme antigrippal, antiparlementaire,
antialcoolique ont une base nominale, tandis que c’est plus complexe pour les adjectifs
comme antidérapant, antiovulatoire qui ont, comme nous allons le montrer dans ce qui suit,
une base verbale. Considérons d’abord comment les autres linguistes, et spécifiquement
Corbin (1987), ont essayé de rendre compte de ces mots complexes.
Pour les adjectifs dont la base est nettement nominale, comme dans antigrippal et
antialcoolique dont le sens est ‘contre la grippe’ et ‘contre l’alcool’ respectivement, Corbin
formule sa RCM anti-4 que nous répétons ici pour des raisons de commodité (5.21) :
(5.21)=(5.10) RCM anti-4 :
N A
‘Qui s’oppose à N’
50
Voir Martín García (2001: 230)
100
Nous avons déjà montré pour les mots comme antichar et antirides que cette RCM devrait
être modifiée. La différence seulement est que dans les cas mentionnés ici, il s’agit des
véritables adjectifs ce qui est prouvé par l’existence d’un vrai suffixe adjectival comme –al
(antigrippal), -aire(antiparlementaire), -ique (antialcoolique). Dans le chapitre précédent
nous avons vu que ces adjectifs ont beaucoup de similitudes avec les adjectifs de relation qui
se comportent sur de nombreux niveaux comme des substantifs. Nous avons déjà mentionné
auparavant qu’un élément essentiel dans cette discussion est la question de savoir si les
adjectifs de relation acceptent d’être nominalisés. Nous avons conclu que les adjectifs
relationnels n’admettent pas la nominalisation lorsqu’ils ne peuvent pas être utilisés de façon
prédicative. Comparons le comportement d’un véritable adjectif en anti- issu de la RCM anti3 comme a(nti)social avec celui d’un adjectif de relation en anti- comme antigrippal
(5.22) (Les mots marqués d’un astérisque sont des mots non-attestés mais possibles51, les
syntagmes marqués d’un grille sont agrammaticaux) :
(5.22) (a)
un candidat a(nti)social
(b)
un médicament antigrippal
le candidat est très a(nti)social
# le médicament est très antigrippal
* l’antisocialité du candidat
# l’antigrippalité du médicament
Nous voyons par ces exemples que dans les cas de (b) l’adjectif antigrippal ne peut pas
fonctionner comme prédicat, tandis qu’antisocial s’emploie de façon prédicative sans
problèmes. En néerlandais, nous verrons dans ce qui suit, qu’il s’agit même d’une tout autre
structure dans laquelle le mot en anti- fonctionne. En néerlandais, il s’agit d’un mot composé
antigriepmedicijn et tous les équivalents néerlandais des exemples français sous (5.22b) sont
des composés. En néerlandais, on utilise directement le substantif et non pas un adjectif de
relation. Ceci soutient l’idée qu’en français, le syntagme médicament antigrippal, qui est à un
niveau sous-jacent médicament antigrippe, appartient aux composés et que tous les exemples
sous (5.9a), aussi bien que les formations comme antichar et antigel, dont la base est
directement visible, que celles comme antigrippal et antiparlementaire , dont la base ne peut
51
Il y a de nombreux exemples du mot socialité comme :
http://antisophiste.blogspot.com/2006/12/les-modèles-de-la-socialité-selon-alan.html
http://www.nettime.org/Lists-Archives/nettime-fr-0006/msg00026.html
http://www.unitheque.com/medecine/Le_medicament_au_coeur_de_la_socialite_contemporaine7278.html?&rubrique=ABABQ
101
pas être retrouvée directement, figurent dans des syntagmes appartenant au domaine de la
composition, ce qui a été déjà défendu par Durand (1982). Nous voulons insister cependant
sur le fait qu’il est également bien possible de dire qu’antiparlementaire soit un adjectif et que
commission antiparlementaire soit une structure syntaxique puisque cette structure n’enfreint
pas les règles syntaxiques qui combinent N + A. Nous sommes d’accord avec l’analyse selon
laquelle un syntagme comme médicament antigrippe est en effet une structure qui fait partie
du domaine de la composition, mais médicament antigrippal pourrait être une structure
syntaxique régulière.
Durand (1982) propose que lorsqu’un adjectif de relation est formé par l’ajout d’un suffixe
comme –aire, -ique etc. le nom de base est transformé en adjectif sans que la représentation
sémantique soit touchée. Durand (1982) argumente, comme nous l’avons vu dans le chapitre
précédent, qu’un mot comme parlementaire signifie parlement ( ce qui correspond, selon lui,
au sens mentionné dans les dictionnaires : ‘du parlement, relatif au parlement’) et qu’un mot
comme alcoolique signifie alcool et que ces mots sont interchangeables. Selon lui, la
différence entre le sens mentionné dans les dictionnaires et celui mentionné par lui-même est
juste la présence du relateur (de, relatif à) qu’il considère comme un transpositeur de classe
qui n’est pertinent que si l’on envisage l’adjectif de relation à l’intérieur d’un syntagme et
qualifiant un nom. Ce linguiste est d’avis que le relateur qui figure dans des structures comme
du parlement est déterminé en français par une contrainte de surface et que la valeur que l’on
peut lui attribuer dépend des facteurs pragmatiques (Durand 1982 :28). Dans l’entrée lexicale
abstraite de cet adjectif, il n’y a donc pas de raison d’inclure le relateur. De cette façon, il
explique pourquoi l’application d’anti- à un adjectif de ce type fournit toujours comme sens :
‘contre la notion que représente la base du dérivé’. Il est très clair que le sens de ces dérivés
en anti- n’est pas simplement le sens d’anti- et celui de l’adjectif ensemble.
Corbin (1987) explique ces adjectifs ayant une véritable forme adjectivale, mais différents des
adjectifs comme antisocial qui sont issus de la RCM anti-3, comme suit : La RCM anti-4
produit des mots comme antigrippe ou bien antiparlement et ensuite il est question d’une
application ‘normale’ du Principe de Copie dont nous avons parlé dans le chapitre 3 (§
4.2.2.2). La base est un nom non construit et, selon elle, l’application est toujours facultative
dans ce cas, ce qui explique pourquoi nous trouvons #antialcool et antialcoolique l’un à côté
de
l’autre
et
ceci
est
valable
également
pour
antigrippe/antigrippal
et
#antiparlement/antiparlementaire. Nous verrons dans ce qui suit qu’antiparlement, bien que
non attesté, doit fonctionner comme une sorte de base pour former antiparlementaire. Si le
Principe de Copie est appliqué, antigrippe ainsi qu’antigrippal ont le même sens dans un
102
syntagme comme médicament antigrippe/antigrippal. Dans le paragraphe suivant, nous
donnerons les structures très complexes de ces adjectifs et nous montrerons que celles
tiennent compte des propriétés sémantiques rélevées par Durand et Corbin.
Nous nous tournons maintenant vers les adjectifs comme antidérapant, antiovulatoire et
antidépresseur. Ces adjectifs sont encore plus complexes que ceux dont nous venons de
parler. Selon Corbin, ceci est lié au fait que l’adjectif suffixé non préfixé, ovulatoire par
exemple, est formé sur une base qui appartient à une autre catégorie, à savoir la catégorie
verbale, que la base de l’adjectif préfixé non-suffixé antiovulation ( nous rappelons que ce
mot est considéré comme un adjectif par Corbin) Le suffixe –oire ne sous-catégorise que pour
des bases verbales, mais selon elle anti- ne se combine pas avec des verbes. Il faut qu’une
application élargie du Principe de Copie (1987 :653) se produise, que nous avons signalée au
paragraphe 4.2.2.2. Corbin argumente que dans les mots où on a affaire à une base adjectivale
à première vue, la sémantique de ces mots rend clair qu’il s’agit en fait d’une base nominale.
Un produit antitranspirant n’est pas le contraire d’un produit transpirant (sinon, ce serait
plutôt un produit de la RCM anti-3 )52, mais anti- combat la transpiration ou même mieux,
anti- s’oppose à l’action de transpirer et à l’odeur désagréable qui en est le résultat. La RCM
anti-4 (de Corbin !) produit alors l’adjectif antitranspiration. Ensuite, le Principe de Copie
s’applique et il aura comme résultat que transpiration sera remplacé par l’adjectif transpirant
issu du verbe transpir(-er). Pour antiovulatoire on pourrait argumenter de façon semblable (
en fait donc anti- qui s’oppose à ovulation ; antiovulation antiovulatoire ( ovulatoire issu
du verbe ovul(-er))). Dans la description de ces mots, il faut tenir compte de ce fait. Selon
Durand (1982), le sens des mots comme antidérapant, antiovulatoire doit être retrouvé à
partir de la représentation sémantique du mot de base comme nous l’avons déjà mentionné cidessus.
Avec son Principe de Copie, Corbin montre que la base à laquelle anti- s’attache dans ce
genre de mots est de la catégorie nominale. Ces deux linguistes, Durand et Corbin, montrent
qu’antidépresseur signifie antidépression et à un niveau sous-jacent c’est donc en effet cette
forme qui est présente. Comme nous l’avons vu ci-dessus, le PdC est responsable du fait que
dépression sera remplacé par l’adjectif dépresseur qui est issu du verbe déprim(-er). Nous
suivons l’argumentation de Durand et de Corbin en admettant que les mots comme
52
RCM anti-3 :
A1 A2
‘ A2 contraire à ce qui est A1’
Par exemple, anti- se combine avec la base adjectivale social formant ainsi antisocial dans le sens de ‘contraire
à ce qui est social’. Ce sens est impossible pour antitranspirant.
103
antidérapant et antidépresseur ne sont que des adjectifs de surface, mais nous nous opposons
à leur position qui consiste à dire que la base de ces mots est nominale. Nous sommes d’avis
que dans ces mots il y a une base verbale.
Nous avons argumenté dans la section précédente concernant les mots comme antichar et
antirides que l’anti- qui figure dans ces mots a le statut d’une sorte de préposition. Nous
avons également montré qu’une différence avec le comportement régulier des prépositions est
le fait que la préposition anti- ne se combinerait normalement pas avec des bases verbales. Ce
phénomène est souvent utilisé par des linguistes qui ont douté de son caractère prépositionnel.
