l`art c`est la distance que le temps donne à la souffrance Art et Santé
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l`art c`est la distance que le temps donne à la souffrance Art et Santé
ALBERT CAMUS : l’art c’est la distance que le temps donne à la souffrance Art et Santé.. En ces temps de nouvel an – la date est encore acceptable- une paire de mots qui font un peu carte de vœux. On vous souhaite l’un et l’autre, et surtout la santé hein ! …Oui surtout car si l’on peut se passer d’art, l’angoisse c’est de n’être pas à même de pouvoir tenir devant toutes les autres vicissitudes. En réalité, dans une logique partagée avec Art et Prison, où l’art permet de penser la liberté, Art et Santé s’adresse à ceux qui ne l’ont pas. Dans les deux cas, on cherche un bien contre un mal. En quelque sorte, une compensation. Un oubli. Une diversion. Le divertissement, justement décrié lorsqu’il fait vendre au commerce les heures de cerveau disponibles, n’est pas nécessairement le néant mental, et le travail des clowns relationnels par exemple rend au plaisir sa fonction de chemin de l’émotion et de la vie. Mais il est une autre voie, qui remonte aux racines de l’art, de la création, de l’invention artistique. Et qui porte son questionnement au cœur intime de la souffrance, là où elle reçoit tous les noms possibles de la maladie mentale. L’histoire de l’art est pleine de ces fous qui, une fois reconnues leurs œuvres, rarement de leur vivant, sont passés à la postérité comme des génies. Evidence ? Enfoncement de porte ouverte ? Peut-être, mais allons plus loin : ce que l’on nomme folie ou maladie mentale, est éminemment variable dans le temps et selon le lieu, l’époque, la culture. Elle occulte le plus souvent la souffrance, ce lieu de l’être où l’esprit, ou quel que soit le nom donné à la subjectivité et à l’émotion, se tord sur lui-même à la recherche de quelque chose qui échappe à la rationalité de la vie ordinaire, à la raison raisonnante qui n’est le plus souvent que la raison du plus fort. Cet état de celui qui dévie du chemin, s’écorche aux ronces, se meurtrit aux pierres angulaires, se roidit aux vents contraires qui le bousculent quand il cherche un provisoire équilibre, et souffre parce que rien ne lui est explicable, dans ce monde absolument réel qui est le sien. C’est à cet endroit de sa recherche que l’invention artistique s’insinue, que l’on qualifie souvent d’expression de soi et que la compassion valorise. C’est cela, et c’est beaucoup plus : il faut analyser plus avant ce processus de la création artistique, qui est tout simplement, tout magnifiquement, l’invention ou la réinvention de soi, où il n’y a pas de mensonge ni de faute ni d’erreur. Il existe en Europe et ailleurs et depuis longtemps des parcours théâtraux qui, à l’écart du théâtre institué ou normé, se sont attachés à faire place à cette dimension de la création artistique où l’être est pris dans sa totalité, hors tout étiquetage et toute stigmatisation, où les failles et les manques, les blessures et les tourments deviennent, sur le plateau, autant de dons et de richesses. La Troupe du Possible associe des personnes qui ont subi des troubles traités en milieux psychiatriques. Au départ intégrée à une telle institution, la troupe s’en est détachée, libérant la parole et la croisant avec celle de comédiens de formation, construisant ainsi au long de plusieurs créations un lieu permanent d’invention artistique de niveau professionnel, interrogeant sans répit la notion de normalité, et de son contraire : « dans nos sociétés on cultive les étiquettes (interview de Farid Oussamgane, metteur en scène du spectacle « DSM IV Normopathie d’une société bien rangée », lors des répétitions au club Antonin Artaud) et ce qui définit notre travail théâtral est de toutes les abandonner pour recréer de la vie dans la rencontre de toutes les subjectivités ». DSM IV existe vraiment : c’est une sorte de dictionnaire d’origine E-U des classifications des maladies du domaine psychiatrique. C’est en fait la base de toutes les réponses pharmacologiques à toutes les