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L’URSS ET L’EUROPE COMMUNAUTAIRE
Les enjeux identitaires, 1957-1991
Marie-Pierre REY
Alors que tout au long de la période tsariste, la question de l’identité russe n’a cessé,
pour les décideurs comme pour les élites de Russie de se confondre avec la question
passionnelle du rapport à l’Europe1, la révolution d’Octobre 1917 paraît changer la donne :
pour la première fois de son histoire, la Russie n’a plus à se situer en référence à une
Europe occidentale tour à tour mythifiée, adulée ou haïe mais elle devient elle-même
un modèle idéologique et politique par rapport auquel l’Europe doit se déterminer.
En Europe occidentale, l’heure est alors aux compagnons de route2 , aux croyants qui
assistent avec passion à l’avènement du nouveau régime soviétique et croient à son
caractère universel; et en Russie, les décideurs soviétiques, fiers d’incarner un avenir
révolutionnaire appelé à rayonner au-delà des frontières nationales, revendiquent cette
“inversion” idéologique3.
Pourtant, dans le même temps, l’Europe reste toujours une référence indépassable :
à l’heure des espérances utopiques, c’est en terre européenne que les décideurs
soviétiques imaginent l’avenir de la révolution et plus tard, lorsqu’à l’apogée du
totalitarisme stalinien, l’heure est à la “puissance” soviétique, l’Europe sert encore de
norme implicite, d’aune par rapport à laquelle la Russie soviétique mesure son retard
et doit se modeler4. Mais elle constitue aussi une source de menace. Pour Staline,
alors que les Etats-Unis ne s’apparentent qu’à une entité abstraite et finalement peu
agressive, l’Europe, de l’intervention étrangère des années 1918-20 à l’opération
Barbarossa de juin 1941, apparaît toujours comme un continent hostile contre lequel
il faut se prémunir. Et au lendemain de la Seconde guerre mondiale, c’est bien cette
vision inquiète qui conditionne les pratiques diplomatiques soviétiques et pousse
Staline à revendiquer et à installer, au mépris des droits des peuples d’Europe centrale
et orientale à disposer d’eux-mêmes, un glacis territorial protecteur qui “éloigne”
l’URSS de l’Europe occidentale.
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Marie-Pierre REY
Que deviennent ces représentations au fil des années 1957-91 ? Au moment où
l’URSS devient une puissance mondiale, présente sur tous les continents et où l’Europe
occidentale s’engage dans l’aventure communautaire, le rapport passionnel à l’Europe
entretenu par les élites dirigeantes5 russes évolue-t-il ? La question de l’identité russe
s’en trouve-t-elle modifiée ?
I. LES DÉCIDEURS SOVIÉTIQUES ET L’EUROPE COMMUNAUTAIRE DE 1957 AU
MILIEU DES ANNÉES 60, UN ANTAGONISME DE PRINCIPE
Dès 1956-57, la nouvelle équipe au pouvoir dominée par Khrouchtchev affirme
sa volonté géopolitique, diplomatique et culturelle d’être présente et active sur tous
les continents. Désormais, l’URSS se veut mondiale par son influence et sa capacité
d’action militaire et stratégique. Comme le revendique Souslov lors du XXe congrès
du PCUS, “il n’y a aucun problème international intéressant les peuples du monde,
dans lequel durant ces dernières années, l’URSS n’ait été amenée à se prononcer et à
la solution duquel elle n’ait participé”. Dès lors, à partir du milieu des années 50, les
décideurs soviétiques ne cessent plus de regarder vers les Etats-Unis pour prendre la
mesure de leur puissance et vers le Tiers-monde pour estimer leur capacité d’influence
et de rayonnement; dans le même temps, le théâtre européen semble relégué à
l’arrière-plan : la rivalité mondiale américano-soviétique continue certes, de manière
récurrente, de se dérouler en Europe6; mais la guerre froide se joue de manière plus
systématique dans les pays en voie de décolonisation où la propagande messianique
et les appels répétés de l’Etat soviétique à la lutte contre l’impérialisme conduisent
au fil des années 60 et plus encore au fil des années 70 à la constitution d’un réseau
de plus en plus étendu d’Etats clients de l’URSS.
Ces nouvelles données géopolitiques contribuent à modifier sensiblement le rapport
à l’Europe entretenu par les décideurs soviétiques : hissée au rang de super puissance par
la Seconde guerre mondiale et la guerre froide, l’URSS déstalinisée tourne résolument
le dos à son destin européen et loin de se reconnaître dans une identité européenne,
affirme au contraire la vocation universelle de son modèle socio-politique. Dans ce
contexte, c’est donc en observateurs extérieurs que les décideurs soviétiques assistent à
la naissance de l’aventure communautaire. Or, ils portent d’emblée sur elle un jugement
négatif, empreint de stéréotypes dans lesquels on repère des images marquées au sceau
de la guerre froide et d’autres, plus anciennes, héritées de la période tsariste.
1. Des stéréotypes idéologiques marqués au sceau de la guerre froide
Dès la signature des traités de Rome, la CEE, “reflet de l’Europe des trusts et des
monopoles capitalistes”7, est perçue comme l’expression de la mainmise américaine
sur l’économie ouest-européenne, tandis que l’EURATOM se réduit à n’être qu’une
structure financée par les Etats-Unis8. Groupement politique totalement inféodé à
l’OTAN, la CEE ne peut en conséquence prétendre à aucune spécificité, de quelque
nature que ce soit. En atteste en août 1962, la publication des 32 thèses intitulées
“De l’intégration impérialiste en Europe occidentale”, qui affirment :
La Communauté économique européenne est apparue après que le bloc agressif
de l’Atlantique nord a vu le jour et a déployé son activité subversive. Le Marché
Commun, dont tous les membres appartiennent en même temps à l’OTAN, s’est
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L'URSS et l'Europe communautaire, les enjeux identitaires, 1957-1991
transformé en base économique de ce bloc en Europe; quant à l’EURATOM,
créé en même temps que le Marché Commun comme une partie constitutive de
l’intégration, il est devenu une organisation servant les besoins de l’industrie
atomique des pays de la Communauté, et en premier lieu de la France et de la
République fédérale allemande9 .
