Les femmes présentant un TSA cachent des luttes internes

Transcription

Les femmes présentant un TSA cachent des luttes internes
Les femmes présentant un TSA cachent des luttes internes complexes derrière
un masque1
Note de l’éditeur
Nous sommes conscients que les points de vue divergent quant à savoir s’il vaut
mieux parler de « personnes présentant un trouble du spectre de l’autisme » ou de
« personnes autistes ». Afin de mieux souligner la diversité des formes d’autisme,
dans cet article, nous parlerons de « personnes présentant un trouble du spectre
de l’autisme » (ndlt : TSA).
William Mandy
Maître de conférence au University College de Londres
Robyn Steward
Chercheuse invitée au University College de Londres
Gwen est une jeune femme créative et intelligente qui connaît la réussite en tant qu’artiste. Pourtant,
quand elle était enfant, elle avait juste envie de s’isoler et de passer inaperçue. D’aussi loin qu’elle
se souvienne, elle se sentait déjà différente des autres enfants, et elle fournissait beaucoup d’efforts
en vue de camoufler certains aspects de sa personnalité en faisant semblant d’être « normale ». Elle
n’a pas vécu une enfance heureuse, et l’adolescence a été une période encore plus difficile à
traverser. Les relations avec ses pairs devenant de plus en plus complexes, elle a lutté pour
s’adapter. (Gwen est une participante de notre étude ; nous avons changé son nom pour protéger sa
vie privée.)
Gwen a reçu un traitement pour l’anxiété et la dépression quand elle avait la vingtaine. Et à mesure
qu’on l’aidait à reconsidérer ses expériences et ses sentiments, elle s’est rendue compte qu’elle
présentait peut-être bien un trouble du spectre de l’autisme. Un psychologue a validé son autodiagnostic et lui a remis un diagnostic officiel, et c’est à partir de ce moment-là que tout ce qu’elle
avait vécu a pris son sens.
Elle a enfin compris pourquoi elle avait autant de mal à s’entendre avec ses pairs à l’école et au
travail, et quand elle se sentait en surcharge sensorielle dans les magasins bondés et bruyants, elle
savait désormais que cela fait partie de la sensibilité sensorielle caractéristique des TSA.
Aujourd’hui, le fait de savoir qu’elle fait partie de la communauté autistique lui donne de la force,
et elle est de plus en plus fière d’être ce qu’elle est : une jeune femme qui présente un trouble du
spectre de l’autisme.
D’autres filles et femmes présentant un TSA se reconnaîtront dans l’histoire de Gwen : l’anxiété et
le sentiment d’aliénation, le stress dû aux tentatives de s’intégrer et les relations sociales difficiles.
À l’instar de Gwen, beaucoup de femmes présentant un TSA reçoivent un diagnostic tardif, tandis
que d’autres reçoivent un mauvais diagnostic, ou pas de diagnostic du tout.
1
Traduction de l’article original : « Women with autisme hide complex struggles behind masks », W. Mandy, R.
Steward, 20 septembre 2016
Nous avons voulu mieux comprendre les expériences des femmes présentant un TSA en vue de
mieux les identifier pour les aider au plus tôt. Dans cette étude publiée au mois de juillet, nous
avons défini les signes distinctifs des femmes présentant un TSA, qui incluent un risque élevé d’être
victime d’agressions sexuelles, l‘épuisement dû aux efforts fournis pour se fondre dans la masse, et
le fait d’être perpétuellement incomprisei. Ces signes distinctifs nous ont permis de définir des
mesures précises à prendre en vue de rendre la vie de ces femmes meilleure.
Langage littéral :
La plupart des cliniciens (ndlt : la plupart des cliniciens anglo-saxons, en France on en est pas
encore là…) et des membres de la communauté autistique s’accordent pour dire que les femmes
présentant un TSA n’ont pas les mêmes caractéristiques que les hommes présentant un TSA. Mais
aucune différence de genre significative n’apparaît quand on se base sur des résultats d’essais
cliniques et des indicateurs. Ces différences de genre sont-elles vraiment insignifiantes, ou passonsnous à côté de ces différences en oubliant de poser les bonnes questions aux personnes concernées ?
