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1 Les mouvements littéraires aux XVI
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e
et XVIIe siècles
! page 13 du manuel
Portrait du marchand Georg Gisze, 1532,
Hans Holbein (1497-1543),
96,3 x 85,7 cm, Berlin, Allemagne
Le peintre
Hans Holbein, le Jeune (1497-1543)
• Artiste allemand de la Renaissance, Holbein fut l’un des plus grands portraitistes
de son temps. Il naquit à Augsbourg, en Bavière. Dès son plus jeune âge, il étudia la peinture avec son père, Hans Holbein l’Ancien, portraitiste de talent de la
grande tradition flamande.
• Vers 1515, Holbein le Jeune partit avec son frère aîné Ambrosius (également
peintre) pour Bâle, en Suisse, où il se fit rapidement connaître comme illustrateur
de livres. Il créa de nombreuses gravures pour des frontispices et acheva une série
de planches à l’encre pour l’Éloge de la folie de l’humaniste hollandais Érasme,
avec qui il se lia d’amitié par l’intermédiaire de l’imprimeur Froben.
• Lors d’un probable voyage en Italie en 1518, Holbein découvrit les œuvres des
peintres de la Renaissance Andréa Mantegna et Léonard de Vinci. Cette influence
italienne transparaît dans ses premiers portraits (Érasme de Rotterdam, 1523,
musée du Louvre, Paris).
• 1523-1526 : les guerres civiles provoquées par les conséquences politiques de
la Réforme contraignirent Holbein à partir pour l’Angleterre afin d’y chercher de
nouvelles commandes. Arrivé en 1526 avec des lettres d’introduction signées par
Érasme, devenu son ami et mécène, Holbein fut engagé pour réaliser le portrait
de plusieurs grands Humanistes de cette époque.
• Il partit à Bâle en 1528, pour s’installer de nouveau en Angleterre en 1532. Son
portrait de Thomas Cromwell (aujourd’hui disparu) lui valut la reconnaissance
de la cour et, à partir de 1536, il devint le peintre officiel d’Henri VIII.
• Holbein mourut à Londres en 1543 lors d’une épidémie de peste.
Le tableau
Pour ancrer celui-ci dans un contexte littéraire, on demandera aux élèves de lire
le texte d’Érasme (p. 14 du manuel), celui de Thomas More (p. 16 du manuel) et
la partie intitulée Esthétique et politique, un même combat de la fiche d’histoire
littéraire sur l’Humanisme (pp. 28-29).
Commençons par la représentation du personnage et les informations écrites
données sur lui.
• Holbein a représenté un marchand de Danzig établi à Londres. Nous voyons
celui-ci dans son comptoir, la « skrivekamere », en train de décacheter une lettre. Sur le papier plié, on peut lire l’adresse inscrite : « Dem erszamen Jergen Gisze
tu Lunden In Engeland Mynem broder to handen. » (À l’honoré Jergen Gisze
à Londres en Angleterre Aux mains de mon frère).
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• Pour la séance de pose, Gisze est vêtu d’une chemise blanche sous un pourpoint
de soie rouge et d’une veste noire à manches mi-longues. D’un côté, Holbein met
l’accent sur les bras qui, avec la veste ample et l’ombre noire derrière le marchand, donnent de l’ampleur et du volume à la silhouette. D’un autre côté, il
enferme son personnage dans le coin d’une pièce, le coince entre la table et la
paroi lambrissée que son coude gauche semble heurter.
• Montrer l’homme, c’est en effet le montrer dans ses contradictions. Cette représentation est symbolique de la double situation de ce marchand : à la fois traduisant la puissance, le prestige propre à la Ligue hanséatique* à laquelle il
appartient et la vie des marchands à l’étranger obligés de vivre dans une prison
« dorée ». D’où le trousseau de clés pendant à la ceinture de Gisze, par crainte
des voleurs.
• L’inscription sur papier blanc fixée à la paroi indique que Gisze était dans sa
trente-quatrième année (« Distique sur le portrait de Georg Gisze. Ce que tu vois
ici, montre bien les traits et l’image de Georg ; son œil est aussi vif, ses joues sont
bien ainsi faites. Dans sa trente quatrième année en l’an 1532. »). Le peintre, né
en 1497 à Augsbourg, avait à peu près le même âge que son modèle. Holbein,
artiste libre, dont le principal appui, Thomas More (voir la rubrique « texte et
contexte », p. 16 du manuel), venait d’être décapité, côtoyait surtout ses compatriotes vivant au Stalhof (un groupe de bâtiments situé sur la rive de la Tamise à
Londres et doté d’une unique porte d’entrée, verrouillée le soir). En 1532 et dans
les années qui suivirent, Holbein fit le portrait d’une douzaine de marchands allemands établis à Londres, Gisze ayant sans doute été le premier. Les marchands y
voyaient aussi leur intérêt propre, celui d’acquérir des tableaux à bon marché !
L’inscription en latin certifiant que le tableau représentait bien Georg Gisze, n’avait rien d’insolite, mais ce qui nous intéresse, c’est que Gisze voulait faire savoir
à la postérité que ses joues et ses yeux étaient réellement comme ils ont été peints.
Peindre la Nature, voilà bien une préoccupation de la Renaissance.
Dans quel cadre Gisze est-il peint ?
