Mobilisation individuelles et collectives au Venezuela
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Mobilisation individuelles et collectives au Venezuela
Espaces de vie, espaces-enjeux : entre investissements ordinaires et mobilisations politiques, LA DIMENSION SPATIALE DE LA PARTICIPATION POPULAIRE LES TABLES DE L’EAU À MARACAIBO (VENEZUELA) Mathieu UHEL CRESO UMR ESO 6590 Résumé La « révolution bolivarienne » initiée au Venezuela depuis 1998 tente de résoudre la question de l’accès à l’eau dans les quartiers précaires par la mise en place de Tables de l’Eau. Ce nouveau dispositif participatif, intégré à un projet global de transformation sociale, est censé participer à la réorganisation égalitaire et décentralisée du territoire national. A l’articulation entre investissement ordinaire et mobilisation politique, la démocratie participative pose la question de l’organisation des rapports sociaux à l’échelle locale et de leur place au sein de la structure du pouvoir politique. Le Pouvoir Populaire parvient-il à s’acquitter de cette mission assignée par l’Etat et à éviter la reproduction de l’instrumentalisation politique du service ? Abstract Since 1998, the « Bolivarian Revolution » initiated in Venezuela tries to solve the question of the access to water in the precarious suburbs with the installation of the Water Tables. This new participative mechanism, inserted into a global plan of social transformation, is being supposed to take part in the egalitarian and decentralized reorganization of national territory. Between ordinary investment and political draft, participative democracy asks the question of the organization of social relations at the local scale and their place within the structure of political power. The Popular Power succeeds to fulfil this mission allocated by the State and to avoid the reproduction of the political manipulation of the service? 1 Espaces de vie, espaces-enjeux : entre investissements ordinaires et mobilisations politiques, Plusieurs milliards d’êtres humains sur la planète sont encore aujourd’hui privés d’un accès continu à l’eau. Cette situation étant particulièrement critique dans les quartiers précaires des villes du Sud, où les réseaux techniques urbains ne desservent pas ou de manière déficiente les habitants. Après 20 ans de programmes d’ajustement structurel prônant la privatisation (toute ou partielle) des services, tous les spécialistes de la question hydrique, des néolibéraux aux altermondialistes, avancent l’impératif de la participation des usagers afin de résoudre le problème de l’accès à l’eau, renvoyant certes à des ancrages idéologiques différents (Jaglin, 2003). A l’instar d’autres pays du continent latino-américain, le Venezuela d’Hugo Chavez a intégré la réforme du secteur de l’eau à un projet 1 global de transformation sociale. La « révolution bolivarienne » s’est ainsi donnée pour objectifs l’amélioration des conditions d’existence de la majorité de la population et l’organisation égalitaire et décentralisée du territoire national, grâce au développement de politiques sociales et à la restructuration de l’Etat. L’accès à l’eau potable et à l’assainissement constitue l’une des priorités affichées par le gouvernement. Lors de la quatrième Rencontre National des Expériences Communautaires en matière d’Eau Potable et d’Assainissement de 2006, Chavez a réitéré « l’objectif de donner [au] peuple le plus grand bien être possible » en lui transférant le pouvoir. Il a qualifié les Tables de l’Eau (TE) d’« expériences libératrices, qui font parties de la stratégie politique socialiste en 2 marche dans le pays » . Ce nouveau dispositif local s’inscrit dans la politique de démocratie participative promue par le processus « révolutionnaire ». Les institutions créées doivent développer la capacité organisationnelle et décisionnelle des communautés locales constituant ainsi le Pouvoir Populaire. La « révolution de l’eau » a débuté en 1999 après le lancement par le président d’une vaste réflexion sur le moyen de systématiser l’expérience des Mesas Tecnicas de Agua (Tables de l’Eau) et Consejos Comunitarios de Agua (Conseils Communautaires de l’Eau), initiée pendant le mandat de Aristobulo Isturiz à la mairie de Caracas, entre 1993 et 1996. Il s’agissait de transformer une expérience de participation populaire ponctuelle en « proposition organisationnelle du gouvernement bolivarien à toutes les communautés, afin de résoudre les problèmes communautaires en matière de service d’eau potable et d’assainissement » (Arconada Rodriguez, 2005). Les TE sont donc généralisées à partir de 2001 grâce à l’adoption de la nouvelle loi, Ley Organica para la Prestacion de los Servicios de Agua y Saneamiento (LOPSAS). Composées d’usagers élus par la communauté, leur mission est « de connaître la gestion des services, de donner un avis sur les propositions d’investissement des autorités nationales, régionales et municipales, ainsi que de participer à l’évaluation et supervision des infrastructures destinées à la prestation des services » (LOPSAS, 2001). Les TE se diffusent rapidement sur le territoire et prennent progressivement une responsabilité accrue, les usagers des quartiers populaires pouvant participer directement au financement et à la construction des réseaux. Cette politique de démocratisation est par ailleurs renforcée par les Consejos Comunitarios del Agua et le Consejo Nacional del Agua conçus comme « des espaces alternatifs d’échange et de diffusion d’expériences réussies liées au travail des Tables de l’Eau » (Cariola et Lacabana, 2005). Ces Consejos Comunitarios del Agua, lieux de rencontre entre les communautés organisées, l’entreprise de l’eau et les pouvoirs publics, doivent permettre de renforcer le pouvoir décisionnel des usagers et le contrôle social du prestataire du service. Depuis 2006, les TE sont intégrées à l’organe exécutif des Consejos Comunales (Conseils Communaux), institutions politiques de base de la « nouvelle géométrie du pouvoir » voulue par