Pour résoudre ce problème, nous avons adopté une approche peu conventionnelle qui consiste à
porter une grande attention aux expériences des femmes présentant un TSA. Nous avons posé des
questions sur leurs vies à 14 femmes présentant un TSA, dans l’espoir que leurs mots nous
permettent de comprendre les manifestations subtiles de l’autisme chez les femmes que l’on ne voit
pas dans les résultats des tests classiques. Le fait de comprendre ces caractéristiques devrait nous
permettre de mieux aider les femmes présentant un TSA, dans l’espoir qu’elles n’aient plus le
sentiment de devoir faire profil bas.
Notre étude porte sur les femmes ayant reçu un diagnostic de TSA à l’âge adulte. Nous avons
déterminé qu’en comparaison aux filles diagnostiquées durant l’enfance, les expériences de ces
femmes seraient susceptibles de nous aider à comprendre à quel point et pourquoi on ne se rend pas
toujours compte que certaines femmes présentent un TSA. Nous espérions aussi que cela nous
aiderait à évaluer les dommages provoqués par un diagnostic erroné.
Robyn Steward présente elle-même un TSA, et sa perspicacité nous a permis de créer les conditions
favorables à l’expression des femmes participant à l’étude. Nous avons par exemple demandé à la
personne qui menait les interviews de poser des questions littérales, tout particulièrement quand les
questions portaient sur des sujets sensibles comme la consommation de drogues et le sexe, et que
les participantes étaient tentées d’avoir recours à un langage abstrait et indirect.
Plans et aides visuelles :
Nous avons fait en sorte qu’aucun stimulus sensoriel —bruits intenses ou lumières vives—
susceptible de rendre les participantes agitées ne parasite la salle d’interview. Nous avons préparé
les participantes en leur envoyant au préalable des plans et des photos de la salle d’interview.
Quand l’idée d’une conversation en face-à-face les mettait malgré tout mal à l’aise, nous leur
proposions de faire une visioconférence à la place. Et pendant l’interview, nous leur proposions
d’utiliser un chronomètre en guise d’aide visuelle, pour qu’elles sachent à quel moment elles
devraient passer à la question suivante.
Les autres membres de l’équipe n’auraient pas pensé à adapter la salle d’interview, et nous sommes
convaincus que cela a aidé les participantes à s’ouvrir et à parler ouvertement de certains aspects de
leur vie. Nous disposons probablement d’une base de données plus riche que si nous nous étions
retrouvés face à des femmes nerveuses et réticentes.
Nous avons encouragé les participantes à parler de sujets que nous n’avions pas prévu d’aborder, et
nous avons eu recours à la technique de l’analyse du cadre, qui permet de classer automatiquement
les données verbales pour recouper des thèmes communs dans les conversations.
Comme Gwen, la plupart des participantes ont eu des difficultés sur le plan émotionnel durant
l’enfance et l’adolescence. Leurs médecins, professeurs et parents ont souvent pensé à tort que
c’était juste de l’anxiété, de l’impolitesse, de la maladresse ou une dépression.
Beaucoup de participantes ont eu le sentiment que les médecins avaient ignoré ou pas tenu compte
de leurs préoccupations. Beaucoup de professionnels avaient des idées reçues —voire surréalistes—
sur l’autisme, ce qui ne les aidait pas. Par exemple, certains professionnels étaient apparemment
convaincus que l’autisme touche très peu de femmes.
L’éducateur spécialisé d’une des participantes lui a dit qu’elle était « trop nulle en maths » pour être
autiste. D’autres étaient convaincues qu’elles étaient incomprises car leurs professeurs et médecins
n’avaient jamais entendu parler des caractéristiques des femmes présentant un TSA. La plupart
d’entre elles ont affirmé que leur vie aurait été plus simple si elles avaient reçu un diagnostic de
TSA plus tôt.
Incertitude sociale :
Les résultats de notre recherche laissent penser que les professeurs et les cliniciens devraient savoir
comment l’autisme se manifeste chez les femmes. Ils devraient savoir qu’une fille qui a une amie
proche ou qui cherche à se faire des amis peut malgré tout présenter un TSA. Et ils devraient savoir
qu’une forte anxiété couplée à des difficultés sur le plan social sont un signe potentiel d’autisme.