Ils opposent par exemple des verbes comme contredire, souligner, sous-estimer où figure une
véritable préposition, à des verbes non-existants comme #antiattaquer ou #antiovuler pour
montrer qu’anti- n’appartient pas aux prépositions Pourtant, il faut revenir sur cette
conclusion, parce que nous avons trouvé des exemples français et néerlandais dans lesquels
anti- se combine en effet avec des verbes et ces verbes complexes sont utilisés en
syntaxe (5.23) :
(5.23 a)
« Silver 5/4/3 exterieur jersey et fine Mews, Velcros autours des chevilles, ca
antidérape de partout. la wetsuit de cet hiver debarque et ca va être chaud...
b)
tailles: du
XS au XL ». 53 ( Pub pour un wetsuit)
« Vandaag
het boardje ge-antislipt, […] »54
Aujourd’hui la planche antidérapé […]
‘Aujourd’hui, j’ai antidérapé la planche’
( Sur un blog des planchistes)
Il semble que dans le registre des planchistes, le verbe antidéraper commence à être utilisé.
Sa signification est alors plutôt ‘empêcher de déraper’ pour faire en sorte que les planchistes
aient plus d’adhérence à leur planche. Bien que cette dernière phrase soit celle d’un weblog, et
puisse être considérée comme une invention du locuteur, il apparaît au moins que ce verbe est
bien compris par les autres utilisateurs du weblog. De plus, dans le registre de la médecine
nous trouvons des exemples comme (5.24) :
53
54
Voir http://gallery.sooruzshop.com/main.php?g2_itemId=5709
Voir http://forum.windsurfing.nl/viewtopic.php?p=84232&sid=8ad182b3a0963eb46b9389278b175d6c
104
(5.24) « un patient pas assez anticoagulé risque la thrombose (recherche d'un notion
d'embolie même régressive, bruits de la valve) ; un patient trop anticoagulé risque des
hémorragies, même minimes. »55
Dans cette phrase, nous voyons l’adjectif anticoagulé. La forme de cet adjectif ressemble
beaucoup aux adjectifs qui sont normalement dérivés d’un verbe dont le participe passé est
utilisé comme adjectif. ( J’ai donné un cadeau vs. Marie aime bien le cadeau donné ; Il a
consacré beaucoup de temps à son travail vs. le paragraphe consacré à la première loi de
Newton) Il est bien possible que l’emploi de cet adjectif soit plutôt une expression fixe dans le
domaine de la médecine, mais sa formation est pourtant intéressante. On dirait qu’à la base de
cet adjectif serait le verbe complexe anticoagul(-er). Néanmoins, nous sommes d’avis que
normalement les verbes en anti- ne sont pas utilisés en syntaxe bien que nous admettions que
parfois, par hasard, un verbe en anti- puisse être utilisé en syntaxe, ce que nous voyons encore
une fois dans la phrase suivante (5.25) :
(5.25) « Les poêles antiadhérentes adhérentes. Je m’explique : j’ai une poêle antiadhérente qui
n’antiadhère plus : elle adhère. »56
Dans ce dernier cas pourtant, il semble qu’antiadhérer soit vraiment utilisé comme le
contraire d’adhérer.
Ayant vu ces exemples, il faut admettre que la préposition anti- puisse bien se combiner avec
des bases verbales, ce qui correspond au comportement régulier des prépositions au sens
plein. Il est donc nécessaire de formuler une RCM qui rend compte de ce fait et nous voulons
proposer la RCM anti-5 suivante (5.26) :
(5.26) RCM anti-5 :
V1 V2
‘empêcher de V1’
En discutant des adjectifs en anti- comme antidérapant, antiovulatoire et antidépresseur, les
linguistes ont toujours dû trouver une réponse à la question de savoir pourquoi les suffixes
adjectivaux comme –ant, -oire et –eur, qui sous-catégorisent pour des bases verbales,
55
56
Voir http://www.adetec.net/complement/index.php?page=surveillance
Voir http://crayat.skynetblogs.be/post/4460150/rencontre-des-poeles-
105
pouvaient se combiner avec des noms en anti-. Comme le sens d’antidérapant est ‘contre le
dérapage’, ils ont toujours conclu qu’antidérapage était à la base d’un tel adjectif complexe.
Pourtant, les suffixes mentionnés ci-dessus ne peuvent pas se combiner avec une base
nominale, mais verbale suivant leurs traits de sous-catégorisation. C’est exactement cette
question qui a forcé par exemple Corbin (1987) à formuler un Principe de Copie révisé qui
rendait compte d’un tel phénomène. Si nous acceptons que la préposition anti-, qui figure
dans les adjectifs discutés dans cette sous-section, peut se combiner avec des bases verbales
nous pouvons nous passer d’un tel Principe de Copie compliqué. Le produit de notre RCM
anti-5 serait par exemple le verbe antidéraper. Antidéraper ne signifie pas ‘contraire à
déraper’, mais ‘empêcher de déraper’. Cette notion est exprimée par la ‘préposition’ anti-.
Nous pouvons argumenter que dans ce cas, il s’agit d’une préposition préfixée, comme dans
contredire, mais il faut qu’il soit clair que la sémantique de ce verbe ne peut pas être
‘contraire à déraper’. Ensuite, le suffixe –ant sélectionne cette base verbale complexe
formant ainsi l’adjectif antidérapant qui peut fonctionner comme tel en syntaxe ce qu’on voit
dans pneu antidérapant. Ceci vaut également pour la formation de l’adjectif contredisant. Il
en va de même des adjectifs comme anticorrosif, antidépresseur, antiovulatoire etc. Pour tous
ces adjectifs, il y a un verbe complexe qui est à la base de leur formation et dans ces verbes
anti- a le statut d’une préposition préfixée. En général, la sémantique de ces verbes peut être
paraphrasée par ‘empêcher de V’. Dans le cas d’antiovulatoire et d’antidépresseur, on
pourrait argumenter de la même façon et dire que ces adjectifs de surface sont formés de la
même manière qu’antidérapant. La différence est que le suffixe qui sélectionne ces verbes
complexes est différent, à savoir –oire dans le premier cas et –eur dans le second cas. Dans le
cas d’antiovulatoire, c’est cependant un peu plus compliqué. Le morphème anti- se combine
avec le verbe ovul(-er). Dans le cas d’antiovulat-, il semble moins clair qu’il s’agisse d’un
verbe à cause de la présence du morphème –at. Il est question d’allongement thématique, qui
est d’origine latine. Le morphème –at joue dans ce cas un rôle strictement morphologique de
jonction entre la racine et le suffixe et cela ne pose donc pas de problèmes pour notre analyse.
Un autre problème pour lequel le Principe de Copie n’était pas capable de fournir une
explication satisfaisante était la co-existence d’anticorrosion et d’anticorrosif. Notre analyse
en est capable. Ayant accepté qu’en morphologie anti- peut se combiner avec des verbes,
nous pouvons argumenter qu’anti- se rattache à la racine verbale corrod(-er). Ensuite, ce
verbe complexe anticorrod(-er) est sélectionné par le suffixe adjectival –if qui sous-catégorise
pour des verbes. On pourrait suggérer que dans le cas d’anticorrosion, que le verbe
anticorrod(-er) est à la base et qu’il est à son tour sélectionné par le suffixe nominal –ion.
106
Pourtant, anticorrosion ne signifie pas ‘le fait d’anticorroder’ et nous proposons alors qu’il
s’agit de deux structures différentes. Dans anticorrosion il y a une combinaison PN qui est à
la base, tout comme c’est le cas dans antichar, et dans anticorrosif le verbe anticorrod(-er) est
à la base. De cette façon, le sens d’anticorrosion est mieux rendu.
Dans le paragraphe suivant, nous revenons sur les structures précises des mots comme
antiovulatoire, antidépresseur etc. Nous analyserons maintenant le statut de l’anti- qui se
combine avec des vrais adjectifs.
5.1.3 Le statut d’anti- dans les mots comme antisocial, antimoral
Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, ce genre de mots en anti- (I3) se
distinguent de ceux de la classe discutée dans la partie précédente (I2) par le fait que leur sens
se construit à partir de la signification de l’adjectif-base. On peut paraphraser leur sens par
‘contraire à ce qui est A’, ou bien dans certains cas par ‘qui combat ce qui est A’ ou ‘ qui est
hostile à ce qui est A’. Pour être complet, nous reprenons pour ce cas également la RCM
formulée par Corbin (1987) (5.27) :
(5.27) RCM anti-3 :
A1 A2
‘ A2 contraire à ce qui est A1’
(5.28)
1.antidémocrate
‘contraire à ce qui est démocrate’
2.antimoral
‘contraire à ce qui est moral’
3.antifrançais
‘hostile à ce qui est français’
4.antiferroélectrique ‘contraire à ce qui est ferroélectrique’
Comme nous l’avons déjà signalé dans le quatrième chapitre, le problème avec ce genre de
mots en anti- est que certaines significations entrent en concurrence avec celles de I2. Pour les
cas de bases ethniques, comme antifrançais et antichinois, notamment, leur signification
dépend fortement du contexte dans lequel ces mots figurent. Par exemple, une politique
antihollandaise pourrait signifier soit, selon I2 ‘ politique qui combat la Hollande’, soit, selon
I3 ‘ politique hostile à ce qui est hollandais’. Le premier antihollandais est le produit de la
RCM anti-4 et comme nous l’avons déjà vu avec les hypothèses de Corbin, il a un homonyme
antihollandais qui est issu de la RCM anti-3 et qui a donc une signification différente.
Comme nous l’avons argumenté dans la partie précédente, ce produit de la RCM anti-4 est le
107
résultat de la combinaison de la préposition anti- avec un nom (Hollande), converti
ultérieurement en adjectif avec l’utilisation du suffixe -ais. Le mot antihollandais résultant de
la RCM anti-3 par contre est le résultat d’une préfixation régulière à l’aide du préfixe anti- qui
se combine avec un adjectif. Un même raisonnement est valable pour les mots comme
antidémocratique qui peut signifier également ‘qui s’oppose à la démocratie’, dont le N-base
est donc démocrat(-ie). Dans ce cas, nous proposons donc, ce qui est en accord avec notre
analyse pour antigrippe, qu’antidémocrat(-ie) est un PP qui est ultérieurement transformé en
adjectif. Contrairement à Fradin (1998), nous sommes d’avis que l’adjectif antidémocrate est
véritablement issu de la RCM anti-3 et qu’il n’a pas ce double sens qu’a antidémocratique.
