La mixité va-t-elle de soi en primaire
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La mixité va-t-elle de soi en primaire
Le groupe de travail Recherche de l’Usep interroge la notion de mixité à l’école primaire. En complément, l’éclairage du chercheur Daniel Motta. Philippe Brenot éducation La mixité va-t-elle de soi en primaire ? a pratique sportive mixte (garçons-filles) est depuis longtemps de mise à l’Usep. Pour autant, les apports et les contraintes liés à cette mixité sont très rarement questionnés. De même, les recherches universitaires développées sur le sujet se réfèrent essentiellement au second degré et n’évoquent qu’incidemment la possibilité de proposer en EPS, à l’école ou dans le sport scolaire Usep, des activités plus féminines ou donnant sa place à chacun. Nous avons donc décidé d’interroger le lieu commun selon lequel «la mixité va de soi à l’école primaire». Le constat n’est évidemment pas si simple. Par exemple, imposer un minimum de deux filles dans une équipe de rugby suffit-il à assurer une véritable mixité? Plus largement, cela peut-il constituer une réponse suffisante à notre souci d’aller au-delà des représentations communément admises? Nous ne le croyons pas. L PARADOXES La pratique pédagogique quotidienne met en outre en évidence quelques paradoxes. Dans l’activité rugby ou «balle ovale», certaines filles se révèlent bien «meilleures» que des garçons: plus vives, plus efficaces dans le jeu et même plus «combattantes», car ne rechignant pas à l’engagement physique exigé par ce sport de contact. De même, en danse, des garçons de cycle 3 (CE2-CM1-CM2) investissent l’activité sur un mode créatif remarquable et produisent une motricité de type esthétique et artistique inattendue. Il y a donc parfois confusion entre le sexe (physiologique) et le genre (anthropologique), c’est-à-dire entre le biologique et le social, entre les évidences physiques et les normes construites par la société. Par ailleurs, les enseignants des écoles sont en grande majorité des «enseignantes»: sont-elles pour autant les vecteurs de valeurs, de pratiques et d’attitudes purement féminines? Dans le même temps, l’Usep propose à travers ses animateurs une dominante masculine et un éventail de pratiques sociales plutôt marquées ou connotées de valeurs masculines. On peut donc se demander s’il existe des approches didactiques «féminine» et «masculine» instaurant un rapport différent Rencontre rugby, automne 2005. aux activités physiques – et au monde –, avec des enjeux et des contenus spécifiques. La référence aux pratiques sociales et sportives les plus «classiques» peut ainsi occulter certains modes de pratique et imposer les dimensions de compétition et de performance (a priori masculines) au détriment de celles de coopération et de réalisation de soi (censées être plus féminines). Les stéréotypes ont la vie dure et les représentations véhiculées – souvent de manière inconsciente – par les formateurs, les enseignants, les parents et les enfants eux-mêmes ne se modifient pas sur une simple injonction. Les valeurs s’inculquent par ce qui se dit, se fait, se montre, s’éprouve: quelle répartition spatiale dans la cour d’école entre filles et garçons? Qui est capitaine de l’équipe? Qui joue gardien? Qui est remplaçant(e)? Qui arbitre? Quelles filles se mêlent vraiment au jeu des garçons? DONNER DES OUTILS L’intérêt d’un tel questionnement sur la mixité est de connaître et de partager des modes de pratique éventuellement différents et d’armer d’«outils de vigilance» les enseignants, les animateurs et tous les autres adultes, au nom des activités sportives et physiques mais aussi d’une éducation aux valeurs, à la connaissance et la reconnaissance de l’autre et du monde. L’Usep et l’école primaire ont peut-être là à explorer une voie originale.