• Le tapis d’Orient qui recouvre la table de Gisze et qui est sans doute parvenu en
Europe en passant par Venise, n’était pas destiné à des travaux d’écriture mais
montre qu’il y avait assez d’argent pour embellir les « skrivekamere ». Peut-être
devait-il aussi rendre la pièce plus confortable car les marchands y passaient
aussi la nuit. Le vase de fleurs et la boule précieusement décorée qui contient du
cordon agrémentent la pièce. Ce n’est pas un hasard si une horloge de table,
dotée d’une seule aiguille sur le cadran placé en haut, est posée sur le tapis. La
population vivait encore au rythme de la sonnerie des cloches des églises et des
hôtels de ville. Les nouvelles montres transportables, en revanche, fonctionnaient
à l’aide de ressorts d’acier. Elles n’étaient pas très précises mais satisfaisaient les
instincts ludiques, faisant aussi comprendre que leur propriétaire était ouvert à
tout ce qui était nouveau et pouvait s’offrir ce petit miracle de la technique.
Ouverture à ce qui est nouveau, voilà un autre trait illustrant l’Humanisme.
• À côté de l’horloge de table se trouve un cachet, un petit sceau avec lequel on
imprimait une marque sur la cire ou la laque. Un autre cachet, plus décoratif et
muni d’une boule d’ambre est suspendu à l’étagère de gauche. Sur la table, nous
* Le Moyen Âge est marqué par le développement de flottes de commerce dans la mer du Nord et la
Baltique. Les commerçants de villes telles que Hambourg, Brême, Lubeck colportent dans ces régions laines
et peaux de Russie, dentelles et draps d’Angleterre, huiles scandinaves : ils se groupent vers 1250 pour
former la puissante Ligue hanséatique, syndicat professionnel chargé d’assurer la défense commune de villes
membres contre les « pillards de mer et de terre » et qui acquiert en fait une indépendance quasi totale
vis-à-vis des autorités terrestres (elle la conservera jusqu’au XVe s.).
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voyons encore des plumes d’oie, une boîte ronde remplie de pièces de monnaie ou
de petites plaques de cire et de barres de laque, à côté une autre dotée de petits
trous avec laquelle on verse du sable fin sur des écrits dont l’encre est encore
humide. La paire de ciseaux a pris de l’importance à cause de certains contrats,
dont le texte était écrit deux fois – un en dessous de l’autre – sur la même page.
Chaque contractant recevait une partie de la feuille coupée en deux en formant
une dentelure. En cas de litige, on vérifiait si les bords crantés des documents correspondaient.
• Nous retrouvons tous ces instruments sur les tableaux d’autres peintres, même
la bague à cacheter qui se trouve à côté de la boîte à monnaie. Mais Holbein
est le seul à avoir peint trois ou quatre de ces bagues sur le même tableau. L’une
d’elles orne vraisemblablement l’index du marchand, deux autres sont suspendues
à l’étagère. La présence des sceaux et des bagues à cacheter dans ce comptoir
révèle l’importance des contrats à cette époque. On trouve aussi, dans ce tableau,
des lettres que le marchand voulait avoir sous la main.
• Quelle langue utilisait-on ? À l’époque de Holbein, la langue change à cause de
la Réforme : les marchands parlaient anglais, russe et nouveau haut allemand
depuis peu (remplaçant le bas allemand moyen) que l’on écrivait d’ailleurs
comme on l’entendait ! Le latin quant à lui, avec ses règles valables au-delà des
frontières linguistiques nationales, était disponible en cas de discussions juridiques, quand il s’agissait de théologie, de sciences et de requêtes aux autorités.
On peut supposer que Gisze et Holbein le comprenaient. En tout cas, c’est cette
langue noble que le marchand a utilisée – indépendamment des lettres –, pour
parler de lui-même ; le carton blanc dans la partie supérieure du tableau ou le
papier sur le mur à gauche près de la balance en sont la preuve. On peut lire ici,
délicatement tracée et signée de son nom, l’inscription « Nulla sine merore
voluptas », « Pas de joie sans souci ». Holbein ne se contente pas de représenter
Gisze professionnellement ; il lui attache une réflexion sur la vie.
• Le vase et les fleurs sont aussi des éléments du portrait qui n’ont manifestement
rien à voir avec le métier de l’homme représenté, d’ailleurs la situation périlleuse
où ils se trouvent, entre son coude et le coin de la table, renforce l’impression
qu’ils ne sont pas aussi « réels » que les objets utilitaires qui l’entourent. On
dirait un tableau intégré ultérieurement au tableau : de ce vase, de ces fleurs, de
l’étoffe drapée à l’arrière-plan, Holbein fait un délice visuel d’un genre particulier,
comme s’il voulait montrer que de cela aussi il est ca-pable, lorsqu’il est libéré de
ses devoirs de chroniqueur.
• Cette sublimation esthétique correspond à une sublimation sur le plan de
la signification : les œillets symbolisent les souffrances du Christ, et aussi
l’amour, la pureté et la fidélité. Ils étaient considérés comme les fleurs des fiançailles et donnent des dimensions nouvelles, d’ordre privé et transcendant, à la
sobre pièce. En effet, Gisze s’étant marié en 1535 à Danzig, il était peut-être déjà
fiancé et voulait envoyer le portrait à sa promise.
Comme on le voit, le talent de Holbein est l’exactitude de son regard sur les choses et les visages. C’est le respect de l’homme, tel qu’il est. N’est-ce pas l’esprit de
l’Humanisme ?
Pour aller plus loin
Se reporter au livre Les Dessous des chefs-d’œuvre, tome 2, éditions Taschen,
dont proviennent certaines de ces informations.
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