Antidémocrate signifie donc uniquement ‘contraire à ce qui est démocrate’. Sinon, on aurait
le PP antidémocrat(-ie) dont le suffixe –ie est supprimé et cette forme tronquée
antidémocrat(-e) fonctionnerait alors comme adjectif et le suffixe adjectival ne serait donc pas
vraiment visible. Si nous acceptons qu’antimoral peut avoir également le sens I2 de ‘qui
s’oppose à la morale’, il faudrait argumenter de la même façon que nous l’avons fait pour
antidémocrate. Dans ce cas, la base serait le PP antimorale et cette forme serait transformée
en adjectif antimoral. Le suffixe n’est donc pas non plus visible. Le mot antimorale peut
également avoir deux sens, soit celui de l’adjectif antimoral issu de la RCM anti-3, mais au
féminin, ce que nous trouvons dans des syntagmes comme ‘l’allure antimorale’57 et ayant le
sens ‘contraire à ce qui est moral’, soit celui de ‘qui s’oppose à la morale’, avec le N-base
morale. Dans ce dernier cas, il s’agit donc du PP antimorale qui est d’une manière ou d’une
autre transformé en adjectif. Nous reviendrons sur ceci en parlant des structures d’antigrippal
dans le paragraphe suivant.
Pourtant, pour bien distinguer les cas de doubles interprétations des mots antiA qui ne posent
pas de problèmes, Fradin (1998)58 précise que ce sont les mots antiA dont l’adjectif-base n’est
pas lié de manière formelle à un nom et ceux qui sont corrélés morphologiquement à un
verbe, qui ne peuvent pas avoir l’interprétation I2. Les mots antiA dont l’adjectif n’est pas
formellement lié à un nom sont en particulier les cas des ethniques comme antikurde dans le
sens ‘ qui est hostile à ce qui est kurde’, des adjectifs composés comme antiferroélectrique,
pour lesquels il est impossible de trouver directement une base nominale.
Nous voulons proposer que dans ce cas également, le genre d’anti- qui est présent dans cette
sorte de mots se comporte comme un préfixe, à condition qu’il s’agisse d’un vrai cas de I3. Le
57
« En dépit de l'allure antimorale que prend la psychanalyse […] »
http://www.megapsy.com/Textes/Rank/biblio013.htm
58
Voir Fradin (1998:340)
108
mot dérivé antihollandais a le sens de ‘hostile à ce qui est hollandais’ et il s’agit d’un préfixe
anti- avec une entrée lexicale comparable à celle d’anti- présent dans antihéros. La seule
différence est que dans ce cas, il se combine avec des adjectifs. Suivant le même
raisonnement que pour les cas de I1, ce préfixe indique également une fonction conceptuelle
d’OPPOSITION qui à le même effet que celle présent dans antihéros. La différence est qu’il
s’agit d’adjectifs au lieu de noms. Les adjectifs dénotent l’entité conceptuelle de PROPRIÉTÉ
La SLC pour antihollandais sera donc : [propriété Opposition [hollandais]] Donnons l’entrée
lexicale complète de ce préfixe (5.29) :
(5.29) Entrée lexicale du préfixe anti- dans antihollandais, antimoral
1
Affixe
2
[
3
[propriété Opposition [propriété SLC-base]]
4
/ɑti /
A]
-
s’attache uniquement aux mots, non pas aux racines
-
neutre aux processus phonologiques
La règle générale que l’on peut formuler pour ce genre de structures préfixées est la même
que celle qui vaut pour les dérivés comme antihéros (5.30), une fois de plus empruntée à
Selkirk (1982 : 87):
(5.30) Xn Af Xn
n = Mot
Nous sommes d’avis qu’il n’y a qu’un seul affixe anti- qui se combine soit à un N (cas I1),
soit à un A (cas I3). La relation sémantique conceptuelle est dans les deux cas OPPOSITION,
la seule différence est que parfois, ce préfixe se combine avec un nom, qui présente l’entité
conceptuelle de CHOSE ou ETRE et parfois avec un adjectif, qui présente l’entité
conceptuelle de PROPRIÉTÉ. Ceci est propre au nom ou à l’adjectif, mais le rapport que
fournit anti-, à savoir celui d’OPPOSITION, entre la SLC-base et le dérivé au complet est
dans les deux cas le même et l’entité conceptuelle est différente selon la catégorie syntaxique.
109
Maintenant que nous avons attribué un statut aux différentes utilisations d’anti-, il nous reste
encore à donner les structures des mots discutés dans ce paragraphe.
5.2 La structure des différents mots préfixés en antiDans cette section, nous allons donner une description précise de la structure des mots dérivés
en anti-. Dans la partie précédente, nous avons attribué un statut à chaque emploi d’anti-.
Nous parlerons d’abord de la structure des mots comme antihéros et antimatière.
5.2.1 La structure des mots comme antihéros, antimatière et antifrançais
Nous avons conclu dans la section 5.1.1 que le genre d’anti- qui est présent dans les
‘contraires antipodaux’, comme antihéros et antimatière, a le statut d’un préfixe régulier.
Maintenant il faut donner les structures des mots dérivés de ce préfixe. La structure d’un mot
comme antihéros ou anticorps sera donc la suivante (5.31) :
(5.31)
NP
AfP
NP
N
anti-
héros
Dans cette structure, les traits de héros p.e. [ + masc.], sont transmis à antihéros par
Percolation. Tous les traits pertinents du mot de base ( héros), sont présents dans le mot
antihéros mais avec la signification opposée, ce qui est causé par anti-.
Dans cette section, nous avons donné la structure des dérivés où le préfixe anti- est présent
comme dans les mots antihéros, anticorps, antimatière etc. Or, nous avons vu dans le
paragraphe précédent, que l’anti- qui est présent dans des formations comme antihollandais et
antiferroélectrique est un préfixe également. La seule différence est, dans ce cas, que le
morphème anti- se combine avec des adjectifs. Il n’est pas nécessaire de consacrer un
nouveau paragraphe au préfixe anti- qui figure dans les exemples mentionnés. Il suffit de
conclure simplement que la structure pour ce genre de mots est la suivante (5.32) :
110
(5.32)
AP
AfP
AP
A
anti-
moral ‘contraire à ce qui est moral’
français ‘qui est hostile a ce qui est français’
Il faut expliquer que dans ce cas, les deux adjectifs peuvent avoir un sens un peu différent,
parce qu’antifrançais ne peut pas signifier ‘contraire à ce qui est français’. Pourtant, dans les
deux cas, il s’agit du préfixe anti- qui est présent dans un tel mot.
5.2.2 La structure des mots comme antirides et antichar
Dans la section 5.1.2, nous avons argumenté que le morphème anti- qui figure dans des
formations comme antirides dans crème antirides est une sorte de préposition. Pour Marchand
(1969) qui considère ce genre de mots en anti- également comme des prépositions un mot
comme antitank [gun] aura la structure suivante (5.33)59:
(5.33)
[[anti[tank] N] PPØ] A
Anti- se combine donc avec un nom pour former un PP, qui est converti ultérieurement en
adjectif par une dérivation avec un suffixe zéro. En espagnol, nous avons vu ci-dessus la
position de Serrano-Dolader (2002) qui interprète ce genre de formations comme des vrais
PP.60 Pour le français nous avons pris cette position également et dans un stade ultérieur nous
allons voir que nous prenons la même position par rapport au néerlandais.
Nous choisissons le cadre théorique proposé par Bok-Bennema et Kampers-Manhe (2000),
dont nous avons discuté dans le chapitre 1, pour rendre compte de la structure des mots
comme crème antirides et missile antichar.
59
60
Voir Marchand (1969 :142)
Voir pour plus de détails Martín García (2001) et Marchand (1969 : 142)
111
Dans leur recherche concernant la composition dans les langues romanes et dans les langues
germaniques, ces deux linguistes ont repéré de nombreux composés exocentriques du type
VN et du type PN. Nous donnerons quelques exemples du français et de l’espagnol (5.34)61 :
(5.34) VN : ( fr.) coupe-faim, sèche-linge, taille-haie (esp.) buscapersonas ‘sema phone’,
tragaperros ‘machine à sous’
PN :
( fr.) sans-diplôme, après-shampooing, après-communisme (esp.) simpapeles
‘sans-papiers’, contrapeste ‘médicament contre la peste’, sobretodo ‘surtout’
Comme nous l’avons vu dans le chapitre 1, il s’agit dans ces syntagmes d’une relation de
Tête-complément. Comme en syntaxe, ce sont uniquement les verbes et les prépositions qui
peuvent légitimer des compléments. Par exemple, un protège-slip ( VN exocentrique) est
‘quelque chose qui protège le slip’ et un simpapeles ( PN exocentrique) est ‘quelqu’un qui est
sans papiers’. Ces derniers mots sont tous grammaticaux, parce que les compléments
nominaux peuvent figurer avec une tête verbale ou avec une tête prépositionnelle.
Les auteurs, Bok-Bennema et Kampers-Manhe, mentionnent que ce genre de formation des
mots est très productif, puisqu’elles ont trouvé de nombreux néologismes de cette sorte. Ce
qui nous concerne surtout dans l’analyse d’anti-, c’est la question de la structure des
composés exocentriques du type PN. Comme nous l’avons mentionné dans le paragraphe
concernant le statut d’anti-, anti- est une sorte de préposition et les mots en anti- comme
antichar semblent exocentriques. Les structures de ces deux genres de mots doivent être les
mêmes. Nous verrons que c’est en effet le cas. Nous reprenons ici la structure de base pour les
mots où figurent de vraies prépositions, sous (5.35). Cette structure n’est pas encore complète.
