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AV1 AT L099/E01
René Le Goff
M. René Le Goff est né en 1926 dans la Loire-Inférieure à l’époque, aujourd’hui Loire-Atlantique.
ENREGISTREMENT RÉALISÉ LE 30/10/2012 PAR MADAME CÉCILE HOCHARD.
STATUT DU TÉMOIN
Cheminot pendant la Seconde Guerre
mondiale
FONCTION À LA SNCF
Manœuvre à la filière traction, affecté au
bureau de la « feuille »
DATE D’ENTRÉE ET
DE DEPART DE LA SNCF
1943-1983
AXE DE L’ÉTUDE
Vie et travail au quotidien pendant la
Deuxième Guerre mondiale : mémoire et
récits de cheminots
SUJET PRINCIPAL
Le dépôt de Nantes-Blottereau pendant la
Deuxième Guerre mondiale.
THÈMES ABORDÉS
Présentation et situation familiale avant
guerre
Entrée au dépôt de Nantes-Blottereau en
1943 et fonctionnement du bureau de la
feuille
Vie professionnelle et vie quotidienne sous
l’Occupation
Libération de Nantes et après-guerre
Motivations pour répondre à l’Appel à
témoins
OUTIL DE CONSULTATION
CD audio
MATÉRIEL D’ENREGISTREMENT
TASCAM DR-40
DURÉE DE L’ENREGISTREMENT
3 heures 05 minutes 27 secondes
DURÉE APRÈS TRAITEMENT DU SON
3 heures 01 minutes 20 secondes
Communication
Le témoin autorise, à partir du 30 octobre 2012, la copie, la consultation, l’exploitation pour des travaux à
caractère historique ou scientifique, la diffusion sonore et la publication de la transcription et de
l’enregistrement avec mention de son nom, par contrat passé avec l’AHICF à laquelle toute demande
d’utilisation à d’autres fins de l’enregistrement et de la présente analyse doit être adressée.
Fiche chronothématique réalisée par Marine Coadic
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Documents fournis par le témoin et consultable auprès du SARDO
-Brochure sur le dépôt de Nantes-Blottereau.
-Copies de journaux.
-Témoignages manuscrits de René Le Goff.
-Copies de deux brochures :
-Auguste Chauvin, résistant FTP, 1940-1943. Lettres d’un héros ordinaire, collectif pour la mémoire
des 42, l’Oribus
-Dossier de Henri Lefievre, résistant FTP
Compte rendu analytique
I - Présentation et situation familiale avant la guerre
(Plage 02) : René Le Goff a commencé sa carrière le 16 août 1943 [à l’âge de 17 ans] au dépôt de NantesBlottereau [Loire-Atlantique] où il a été admis comme manœuvre auxiliaire à la filière matériel et traction. De
1943 à 1949, il a travaillé au dépôt de Nantes puis il a rejoint l’arrondissement traction devenu par la suite
« l’arrondissement MT, matériel et traction ». Après avoir réussi l’examen de chef de groupe dit « examen de
barrage », il a été nommé au dépôt de Trappes [Yvelines] où il est resté 18 mois. De retour à Nantes, il a été
affecté à la division du matériel. Son supérieur lui a alors proposé de suivre une formation pour devenir
secrétaire de gestion. Après avoir effectué des stages dans différents lieux, il a pris son service à l’atelier
d’entretien de Nantes en 1972. Cet atelier était appelé le « grand Nantes » car il regroupait Nantes et « tous
les postes périphériques » : Angers [Maine-et-Loire], Châteaubriant [Loire-Atlantique], Saint-Nazaire [LoireAtlantique], Thouars [Deux-Sèvres], Niort [Deux-Sèvres], La Rochelle [Charente-Maritime]. Cela représentait
un effectif de 621 agents. René Le Goff a terminé sa carrière en juillet 1983. Il était alors inspecteur au
service matériel et traction à Nantes. Avant son entrée à la SNCF, René Le Goff avait obtenu un brevet en
lycée professionnel qui formait à la profession d’employé de bureau. Le chemin de fer « lui a tout appris ».