Ces professionnels réduisent trop souvent les nombreuses difficultés de ces filles à de la
« timidité ». Nous avons découvert un nombre élevé de témoignages d’agressions sexuelles, ce qui
a choqué les deux membres neurotypiques de l’équipe, mais pas Robyn Steward. En tant que
consultante en autisme, elle intervient dans des écoles, auprès des services sociaux et de
compagnies de théâtre, et elle a déjà entendu un certain nombre d’histoires de filles et de femmes
présentant un TSA abusées par des hommes.
Le motif des agressions sexuelles varie, mais toutes semblent être en lien avec les difficultés
sociales typiques de l’autisme couplées à leur condition de femme.
Par exemple, l’une des participantes pense qu’elle a été agressée sexuellement car elle est
« incapable de deviner qu’une personne est malsaine. » Une autre a dit qu’elle n’était pas sûre de
pouvoir dire « non » aux demandes abusives de son partenaire à cause de son incertitude quant aux
règles sociales. D’autres avaient le sentiment que durant leur adolescence, elles ne savaient pas qu’il
existait des moyens de se protéger car elles n’avaient pas d’amies avec qui en parler.
Notre étude seule ne permet pas d’établir des statistiques sur la prévalence des agressions sexuelles
chez les femmes présentant un TSA, mais les résultats de nos recherches mettent en avant un besoin
de recherche dans le domaine de l’autisme au féminin. Et ils semblent clairement indiquer qu’il
faudrait que les femmes présentant un TSA reçoivent une éducation sexuelle appropriée en mettant
l’accent sur la notion de consentement et sur les différentes manières de rester en sécurité.
Identité secrète :
Comme Gwen, la plupart des participantes faisaient semblant de ne pas être autistes avec succès —
un phénomène que l’on appelle parfois « camouflage ». Elles disent que c’est comme porter un
« masque » ou adopter une personnalité construite avec soin en copiant le comportement de
camarades populaires ou de personnages fictifs, ou en étudiant des ouvrages de psychologie.
La plupart des femmes ont expliqué que les efforts fournis pour faire semblant d’être « normale »
les épuisaient et les laissaient désorientées, et beaucoup pensent que c’est à cause de cela qu’elles
n’ont pas été diagnostiquées plus tôt. À ce jour, aucun test ne permet de détecter les signes de
« camouflage », et c’est un obstacle majeur pour les cliniciens et les chercheurs qui veulent
comprendre et aider les femmes présentant un TSA.
Ce qu’il faudrait, c’est concevoir une méthode qui permette d’évaluer le degré de « camouflage »,
pour savoir si c’est un trait plus commun chez les femmes que chez les hommes présentant un TSA
—nous pensons que oui—, et si cela a des conséquences négatives telles que le risque élevé de
diagnostic tardif. Cette méthode aiderait les cliniciens à établir des diagnostics d’autisme plus précis
chez les filles et chez les femmes.
Les résultats de nos recherches soulèvent également des questions d’ordre moral. Jusqu’à
récemment, beaucoup de membres de la communauté LGBT se sentaient forcés de cacher leur
orientation sexuelle. Heureusement, même si l’homophobie est toujours répandue, elle l’est moins
qu’avant. Nous pensons qu’il en va de même pour les femmes présentant un TSA, et qui se sentent
obligées de faire semblant d’être « normales ».
Les chercheurs et les cliniciens ont tendance à mesurer les progrès en se basant sur le nombre de
traitements ayant fait leurs preuves et disponibles sur le marché. En ce qui concerne l’autisme, nous
proposons d’adopter une grille de lecture différente, qui consiste à évaluer la mesure dans laquelle
les sociétés permettent aux autistes de vivre sans avoir à faire semblant d’être ce qu’ils ne sont pas.
William Mandy est maître de conférences en psychologie clinique au University College de Londres.
Robyn Steward est une chercheuse invitée dans la même université.
Traduction : Elodie Chatelais - ec-translations.eu
1. iBargiela S. et al. J. Autism Dev. Disord. Epub ahead of print (2016) PubMed