déviances de la norme : lecture instructive dont personne ne sort en bonne santé mentale ! « Quand sommes-nous normaux? Quand anormaux ? Depuis le 19ème nos sociétés sont de plus en plus normalisées et médicalisées avec des répercussions sur notre perception de nous même ». Cette question de la perception que pose Farid, le spectacle Perceptio qui fait partie du projet Terra Incognita.Europe l’a posée lors du Festival international de théâtre action (au Moderne à Liège en octobre) et elle a parcouru les débats lors de la rencontre organisée par Art et Santé (C et D) et ses partenaires de ce Mouvement théâtral toujours en interpellation du monde. Ce projet, soutenu par le Programme Culture de la Commission européenne, réunit trois compagnies, Locos por el teatro d’Alicante (qui a créé Perceptio), le Théâtre de l’Arcane à Marseille et les Acteurs de l’ombre, compagnie liégeoise de théâtre-action, partenaire de création et coordinatrice générale du projet. Toutes trois, associant sur le plateau des personnes confrontées à des souffrances mentales, des soignants et des comédiens qui partagent la colère et les refus d’Antonin Artaud sur le théâtre, posent sur la folie la question de savoir non ce qu’elle est mais qui la nomme et en désigne les porteurs. Et donc comment elle est perçue : qui dit la normalité sinon les systèmes qui font les normes et sanctionnent l’anormalité? L’anormalité serait-elle le contraire de la normalité? Ou son complément aussi indispensable que redouté ? Serait-elle son miroir qui dans les contes ne parle qu’à ceux curieux de ce qu’il cache autant que de ce qu’il reflète? Ce miroir ou tout s’inverse, où la main droite – la franche, la belle, la juste, la probe et la sincère, celle qui donne la direction, sans déviance..- devient la gauche, la sinistra en latin, la « mal à droite », celle des gauchers, anormaux d’une époque pas si lointaine où ils étaient soumis aux corrections qu’imposait l’uniformité normalisée. La droite, la gauche, le normal, l’anormal, le bien portant, le malade,… Quel regard fait de nous des gens sains d’esprit ou des fous, d’esprit défaillant à quel ordre mental? Le projet Terra Incognita.Europe a été particulièrement choisi pour illustrer un pan trop souvent occulté de l’exclusion, thème que – la chose est assez rare pour être soulignée- les instances européennes avaient choisi pour interpeller aussi la culture. L’enjeu du projet est « de rendre compte par la métaphore théâtrale, des formes d’exclusion qu’entrainent les parcours des personnes sujettes à des troubles psychiatriques. Histoires de vie souvent compliquées d’indigence et de ruptures familiales et sociales ». Son objectif est ambitieux : modifier le regard sur la folie et la normalité. Michel Bijon, dans l’ancienne salle de spectacle heureusement préservée dans les basétages du Centre Hospitalier Valvert au cœur de la Vallée de l’Huveaune, banlieue est de Marseille, travaille avec les occupants des lieux, soignés et soignants, indistincts sur le plateau des membres de la compagnie, et en ouverture vers le quartier. Il parle de ces parcours, « lentement dessinés par les pas de tous ». Le spectacle, Terra incognita – qui a donné son nom à tout le projet- est la partie visible de ce cheminement commun, de l’invention de chacun sur ce plateau où « l’ambiance » est essentielle, où « l’espace et le temps de l’atelier sont ceux de l’attention » à tout et à tous : « on y voit l’imperceptible, l’infime, la connivence » et la complicité du risque couru ensemble. Le lieu théâtral devient celui de l’urgence, « qui donne à chacun le pouvoir de construire quelque chose qu’on ne s’autorise pas ailleurs ». Ce n’est plus ici le théâtre qui est nécessaire mais l’acte théâtral qui permet d’ « aller à la rencontre de, sans tricherie, avec authenticité » (Michel Bijon citant Grotowsky). Une certaine manière de repenser la définition de la santé mentale et de son lien profond avec la part artistique infiniment présente dans la construction de chaque être humain. Paul Biot, Culture et Démocratie, membre du Mouvement du théâtre-action