Soumise à l’OTAN, la Communauté européenne est également décrite comme
le lieu privilégié du rétablissement de la puissance allemande, sur un plan militaire
comme économique. Dès février 1957, La Pravda affirme à propos de la CEE et de
l’EURATOM que “leur réalisation signifierait un nouveau pas dangereux sur la voie du
rétablissement de la domination des monopoles allemands en Europe occidentale”10.
Instrument politique de l’OTAN et de l’Allemagne Fédérale, la CEE est aussi
dénoncée au nom de considérations plus proprement économiques : pour les dirigeants
soviétiques, elle représente une entrave au libre développement des échanges, alors que
“l’Union soviétique et les autres pays socialistes rejettent la politique de discrimination
des unions économiques fermées”11.
Toutes négatives, ces représentations se doublent d’une incapacité à comprendre
la véritable nature du projet communautaire :
Pour les observateurs du Département International du Comité central, l’aventure
ouest-européenne, artificielle et dépourvue de toute “réalité historique” ne peut s’inscrire
dans la durée puisque les oppositions structurelles entre pays capitalistes la condamnent
inexorablement. Dans le rapport qu’il rédige le 20 juillet 1959 en vue de l’élaboration du
futur programme du PCUS, Boris Ponomarev, Directeur du Département International
du Comité central, affirme que les pays ouest-européens sont, du fait même de la
similitude de leurs économies, exposés à des rivalités aiguës et que, par là même, leur
union ne peut être que vouée à l’échec12. Incapables de percevoir la logique économique
qui sous-tend la création de la CEE, les élites dirigeantes soviétiques sont tout autant
incapables d’en saisir la logique politique : les archives soviétiques consultées pour
cette période sont muettes sur le rôle des “pères fondateurs” de l’Europe et sur leur
ambition d’en finir avec les déchirements de la Seconde guerre mondiale : le pacifisme
du projet ouest-européen n’est pas pris en compte par les décideurs soviétiques qui
préfèrent s’en tenir à une représentation conditionnée par la guerre froide.
Ces représentations empreintes de schémas marxistes-léninistes et de références
tacites à la Seconde guerre mondiale se doublent de considérations de type culturel
voire moral, qui ne sont pas sans rappeler des topoi hérités de la période tsariste.
2. Des jugements culturels et moraux inscrits dans une tradition séculaire
Plusieurs documents mettent en effet l’accent sur l’infériorité morale et culturelle
du “modèle” ouest-européen et affichent un net mépris pour ce dernier. C’est le cas de
la longue lettre adressée le 5 juin 1958 par Evguéni Varga à Boris Ponomarev, dans
laquelle l’économiste brosse un tableau très critique des sociétés ouest-européennes, à
ses yeux marquées par “le poids de la religion, du chauvinisme national et de l’idéologie
petit-bourgeoise”13. Le “poids de la religion” fait ici naturellement écho à l’athéisme
militant du régime soviétique et à son refus de l’“obscurantisme” religieux; péjoratif,
le terme de “chauvinisme national”, substitut du terme “nationalisme”, permet aux
Soviétiques nourris de culture internationaliste d’exprimer leur rejet des réalités
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nationales européennes, toujours perçues comme égoïstes et dangereuses; enfin, il faut
souligner l’utilisation de l’adjectif “petit-bourgeois”. Péjoratif dans la culture russe depuis
le dernier tiers du XIXe siècle14, il renvoie au mélange de petitesse, de mesquinerie et
de médiocrité égoïste, censé caractériser les sociétés ouest-européennes, et permet une
fois encore d’opposer l’Europe dégénérée à l’Europe soviétisée, porteuse de modernité
et de générosité. L’on retrouve ici un cliché moral ancré dans une histoire ancienne, – la
représentation d’une Europe occidentale mesquine et décadente constituant en effet
un topos du discours slavophile du XIXe siècle.
Nuisible sur le plan géopolitique et moral et condamnée à l’échec sur le plan
économique, l’aventure ouest-européenne ne suscite alors en écho qu’un activisme
cherchant à la discréditer et à la contrecarrer par des appels répétés à la solidarité paneuropéenne15. Les décideurs soviétiques restent donc campés dans la représentation
et la conviction d’un socialisme par essence supérieur au capitalisme et pour eux, il
n’y a pas lieu d’esquisser la moindre concession à l’égard d’une communauté ouesteuropéenne perçue comme fondamentalement étrangère au destin soviétique. Toutefois,
dans les années qui suivent, l’essor des relations soviéto-ouest-européennes contribue
à modifier quelque peu ces représentations.
II. 1965-1985, L’URSS ET LA CEE, D’UN RAPPROCHEMENT DE CIRCONSTANCE
AUX PREMIÈRES REMISES EN CAUSE
Alors que la période khrouchtchevienne restait largement structurée par une grille
d’analyse marxiste-léniniste et un certain idéalisme utopique, la situation évolue à partir
de la fin des années 60. Le 7 janvier 1969, le discours prononcé par Brejnev en tant
que secrétaire général du PCUS témoigne nettement de ce changement de perspective.
Certes, le leader soviétique rappelle en disciple de Marx et de Lénine, l’“agressivité”
naturelle des pays occidentaux et fait de l’impérialisme “le principal obstacle sur
la voie du progrès de l’humanité vers la liberté, la paix et la démocratie”16, mais il
reconnaît désormais aux pays occidentaux leur capacité à s’adapter aux situations et à
s’organiser dans des structures intégratrices durables. Et trois ans plus tard, en 1972,
il admet officiellement la viabilité de l’expérience communautaire17.
En quelques années, un pas conséquent a donc été accompli. Toutefois, pour
Leonid Brejnev comme pour Andreï Gromyko alors ministre des Affaires étrangères,
cet esprit de conciliation n’est que circonstanciel.
