1 - Intervention CG - Dispositif Melanie- Mme

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1 - Intervention CG - Dispositif Melanie- Mme
Conférence franco-québécoise / Protection de l’enfance
25 février 2014
La procédure « Mélanie » à la Réunion
Historique
Cette démarche a débuté à La Réunion en 1991, sous l’impulsion de M.
LABORDE, procureur au T.G.I. de Saint-Pierre. Elle est issue du constat
d’insatisfaction de tous les professionnels alors confrontés aux prises en
charge des enfants victimes d’abus sexuels :
- Les professionnels du social : dans leurs prises en charge
apparaissait régulièrement la problématique de l'abus sexuel, plus
particulièrement l'inceste.
A cette époque, l'abus sexuel n'était pas assez souvent repéré, ni même
entendu lors des évaluations sociales. Cependant, de plus en plus d'enfants en
venaient au cours de leur prise en charge, à révéler un vécu d'abus sexuel.
De même, le travail auprès des parents - notamment les mères - faisait
également émerger à leur niveau un passé incestueux, n'ayant jamais été
sanctionné, soit qu’il n'ait jamais été dévoilé, soit qu'il n'ait pas été pris en
compte. La même hypothèse pouvait alors être faite en ce qui concerne les
abuseurs.
Dès lors, apparaissaient tragiquement les conséquences psychologiques et
sociales de l'abus sexuel, essentiellement les processus de victimisation et de
répétition transgénérationnelle, mais également toutes les conduites de
marginalisation qui se mettent en place à l’adolescence. Il apparut également
que tout travail de réparation auprès de l'enfant et de sa famille restait
inopérant, sans mise en place corollairement, de procédure judiciaire.
- les officiers de police judiciaire (O.P.J.) et les magistrats, n’ayant pas de
formation spécifique sur l’enfant à l’époque, pouvaient ressentir que la
procédure judiciaire telle qu’elle était proposée aux enfants était
inadéquate.
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Effectivement, lorsqu'il y avait procédure judiciaire, les enfants étaient
confrontés aux multiples interrogatoires, aux confrontations, aux pressions
familiales... Et les signalements malgré tout effectués n'aboutissaient que
rarement, par décision de classement au Parquet ou de non-lieu à la suite
de l'instruction, du fait du manque de preuves ou du fait de la rétractation
de l'enfant au cours de la procédure. Ce qui contribuait à un processus de
victimisation secondaire chez ces enfants.
C'est dans ce contexte qu'a été mis en place par le Conseil Général, un
cycle de formation sur la maltraitance et les abus sexuels sur les enfants.
Formation destinée aux équipes pluridisciplinaires d'un même secteur
géographique, composées des travailleurs médicaux-sociaux, scolaires,
OPJ, et magistrats.
Au cours d'une session de cette formation (en 1990) a été diffusée une
vidéo pédagogique québécoise intitulée « Mélanie, un entretien nonsuggestif ». Il s'agissait d'une technique d'audition de l'enfant insérée dans
un protocole de prise en charge socio-judiciaire intégrée des enfants
victimes d'abus sexuels.
Le visionnage de cette vidéo a convaincu beaucoup de professionnels,
mais également le Procureur de la République du TGI de St-Pierre, M.
LABORDE, qui voulut très vite réaliser une telle démarche avec le
concours du Conseil Général, en s'appuyant pour cela sur la loi du 10
Juillet 89.
La négociation a porté sur deux aspects :
- Dans l'objectif de réaliser une prise en charge socio - judiciaire intégrée
des enfants victimes, il s'agissait de définir une convention
interinstitutionnelle Justice / Conseil Général (aspect matériel, dégagement
de temps pour les professionnels sociaux qui effectueraient les
entretiens...),
- Mais aussi toute une démarche de rencontres avec les travailleurs
sociaux afin d'élaborer un cadre d'intervention.
En effet, la mise en place des entretiens non-suggestifs ne se limitait pas
qu'à l'exécution de ceux-ci, il était nécessaire que tous les intervenants dans
la prise en charge d'une situation s'inscrivent dans une même logique, qui
place l'intérêt de l'enfant au centre de la réflexion et de l'action sociale et
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judiciaire.
Il ne fallait surtout pas perdre de vue que l’établissement de la vérité restait
l’intérêt principal de l’enfant au moment où il pouvait révéler être victime
d’abus sexuels, qu’il s’agisse par ailleurs d’une vraie ou d’une fausse
allégation. Tous les professionnels - travailleurs sociaux, psychologues,
O.P.J, magistrats - chacun de sa place et dans son rôle, pouvaient alors se
retrouver autour de cet intérêt commun.
Dans cet objectif, il était donc nécessaire de mettre en place une procédure
qui offre à l’enfant les conditions de se souvenir, de témoigner, pour pouvoir
ensuite analyser son témoignage.
Cette procédure devait alors tenir compte des facteurs psychologiques,
affectifs et cognitifs, à l’œuvre dans le témoignage de l’enfant victime. Nous
n’aurons pas le temps aujourd’hui de développer cet aspect théorique, je vous
décrirai la procédure Mélanie uniquement dans son aspect formel.
Le cadre mis en place
L’implication d’un nouveau substitut du procureur, M. GOBERT, a
transformé en procédure ce qui n’était encore qu’une expérimentation.
