l`union monétaire européenne : de la lumière à l`ombre?
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L'UNION MONÉTAIRE EUROPÉENNE : DE LA LUMIÈRE À L'OMBRE? Yann Echinard et Alain Laurent De Boeck Université | Reflets et perspectives de la vie économique 2010/4 - Tome XLIX pages 39 à 46 ISSN 0034-2971 ISBN 9782804161163 Article disponible en ligne à l'adresse: http://www.cairn.info/revue-reflets-et-perspectives-de-la-vie-economique-2010-4-page-39.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Echinard Yann et Laurent Alain , « L'union monétaire européenne : de la lumière à l'ombre? » , Reflets et perspectives de la vie économique, 2010/4 Tome XLIX, p. 39-46. DOI : 10.3917/rpve.494.0039 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Université. © De Boeck Université. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Document téléchargé depuis www.cairn.info - biblio_shs - - 193.54.110.35 - 28/01/2011 11h26. © De Boeck Université Document téléchargé depuis www.cairn.info - biblio_shs - - 193.54.110.35 - 28/01/2011 11h26. © De Boeck Université -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- L’union monétaire européenne : de la lumière à l’ombre… Document téléchargé depuis www.cairn.info - biblio_shs - - 193.54.110.35 - 28/01/2011 11h26. © De Boeck Université Résumé – Cet article présente les raisons ayant conduit les pays européens à s’unir sur le plan monétaire. Il rappelle également que le processus d’unification a été long et sinueux puisqu’il débute en 1969 et se termine en 1999 avec l’adoption de l’euro comme monnaie unique. Si cette union est un des événements les plus importants du XX e siècle, elle demeure encore fragile. L’incomplétude de la gouvernance économique constitue sans doute sa faiblesse originelle. Mots clés – union monétaire, gouvernance économique, intégration régionale, crise économique. Codes JEL : E42, F15, H77 Abstract – This article deals with the motives of European monetary unification. It was a long and difficult process which began in 1969 and ended up in 1999. European monetary union is one of the most important economic events of the XXth century but it remains fragile. Completing economic governance is still a major task to come as there lies the original weakness of the euro area. Le projet d’union monétaire débute à la fin de la décennie 1960 lorsque l’intégration marchande et la bonne conduite des politiques communautaires, notamment la politique agricole commune, nécessitent d’assurer une plus grande stabilité monétaire à l’échelle européenne. Le sommet de La Haye en 1969 commande à Pierre Werner la rédaction d’un rapport explorant les voies de réalisation d’une union économique et monétaire européenne. Malgré la création du serpent monétaire européen en 1972, cette dynamique européenne sera rapidement entravée par l’effondrement du système monétaire international. Les gouvernements européens tenteront de lutter contre les effets du ralentissement économique et de la montée du chômage en conduisant de manière 1. Maîtres de conférences en sciences économiques à l’Université de Grenoble. DOI: 10.3917/rpve.494.0039 Reflets et Perspectives, XLIX, 2010/4 — 39 Document téléchargé depuis www.cairn.info - biblio_shs - - 193.54.110.35 - 28/01/2011 11h26. © De Boeck Université Yann Echinard et Alain Laurent 1 YANN ECHINARD ET ALAIN LAURENT isolée des politiques économiques. Les politiques de relance successives butteront sur la contrainte externe commerciale et monétaire renforçant l’instabilité en Europe. Document téléchargé depuis www.cairn.info - biblio_shs - - 193.54.110.35 - 28/01/2011 11h26. © De Boeck Université L’union monétaire est souvent présentée comme le résultat de l’intégration économique, le produit de l’influence des idées néolibérales ou encore un avatar de la géopolitique (I). Chacun de ces arguments comporte sa part de vérité mais la réalité est peut-être plus simple, le pragmatisme des États membres et l’activisme de la Commission seront les puissants moteurs de l’unification monétaire (II). Cette réussite historique ne doit pas masquer les incomplétudes de l’intégration économique européenne. L’absence durable d’un gouvernement économique pourrait mettre en péril trente ans de coopération et d’intégration monétaire (III). 