Molière - Les fourberies de Scapin

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Molière - Les fourberies de Scapin
Molière - Les fourberies de Scapin
SEANCE 1 : Acte I, scène 1 La scène d’exposition différée
OCTAVE, SYLVESTRE
OCTAVE – Ah ! Fâcheuses nouvelles pour un cœur amoureux ! Dures extrémités où je me vois
réduit1 ! Tu viens, Sylvestre, d’apprendre au port que mon père revient ?
SYLVESTRE – Oui.
OCTAVE – Qu’il arrive ce matin même ?
SYLVESTRE – Ce matin même.
OCTAVE – Et qu’il revient dans la résolution2 de me marier ?
SYLVESTRE – Oui.
OCTAVE – Avec une fille du seigneur Géronte ?
SYLVESTRE – Du seigneur Géronte.
OCTAVE – Et que cette fille est mandée3 de Tarente ici pour cela ?
SYLVESTRE – Oui.
OCTAVE – Et tu tiens ces nouvelles de mon oncle ?
SYLVESTRE – De votre oncle.
OCTAVE – À qui mon père les a mandées par une lettre4 ?
SYLVESTRE – Par une lettre.
OCTAVE – Et cet oncle, dis-tu, sait toutes nos affaires ?
SYLVESTRE – Toutes nos affaires.
OCTAVE – Ah ! Parle, si tu veux, et ne te fais point de la sorte arracher les mots de la bouche.
SYLVESTRE – Qu’ai-je à parler davantage ? Vous n’oubliez aucune circonstance, et vous dites les
choses tout justement comme elles sont.
OCTAVE – Conseille-moi, du moins, et me dis ce que je dois faire dans ces cruelles
conjonctures5.
SYLVESTRE – Ma foi, je m’en trouve autant embarrassé que vous, et j’aurais bon besoin que l’on me
conseillât moi-même.
OCTAVE – Je suis assassiné par ce maudit retour.
SYLVESTRE – Je ne le suis pas moins.
OCTAVE – Lorsque mon père apprendra les choses, je vais voir fondre sur moi un orage soudain
d’impétueuses réprimandes6.
SYLVESTRE – Les réprimandes ne sont rien, et plût au Ciel que j’en fusse quitte à ce prix ! Mais, j’ai
bien la mine, pour moi, de payer plus cher vos folies, et je vois se former de loin un nuage de coups
de bâton qui crèvera sur mes épaules.
OCTAVE – Ô Ciel ! par où sortir de l’embarras où je me trouve !
SYLVESTRE – C’est à quoi vous deviez songer avant que de vous y jeter.
OCTAVE – Ah ! tu me fais mourir par tes leçons hors de saison7.
SYLVESTRE – Vous me faites bien plus mourir par vos actions étourdies.
OCTAVE – Que dois-je faire ? Quelle résolution prendre ? À quel remède recourir ?
Notes :
1- « Dures extrémités où je me vois réduit » = je suis dans une situation terrible et difficile.
2- « résolution » : intention, décision, projet.
3- « mandée » : appelée, on lui a demandé de venir.
4- « mandées par une lettre » : expliquées dans une lettre.
5- « ces cruelles conjonctures » : cette situation difficile et compliquée.
6- « fondre sur moi un orage soudain d’impétueuses réprimandes » : il va me faire sans cesse des
reproches violents.
7- « tu me fais mourir par tes leçons hors de saison » : tu m’ennuies par tes remarques qui ne sont
pas adaptées à la situation, qui arrivent trop tard.
A
1
Questions
1- Quels sont les personnages présents dans cette scène ?
2- À quel moment de la journée se passe cette scène ? Justifie ta réponse en citant le texte.
3- a) Explique, avec tes propres mots, la nouvelle que viennent d’apprendre les personnages.
b) Quel individu, qui n’est pas présent sur scène, a informé les personnages de cette nouvelle ?
c) Comment cet individu a-t-il appris cette nouvelle ?
4- a) Quel type de phrase Octave utilise-t-il le plus ?
b) Pourquoi ce personnage utilise-t-il ce type de phrase ?
c) Quel est le rôle de ce type de phrase pour le spectateur ?
d) Comment appelle-t-on la première scène d’une pièce de théâtre ?
5- Observe les réponses de Sylvestre.
a) Sylvestre répond-il vraiment aux questions d’Octave ? Justifie ta réponse.
b) Souligne en bleu, dans le texte, une réplique d’Octave qui montre que Sylvestre ne répond pas
vraiment à ses questions.
c) Quelle réaction l’attitude de Sylvestre va-t-elle provoquer chez le spectateur ?
Coche la bonne réponse.
Les pleurs Le rire L’attention sérieuse
d) Quel sorte de comique est utilisé ici ?
6- a) Les personnages sont-ils heureux à l’idée de revoir le père d’Octave ?
b) Dans les lignes 26-30, souligne en vert deux propositions qui font références à un phénomène
météorologique. Elles sont utilisées par les personnages pour évoquer la colère du père d’Octave.
c) Que craint Octave ? Que craint Sylvestre ?
d) Sais-tu pourquoi le père d’Octave risque d’être en colère ?
e) Selon toi, pourquoi Molière a-t-il choisi de ne pas donner plus d’explications dans la première
scène ?
Acte I, scène 2
SCAPIN, OCTAVE, SYLVESTRE
SCAPIN – Qu’est-ce, seigneur Octave ? qu’avez-vous ? qu’y a-t-il ? quel désordre estce là ? Je vous
vois tout troublé.
