Expérience, théorie, concept scientifique

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Expérience, théorie, concept scientifique.
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Expérience, théorie, concept scientifique
1. Expérience quotidienne, expérience scientifique
• Au sens ordinaire, l’expérience désigne l’ensemble des impressions que nous pouvons
recevoir de notre milieu. Un “homme d’expérience” est un individu qui, au cours des ans, a
acquis des savoirs lui permettant d’être éventuellement de bon conseil, ou de se comporter
convenablement en fonction des situations qu’il rencontre.
• On peut noter que l’expérience est d’abord reçue par l’esprit, qui est donc passif. Si elle
“instruit”, c’est aussi bien par l’échec que par la réussite : je sais par expérience qu’il est
inutile que j’essaie de sauter au-delà de telle hauteur, ou qu’il m’est par contre possible de
démonter rapidement une roue d’automobile (en tout cas plus vite que la première fois que
j’ai dû le faire). L’expérience apporte donc un certain enseignement, mais c’est à force de
répétition, et sans véritablement proposer une réponse à une question précise.
• Cette expérience quotidienne peut de surcroît être parfaitement trompeuse : je crois pouvoir
dire, parce que je l’ai constaté de nombreuses fois, que “le soleil se lève” – si je prends la
formule au sérieux, je suis dans l’erreur. Aussi la tradition rationaliste (de Platon à Descartes)
s’est-elle montrée hostile à l’expérience, synonyme d’instabilité des apparences ou de
tromperie par les sens : la vraie connaissance se détourne de l’univers que nous livrent notre
perception, et donc nos expériences, pour se construire uniquement par des voies rationnelles.
• Se fier uniquement à la raison, en évitant de s’intéresser aux phénomènes, a pourtant produit
nombre de théories fausses (les physiques d’Aristote et de Descartes), car la raison est tentée
d’opérer des déductions qui ne correspondent pas à ce qui a lieu dans la nature. Déduire est
fécond en mathématiques ( parce que le réel n’y intervient aucunement), mais produit des
erreurs lorsque la raison s’illusionne sur ses capacités en prétendant deviner seule les lois de
la nature. De ce point de vue, Bertrand Russell considère que la science n’a pu progresser
qu’à partir du moment où elle s’est affranchie de l’influence d’Aristote, champion du
raisonnement déductif.
2. Le raisonnement expérimental
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• Cet affranchissement ne s’effectue qu’au XVII siècle, lorsque Galilée conçoit la portée et
les enseignements de l’expérience scientifique. Il devient clair (progressivement, car la
pratique expérimentale est lente à se généraliser : Descartes y reste opposé) que, pour
découvrir les lois de la nature, il convient d’abord de l’interroger activement, au lieu de se
contenter de l’observer passivement. La nature ne révèle pas spontanément son
fonctionnement, elle ne “répond”, comme le rappellera Kant, qu’à des questions précises.
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• Claude Bernard a montré que l’expérience elle-même ne constitue qu’un moment du
raisonnement expérimental. Celui-ci commence par une observation, qui n’a rien de commun
avec la perception banale : elle doit être à même de remarquer, dans un domaine scientifique,
l’existence d’un phénomène inexpliqué. Il lui faut donc être informée de l’état actuel des
connaissances.
• A partir d’une analyse du phénomène problématique, l’esprit élabore une hypothèse, ou
“explication anticipée” : il conçoit quelle causalité agit dans ce qu’il a observé.
• Le montage expérimental (qui suppose l’intervention d’un outillage éventuellement lourd et
d’instruments − notamment de mesure − qui sont, comme le montre Bachelard, autant de
“théories matérialisées”) a pour objet de vérifier l’hypothèse. S’il échoue, on devra
évidemment proposer une autre hypothèse.
• La confirmation de l’hypothèse permet de formuler, par induction, la loi à laquelle obéit le
phénomène. En droit, une expérience bien menée n’a pas besoin d’être répétée (mais la
complexité des expériences scientifiques contemporaines demande en général qu’elles soient
vérifiées dans des laboratoires différents), puisqu’on suppose que tous les phénomènes
obéissent à un fonctionnement constant (“les mêmes causes entraînent les mêmes effets” :
formule simple du déterminisme, qui fonde la possibilité de l’induction).
3. La théorie comme système de lois
• Toute théorie scientifique constitue l’articulation systématique d’un ensemble de lois. Ainsi,
la théorie de la gravitation inclut la loi classique de la chute des corps; elle a donc une portée
plus vaste ou générale que la loi particulière, qui n’en présente qu’une sorte de conséquence
ou d’application locale. De ce point de vue, l’élaboration d’une théorie représente, dans les
sciences dites expérimentales (physique, chimie, biologie), l’achèvement de la connaissance
scientifique.
• Se pose alors la question de la fonction de la théorie : est-elle une explication ou une simple
représentation d’un aspect du monde ou du “réel” ? Il faut ici préciser la nature de la vérité
scientifique, et la relation qu’elle peut entretenir avec le “réel”. Scientifiques et
épistémologues considèrent que le réel est inaccessible à la connaissance : la science n’a pas
pour ambition de nous en livrer la clef, elle cherche à en construire des représentations
compatibles avec ce que nous en percevons. La différence ainsi affirmée entre vérité et réalité
rejoint celle que proposait Kant entre l’ordre des phénomènes (qui nous est accessible) et
celui des noumènes (inconnaissable). La connaissance scientifique, parce qu’elle dépend de
nos moyens d’appréhension de la nature, ne peut rendre compte que des phénomènes.
