Sujet étude de texte 2014

Transcription

Sujet étude de texte 2014
DIRECTION REGIONALE DE LA JEUNESSE, DES SPORTS ET
DE LA COHESION SOCIALE DU LANGUEDOC-ROUSSILLON
EXAMEN DE NIVEAU POUR L’ENTREE EN FORMATION DANS LES ECOLES
D’ASSISTANT DE SERVICE SOCIAL, D’EDUCATEUR SPECIALISE ET D’EDUCATEUR DE JEUNES ENFANTS
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Session des 1er et 2 décembre 2014
ETUDE D’UN TEXTE ARGUMENTATIF
Durée : 4 heures – coefficient 2
Dans la socialité façonnée par les réseaux informatiques, les individus sont constamment
en transition entre les milieux denses de leurs familles, de leurs groupes, de leurs communautés,
et les milieux où les contacts sont raréfiés : des zones inconnues dans lesquelles on entre
occasionnellement pour rechercher une information indispensable ou pour échanger ave c des
personnes disparates. Dans ces territoires sociaux inconnus, les usagers ont besoin de guides. Ces
guides sont leurs « amis » (friends). Catalogués dans des listes de contacts comme sur Facebook, ajoutés et
effacés constamment comme les abonnés de Twitter, sincères ou utilitaires comme les membres
du réseau Linkedln, ils sont la base des médias sociaux des dernières années. Ce sont d'habitude
ceux qui nous mettent en communication avec des personnes nouvelles, ou qui nous donnent le
renseignement confidentiel dont nous faisons bénéficier aussi les autres membres de notre communauté.
Ces liens sont à la base des services les plus populaires des années 2000, de Friendster à Myspace ou
à Orkut, qui tous promettent à leurs utilisateurs d'élargir leurs réseaux de connaissances plus
rapidement que dans la socialité en face à face. Ce que nous désignons conventionnellement par le nom
d'« amitié » est un type de liaisons tout à fait spécifique aux environnements sociaux du web. En anglais,
cette amitié assistée par ordinateur prend le nom de friending. Le néologisme désigne l'acte d'« amitier»
ou de « devenir friend avec » quelqu'un. Un acte volontaire dont les motivations et les finalités peuvent
être complètement différentes de celles de l'amitié hors ligne. L'Américaine danah boyd (laquelle malgré
son nom en minuscules est certainement l'une des plus grandes autorités en matière de médias
sociaux) se demande : « Pourquoi tout le monde suppose que friends équivaut à amis? » En réalité,
le fait que des friends en ligne soient des « amis réels » ou qu'ils se plaisent un peu ne représente que
l'une des raisons possibles — et certainement pas la plus commune — de leur choix. Il ne faut pas
perdre cela de vue : le friending n'est pas un miroir de l'amitié en chair et en os. Il n'est pas une
relation interpersonnelle entre deux individus unis par un sentiment réciproque. J'en veux pour
preuve le fait qu'une bonne partie des médias sociaux permet à leurs utilisateurs d'ajouter des
« amis» à leur propre liste sans que ceux-ci fassent nécessairement de même. Le friending est surtout un
lien entre deux profils d'usagers — un lien qui peut être unidirectionnel (je peux regarder ton profil, mais tu
ne peux pas regarder le mien) ou bidirectionnel (l'autorisation à accéder aux données stockées sur le profil
est réciproque). Il s'agit avant tout d'un processus technologique, avec ses spécificités et ses contraintes.
L'établissement d'un lien d'amitié entre deux usagers est condit ionné à un acte déclaratif
fort : quelqu'un envoie une requête officielle d'amitié à quelqu'un d'autre qui doit l'accepter
ou la refuser. Les traces écrites de cette convention entre deux particuliers restent enregistrées dans le
système. Il est inutile de rappeler que, hors ligne, les choses se passent de façon complètement
différente. Si notre quotidien ressemblait à Facebook, nous serions constamment importunés par
des inconnus qui nous pousseraient du bout du doigt (c'est le fameux « poke »), qui nous
apostropheraient en disant : « Bonjour, je suis monsieur Untel. Veux-tu m'ajouter comme ami ? Oui ou
non ? », et qui ne nous laisseraient en paix qu'après que, exaspérés, nous aurions déclaré haut et fort: « Oui!
Maintenant, nous sommes amis ! » Pour grotesque qu'elle puisse paraître, cette scène n'est qu'une
transposition de ce qui se passe chaque jour dans les médias sociaux quand nous recevons une
requête d'amitié. La question « es-tu mon ami, oui ou non ? » est justement la pierre angulaire du
processus de composition des cercles sociaux en ligne. En choisissant et en affichant publiquement
ceux qui sont dans leur cercle, les usagers se lient à d'autres membres du réseau — notamment à
des personnes éloignées de leurs milieux habituels.
À la différence de l'amitié, qui peut naître de l'habitude de la fréquentation ou bien
d'un événement qui rapproche deux individus, le friending trouve son origine dans un acte
déclaratif. Il affiche donc des marques d'officialité et de ritualité d'une obligation sociale : on reçoit un
message, on répond, l'acte est public et reste enregistré dans un système informatique. La
comparaison la plus claire, à mon avis, est celle du mariage. Dans un mariage aussi, nous avons
deux individus qui déclarent leur intention d'avoir une relation spéciale, entraînant certains
privilèges et devoirs réciproques. Dans le mariage aussi c'est une circonstance ritualisée, un
cérémonial à l'église ou à la mairie qui cautionne et actualise la relation sociale. Les linguistes parlent
d'« acte de parole » (speech act): le fait même de déclarer quelque chose en détermine l'existence.
C'est ainsi que l'officier de l'état civil qui déclare deux individus mariés ou le logiciel de networking
social qui déclare deux profils « amis » instituent un lien social.
ANTONIO CASILLI, «Mon friend n'est pas mon ami», Les Liaisons numériques, 2010
Questions : (10 points)
1 – A quelle problématique ANTONIO CASILLI essaie-t-il de répondre ? Vous formulerez cette problématique
sous la forme d’une ou deux phrase(s) interrogative(s). (3 points)
2 – Reformulez, d’une part, l’idée principale soutenue par l’auteur, et, d’autre part, ses arguments. Son idée
principale et ses arguments seront rédigés en une phrase chacun. (4 points)
3 – En quoi l’acte de parole du friending est-il « grotesque » selon l’auteur ? Vous répondrez à cette question
dans un paragraphe d’une dizaine de lignes. (3 points)
Expression écrite personnelle : (10 points)
Selon vous, que valent les amitiés faites sur les réseaux sociaux ?
Vous répondrez à cette question dans une réflexion organisée, argumentée et illustrée d’exemples
précis.