1. Une volonté de rapprochement purement circonstancielle
La bonne volonté exprimée par les leaders soviétiques à l’égard de la CEE s’explique
en effet par des préoccupations économiques relativement transparentes et des intérêts
politiques plus tacites :
Dès 1964-65, l’économie soviétique se caractérise par un essoufflement sensible
puisque le taux annuel de croissance du PNB est alors de 5% contre 6% dans la première
moitié des années et qu’à partir de 1971, ce taux se situe autour d’une moyenne annuelle de
3,7%18. Pour pallier l’essoufflement de la croissance nationale, les décideurs soviétiques,
en particulier les experts du ministère du Commerce Extérieur et du GKNT19, sont
favorables à une ouverture de l’URSS sur l’Occident car ils voient dans le recours
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aux importations et aux transferts de technologie un substitut efficace aux éventuelles
défaillances et lacunes de la production nationale. Or, au milieu des années 60, les
relations soviéto-américaines se situent toujours dans une logique de guerre froide20,
et les Etats-Unis sont peu favorables au développement des échanges économiques,
commerciaux et technologiques avec le bloc de l’Est. Dans ce contexte défavorable,
le rapprochement avec l’Europe communautaire n’en est que plus utile21.
A ces mobiles économiques, s’ajoutent en filigrane des considérations
politiques.
Relançant à partir de 1964 le projet de conférence sur la sécurité et la coopération en
Europe élaboré dix ans plus tôt22 , les décideurs soviétiques en escomptent essentiellement
des dispositions géopolitiques – il s’agit avant tout d’institutionnaliser le statu quo
territorial né de la Seconde guerre mondiale – et économiques – il s’agit de mettre en
place un cadre propice à l’essor des échanges entre les deux parties de l’Europe. Or, là
encore, pour avancer dans leur projet, ils ont besoin du soutien des Européens de l’Ouest
dans la mesure où, au même moment, l’administration américaine qui lui préfère une
négociation bilatérale sur les armements stratégiques, se montre peu intéressée par
le projet de conférence européenne. D’où la nécessité pour les dirigeants soviétiques
d’adopter une attitude conciliante à l’égard de la CEE et de reconnaître à cette dernière
une certaine latitude politique. Dès janvier-février 1972, une série d’articles parus dans
La Pravda souligne ainsi l’émergence bénéfique d’un véritable polycentrisme dans le
système capitaliste mondial23 et met en avant l’importance d’une Europe occidentale,
expression d’une “troisième force” entre Washington et Moscou.
Au-delà de ce nouveau discours et de cette attitude plus conciliante, l’ouverture
de l’URSS à l’Europe communautaire, purement circonstancielle, ne doit aux yeux
des dirigeants soviétiques rien changer à la nature des relations soviéto-ouesteuropéennes. Et tout au long des années 70, l’URSS continue de se définir comme
une puissance socialiste à vocation mondiale à laquelle le modèle ouest-européen,
son organisation économique et les valeurs démocratiques dont il se réclame, restent
toujours étrangers.
Pourtant au même moment, à l’insu des plus hautes sphères du pouvoir, le
rapprochement timide qui s’opère alors entre l’URSS et l’Europe communautaire
commence à susciter, au sein d’une petite partie de l’élite dirigeante, des questionnements
nouveaux, voire des critiques visant le système soviétique.
2. Une ouverture qui suscite des questionnements sur le régime soviétique
Dès la première moitié des années 70, l’essor sans précédent des échanges et des
contacts entre l’URSS et l’Europe communautaire24 a, de l’aveu de nombreux membres
de l’appareil25, un impact sensible sur une partie des élites dirigeantes, en particulier
sur les spécialistes des relations internationales, les mejdounarodniki.
Pour la plupart issus du MGIMO – l’Institut d’Etat de Moscou des Relations
Internationales créé en 1944 –, où ils ont été formés durant la seconde moitié des
années 50, ces spécialistes des relations internationales, qu’ils soient en poste au
Département International du Comité central, comme Anatoli Tcherniaev, au MID,
comme Anatoli Adamichine, Iouri Doubinski ou Anatoli Kovalev, ou dans les Instituts
de recherche de l’Académie des Sciences, comme Guéorgui Arbatov, sont au fil de
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ces années de détente en contacts fréquents avec un Occident dont ils ne tardent pas
à acquérir une connaissance débarrassée des habituels stéréotypes idéologiques.
Au sein du MID, les changements qui se dessinent alors sont autant politiques que
psychologiques, comme le souligne dans ses mémoires l’ancien diplomate et transfuge
Nikolaï Polianski :
A l’époque, les chefs de département et leurs adjoints appartenaient à la vieille
génération des diplomates soviétiques. C’étaient des responsables des Jeunesses
communistes et du Parti, des ingénieurs et divers économistes sortis diplômés de
l’Ecole Supérieure de diplomatie après la guerre et qui avaient comblé le vide
laissé par les purges et l’élimination des cadres diplomatiques des années 30.
Mais on voyait déjà dans la jeune génération des diplômés de l’Institut des
Relations internationales; il s’agissait le plus souvent des fils des précédents
et, d’une manière générale, des fils de ces hautes personnalités du Parti et de
l’Etat, qui constituent les sphères privilégiées de la société soviétique. Les fils
se distinguaient des pères par un meilleur niveau d’instruction, la connaissance
des langues étrangères, une tournure d’esprit bien moins dogmatique et plus
libérale; enfin, ils étaient, en principe, attirés par le mode de vie occidental.
Les jeunes ne rejetaient plus le ‘capitalisme’, ils constataient les succès des
pays industriels développés, ne croyaient pas à leur faillite et se moquaient
ostensiblement de Lénine qui prédisait le ‘pourrissement du capitalisme’ en
faisant observer que l’Ouest n’en finissait pas ‘de pourrir’ et qu’il le faisait
en beauté. […] Ils commençaient à penser qu’il fallait absolument réformer le
fonctionnement du Parti, ils étaient capables de s’indigner de l’intervention
en Tchécoslovaquie et connaissaient à fond les ouvrages de Soljenitsyne qu’ils
rapportaient en douce de l’étranger26 .