(6mn:09s)
(Plage 03) : Avant le déclenchement de la guerre en 1939, René Le Goff vivait à Nantes [Loire-Atlantique]
chez ses parents. Sa famille vivait en appartement privé et n’a jamais vécu en cité cheminote même s’il y en
avait à Nantes. Son père, né en 1893, était également cheminot. À la fin de la Première Guerre mondiale, il
avait été envoyé par l’armée aux chemins de fer qui manquaient alors de main-d’œuvre. Il était entré au PO
[Compagnie du chemin de fer de Paris à Orléans] au dépôt d’Auray [Morbihan] comme nettoyeur de
machines puis était devenu chauffeur. Il travaillait toujours au moment de la déclaration de guerre en 1939. La
mère de René Le Goff était femme au foyer. Veuve de guerre, elle s’était remariée avec le père de René Le
Goff. Il avait également un frère qui était menuisier et une sœur couturière. (3mn:37s)
(Plage 04) : René Le Goff et son père étaient syndiqués à la CGT [Confédération générale du travail]. En
1936, son frère s’était « passionné » pour « l’aventure du Front populaire ». Son père lui parlait souvent de la
grève de 1920 à l’issue de laquelle une grande partie des effectifs avaient « été mis à la porte ». René Le
Goff évoque également les congés payés. Sa famille ne prenait pas de vacances mais parfois lorsque son
père travaillait le dimanche sur la ligne du Croisic [Loire-Atlantique] ou de La Baule [Loire-Atlantique], ils
partaient avec lui pour profiter d’une journée au bord de la mer. (2mn:42s)
(Plage 05) : En septembre 1939, René Le Goff entrait au lycée, à l’« école pratique ». Il se rappelle des
événements survenus dans l’école et notamment de miliciens « venus décrocher la Marianne de
l’amphithéâtre» et d’élèves juifs qui avaient « été arrêtés en classe ». Il se remémore également les
bombardements allemands. Les premiers Allemands qu’il a vus étaient « deux motards avec un side-car »,
« vêtus de cuir ». Sa mère lui avait demandé d’aller chercher sa sœur et en chemin il avait été arrêté par ces
deux Allemands qui cherchaient la préfecture. René Le Goff évoque également l’attentat contre le colonel
Hotz [responsable des troupes d'occupation en Loire-Inférieure], « qui avait été abattu par des résistants
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communistes ». Cet attentat avait entrainé des représailles des troupes allemandes qui avaient fusillé 50
otages : « 25 de Nantes [Loire-Atlantique] » et « 25 du camp de Châteaubriant [Loire-Atlantique] ». Il se
souvient de la propagande orchestrée par le général Von Stülpnagel [commandant des troupes allemandes
en France] qui avait fait placarder une affiche sur les 50 otages. (4mn:18s)
(Plage 06) : Le frère de René Le Goff a été mobilisé dans « les chars » en 1939. Après avoir fui pendant la
débâcle, il avait gagné Guéret [Creuse] en zone libre puis était revenu à Nantes [Loire-Atlantique]. Par la
suite, il avait été envoyé au STO [Service du travail obligatoire]. Les Allemands étaient arrivés à Nantes « le
16 juin 1940 avant que Pétain n’obtienne les pleins pouvoirs ». Le jour de l’armistice, les membres de la
famille de René Le Goff étaient « contents que la guerre se finisse » mais ils n’étaient pas « pétainistes ». Il
se rappelle que lorsque les Allemands ont attaqué le 10 mai 1940, ils ont envahi « à une vitesse folle plus de
la moitié du territoire ». « Toutes les troupes fuyaient devant l’invasion ». Sa belle-mère avait accueilli des
réfugiés venus du Nord. Pendant cette période, son père a continué à conduire des trains et notamment des
convois de marchandises militaires. Il roulait dans la région Ouest et allait à Tours [Indre-et-Loire], Le Mans
[La Sarthe], Quimper [Finistère], Angers [Maine-et-Loire], Rennes [Ille-et-Vilaine], la Roche-sur-Yon [Vendée].