1 LES ANNÉES 1980 ET LE RETOUR DE L’IDÉE D’UNION MONÉTAIRE Malgré un environnement peu propice à la conduite de politiques monétaires convergentes, les chefs d’État et de gouvernement européens ont adopté, dès la fin de la décennie 1970, l’objectif de stabilité des changes et de stabilité des prix. L’homogénéisation croissante de ces deux préférences durant une décennie (1979-1988) a permis de renouer avec l’idée d’union monétaire à l’échelle de l’Europe communautaire. La justification économique de l’union monétaire a été largement développée dans la littérature (Gros & Thygesen, 1992). Elle mérite sans doute d’être en partie reconsidérée (Taugourdeau & Vincensini, 2009). Le rapport du Comité Delors (1989) et le rapport Emerson (1990) justifient l’union monétaire par les gains microéconomiques qu’elle engendre : élimination des frais de transaction et transparence des prix. Sur le plan macroéconomique, la démonstration s’appuie essentiellement sur le triangle d’incompatibilité de Mundell et l’hypothèse selon laquelle la volatilité des taux de change est un obstacle au développement des échanges intra-communautaires. Cependant, au fur et à mesure que se développeront les travaux sur les zones monétaires optimales, qui soulignent l’absence d’optimalité de la zone euro (ou au moins une indétermination), beaucoup d’économistes, américains notamment, affirmeront leur scepticisme en l’absence de dispositif budgétaire et fiscal à même de répondre aux conséquences de chocs asymétriques. L’incapacité des gouvernements à progresser vers le fédéralisme budgétaire ferait exploser l’union monétaire (Krugman, 1993 ; Bayoumi & Masson, 1995). Dans le rapport Delors, il est fort peu question de la théorie des zones monétaires optimales ; il faut attendre le paragraphe 29 40 Document téléchargé depuis www.cairn.info - biblio_shs - - 193.54.110.35 - 28/01/2011 11h26. © De Boeck Université Les pays européens vont progressivement renouer avec des objectifs communs de stabilité monétaire et mettre en œuvre une méthode coopérative de travail en décidant de créer en juillet 1978 le système monétaire européen. Il y aura certes un changement de cap dans la conduite des politiques économiques privilégiant la stabilité des prix et des changes, mais il y aura aussi et surtout une volonté politique forte de maintenir une stabilité des changes intra-européens afin qu’intégrations marchande et monétaire soient complémentaires. Le projet d’union monétaire ne reprendra véritablement substance qu’une décennie plus tard, dans la perspective de l’achèvement du marché intérieur. L’UNION MONÉTAIRE EUROPÉENNE : DE LA LUMIÈRE À L’OMBRE… Document téléchargé depuis www.cairn.info - biblio_shs - - 193.54.110.35 - 28/01/2011 11h26. © De Boeck Université Quant au rôle supposé de l’idéologie dominante du marché ou de la géopolitique, s’il n’est pas négligeable, il ne doit pas être surpondéré. D’une part, depuis le début des années 1980, l’ancrage des devises européennes dans un système de changes fixes dote le système monétaire européen d’une nouvelle vocation : permettre la désinflation au sein des États membres. Dans la pratique, le deutsche mark devient la devise clé du mécanisme de change, ce qui impose, pour le meilleur (désinflation des années 1980) et pour le pire (épisode de la réunification allemande), l’alignement sur la politique monétaire allemande. Les ajustements monétaires étant reportés sur les devises les plus faibles, le caractère asymétrique du système monétaire européen est de plus en plus mal ressenti, en particulier en France. Dans ce contexte, l’union monétaire est un moyen de rééquilibrer les rapports de force avec l’Allemagne et de surmonter les contradictions politiques de l’appartenance au système monétaire européen. D’autre part, on affirme souvent que l’union monétaire a été concédée par l’Allemagne pour faire accepter la réunification. Or le processus est inscrit dans l’Acte unique dès 1987. Il est lancé lors du Conseil européen de Hanovre et le rapport du Comité Delors est remis avant même que l’idée de la réunification n’ait véritablement émergé. De surcroît, l’union monétaire n’est pas la solution la plus évidente ni la plus appropriée à la question allemande. Il faut peut-être aller chercher ailleurs la conversion allemande à l’union monétaire. En effet, de son côté, l’Allemagne a intérêt à stabiliser les rapports de change avec ses principaux partenaires commerciaux et elle doit tenir compte de ce que Robert Mundell (2003) appelle le taux de change le plus important du système monétaire européen, le taux de change deutsche mark/dollar. Une deuxième asymétrie sur le marché des changes peut être la source de tensions dans le système monétaire européen : en raison d’une plus grande substituabilité entre le dollar et le deutsche mark qu’entre le dollar et les autres devises européennes, ces dernières se déprécient par rapport au