OCTAVE – Ah ! mon pauvre Scapin, je suis perdu, je suis désespéré, je suis le plus infortuné1 de
tous les hommes !
SCAPIN – Comment ?
OCTAVE – N’as-tu rien appris de ce qui me regarde ?
SCAPIN – Non.
OCTAVE – Mon père arrive avec le seigneur Géronte, et ils me veulent marier.
SCAPIN – Eh bien ! qu’y a-t-il là de si funeste2 ?
OCTAVE – Hélas ! tu ne sais pas la cause de mon inquiétude.
SCAPIN – Non ; mais il ne tiendra qu’à vous que je la sache bientôt, et je suis homme consolatif3,
homme à m’intéresser aux affaires des jeunes gens.
OCTAVE – Ah ! Scapin, si tu pouvais trouver quelque invention, forger quelque machine4, pour me
tirer de la peine où je suis, je croirais t’être redevable de plus que ma vie.
[Scapin reconnaît qu’autrefois, il n’hésitait pas à utiliser la ruse pour tromper les autres mais que
des ennuis avec la justice l’ont contraint à tout arrêter. Octave raconte ensuite la double aventure
qu’il a vécue avec son ami Léandre, le fils de Géronte placé sous la surveillance de Scapin : ils sont
tous deux tombés amoureux de jeunes femmes qui n’appartiennent pas à leur classe sociale, c’està-dire à la bourgeoisie. Léandre est amoureux d’une bohémienne et Octave d’une fille très pauvre
dont la mère vient de mourir. Comme Octave détaille beaucoup le portrait de cette jeune fille,
Sylvestre s’impatiente.]
2
SYLVESTRE, à Octave – Si vous n’abrégez pas ce récit, nous en voilà pour jusqu’à demain. Laissezle-moi finir en deux mots. (À Scapin) Son cœur prend feu dès ce moment. Il ne saurait plus vivre
qu’il n’aille consoler son aimable affligée. Ses fréquentes visites sont rejetées de la servante,
devenue la gouvernante par le trépas5 de la mère : voilà mon homme au désespoir. Il presse,
supplie, conjure : point d’affaire. On lui dit que la fille, quoique sans bien et sans appui, est de
famille honnête et qu’à moins que de l’épouser, on ne peut souffrir ses poursuites ; voilà son amour
augmenté par les difficultés. Il consulte dans sa tête, agite, raisonne, balance, prend sa résolution
: le voilà marié avec elle depuis trois jours.
SCAPIN – J’entends.
SYLVESTRE – Maintenant, mets avec cela le retour imprévu du père, qu’on n’attendait que dans
deux mois ; la découverte que l’oncle a faite du secret de notre mariage, et l’autre mariage qu’on
veut faire de lui avec la fille que seigneur Géronte a eue d’une seconde femme qu’on dit qu’il a
épousée à Tarente.
OCTAVE – Et par-dessus tout cela, mets encore l’indigence6 où se trouve cette aimable personne et
l’impuissance où je me vois d’avoir de quoi la secourir.
SCAPIN – Est-ce là tout ? Vous voilà bien embarrassés tous deux pour une bagatelle ! C’est bien là de
quoi se tant alarmer ! N’as-tu point honte, toi, de demeurer court à si peu de chose ? Que diable !
te voilà grand et gros comme père et mère, et tu ne saurais trouver dans ta tête, forger dans ton
esprit, quelque ruse galante, quelque honnête petit stratagème, pour ajuster vos affaires ? Fi !
Peste soit du butor7 ! Je voudrais bien que l’on m’eût donné autrefois nos vieillards à duper : je les
aurais joués tous deux par-dessous la jambe, et je n’étais pas plus grand que cela que je me
signalais déjà par cent tours d’adresse jolis.
SYLVESTRE – J’avoue que le Ciel ne m’a pas donné tes talents, et que je n’ai pas l’esprit, comme
toi, de me brouiller avec la justice.
OCTAVE – Voici mon aimable Hyacinthe.
Notes :
1– « infortuné » : malchanceux, malheureux.
2– « funeste » : terrible, problématique.
3– « consolatif » : qui sait consoler, réconforter.
4– « forger quelque machine » : inventer une ruse.
5– « trépas » : mort, décès.
6– « l’indigence » : la pauvreté.
7– « Peste soit du butor ! » : quel idiot ! quel gros bêta !
Questions
1- a) Quel nouveau personnage apparaît dans la deuxième scène ?
b) Comment sais-tu que ce personnage est important ?
c) Qu’apprends-tu sur ce personnage dans la deuxième scène ?
2- Grâce à la deuxième scène, on sait pourquoi Octave est inquiet à l’idée que son père revienne.
Explique cela avec tes propres mots.
3- D’après tes précédentes réponses, explique pourquoi la deuxième scène peut aussi être appelée
« scène d’exposition ».
La scène d’exposition différée
Traditionnellement, la scène d’exposition, qui permet de présenter les personnages et
qui explique les circonstances de l’action, est contenue dans la première scène de la
pièce.
Toutefois, il arrive qu’elle s’étende sur plusieurs scènes pour ménager le suspense et
pour capter l’attention du spectateur.
C’est un procédé souvent utilisé par Molière. Dans Les Fourberies de Scapin (1671), la
scène d’exposition s’étend sur les deux premières scènes. Dans Tartuffe (1664), Molière
étend même la scène d’exposition sur tout le premier acte, c’est-à-dire sur cinq scènes.
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