Tous les composés du type PN ont leur propre genre (presque toujours masculin) et ils ont
l’interprétation ‘une personne ou une chose qui est P N’. Comme nous l’avons vu dans
chapitre 2, de telles propriétés syntaxiques et sémantiques sont présentes dans un élément
nominal zéro (5.36) (structure simplifiée) :
61
Voir Bok-Bennema et Kampers-Manhe (2000: 7)
112
(5.35)
PP
P
(5.36)
NP
NP
PP
N
P
NP
sim
papeles
sim
papeles
‘sans’
‘papiers’
‘sans’
‘papiers’
Ø
En français, mais en espagnol surtout, on a tendance à utiliser des noms à côté des composés
du type VN et PN, ce que l’on voit dans les exemples suivants (5.37) :
(5.37) N + VN :
espagnol
aparato prensabasuras ‘machine qui comprime les déchets’, bolsas
portaobjetos ‘sacs pour porter des choses’,bandeja portacubiertos
‘plateau qui supporte des fourchettes et des couteaux etc. dans un lavevaisselle’
français :
chiffons essuie-tout62, lettres [en bois] portemanteau63, lamelles
couvre-objets64, recettes amuse-gueule65
N+ PN :
espagnol
etapa contrarreloj ‘étappe contre la montre’, inmigrantes
simpapeles ‘immigrants sans papiers’, medicamento contrapeste
‘médicament contre la peste’
français
familles sans-papiers66, produit après-shampooing, crème aprèssoleil
62
voir
http://www.fr.carlroth.com/catalogue/catalogue.do?act=showBookmark&favOid=000000040002545800060023
&lang=fr-fr&catId=FR
63
voir http://www.baby-walz.com/boutique/lettres_en_bois-38.asp
64
voir
http://catalog.brand.de/index.php?chapter=91&xtree=1&begin=0&ID_O_TREE_GROUP=91&sLanguage=Fren
ch&start_infoblock=1
65
voir http://www.cuisinorama.com/recettes_amuse_gueule_buffet_theme_12.htm
66
voir http://www.rfi.fr/actufr/articles/079/article_44910.asp
113
Ces exemples présentent la même structure mais dans ces cas, la tête est phonétiquement
réalisée (5.38) :
(5.38) (a)
InflP
Infl
NP
-es
PP
NP
N
simpapeles
(b)
inmigrant-
N/InflP
Infl
Ni
NP
Infl
PP
NP
N
inmigrant-
-es
simpapeles
ti
( Bok-Bennema & Kampers-Manhe (2000 : 29))
Dans ces structures, le radical nominal inmigrant- est modifié par le complexe prépositionnel
qui lui est adjoint. Cette projection nominale est sélectionnée par un affixe flexionnel qui lui
permet de fonctionner comme mot. La tête nominale est ensuite incorporée au suffixe
flexionnel, son trait catégoriel percole et le résultat est un substantif complet. C’est la même
structure que celle d’un composé comme homme grenouille. Vu le fait que le sens des mots
comme un sans-papiers est le même que celui d’immigrant sans-papiers, l’élément zéro doit
être nominal avec les mêmes propriétés que la tête phonétiquement réalisée immigrant. La
structure complète d’un sans-papiers est donc la même que celle d’immigrant sans-papiers
avec une tête vide. La comparaison des structures en anti- avec les composés exocentriques
114
du type PN est pour la première fois défendue par Bok-Bennema (2004) pour l’espagnol.
Bok-Bennema compare les syntagmes comme crema antiarrugas avec les composés
exocentriques du type PN, comme inmigrantes simpapeles, qu’elle a analysés dans sa
recherche en collaboration avec Kampers-Manhe. Elle est une des premières à essayer de
donner la structure des mots en anti-. Elle est également d’avis que les mots comme
antiarrugas et antitabaco dans les formations crema antiarrugas et campaña antitabaco ne
sont pas des adjectifs.
Cette linguiste trouve une justification de cette comparaison dans l’article de Varela y Martín
García (1999) qui argumentent que les préfixes qui héritent leurs valeurs sémanticosyntaxiques des prépositions qui sont à leurs origines (donc des allomorphes), peuvent figurer
dans des constructions lexicales exocentriques comme crema antirarrugas.
En espagnol, comme en français, la partie antiarrugas peut être convertie en substantif,
comme nous l’avons déjà vu dans le chapitre 3. Comme on peut dire uniquement sanspapiers, on peut dire antirides. Un antiarrugas signifierait donc ‘producto contra las arrugas’
‘produit contre les rides’ Cette signification ressemble à celle d’un mot espagnol comme un
simpapeles qui signifie ‘una persona que está sin papeles’ ‘une personne qui est sans papiers’
dont nous avons vu la structure ci-dessus. Nous partageons le point de vue de Bok-Bennema
qui dit qu’il y a un lien étroit entre le sens des syntagmes comme crème antirides et
inmigrantes simpapeles. Les structures sont équivalentes et notre conclusion que dans ce cas
anti- est une sorte de préposition est donc correcte, parce que les dérivés en anti- ont la même
structure que ceux où figure une véritable préposition. Il apparaît également que la structure
d’arguments d’un syntagme comme crème antirides et celle d’immigrants sans-papiers sont
équivalentes, ce que nous voyons sous (5.39) et (5.40) empruntés à Bok-Bennema (2004):
(5.39)
Inmigrantes
Premier argument
Prédicat
Second argument
Inmigrantes
Sin (P)
Papeles
( implicite)
Contra (P)
Peste
simpapeles
Contrapeste
115
(5.40)
Premier argument
Prédicat
Second argument
Campaña antiaborto
Campaña
Anti
Aborto
Crema antiarrugas
Crema
Anti
Arrugas
Antitabaco
(implicite)
Anti
Tabaco
Antiarrugas
(implicite)
Anti
Arrugas
Il est donc clair que la structure des mots comme crème antirides et campagne antiavortement ressemble beaucoup à celle d’inmigrantes simpapeles sous (5.38). Bok-Bennema
(2004) donne deux structures ( incomplètes) pour ces mots. Elle donne une structure qui est
semblable à celle que nous avons vue sous (5.38) et une pour rendre compte des mots en antiqui sont substantivés, ou la tête n’est pas phonétiquement réalisée comme dans un antirides.
Pour Bok-Bennema, anti- est une sorte de préposition préfixe, un élément entre une
préposition et un préfixe. Comme nous l’avons déjà argumenté, pour nous c’est donc une
prépositionoïde. Comme les structures de Bok-Bennema ne sont pas complètes, nous
donnerons maintenant les structures des mots comme crème antirides qui rendent le mieux
compte, selon nous, des problèmes que l’on rencontre en analysant ce morphème
complexe, (5.41) et (5.42) :
(5.41) (a)
Crème antirides
InflP
Infl
NP
-e
PP
P-oide
anti
NP
NP
N
N
rides
crèm-
116
(5.41) (b)
N/InflP
Infl
Ni
NP
Infl
crèm-
-e
(5.42)
PP
NP
P-oide
NP
N
anti-
N=rides
ti
un antirides ( structure complète)
N/InflP
Infl
Ni
Ø
NP
Infl
Ø
PP
NP
P-oide
NP
N
anti-
N=rides
ti
Vu que le sens de crème antirides est le même que celui d’un antirides, nous concluons que
cette tête zéro est nominale, et qu’elle a les mêmes caractéristiques sémantiques que la tête
nominale phonétiquement réalisée crème. Le genre est différent parce que c’est un antirides,
alors que crème est féminin. Elle porte ses propres traits sémantiques et syntaxiques, dont,
entre autres, le trait qui fait que le dérivé est masculin. Dans la structure (5.41)(b) les indices
(i), indiquent que la trace de crèm- a été incorporée à l’affixe flexionnel pour former un mot.
Le complexe prépositionnel dont fait partie anti- modifie cette tête nominale.
Nous pouvons conclure que ces structures montrent que les formations en anti- en question
comme crème antirides et missile antichar sont des composés, tandis que les structures en
anti- comme antihéros appartiennent aux dérivés. Bok-Bennema (2004) donne encore un
nombre d’exemples qui montrent qu’il y a beaucoup de formations en espagnol dans
117
lesquelles la préposition a perdu son statut de morphème libre et les exemples montrent qu’en
français il en va de même, (5.43):
(5.43) Espagnol :
programa extra-muros, actividades extra-cátedra, terapia postexposición, discurso post-referendo
Français :
activités hors-écoles, sondage post-referendum, phase post-chirac,
Malgré la perte du statut de morphème libre et le convertissement en préfixe qui va avec déjà
mentionné dans le paragraphe précédent concernant le statut d’anti-, ces prépositions ont
gardé leur statut de prédicat, ce qui explique de telles structures. Puisque ces arguments sont
valables pour le français également, nous suivons l’hypothèse de Bok-Bennema. Ceci montre
que la question de savoir si anti- est une préposition ou un préfixe n’est pas si importante,
parce que c’est surtout la structure qui importe. Nous suivons Bok-Bennema en disant
qu’anti- est un élément entre une préposition et un préfixe, ce que nous appelons une
prépositionoïde.
Nous avons constaté que le morphème anti- dans des syntagmes comme missile antichar et
manifestation antiguerre a donc le statut d’une sorte de préposition, mais non pas au sens
plein. Les structures que nous avons données ci-dessus, nous permettent de décrire
correctement le sens de ces syntagmes en anti-. Pourtant, nous avons encore les syntagmes
comme médicament antidépresseur, produit antiovulatoire et commission antiparlementaire.
Comme nous l’avons indiqué dans ce qui précède nous croyons que ce sont des adjectifs de
surface, mais bien de vrais adjectifs.Voyons les structures de ces mots en anti- plus
complexes.
5.2.3 Les structures des mots comme antiparlementaire, antidérapant, antiovulatoire
Dans le mot antiparlementaire il est clair que le sens est ‘contre le parlement’ ,la base est
donc antiparlement, ce que nous avons conclu dans le paragraphe précédent. Nous voyons
que le suffixe adjectival –aire qui sous-catégorise pour des N (communauté
communautaire, rudiment rudimentaire) est présent. Il n’y a pas d’arguments pour penser
que le suffixe –aire sélectionnerait des PP, comme ce qu’est antiparlement, donc il faut une
autre manière pour expliquer la structure d’un adjectif comme antiparlementaire. Le produit
de notre RCM anti-4 révisée est le PP antiparlement, mais le suffixe –aire ne peut pas se
combiner avec ce PP. Il faut donc trouver une manière qui explique comment le PP est
118
transformé en nom. Nous avons vu qu’un PP comme antirides peut être substantivé par une
tête nominale zéro, ayant pour résultat le nom un antirides. Comparons ce mot encore une fois
avec les composés exocentriques du type PN. Prenons par exemple le nom un après-soleil.
Cet exemple est également un PP qui est transformé en nom par une tête nominale zéro, ce
qui est comparable à un mot comme un sans-papiers, dont nous avons vu la structure sous
(5.38). Nous trouvons également l’adjectif après-solaire, dans des syntagmes comme lotion
après-solaire ou lait après-solaire.67 Nous pourrions proposer que la base d’après-solaire est
après-sol, parce que le sens est ‘pour après le soleil’, et que c’est ce PP transformé en nom
qui est alors utilisable en morphologie, comme une nouvelle tête substantivale et que le
suffixe –aire se rattacherait à cette tête nominale. Il y a un problème pourtant avec la
définition de recyclage telle qu’elle est formulée par Bok-Bennema et Kampers-Manhe
(2000 : 21) et qui consiste à dire qu’une structure morphologique complexe ( Infl/NP) est
réutilisée comme un N0 pour former une nouvelle structure morphologique. Un clair exemple
du recyclage est la formation du mot anglais frogmen ce que nous avons vu dans le chapitre 1.
