Evaluation de l`exposition des salariés aux vibrations
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Evaluation de l`exposition des salariés aux vibrations
Evaluation de l’exposition des salariés aux vibrations dans une entreprise du BTP Magali LEDERLE SOGEA EST BTP, VINCI Construction France, [email protected] Résumé Le développement des maladies liées aux expositions professionnelles et l’évolution de la réglementation amènent les entreprises à prendre en compte des risques peu traités jusqu’à présent. L’exposition aux vibrations mécaniques, par exemple, est un facteur important d’apparition de Troubles Musculo-Squelettiques et 2 tableaux de maladies professionnelles y sont consacrés ; mais c’est un risque encore peu connu en entreprise. La directive européenne 2002/44, transcrite en droit français par le décret 2005-746, prévoit une évaluation des risques liés à l’exposition des travailleurs aux vibrations et des mesures de prévention adaptées, dans toutes les entreprises. Dans ce cadre, la société SOGEA EST BTP, filiale du groupe VINCI Construction France, a lancé une vaste campagne de mesures, destinée à évaluer précisément l’exposition de ses salariés. Les mesures ont été réalisées pour diverses activités du groupe (taille de pierre, chantiers de pose de canalisations, etc.) à l’aide des dosimètres main-bras (VMB) et corps entier (Health Vib) de la marque CVK. Les résultats obtenus montrent une exposition parfois importante des salariés et engage donc l’entreprise SOGEA EST BTP, et plus largement le groupe VINCI Construction France, dans une politique globale de prévention des risques liés aux vibrations. Mots-clés : Vibrations – BTP – mesures – exposition 1 Contexte et problématiques 1.1 Les points clés 1.1.1 Réglementation La communauté européenne a décidé de réglementer « l’exposition des travailleurs aux risques dus aux agents physiques (vibrations) » au travers de la directive 2002/44 ([1]), adoptée le 25 juin 2002. Celle-ci a ensuite été retranscrite en droit français, au travers du décret 2005-746 du 4 juillet 2005 ([2]), et enfin intégrée au code du travail. Cette réglementation impose aux entreprises de mener une évaluation des risques et d’établir un plan d’actions, en fonction des résultats de cette évaluation et des valeurs limites 2 2 d’exposition fixées par le texte (5 m/s pour le système main-bras et 1,15 m/s pour l’ensemble 2 du corps). Des seuils, déclenchant les actions de prévention, sont aussi définis (2,5 m/s pour 2 le système main-bras et 0,5 m/s pour l’ensemble du corps). D’autres obligations incombent à l’employeur : la mise en place de mesures de prévention, la surveillance médicale des travailleurs et la formation et l’information de ces derniers. Colloque “Bruit et vibrations au travail” – 2 au 4 mars 2011 – Paris – FRANCE -1 1.1.2 Enjeux économiques et humains La conformité réglementaire n’est pas l’unique enjeu de la prise en compte de l’exposition des salariés aux vibrations. En effet, les vibrations sont responsables du développement de maladies, reconnues comme professionnelles. Des enjeux économiques importants apparaissent donc pour les entreprises. Les vibrations sont la cause d’affections du système main-bras et du rachis lombaire. Ces troubles sont répertoriés dans les tableaux n°69 et 97 du Code de la Sécurité Sociale. Les vibrations sont aussi mises en cause dans l’apparition d’autres maladies professionnelles. Le tableau n° 57 (« affections péri-articulaires provoquées par certains gestes et postures de travail ») rassemblent d’autres Troubles Musculo-Squelettiques (TMS) dont l’exposition aux vibrations peut être un facteur déclenchant ([3]). Le nombre de TMS déclarés est en constante augmentation ces dernières années (Figure 1). Figure 1 : Evolution du nombre de maladies professionnelles depuis 2000 (Extrait de « Statistiques 2009», INRS, dossier web, 24/09/2010) Le secteur du Bâtiment et des Travaux Publics est lui aussi fortement impacté par cela. Ceci peut représenter un coût économique non négligeable pour les entreprises, puisque les sommes qui entrent en jeu sont conséquentes (cotisation à la caisse d’assurance maladie). Il paraît donc essentiel aux entreprises de prendre en compte le risque lié aux vibrations et de le réduire au maximum, afin de limiter les maladies professionnelles qui en résultent. Pour cela, il est nécessaire de réaliser une évaluation des risques pertinente. 