(4mn:45s)
II - Entrée au dépôt de Nantes-Blottereau en 1943 et fonctionnement du bureau de la feuille
(Plage (07) : René Le Goff est entré à la SNCF par l’intermédiaire d’un collègue de son père. Grâce à ce
collègue, René Le Goff fut convoqué par courrier par le chef du bureau du dépôt le 16 août 1943. Il a passé
un examen qui comportait une « dictée » et des « problèmes ». Il a aussi été convoqué à une visite médicale
qui permettait de répartir les cheminots dans une des « quatre catégories » suivantes : la conduite, l’atelier,
« la cour » ou la manœuvre et l’administration. Elle permettait également de vérifier la vue, le poids et la
capacité de la cage thoracique. Au moment de son entrée à la SNCF, René Le Goff « ne savait pas ce que
c’était le chemin de fer » mais il connaissait le métier de cheminot à travers son père. Avant d’entrer à l’école
pratique, il voulait être chaudronnier. N’ayant pu suivre cette voie, il avait fréquenté un lycée professionnel qui
le destinait au métier d’employé de bureau mais cela ne lui « plaisait pas trop ». (6mn:21s)
(Plage 08) : Lors de son premier jour de travail, René Le Goff a été accueilli par le chef de bureau de la
« feuille ». La « feuille » était « le service de commandement des équipes de traction ». Ce service organisait
la circulation des trains [et déterminait l’affectation du personnel roulant sur les machines]. Au sein du service,
de « grandes plaques métalliques » sur lesquelles il y avait de « grandes feuilles où étaient graphiqués tous
les trains » permettaient d’organiser leur roulement pour les chauffeurs et les mécaniciens. À cette époque,
les chauffeurs et les mécaniciens étaient titulaires de leur machine. René Le Goff évoque le « couple »
mécanicien/chauffeur et l’importance de la relation qui pouvait les unir lorsqu’ils s’entendaient bien. Il arrivait
pourtant qu’ils ne s’entendent pas. Dans ces cas-là, le mécanicien pouvait « aller jusqu’à tracer un trait au
milieu de l’abri » que le chauffeur n’avait pas le droit de dépasser. (5mn:24s)
(Plage 09) : Au bureau de la « feuille », il y avait un « chef de feuille de jour » et « chef de feuille de nuit » qui
se succédaient. Il y avait aussi un sous-chef de cour de matinée, de soirée et de nuit. Des suppléants
pouvaient occasionnellement compléter le service : « un sous-chef de cour pouvait très bien être formé à la
feuille pour la nuit ». Le sous-chef de cour commandait les « surveillants de dépôts », les « allumeurs », les
« tubistes », les « veilleurs de feu », la « charge » « c’est-à-dire l’agent du toboggan ». Le surveillant de dépôt
et l’aide surveillant de dépôt sortaient les machines des ateliers jusqu’à la plaque tournante. Ils les
« manœuvraient » « pour les mettre en place sur gril » devant la « feuille », où elles étaient préparées. Lors
de son premier jour de travail, René Le Goff a été chargé de faire un « livret de commande ». Il faisait alors
« 10 heures de service ». Par la suite, on lui a donné un « travail plus intéressant ». La traction rassemblait
environ « 250 personnes », dont « trois quarts conduite », « un quart atelier » et une cinquantaine de
personnes pour les magasins et l’administration. Le dépôt de Nantes-Blottereau « était tout neuf » puisqu’il
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avait ouvert en 1941. Ce dépôt était « bâti sur des bases nouvelles pour un meilleur fonctionnement du
service ». « Ils appelaient ça le dépôt modèle. » (6mn:30s)
(Plage 10) : Le père de René Le Goff a commencé sa carrière de cheminot au PO [Compagnie du chemin de
fer de Paris à Orléans]. Lorsque le PO et le réseau de l’Ouest appartenant à l’Etat ont été réunis au sein de la
SNCF, « c’est lui qui a fait le premier train entre Nantes [Loire-Atlantique] et Le Mans [Sarthe] ». Ce
changement n’a pas eu d’incidence sur le travail de son père. « Les mécaniciens Etat et les mécaniciens
PO » ne s’entendaient pas. Le rattachement du PO et de l’Etat a entraîné une concurrence, des tensions
entre les membres du personnel. Il a fallu attendre « 3-4 ans » pour que « ça marche bien ». Avant la création
du dépôt de Nantes-Blottereau il existait deux dépôts : celui de Nantes-Sainte-Anne qui appartenait à l’Etat et
celui de Nantes-Mauves « où était le dépôt PO ». A la création du dépôt de Nantes-Blottereau les personnels
des deux dépôts ont été mélangés. (4mn:05s)
(Plage 11) : Au dépôt de Nantes-Blottereau, René Le Goff s’est formé « à peu près tout seul ». Il s’occupait
de la « feuille » pour les cheminots « non-nantais ». Au sein du dépôt, il y avait différents espaces : le « gril de
départ » ; la « sablerie » où « on mettait du sable dans la locomotive pour les freins » ; le « toboggan » ; les
« deux châteaux d’eau » qui étaient « alimentés avec de l’eau industrielle » ainsi qu’une « station de
pompage ». Il y avait également un espace qu’on appelait la « bricole », ainsi qu’une « grande fosse » sur
laquelle « il y avait un pont transbordeur qui alimentait les ateliers » et « qui permettait de faire le levage des
locomotives ». Les petites réparations étaient concentrées sur le dépôt de Nantes-Blottereau alors que les
grandes réparations étaient réalisées sur d’autres sites tels que Tours [Indre-et-Loire] ou Juvisy [Essonne].