Chavez, préfigurant l’édification de l’Etat Socialiste Vénézuélien (Chavez, 2007). La proposition de réforme de la Constitution de 2007 prévoyait la restructuration complète du territoire national. Les communautés, comportant chacune un Conseil Communal élu par les citoyens, seraient amenées à s’agréger les unes aux autres formant ainsi une commune, nouvelle division politico-administrative des villes en remplacement des parroquias. L’objectif étant de parvenir à la création d’une fédération de communes et à la transformation radicale de la structure politique du pays. Après avoir établi les conditions « pré-révolutionnaires » d’accès à l’eau à Maracaibo et les processus ayant produit la configuration sociale et environnementale de la ville (partie I), il s’agira ensuite de saisir la logique de diffusion des nouveaux dispositifs participatifs dans l’espace urbain et la 1 2 En référence à Simon Bolivar, figure historique de l’indépendance du Venezuela face à la couronne espagnole. Presse présidentielle, août 2006, www.gobiernoenlinea.ve 2 Espaces de vie, espaces-enjeux : entre investissements ordinaires et mobilisations politiques, recomposition des rapports socio-politiques locaux, à l’aide de trois cas sélectionnés à la périphérie (partie II). Le Pouvoir Populaire, censé contribuer à la réorganisation de la structure du pouvoir et à l’amélioration des conditions d’existence du peuple, parvient-il à s’acquitter de cette mission assignée par l’Etat et à éviter la reproduction de l’instrumentalisation politique du service (partie III) ? La satisfaction de cette nécessité vitale, par le biais de la participation populaire, se situe à l’articulation entre investissement ordinaire et mobilisation politique. La redéfinition de l’échelle de décision en matière de production des réseaux techniques urbains, couplée à des modalités radicalement démocratiques de mobilisation politique, implique une appropriation collective de ces mécanismes et une réorganisation effective des rapports de pouvoir. En conclusion, le Pouvoir Populaire participe-t-il de l’édification d’une nouvelle géographie urbaine, égalitaire et décentralisée ? 1. LA SITUATION « PRÉ-RÉVOLUTIONNAIRE » DE MARACAIBO 1.1. Une urbanisation capitaliste inégalitaire et excluante La mise en place des Tables de l’Eau à Maracaibo ne s’effectue bien évidement pas sur un espace vierge de toutes pratiques et institutions. La géographie de l’accès à l’eau est le produit des rapports de pouvoir qui se déploient au sein de la société vénézuélienne et participe de la configuration socio-environnementale inégalitaire de la ville. L’organisation et l’extension des réseaux techniques urbains acheminant l’eau au domicile résultent d’un compromis instable au sein de ces rapports de force, s’exprimant dans l’action du prestataire public, Hidrolago. Les solutions individuelles et/ou collectives palliant l’exclusion des quartiers au réseau sont écartelées entre des stratégies quotidiennes pour la survie et des luttes politiques pour la justice sociale et environnementale. Faire état de la situation « prérévolutionnaire » de la ville permettra par la suite de comprendre les avancées, limites et contradictions de la diffusion par l’Etat des nouveaux dispositifs participatifs. La ville est orientée et structurée depuis les années 1920 par le modèle d’accumulation capitaliste périphérique, lié à l’exploitation et l’exportation du pétrole par les firmes étasuniennes. L’introduction du capital transnational dans le développement historico-géographique de la région donne lieu à une nouvelle structure du pouvoir économico-politique et entraîne un changement radical dans la configuration socio-environnementale de la ville. Les compagnies pétrolières installent les colonias au nord pour héberger les employés et dirigeants de l’industrie, imprimant un saut hors de la trame coloniale (Carruto et al., 1994). Un marché urbain du travail, dopé par les activités pétrolières, se développe. Il ne peut cependant absorber l’ensemble des migrants affluant à Maracaibo, attirés par les opportunités d’amélioration de leurs conditions de vie. Des pans entiers de ce prolétariat urbain en constitution se trouvent alors exclus de l’économie « moderne » et relégués aux marges urbaines, sur des terres de faible valeur immobilière et carantes d’infrastructures publiques. Le pouvoir politique participe à l’assujettissement et reproduction de la classe ouvrière, en lien direct avec la logique d’accumulation du capital. Ainsi, seule la main d’œuvre employée pour l’exploitation pétrolière bénéficie des politiques sociales et de l’extension des services publics. Les résidents des quartiers marginalisés, considérés comme illégaux, sont exclus de la planification urbaine et réprimés par l’appareil d’Etat. Ils parviennent néanmoins à participer à la production de la ville, à travers un long et chaotique processus d’invasion et de consolidation du quartier. Historiquement ostracisés ou réprimés, ces quartiers précaires font l’objet d’une attention toute particulière à partir des années 1970. Les élites politiques locales et nationales voient les bénéfices électoraux à retirer de la prise en compte des secteurs sociaux marginalisés. D’autant que l’Etat dispose de revenus colossaux, depuis la nationalisation de l’industrie pétrolière et la flambée des prix de la ressource sur le marché mondial, et peut plus aisément acheter la paix sociale. Les représentants des institutions participatives locales (Associations de Voisinage, AV) font campagne en faveur d’un parti, dans l’espoir, une fois les élections remportées, de disposer d’une intégration accélérée à la ville (régularisation des terres et accès aux services publics). Cette relation clientéliste devient alors la norme et perdure encore aujourd’hui, le prestataire du service et les Associations de Voisinage étant subordonnées aux intérêts politiques et à la reproduction de la structure du pouvoir. 