● JEAN-PIERRE RUMIN, GT RECHERCHE Décembre 2007 en jeu une autre idée du sport n°412 15 « L’école se pose tardivement la question » DR Le point de vue de Daniel Motta, spécialiste des questions de mixité, à partir de travaux menés dans le second degré. hercheur à l’Institut national de la recherche pédagogique (INRP), Daniel Motta y anime avec Geneviève Cogérino et Thierry Terret une structure pluridisciplinaire «genreéducation-corps» qui aborde le thème de la mixité autant sous l’angle historique et institutionnel que sous celui des pratiques d’enseignement. Sa problématique peut se résumer par la question: en quoi les contenus d’EPS peuvent-ils contribuer à la construction identitaire? Il y a quelques semaines, Daniel Motta est venu faire profiter le groupe Recherche de l’Usep de cette expertise, basée sur le second degré. Extraits. Les questions de genre sont des questions de société. «L’école se pose tardivement les questions de la mixité, et elle le fait en interrogeant l’évidence suivante: de la mixité résulte l’égalité (ce qui a fonctionné pour les filles dans les résultats scolaires mais pas dans les orientations). Dans l’Éducation nationale la mixité a d’abord été mise en place pour des raisons d’économies, et les pratiques mixtes en éducation physique et sportive apparaissent encore plus tardivement, freinées par la référence aux pratiques fédérales (compétitions séparées, règlements et barèmes différents…). On s’interroge aujourd’hui sur les atouts et les limites de la mixité, notamment en EPS, alors que celle-ci élargit ses références à des pratiques de loisir et de santé plus ”mixtes”. Plus généralement, les questions de genre renvoient à des réalités et des mentalités qui évoluent, au sein de la société, de la famille et de l’école (représentations des enseignants et des éducateurs). Il faut donc penser ces questions en ”dynamique”». L’EPS et le corps. «En EPS, il est fait référence aux pratiques sociales évolutives que sont les activités culturelles sportives, lesquelles exaltent à l’origine l’opposition entre les stéréotypes de virilité et de féminité. L’enseignant est un praticien qui doit s’accommoder de corps réels et en concevoir les transformations en fonction de déterminismes biologiques mais aussi des valeurs de l’école: quelle prise en compte des différences filles/garçons dans le traitement des activités physiques, spor- C tives et artistiques (Apsa)? En même temps la question du corps est difficile à gérer socialement, qu’il y ait séparation des sexes ou pas. Par ailleurs Il ne suffit pas de mettre ensemble les filles et les garçons pour réaliser l’égalité. Par exemple, les interactions entre l’enseignant et les élèves sont différentes selon les sexes, de même que les interrelations entre élèves.» Rapport entre logique de l’activité et motricité. «À première vue le geste sportif est souvent chargé de symbolique virile. Mais en réalité sa réussite dépend aussi d’une sensibilité fine, plus «féminine» et moins mise en valeur. Par exemple le lancer de javelot est «guerrier», pénétrant, fort, explosif, mais il implique une conduite délicate de l’engin, une perception de l’air et la symbolique de légèreté. La passe d’un rugbyman peut également être très subtile et «féminine» (la feinte est féminine et une image au ralenti renvoie à la beauté et à l’ambivalence du geste) tandis qu’en escalade le risque et la sécurité doivent être conciliés. Le principe que nous retenons est que les contenus de l’EPS doivent permettre aux élèves, filles et garçons, «masculins» et «féminins», d’expérimenter la totalité du spectre physique du féminin et du masculin, afin de trouver la composition identitaire qui leur convient.» Responsabilité de l’école. «C’est à l’école qu’incombe largement la responsabilité de l’apprentissage de l’égalité sociale. Les enfants et les adolescents sont confrontés – c’est le moins qu’on puisse dire – au fait qu’un garçon et une fille, ça n’est pas pareil. Mais ces différences visibles ne peuvent justifier aucune hiérarchie entre les sexes» (1).