deutsche mark lorsque celui-ci s’apprécie par rapport au dollar et vice versa. Lorsque s’engage en Europe le processus de libéralisation des mouvements de capitaux, l’Allemagne perçoit bien les risques qui pèsent sur le système monétaire européen. L’ancrage laisse planer la menace de la spéculation, l’évolution des taux de change étant principalement commandée par les flux de capitaux. Un écroulement du système monétaire se traduirait inévitablement par une forte réévaluation du deutsche mark, préjudiciable à la compétitivité allemande. Cela explique l’adhésion de l’Allemagne au projet de l’union monétaire, même si elle a déguisé son intérêt sous sa dévotion au renforcement de la construction européenne (Jabko, 2009). 41 Document téléchargé depuis www.cairn.info - biblio_shs - - 193.54.110.35 - 28/01/2011 11h26. © De Boeck Université pour trouver une mention de la nécessité d’accroître la flexibilité des salaires et la mobilité de la main-d’œuvre dans l’Union. Les conclusions que l’on aurait pu en tirer auraient sans doute attiré l’attention sur les coûts de la non-optimalité de la zone euro. De manière plus générale, la théorie des zones monétaires optimales est insuffisamment opérationnelle car elle n’a pas produit un test formel de l’optimalité (Bayoumi & Eichnegreen, 1999). Le seul pays qui a fortement conditionné son adhésion au respect des critères d’optimalité est la Grande-Bretagne. À chaque fois, le résultat de l’étude fut négatif et la Grande-Bretagne ne fait toujours pas partie de l’union (HM Treasury, 2003). YANN ECHINARD ET ALAIN LAURENT Document téléchargé depuis www.cairn.info - biblio_shs - - 193.54.110.35 - 28/01/2011 11h26. © De Boeck Université La Commission européenne, quoique n’ayant aucune compétence monétaire, a manœuvré de façon magistrale pour impulser la dynamique de l’union. Elle a donné à une mesure technique, la libéralisation des mouvements de capitaux, une dimension politique. En effet, il n’est pas difficile de montrer que la libre circulation des capitaux sape les fondements du système monétaire européen. C’est l’argumentation principale que développera le rapport du Comité Delors, à partir du triangle d’incompatibilité de Mundell : en situation de liberté de circulation des capitaux, on ne peut à la fois jouir de la stabilité des changes et de l’autonomie de la politique monétaire. La libre circulation des capitaux permet d’imposer aux pays les plus inflationnistes la discipline des marchés et de reléguer aux oubliettes les demandes françaises de rééquilibrage du système monétaire européen. L’union monétaire permet de satisfaire les aspirations françaises à une redéfinition de la souveraineté monétaire dans une économie mondialisée mais se déroule dans un cadre orthodoxe, ce qui la rend politiquement acceptable par l’Allemagne. Deux autres arguments complémentaires au triangle d’incompatibilité vont acquérir une résonance politique : en premier lieu, la création du système monétaire repose sur l’hypothèse selon laquelle la volatilité des taux de change est coûteuse, compte tenu de l’interdépendance commerciale. Cette hypothèse ne fait pas l’unanimité chez les économistes mais elle justifie la posture déjà ancienne des États membres : privilégier la coopération et ne pas choisir comme mécanisme d’ajustement des déséquilibres macroéconomiques le flottement général des monnaies. Selon la deuxième hypothèse, un ancrage du taux de change, aussi strict soitil, n’est pas suffisant pour discipliner la politique monétaire. La stabilité des prix et la stabilité des changes ne se décrètent pas, elles se construisent. Bien sûr, participer à un système de taux de change fixes permet de bénéficier de gains de réputation et de crédibilité. Mais ces gains ne sont durables que si l’ancrage monétaire se traduit par une convergence réelle des politiques nationales. Selon le degré de l’hétérogénéité de départ, les gains sont compensés par les coûts économiques et sociaux liés aux réformes à entreprendre. Là encore, on pourrait discuter l’argument, mais l’important était d’emporter l’adhésion de la Bundesbank, en promettant un arrangement institutionnel propre à promouvoir la stabilité monétaire, à une époque où, dans de nombreux pays, la banque centrale a encore un lien de subordination au gouvernement. Le rapport du Comité Delors et le traité sur l’Union européenne qui en est fortement inspiré, prennent grand soin de détailler l’organisation du système européen de banques centrales alors que, s’ils en affirment bien la nécessité, ils restent évasifs sur les modalités de la coopération macroéconomique. Une fois donnée l’impulsion politique, il fallait proposer une méthode. Le rapport du Comité Delors reprend l’idée du rapport Werner d’une progression vers l’union monétaire en trois phases : 1) renforcement de la coordination des politiques économiques ; 2) mise en place des institutions chargées de la gestion de la monnaie unique ; 3) phase finale de fixation irrévocable des taux de change. Le comité Delors fait le choix d’une monnaie unique et d’une politique monétaire unique, alors que l’adoption d’une monnaie parallèle, une monnaie européenne coexistant avec les monnaies des États membres, est prônée par certains. 