Par contre, dans les langues romanes comme le français, l’unité de base en matière de
composition est le radical et il est donc impossible que le suffixe –aire sélectionne un PP qui
est transformé en nom parce que c’est un mot complet et non pas une racine. Il est donc
impossible de réutiliser ce mot comme base pour antiparlementaire. Pour expliquer la
structure de ces mots, nous nous servons entre autres des structures données pour les dérivés
avec des préfixoïdes comme narcodollar, dans le cadre théorique de Bok-Bennema et
Kampers-Manhe (2000). Nous reprenons la structure de ce mot déjà donnée dans le chapitre 2
sous (5.44) :
67
voir http://www.ciao.fr/Piz_buin_Lotion_apres_solaire_Tan_intensifier__966321
voir http://www.princesse-bio.com/boutique/fiche_produit.cfm?type=31&ref=apres-solaire-bioaftersunn&code_lg=lg_fr&pag=1&num=0
119
(5.44) a.
InflP
Infl
NP
AfP
Ø
b.
narco
InflP
AfPj
InflP/NP
NP
N
Infl/N
Ni
NP
Infl/N AfP
NP
Ø
ti
dollar
narco dollar
tj
(Bok-Bennema & Kampers-Manhe (2000:37))
Comme ce qui est déjà expliqué dans le chapitre 2, un préfixoïde ne peut pas porter l’accent et
il faut qu’il se trouve à la gauche d’un XP. C’est pour cette raison que l’élément défectif
narco- est déplacé vers la gauche dans la position Spec- la plus haute. Ces deux linguistes
traitent les préfixoïdes comme des préfixes et puisqu’elles les ont considérés comme des
clitiques, les préfixes doivent être considérés comme des clitiques aussi et ils doivent être
déplacés vers la même position que les préfixoïdes. Bok-Bennema et Kampers-Manhe (2000)
suivent l’argumentation d’entre autres Peperkamp (1997) qui consiste à dire que dans les
langues romanes, les préfixes monosyllabiques occupent une autre position que ceux qui sont
disyllabiques. Les préfixes qui figurent dans la même position que les préfixoïdes (un-,
préfixes dysyllabiques) sont appelés des clitiques XP, et ceux qui doivent s’adjoindre à
l’élément le plus à gauche du mot prosodique, sont appelés des clitiques X0 (Bok-Bennema &
Kampers-Manhe (2000 :39)) Cette distinction revient dans l’analyse du mot agrammaticalité
dont l’équivalent en anglais est ungrammaticality. C’est cette structure qui peut nous aider à
trouver la structure des mots comme antigrippal et antiparlementaire. Pour un mot comme
agrammaticalité, Bok-Bennema et Kampers-Manhe (2000) mentionnent qu’il y a certains
problèmes concernant son analyse causés surtout par l’interaction entre a- et –al. Suivant leur
analyse, il s’agit d’une relation tête-ajout. Ces deux auteurs proposent alors la structure
intermédiaire (5.45) :
120
(5.45)
NP
N
Aj
Ni
AP
N
AfP
Aj
grammatic- -al
AP
A
NP
tj
N
Af
-ité
a-
ti
D’abord, grammatic- s’incorpore au suffixe –al, produisant la forme grammatical-. Ensuite,
grammatical- s’adjoint au suffixe –ité. Finalement, le préfixe a- qui est un clitique X0, doit
s’adjoindre au morphème le plus à gauche. Suivant Chomsky (1994), ces deux linguistes sont
d’avis que les clitiques projettent comme des constituants minimaux/maximaux et c’est pour
cette raison qu’a- peut s’adjoindre à grammatic- sans produire une violation de localité. Pour
le mot équivalent en anglais ungrammaticality, il s’agit du préfixe un- qui est un clitique XP
et il s’adjoint à gauche du XP le plus haut.
Pour nous, la structure d’antiparlementaire doit d’une manière ou d’une autre ressembler à
celle d’agrammaticalité parce que selon nous les prépositionoïdes se comportent également
comme des clitiques XP. Il faut rendre compte dans cette structure du fait que le suffixe –aire
sous-catégorise pour des noms, donc il faut que le PP antiparlement soit converti en nom par
un suffixe nominal zéro. Nous voyons ceci dans la structure de base (5.46) :
(5.46)
AP
A
-aire
NP
N
Ø
PP
P-oide
NP
anti
N
parlement
Le suffixe –aire sélectionne le NP complexe. La première démarche dans cette dérivation est
l’incorporation de parlement au suffixe nominal zéro (incorporation de tête en tête), formant
la racine nominale parlementØ. Ensuite, cette racine nominale est incorporée dans le suffixe –
aire. Nous voyons ces déplacements dans la structure sous (5.47) :
121
(5.47)
AP
A
Nj
Ni
NP
A
N
PP
P-oide
NP
anti-
N
Nj
parlement- Ø
-aire
tj
ti
Nous avons vu dans le cas des préfixoïdes, que ces formes défectives ne peuvent pas porter
l’accent primaire et qu’elles doivent être déplacées vers la gauche d’un XP. Nous voulons
proposer que pour les prépositionoïdes il en va de même. Ce sont des éléments entre un
préfixe et une préposition, mais plus près d’une préposition, comme nous l’avons montré
auparavant. Bok-Bennema et Kampers-Manhe (2000) ont considéré les préfixoïdes comme
des clitiques et elles ont distingué deux classes de clitiques. Nous proposons que les
prépositionoïdes sont aussi en quelque sorte des clitiques. Comme le prépositionoïde anti- est
disyllabique, nous sommes d’avis, suivant Bok-Bennema et Kampers-Manhe (2000), que
c’est un clitique XP. Il faut alors que ce clitique XP s’adjoigne à gauche du XP le plus haut ce
qui donne la structure complète d’antiparlementaire (5.48) :
(5.48)
AP
AP
P-oide k
A
antiNj
3
Ni
NP
A
N
PP
P-oide
NP
tk
N
Nj
parlement- Ø
-aire
tj
2
ti
1
Nous voulons proposer qu’il en va de même pour après-solaire et que dans ce cas-là, après se
comporte également comme une sorte de clitique XP. La structure d’après-solaire a donc la
122
même forme que celle sous (5.48). Pourtant, il y a un grand inconvénient à cette analyse parce
qu’il se produit une violation de localité. Dans notre structure, anti- est une tête parce qu’il
prend un complément, donc c’est problématique de considérer anti- comme un XP. On saute
une tête lorsque parlement se déplace vers le N vide et ceci est une violation. Pourtant, si l’on
insiste qu’anti est une sorte de X ou XP, il n’y a pas de violation de la condition de localité,
parce qu’il peut projetter comme un constituant minimal/maximal, et on peut argumenter qu’il
se déplace comme un XP ce que l’on a vu sous (5.48). Par contre, on ne peut pas nier qu’anti
est une sorte de tête, parce dans une structure comme antiparlement, la partie parlement ne
peut pas fonctionner comme la tête parce que de cette façon, on ne rend pas compte du sens
de ce mot. De toute façon, il y a un problème. Cette structure ne peut donc pas être la solution
exacte, bien que nous soyons d’avis qu’elle s’en approche et c’est, selon nous, la meilleure
solution. On pourrait suggérer que le prépositionnoïde anti- fonctionne à la fois comme tête et
comme clitique XP, mais il faut plus de recherche pour résoudre ce problème. Il y a encore
une autre possibilité que nous voulons proposer, bien que cette alternative a beaucoup moins
d’attrait.
Nous avons vu que de nombreux linguistes ont argumenté que les mots comme antiparlement,
antigrippe, antivol, antigel etc. présentent beaucoup de ressemblances avec les noms, une
position défendue par entre autres Martín García (1996) et Durand (1982), comme nous
l’avons vu ci-dessus. Le problème avec tous ces mots est que si l’on considère ces formations
comme des NP, il faut que ces mots soient endocentriques et que la base nominale, comme
vol dans antivol, soit la tête. Mais si nous acceptons dans ce cas, que le prépositionoïde antiqui se combine avec des bases nominales, forme des mots exocentriques nous pouvons faire
une analyse comme ce suit. Supposons qu’anti- + N forme des noms exocentriques qui
servent de base à la formation des adjectifs comme antiparlementaire nous pouvons nous
passer des structures complexes comme celle sous (5.48). La bonne structrue
d’antiparlementaire sera alors la suivante (5.49) :
123
(5.49)(a) :
(b)
AP
Aaf
AP
NP
A
Aaf
Ni
N
-aire
antiparlement-
P-oide
NP
N
antiparlement-
ti
-aire
Dans la structure (5.49)(a), le suffixe adjectival –aire sélectionne le substantif complexe
exocentrique antiparlement-. Ensuite, le substantif doit être incorporé à ce suffixe par
mouvement de tête en tête. Ceci est conforme à la dérivation des mots comme pommier ou
bibliothécaire mentionnée dans Kampers-Manhe (2000 :162), ou bien conforme à la
dérivation des verbes comme modernize mentionnée dans Bok-Bennema et Kampers-Manhe
(2000 : 15). Dans ce cas, il faut conclure que la caractéristique spéciale du prépositionoïde
anti- consiste à former des mots exocentriques. Ce n’est donc pas un préfixe, qui forme en
combinaison avec des bases nominales des noms endocentriques, mais c’est un
prépositionoïde qui forme des noms exocentriques. Bien que cette solution ait beaucoup
d’attraction, il faut des recherches supplémentaires pour la justifier vraiment. Nous concluons
après notre recherche donc que la structure des adjectifs comme antiparlementaire ou
antigrippal fournit plusieurs possibilités qui ont toutes les deux des avantages et des
inconvénients.