1.2 Les problématiques du secteur du BTP 1.2.1 Variabilités des émissions Dans les métiers du BTP, de nombreux outils à émissions vibratoires importantes sont utilisés et chaque modèle possède une valeur d’accélération propre dans sa notice d’instructions. Le regroupement des émissions par catégorie d’outils (perceuses, plaques vibrantes, etc.) n’est donc pas aisée. De plus, l’émission vibratoire d’un outil peut varier suivant son utilisation. La même problématique s’applique d’ailleurs aux engins de chantier. Pour ces machines, on ne trouve pas de valeur unique, les valeurs d’accélération sont données en fonction de la tâche effectuée ([4]). Colloque “Bruit et vibrations au travail” – 2 au 4 mars 2011 – Paris – FRANCE -2 1.2.2 Variabilités des tâches L’autre difficulté réside dans la variabilité des tâches journalières effectuées. En effet, les outils utilisés et la durée de leur utilisation est aléatoire. Dans l’activité hydraulique (pose de réseaux humides et réseaux secs), l’exposition varie non seulement en fonction des métiers mais aussi en fonction des équipes. Il faut ajouter à cela, la variabilité des chantiers et des modalités de leur exécution. Par exemple, la durée de compactage va varier suivant les matériaux de remblai utilisés ; la durée d’utilisation des découpeuses va changer suivant le diamètre des tuyaux à mettre en place. S’ajoute à cela, la difficulté liée à l’exposition multiple des salariés. Ils utilisent effectivement des équipements vibrants différents, dans la même journée, et les expositions se cumulent. 2 Evaluation des risques dans une entreprise de travaux hydrauliques 2.1 Exposition de l’ensemble du corps 2.1.1 Méthodologie et mesures La première étape a consisté à récolter des informations auprès des constructeurs et fournisseurs de ces engins. Leurs données sont cohérentes avec celles résultantes des campagnes de mesures, réalisées par l’INRS et HSL, de 1997 à 2005 ([5], [6]). La deuxième étape a permis d’évaluer sommairement les risques, en se référant aux données précédentes. Cette analyse a fait apparaître des niveaux de risques élevés dans plusieurs cas. La troisième étape, découlant de ce constat, a été de mesurer sur les chantiers de l’activité hydraulique, l’exposition des conducteurs lors de leur journée de travail. Pour cela, l’entreprise dispose du matériel de mesures « corps entier » CVK (Figure 4). Enregistreur Cupule avec espace pour accéléromètre Logiciel Accéléromètre Figure 4 : Matériel de mesures CVK pour les vibrations transmises à l’ensemble du corps (Mesures d’1h au moins, réalisées sur chantiers, de juillet à septembre 2009, en conditions réelles) Les mesures ont été réalisées sur différents engins couramment utilisés dans l’activité : des chargeuses sur pneus, des mini-pelles, des pelles sur chenilles et sur pneus. Colloque “Bruit et vibrations au travail” – 2 au 4 mars 2011 – Paris – FRANCE -3 2.1.2 Résultats et hiérarchisation des risques 2 Quelque soit l’engin utilisé, la valeur limite de 1,15 m/s n’est jamais atteinte. Les résultats, détaillés dans le Tableau 1, sont cohérents avec ceux estimés à l’aide des données des constructeurs et ceux résultant des campagnes de mesures INRS ([5], [6]). Les conducteurs de pelles passent la quasi-totalité de leur journée de travail dans leur engin. En ce qui concerne les chargeuses et les mini-pelles, l’utilisation est souvent plus séquencée. Ainsi, sur une journée de travail de 8h, en enlevant les pauses et les temps d’attente, l’exposition des salariés aux vibrations du corps entier ne dépasse pas 7h. Engins Nombre de mesures Valeur d’émission minimum mesurée (en m/s2) Valeur d’émission maximum mesurée (en m/s2) Valeur moyenne d’émission mesurée (en m/s2) Exposition minimale pour 7h/jour d’utilisation Exposition maximale pour 7h/jour d’utilisation Exposition moyenne pour 7h/jour d’utilisation Chargeuses sur pneus 4 Pelles sur chenilles 4 Pelles sur pneus 7 Minipelles 5 0,48 0,90 0,71 0,45 0,84 0,66 0,23 0,37 0,33 0,22 0,35 0,31 0,37 0,70 0,51 0,35 0,66 0,47 0,42 0,77 0,57 0,39 0,72 0,54 Tableau 1 : Détails des résultats des mesures de l’exposition ensemble du corps (La valeur limite n’est jamais atteinte ; les valeurs > au seuil d’action sont en orange) Ces résultats permettent de hiérarchiser les risques liés à la conduite d’engins de chantier. Les chargeuses ont les émissions les plus importantes. Les pelles sur pneus et les mini-pelles exposent les conducteurs à des niveaux similaires. Ceux-ci sont légèrement supérieurs dans le cas des mini-pelles, ce qui est compensé par le fait qu’elles sont utilisées moins longtemps. L’exposition aux vibrations pour les pelles sur chenilles est inférieure au seuil d’action. 