42 Document téléchargé depuis www.cairn.info - biblio_shs - - 193.54.110.35 - 28/01/2011 11h26. © De Boeck Université 2 LES FACTEURS D’UNE TRANSITION RÉUSSIE MONÉTAIRE EUROPÉENNE : DE LA LUMIÈRE À L’OMBRE… Document téléchargé depuis www.cairn.info - biblio_shs - - 193.54.110.35 - 28/01/2011 11h26. © De Boeck Université Dans la méthode, il faut faire la distinction entre les paroles et les actes. La phase de transition et la méthode de sélection des États membres participants ont fait l’objet d’une intense dramatisation. Malgré des positions de départ divergentes, on retiendra la thèse du couronnement : l’adoption de la monnaie unique marque la fin d’un long processus d’alignement des politiques monétaires nationales. Le cheminement est progressif car on ne peut passer que lentement d’un régime d’inflation élevée à un régime de basse inflation et il est nécessaire que tous les États membres de la future union aient acquis une culture de stabilité des prix car, sinon, leur représentant dans la future banque centrale commune ne soutiendra pas une politique monétaire unique présentant une telle orientation (Wyplosz, 2006). En définitive le pragmatisme l’a emporté : en 1999, un seul État membre respectait l’ensemble des critères de convergence mais on a tout de même basculé dans l’euro. Il le fallait bien, le traité de Maastricht n’ayant pas prévu d’alternative, on ne pouvait reporter l’opération car alors il aurait fallu tout recommencer et vraisemblablement renoncer. Réaliser l’union monétaire est un objectif que les plus optimistes n’auraient pu imaginer au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, durant la décennie 1970, ou encore lors de la crise de change de 1992/1993. Comme l’a écrit Robert Mundell (2000), la création de l’euro est un des événements les plus importants du XXe siècle. Pourtant, une décennie après sa création, nombre d’observateurs mettent en évidence le faible degré de résilience de l’Union face à la crise économique et financière internationale. La crise des finances publiques nationales et la forte et rapide dépréciation de l’euro durant l’année 2010 en seraient la meilleure illustration. L’union monétaire européenne passerait de la lumière à l’ombre. 3 UNION MONÉTAIRE ET DÉFAILLANCE DE LA GOUVERNANCE ÉCONOMIQUE EUROPÉENNE Au lendemain de la création de l’euro, les chefs d’État et de gouvernement européens n’ont pas intégré le fait qu’en créant une union monétaire les interdépendances économiques et donc les intérêts réciproques n’allaient cesser de progresser. La feuille de route des membres de la convention lancée en février 2002 ne prévoyait pas l’amélioration de la gouvernance économique. Le futur traité constitutionnel ne devait répondre qu’aux enjeux d’une Europe élargie spatialement et non à ceux d’une Europe approfondie économiquement. L’échec du traité constitutionnel combiné aux faiblesses institutionnelles révélées par la crise des finances publiques montrent que les choix opérés au début du XXIe siècle n’ont pas été les plus judicieux. Les outils de coordination hérités du traité de Maastricht, les grandes orientations des politiques économiques, n’ont pas réussi à créer des forces suffisamment centripètes permettant de favoriser la convergence des politiques économiques nationales. Rien de surprenant puisque ces grandes orientations n’étaient que de simples recommandations. Quant au pacte de stabilité et de croissance instauré par le traité d’Amsterdam, il a été remis en cause dès qu’il a mis en évidence une gestion insuffisamment rigoureuse de la part de la France et 43 Document téléchargé depuis www.cairn.info - biblio_shs - - 193.54.110.35 - 28/01/2011 11h26. © De Boeck Université L’UNION YANN ECHINARD ET ALAIN LAURENT de l’Allemagne. Sa faiblesse originelle sur le plan institutionnel, l’on ne peut être juge et partie, a grandement fragilisé le dispositif de coordination des politiques budgétaires. Enfin, les chefs d’État et de