De 1943 à 1945, René Le Goff a travaillé à la « feuille ». Il a ensuite été affecté au bureau mouvement où il
« faisait le décompte des bulletins de traction » car à chaque voyage le mécanicien faisait un bulletin où de
nombreuses informations étaient consignées. Il y était notamment inscrit les minutes d’avance et de retard.
Cela permettait de déterminer les primes des mécaniciens. René Le Goff rédigeait également des bons de
chargement. (6mn:22s)
(Plage 12) : René Le Goff évoque le fonctionnement des machines à vapeur et les tâches qui incombaient au
chauffeur et au mécanicien. La tâche des chauffeurs, poste qu’occupait son père, était de « tenir la
locomotive propre », « remplir en eau le tender », « faire le feu », mettre du charbon dans les machines. Le
chauffeur travaillait avec le mécanicien et ils communiquaient par « signes ». À l’époque les cabines étaient
bruyantes et les chauffeurs et mécaniciens travaillaient toujours debout. Il a fallu attendre les « 141 R »
amenées d’Amérique pour qu’ils puissent travailler assis. Pendant la guerre, « ils avaient derrière eux un
pare-balle » pour se protéger des mitraillages. « Entre le haut de l’abri et la soute à charbon », il y avait
également une « grande bâche pour cacher les lueurs » afin de ne pas se faire « repérer par les avions ». Le
chauffeur s’occupait aussi de l’éclairage car il n’y avait pas encore de turbines mais des « lampions à
acétylène ». Le mécanicien était en charge des bidons d’huile. À l’arrivée au dépôt, le chauffeur devait rentrer
les lanternes à la lampisterie et vider la « boite à fumée ». Le mécanicien devait rapporter les bidons d’huile.
À Nantes, seules des machines à vapeur roulaient. L’électrification des lignes ne s’est faite que dans les
années 1980. (9mn:48s)
(Plage 13) : Au bureau de la « feuille », il y avait « le secrétaire de feuille », « l’aide secrétaire », « un
Allemand » ainsi qu’un « chef de dépôt allemand ». Après avoir travaillé au décompte des bulletins de
traction, René Le Goff a été secrétaire du chef de dépôt adjoint où il était charge de « régler les incidents ». Il
préparait « les demandes d’explications » pour les mécaniciens. Ces demandes d’explications étaient
transmises par un « téléphoniste ». Le mécanicien pouvait encourir des sanctions allant de la simple
réprimande jusqu’au rappel à l’ordre. René Le Goff n’était pas formé à la sécurité mais il l’était au
dépouillement des « bandes Flaman » qui permettaient notamment de voir si les trains avaient dépassé la
vitesse autorisée. (4mn:25s)
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III - Vie professionnelle et vie quotidienne sous l’Occupation
(Plage 14) : René Le Goff travaillait en 3 x 8. Afin de pouvoir circuler, il possédait un ausweis et un brassard.
