Tribune KARACHI V3

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Tribune KARACHI V3
Tribune
Réflexions sur l’attentat de Karachi
La tragédie que constitue l’attentat de Karachi interpelle notre conscience nationale. La
recherche des auteurs et des commanditaires de ce crime abominable s’est malheureusement
soldée au Pakistan par un fiasco judiciaire total. Mener une enquête, par nature difficile, dans
un pays en proie au terrorisme le plus violent comme l’était le Pakistan en 2002 n’est
évidemment pas chose aisée, il faut en convenir. Quoiqu’il en soit l’impuissance avérée des
autorités judicaires mobilisées sur ce dossier a ouvert un champ illimité aux théories les plus
audacieuses pour expliquer cet attentat.
Le débat médiatique, en dépit de la complexité du sujet, du ton polémique et de
l'instrumentalisation qui l'accompagnent, a eu le mérite de faire progressivement ressortir et
finalement d’accréditer le fait que sous le vocable « attentat de Karachi » on trouve deux
dossiers distincts.
D'une part le dossier de l'attentat de Karachi et des commissions autorisées qui l'ont
accompagné et d'autre part le dossier d'éventuelles rétro-commissions, par nature illégales, au
bénéfice de telle ou telle personnalité ou formation politique françaises comme l’avancent
certains.
Dans un dossier où l’irrationnel et la polémique politicienne ont pris le pas sur l’approche
rigoureuse et responsable indispensable pour répondre à l’attente des familles de victimes de
l'attentat, qui font d’ailleurs de plus en plus figure de « laissé pour compte » au bénéfice de la
traque aux rétro-commissions, il paraît utile de souligner quelques réflexions de bon sens.
Le contrat de vente des sous marins Agosta au Pakistan s'est déroulé en deux étapes.
La première, conduite en France par le pouvoir socialiste, de la fin des années 80 jusqu'au
printemps 93, a permis d'arriver à une quasi conclusion du contrat; « le contrat était
pratiquement bouclé » a indiqué un haut fonctionnaire de Bercy auditionné par la mission
d’information. A qui le pouvoir socialiste français avait-il promis 330 millions de francs de
commissions, soit 6,25% du montant du marché? De cela on ne sait rien. Qui peut croire que
le ou plutôt les gouvernements socialistes en cause, ainsi que l'Elysée de F. Mitterrand, aient
pu ignorer le moindre détail de l'opération et omis de « sécuriser » de bout en bout les circuits
de transit des dites commissions versées par la SOFEMA? On voit bien que cette question
n’est pas sans intérêt dans l'hypothèse où l'attentat de Karachi pourrait avoir été provoqué par
un différend grave sur les commissions. Doit-on s’interdire par ailleurs de poser la question
d’éventuelles retro-commissions sur cette enveloppe de 330 millions de francs?
A partir de 1993, s'ouvre la deuxième étape du contrat. En France, F. Mitterrand doit cohabiter
avec E. Balladur, Premier Ministre, et au Pakistan, Madame Bénazir Bhutto redevient Premier
Ministre ; c'est à elle qu'il revient alors de signer le contrat Agosta... Il semble que son
entourage ait émis le souhait d’y être « affectueusement » encouragé. On connaît les us et
coutumes en vigueur au Pakistan. Il est clair, comme le diront les intermédiaires du réseau K,
s'adressant aux décideurs politiques français, que « tous les décideurs pakistanais n'ont pas été
traités comme il convient » !
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Pressé de conclure à tout prix (l’arsenal de Cherbourg est en rupture de charge et la
négociation est fort avancée) le Gouvernement français ne peut que donner instruction à la
Direction des Constructions navales de faire bonne figure aux émissaires du fameux réseau
K,en tentant de modérer au maximum leurs prétentions. C'est exactement et simplement ce
qui a été fait et qui a abouti à une sur-commission « réduite » à 4% soit 220 millions de francs
supplémentaires. « Sur le contrat Agosta, on parlait dans nos couloirs d'une évaporation
interne au profit de la famille Bhutto. C'était une rumeur » a indiqué le haut fonctionnaire déjà
cité.
Faut-il préciser que le Président de la République F. Mitterrand et son cabinet ne pouvaient
rien ignorer de cette affaire.....Un circuit de transit spécifique à cette commission dut donc
être mis en place et bien évidemment « sécurisé » par les autorités gouvernementales. Sous
ces conditions le contrat de vente des trois sous marins Agosta a été signé à l'automne 1994
pour 5,5 milliards de francs, les commissions destinées aux intermédiaires s’élevant donc à
550 millions de francs. Elles ont été payées à près de 90%.