3 Espaces de vie, espaces-enjeux : entre investissements ordinaires et mobilisations politiques, Avec la crise économique des années 1980 et le retrait de l’Etat (se traduisant notamment dans une réduction de l’investissement dans les services publics), les logiques individualistes et marchandes 3 pénètrent profondément la microphysique du pouvoir qui traverse le prolétariat urbain marginalisé. 4 Des relations de type capitaliste s’affirmant y compris au sein de l’économie informelle . Le creusement des inégalités et la croissance de la pauvreté ont des répercussions sur la configuration sociale et environnementale de la ville. Le marché immobilier se trouve dominé par des stratégies purement spéculatives, y compris dans les quartiers précaires, réduisant l’offre de terres urbaines constructibles et maintenant les strates sociales marginalisées loin du centre. Maracaibo est donc dominée par une « sub-urbanisation marginalisante » (Palacios, 1988) qui produit une configuration urbaine formant un archipel : des îlots formels, appelés urbanizaciones, reliés aux centres du pouvoir, 5 se partagent l’espace urbain avec une mer de barrios informels inégalement consolidés et intégrés . 1.2. Une géographie urbaine de l’accès à l’eau inégale et oscillante Imbriquée dans cette configuration sociale et environnementale, la géographie de l’accès au réseau d’eau de Maracaibo montre une opposition entre centre et périphérie. Bien que datée, la carte n °1 montre la logique d’extension et d’organisation du réseau : les quartiers précaires, longtemps exclus, sont progressivement connectés, mais l’agencement du réseau (dispersé et oscillant) ne prend pas la même forme que dans les quartiers planifiés (dense et quadrillé). Cependant, cette opposition ne suffit pas à rendre compte efficacement de la configuration socio-hydrique de la ville. En effet, de nombreuses exceptions existent : des quartiers fermés localisés en périphérie disposent d’un raccordement au réseau tandis que des quartiers précaires situés dans des interstices urbains en sont exclus. De plus, dans bien des cas, la connexion ne signifie pas nécessairement un accès continu à l’eau, des fluctuations quotidiennes et hebdomadaires faisant varier les débits au robinet. Enfin, la réalité de la connexion au réseau varie lorsque l’on affine l’échelle d’analyse. Des différences interviennent à l’intérieur même du quartier observé. 3 En référence aux travaux de Michel Foucault, on entend par microphysique du pouvoir, les relations de domination / subordination d’ordre économique, politique, culturel, générationnel, familial et de genre qui se déploient à l’échelle locale et qui participent à la structure du pouvoir d’une société donnée. 4 L’économie dite informelle regroupe des activités très diverses (de la production et commercialisation de biens à la prestation de services) qui sont exemptes de toutes réglementations. Elle se développe en parallèle et en complémentarité de l’économie formelle. Les conditions de travail y sont extrêmement précaires. 5 Les barrios occupant 60% de la superficie totale de la ville, les professeurs Andres Echeverria et Gustavo Chourio définissent Maracaibo comme une métropole - barriale (Echeverria y Chourio, 2000). 4 Espaces de vie, espaces-enjeux : entre investissements ordinaires et mobilisations politiques, Carte n°1 : Organisation du réseau principal d’eau potable à Maracaibo Les habitants privés de réseau doivent alors développer des solutions palliatives afin d’accéder à ce bien vital. Des marchés locaux s’institutionnalisent à la manière de la revente d’eau par camion citerne (photo n°1). Des entreprises privées, s’approvisionnant auprès d’Hidrolago, se répartissent la ville et distribuent le précieux liquide aux habitants des quartiers précaires. Ces prestataires privés, tolérés par l’Etat, disposent d’un immense pouvoir sur des usagers captifs, notamment en termes de fixation des prix. En période de pénurie, certains n’hésitent pas à augmenter fortement le prix de revente, ce qui n’est d’ailleurs pas sans entrainer le mécontentement voire la révolte des clients. Ce mode d’approvisionnement nécessite une vigilance et une disponibilité quotidienne incombant généralement aux femmes et enfants, suivant le schéma classique de division du travail au sein du foyer. D’autres solutions voient également le jour, à l’instar des prises illégales sur les infrastructures du prestataire et la construction de réseaux précaires au sein du quartier (photo n°2). Leur localisation intègre souvent la stratégie d’invasion et d’appropriation des terres inoccupées ou soumises à spéculation immobilière, montrant ainsi une planification collective préalable (François et Uhel, 2002). Cette solution est extrêmement précaire en raison de la mauvaise qualité du réseau construit (photo n°3) et des coupures opérées par le prestataire public (appuyé par la garde nationale). Solutions palliatives dans le barrio Brisas del Norte : camion citerne (photo n°1), prise illégale sur le réseau du prestataire (photo n °2) et fuite dans le réseau précaire (photo n °3). Photographies prises en 2002, Brisas del Norte, Mathieu Uhel. 5 Espaces de vie, espaces-enjeux : entre investissements ordinaires et mobilisations politiques, Photo n°1 Photo n°3 Photo n°2 Au delà des stratégies de survie et du fatalisme démobilisateur, les actions des habitants des quartiers privés de réseau restent cantonnées à des explosions locales et ponctuelles, faisant régulièrement la une de la presse locale (blocage des voies de communication traversant le barrio, violences verbales et parfois physiques à l’encontre des chauffeurs de camions citerne, séquestration des fonctionnaires du prestataire public, etc.). Les possibles et légitimes revendications politiques de justice sociale et environnementale sont écrasées par les mécanismes clientélistes et le verrouillage de la démocratie par les partis dominants (Salamanca, 1998). Le projet « révolutionnaire » de transformation sociale promu par le président Chavez va entraîner une politisation de la question hydrique et une rupture dans la structure du pouvoir héritée. 