Cette description exprime bien la profonde mutation qui commence à affecter
le MID à partir des années 70 : aux hommes de fidélité mis en place par Molotov,
commencent à se substituer les “produits” de l’ère Khrouchtchev, radicalement différents
de la génération qui les a précédés : mieux formés, à l’aise avec les langues étrangères
et l’étranger en général, lucides voire cyniques dans leur maniement de la “double
pensée”, ils se montrent moins attachés que leurs aînés à un idéal marxiste-léniniste
avec lequel ils ont appris à composer et surtout, moins enclins à percevoir les relations
internationales comme un “combat” à remporter sur l’Ouest.
Ebranlés par la répression du printemps de Prague qu’ils ont largement
désapprouvée27, lecteurs clandestins des écrits de la dissidence, ces nouveau diplomates
se montrent, pour la plupart, des observateurs critiques d’un système dont ils perçoivent
les failles et les dysfonctionnements économiques et dont ils espèrent une évolution
libérale, par le biais de l’ouverture à l’Occident :
De nombreux représentants de l’intelligentsia soviétique, et parmi eux beaucoup
de diplomates, approuvaient sincèrement la politique de détente avec l’Ouest et
s’efforçaient par tous les moyens de la mettre en œuvre parce qu’ils souhaitaient
la libéralisation du système soviétique28 .
A titre d’illustration, l’on peut évoquer ici le parcours très emblématique
d’Anatoli Kovalev. Né en 1923, âgé d’un peu plus de quarante ans lorsqu’il est en avril
1965 nommé à la tête du premier et prestigieux département européen du MID29, il
occupe ce poste jusqu’en 1971, date à laquelle il est propulsé vice-ministre des Affaires
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étrangères30. Homme de confiance de Gromyko, coiffant désormais l’ensemble des
départements européens du MID, il se montre dès la seconde moitié des années 60,
et plus encore dans la première moitié des années 70, un artisan résolu de la détente
Est-Ouest31; ses compétences autant que ses convictions en font de manière naturelle
le chef de la délégation soviétique aux négociations préparatoires à la signature de
l’Acte final d’Helsinki. Et de l’avis de plusieurs témoins32 , c’est lui qui parviendra à
convaincre un Politburo longtemps méfiant et hésitant de la nécessité d’accepter des
concessions sur la troisième corbeille et l’épineuse question des droits de l’homme…
Toutefois, si dans la décennie de la détente, les diplomates du MID semblent
incarner une forme de modernité et de pragmatisme dans leur lecture du monde et
des relations internationales, s’ils se caractérisent par un maniement habile de la
double pensée et un esprit critique aiguisé, ils n’ont pas pour autant le monopole de
l’innovation et de l’esprit de réforme.
Dès 1963, en effet, Boris Ponomarev a instauré au sein du Département International
du Comité central du PCUS un petit groupe de consultants qui, bientôt dirigé par
Vadim Zagladine, a pour fonction de réfléchir en toute liberté mais en circuit interne
aux grandes questions de politique extérieure auxquelles l’URSS est confrontée. Les
consultants, dont le nombre ne dépassera pas une vingtaine en trente ans, aborderont
à la demande de Boris Ponomarev, et tout au long des années 60-70, des questions très
vastes, voire jusque-là taboues. Pilier de ce groupe, Anatoli Tcherniaev33 a souligné
dans ses écrits le large degré de liberté intellectuelle concédé par Ponomarev à “ses
jeunes révisionnistes”34 et la protection qu’il leur accorde contre les attaques aiguës
émanant de l’appareil du KGB et des départements les plus conservateurs du Comité
central, dont au premier plan le Département de l’Agitation et de la Propagande. Dans le
témoignage qu’il a donné pour la collection d’archives orales sur la Perestroïka réunies
par la Hoover Institution et la Fondation Gorbatchev, Anatoli Tcherniaev met en avant
l’effervescence politique et intellectuelle qui au sein du Département International du
Comité central touchait le groupe de consultants :
Nous exprimions des doutes à propos de tout et Ponomarev le savait. Ce n’est
pas pour rien qu’il nous appelait les révisionnistes. Mais il prenait patience
parce qu’il avait besoin de collaborateurs compétents35 .
L’existence et le fonctionnement de ce groupe attestent donc de ce qu’à l’intérieur du
Département International comme à l’intérieur du MID, réflexions iconoclastes, remises
en questions et interrogations commencent alors à être de mise. Toutefois, formulées
dans des cercles officiels très fermés, les critiques émanant de cette petite partie des
élites ne portent pas directement sur la question cruciale des droits de l’homme et en
cela elles diffèrent radicalement des analyses politiques qui s’élaborent dans les cercles
dissidents36; mais en exprimant des doutes quant à l’efficacité du modèle soviétique
et en appelant à sa libéralisation, elles n’en contribuent pas moins à introduire une
brèche dans la nature autoritaire du régime comme dans ses références idéologiques. Et
pour cette partie de l’élite dirigeante soviétique, l’Europe communautaire ne constitue
plus une entité étrangère et hostile mais bien un ensemble de références politiques,
sociales et économiques dont il faut s’inspirer pour améliorer le fonctionnement du
régime soviétique et le libéraliser.
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Si important qu’il soit, ce cheminement mental reste alors circonscrit à un milieu
très étroit et il n’a pas encore droit de cité au sommet de l’appareil. En revanche,
avec la perestroïka et la “nouvelle pensée” gorbatchéviennes, il gagne le sommet de
l’appareil, s’étend à des sphères plus larges et suscite au sein des élites un véritable
débat identitaire.