Analysons maintenant les syntagmes comme pneu antidérapant, médicament antidépresseur
et produit antiovulatoire. Nous avons analysé ces mots comme ayant une structure de base où
il est question d’un verbe complexe en anti-. Notre RCM anti-5 produit le verbe antidérap
Après cela, ce complexe verbal est sélectionné par le suffixe adjectival –ant qui souscatégorise uniquement pour les verbes, ce que nous voyons dans la structure (5.50) (a) :
124
(5.50) (a)
AP
(b)
Aaf
AP
V
Ppréfixé
A
V
Aaf
Vi
Ppréfixé
-ant
anti
dérap(-er)
anti
V
V
dérap(-er) –ant
ti
Nous avons vu une structure semblable chez Bok-Bennema et Kampers-Manhe (2000 :15)
pour le verbe modernize. Dans la structure (5.50) (b), nous voyons que le verbe complexe
s’incorpore au suffixe -ant. Ensuite, cet adjectif formé se comporte comme un adjectif
régulier en syntaxe et cela explique les syntagmes pneu antidérapant. Pour système
antiblocage, on voit même que le verbe complexe antibloqu(-er) est sélectionné par le suffixe
nominal –age. La structure d’un tel syntagme est donc la même que celle sous (5.50), mais
c’est un NP qui est formé au lieu d’un AP. La structure complète de système antiblocage
pourrait donc être la suivante (5.51) :
(5.51)
N/InflP
Infl
Ni
NP
Infl
NP
NP
N
systèm-
-e
antiblocage
ti
Nous voyons que système antiblocage est un mot composé, une position qu l’on pourrait
défendre également pour le syntagme pneu antidérapant qui peut être considére comme un
composé au lieu d’une structure syntaxique. Ayant accepté qu’en morphologie anti- peut se
125
combiner avec des verbes, nous pouvons nous passer du Principe de Copie compliqué et cela
fournit une structure qui rend bien compte de la forme ainsi que de la sémantique.
Jusqu’à maintenant, nous n’avons discuté que des mots en anti- dans les langues romanes
comme le français et l’espagnol. Comme il y a également de nombreux néologismes en antidans les langues germaniques, comme par exemple en néerlandais, ce qui montre que dans ces
langues également la formation de ces mots est un processus productif, il est intéressant de
voir si les conclusions que nous avons tirées pour les formations en anti- françaises et
espagnoles sont valables pour les syntagmes en anti- en néerlandais également. Nous nous
tournons maintenant vers l’anti- néerlandais.
5.3 Les mots en anti- en néerlandais
En néerlandais également, nous trouvons de nombreux exemples de mots en anti-. Nous
pouvons garder notre distinction des emplois d’anti- exposée dans les paragraphes précédents,
parce qu’en néerlandais, nous trouvons les mêmes interprétations. Les mots comme
antichambre sont présents aussi, mais pour les mêmes raisons qu’en français, nous les
laissons hors de cette étude, parce que l’anti- présent dans ces mots trouve ses origines dans
ante en Latin et non pas dans anti-. Nous commencerons par les mots comme antiheld
‘antihéros’ et antimaterie ‘antimatière’.
5.3.1 Les mots en anti- néerlandais ayant le sens I1
Comme en français et en espagnol, nous trouvons en néerlandais de nombreux ‘contraires
antipodaux’. Ils présentent les mêmes caractéristiques que leurs équivalents dans les langues
romanes. Voyons les exemples (5.52) :
(5.52)
antibeweging ‘antimouvement’, antichrist ‘antichrist’, antideeltje
‘antiparticule’, antielektron ‘anti-électron’, antigeen ‘antigène’,
antikathode ‘anticathode’, antilichaam ‘anticorps’, antimaterie
‘antimatière’, antipsychiatrie ‘antipsychiatrie’, antitheater
‘antithéâtre’ etc.
126
Comme en français, nous pouvons dire que si N a certaines propriétés stéréotypiques, antiN
sert à contrarier ces caractéristiques stéréotypiques. Un antiheld ‘antihéros’ est donc le
contraire d’un held ‘héros’ Il s’avère que le comportement de ce genre de mots est similaire à
celui de leurs équivalents en français. Les traits sémantiques sont donc aussi les mêmes. Nous
concluons pour terminer que l’anti- qui est en jeu ici, est également un préfixe. L’entrée
lexicale de ce préfixe sera donc la même que celle d’anti- français (5.53) :
(5.53) Entrée lexicale du préfixe anti1
Affixe
2
[
3
[zaak/ wezen Oppositie [stereotypische eigenschappen zaak/wezen LCS-base]]
N]
4
-
s’attache uniquement aux mots, non pas aux racines
-
neutre aux processus phonologiques
La structure de ces mots sera également équivalente (5.54) :
(5.54) :
NP
AfP
NP
N
anti-
held
Pour ce genre de structures une RCM comme celle valable pour le français pourrait être
formulée que nous avons vue sous (5.2) Pour des raisons de commodité, nous parlerons
d’abord des mots en anti- néerlandais comme antisociaal et antidemocratisch (
‘antidémocratique’)
5.3.2 Les mots en anti- néerlandais ayant le sens I3
Nous donnerons d’abord quelques exemples de ces mots en néerlandais (5.55) :
127
(5.55)
antisociaal ‘antisocial’, antidemocratisch ‘antidémocratique’,
antimoraal ‘antimoral’, anti-Duits ‘antiallemand’, anti-Frans
‘antifrançais’, anti-Joods ‘antijuif’ etc.
Pour ces mots nous formulons la même RCM que l’on a établie pour le français, ce que nous
avons vu sous (5.27), mais maintenant le sens est ‘A2 tegengesteld aan dat wat A1 is’(« A2
contraire à ce qui est A1 ») parce qu’il s’agit d’une règle pour le néerlandais
Comme nous avons amplement discuté des exemples français, il n’y a pas beaucoup à ajouter
concernant ces adjectifs néerlandais parce que les arguments valables en français, valent
également pour le néerlandais. Nous avons esquissé les problèmes d’interprétation que l’on
rencontre lorsque l’on essaie d’analyser ces formations. En néerlandais, la tendance existe
également de considérer antidemocratisch comme ‘tegen de democratie’ ‘contre la
démocratie’.Dans le sens de I3, il est également question de la fonction conceptuelle
d’OPPOSITION et puisqu’il s’agit des adjectifs auxquels anti- s’attache, qui représentent une
entité conceptuelle de PROPRIÉTÉ ( EIGENSCHAP en néerlandais), nous pouvons suivre les
traits sémantiques valables pour le français en attribuant ces mêmes traits aux équivalents
néerlandais. Comme le préfixe anti- ne se combine dans ces cas également qu’avec des mots
et non pas avec des racines, (vu qu’en néerlandais non plus, on n’a pas de semivocalisation
par exemple dans antiinfectiemiddel, ce qui montre qu’il y a une frontière de mots entre antiet infectiemiddel (anti#Frans, anti#moraal)), les traits phonologiques sont les mêmes qu’en
français.
Nous proposons pour ce cas néerlandais, qu’il s’agit d’un préfixe qui se combine avec des
adjectifs et que l’entrée lexicale est pareille à celle du préfixe français (5.56) :
(5.56) :
Entrée lexicale du préfixe anti- dans antiFrans, antimoraal
1
Affixe
2
[
3
[eigenschapOppositie [eigenschap LCS-base]]
A]
4
-
s’attache uniquement aux mots, non pas aux racines
-
neutre aux processus phonologiques
Un mot comme antiFrans aura donc la structure suivante (5.57) :
128
(5.57)
AP
AfP
AP
A
anti-
moraal ( ‘contraire à ce qui est moral’)
Frans ( ‘ qui est hostile a ce qui est français’)
En ce qui concerne ces mots en anti- en néerlandais, il n’y a pas de différences. Par contre, si
nous comparons les mots français ayant le sens I2 à leurs équivalents en néerlandais, nous
trouvons certaines différences au niveau de la structure, bien que le sens soit similaire.
5.3.3
Les mots en anti- néerlandais ayant le sens I2
En néerlandais, il y a également des mots en anti- qui se laissent paraphraser par une
proposition comme ‘qui s’oppose à N’ comme les mots antichar ou antidépresseur en
français. Pour ces mots français, nous avons donné la RCM anti-4 révisée que nous reprenons
ici (5.58) :
(5.58) RCM anti-4 révisée :
N PP
« Qui s’oppose à N1 »
Nous avons constaté qu’en français il y a deux groupes de mots qui ont l’interprétation I2, à
savoir des mots comme antichar, antivol dont le N est donné directement par le N-base et
ceux comme antigaullien, antiparlementaire etc., dont le N doit être recouvert d’une manière
ou d’une autre. En français, comme nous l’avons mentionné dans le paragraphe précédent, des
mots comme antichar et antivol sont classifiés comme des PP, et ceci est appuyé par les mots
équivalents en néerlandais. Pour le mot français missile antichar, nous avons en néerlandais
l’équivalent antitankraket. La partie antitank (‘antichar’) ne fonctionne pas comme un
adjectif en néerlandais, mais comme modificateur dans un composé. Ceci renforce l’idée que
antichar est un PP. Dans un mot comme un antichar il y a donc un N-zéro qui est présent ce
que nous avons vu dans la structure (5.42). Nous donnons d’abord quelques exemples de mots
en anti- néerlandais qui ont le sens I2 (5.59) :
129
(5.59) antiraketraket (‘missile antimissile’), antitankgeschut (‘canon antichar’),
antistollingsmiddel (‘anticoagulant’), antitankgranaat (‘grenade antichar’), antitranspiratiemiddel (‘antitranspirant’), antivriesmiddel (‘antigel’), antidiefstalsloten
(‘serrures antivol’), antirimpelcrème (‘crème antirides’)
Les exemples sous (5.59) montrent qu’en néerlandais, il faut toujours avoir un troisième
élément, parce qu’il n’est pas possible d’avoir des substantifs comme un antichar ou un
antirides avec une tête nominale vide : un mot comme een antirimpel est agrammatical. Dans
ce cas-là, un antirimpel pourrait être considéré comme un produit issu de la RCM anti-2 et
ainsi signifier le contraire de rimpel ‘ride’, mais c’est un sens absurde. Pourtant, il y a une
exception parce que le mot antivries ‘antigel’ est attesté comme substantif dans le Van Dale
(2005)68, mais il est mentionné que c’est une abréviation d’antivriesmiddel ‘produit antigel’.
Il faut mentionner qu’en flamand cette tendance est plus forte qu’en néerlandais des Pays-Bas,
probablement sous l’influence du français.
Nous sommes d’avis que le morphème anti- qui figure dans les syntagmes mentionnés sous
(x61) est un prépositionoïde, pour les mêmes raisons que celles que nous avons avancées pour
les exemples français. Quelle est alors la structure d’un mot comme antirimpelcrème en
néerlandais ? Nous proposons que c’est la structure suivante (5.60) :
(5.60)
Infl/NP
PP
P-oide
InflP/NP
NP
N
anti
rimpel
crème
Le substantif qui est complet en néerlandais est modifié par un complexe nominal qui lui est
adjoint. Comme il s’agit déjà d’un mot complet, on n’a plus besoin d’un affixe flexionnel et
aucun mouvement de tête ne se produit, ce qui explique que le mot crème reste in situ. Ceci
est conforme à la formation de kikvorsman (‘homme grenouille’) en néerlandais. Comme en
68
Voir Van Dale Groot Woordenboek der Nederlandse Taal (2005) 14e druk.