6 Espaces de vie, espaces-enjeux : entre investissements ordinaires et mobilisations politiques, 2. DIFFUSION ET APPROPRIATION DES DISPOSITIFS PARTICIPATIFS REVOLUTIONNAIRES À MARACAIBO 2.1. Une géographie de la participation polarisée politiquement C’est donc sur une configuration socio-hydrique inégale et oscillante que se sont diffusés les Tables de l’Eau à Maracaibo. Créées en 2001, elles ont connu un engouement limité à leur début en raison de la faible publicité et de la mauvaise volonté du prestataire public. Le changement de direction du prestataire ayant inversé la tendance en 2005. Selon la direction de « gestion communautaire », le nombre de ces dispositifs participatifs dans la région du Zulia (où se situe Maracaibo) est passé de 700 en 2005 à 1230 en 2007 (Hidrolago, 2007), et continue de croître. Près de la moitié des TE du Zulia sont localisées à Maracaibo, essentiellement dans les quartiers pauvres périphériques (carte n°2). La carte de la répartition des TE recoupe dans les grandes lignes et de manière inversée, celle de l’accès au réseau. Les habitants des quartiers exclus ont tendance à s’investir dans la création des TE. En revanche, les quartiers centraux ou disposant d’un accès satisfaisant à l’eau montrent peu d’intérêt pour ce nouveau mécanisme. Carte n°2 : Répartitions des Tables de l’Eau à Maracaibo en 2007 Depuis la promulgation en 2006 de la loi créant les Conseils Communaux, les TE sont intégrées à cette nouvelle institution démocratique locale qui matérialise le Pouvoir Populaire. L’analyse de la diffusion des TE ne peut en conséquence éluder la question des CC. Ces derniers sont censés opérer l’articulation des organisations communautaires locales et jeter les bases d’une nouvelle relation société / Etat, afin de permettre au Pouvoir Populaire d’« exécuter directement la gestion des politiques publiques et les projets devant répondre aux besoins et aspirations des communautés » (Loi des Conseils Communaux, 2006). Cette nouvelle institution doit être composée d’un organe exécutif (constitué des porte-parole des différentes organisations communautaires, tels les Tables de l’Eau, Comités de Terres Urbaines, etc.), d’une banque communale et d’un organe de contrôle social. De création plus récente et nécessitant des démarches administratives plus lourdes, les CC sont en 7 Espaces de vie, espaces-enjeux : entre investissements ordinaires et mobilisations politiques, conséquence beaucoup moins présents que les TE à Maracaibo. Leur répartition dans l’espace urbain conserve néanmoins la même logique avec une sur-représentation à la périphérie de la ville (carte n°3). Carte n°3 : Répartition des Conseils Communaux à Maracaibo en 2007 La diffusion des TE et des CC n’est cependant pas homogène. Dans les deux cas, la représentation graphique par parroquia masque leur dispersion et isolement dans l’espace urbain. Il aurait ainsi été intéressant d’affiner l’échelle d’analyse en construisant une carte par quartier. La géographie de la participation développée ci-dessus est une photographie à un instant donné d’un processus en changement permanent. La répartition des TE et des CC évolue rapidement et bouleverse la configuration socio-politique présentée, même si des tendances lourdes se perpétuent. La concentration des nouveaux dispositifs participatifs, connotés politiquement, à la périphérie et leur quasi absence dans les quartiers centraux ou urbanizaciones, où se maintiennent les Associations de Voisinage, rejoint la géographie politique de la ville. On voit alors se dessiner une division politique des dispositifs participatifs, les CC estampillés Chavez et les AV marquées opposition. 2.2. Reconfigurations socio-politiques et territoriales locales La démocratie participative promue par l’Etat induit donc une réorganisation des rapports socio-politiques locaux. Dans la période « prérévolutionnaire », les habitants des quartiers précaires étaient enchâssés dans une structure pyramidale descendante, la participation étant déléguée aux représentants élus de l’AV (et surtout à son président, dans bien des cas, véritable potentat local) subordonnés aux intérêts électoraux du parti « parrainant » le barrio. Le développement des Tables de l’Eau et des Conseils Communaux par une nouvelle formation politique fait voler en éclat la structure du pouvoir antérieure et jette les bases d’une réorganisation égalitaire et horizontale des communautés. Les modalités d’élection des représentants et de consultation régulière des citoyens doivent entraîner 8 Espaces de vie, espaces-enjeux : entre investissements ordinaires et mobilisations politiques, une participation effective et imprimer une nouvelle logique démocratique. Les porte-parole du CC sont élus lors d’une assemblée locale, où 20% des habitants de plus de 15 ans doivent être présents. Des réunions publiques et des assemblées populaires sont prévues afin de définir ou faire le point sur l’avancement des projets bénéficiant au quartier. Les représentants élus sont en théorie révocables à tout moment par les habitants après convocation d’une assemblée populaire extraordinaire. Les TE comportent neuf membres (appelés coordinateurs) élus lors d’une assemblée et leur création est appuyée par l’entreprise publique de l’eau. Le « coordinateur général de planification et prise de décisions » devient porte parole au sein du comité exécutif du CC. Il est à noter que la taille et la superficie du quartier interviennent dans la création des CC. Auparavant, les Associations de Voisinage n’avaient pas ou peu de contraintes démographiques ou spatiales. Dorénavant, le CC doit regrouper entre 200 et 400 familles sur une surface continue, ce qui implique une division de certains quartiers en plusieurs secteurs. L’une des premières actions des représentants est d’opérer un recensement des habitants et une délimitation spatiale du quartier, dans l’objectif de vérifier la validité des plans cadastraux et des données démographiques pour les institutions publiques et de faire en sorte que la communauté se réapproprie son espace politique. Afin d’appréhender ces transformations territoriales, il a été décidé d’effectuer une comparaison de trois barrios ayant initié un processus aboutissant à la constitution de Conseils Communaux, auxquels sont rattachées les TE. L’objectif étant de dégager des tendances générales 6 dans la recomposition socio-politique locale . Situés à la périphérie de la ville (carte n°4) et montrant des caractéristiques socio-économiques proches (les habitants travaillent majoritairement dans l’économie informelle et appartiennent ainsi à ce que l’on a défini dans la première partie comme « prolétariat urbain marginalisé »), ces quartiers précaires n’en connaissent pas moins des réalités urbaines très différentes, comme l’atteste le tableau récapitulatif ci dessous. 