III. L’URSS GORBATCHEVIENNE ET LA CEE, DU RAPPROCHEMENT POLITIQUE À
LA RÉVOLUTION IDENTITAIRE
A son arrivée au pouvoir, conscient de la profondeur des dysfonctionnements qui
minent le système soviétique, le nouveau secrétaire général promeut rapidement des
changements d’envergure tant sur le plan intérieur qu’extérieur. Elaborée par Mikhail
Gorbatchev avec le soutien de son ministre Edouard Chevardnadze et d’Anatoli
Tcherniaev, son conseiller pour les questions extérieures venu, comme on l’a vu plus
haut, du Département International du Comité central, la “nouvelle pensée” s’affirme
en faveur d’une vision désidéologisée des relations internationales, fait de la détente
Est-Ouest et du désarmement des priorités majeures et se prononce en faveur d’un
rapprochement avec l’Europe communautaire, au nom de la “maison commune”.
1. Un rapprochement politique qui signe un nouveau rapport à l’Europe
Enoncé dès 198437 par Mikhail Gorbatchev et repris durant la visite qu’il effectue
à Paris en octobre 1985, le concept de “maison commune européenne”38, encore flou à
cette date, prend forme au fil des déclarations gorbatchéviennes d’avril 1987 à Prague,
de mars 1988 à Belgrade et de juillet 1989 à Strasbourg, sous la forme imagée d’un
édifice de quatre étages :
Les fondations de la “maison commune” seraient constituées par l’assise
géopolitique et territoriale mise en place lors de l’acte final d’Helsinki en 1975. Le
premier étage de la maison serait consacré aux mesures de sécurité collective et
de désarmement et le second étage à la résolution pacifique des conflits. Enfin, les
deux derniers étages verraient le développement d’une coopération économique et
commerciale pan-européenne qui s’efforcerait à terme de promouvoir une communauté
de culture et de destin entre les différents Etats d’Europe.
Au sein de cette structure pan-européenne dont Mikhail Gorbatchev se fait
le promoteur, l’URSS a sa place naturelle. Dès 1987, il déclare de manière bien
symptomatique :
Certains à l’Ouest s’efforcent d’exclure l’Union soviétique de l’Europe. De
temps à autre, comme par inadvertance, ils assimilent l’Europe à l’Europe
occidentale. De tels stratagèmes ne peuvent rien changer aux réalités
géographiques et historiques. Le commerce de la Russie39, ses liens culturels et
politiques avec les autres nations et Etats d’Europe ont des racines profondes
dans l’histoire. Nous sommes européens. La vieille Russie a été unie à l’Europe
par le christianisme.[…] L’histoire de la Russie est une partie organique de la
grande histoire de l’Europe40.
Et un an plus tard, en mars 1988, il explicite de manière plus nette encore, dans un
entretien avec le leader communiste italien Alessandro Natta, sa vision des questions
européennes et sa perception de l’Europe communautaire :
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Tout ce qui se déroule en Europe occidentale, même sur le plan de l’intégration,
nous intéresse. Nous nous sentons avant tout européens41. Nous ne pensons pas
qu’il soit possible d’assainir la situation dans le monde sans la participation
de l’Europe, qui a accumulé au fil de son histoire, une grande expérience, un
potentiel scientifique et intellectuel. Personne ne peut la remplacer.
Je ne vois pas de raison d’envisager le processus de l’intégration européenne
seulement sous l’angle de la critique et de ne voir dans ce processus que le
reflet de tendances réactionnaires. Bien que nous ayons une crainte, liée aux
questions de l’intégration militaire : Nous ne voulons pas qu’elle ouvre un
nouveau front dans la course aux armements. […]
Quelques mots sur la maison commune européenne. En avançant cette
proposition, nous sommes partis du fait qu’entre les pays européens, il existe
encore des différences, des différences réelles, essentielles mais que dans le
même temps, nous sommes européens, liés par des liens historiques, culturels, par
notre développement économique et culturel, par l’écologie. Tout simplement,
nous sommes unis par un même destin42 .
Ainsi, c’est bien au nom d’un destin européen pleinement assumé voire revendiqué
que le pouvoir soviétique, rompant avec les discours et les schémas universalistes
qui le caractérisaient depuis les années khrouchtcheviennes, aspire désormais à
un rapprochement politique et économique avec l’Europe communautaire et cette
approche témoigne en soi d’une évolution mentale majeure. Toutefois, dans ces années
1985-88, le rapprochement envisagé par Mikhail Gorbatchev et son entourage reste
encore respectueux du clivage idéologique qui sépare l’Europe soviétisée de l’Europe
communautaire. Or, à partir de 1989-90, ce n’est plus le cas.
A cette date en effet, Mikhail Gorbatchev, qui croit de moins en moins au
marxisme-léninisme, penche de plus en plus en faveur d’un modèle social-démocrate
“à visage humain”, respectueux des droits de l’homme et des libertés qui, par-delà
l’éclatement du bloc communiste, serait susceptible de fédérer la maison commune
européenne et de donner au vieux continent réconcilié une véritable unité politique43.
En novembre 1989, il explique ainsi à Laurent Fabius, président de l’Assemblée
Nationale et figure éminente du Parti socialiste français alors en visite à Moscou, que
“les changements qui interviennent en Europe de l’Est constituent un instrument qui
devrait nous permettre d’avancer ensemble44 sur le chemin de la démocratisation”45.
Et en septembre 1991, dans un entretien avec le socialiste Pierre Mauroy, viceprésident de l’Internationale Socialiste, il souligne son attachement “à la démocratie,
à la transparence, aux droits et aux libertés de l’homme et à l’idée socialiste”46, dans
laquelle il veut continuer à voir l’avenir de la maison commune européenne.
Ainsi, progressivement, au fil des années de perestroïka, l’Europe communautaire,
loin d’être perçue comme étrangère et hostile, apparaît au contraire comme porteuse
d’une civilisation vers laquelle il faut tendre. En 1988, le diplomate Vladimir Loukine
écrit de manière bien révélatrice :
Par Europe, nous devrions entendre non pas seulement un phénomène politique
mais aussi un art précis de vivre, de penser, de communiquer avec les autres
peuples… La ‘maison commune européenne’ est la maison d’une civilisation
à la périphérie de laquelle nous sommes longtemps restés. Le processus qui se
développe aujourd’hui dans notre pays et dans un certain nombre de pays de
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l’Est revêt partout la même dimension historique, à savoir la dimension d’un
retour vers l’Europe […]47.