• Une théorie physique est ainsi la mise en forme mathématique, par transcription en
symboles, d’un certain nombre de propriétés simples des corps observés, reliées entre elles
par des énoncés mathématiques, qui servent de principes à des déductions ultérieures. Les
conséquences ainsi déduites sont enfin traduites en jugements concernant les propriétés
physiques des corps. Si ces jugements sont en concordance avec les lois expérimentales que la
théorie prétend représenter, celle-ci est bonne. Dans le cas contraire, elle est fausse et doit être
remaniée. De la sorte, “une théorie vraie, ce n’est pas une théorie qui donne des apparences
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physiques une explication conforme à la réalité; c’est une théorie qui représente d’une
manière satisfaisante un ensemble de lois expérimentales” (Pierre Duhem).
4. Évolution du concept scientifique
• Gaston Bachelard a montré que la connaissance scientifique ne s’élabore qu’en effectuant
une rupture complète relativement à ce que nous avons tendance à admettre spontanément :
“Quand il se présente à la culture scientifique, l’esprit n’est jamais jeune. Il est même très
vieux, car il a l’âge de ses préjugés.” La notion d’obstacle épistémologique désigne
précisément l’ensemble des éléments, internes à la mentalité immédiate, qui interdisent ou
freinent l’accès à une démarche objective et rigoureuse. Ainsi, le souci de rendre compte du
qualitatif, ou, à l’inverse, une exigence de précision excessive (irréalisable avec les
instruments de mesure d’une époque), ou enfin le fait que “ce qu’on croit savoir offusque ce
qu’on devrait savoir”.
• Avant l’élaboration d’un concept scientifique strict, on peut donc repérer, dans l’histoire de
la connaissance, des moments non scientifiques – correspondant à une mentalité “animiste”,
puis à une mentalité “réaliste”. La première se contente d’une appréciation quantitative
grossière de l’objet, dans laquelle les différents sens mélangent leurs approches, et qui
témoigne en fait de l’existence, en amont de tout savoir, d’un ensemble de désirs et de
pulsions. La seconde constitue un progrès relatif dans la mesure où elle se manifeste par
l’usage d’instruments, mais elle correspond à une pensée empirique, qui attribue à chaque
objet une propriété stable. En prenant l’exemple de la masse, Bachelard en illustre le premier
temps par référence à l’enfance et à sa sensibilité à la “grosseur”. Quant à la masse “réaliste”,
elle est tout simplement assimilée au poids.
• Le concept scientifique se forme lorsque l’esprit considère l’objet, non plus isolément, mais
dans un réseau de relations. Ses propriétés ne sont plus simplement mesurées, elles se
calculent. La proposition scientifique ne concerne plus le réel tel qu’il apparaît pour les sens,
mais un en deçà du réel immédiat, obéissant à une loi qu’il s’agit de découvrir : on passe du
“réalisme des choses” au “réalisme des lois”. Cet accès au “rationalisme classique” s’effectue,
pour le concept de masse, avec la mécanique de Newton. Il est donc tardif, et se trouve lié à
des concepts généraux (temps, espace, vérité universelle) qui sont d’abord compris comme
des absolus. Dans le cas de Newton, la géométrie d’Euclide fournit la notion d’espace.
• Ce rationalisme “classique” ou “fermé” est lui-même dépassé par un “sur rationalisme”,
dans lequel Bachelard distingue deux étapes :
• un rationalisme “complexe”, correspondant à la mécanique d’Einstein, c’est-à-dire à une
théorie où le calcul de la masse fait appel à des formules différentes, dans la mesure où la
masse elle-même apparaît relative au déplacement de l’objet. L’espace et le temps doivent
donc être complexifiés (comme dans les systèmes non euclidiens). Rétrospectivement, la
mécanique de Newton, d’abord admise comme seule possible, prend le statut d’un cas
particulier ou local (à l’échelle de notre existence);
• enfin, se fait jour une philosophie dialectique de la connaissance que Bachelard caractérise
par une question :”Pourquoi pas?” En l’occurrence : pourquoi la masse ne serait-elle pas
négative ? Cette question devient, dans l’histoire de la mécanique, légitime à partir du
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moment où Dirac constate, en fonction de purs calculs, qu’un même objet présente deux
masses — l’une classiquement positive, l’autre, suffisamment surprenante pour qu’on n’en
puisse élaborer d’image, négative. Ce “rationalisme dialectique” déduit son concept d’un
travail rigoureusement mathématique, non expérimental.
• La relation traditionnelle entre l’expérience et la théorie se trouve ainsi inversée : alors que,
dans la science classique, le concept était d’abord lié à l’expérience avant d’être repris par la
théorie, la mathématisation des théories modernes permet de construire des concepts dont
l’expérimentation sera (éventuellement) postérieure. Plus que jamais, c’est bien un cadre
théorique qui sert de guide aux expérimentations.
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