6 Des entretiens formels, des échanges informels avec les habitants et un travail d’observation des assemblées et réunions publiques, au cours d’une mission de recherche en juillet et août 2007, ont permis de recueillir des matériaux précieux pour l’investigation. Pour ne pas alourdir le texte, il a été décidé de ne pas faire mention de l’ensemble des entretiens et observations. Les premiers résultats sont synthétisés dans les paragraphes suivants. 9 Espaces de vie, espaces-enjeux : entre investissements ordinaires et mobilisations politiques, Carte n°4 : Localisation des barrios sélectionnés pour la comparaison Date de Fondation Nombre d’habitants Superficie (m2) Niveau de Consolidation Nombre de secteurs Nombre de TE Nombre de CC Santa Rosa de Agua - Logements majoritairement en 1944 5000 870000 dur 4 3 4 (87 ha) - Services Publics déficients Brisas - Dominante de del logements en Norte 1994/95 6000 560000 matériaux précaires 4 3 3 (56 ha) - Services Publics absents San José - Logements de la majoritairement en Montana 1982 1200 55000 dur 1 1 1 (5.5 ha) - Services Publics déficients Tableau réalisé à partir de la base de données de la faculté d’architecture de l’Université du Zulia (1995) et des observations et entretiens effectués lors d’une mission en juillet / août 2007. Tableau n°1 : Comparaison des caractéristiques urbaines des trois barrios sélectionnés A Brisas del Norte (Parroquia Idelfonso Vasquez), la création du premier Conseil Communal et la suppression de l’Association de Voisinage en 2004 se sont déroulées avec l’appui de la garde nationale à la demande des militants chavistes. Les leader locaux appartenant à l’un des partis politiques opposé au « processus révolutionnaire » refusaient de se voir évincés de leur position sociale. Divisé par la suite en quatre secteurs, le quartier a vu la création de deux nouveaux CC en situation de dépendance par rapport au premier. En effet, l’un des porte-parole s’est progressivement imposé comme la nouvelle figure forte du barrio autour de laquelle gravite les autres représentants et habitants. Il a par ailleurs été recruté par l’antenne locale du Ministère pour la Participation et le Développement Social (MIPADES) avec pour mission de développer les CC dans les barrios voisins. Les habitants du dernier secteur ont élu en 2007 leurs représentants avec à leur tête l’ancien président de l’AV. N’étant pas raccordés au réseau d’eau et d’assainissement, les habitants du quartier espéraient beaucoup de la création des TE. Cependant, selon le nouveau leader, celles-ci ne sont pas écoutées par Hidrolago. Leur activité est donc pour l’instant suspendue. A Santa Rosa de Agua (Parroquia Coquivacoa), la division du quartier en quatre secteurs et la création des CC se sont effectuées en 2006 et beaucoup plus pacifiquement. Les représentants de l’AV (un couple et leurs amis) se sont réappropriés un secteur sous la bannière chaviste, entrainant une reproduction de l’organisation antérieure, à une échelle plus fine. Seul ce secteur ne dispose pas de TE officialisée. En effet, le départ de plusieurs coordinateurs oblige la TE à une restructuration, nécessitant la présence des travailleurs sociaux d’Hidrolago. A San Jose de la Montaña (Parroquia Antonio Borjas Romero), la transition a pris une tournure tout autre. Suite aux travaux de recensement et de cartographie effectués par le Comité des Terres Urbaines d’un barrio adjacent, il s’est avéré que SJM n’apparaissait pas dans les plans cadastraux de la municipalité. Lors de l’invasion des terres en 1982, il aurait été « annexé » par un barrio voisin (Calendario) et n’aurait donc aucune existence juridique. La constitution des Conseils Communaux s’est donc déroulée suivant cette configuration territoriale, associée à une faible participation des habitants et sous la coupe de l’opposition. Les partisans de la « révolution » ont cherché à faire reconnaître l’existence du quartier « annexé » et à renverser les 1 Espaces de vie, espaces-enjeux : entre investissements ordinaires et mobilisations politiques, dirigeants élus. Ils ont alors fait campagne et proposer de nouvelles assemblées dans l’ensemble des quartiers afin d’élire de nouveaux représentants. La stratégie fut payante, car de nouveaux porte-parole sont sortis des urnes en 2003. Dans les deux derniers cas, l’objectif principale des TE est de raccorder le quartier au réseau d’assainissement. Pour l’heure, SRA rejette ses eaux usées directement dans le lac de Maracaibo tandis que SJM les évacue dans le sol et le cours d’eau voisin. Hidrolago a promis de solutionner ces problèmes rapidement, mais aucun calendrier d’intervention n’était prévu à la date des entretiens. 