De même, pour le diplomate Anatoli Adamichine, ex-directeur du premier
département européen du MID, la politique extérieure de Mikhail Gorbatchev traduit
une aspiration à revenir à la civilisation occidentale48 et pour Anatoli Tcherniaev,
l’objectif majeur de la diplomatie gorbatchevienne est un “mouvement de retour vers
l’Europe”49.
L’ampleur des objectifs recherchés, les réalisations concrètes auxquels ils conduisent
avec en novembre 1990 la signature du premier grand accord de désarmement en
Europe50 et l’adhésion de l’URSS à la “Charte de Paris pour une nouvelle Europe”,
enfin le présupposé sur lequel ils reposent, c’est-à-dire la nature fondamentalement
européenne de la Russie, tout cela atteste d’un bouleversement radical dans la relation
à l’Europe et d’une nouvelle approche de la question identitaire russe. Or, alors que le
pays retrouve la liberté d’expression, ce bouleversement politique et mental qui rompt
avec des décennies de phraséologie universaliste nourrit au sein des élites soviétiques,
et dans une moindre mesure au sein de l’opinion publique, un débat animé.
2. Un nouveau débat sur la question identitaire
A partir de 1990, alors que l’URSS est confrontée à la disparition de son empire estoriental, à la question de l’unification allemande et aux forces centrifuges qui ne veulent
plus de l’Union soviétique, le choix gorbatchévien d’un retour volontaire à l’Europe
suscite au sein des élites dirigeantes des positions de plus en plus tranchées.
Une fraction des élites et de l’opinion publique le refuse bruyamment : c’est en
particulier le cas des élites militaires, pour lesquelles la “maison commune européenne”
ne constitue qu’une “théorie sentimentale” susceptible de priver l’URSS de toute
défense efficace51. Pour d’autres observateurs dont Mikhail Aleksandrov se fait le
héraut dans son article paru en février 1991 dans La Russie littéraire (Literatournaia
Rossiia), les changements impulsés par Mikhail Gorbatchev ne font que porter atteinte
à l’intérêt national de l’URSS. Enfin, d’autres observateurs politiques perçoivent la
maison commune comme un piège, considérant que les Etats d’Europe occidentale
ne sont ni prêts ni désireux d’accueillir l’URSS dans la communauté des nations
“civilisées” d’Europe.
Ces critiques se doublent d’attaques xénophobes appelant à protéger et à sauvegarder
la “russité”. Des revues comme Notre contemporain (Nach Sovremennik) ou La
Jeune garde (Molodaia Gvardia) s’en prennent à la “contamination occidentale”
contre laquelle il s’agit de mener une nouvelle “bataille de Stalingrad”52; et en janvier
1991, Paradigmes (Paradigmy) publie un article affirmant que “jamais comme avant,
l’occidentalisme n’a revêtu dans ce pays une forme aussi agressive, rejetant tout ce
qui est russe”53.
Ces prises de position suscitent des réponses tout aussi vigoureuses de la part
des “occidentalistes”. En 1990, Viatcheslav Dachitchev défend de nouveau les thèses
gorbatchéviennes dans Les Nouvelles de Moscou (Moskovskie Novosti); et en mars
1991, Edouard Chevardnadze, qui n’occupe plus la fonction de ministre des Affaires
étrangères, se prononce avec force en faveur du “choix européen”, soulignant que :
142 •
L'URSS et l'Europe communautaire, les enjeux identitaires, 1957-1991
Si nous parvenons à régler nos problèmes nationaux, économiques et politiques
et à poursuivre la construction d’un Etat démocratique régi par la loi, nous
continuerons à participer à la création d’un espace intégral européen,
économique, légal, humaniste, culturel et écologique. Ses fondations ont déjà
été posées. [...] Si nous voulons être un pays civilisé, nous devons nous doter
des lois et des références partagées par les autres pays civilisés54 .
Enfin, à l’été 1991, Boris Eltsine, rendant alors visite au Parlement européen en
tant que président nouvellement élu de la république de Russie, affirme à son tour sa
volonté de “corriger une injustice vieille de 73 ans et de rendre la Russie à l’Europe”55.
Le terme est explicite.
Au-delà de leur signification et des sensibilités auxquelles elles renvoient, ces
différentes déclarations sont intéressantes en ce qu’elles attestent de la vigueur du débat
identitaire qui s’installe en URSS dans les toutes dernières années de la perestroïka et
du caractère sensible que prend alors la question identitaire dans un pays qui découvre
la liberté d’expression.
Pour Mikhail Gorbatchev, le “retour à l’Europe” s’est imposé au terme d’un
processus qui l’a conduit à penser l’URSS comme une puissance européenne non
seulement par nature mais plus encore par choix et adhésion à des valeurs de liberté
jusque-là revendiquées par les Européens de l’Ouest. Et l’on mesure ainsi l’ampleur
de la révolution politique et identitaire qui s’est accomplie en quelques années à peine.
Mais dans le même temps, contesté par une partie des élites, ce choix n’a pu s’imposer
comme une donnée pérenne. Et aujourd’hui, dans une Russie toujours en quête de son
identité, il demeure un sujet d’interrogation.
NOTES
1
Cf. Marie-Pierre R EY, Le Dilemme russe, la Russie et l’Europe occidentale d’Ivan le
Terrible à Boris Eltsine, Paris, Flammarion, 2002.
2
Sur la question des compagnons de route, voir les travaux de Nicole R ACINE. Et sur
l’engagement soviétophile des intellectuels non communistes, voir l’ouvrage de Stephen
KOCH, La Fin de l’innocence, les intellectuels d’Occident et la tentation stalinienne,
trente ans de guerre secrète, Paris, Grasset, 1995.
3
Staline souligne ainsi de manière bien symptomatique : “L’on ne peut exclure que la
Russie sera le pays qui pavera le chemin au socialisme... Nous devrions nous débarrasser
de l’idée dépassée que c’est à l’Europe de nous montrer la voie”. Cité in Vera TOLZ,
Inventing the Nation, Russia, Arnold, London and New York City, 2001.
