Les projets de transformation du château de Versailles (1807

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Les projets de transformation du château de Versailles (1807
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Les projets de transformation du château de Versailles (1807-1811), par
l’architecte Fontaine.
« Octobre 1807.
Depuis longtemps il est question de restaurer Versailles. M. Trepsat chargé de ce
département a fait des projets mais cet homme âgé, infirme et qui a plus l’air d’un chef
d’ouvriers que d’un architecte, inspire peu de confiance. Le Comité consultatif des
Bâtiments de la couronne a été envoyé sur les lieux par l’intendant général pour prendre
connaissance de leur état et M. Gondoin l’un de ses membres s’est établi dans le
château depuis plus d’un an avec un grand nombre de collaborateurs, pour y faire des
devis, des projets qu’il a soumis hier à l’Empereur. J’ai été appelé à la présentation de
ce volumineux travail. Deux projets sur des systèmes différents avec des plans de
détails, des coupes, des élévations et tout ce qui pouvait en donner l’intelligence, une
carte excessivement détaillée de l’ensemble général du château, de ses jardins, de ses
dépendances avec le tracé du mécanisme et du cours des eaux, les extraits des pièces
d’un devis qui formait un recueil de cinquante volumes, et des relevés d’états de lieux
anciens composent toutes les pièces que M. Gondoin a mises sous les yeux de
l’Empereur. Le maintien et le ton de cet architecte pendant toute cette séance
annonçaient une sorte d’aisance respectueuse fort convenable. Connaissant mieux les
avantages de ses plans que les détails de ses devis, il s’était beaucoup mieux fait
entendre sur le premier article que sur le second. Mais lorsque l’on est venu à l’examen
particulier des distributions et des arrangements de deux projets, je n’ai pu m’empêcher
de faire remarquer que l’étiquette de la Cour d’aujourd’hui, les habitudes et les besoins
de l’Empereur exigeaient une marche toute différente de celle proposée. Et tout en
rendant hommage au talent éminent et consommé de M. Gondoin, j’ai indiqué avec
ménagements différentes améliorations qui ont été approuvées. L’Empereur m’a
ordonné de faire un relevé des dépenses proposées dans les différents devis, de le
diviser d’une manière plus précise et de refaire en même temps un nouveau plan avec
les changements qui ont été indiqués.
[…]
5 novembre 1807.
On m’a remis de l’intendance le grand travail de M. Gondoin sur Versailles avec
tous les plans qu’il a faits. Les cinquante-deux volumes de devis qu’il a reliés ne sont
que des minutes de devis dressés par plusieurs vérificateurs qui se sont partagés le
travail et qui ont grossoyé séparément des écritures sans plan et sans direction. On m’a
donné aussi le projet qu’a fait M. Trepsat et tous ceux qui avaient été demandés
précédemment par M. d’Angiviller aux architectes les plus renommés de son temps […].
Je dois faire de tout cela un projet nouveau pour le présenter à l’Empereur. J’avoue que
je ne suis pas ici dans l’embarras des richesses car excepté l’ouvrage de M. Peyre le
Jeune qui détruit presque tout mais dans lequel on trouve une belle disposition et une
recherche particulière de détails, je ne vois dans cette nombreuse collection que des
choses beaucoup au-dessous de la réputation des architectes qui en sont les auteurs.
[…]
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11 mars 1807.
L’Empereur est allé chasser à Versailles. Il m’a ordonné à son retour de mettre
sous ses yeux les projets que nous avons faits pour la restauration de ce palais avec la
note suivante, qui avait été écrite sous sa dictée lorsqu’il me donna ordre de faire ce
travail […] :
“Le projet fait par M. Gondoin paraît bien entendu. En exécutant le premier projet les
appartements de l’Empereur seraient l’appartement adossé à la galerie [des Glaces], ils
auraient une communication avec les appartements du nord par les Petits Appartements
jusqu’à la salle des Gardes.
La salle de spectacle telle qu’elle est proposée occupe un local trop précieux, elle n’a
pas besoin de jour, elle peut être placée dans un carrefour.
Mais il n’est pas mon intention de faire précéder mon habitation à Versailles par de
nouvelles bâtisses. Il faut donc faire un projet qui établisse mes appartements
particuliers pendant les deux premières années au-dessous de la galerie avec un
escalier qui conduise au salon d’Apollon qui ferme le grand appartement. Ces
appartements particuliers devant être destinés par la suite à un prince peuvent ne pas
être décorés plus qu’ils ne doivent l’être.