● (1) En écho aux propos de Daniel Motta, on citera sur ce même thème cet extrait de la Lettre pour l’éducation et à la non violence et à la paix, sous le titre «Les genres, vers l’égalité entre filles et garçons: «Apprendre qu’il peut y avoir distinction sans domination et que les dissemblables peuvent jouir d’une parfaite égalité, c’est bien faire la preuve qu’elles peuvent coexister pacifiquement. Et quand cette coexistence pacifique trouve son parachèvement dans l’invention d’une complémentarité, c'est-à-dire la réalisation de l’un grâce à l’autre, cela s’appelle la mixité.» (Lettre n°5, 5 février 2005) REPÈRES Le sexe est une distinction qui repose sur des bases génétiques. La référence n’est plus l’homme ou la femme mais le genre, L’identité sexuelle se construit vers trois ans et consiste en masculin ou féminin, à l’intérieur duquel chaque individu évo- l’identification de son propre sexe et de celui des autres. La lue. Sexe et genre sont à appréhender en relation avec une troi- prise de conscience de la constance du sexe survient, elle, vers sième notion, celle de l’orientation sexuelle. 5-6 ans, période à laquelle les enfants comprennent que le sexe L’orientation sexuelle, parfois nommée « préférence sexuelle » ne change pas malgré l’apparence physique. caractérise l’objet des «désirs» amoureux ou érotiques d’une per- La notion de sexe est à la fois liée et distincte de la notion de sonne : être hétérosexuel, homosexuel, bisexuel... genre. Les stéréotypes – opinions toutes faites réduisant les singulari- Le genre : il ne s’agit pas ici du genre humain ni du genre gram- tés – ont souvent une connotation négative mais donnent des réfé- matical mais du genre au niveau des êtres humains. Le genre rences implicites et nécessaires. Les enfants fonctionnent avec ne se situe pas dans les évidences physiques mais dans les des stéréotypes qui peuvent être utilisés sur un plan éducatif, l’ob- normes construites par la société à partir de celles-ci. Le genre jectif étant qu’ils ne s’enferment pas dans ces stéréotypes ni ne est la façon qu’a une société de penser la différence des sexes. laissent s’installer de domination entre les filles et les garçons. 16 Décembre 2007 en jeu une autre idée du sport n°412 Quelques références Pour aller plus loin, deux ouvrages sur la mixité dans les cours d’EPS du second degré et les références de divers travaux dans lesquels piocher. LA MIXITÉ EN EPS La Mixité en éducation physique s’adresse aux enseignants du second degré et s’appuie sur l’analyse de leurs pratiques. Il ne nous interroge pas moins sur la façon de faire vivre l’EPS à l’école primaire, là où justement mixité et genre semblent aller de soi, et où bien souvent la réponse apportée par un encadrement particulièrement féminisé est de constituer des équipes avec «autant de filles que de garçons». Mais que se joue-t-il réellement lors des séances d’EPS et lors des rencontres Usep, là où le corps est mis en jeu et où les pratiques de références ne sont pas neutres. Si une analyse fine des pratiques d’enseignement et des contenus d’enseignement serait nécessaire pour prendre en compte les spécificités du premier degré, certaines interrogations formulées dans cet ouvrage sont partagées par le primaire. Comment les situations en EPS permettent-elles de faire participer ou réussir différemment filles ou garçons? Quels rôles peuvent alors jouer les contenus d’enseignement et les régulations mises en place par l’enseignant? Quels sont les multiples aspects de la transmission du genre en EPS? Les auteures interrogent également la mixité comme voie d’intériorisation de rôles sociaux et de stéréotypes: une expérience subjective qui polarise l’impact d’autres paramètres sur les situations d’apprentissage en EPS, laquelle véhicule souvent des valeurs sportives dominantes. Elles s’attachent également à montrer à travers l’activité danse la volonté «de faire vivre simultanément et sans hiérarchie, la dimension féminine et la dimension masculine de l’engagement corporel pour chaque élève».