La construction des sous-marins commence à Karachi. Elle sera brutalement interrompue par
l’attentat du 11 septembre 2001 à New-York perpétré par Al Qaïda. Nos ressortissants
travaillant à Karachi sur les sous-marins sont rapatriés. Au début de 2002, alors que la France
entre en guerre en Afghanistan, le gouvernement Jospin décide de renvoyer nos techniciens à
Karachi, sans précaution ni protection particulières malgré le climat de terreur grandissant au
Pakistan et notamment à Karachi. Le 8 mai au matin c’est l’attentat.
En l'état du dossier, que peut-on et que doit-on attendre ?
Avant tout que la confusion volontairement entretenue dans les débats cesse.
La recherche des causes de l'attentat est une chose. Attentat commis par des réseaux islamistes
plus ou moins directement liés à Al Quaïda ? Dans le contexte de l'époque au Pakistan cela
reste l'hypothèse la plus probable. Ben Laden se serait-il risqué à « endosser », comme il l’a
fait, un attentat dont les tenants et aboutissants ne lui auraient pas été connus ? Mais cette
hypothèse n’est pas la seule. La thèse d'un différend portant sur une répartition contestée des
commissions ne peut être écartée, même si sa crédibilité est faible. En effet, pourquoi avoir
attendu l'année 2002 pour régler un contentieux de 1994 ?
Quant à la thèse de l’attentat causé par l’arrêt du versement des commissions attachées aux
contrats d’armement décidé par Jacques Chirac en 1995, elle est encore moins crédible
puisque les commissions du contrat Agosta ont été payées à 90% et qu’il est bien aventureux
comme le fait la Gauche de mettre en cause l’Arabie Saoudite.
A la périphérie de la recherche des causes de l'attentat, s'est développée la polémique sur
d'éventuelles rétro-commissions. Enquêter sur ce sujet n’est pas illégitime, mais que l'on cesse
de nous expliquer la main sur le cœur ou la larme à l'œil, que cette quête vers le Graal d'un
scandale politico-financier peut éclairer le dossier de l'attentat. C’est faux. Comment en effet
une poignée de millions de francs, dans l’hypothèse où cela aurait existé, pourrait-elle avoir
suscité un attentat aux dimensions planétaires ? Les rétro-commissions sont un problème
hexagonal, qui se traite à Paris. Les causes de l'attentat, c'est à Karachi qu'il faut aller les
chercher, mais apparemment ça n'enthousiasme personne…
Deux points font également débat : faut-il relancer une mission d’information au vu des
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derniers développements du dossier et l’Assemblée Nationale doit-elle communiquer au juge
d’instruction les notes et enregistrements qui ont accompagné les auditions réalisées par la
mission d’information, ainsi que s’apprête à le faire le député communiste Candelier ?
Sauf à vouloir entretenir l’agitation politique autour du dossier, ce qui est clairement le propos
de certains et ce qui a été à l’origine de la demande de création de la mission d’information, il
est évident que seule la justice dispose aujourd’hui des moyens d’investigation pour aller plus
avant dans la recherche de la vérité. La réouverture d’une mission parlementaire n’apporterait
pas grand chose dans la connaissance du dossier faute que l’institution parlementaire dispose
des moyens d’investigation dont seule la justice peut aujourd’hui faire usage. C’est très
clairement à elle de porter le dossier dorénavant.
Quant à remettre au juge les notes et enregistrements qui ont accompagné les auditions de la
mission d’information et dont le rapporteur B. Cazeneuve a fait état auprès du Juge Trevidic,
cela me paraît exclu. En effet la transgression de l’engagement pris par la mission elle-même
de ne pas rendre publiques les notes de travail prises à l’occasion des auditions par les
administrateurs de la commission de la défense reviendrait à mettre en cause ces derniers
puisque les documents qu’ils ont rédigés n’ont pas de caractère de procès verbaux approuvés
par la mission d’information. Est-il tout simplement pensable que des fonctionnaires de
l’Assemblée Nationale aient à aller se justifier devant un juge ? Que restera-t-il du rapport de
confiance entre les députés et leurs collaborateurs ? On peut tout de même attendre des
députés un minimum d’esprit de responsabilité.
Je souhaite conclure mon propos sur une observation.
La Gauche qui s’acharne à donner à l’ « affaire Karachi » la dimension d’un scandale politicofinancier mettant en cause le chef de l’Etat, dans la perspective de l’élection présidentielle de
2012, ainsi que la majorité UMP accusée de faire obstacle à l’œuvre de justice ne peut
s’exonérer de sa responsabilité imprescriptible dans les deuils et les souffrances de l’attentat
du 8 Mai 2002. C’est pourquoi le cynisme avec lequel elle instrumentalise ce drame, la
douleur des familles et la mémoire des victimes donne l’image d’une bien « sale affaire ».
Yves FROMION
Président de la mission d’information
sur les circonstances ayant entouré
l’attentat de Karachi
28 Novembre 2010
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