2.3. La citoyenneté face à la reproduction des rapports sociaux de domination et d’exploitation La transition « révolutionnaire » a donc impliqué une rupture (violente ou non) avec la structure du pouvoir antérieure, entérinant une redéfinition de l’échelle de représentation et de décision censée rapprocher les communautés organisées des décisions politiques. Seulement, ce processus a également entrainé une multiplication des institutions et des divisions et tensions internes aux quartiers, fragmentant l’espace politique et brisant l’unité territoriale souvent durement acquise. Les nouvelles modalités d’organisation communautaire (élections de porte-parole, réunions publiques et assemblées populaires régulières, et révocabilité des mandataires) devaient en terminer avec les rapports locaux de domination et jeter les bases de nouvelles pratiques démocratiques. Cependant, le niveau de participation, soutenu lors des assemblées constitutives, semble s’éroder avec le temps. Il serait par conséquent intéressant de développer une enquête sur l’évolution du niveau de participation dans les barrios étudiés afin de quantifier cette tendance. La proposition d’asseoir la nouvelle structure du pouvoir politique sur des unités territoriales réduites et égalitaires, avec un fonctionnement radicalement démocratique (dans les textes), ne semble pas intégrer l’existence de la microphysique du pouvoir à cette échelle locale, intimement liée à l’économie urbaine informelle. Les lignes de fracture sociale et les relations de domination et d’exploitation tendent à se reproduire et rendent extrêmement difficile et précaire l’engagement politique. Les individus s’investissent prioritairement dans des stratégies de survie (solutions palliatives pour l’accès à l’eau ou travaux dans l’économie informelle pour disposer de revenus, par exemple) afin de satisfaire les besoins du foyer. Ils délaissent en conséquence les activités politiques, déléguées à leurs représentants, ce qui réactualise la séparation entre mandants et mandataires. Plus précisément, les rapports de pouvoir issus de la constitution des CC prennent la forme d’un noyau d’individus (regroupés au sein de l’institution par des liens d’amitiés ou familiaux), motivés par des intérêts différents (majoritairement pour des considérations matérielles et en moindre mesure par conviction politique), tissant un réseau social complexe de subordination et d’exclusion avec les habitants du quartier ou du secteur. La possibilité offerte par la loi de révocation des représentants pour enrichissement personnel, favoritisme ou tout autre motif est rendue extrêmement difficile dans les faits. D’autant que la grande majorité des porte-parole appartient au 7 Parti Socialiste Uni du Venezuela et disposent donc d’une double autorité. On assiste même parfois à des formes de professionnalisation des porte-parole des CC, devenus VRP de la « révolution ». Cette affiliation au parti au pouvoir amène en outre à se poser la question de la possible reproduction de mécanismes clientélistes et à l’instauration d’une nouvelle structure pyramidale et descendante du pouvoir, à l’opposées de la finalité du projet « révolutionnaire ». C’est à cette interrogation que la partie suivante tachera d’apporter des éléments de réponse. 3. LE POUVOIR POPULAIRE : ENTRE RADICALISATION DÉMOCRATIQUE ET INSTRUMENTALISATION POLITIQUE 3.1. Des Tables de l’Eau soupçonnées de clientélisme Les projets, formulés conjointement par les Tables de l’Eau et Hidrolago, financés par le Fond de Financement des Projets Communautaires (alimenté par les revenus de la rente pétrolière dont 7 Le PSUV est le parti politique du président Hugo Chavez. Lancé en janvier 2007, il doit être l’instrument de l’avènement du « Socialisme du XXIème siècle ». 1 Espaces de vie, espaces-enjeux : entre investissements ordinaires et mobilisations politiques, 8 dispose l’Etat ), ont permis de résoudre la situation de nombreux quartiers de la ville, que ce soit aussi bien en termes de raccordement des quartiers au réseau d’eau potable que de résorption des fuites des canalisations d’eaux usées. En l’espace de deux ans, 120 projets ont été menés à leur terme à 9 Maracaibo et le financement d’un nouveau cycle d’interventions a été approuvé fin 2007 . S’il est clair que des améliorations dans le service sont intervenues dans les quartiers périphériques, là où se concentrent les TE et les partisans du président Chavez, il n’est pas pour l’heure possible d’affirmer et de démontrer de manière catégorique que cette évolution est due à la priorité faite par le prestataire aux « révolutionnaires ». Et ce d’autant que des TE où les coordinateurs n’appartiennent pas au parti 10 présidentiel ont bénéficié de ces cycles de projets . Par ailleurs, les trois quartiers sélectionnés, bien que disposant de TE depuis plusieurs années et de militants chavistes convaincus, n’ont connu aucune amélioration de leur service d’eau. Il est vrai que le développement ou l’entretien d’un service en réseau nécessite de lourds investissements et une vision globale et de long terme. Ce qui n’est pas le cas d’autres services publics ou politiques sociales. Ainsi, il a été possible de constater dans ces trois barrios, le fruit des retombées de la rente pétrolière : amélioration de la qualité de quelques logements, régularisation de la propriété de la terre, création d’un dispensaire tenu par des médecins et étudiants cubains, etc. Adhérer au projet révolutionnaire et au PSUV maximise les probabilités d’une amélioration des conditions matérielles d’existence. Ce qui peut être un facteur explicatif du soutien inconditionnel à Chavez des porte-parole rencontrés et de leur engagement en faveur du PSUV en temps de campagne électorale. En effet, les responsables interviewés dans les trois barrios en 2007 ne cachaient pas leur intention de favoriser le vote pour le oui lors du référendum portant sur la réforme de la constitution proposée par le président. La frontière entre représentant communautaire élu par les citoyens et adhérant au parti au pouvoir n’existant plus. Cette confusion des rôles provient des contradictions inhérentes au projet « révolutionnaire ». La proposition de créer une Fédération de Communes autogérées par des communautés organisées en Conseils Communaux émane d’un leader charismatique symbolisant à lui seul la « révolution ». Le fonctionnement horizontal et local de réorganisation du territoire entre en contradiction avec la structure pyramidale du pouvoir sur laquelle s’appuie la personnification du changement. Les CC apparaissent aux yeux de nombre de porte-parole comme le meilleur moyen de défendre leur président, dans un contexte politique polarisé, et non pas comme une proposition organisationnelle dépassant les clivages partisans. 