Il faut dans le projet voir si l’on peut se passer du Grand Commun et laisser subsister la
manufacture d’armes en établissant le Grand Commun ailleurs.
Il faut distinguer dans les projets à arrêter ce qui est décor de ce qui est réparations
parce qu’il ne faut pas de décors dans ces Petits Appartements ni dans ceux du rez-dechaussée jusqu’à ce qu’on ait arrêté le projet.
Quant aux eaux, le plus important de tout c’est de finir le Grand Canal, car ni Versailles
ni Trianon ne sont praticables sans ce travail. L’architecte prétend qu’avec moins de
10 000 francs on peut l’essayer. Le faire cette année.
On établira ensuite la dépense pour tout restaurer de manière à loger la Maison comme
elle l’est à Fontainebleau.
Ce projet fait il restera à savoir ce qu’il faut faire cette année en supposant que l’on n’ait
encore aucun projet de l’habiter*.”
Nous avions composé avec les deux projets de Monsieur Gondoin un plan dans lequel
nous conservions comme lui l’aile neuve bâtie sous Louis XV, nous la répétions de
l’autre côté et y faisions les escaliers d’honneur ainsi qu’il a été projeté dans le principe,
l’un pour l’appartement de l’Empereur, l’autre pour celui de l’Impératrice. Cet
arrangement donnait partout une double épaisseur de logements et conservait ce qui a
été fait sous Louis XIV en détruisant les petites constructions de Louis XIII. L’Empereur
après un examen assez long, après différentes discussions sur les inconvénients d’avoir
à se conformer dans les limites tracées par Louis XIV, après avoir parcouru le tableau
des dépenses relevées sur les volumes aperçus de M. Gondoin, m’a dicté sans rien
arrêter définitivement la note suivante :
“Si l’on veut réparer Versailles il faut faire comme dans tous les autres palais en
commençant par s’y mettre. La première dépense sera de mettre de l’eau dans le Grand
Canal.
Dépense de cette année : combien cela coûtera-t-il ?
* Ordres de l’Empereur dictés à Fontainebleau, le 22 octobre 1807.
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S’il était possible de planter cette année des rangées d’arbres autour du Grand Canal,
commencer dès demain.
Il faut arranger le grand appartement de l’Impératrice, de l’Empereur et la grande
galerie, se servir de l’escalier des Princes, loger l’Impératrice sous son grand
appartement et l’Empereur au-dessous du sien. Combien cela coûtera-t-il ?
On ne fera dans les Petits Appartements aucune espèce de décors vu qu’un jour on doit
les quitter pour prendre l’appartement désigné par M. Fontaine qui deviendra
l’appartement définitif.
Pour le commun combien faut-il dépenser ?
Réparer toute l’aile des Princes et l’aile du nord en ne rétablissant que ce que Louis XIV
a fait et considérant ce que Louis XIII a fait comme devant être démoli. Dans les deux
ailes on peut mettre autant d’officiers qu’on veut.
Une petite grille pour fermer le parc.
Avec les travaux portés dans la première époque on peut habiter Versailles.
Seconde époque : réparation des ailes des Ministres, des bâtiments de l’intendance et
de la Chancellerie. Construire une petite salle de théâtre.
Troisième époque : faire le grand escalier, abattre l’aile de Louis XIII et la remplacer par
l’autre projet.
Quatrième époque : faire connaître ce qui reste à faire. Tout sera fini en mettant trois
ans au plus pour chaque époque**”
[…]
Mars 1808.
Les projets que nous avons faits sur le château de Versailles ayant été de
nouveau remis sous les yeux de Sa Majesté, elle a dicté à ce sujet la note suivante :
“Il faut bien penser au projet sur Versailles. M. Fontaine en présente un
raisonnable dont la dépense est de six millions. Mais je ne vois pas de logements ni la
restauration de la chapelle et de la salle de spectacle, non pas telles qu’elles doivent
être mais seulement telles qu’elles pourraient être pourvu que l’on pût s’en servir.
D’après ce projet j’aurai la jouissance des Grands Appartements, l’Empereur et
l’Impératrice seront logés. À présent il faut faire connaître ce que l’on pourra avoir sur la
même somme en logements de princes, de grands officiers et d’officiers. Il faut savoir
aussi où l’on mettra la manufacture d’armes qui ne laisse pas que d’être nécessaire à
Versailles où cela répand de l’argent.