130
matière de composition l’unité de base est le mot dans les langues germaniques, ce qui est
argumenté de façon convaincante par Bok-Bennema et Kampers-Manhe (2000), notre cadre
théorique, nous voyons que les structures en néerlandais sont différentes de celles du français,
où la racine crèm- a dû se déplacer vers la gauche pour s’incorporer à l’affixe flexionnel –e,
ce que nous avons vu dans l’exemple (5.41). Nous pouvons donc conclure que les mots en
anti- français ainsi que les mots en anti- en néerlandais qui ont le sens I2 ont la même
structure de base. La différence d’ordre dans ces deux structures s’explique parfaitement par
le fait qu’en français un mouvement de tête a eu lieu qui explique pour quelle raison la tête se
trouve à gauche de son modificateur.
Or, nous avons en néerlandais également quelques exemples de mots en anti- qui doivent être
analysés plus en détail. Comme nous l’avons vu en français, Corbin (1987) a introduit le
Principe de Copie pour rendre compte des mots comme antiovulatoire, antidépresseur et
antidérapant, mais nous avons abandonné ce Principe pour le français pour des raisons
mentionnées dans la partie précédente. Nous allons voir si le Principe de Copie serait capable
d’expliquer la structure des mots néerlandais en anti- du type I2. En néerlandais, il y a une
tendance à former des mots en anti- du type antiV-N ( à première vue) comme dans (5.61) :
(5.61) antiblokkeersysteem (‘système antiblocage’), antislipband (‘pneu antidérapant’),
antiaanbaklaag (‘couche antiadhesive’), antibraakmiddel (‘produit anti l’action de
vomir)
Dans le style de Corbin, nous pourrions argumenter qu’en néerlandais anti- ne peut pas se
combiner avec des verbes. Pourtant, pour expliquer la structure des mots sous (5.62), il nous
faudra donc formuler une sorte de Principe pour le néerlandais également. Voyons à quelle
solution cette analyse nous mène.
Nous pourrions paraphraser les exemples de (5.62) de la façon suivante (5.62) :
(5.62) antiblokkeersysteem: ‘systeem tegen het blokkeren/ de blokkering’
( ‘système contre le blocage’)
antislipband:
‘band tegen het slippen/de slipping’
(‘pneu contre le dérapage’)
antiaanbaklaag:
‘laag tegen het aanbakken/de aanbakking’
( ‘couche/revêtement contre l’adhésion’)
131
antibraakmiddel:
‘middel tegen het braken/de braking’
( ‘médicament contre le vomissement’)
antiwitwaswetgeving: ‘wetgeving tegen het witwassen/de witwassing’
( ‘loi contre le blanchiment’)
antistollingsmiddel : ‘middel tegen het stollen/de stolling’
( ‘produit ‘anticoagulant’)
Il faut mentionner ici, qu’en néerlandais, il est très fréquent de substantiver les verbes, mais
on construit également des noms issus des verbes à l’aide du suffixe nominal –ing. Nous
voyons que dans antistollingsmiddel cette forme en –ing est présente. En général, tous ces
exemples mentionnés ont en commun que leur élément de droite, soit le système, le pneu, la
couche, le médicament, la loi ou le produit, s’oppose à une action exprimée par un verbe,
alors le sens de la partie en anti- pourrait être paraphrasé comme contre ce qui est désigné par
N. Bien qu’ils ne soient pas toujours attestés, il est possible de former des noms en –ing à
partir des verbes mentionnés dans (5.62). Pourtant, un nom comme de braking est très
étrange. De plus, il existe un grand nombre de composés du type VN en néerlandais, dans
lesquels la partie verbale est présente sous la forme de la racine. Dans un mot comme
keerpunt (‘point culminant’), la première partie consiste en la racine verbale keer du verbe
ker(-en) (‘retourner’) suivie de la base nominale punt (‘point’). Dans les composés de (5.62),
il s’agit donc d’une racine verbale qui est présente. Si nous considérons que dans les exemples
de (5.61), la partie de gauche est de la catégorie nominale, et si nous conservons l’idée
qu’anti- ne peut pas se combiner avec des verbes, il faut rendre compte du fait que le nom
présent à un niveau sous-jacent, est transformé en racine verbale. Nous pourrions proposer
alors que la structure d’antiblokkeer- dans antiblokkeersysteem soit à un niveau sous-jacent
antiblokkeren/antiblokkering
dans
laquelle
il
s’agit
du
substantif
déverbal
blokkeren/blokkering dont la traduction en français est blocage. Nous pourrions dire que cette
analyse est prouvée par l’existence d’antistollingsmiddel, dans lequel cette forme en –ing est
présente. Comme l’application du Principe de Copie en français qui s’applique dans un stade
ultérieur pour former des adjectifs comme dans le cas d’antiparlementaire, il y a donc en
néerlandais un processus qui ferait, qu’à un stade ultérieur, le N blokkeren/blokkering serait
transformé en blokkeer, la racine verbale, pour obtenir la forme correcte. Il faudra donc une
règle de troncation. La structure de ce genre de mots sera la suivante (5.63) :
132
(5.63)
Infl/NP
PP
P-oide
InflP/NP
NP
N
anti
blokkeren
systeem
Dans la structure de surface, la partie blokkeren/blokkering sera transcrite comme blokkeer ce
qui fait que nous obtiendrons une structure correcte. Il est donc impératif que, dans le cas où
le N est un substantif déverbal en néerlandais, la forme soit convertie en blokkeer pour former
des syntagmes corrects en néerlandais. Il nous resterait donc à formuler un Principe pour le
néerlandais qui règle cela. Nous pourrions proposer un Principe qui s’approche du Principe de
Copie en français et qui aurait la forme suivante (5.64) :
(5.64) « Soit X une base de la catégorie verbale, Y et W deux formes phonologiques
de X, telles que leur structure soit la suivante : »
Y=
[ [X] –en/-ing]
W=
[ [X] ]
Si une RCM produit un composé Z tel que :
Z= [ anti [Y]]
il faut remplacer Z par Z’ tel que :
Z’= [anti[W]]
Pourtant, ce Principe qui est responsable du fait que la partie –en/-ing est supprimée ne donne
pas d’explication pour le mot antistollingsmiddel ( ‘anticoagulant’), donc le Principe ne peut
pas être obligatoire. De plus, il est très discutable que dans (5.63) blokkeren soit un NP, parce
que dans ce cas-là, le sens d’antiblokkeersysteem, qui est un système qui prévient que quelque
chose soit bloqué, n’est pas bien rendu.
133
Nous avons montré par ce qui précède qu’il existe de nombreux inconvénients à l’analyse
selon laquelle dans antiblokkeersysteem la partie à laquelle anti- s’attache serait nominale,
juste à cause du fait qu’anti- ne se combinerait pas avec des racines verbales. Comme en
français, il apparaît qu’accepter qu’anti- puisse se combiner avec des verbes fournit une
explication satisfaisante pour les mots en anti- du type antiV N. Ceci correspond également
mieux à la sémantique de ces mots. Pour le néerlandais, nous formulons également une règle
qui rend compte de cela, à savoir celle qui vaut pour le français que nous avons vue sous
(5.26). Cette règle peut être paraphrasée comme ‘beletten van V1’ ‘empêcher de V1’.
Par exemple, pour antiblokkeersysteem ce sera le verbe antiblokker(-en) qui sera formé par
l’attachement d’anti- à la racine verbale blokker-. Il en va de même pour antistollingsmiddel
ce que nous voyons dans la structure sous (5.65)
(5.65)
V
P-préfixée
V
anti
witwas
anti
blokker-
Nous voyons qu’en néerlandais, comme en français un verbe complexe est formé. Nous
trouvons des mots comme antiblokkeringsinrichting à côté de antiblokkeerinrichting69 Dans
le premier cas, il s’agit probablement d’une structure comme celle d’antirimpelcrème tandis
que dans antiblokkeersysteem il s’agit du verbe complexe en anti- qui est à la base. Nous
avons vu le même problème en français avec le doublet anticorrosion/anticorrosif . Lorsqu’il
n’y a pas de suffixe qui s’attache au verbe, comme dans antiblokkeersysteem, la racine
verbale blokker- s’écrit après SPELL OUT comme blokkeer-. Ceci est conforme à la forme
qu’on trouve dans les composés réguliers du type VN, comme loopbrug (‘passerelle’) ou
afweergeschut (‘canon de défense’). Nous voyons donc que dans la morphologie néerlandaise,
69
Voir http://www.cfwb.be/franca/bd/tranfich.htm
134
anti- se combine facilement avec les verbes. Un syntagme comme antislipband aura donc la
structure complète suivante (5.66) :
(5.66)
Infl/NP
VP
antislip-
InflP/NP
band
Cette structure montre que le syntagme français pneu antidérapant a la même structure de
base que celle de son équivalent néerlandais à l’exception dela tête nominale qui se trouve à
droite en néerlandais et à gauche en français.
Il faut donc conclure que pour bien rendre compte de tous les problèmes que l’on rencontre en
décrivant le comportement d’anti- et les structures des mots dans lesquels figure anti-, il faut
accepter qu’en morphologie anti- puisse se combiner avec des racines verbales. De cette
façon, nous n’avons pas besoin des Principes compliqués pour expliquer les structures des
mots en anti-. Pour le néerlandais, c’est même absolument nécessaire, parce que des mots
comme antiaanbaklaag et antiwitwaswetgeving dans lesquels la partie à laquelle anti- s’est
attachée est nettement une racine verbale, parce que dans ces mots il ne s’agit pas du nom #
aanbak ( on dit het aanbakken ‘l’adhérence’) ou du nom # witwas (‘lessive blanche’) ( on
dit : het witwassen van geld ‘le blanchiment de l’argent’ ), nous forcent à accepter une telle
combinaison.
5.4 Conclusion
Dans ce chapitre nous avons essayé de donner un statut définitif au morphème anti-. Comme
nous l’avions déjà vu dans le chapitre 3, il y a plusieurs sortes d’interprétations d’anti-. Nous
avons conclu dans le premier paragraphe de ce chapitre que l’anti- qui figure dans des mots
comme antihéros, antimatière et antisocial, antifrançais (I3) est le préfixe anti-. Ce préfixe se
combine avec des noms, avec des noms propres et avec des adjectifs. Nous avons donné
135
l’entrée lexicale d’un tel préfixe. Pour les mots comme antichar, antivol et antiparlementaire
c’est un peu plus compliqué. Nous avons vu dans le premier paragraphe que l’anti- qui figure
dans ce genre de mots est le prépositionoïde anti-. Nous avons montré que cela ne peut pas
être un préfixe dans ces mots, mais que ce n’est pas une préposition au sens plein non plus.