2.2 Exposition du système main-bras 2.1.1 Méthodologie et mesures La première étape consiste toujours à récolter des informations auprès des constructeurs et fournisseurs. Comme pour l’exposition de l’ensemble du corps, l’estimation grossière a fait apparaître des niveaux de risques potentiellement élevés. Des mesures sur chantiers ont donc semblaient utiles. Pour cela, l’entreprise dispose du matériel de mesures CVK, pour le système main-bras (Figure 5). Accéléromètre Figure 5 : Matériel de mesures des vibrations transmises au système main-bras (Mesures réalisées en extérieur, sur chantiers, de juillet à septembre 2009, dans des conditions réelles d’utilisation et sur une durée d’au moins 3 minutes) Colloque “Bruit et vibrations au travail” – 2 au 4 mars 2011 – Paris – FRANCE -4 Les mesures ont été réalisées sur des outils utilisés dans l’activité : carotteuses, découpeuses, marteaux-piqueurs, pilonneuses, plaques vibrantes et scies à sol. 2.1.2 Résultats et hiérarchisation des risques Les résultats, détaillés dans le Tableau 2, sont cohérents avec ceux résultant des campagnes de mesures INRS ([5], [7]), mais supérieurs aux données des fabricants. Outils Données fabricants (m/s2) Mesures (en m/s2) Moyenne (en m/s2) Découpeuses, etc. 2,5 à 9 3,38 Carotteuses 2,5 à 11 3,0 à 5,41 3,97 Marteaux piqueurs 4 à 10 7,11 Perceuses, perforateurs 5 à 21 Pilonneuses 7 à 18 6,21 à 17,1 12,0 Plaques vibrantes 4 à 11 2,5 à 14 6,39 Scies à sol 9,5 5,89 à 6,53 6,21 Scies circulaires 2,5 à 3,5 Tableau 2 : Valeurs d’émissions vibratoires des outils mesurées en entreprise Une méthodologie particulière a été développée pour la hiérarchisation des risques. Elle se base sur l’intensité des émissions vibratoires des outils, et sur des classes de fréquence d’utilisation, puisque des durées précises ne peuvent être déterminées. Les résultats obtenus, combinés à une estimation de la fréquence d’utilisation, permettent de hiérarchiser les risques. Les pilonneuses, les plaques et les scies à sol exposent le plus les salariés de l’activité hydraulique aux vibrations. Le marteau-piqueur a une contribution secondaire à l’exposition des travailleurs. La découpeuse présente un risque plus faible, et le risque lié aux carotteuses apparait négligeable. Il faudrait toutefois vérifier cette conclusion en pratiquant d’autres mesures. Il apparaît donc que le risque lié à l’utilisation d’outils portatifs vibrants est prioritaire par rapport à l’exposition des conducteurs d’engins de chantier. Pour compléter cela, un établissement de temps limite d’utilisation par outil, et un système de comptabilisation pour les expositions multiples peuvent être envisagés, pour veiller au respect de la valeur limite réglementaire. 3 Conclusion La réalisation d’une évaluation des risques liés aux vibrations, la plus pertinente et la plus efficace possible, est une obligation réglementaire, mais présente également un intérêt humain et financier pour l’entreprise, surtout pour celles fortement concernées par ce risque. Dès lors, la problématique de la méthodologie apparait, pour les entreprises du secteur du Bâtiment et des Travaux Publics en particulier, où le risque lié aux vibrations est bien réel et massif. Les démarches existantes ne tiennent pas compte de la variabilité des émissions vibratoires des équipements en fonction des activités, ni de la variabilité des tâches journalières et des méthodes de travail, propres à ce secteur d’activités. Il semblait donc nécessaire d’adapter les outils existants aux réalités des conditions de travail en entreprises. Colloque “Bruit et vibrations au travail” – 2 au 4 mars 2011 – Paris – FRANCE -5 Une démarche a été proposée et mise en pratique dans la société de travaux hydrauliques Sogea Est. Cela a permis de répondre à la difficulté de connaitre les émissions réelles des équipements, par des mesures directes sur chantier. Un système de cotation spécifique a aussi été développé afin d’identifier les priorités d’actions et ainsi de mieux gérer l’évaluation des risques liés aux vibrations. Des limites demeurent toutefois, notamment dans la gestion des expositions multiples. La méthode proposée a malgré tout permis de dégager des pistes d’actions et de les prioriser. Les résultats obtenus, dans l’entreprise Sogea Est, ont encouragé l’extension de la démarche à d’autres entités du groupe Vinci Construction France. Références (dans l’ordre d’apparition dans le texte) [1] Parlement Européen et Conseil, 25 juin 2002, journal officiel des communautés européennes, directive 2002/44/CE [2] Ministère de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement, 5 juillet 2005, journal officiel de la république française, décret n° 2005-746 [3] CNAMTS/DRP, rapport 2008, Chiffres clefs de la sinistralité : branche AT/MP 2008 [4] Liebherr, avril 2006, Vibrations transmises à l’ensemble du corps - Instructions de transposition de la directive 2002/44/CE pour les engins de terrassement (notice logiciel) [5] Commission européenne, 2006, guide des bonnes pratiques en matière de vibrations globales du corps et guide des bonnes pratiques en matière de vibrations main-bras er [6] Boulanger P., Donati P. (INRS), 1 trimestre 1996, L’environnement vibratoire aux postes de conduite des mini-engins de chantier, Cahiers de notes documentaires n°162 [7] Donati P. et Bitsch J. (INRS), mai 1991, Prévention des vibrations engendrées par les èmes journées nationales de médecine du travail BTP machines portatives, communication 12 Colloque “Bruit et vibrations au travail” – 2 au 4 mars 2011 – Paris – FRANCE -6