AVEC DEUX PARFUMS

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AVEC DEUX PARFUMS
AVEC DEUX PARFUMS
–Une amourette, ce gamin subit une amourette.
–Bon sang!, maman, il a à peine treize ans.
–Ce que je te dis –insista la grand-mère–; par ailleurs, à cet âge toi aussi…
–Maman!…, c’est bien différent; à cet âge-là moi…, j’étais déjà une femme.
Colin a rougi, bien qu'il fût tout seul, caché derrière la porte entrouverte. Avec discrétion il est arrivé
à la fenêtre et a sauté au jardin. Tout de suite il a couru rejoindre Lara, derrière la Grande Maison.
"Bonjour!, bonjour!", des salutations comme le premier jour, bien que, comme distraits, ils se
tenaient la main. Pas au début, mais quand s’écoulait un peu de temps ensemble. Ils marchaient
sur le trottoir; elle joyeuse en sautant et en zigzaguant, lui plutôt formel pour compenser ou, peutêtre, parce qu'il se sentait obligé: il était l'homme. Au fond, sur la placette, on distinguait le chariot à
glaces. Colin a mis la main à la poche et a touché quelques monnaies.
–Tu veux une glace?
–Ouiii!
–Quel parfum…?
–Fraise et chocolat
Le glacier a dit qu’il n'avait pas de glaces de deux goûts. Alors, Colin lui en a demandé deux, l'une à
la fraise et l'autre au chocolat. L'homme a commencé à les couper en pensant qu'ils allaient les
partager. Colin lui a sollicité s'il pouvait laminer, maintenant, les deux par la moitié. L'autre, surpris
au commencement, tout en l’admirant, il a procédé à satisfaire la demande; il a monté deux fois
biscuit-fraise-chocolat-biscuit et a offert les glaces au couple avec un sourire. Ils ont consommé les
glaces sans se presser, assis sur la bordure de trottoir, face à la fontaine. À la fin, ils se sont lavé
les mains et la bouche. Après ils se sont promenés dans la zone. Le soir, en rentrant à la Grande
Maison, ils se tenaient de la main.
Ainsi, jour après jour, jusqu'à ce que la tirelire est restée muette. Un jour le glacier, qui a capté le
problème, les a appelés et les a invités. "Pour mon client le plus intelligent, a-t-il chuchoté, quand
Lara avait déjà reçu sa glace mixte.
"La fin
de l'été
est arrivée",
chantait le Dúo Dinámico, et la Grande Maison s'était parée pour la fête d'adieux. Le jardin était une
fourmilière: les uns montaient des tables, d'autres des lampions, quelqu'un donnait des ordres et
celui du son –"Ça marche? Test, test..."– réclamait l’attention. Lara s'est présentée radiante avec
une robe blanche de mousseline achevée en dentelle par le cou et les épaules et, surtout, avec un
sourire précieux. "Mon oncle m'a donné de l'argent; on y va prendre une glace?", a-t-elle dit comme
le bonjour.
Le glacier les a vu venir plus contents que d'autres fois, même le garçon semblait avoir abandonné
sa formalité. Homme de métier, le détail du remuement entre tous les deux ne lui a pas échappé.
–Deux spéciaux de fraise et de chocolat?
–Oui, s'il vous plaît
–Voici. –Les morceaux ont été très généreux (au détriment de celui qui venait après). Colin a payé.
Ils sont allés à leur bordure habituelle et, comme toujours, ont commencé à manger très lentement
leur glace et ont bavardé. C'était leur dernier jour. Elle retournerait à la ville: il fallait préparer les
choses pour le nouveau cours, le collège, les camarades … "Ferme les yeux", a dit Colin et, avec
cette force impulsive des timides, il l’a embrassée. Lara, surprise, a perdu la glace mais elle a pris la
tête de Colin et a prolongé le moment. Ils sont revenus silencieux avec les mains trempées de sueur
de tant de pression. Un "au revoir, au revoir" et ils restaient tranquilles en se regardant. Aucun des
deux n'osait partir le premier.
"Je ne sais pas
jusqu'à quand
cet amour
tu te rappelleras…",
le duo musical du moment continuait d'être assommant.
–"Laraaa!" –a-t-on crié de l'intérieur en brisant l'enchantement.
–J’arriiiive! Je dois rentrer.
–Bon, moi …, au revoir! –a dit Colin avec la voix cassée. Et les yeux se sont inondés.
–Les hommes ne pleurent pas. –Elle lui a serré une main et a couru vers l'intérieur.
Cette nuit de fête il y a eu une réprimande dans la Grande Maison: "Regarde dans quel état est ta
nouvelle robe. Justement aujourd'hui. C’est la dernière fois de toute ta vie que tu manges une glace
comme celle-là".
L'été a fini. Pendant le suivant la Grande Maison est restée fermée. Colin arrivait tous les jours avec
le petit poulain emballé jusqu'à doubler le dernier coin; tout de suite il faisait un tour –pour
dissimuler– jusqu'à ce que les pulsations baissent à leur rythme.
D'autres étés passèrent, de nombreux étés. Nicolas a étudié l'Infirmerie –une bonne mère, une
bonne grand-mère et… un bon oncle indien–. Coordinateur du 9ème étage sud, il a lu un nom dans la
liste d’admis et il a demandé au médecin interne. "Elle est arrivée durant la nuit. Une double
mammectomie radicale", a répondu celui-ci. Et, quand l'infirmier, en pointant du doigt la chambre
assignée, a insisté avec le regard, l'autre a ajouté "une métastase osseuse".
–Bonjour! Lara?
–Oui?
–Salut! –s’est-il exclamé avec un ton enfantin. Et elle a rougi après l'avoir reconnu.
–Salut! –a-t-elle répondu avec un ton similaire. Et instinctivement elle a tiré de la couverture (qui lui
arrivait au cou) vers le haut.
Si ce n'était pas par les regards, le dialogue pourrait avoir été qualifié comme parler de la pluie et du
beau temps. En terminant avec un "pas de terrine glacée, mon Dieu", comme réponse à la question
sur le menu.
Au déjeuner on lui a apporté le plateau. Elle a levé le couvercle et un sourire a inondé sa face pâle:
de la purée, du poulet et … un bâtonnet glacé à la fraise-chocolat. Nicolas est arrivé un peu après. Il
a salué. Il a retiré le plateau avec la purée et le poulet, il a descendu le dossier, a retapé l'oreiller, a
fait courir le rideau et a administré la médication.
–Colin, … merci.
–Maintenant il faut se reposer –réussit-il à dire totalement pris à la gorge.
–Colin
–…
–Les hommes ne pleurent pas.
Il est sorti, a fermé la porte avec douceur et, avec le poulain débridé, il est arrivé à l’office où il a
éclaté en sanglots. On avait commencé la sédation.
José R. Morant (C1)
(Fotografía: http://www.fseneca.es/microciencia/%C2%A1cuidado-con-los-besos-2/)

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