4
De nombreux discours de Staline attestent de son obsession du retard; voir par exemple
son célèbre discours du 4 février 1931, in Sočinenija, t. 13, Moscou, 1951, p. 29.
5
Nous n’aborderons donc que ponctuellement le point de vue des dissidents soviétiques,
déjà bien traité. Cf. Cécile VAISSIE, Pour votre liberté et pour la nôtre, Le combat des
dissidents de Russie, Paris, Robert Laffont, 1999.
6
Les crises successives de Berlin en 1948 d’une part puis en 1958-61 d’autre part attestent
de la permanence du théâtre européen dans la guerre froide américano-soviétique.
7
L’expression est un poncif de la propagande soviétique depuis la publication du document
intitulé “De la création du Marché Commun et de l’Euratom”, texte plus connu sous
• 143
Marie-Pierre REY
l’appellation “les 17 thèses sur le Marché Commun” dans lequel elle figure. Ce texte a
paru dans la revue Mirovaja Ekonomika i Meždunarodnye Otnočenija, Moscou, 1957,
n° 1 et dans la revue Kommunist, Moscou, 1957, n° 6.
8
Voir par exemple l’article paru dans International Affairs, Moscou, avril 1957, n° 4.
9
De l’intégration impérialiste en Europe occidentale. (Texte plus connu sous l’appellation :
“Les 32 thèses sur le Marché Commun”. Texte publié dans La Pravda, 26 août 1962.
10
La Pravda, 3 février 1957.
11
De l’intégration impérialiste en Europe occidentale, op. cit.
12
Rapport de Boris Ponomarev au Comité central du PCUS en vue de l’élaboration du
Troisième Programme du PCUS, 1958-1961, 20 juillet 1959, in archives du PCUS,
fonds n° 586, opis’ n° 1, delo n° 77. Hoover Institution, Archives, Stanford University,
document disponible sur microfilm.
13
Lettre d’Evguéni Varga à Boris Ponomarev, 5 juin 1958, intitulée “Sur la crise du
capitalisme” (“O krizise kapitalizma”), in Matériaux Préparatoires en vue du Troisième
Programme du PCUS, 1958-1961, archives du PCUS, fonds n° 586, opis’ n° 1, delo n° 1.
Consulté sur microfilm à la Hoover Institution, Archives, Stanford University.
14
Péjoratif dès le XIXe siècle, méprisé par le poète Maïakovski, le terme sera mis en
exergue par Maxime Gorki, qui a intitulé l’une de ses pièces de théâtre : Les PetitsBourgeois.
15
Voir Marie-Pierre R EY, “Le retour à l’Europe ? Les décideurs soviétiques face à
l’intégration ouest-européenne, 1957-1991”, in Journal of European Integration History,
2005, volume n° 11, n° 1, pp. 7-27. (Numéro spécial coordonné par Marie-Pierre
Rey).
16
Un long extrait de ce discours figure dans l’ouvrage d’Andrej A LEKSANDROV-AGENTOV,
Ot Kollontaj do Gorbačeva, Vospominanija diplomata, Moscou, Meždunarodnye
otnošenija, 1994, p. 207.
17
Cf. le discours prononcé par Leonid Brejnev devant le Congrès des Syndicats,
20 mars 1972, in La Pravda, 21 mars 1972.
18
Voir George D. HALLIDAY, Issues in East-West Commercial Relations, Washington DC,
1979, p. 51.
19
Comité d’Etat à la Science et à la Technique.
20
Encore avivée par la guerre du Vietnam.
21
En 1973, dans son rapport annuel, le ministre soviétique du commerce extérieur
Nikolaï Patolitchev reconnaissait ainsi : “En développant ses liens économiques avec
l’Europe occidentale, notre pays a l’opportunité de faire un plus large et plus rationnel
usage de ses propres ressources et possibilités et dans le même temps, d’acquérir, par
le biais des échanges commerciaux, des biens en provenance d’autres pays, qui ne
sont pas produits dans notre pays ou dont la production coûterait plus cher que leur
importation. En conséquence, les liens économiques extérieurs offrent une solution
plus efficace à un certain nombre des problèmes rencontrés au fil de la construction de
144 •
L'URSS et l'Europe communautaire, les enjeux identitaires, 1957-1991
notre économie”. Rapport de Nikolaï Patolitchev, publié in La Pravda, 27 décembre
1973, cité in The Domestic Context of Soviet Foreign Policy, edited by Seweryn BIALER,
Westview Press, 1981, p. 190.
22
C’est en 1954 que le projet voit le jour. Voir Marie-Pierre R EY, “L’URSS et la sécurité
européenne de 1953 à 1956”, in Communisme, 1997, n° 49-50, pp. 121-136.
23
Voir par exemple la série de cinq articles publiés par Georgij R ATJANIJ dans la Pravda, les
18, 21, 25 janvier, 2 février et 9 février 1972 sous le titre global “Partenery i soperniki”
(“Partenaires et rivaux”). Ou bien encore l’article d’Aleksandr ŠEBANOV paru dans
Ekonomičeskaja Gazeta, n° 5, 24 janvier 1972 qui précise que “Le Marché Commun
[…] devient de plus en plus un rival économique et politique pour les Etats-Unis”.
24
Entre 1971 et 1974, la part représentée par les pays membres du Marché Commun dans
le commerce extérieur soviétique a pratiquement doublé, passant de 8,5% à 16%.
25
Les témoignages qui insistent sur cette donnée sont nombreux. On pourra tout
particulièrement retenir celui d’Anatolij ČERNJAEV in Moja Žizn’ i Moe Vremja, Moscou,
Meždunarodnye otnošenija, 1995. Et celui de Georgij A RBATOV, The System, an Insider’s
Life in Soviet Politics, New York and London, Times Book, Random House, 1992,
p. 79.