3.2. La « Bolivarianisation » partielle du prestataire public Afin de vérifier l’hypothèse de la « bolivarianisation » des TE et la reproduction de mécanismes clientélistes au niveau du service de l’eau, il est nécessaire d’analyser la stratégie et les actions déployées par le prestataire public. La progression très rapide des TE dans le Zulia réside, selon les mots du président de l’entreprise, dans le fait qu’Hidrolago assume, aujourd’hui, le défi socialiste (Hidrolago, 2007). Le président et la direction des différents services de l’entreprise ont été remplacés en 2005 par des fonctionnaires proches du PSUV. Ce qui ne s’est pas réalisé sans heurts et contradictions compte tenu du contexte politique polarisé. Hidrolago apparaît divisée politiquement en deux camps : les pro-Chavez, au niveau de la présidence et des directions de service, ainsi que chez les travailleurs sociaux, et les anti-Chavez, concentrés chez les cadres (ingénieurs et techniciens) et 11 employés. Cette opposition interne à l’entreprise se ressent nettement dans les discours et résulte d’un processus de « bolivarianisation » partiellement réussi des institutions publiques. Le pouvoir central ne pouvait se passer des compétences de la techno-bureaucratie opposée à la « révolution ». L’implication différenciée des fonctionnaires dans les transformations structurelles instaurées par l’Etat a des répercussions sur l’efficacité des dispositifs participatifs et la planification des projets. 8 Grâce à ces revenus colossaux, l’Etat investit dans des macro-projets : la construction (barrage Los Très Rios) et la réhabilitation (usine de traitement de l’eau potable El Brillante) d’infrastructures hydrauliques (Hidrolago, 2007). Le programme est censé montrer l’engagement du gouvernement « bolivarien » envers le Zulia. 9 Information obtenus lors d’un entretien avec le sous directeur de « gestion communautaire » d’Hidrolago, Hector Govea, en août 2007. 10 Entretien avec Norberto M., coordinateur d’une TE dans un quartier à la périphérie de la ville, réalisé à Maracaibo en août 2007. 11 Ce constat, certes non quantifié par une étude statistique, résulte d’observations et d’entretiens informels réalisés lors d’une immersion au sein d’Hidrolago pendant deux semaines en août 2007. 1 Espaces de vie, espaces-enjeux : entre investissements ordinaires et mobilisations politiques, 12 C’est ce que souligne le « père des TE », lors d’un entretien , lorsqu’il évoque ses inquiétudes quant à leur organisation et utilisation dans le Zulia. Il fait état du maintien des pratiques et représentations (arrogantes voire méprisantes) des techniciens et ingénieurs de l’entreprise vis à vis des quartiers précaires. Déplorant l’absence des Conseils Communautaires de l’Eau, devant renforcer le Pouvoir Populaire, Santiago Arconada laisse entendre que dans la région de Zulia « les TE sont contrôlées par Hidrolago » et n’accomplissent pas complètement leur mission. Le travail d’observation réalisé auprès des travailleurs sociaux de l’entreprise a permis de constater l’instrumentalisation des projets 13 communautaires . La nouvelle direction de l’entreprise cherche à associer l’amélioration du service à la révolution bolivarienne, sorte de propagande par les faits, afin de légitimer et reproduire sa position au sein de la bureaucratie chaviste. Les activités d’information et de formation dans les barrios réalisées par le service de « gestion communautaire » mobilisent la rhétorique et les attributs révolutionnaires (drapeaux, affiches et habits aux couleurs du PSUV) (photo n°4). L’exécution même des projets est régulièrement utilisée pour la valorisation de l’image de l’entreprise régionale et de la « révolution bolivarienne ». Le dernier cycle de projets s’est clôturé par l’organisation d’une réunion publique dans un théâtre de Maracaibo retransmise sur la chaîne publique régionale (photo n°5). Les coordinateurs des TE se sont vus remettre par la direction d’Hidrolago des « actes » attestant des bénéfices obtenus grâce au partenariat usagers et prestataire public. Le transport (location de bus acheminant les coordinateurs et usagers du théâtre à leur quartier) et le ravitaillement étant totalement pris en charge par l’entreprise. Même s’il est nécessaire d’affiner l’analyse, notamment par la réalisation d’enquêtes sur le niveau de participation et la politisation des usagers des quartiers périphériques, les premiers résultats du travail de terrain laisse entrevoir une instrumentalisation politique des dispositifs participatifs et du prestataire public au profit de la « révolution bolivarienne » et donc la reproduction de mécanismes clientélistes bien connus au Venezuela. On serait donc tenté de suivre le diagnostique de l’Institut Latino-américain de Recherches Sociales : « le gouvernement a besoin de reconfigurer la politique sociale et les programmes sociaux avec pour objectif d’obtenir des résultats visibles, de renforcer l’image du président, (…) et de mobiliser les groupes communautaires comme porte-parole et défenseurs des promesses du projet révolutionnaire bolivarien » (D’Elia Y, 2006). Photo n°4 Conformation d’une Table de l’Eau dans un quartier périphérique de Maracaibo, août 2007 12 Photo n°5 Réunion publique au théâtre Roxy, août 2007 Entretien avec Santiago Arconada Rodriguez, initiateur des MTA à Caracas entre 1993 et 1996 et actuellement vice-président de l’Institut pour la Conservation du Lac de Maracaibo (ICLAM), réalisé à Maracaibo en juillet 2007 13 Les travailleurs sociaux sont employés dans des conditions précaires. Ils appartiennent à une coopérative et sont contractés par l’entreprise. En nombre insuffisant, ils sont faiblement rémunérés (payés souvent avec plusieurs semaines de retard), disposent de contrats courts et flexibles, et se trouvent sous la coupe des fonctionnaires tout puissants. 