Il faut sur les six millions trouver encore six logements de princes, douze de
grands officiers et une cinquantaine d’officiers. Alors seulement on pourra dire que l’on
peut habiter Versailles et y passer un été.
Avant que l’on exécute ce projet il faut que l’architecte qui sera chargé de
l’exécution puisse certifier que cela pourra être fait pour la somme proposée.*** ”
[…]
21 janvier 1810.
Versailles est maintenant l’objet de nouveaux débats et de nouvelles incertitudes.
Il faut qu’il soit restauré, et rendu habitable pour l’hiver prochain, et pour la somme de
six millions. Je reçois ordre d’aller sur les lieux avec M. Costaz et de le mettre en état de
** Note dictée par l’Empereur sur Versailles.
*** Ordre dicté par l’Empereur sur Versailles.
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faire un rapport sur ce sujet.
[…]
12 juillet 1811.
[…] l’Empereur […] s’est fait présenter nos projets pour le rétablissement de
Versailles […]. La grande question est de trouver le moyen de faire du côté de Paris une
façade aussi vaste et plus belle que celle des jardins. Les distributions intérieures, qui à
l’époque du travail de M. Gondoin avaient été considérées comme l’objet principal, ne
sont plus aujourd’hui que l’accessoire. L’Empereur veut de la magnificence et de la
grandeur. Il propose de cacher derrière une façade postiche, derrière un grand arc de
triomphe tous les petits bâtiments du château de Louis XIII. Je ne puis m’empêcher, en
approuvant un peu cette idée, de faire remarquer que son exécution doit paraître
extravagante et même ridicule. J’ajoute que ne pouvant faire mieux que Louis XIV, ne
voulant pas détruire les petites constructions de Louis XIII, le parti selon moi préférable
à tous serait de remettre Versailles avec quelques améliorations à l’intérieur dans l’état
exact où il était sous Louis XIV. On évitera ainsi, ai-je dit, toute comparaison et toute
espèce de parallèle inconvenant. Après une très longue discussion dans laquelle rien
n’a été décidé SM s’est rendu à Versailles, y a parcouru en détails les détours du
château, et s’est arrêtée longtemps dans la cour où je lui ai fait connaître et juger d’une
manière plus palpable toutes les difficultés et tous les inconvénients des différents partis
proposés. L’entretien s’est terminé par l’ordre de mettre l’affaire en Conseil et de
présenter un rapport.
[…]
21 juillet 1811.
L’Empereur a reçu le rapport de M. Costaz et les raisonnements sur le
rétablissement du château recommencent […]. SM ne veut pas se déterminer à faire ici
un ouvrage de raison, elle veut de la magnificence, de la grandeur, effacer enfin ce qui a
été exécuté sous Louis XIV. La façade du projet de M. Heurtier qui offre une grande
ligne de colonnes dont la hauteur comprend celle de tout l’édifice, lui paraît préférable à
celles qui offrent des subdivisions d’étages. Je ne puis parvenir à le persuader que cette
grande ordonnance qui appartient plus particulièrement à la décoration des temples est
peu convenable pour les palais et pour les édifices d’habitation. Rien n’est arrêté sur le
sort de Versailles, on passe à l’examen d’autres projets. »
FONTAINE, Pierre François Léonard, Journal, t. I, Paris, Éditions École nationale
supérieure des beaux-arts, Institut français d’Architecture, Société d’Histoire de l’Art
français, 1987, p. 175-205, 252, 297-299.
Fontaine, Pierre François Léonard (Pontoise 1762-Paris 1853). Fils d’un architecte-fontainier, Fontaine
reçoit en 1785 le second grand prix de Rome. Il se fait connaître en France par les décors d’opéras et ses
dessins de meubles qu’il réalise. Sa carrière napoléonienne débute en décembre 1799 lorsqu’il est chargé
avec un confrère Percier des travaux d’aménagements du château de la Malmaison. De sa rencontre
avec Bonaparte naît une immédiate sympathie. En 1813, il reçoit le titre de Premier architecte de
l’Empereur. Fontaine a transcrit ses conservations avec Napoléon dans un Journal commencé en 1799 et
qu’il poursuit jusqu'en 1849.
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