Murgia dans une ville fantôme d`Atacama
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Murgia dans une ville fantôme d`Atacama
Murgia dans une ville fantôme d’Atacama La Libre Belgique, Guy Duplat, le lundi 16 février 2015 à 10h55 - Mis à jour le mardi 17 février 2015 à 15h42 « Children of Nowhere » le nouveau spectacle de Fabrice Murgia créé en janvier à Santiago du Chili, a été présenté au Festival de Liège et partira maintenant à Mons. Il est une méditation poétique et politique sur le Chili, les années Pinochet et l’exil. Comme à son habitude, Murgia mêle étroitement les vidéos, la musique et le théâtre, servi, avec l’aide de Lod Productions, par la composition de Dominique Pauwels, interprétée par un quatuor de violoncelles (Aton & Armide) et une soprano (Lore Binon). Et les vidéos sont tantôt des images nostalgiques du désert de l’Atacama, tantôt des interviews riches d’émotion. C’est le second volet d’un projet commencé avec Ghost Road et on y retrouve, seule en scène, la grande actrice flamande Viviane De Muynck qui s’est rendue sur place, au Chili. Théâtre documentaire, « Children of Nowhere » évite tout récit linéaire, choisissant d’avancer par touches au départ d’un lieu lourdement chargé d’histoire tragique : la mine de salpêtre de Chacabuco dans le désert d’Atacama, près d’Antofagasta. Au milieu du sable et des roches, balayées par le vent, des ruines surgissant au milieu de nulle part, à mille lieues de toute ville. On marche entre les murs gris et délabrés d’une ancienne cité industrielle. Il y a juste un gardien. La mine fut abandonnée aux rêves déçus. Pinochet y enferma jusqu’à 1800 prisonniers politiques, souvent des intellectuels et artistes, car, on le sait, la dictature frappe d’abord la culture. Autour, dans les sables, on retrouve encore des corps d’opposants. L’exil Fabrice Murgia part d’une évocation du désert, du ciel si pur, d’une enfant qui danse, pour entrer peu à peu dans l’univers de cette ville morte et de ces vies détruites. Dans son cycle Ghost Road qui pourrait se poursuivre au Japon, il visite ces lieux désertés, où l’humanité n’a plus laissé que des traces de son existence éphémère. Par petites touches, via des interviews, revivent ces hommes qui souffrèrent tant, comme Oskar Vega qu’on retrouva pendu à une charpente. Les sons déchirants des violoncelles alternent avec la suggestion des drames vécus. Cette histoire du salpêtre et puis de la dictature, n’est que suggérée, donnée par épisodes, pleines de non-dits que les survivants ne peuvent rouvrir. Fabrice Murgia a vécu cela avec les souvenirs douloureux que sa mère gardait pour elle, de la guerre d’Espagne. A moins que mystérieusement, il ne reste une nostalgie de la beauté de l’Atacama, malgré les souffrances endurées. Fabrice Murgia clôt ce court spectacle en interrogeant des exilés chiliens et leurs enfants. L’une explique qu’avec le temps, elle ne se sent plus chilienne sans pour autant être devenue européenne. Un autre constate cruellement qu’aujourd’hui, si Pinochet revenait et qu’il devait fuir à nouveau le Chili, il ne serait plus accueilli en Belgique à bras ouverts, comme en 1973, mais dans un centre fermé. Et la voix grave de Viviane De Muynck vient donner de la présence humaine à cette histoire de fantômes politiques. Children of Nowhere, dans la cadre du festival Via, au Manège de Mons, du 20 au 22 mars.