Il travaillait 58 à 60 heures, 6 jours par semaine et avait un jour de repos hebdomadaire mais non fixe. En
octobre 1944, il a été détaché au dépôt de Châteaubriant [Loire-Atlantique] pour faire un remplacement puis
au dépôt de Nantes-Sainte-Anne. René Le Goff n’est pas allé au STO [Service du travail obligatoire] car il
était trop jeune mais d’autres cheminots sont partis. Il se rappelle d’un chef de bureau qui a été inquiété et
rétrogradé après la guerre car il écrivait lui-même les ordres de départ pour le STO à la machine et les
signait. (5mn:59s)
(Plage 15) : Pendant la guerre, René Le Goff a fourni de faux certificats de travail. Lorsqu’il restait tard dans
les bureaux, il assurait le gardiennage du coffre-fort au bureau d’ordre. Une fois le personnel administratif
parti, il ouvrait le placard de fournitures et y prenait des certificats de travail en blanc. Un cheminot qui était
résistant lui donnait des listes de noms. Il tapait ces noms sur des certificats de travail et les tamponnait. Il se
rappelle qu’il a dû en signer « une vingtaine ou une trentaine ». Pendant la guerre, René le Goff a récupéré
des tracts alliés tombés d’un avion qui lui avaient été donnés par la fermière chez qui il allait pour se
ravitailler. En enveloppant les œufs avec les tracts, il avait réussi à passer un barrage allemand. Il n’était pas
contrôlé grâce à son brassard SNCF. Il avait donné ces tracts au cheminot qui lui fournissait les noms des
réfractaires au STO et, avec ce résistant, ils avaient provoqué un cheminot allemand qui travaillait avec eux
en lui montrant un tract. (6mn:39s)
(Plage 16) : Pour les déplacements, René le Goff avait un ausweis et un brassard « blanc avec l’aigle
allemand » et un numéro « qui correspondait à l’ausweis ». Sa carte de cheminot lui permettait aussi de se
déplacer et lui donnait la gratuité des trains en zone libre. Elle ne permettait pas de franchir la ligne de
démarcation. Pendant la guerre, des ponts ont été coupés et on ne pouvait pas aller vers Quimper [Finistère],
Le Mans [Sarthe] et Tours [Indre-et-Loire] « car à Angers [Maine-et-Loire] c’était coupé ». Quand des trains
déraillaient, le chef de traction se rendait sur place. Il accompagnait « la grue ou le wagon de secours ». Un
wagon d’agrès et un wagon servant de dortoir et salle à manger complétaient ce matériel. Deux équipes se
relayaient. (5mn:17s)
(Plage 17) : « Le chef de feuille » était « obligé de se soumettre » aux volontés des Allemands. Des « trains
TCO » « qui avaient priorité sur tout » et des trains de permissionnaires allemands étaient inscrits sur une
feuille facultative. Ils avaient « priorité sur tout ». Les cheminots de la « feuille » étaient généralement
prévenus 24 heures à l’avance de la formation de ces trains. Tous les postes de cheminots français étaient
doublés par des Allemands. Il y avait également des mécaniciens allemands dans le dépôt qui pouvaient
travailler avec des chauffeurs français sur les TCO. Dans les trains qui transportaient des armes, il y avait
« un soldat en armes ». René Le Goff était au courant de la répression par l’intermédiaire de la presse,
l’affichage de la propagande allemande et le « bouche à oreille ». Selon lui, « on savait qu’il y avait camp de
prisonniers à Savenay [Loire-Atlantique] », « à Châteaubriant » [Loire-Atlantique] et qu’on retenait des gens
dans « la prison de Nantes [Loire-Atlantique] ». Pendant la guerre, la CGT [Confédération générale du travail]
a été dissoute. Le père de René Le Goff ne parlait pas du syndicat avec ses anciens camarades : c’était
« bouche cousue ». « Ils faisaient en sorte de passer inaperçus ». René Le Goff évoque un résistant nommé
Marin Poirier qui avait été fusillé par les Allemands. Il était gardien de passage à niveau. On avait raconté à
René Le Goff qu’ « il saoulait les sentinelles allemands », « les emmenait faire un tour » et les jetait à l’eau.
