Le portrait du général Wathiez

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Le portrait du général Wathiez
Le portrait du général Wathiez
- Général, général, venez voir ce qui vient de tomber de la charrette.
François Isidore s’approche. A ses pieds un portrait en médaillon d’un militaire en tenue de parade.
Celui-ci vient de choir sur les pavés de l’avenue de la Reine à Versailles.
Aujourd’hui, le général revient s’installer dans sa ville natale. Il veut y finir sa longue
vie. Vie qu’il a d’ailleurs, bien souvent failli perdre dans toutes les campagnes Napoléoniennes.
Il soulève le lourd tableau, l’approche de son visage :
- Mais c’est moi, ne peut-il retenir!
Ses mains tremblent, il blêmit d’émotion. Il est brutalement projeté sur le champ de bataille :
vacarme assourdissant des armes qui s’entrechoquent, chevaux qui hennissent, sifflement des balles,
odeur de la poudre, cris des blessés…
Il s’appuie sur l’épaule de l’homme près de lui.
- Mon général, mon général, ça va pas ?
- Pardon, pardon, un simple éblouissement. Le voyage m’a éprouvé, je vais rentrer et m’asseoir.
Soyez gentil de porter pour moi ce portrait à l’intérieur.
- Dites donc mon général, ça ne serait pas vous, des fois ?
Isidore ne répond pas.
Que de temps passé, de victoires, de défaites, de gens rencontrés, et cette blessure qui malgré le
temps ne se fait pas oublier.
Mais comment en ce 18 mai 1808 n’est-il pas mort ? Une balle en plein front, des mois
d’inconscience et puis, la vie qui a repris…
Assis confortablement, il se regarde dans l’œuvre.
- Etais-je beau ? Assurément, je l’étais et fier avec ça ! Mais le peintre m’a épargné : pas de traces au
front, toutes mes décorations, une belle rigidité militaire, mes cicatrices cachées par ce col montant…
C’est Antoinette ( Francine, en réalité) qui avait voulu que je pose :
- Pour la postérité, disait-elle, je veux t’offrir un peu d’éternité.
Elle avait dit au peintre :
- Dessinez-le aussi beau qu’il était quand je l’ai rencontré et que nous nous sommes aimés.
Pauvre Antoinette, son champ de bataille, à elle : les maternités. Elle ne fut hélas pas épargnée ;
morte en couche pour notre huitième enfant !
Que me reste-t-il aujourd’hui de ce bonheur évanoui ? Général sans armée, plus de guerre où
combattre, plus de femme à aimer, plus d’enfants à chérir. Pourquoi garderai-je ce portrait ? Qui se
souviendra du lieutenant général François Isidore Wathiez ?
Il est soudainement interrompu dans ces sombres pensées par un gars en blouse grise, béret vissé
sur la tête :
- Eh bien mon général, vous en faites une tête. Il n’a pas l’air de vous réjouir ce portrait ? C’est-y que
vous en voulez plus ?
Isidore soupire.
L’homme poursuit :
- Parce que moi j’le prendrai bien. A mes enfants, je leur ai raconté des blagues, j’leur ai dit que leur
grand-père, il avait fait Austerlitz, la guerre avec Napoléon et tout ça. Je voulais qu’ils aient une belle
image de leur aïeul.
L’homme s’interrompt en tripotant son mouchoir et poursuit :
- Alors je pensais… Je pensais que si je leur apportais ce beau portrait, que je l’accrochais au dessus
de la cheminée, ça ferait drôlement bien. On aurait un grand-père qui a fait Austerlitz et même
Waterloo !
- Prenez mon brave, prenez le . Qu’une dernière fois, le lieutenant général Wathiez soit utile !
Evelyne Calvière
Musée Lambinet
Le 10 décembre 2015

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