1 Espaces de vie, espaces-enjeux : entre investissements ordinaires et mobilisations politiques, 3.3. Une planification urbaine des réseaux d’eau impossible ? Cette situation a en conséquence des répercussions sur l’extension du service et la planification urbaine. Bien que les TE se soient multipliées à Maracaibo et aient permis la participation des usagers dans la gestion de l’eau, leur développement ne s’est pas déroulé de manière homogène et leur intervention dans le processus décisionnel n’a semble-t-il pas permis une amélioration de la planification du service. Comme il en a été fait mention précédemment, les TE ont tendance à se concentrer à la périphérie de la ville, dans les quartiers pauvres, là où les déficiences du prestataire sont les plus flagrantes, suivant en cela la géographie sociale de la ville. On assiste à une cohabitation des nouveaux dispositifs participatifs et des solutions palliatives à l’absence du réseau. Les marchés locaux de revente d’eau par camion citerne par exemple ne font l’objet d’aucune procédure de réglementation de leur activité par les pouvoirs publics, laissant libre court à la spéculation et à l’autoritarisme des entrepreneurs. De plus, tous les quartiers ne disposent pas de TE à un même niveau de consolidation. La création différée dans le temps des dispositifs participatifs et les niveaux différents de compétence de leurs membres entraînent une capacité inégale de participation. Il a été assez étonnant de constater, à Hidrolago comme au MIPADES, que les agents chargés d’encadrer le développement du Pouvoir Populaire sont généralement sous formés, en nombre insuffisant, mal payés et recrutés sur des contrats courts. Dans ces conditions, il est possible de comprendre les irrégularités intervenant dans les procédures de désignation des représentants et les compétences lacunaires des porte-parole en matière de participation. Ensuite, l’absence des Consejos Comunitarios de Agua dans le Zulia, renforçant le développement inégal des TE dans l’espace urbain, empêche la coordination des projets à une échelle supérieure, entre organisation d’usagers, entreprise de l’eau et municipalité. Enfin, l’instrumentalisation des TE et du prestataire associée à la division politique des dispositifs participatifs (opposition entre Tables de l’Eau et Associations de Voisinage) parachèvent l’impossibilité d’une planification globale et efficace du service. Les micro-projets portés par les TE ne résolvent donc que des problèmes ponctuels et de court terme et ne s’inscrivent pas, pour l’heure, dans une intervention directe et radicale des usagers dans le service public. CONCLUSION La diffusion par l’Etat vénézuélien de nouveaux dispositifs participatifs, devant institués un Pouvoir Populaire capable d’intervenir de manière décisive dans le processus de production de la réalité urbaine, a impliqué une rupture salutaire par rapport à la structure du pouvoir héritée, une politisation des secteurs sociaux marginalisés et des améliorations notables dans leurs conditions d’existence. Cependant, elle s’est heurtée à la reproduction de rapports locaux de domination et à l’instrumentalisation politique des communautés organisées. La diffusion et l’appropriation inégales des Conseils Communaux, associées à la division politique des dispositifs participatifs dans la ville, amènent à émettre des doutes sur l’avènement d’une configuration urbaine égalitaire et décentralisée de Maracaibo et laisse au contraire entrevoir une fragmentation accrue de l’espace urbain. S’il est impératif de faire intervenir directement les organisations populaires « dans la planification, le développement et la gestion des systèmes de production et distribution d’eau », une politique urbaine émancipatrice, rappelle Eric Swyngedouw dans son étude sur la ville de Guayaquil (Equateur), ne doit pas se contenter d’une vision locale, mais prendre en compte les échelles supérieures de l’économie politique nationale et internationale (Swyngedouw, 2005). La géographie de l’accès à l’eau est en effet inscrite dans des rapports sociaux de pouvoir, entremêlés à différentes échelles. Permettre l’accès de tous à l’eau implique de sortir d’une vision biopolitique du service public (l’Etat instrumentalisant le prestataire à des fins économiques et politiques) et de faciliter l’articulation des réseaux techniques urbains, d’échelle régionale, à des systèmes autogérés de production et distribution d’eau, d’échelle locale. 1 Espaces de vie, espaces-enjeux : entre investissements ordinaires et mobilisations politiques, - BIBLIOGRAPHIE - ARCONADA RODRIGUEZ S, 2005, Seis anos despues : mesas tecnicas y consejos comunitarios de aguas (aportes para un balance de la experiencia desarrollada), Revista venezolana de economia y ciencias sociales, sept-dic 2005, Vol 11, N°3, Universidad Central de Venezuela, Caracas, pp187-203 CARIOLA C et LACABANA M, 2005, Construyendo la participacion popular y una nueva cultura del Venezuela, Cuadernos del Cendes, mayo – agosto 2005, N° 59, Universidad Central de Venezuela, Caracas, pp 111 – 135 CARRUTO (de) M, CORONA (de) Q, ESPADA E, 1994, la otra ciudad, genesis de la ciudad petrolera de Maracaibo, Facultad de Arquitectura, Universidad del Zulia, 175 p CHAVEZ FRIAS H, Discours à l’occasion de la proposition de réforme constitutionnelle à l’Assemblée Nationale, 17 août 2007, Caracas, République Bolivarienne du Venezuela CHOURIO GONZALES G y ECHEVERRIA VILLALOBOS A, Hacia una interpretación de la dinámica barrial en Maracaibo, Revista Mexicana de sociología, Vol.63, Num.1, enero-marzo 2001, Mexico D’ELIA Y (dir), 2006, Las misiones sociales en Venezuela: una aproximacion a su comprension y analisis, Caracas, Instituto Latinoamericano de Investigaciones Sociales, 226p FRANCOIS M et UHEL M, 2002, L’inégal accès à l’eau potable dans l’espace urbain de Maracaibo. 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