(5mn:17s)
(Plage 18) : Pendant toute la période de la guerre, René Le Goff a vécu chez ses parents. Sa mère avait
toujours peur et souffrait du départ de son frère à la guerre puis au STO [Service du travail obligatoire]. La
famille avait « un grand jardin » et « un élevage de lapins ». René Le Goff se souvient avoir tout de même
souffert de la faim : « ce qui nous manquait c’était le pain. » La plupart des aliments étaient rationnés. Les
chaussures, les pneus de vélo, les vêtements l’étaient aussi. Sa sœur qui était couturière retournait les
vêtements pour leur donner « un côté neuf ». La SNCF ne fournissait pas de vêtements de travail aux
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employés de bureau. René Le Goff allait dans les fermes pour rapporter du beurre et des œufs. Pour chauffer
la maison familiale, il avait inventé un système : il mettait des « vieux journaux à tremper dans une bassine »,
il en faisait des « boulettes » qu’il étalait sur des planches pour qu’elles deviennent dures puis il les roulait
dans la poussière de charbon dans la cave. Son père ne pouvait pas rapporter de charbon à la maison car il
aurait risqué de perdre sa place. René Le Goff évoque un cheminot qui avait été renvoyé de la SNCF parce
qu’il avait été pris avec « un sac de coke ». Malgré la police des chemins de fer, des vols étaient commis sur
les convois, « surtout dans les triages ». Des wagons étaient détachés des trains et leur contenu pillé. Il y
avait du marché noir à Nantes [Loire-Atlantique] mais la famille Le Goff ne s’y approvisionnait pas.
(11mn:29s)
(Plage 19) : Le secteur de Doulon à Nantes [Loire-Atlantique] a été bombardé à la Pentecôte 1944. « Ils ont
fait des ravages ». Ils visaient les « voies ferrés », « la gare » et « le dépôt » mais « il n’y a eu que très peu
de dégâts ». Au moment des alertes, les cheminots de la « feuille » se cachaient dans un souterrain qui
passait « sous le grill » et les voies principales. À Nantes, de nombreux ponts ont été détruits et notamment le
pont de la Vendée, le pont de Résal et des ponts routiers. « On était coupé complètement du sud ». Les
Allemands ont quitté Nantes dans « la nuit du 11 au 12 [août 1944]» en faisant sauter des ponts. Au moment
du bombardement du 16 septembre 1943, René le Goff « était dans son lit ». Il avait été réveillé par le bruit
des avions et des bombardements. Ces bombardements avaient continué le 23 septembre et un éclat d’obus
était tombé près de chez lui. Les bombardements de jour étaient l’œuvre des « forteresses volantes »
américaines tandis que les bombardements de nuit étaient l’œuvre des avions anglais. (6mn:10s)
(Plage 20) : Sous l’Occupation les cheminots ont continué à avoir accès aux soins. À la SNCF, les médecins
« référents », de « secteur » et d’« établissement » suivaient les cheminots. René Le Goff passait des visites
médicales obligatoires tous les ans. En dehors du travail, il côtoyait ses collègues. Il évoque notamment la
« navette ouvrière » qui emmenait les cheminots de la gare de Nantes-Orléans [Loire-Atlantique] au dépôt et
qui circulait à chaque fin de service. La navette était composée de « vieilles voitures » avec des « sièges en
bois » et des « portes latérales ». Un compartiment était réservé aux « patrons » et un autre aux « jeunes ».
Pendant la guerre, René Le Goff n’avait pas de loisirs ou d’activités sportives. Avant guerre, il pratiquait la
natation et après guerre il a rejoint les « mouvements de jeunesse ». Il était responsable et participait à des
activités de « plein air » comme du camping, des balades ou du canoë. Sous l’Occupation, il allait au cinéma.
A chaque séance il y avait les « actualités allemandes » qui montraient des « films de propagande ».