gouvernement n’ont pas été à la hauteur de leurs responsabilités en matière d’orientation de la politique de change de l’euro, conformément à l’application du traité de Maastricht. Ils ont été incapables de parler d’une seule voix, les uns se félicitant de l’appréciation continue de l’euro, les autres rendant responsables l’euro et la Banque centrale européenne de leur perte de compétitivité sur le plan international. Cette cacophonie gouvernementale illustre parfaitement la faiblesse institutionnelle de l’union monétaire européenne : la dimension politique de la monnaie unique a été sous-investie. Quant à la Commission européenne, elle a essentiellement porté la stratégie de Lisbonne dès le lendemain de la création de l’euro. Outre le caractère peu efficace de la méthode ouverte de coordination, fondée sur le benchmarking et la comparaison par les pairs, la faible croissance européenne est aussi la conséquence de politiques macroéconomiques restrictives et insuffisamment coopératives. Or la stratégie de Lisbonne n’intégrait pas cette dimension de la croissance (Fitoussi et al., 2010). La lenteur avec laquelle la Commission européenne a réagi aux effets de la crise bancaire et financière et les difficultés rencontrées par les chefs d’État et de gouvernement à se mettre d’accord sur les instruments à utiliser afin d’ajuster au mieux la crise illustrent une fois encore les insuffisances institutionnelles de l’union économique et monétaire : les institutions qui incarnent l’intérêt collectif européen n’ont pas les moyens de mettre en œuvre rapidement des politiques contra-cycliques (absence de ressources propres, incapacité de recourir à l’endettement) ; les États sont incapables de prendre des décisions collectives et rapides permettant de compenser l’absence d’un acteur central (endettement initial élevé, enjeux électoraux internes, divergences doctrinales…). Dans le cadre de la crise des finances publiques européennes, la sur-réaction des marchés n’est que la réponse à la sous-réaction des États. 44 Document téléchargé depuis www.cairn.info - biblio_shs - - 193.54.110.35 - 28/01/2011 11h26. © De Boeck Université Document téléchargé depuis www.cairn.info - biblio_shs - - 193.54.110.35 - 28/01/2011 11h26. © De Boeck Université Alors que le traité de Lisbonne continue d’affirmer que « les États membres considèrent leurs politiques économiques comme une question d’intérêt commun et les coordonnent au sein du Conseil », chaque pays a maintenu la trajectoire de sa politique économique sans prendre en compte les externalités produites sur ses partenaires. L’exemple très souvent cité est le passage aux 35 heures par la loi en France en 1997 alors que, dans le même temps, l’Allemagne poursuivait son agenda 2010 afin de lui redonner des gains de compétitivité sur le plan international, stratégie de désinflation compétitive (Creel & Le Cacheux, 2006). Cette dynamique du chacun pour soi explique en partie les divergences européennes croissantes en matière de coûts salariaux unitaires qui exacerbent les divergences de compétitivité. L’UNION MONÉTAIRE EUROPÉENNE : DE LA LUMIÈRE À L’OMBRE… CONCLUSION Document téléchargé depuis www.cairn.info - biblio_shs - - 193.54.110.35 - 28/01/2011 11h26. © De Boeck Université Sinon, sous la pression politique et sociale, certains pays pourraient être tentés de sortir de l’Union et donner raison au président du Conseil italien qui, soutenant son ministre du Travail en 2005 qui était en faveur du retour de la lire, n’hésitait pas à tenir un discours populiste en disant : « l’euro, un désastre ». L’histoire nous rappelle que les périodes de crise profonde exacerbent les nationalismes et le populisme. Il ne faudrait pas que l’union monétaire européenne en soit la première victime. BIBLIOGRAPHIE BAYOUMI, TAMIN & EICHENGREEN, BARRY (1999), « Operationalising the Theory of Optimum Currency Areas », in Market Integration, Regionalism and the Global Economy, Baldwin Richard et al., CEPR/Cambridge University Press, pp. 187-227. BAYOUMI, TAMIN & MASSON, PAUL (1995), « Fiscal Flows in the United States and Canada : Lessons for Monetary Union in Europe », European Economic Review, vol. 39, n° 2, February, pp. 253-274. COMITÉ POUR L’ÉTUDE DE L’UNION ÉCONOMIQUE ET MONÉTAIRE (1989), Rapport sur l’union économique et monétaire dans la Communauté européenne, Commission des Communautés Européennes. CREEL, JÉRÔME & LE CACHEUX, JACQUES (2006), « La nouvelle désinflation compétitive européenne », Revue de l’OFCE, vol. 98, pp. 9-36. EMERSON, MICHAEL et al. 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