Le Désordre mon Général F.Isidore Wathiez

Transcription

Le Désordre mon Général F.Isidore Wathiez
Le Désordre, mon Général !
Les mains tremblantes, François-Isidore Wathiez dépoussière le tableau endormi au grenier,
prisonnier des toiles d’araignée depuis des décennies. Il le libère. Ses yeux voilés de cataracte
dévisagent l’homme qu’il a été, son cœur bat à grands coups de canons sous l’assaut de l’émotion.
Qu’il était beau !
-
Bonjour mon Général, noble Isidore glorieux, vainqueur. Tu as bien mérité tes galons. Moi, à
présent je suis François, plein de tics et de tocs, ma vie ne vaut plus une médaille. Laisse-moi
t’admirer ; enfin je te retrouve !
Tu l’as échappé belle en 1809, et tellement souffert au front, sans jeu de mots ; cette balle cruelle
aurait pu défigurer ton visage. Ce visage si expressif, éclairé d’un sourire narquois, chapeauté
d’une folle chevelure. Et ton front intelligent, soutenu par ce col rigide, c’est bien toi, le rêveur
médaillé. Le héros Général au grand cœur, le héros amoureux qui a fait palpiter tant de cœurs.
Le peintre ne s’y est pas trompé, il a bien senti les deux personnages en moi. Il a fait son choix, et
il s’est ravisé. Son repentir cache le médaillon que j’arborais, le portrait évanescent d’Edwidge. Ce
n’était pas correct d’afficher ainsi la belle juvénile que je voulais épouser, j’étais déjà loti de
femme et enfants. Il a tout misé sur le héros de batailles à répétition, il a laissé mon cœur sans
munitions. Mais tu connais bien, bel Isidore, le petit coquin qui se cachait en toi, ce François pas
du tout guindé, qui faisait tourner la tête des beautés.
Ah ! ce François-là, devant toi, a dégusté après les grandes batailles ! Notre couple s’est tiraillé, je
suis resté emprisonné dans ma famille, les obligations, sans gagner une récompense. J’ai dû obéir,
ne jamais me rebeller, ma maison est devenue prison. De surcroît ma santé a décliné, les
séquelles de mes blessures se sont aggravées, j’ai perdu un peu la mémoire, puis la parole. Sur ce
registre, c’était presque un service. J’ai des migraines atroces, enfin j’ai oublié que j’étais Isidore.
Mon épouse se plaisait à faire remarquer ma déchéance, pour se faire valoir ; elle voulait qu’on la
plaigne, qu’on la félicite de me supporter. Te rends-tu compte, Isidore ? Quelle défaite ! Moi qui
n’en ai connu aucune quand j’étais Isidore, c’est le François piteux qu’elle exhibait.
Halte-là François ! Moi, François-Isidore Wathiez, je t’Admire. Oui, j’admire ta patience, ton courage
d’avoir résisté à cette guerre psychologique. Tu as tenu bon sans jamais baisser la garde. Tu as choisi
les bonnes armes pour te défendre, les mots. Ils t’ont guéri du mal de désamour. Quand ils ne sont
plus sortis de ta bouche, ils ont trotté dans ta tête rien que pour toi, et se sont distillés dans ton âme
tel un onguent. Bravo, je reconnais le grand stratège. Tu es vivant, bien vivant, pour longtemps
encore.
-
Tes paroles ressuscitent ma joie d’antan. Cela m’a fait plaisir de revivre un peu d’orgueil, et de
retrouver mon Général Isidore. Tu ne fais pas d’ombre au vieux François, tu m’illumines. Merci !
Joëlle LORGEOUX
Joëlle LORGEOUX
Le Désordre, mon Général !