Crises, école de Francfort et Théorie critique

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Crises, école de Francfort et Théorie critique
Appel à contribution
Revue Illusio, n° 10
« Crises, école de Francfort et Théorie critique »
La société contemporaine est devenue une société de crises permanentes. Ces dernières
prennent des formes multiples et variées, mais toutes sont le résultat de la productivité et du
processus de production capitaliste, qu’elles soient :
- financières (boursicotages, krachs, crise des valeurs…) ;
- économiques (chômage, délocalisation, endettements névrotiques…) ;
- démographiques (vieillissement ou au contraire croissance galopante…) ;
- de subsistance (désertifications, appauvrissements, émeutes de la faim…) ;
- climatiques (Tsunami, raz de marées, tornades, réchauffement planétaire…) ;
- écologiques (disparition des espèces, atteintes à la biodiversité et à l’écosystème…) ;
- technoscientifiques (remise en cause de l’idée de progrès) ;
- politiques (disparition des idées et des projets potentiellement alternatifs au capitalisme,
montée des politiques autoritaires, gestion comptable des populations…) ;
- culturelles (industrialisation et spectacularisation des éléments de culture…) ;
- sanitaires (pandémies, maladies professionnelles physiques et psychologiques…) ;
- religieuses (nouvelle émergence des fondamentalismes et activismes religieux…).
Dans ce contexte, entreprendre un travail collectif de réflexion sur le thème de la Théorie critique
de l’École de Francfort, ce n’est pas faire une exégèse des textes ou des auteurs les plus classiques
de cette théorie. Il ne s’agit pas non plus d’en faire exhaustivement l’histoire, même si cette
dernière est sans doute indispensable pour la compréhension et l’appropriation des concepts et
théories. L’ambition pour ce nouveau numéro n’est évidemment pas de s’attacher aux travaux des
seuls membres de l’Institut für Sozialforschung (l’Institut de Recherche Sociale) mais, plus
fondamentalement, de travailler à partir des thèses de tous les auteurs qui ont durablement
marqué ce que l’on nomme désormais la Théorie critique. Ceci afin de produire, non pas une
littérature d’observation, mais en vue de faire ré-apparaître la négativité du processus dialectique
dans un effort d’analyse de la société contemporaine.
La tâche que nous nous proposons d’entreprendre pourrait paraître d’autant plus difficile qu’une
grande hétérogénéité règne sous le vocable de « théorie critique » ― terminologie donnée depuis
1937 et la publication de l’essai de Max Horkheimer Théorie traditionnelle et théorie critique1 par les
théoriciens proches de celui-ci aux travaux de leur groupe. En effet, en dehors de la grande
variété de choix thématiques et méthodologiques entrepris par les auteurs, les travaux de chacun
d’entre eux mettent en évidence parfois des oppositions, tant théoriques que politiques, quasi
irréductibles. Il en va ainsi des divergences entre Érich Fromm et Theodor W. Adorno et des
dissensions politiques entre le même Adorno et Herbert Marcuse, notamment lors des semaines
agitées de 1968 et 1969. Les travaux de Siegfried Kracauer ou de Walter Benjamin semblent
parfois s’éloigner ― est-ce pour mieux y revenir ? ― du programme proposé par Horkheimer lors
1
Max Horkheimer, Théorie traditionnelle et théorie critique, Paris, Gallimard, 1974.
de son discours inaugural de l’Institut (« La situation actuelle de la philosophie sociale et les
tâches d’un institut de recherche sociale »).
Néanmoins, s’il n’y a pas de paradigme unitaire au sein de cette « école » de pensée, et en dépit de
toutes les divergences, une conviction était et, peut-être, reste commune. Comme le rappelle Rolf
Wiggershaus : « la théorie devait être rationnelle, dans la tradition de la critique marxienne du
caractère fétichiste d’une reproduction capitaliste de la société, et en même temps représenter le
mot juste qui romprait la malédiction imposée aux hommes et aux choses et à leurs rapports
réciproques »2.
Alors que notre société contemporaine connaît désormais une suite de crises d’une ampleur
méconnue depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, alors que le pouvoir financier et celui des
banques croissent dans la quotidienneté et s’immiscent au sein de l’intimité des individus, alors
que le monde du spectacle devient la réalité concrète du vécu de chacun et de tous, alors que le
fétichisme de la marchandise atteint un apex, il nous semble indispensable de travailler encore les
théories de tous ceux qui, comme Horkheimer, pensaient « que toute la puissance de l’ordre établi
pousse à la liquidation de toute culture et à la barbarie la plus sombre », d’autant que « le cercle de
ceux qui sont véritablement solidaires est de toute façon bien réduit »3. De ce point de vue une
théorie critique de la culture contemporaine, de l’art au XXIe siècle, de la spectacularisation
croissante et de la réification du vivant, de la technique et de la science et de leurs formes
industrielles, les techno-sciences, de la corporéité sportive et non sportive, des institutions de
formation ― particulièrement l’école et l’Université ― et, d’une manière plus générale de la vie
contemporaine, de la quotidienneté, du capitalisme, de la domination, de la valeur et de la
violence, est une nécessité au regard des travaux de Max Horkheimer, Theodor W. Adorno,
Herbert Marcuse, Jürgen Habermas, Erich Fromm ou des proches tels Siegfried Kracauer, Walter
Benjamin ou encore Alfred Sohn-Rethel.
Il ne s’agit donc pas d’opérer une réduction des travaux de l’« École de Francfort », mais de faire
prévaloir une démarche ou, plus sûrement, un point de vue d’ensemble, par les analyseurs choisis,
qui montrent la « capacité qu’a la culture établie de neutraliser [les] protestations »4 ou les
altérations possibles (réformes individuelles et collectives, révolutions ?) de la vie socialement,
culturellement, politiquement, économiquement dominante. La cohérence d’une posture critique
dans le monde contemporain est essentielle afin d’éclairer une potentielle situation crépusculaire
qui n’est sans doute jamais totalement éloignée.
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Date de retour des articles : décembre 2012
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2
Rolf Wiggershaus, L’École de Francfort. Histoire, développement, signification, Paris, PUF, 1993.
Max Horkheimer, Théorie traditionnelle et théorie critique, op. cit., p. 80.
4
Martin Jay, L’Imagination dialectique. L’École de Francfort 1923-1950, Paris, Payot, 1977, p. 10.
3