(6mn:42s)
(Plage 21) : « Mon métier je l’ai appris au chemin de fer. » Au sein du dépôt, les cheminots allemands étaient
trois auxquels s’ajoutaient les mécaniciens. René Le Goff se rappelle d’un chef de dépôt allemand qui
« parlait très bien français » et avec qui il avait de bons rapports. Les Allemands présents dans la gare étaient
des « gens de la Reichsbahn [Compagnie des chemins de fer allemands] ». Ils portaient un « costume », une
« casquette allemande» et un « revolver à la ceinture ». Un des trois Allemands recopiait tous les numéros de
locomotives. Un cheminot du dépôt cachait certains numéros derrière la feuille. Deux interprètes, une femme
allemande et un Alsacien, étaient présents pour permettre aux Allemands ne parlant pas bien français de
communiquer. On considérait les Allemands « comme des Allemands » et pas comme des collègues. Selon
René Le Goff, les mécaniciens allemands ne parlaient pas aux chauffeurs français, ils communiquaient
uniquement « par signes ». Des militaires allemands en armes étaient présents sur certains trains. René Le
Goff se souvient de la présence de « gardes voies » français qui avaient été postés le long du triage de la
gare à la suite du sabotage des moteurs des pompes servant à alimenter les châteaux d’eau. Il évoque
également les cheminots qui, voulant améliorer leur salaire, allaient creuser des tranchées anti-char autour de
la ville. À la libération un tribunal SNCF avait été mis en place et certains de ces cheminots furent licenciés de
la SNCF. (10mn:49s)
(Plage 22) : Malgré la reconstitution clandestine de la CGT [Confédération générale du travail], le père de
René Le Goff n’a pas continué à s’y investir. À Nantes [Loire-Atlantique], Henri Adam, ouvrier tourneur au
dépôt de Nantes-Sainte-Anne et résistant a été fusillé avec d’autres militants communistes. Le père de René
Le Goff n’appréciait pas le maréchal Pétain. Il ne parlait pas bien le français car sa langue maternelle était le
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breton. René Le Goff écoutait la radio grâce au poste de son voisin. C’est chez lui qu’il a appris le
débarquement du 6 juin 1944. (7mn:04s)
Plage (23) : Des actes de sabotage ont été commis au dépôt de Nantes-Blottereau. Des résistants avaient
notamment fait sauter « la plaque tournante de 24 mètres ». Certains cheminots menaient des actions comme
par exemple le sabotage de machine sur la plaque tournante. Dans les ateliers, des sabotages pouvaient
également être menés. Par exemple, des goupilles en acier pouvaient être remplacées par des goupilles en
fer recuit, du sable ou des cailloux pouvaient être mis dans les boîtes à roulement. Après les sabotages, des
enquêtes étaient menées par les Allemands et les cheminots pouvaient être emmenés à la kommandantur.
Les sabotages avaient aussi lieu directement sur les voies par « de-tirefonnage ». Certains résistants
coupaient également les fils de transmission de signaux avec des « coupe boulons ». Les autres cheminots
« avaient peur de dérailler » et certains refusaient même de conduire leur train. Néanmoins il y a eu des
volontaires car des primes étaient accordées par la SNCF pour conduire les « trains dangereux » comme les
trains de permissionnaires. (12mn:13s)
(Plage 24) : Travailler aux côtés des Allemands est ce qui a le plus marqué René Le Goff pendant la guerre. Il
se rappelle aussi de certains camarades qui étaient bucaristes [partisans de Marcel Bucard], portaient une
« chemise bleue » et défilaient dans la ville. Ils avaient leur siège « place Bretagne à Nantes [LoireAtlantique]». René Le Goff continue de côtoyer certains camarades d’école et anciens collègues de
l’arrondissement. Au sein de la SNCF, des cheminots militaient au sein de mouvements collaborationnistes.
(2mn:52s)
IV- Libération de Nantes et après-guerre
(Plage 25) : À l’annonce du débarquement, René Le Goff a été « heureux ». Après la Libération de Nantes
[Loire-Atlantique] le 12 août 1944, les bombardements ont continué. Le 18 juin 1944 les Anglais ont
bombardé les ponts de Thouaré. Les Allemands ont quitté la ville dans la nuit, faisant sauter des ponts et
mettant le feu à une chapelle « qui était pleine de munitions ». À la Libération, des hommes portant des
brassards avec la croix de lorraine et des voitures de FFI ont défilé. René Le Goff se rappelle que « ça allait
dans tous les sens ». Il se souvient aussi des femmes tondues. Après le 12 août, les Allemands sont
revenus vers Carquefou [Loire-Atlantique] où ils ont commis des exactions. Ils sont aussi revenus dans « la
zone de Bellevue », près du dépôt, afin de se ravitailler. René Le Goff se rappelle avoir vu deux avions
anglais « mosquito» descendre en piqué vers les Allemands qui revenaient. (9mn:43s)
(Plage 26) : René Le Goff n’a pas un souvenir marquant du 8 mai 1945. Néanmoins, il se souvient très bien
de l’arrivée du général de Gaulle venu remettre la Croix de la Libération à la ville de Nantes [Loire-Atlantique].