C’est pour cette raison que nous avons proposé de considérer anti- comme un prépositionoïde.
A cause de ce changement de statut (parce que longtemps ce morphème a été considéré
comme un préfixe) nous avons dû adapter la RCM anti-4 formulée par Corbin (1987). Corbin
(1987) est d’avis que des mots comme antivol et antigel sont des adjectifs, mais nous avons
nettement montré que ce n’est pas le cas. Selon nous, le produit de notre RCM anti-4 est un
PP.Pour les mots comme antidérapant, antiovulatoire, antiblocage c’est encore différent.
Selon de nombreux linguistes le morphème anti- ne pourrait pas se combiner avec des bases
verbales, mais nous avons montré que la base de ces mots en anti- est un verbe complexe et
que le statut d’anti- dans ce cas est celui d’une préposition préfixée. Nous avons même donné
un exemple qui montre que ce verbe complexe en anti- peut figurer en syntaxe, à savoir le
verbe antidéraper. Pour expliquer ce genre d’adjectifs, nous avons formulé la RCM anti-5.
Avec cette nouvelle RCM nous pouvons nous passer du Principe de Copie formulé par Corbin
(1987) pour rendre compte de ces adjectifs complexes.
Dans le deuxième paragraphe nous nous sommes servis du cadre théorique de Bok-Bennema
et Kampers-Manhe (2000) pour donner la structure des mots en anti-. Nous avons vu que la
structure des adjectifs comme antiparlementaire et antigrippal est très complexe et cela nous
a mené à proposer deux solutions qui posent toutes les deux des problèmes, à savoir celle qui
dit qu’ anti- est une sorte de clitique XP et une tête à la fois ( puisqu’il prend un complément)
et celle qui propose que le prépositionoïde anti- forme des noms exocentriques. Ces noms
exocentriques sont ensuite sélectionnés par le suffixe adjectival pour former des adjectifs.
Nous sommes d’avis que la première solution qui explique bien la structure d’un mot
complexe comme antiparlementaire est la plus intéressante et c’est celle-ci qui doit être
analyser de plus près. Dans le troisième paragraphe, nous avons analysé les mots en anti- en
néerlandais, une langue germanique. Il apparaît que les conclusions que nous avons tirées
pour le français sont, pour la plupart, également valables pour le néerlandais. Les exemples
des mots en anti- néerlandais comme antiwitwaswetgeving ‘législation concernant le
blanchiment de l’argent’ montrent même clairement qu’il faut accepter que le morphème antipuisse se combiner avec des bases verbales. Voyons maintenant ce que nous pouvons
conclure de cette étude complète.
136
6.0 Conclusion générale
Pour ce mémoire, nous nous sommes servi du cadre théorique établi par Bok-Bennema &
Kampers-Manhe (2000), discuté dans le chapitre 2. C’est dans ce cadre que nous avons
effectué nos recherches et cette théorie permet de rendre compte, d’une manière justifiée, des
problèmes que l’on rencontre lorsque l’on analyse les mots en anti-. Ceci a fait que nous
avons réussi à attribuer un statut à anti- et à donner les structures des dérivés dans lesquels ce
morphème figure.
Nous avons montré dans cette contribution que le morphème anti- ne peut pas toujours être
considéré comme un préfixe, ce que de nombreux linguistes ont fait dans le passé. En
analysant les mots en anti-, nous avons vu qu’il y a plusieurs types d’anti- suivant
l’interprétation différente que peut avoir anti- et nous avons suivi Fradin (1998) en divisant
les mots dont il fait partie en trois catégories, à savoir I1, I2 et I3. Dans les mots où anti- a
l’interprétation I1, comme antihéros, nous avons conclu que le statut d’anti- dans ce cas est en
effet celui de préfixe. Dans le deuxième chapitre, en parlant des propriétés des préfixes, nous
avons souligné que tous les préfixes ont une entrée lexicale et nous avons fourni celle de ce
préfixe anti- dans le chapitre final de cette étude : 1. Affixe 2. [
N,A] 3. [propriété (A) ou chose/être
(N) Opposition [propriétés stéréotypiques (A) ou traits stéréotypiques de la chose/ l’être désignée par la SLC-base]]
4. /ɑti /.
Au morphème anti- qui figure dans les dérivés comme antihollandais, ayant l’interprétation
I3, nous avons également attribué le statut du préfixe. Ce préfixe est le même que celui qui
figure dans les mots comme antihéros et nous pouvons donc dire qu’il se combine soit avec
des substantifs, soit avec des adjectifs ce que nous avons vu dans l’entrée lexicale ci-dessus.
Par contre, le morphème anti- qui figure dans les dérivés ayant l’interprétation I2, comme
antichar, antirides ou antiparlementaire, antidérapant ne peut pas être considéré comme un
préfixe. C’est ce groupe de dérivés en anti- qui a posé beaucoup de problèmes pour les
linguistes dans le passé, comme par exemple pour Durand (1982) et pour Corbin (1987). Cette
dernière linguiste a établi le Principe de Copie, discuté dans le chapitre 3, pour rendre compte
de la construction des mots comme antidérapant, antiparlementaire etc. La raison pour
laquelle ces dérivés sont tellement difficiles à analyser tient au fait que leur sens signifie
globalement ‘contre N’, pour les mots comme antichar où ce N est directement visible, ainsi
que pour les mots comme antidérapant, antiparlementaire où le N doit être recouvré d’une
manière ou d’une autre.
137
Pour les mots comme antichar et antirides, considérés comme des adjectifs par Corbin
(1987), nous avons argumenté que ce ne sont pas des adjectifs, mais que ces mots sont des PP.
Le modèle de Bok-Bennema&Kampers-Manhe (2000) nous fournit la structure des mots
comme sans-papiers, un composé prépositionnel apparemment exocentrique. Il apparaît que
la structure d’un antirides et celle d’un sans-papiers sont équivalentes et il suit de ceci que
nous pouvons caractériser le morphème anti- qui fonctionne dans ce genre de constituants
comme une préposition. La règle de formation des mots formulée par Corbin pour ce type de
dérivés en anti- a été révisée puisqu’elle a pour résultat une nouvelle règle sous la forme : N
PP. Cette règle implique que lorsqu’anti- se combine avec un nom, le résultat est un PP.
Pourtant, dans le deuxième chapitre, nous avons considéré également les propriétés des
prépositions dans les composés et nous avons dû conclure qu’anti- présente certaines
divergences avec les prépositions et que ce morphème ne peut donc pas être considéré comme
une préposition au sens plein. C’est la raison pour laquelle nous avons introduit le terme
‘prépositionnoïde’, suivant la terminologie des préfixoïdes, dont nous avons discuté dans le
chapitre 2 également.
L’analyse des mots comme antidérapant, antiovulatoire, antiblocage
est encore plus
compliquée. Selon de nombreux linguistes le morphème anti- ne pourrait pas se combiner
avec des bases verbales, mais nous avons montré dans le chapitre 4 que la base de ces mots en
anti- est un verbe complexe, p.e. antidérap(-er). Ensuite, cette base est sélectionnée par
l’affixe adjectival –ant qui sous-catégorise pour les verbes et de cette façon, suivant la théorie
développée par Bok-Bennema & Kampers-Manhe (2000), nous avons expliqué la formation
de ce mot et nous en avons donné la structure dans le chapitre 4. Nous avons même donné un
exemple qui montre que ce verbe complexe en anti- peut figurer en syntaxe, à savoir le verbe
antidéraper. Pour expliquer ce genre d’adjectifs, nous avons formulé la RCM anti-5 : V1
V2. Avec cette nouvelle RCM nous pouvons nous passer du Principe de Copie formulé par
Corbin (1987) pour rendre compte de ces adjectifs complexes. En analysant tous ces
exemples, nous avons montré que le modèle de Bok-Bennema & Kampers-Manhe (2000)
permet de rendre compte de la structure des dérivés en anti-, ce qui était un de nos buts dans
cette analyse. Pourtant, il y a des mots comme antiparlementaire, qui se sont avérés d’être
plus complexes à analyser. Nous avons proposé deux solutions possibles dont celle qui est
basée sur la théorie de Bok-Bennema & Kampers-Manhe et dans laquelle anti- est considéré
comme une sorte de clitique XP est la plus attractive. L’autre alternative suggère que lorsque
le prépositionnoïde anti- se rattache à un nom (p.e. parlement), qu’il forme des noms
exocentriques. Ensuite, ce nom est transformé en adjectif par le suffixe adjectival –aire. Il en
138
va de même pour un adjectif comme après-solaire qui est dérivé d’après-soleil. Il est
intéressant d’étudier plus en détail ce genre d’adjectifs, dans lesquels un mot composé est
soumis aux règles de la dérivation. Scalise (1984) mentionne que les règles dérivationnelles
peuvent s’appliquer aux composés, mais que ce n’est pas un processus productif. Les seuls
composés qui peuvent être dérivés sont les composés lexicalisés, mais que tous les composés
ne peuvent pas être dérivés. La base d’un mot italien comme guardarobiera ‘la dame du
vestiaire’ est donc un composé lexicalisé. On pourrait argumenter de la même façon pour
antiparlementaire, mais il est intéressant de voir si la structure de cet adjectif ne peut pas être
expliquée d’une autre façon. Nous espérons que la solution proposée dans cet article pour ce
genre de formations incite à une plus grande discussion concernant ce sujet.
Pour terminer, nous avons également analysé les mots en anti- en néerlandais, sur lesquels il
n’y avait pas eu beaucoup de discussion dans le passé. Il apparaît que les règles concernant la
formation des dérivés en anti- néerlandais sont les mêmes que celles qui s’appliquent en
français. Certains exemples néerlandais renforcent même l’hypothèse que le morphème antipeut se combiner avec des bases verbales. Bien que le néerlandais soit une langue
germanique, la formation des dérivés en anti- suit les mêmes principes en néerlandais qu’en
français, une langue romane.
En analysant en détail les dérivés en anti- dans le cadre théorique exposé par Bok-Bennema &
Kampers-Manhe (2000), nous avons essayé de donner une meilleure compréhension du
comportement de ce morphème complexe et de plus, nous avons fourni le mieux possible les
structures des dérivés dans lesquels anti- figure. Nous croyons que les solutions que nous
avons proposées dans cette étude sont solides, mais elles sont naturellement ouvertes à la
discussion.
139
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