● PASCALE PORTENART La Mixité en éducation physique (paroles, réussites, différenciations), coordonné par Geneviève Cogérino, éditions Revue EPS, 192 p., 24,50 €. PRATIQUES ET REPRÉSENTATIONS Pratiques et représentation de la mixité en EPS est la synthèse d’une vaste enquête menée auprès de 2500 enseignants d’éducation physique et sportive. L’ouvrage restitue tout d’abord le débat sur la mixité dans ses enjeux sociaux, pédagogiques et scientifiques, ceci à partir d’une approche historique. Il relève les résistances à une mise en pratique et à une réflexion sur la mixité en EPS: références au sport fédéral, où les sexes sont séparés, et recherche d’homogénéité dans les groupes d’élèves. On y apprend aussi que le Parlement de Strasbourg a demandé en 2003 aux Etats membres de l’Union européenne «d’assurer la formation des enseignants et des enseignantes d’éducation physique et sportive sur la question de la mixité et du genre par l’intégration de cette dimension dans leurs formations, et de sensibiliser les parents aux effets réducteurs des stéréotypes». Cette résolution intitulée «Femmes et sport» souligne notamment «l’im- portance de donner aux enfants la possibilité de se retrouver en situation de mixité sportive dès la maternelle et le primaire et invite les écoles, les clubs, les associations et les collectivités territoriales à développer des projets pilotes en la matière». Les autres chapitres abordent les représentations des enseignants au regard des pratiques qu’ils déclarent, l’influence des caractéristiques des établissements, du profil des enseignants et de l’image et du rôle des différentes activités physiques, sportives et artistiques. « Tout indique qu’il ne suffit pas de mettre des filles et des garçons ensemble dans une classe pour régler la question de l’équité entre les sexes», concluent les auteurs. Et si la mixité à l’école est susceptible de créer des effets discriminants entre élèves des deux sexes, elle est tout autant un formidable point d’appui de l’enseignant pour travailler l’ordre du genre et en réduire les effets les plus hiérarchisants à partir du moment où la mixité existe, où les adultes jettent un regard lucide sur leur trajectoire personnelle, et où le postulat de « l’éducabilité des élèves » est posé en matière de genre. Alors la mixité peut ne plus être subie et devenir une variable didactique explicite. ● P.P. Pratiques et représentations de la mixité en EPS, sous la direction de Thierry Terret, Geneviève Cogérino, Isabelle Rogowski, éditions Revue EPS, coll. Recherche et formation, 184 p., 22 €. AUTRES DOCUMENTS • « À quoi joues-tu?», mallette pédagogique des Ceméa (Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active / www.cemea.asso.fr). • En jeu n°335 janvier 2000 (dossier « Le foot au féminin »), n° 343 novembre 2000 (dossier « Clubs, fédérations : où sont les femmes? »), n°361 septembre 2002 (dossier «Mixité, sport de fille, sport de garçon?»), n°408 juin 2007 (dossier « Homosexualité : l’exclusion silencieuse »). « Genre et éducation pour tous : le pari de l’égalité », résumé du rapport mondial de suivi de « l’Education Pour Tous », éditions de l’Unesco. • « Les genres, vers l’égalité entre filles et garçons », Lettre pour l’éducation à la non violence et à la paix, n°5 février 2005. • « Les p’tits égaux », répertoire d’activités pour la promotion des conduites non sexistes entre filles et garçons de grande section de maternelle au CM2 (www.lesptitsegaux.org) • « Filles et garçons à l’école, sur le chemin de l’égalité », Direction générale de l’Enseignement scolaire, Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance de mars 2007 (sur www.education.gouv) • «Égalité des filles et des garçons» (http://eduscol.education.fr/D0234/accueil.htm) • «L’éducation à la sexualité en milieu scolaire: les principes applicables» sur le site http://eduscol.education.fr • «EPS et mixité: des contenus pour l’éducation à l’égalité entre les sexes», Daniel Motta et Fabienne Raimbault, Actes de l’Université sportive Ufolep-Usep, Carcans-Maubuisson, 2002. Décembre 2007 en jeu une autre idée du sport n°412 17