Il était accompagné de Michel Debré alors commissaire du gouvernement pour la région d’Angers. Malgré la
Libération de Nantes, les combats ont continué dans la poche de Saint-Nazaire [Loire-Atlantique]. Des trains
avaient été mis à disposition par la SNCF à l’instigation de la Croix-Rouge afin de ravitailler la poche car « le
dépôt de Saint-Nazaire avait été complétement rasé par les bombardements ». Ces trains permettaient de
ravitailler les civils mais également de rapatrier les personnes nécessitant des soins. (5mn:32s)
(Plage 27) : Après la guerre, René Le Goff a été affecté au bureau du personnel du dépôt où il faisait passer
des examens de recrutement. Il recrutait alors plusieurs personnes par jour. En 1948, il a effectué son service
militaire. À son retour, en 1949, il a quitté le dépôt de Nantes-Blottereau et a été affecté au bureau du
personnel de l’arrondissement de Nantes. Après la guerre, le réseau ferroviaire était en mauvais état : « 4 500
km de voies avaient été sabotés » et les locomotives avaient été « mitraillées ». Elles étaient pour la plupart
d’entre elles réparées au chantier naval de la Loire. Certaines étaient envoyées aux usines des Batignolles
[filiale nantaise de la Société de construction des Batignolles] qui avaient continué à construire des
locomotives pour les Allemands pendant la guerre. À la Libération, le personnel qui ne participait pas à la
remise en état des machines sur place était envoyé ailleurs. Certains sont partis travailler sur la ligne
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Châteaubriant-Saint-Nazaire [Loire-Atlantique] qui a été démontée pour récupérer des matériaux. René Le
Goff ne se rappelle pas que les Américains aient participé à la reconstruction. Ils ont néanmoins amené les
« 141 R à charbon » puis « au fioul ». Les Anglais avaient apporté des locomotives Churchill au moment de la
reconstruction mais les avaient reprises par la suite. Après guerre, les mécaniciens et les chauffeurs n’étaient
plus titulaires de leur machine. Le père de René Le Goff a pris sa retraite en 1946. (8mn:03s)
(Plage 28) : Des comités d’épuration ont été mis en place par des syndicalistes de la SNCF. Ces comités ont
fonctionné six mois à un an et selon René Le Goff, ils siégeaient « peut-être une fois par mois ». Les gens qui
étaient déférés étaient ceux qu’on accusait d’avoir collaboré. (3mn:28s)
(Plage 29) : Chaque année, René Le Goff a assisté à des commémorations à l’occasion du 11 novembre ou
du 8 mai. Avec ses collègues, ils se réunissaient dans le dépôt de Nantes-Blottereau [Loire-Atlantique] devant
une plaque où étaient inscrits les noms de « ceux qui étaient morts en déportation, ceux qui étaient morts
fusillés et ceux qui étaient morts pendant les hostilités de 40 ». Tout le personnel se réunissait devant le
monument aux morts pour observer une minute de silence. (1mn:49s)
(Plage 30) : La guerre a eu une influence sur le processus d’unification de tous les réseaux qui existaient
avant la création de la SNCF. Avant cette unification, une ligne pouvait dépendre de plusieurs
arrondissements. Au moment où le père de René Le Goff travaillait, Nantes [Loire-Atlantique] dépendait du
PO [Compagnie du chemin de fer de Paris à Orléans] de l’arrondissement de Tours [Indre-et-Loire] et NantesEtat dépendait du Mans [Sarthe]. Au sein de la même ville, deux réseaux cohabitaient. René Le Goff a adhéré
à la CGT [Confédération générale du travail] en revenant de son service militaire et a participé aux grèves de
1947. Par la suite, il n’a pas renouvelé son adhésion. (5mn:34s)
V – Motivation pour répondre à l’Appel à témoins
Plage 31 : René Le Goff a lu l’appel à témoignage dans La Vie du rail. Il « avait des choses à dire ». Il a
évoqué cette période avec son fils qui est cheminot. (1mn:52s)
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