Une convention a été signée avec les différents partenaires, qui prévoyait :
- La mise à disposition par le Département de deux psychologues à tiers
de temps pour effectuer les entretiens, assister aux réunions, et faire le
travail d'élaboration autour de la procédure " Mélanie " et du thème plus
général de l'abus sexuel.
- Sur chaque brigade de gendarmerie ou commissariat, le recrutement
d'OPJ volontaires spécialisés dans ce domaine.
- L'aspect matériel (appareils audio et vidéo) était pris en charge par le
Conseil Général.
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Un protocole était également établi au sein du T.G.I. de Saint-Pierre. Il
préconisait notamment :
-
Le traitement des dossiers dans les délais les plus courts
possibles : 36 heures entre la révélation de l’enfant et son
audition.
-
Le démarrage de la procédure judiciaire par l’audition policière
de l’enfant en entretien non-suggestif réalisé conjointement par
un O.P.J. et un psychologue.
-
Cet entretien devrait être unique afin de ne pas imposer une
répétition des interrogatoires nocive pour l'enfant et son
témoignage et, par conséquent, néfaste à la procédure. C'est
pourquoi cet entretien serait enregistré en audio et en vidéo,
toujours avec l’accord de l’enfant.
-
Désormais, l’expertise gynécologique ne serait effectuée qu’après
l’audition de l’enfant (sauf dans les quelques rares cas de
flagrance).
-
La confrontation par les OPJ entre l’enfant et l’abuseur (pouvant
replacer l'enfant sous l'emprise de l'abuseur et l'amener à se
rétracter) serait désormais évitée. Le Juge d’Instruction pouvant
procéder contradictoirement au visionnage de l’enregistrement
vidéo.
-
Le Juge des enfants serait systématiquement saisi.
-
Une analyse de la validité de la déclaration de l’enfant (technique
SVA Statement Validity Analysis) pourrait être effectuée dans le
cadre de la procédure pénale, sur la base de la retranscription
écrite de l’audition de l’enfant. Analyse dissociée de l’expertise
de personnalité.
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Dans l’expérience que j’en ai eue, cette analyse a permis à plusieurs reprises
de mettre en évidence des fausses allégations (bien qu’à l’époque, elles
restaient très rares). Lorsque cette analyse était effectuée lors du stade de
l’enquête, à la demande du procureur, vous imaginez aisément tout l’intérêt
d’une telle conclusion pour les personnes concernées et notamment l’adulte
incriminé. Mais aussi pour l’enfant, pour lequel l’accompagnement
psychologique et social devait alors permettre de comprendre le sens de cette
fausse allégation.
Evolution de la procédure depuis la loi du 17 Juin 1998 :
Le travail effectué dans la procédure « Mélanie » a finalement été reconnu
par la loi du 17 juin 1988.
Si cette loi a d’abord contribué à asseoir la procédure telle qu’elle était
pratiquée au T.G.I. de Saint-Pierre, la circulaire d’application établie l’année
suivante indiquait que si un tiers non O.P.J. pouvait assister à l’audition de
l’enfant, il ne devait pas intervenir au cours de cette audition. Cette
disposition a donc mis fin à la participation des psychologues aux auditions
policières des enfants en entretiens non-suggestifs.
A La Réunion, nous avons donc mis en place une formation continue des
O.P.J. qui effectuaient maintenant seuls les auditions. Nous nous retrouvions
à raison d’une session de formation par mois, au cours desquelles étaient
travaillés les aspects théoriques quant à la psychologie de l’enfant victime,
ainsi que la technique d’entretien non suggestif.
Puis cette procédure a été estimée trop lourde en charge de travail pour les
OPJ, et a donc été abandonnée.
Dans le même temps, « l’affaire Outreau » a mobilisé les médias sur cette
question de la parole de l’enfant et de sa crédibilité, avec les multiples
ravages que l’on sait. Cependant, si la procédure dite « Mélanie » avait été
pleinement appliquée, il n’y aurait à mon avis pas eu « d’affaire Outreau » :
sans entrer dans trop de considérations, il apparaît que ces enfants qui étaient
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réellement victimes d’abus sexuels intrafamiliaux et donc déjà
psychologiquement fragilisés, ont été confrontés à de multiples
interrogatoires, au fur et à mesure desquels leur témoignage s’est trouvé
contaminé par des éléments induits par ceux-là mêmes qui les interrogeaient.
Cette affaire a contribué au retour de balancier où la parole de l’enfant a de
nouveau été mise en doute.
Pour finir, il me semble donc important d’insister sur la nécessité de
(re)construire un travail de coordination interinstitutionnelle autour des
situations d’enfants révélant être victimes d’abus sexuels, que cette révélation
s’avère à terme vérifiée ou non. Dans tous les cas cet enfant et sa famille
devraient être accompagnés tout au long de la procédure d’enquête et
d’instruction. Quelque soit la résolution du dossier (enfant victime ou adulte
victime d’une fausse allégation), cet accompagnement offrirait à chacun un
cadre favorisant la reconstruction psychique et son inscription dans la société.
Sylvie Dubourgeal-Quey
Psychologue
Conseil Général de la Réunion
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