26
Nicolas POLIANSKI, MID, Douze ans dans les services diplomatiques du Kremlin, traduit
du russe par Dominique Brousset et Michel Praneuf, Paris, Belfond, 1982, pp. 28-29.
27
Sans toutefois le manifester publiquement, à la différence des milieux dissidents.
Cf. l’étude de Cécile VAISSIE, Pour votre liberté et pour la nôtre. Le combat des dissidents
de Russie, op. cit. Sur cette désapprobation, voir à titre d’illustration Anatolij ČERNJAEV
in Moja Žizn’ i Moe Vremja, op. cit., passim.
28
Nicolas POLIANSKI, MID, Douze ans dans les services diplomatiques du Kremlin, op. cit.,
p. 29.
29
C’est alors le plus prestigieux département du MID. Il est en charge des questions
françaises, italiennes, belges, néerlandaises, luxembourgeoises et suisses.
30
Il conserve ce poste jusqu’à la chute de l’URSS.
31
Cf. le portrait qu’en brosse Nikolaï Polianski : “Le directeur du département,
Anatole Kovaliov, jouissait déjà d’une autorité considérable. Au ministère, il passait
pour avoir élaboré dès les années 60 les principes fondamentaux de la politique de
‘détente’ soviétique envers la France, et, partiellement la RFA. Il avait personnellement
participé à l’élaboration et à la rédaction des déclarations et communiqués communs
franco-soviétiques adoptés à l’occasion des visites de Charles de Gaulle et Pompidou en
Union soviétique et de celles des dirigeants soviétiques en France. En tant que directeur
du Premier département, c’est lui qui, luttant pour chaque mot et chaque virgule, mit
sur pied, en accord avec les Français, en 1970, le protocole franco-soviétique des
consultations politiques qui servit par la suite de modèle aux protocoles signés avec
l’Italie, le Canada et d’autres pays occidentaux”. Nicolas POLIANSKI, MID, Douze ans
dans les services diplomatiques du Kremlin, op. cit., pp. 34-35.
32
Cf. le témoignage d’Anatolij ČERNJAEV in Moja Žizn’ i Moe Vremja, op. cit., pp. 303-304
et celui d’Arkadi N. CHEVTCHENKO, in Rupture avec Moscou, traduit de l’américain par
Sabine Boulongne, Paris, Payot, 1985, p. 329.
• 145
Marie-Pierre REY
33
Sans qu’il ait été le seul à mettre l’accent sur ce point. Cf. en particulier les mémoires
de Georgij A RBATOV, The System, an Insider’s Life in Soviet Politics, op. cit., passim.
34
L’expression est de Boris Ponomarev lui-même.
35
Interview d’Anatoli Tcherniaev, 24 Mai 2001, in Collection d’archives orales sur la
Perestroïka constitué par la Hoover Institution et la Fondation Gorbatchev, boîte n° 1.
36
Sur les idées politiques des cercles dissidents, voir Cécile VAISSIE, Pour votre liberté
et pour la nôtre, op. cit., passim.
37
Alors qu’il n’est pas encore secrétaire général du PCUS.
38
Pour une analyse détaillée du concept de maison commune européenne et de son
évolution, voir Marie-Pierre R EY, “Europe is our Common Home”, a Study of Gorbachev’s
Diplomatic Concept”, in The Cold War History Journal, volume 4, n° 2, January 2004,
pp. 33-65.
39
On notera que Mikhail Gorbatchev emploie ici le terme de “Russie” et non d’Union
soviétique.
40
Extrait de Perestroïka. Cité par Vera TOLZ, in Inventing the Nation, Russia, op. cit.,
p. 122.
41
Souligné par l’auteur.
42
Entretien de Mikhail Gorbatchev avec le leader communiste italien Alessandro Natta,
29 mars 1988, document n° 7129, in archives de la fondation Gorbatchev, fonds Zagladin
(fonds n° 3).
43
Sur l’évolution personnelle de Mikhail Gorbatchev et les choix politiques et diplomatiques
qui en ont découlé, voir Marie-Pierre R EY, “La gauche française face à la perestroïka
gorbatchevienne, 1985-1991”, in Communisme, n° 76/77, 2003/2004. pp. 141-167.
44
Souligné par l’auteur.
45
Entretien de Mikhail Gorbatchev avec Laurent Fabius, président de l’Assemblée Nationale
française, 17 novembre 1989, in archives de la Fondation Gorbatchev, fonds n° 1, opis’
n° 1. Document présenté sur le site Internet de la Fondation, en illustration à la table
ronde du 28 juin 2002.
46
Déclaration de Mikhail Gorbatchev à Pierre Mauroy, 17 septembre 1991, in archives de
la Fondation Gorbatchev, fonds n° 1. Extrait présenté sur le site Internet de la Fondation,
en illustration à la table ronde du 28 juin 2002.
47
Vladimir Loukine in Moskovskie Novosti, 1988, n° 38. Cité in Neil MALCOM (ed.), Russia
and Europe : an end to Confrontation ? London and New York, Printer Publishers for
the Royal Institute of International Affairs, p. 14.
48
Interview donnée par Anatoli Adamichine, 5 août 1999. Collection d’archives orales
sur la Perestroïka. Hoover Institution (Stanford University) et Fondation Gorbatchev.
49
Interview donnée par Anatoli Tcherniaev, 24 mai 2001. Collection d’archives orales
sur la Perestroïka. Hoover Institution (Stanford University) et Fondation Gorbatchev.
50
Il s’agit du traité CFE.
51
Voir Neil MALCOM, Russia and Europe : an end to Confrontation ? op. cit., p. 158.
52
Vera TOLZ, Inventing the Nation, Russia, op. cit., p. 123.
146 •
L'URSS et l'Europe communautaire, les enjeux identitaires, 1957-1991
53
Idem.
54
Edouard Chevardnadze interviewé par Fiodor Bourlatski, in Literaturnaja Gazeta,
10 avril 1991. Cité par Neil MALCOM, in Russia and Europe : an end to Confrontation ?
op. cit., p. 160.
55
Ibid., p. 163.
• 147