journal d`un homme trompé (1934)

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journal d`un homme trompé (1934)
JOURNAL D’UN HOMME TROMPÉ (1934)
Anonyme
JOURNAL D’UN HOMME TROMPÉ
Le Jardin des Lettres n° 44 – février 1935
Sous ce titre, Journal d'un Homme trompé, M. Drieu la Rochelle publie des
nouvelles très originales, de fond et de forme ; certaines, nous dit-il, ont été établies sur
un enchaînement de faits dont il a été le témoin. D’autres, au contraire, le délivrent
d’une petite hantise qui avait peu à peu amassé une matière de fable dans un coin de son
esprit, sans qu’il puisse retrouver dans sa vie extérieure ou dans celle des autres un incident qui en ait été le prétexte. L’une de ces nouvelles, le Journal, continue la tentative
commencée dans L’Homme couvert de Femmes et dans Le Feu follet. Le livre paraît
dans la collection « La Renaissance de la Nouvelle », remarquablement dirigée par M.
Paul Morand.
G.G.
JOURNAL D’UN HOMME TROMPÉ
par Drieu la Rochelle (Editions de la N.R.F.)
La Revue des Vivants n° 4 – avril 1935
Paul Morand a pris la direction d’une collection qui se nomme « La Renaissance
de la Nouvelle ». Il faut lui en savoir gré, car les bons auteurs écrivent souvent de bonnes nouvelles dont il est juste que nous profitions. D’autant que la renaissance de cette
formule littéraire pourrait être une garantie contre un des maux dont nous souffrons : le
délayage jusqu’à la noyade du plus ténu des sujets, pour atteindre la valeur moyenne,
deux cents et quelques pages, du livre imprimé.
Les nouvelles de Drieu la Rochelle, à vrai dire, sont un peu décevantes. En ce
sens que la plupart semblent être plutôt partie d’un tout que tout elles-mêmes. Décevantes aussi parce qu’à de rares exceptions près, elles ne sortent pas d’un sujet dont nous
commençons à avoir assez : les femmes faciles, les maîtresses que l’on chipe aux amis,
les subtilités à fleur de peau d’un amour qui voudrait voir dans son perpétuel changement le signe d’une perpétuelle recherche.
Disons tout de suite que Drieu la Rochelle manie ces sujets avec la verve et
l’esprit dont il est coutumier, et que si certaines de ses nouvelles ont un goût de « pas
fini », c’est tout au plus dans le déroulement de l’histoire, mais non dans la peinture des
caractères ni dans la facture du récit. Ce sont, en tout cas, des lucarnes ouvertes sur un
certain monde sentimental, sur le cœur des hommes qui, aimant fort les femmes, leur
ont consacré « un temps pris sur le travail et l’orgueil, ce dont ils leur tenaient peut-être
rancune, mais une rancune qui ne les attachait que davantage à elle ».
René Pellegrin
Aspects de l’Œuvre de Drieu la Rochelle : le Nouvelliste
JOURNAL D’UN HOMME TROMPÉ
L’Europe réelle n° 173 – février 1978
Le Journal d’un Homme trompé, paru en 1934, est un recueil de nouvelles
« galantes », au nombre d’une dizaine, dont les héros successifs, masculins, portent souvent le prénom de Gille, prénom qu’affectionne Drieu puisqu’il l’emploiera dans
d’autres romans, devenant sous la graphie de Gilles le titre de son roman capital – paru
en 1939. Sachant de Drieu (de sa nature physique, de son comportement moral et
social) ce que nous en connaissons, nous pouvons affirmer sans risque de nous tromper
que les Gille et autres René et Marc, aux prises avec les femmes seules, les femmes
mariées ou les femmes divorcées de ces nouvelles, ne sont autres que l’auteur lui-même
sous des masques différents. L’écrivain fait profiter ses lecteurs, à travers un journal, la
relation d’une passion, d’un voyage, d’une rencontre, d’un dîner ou d’une missive
amoureuse, de ses propres aventures, démêlées, amourettes ou conquêtes et défaites ou
abandons, à Paris, sur le Côte et à l’étranger. Sa revue des bonnes (ou mauvaises) fortunes est écrite dans le style appliqué de l’analyste du cœur féminin et de ses ressorts, de
ses faiblesses comme de sa force, toujours sous le signe de l’imprévu, des circonstances
ou des faits, où l’auteur s’est révélé être un parfait artisan. Style consciencieux ne signifie pas style dénué d’humour, d’intérêt ou de flamme. Certes Pierre Drieu la Rochelle
n’est pas un nouvelliste confirmé, comparable à Prosper Mérimée ou Paul Bourget. Ces
textes, s’ils sont concis, attrayants, originaux, n’ont pas la force d’impact, la savante
construction ou l’intérêt majeur caractérisant l’art de la nouvelle. Non. Mais, à l’instar
de Guy de Maupassant, cet autre don Juan des lettres, Drieu sait placer dans ses récits
l’idée originale, le motif ou l’épilogue qui saura « accrocher », captiver ou amuser le
lecteur. Ses héros, ses héroïnes sont si séduisants, si aimants et si aimables – nous retenons ce dernier terme car nous pensons qu’il définit le mieux l’esprit des nouvelles de
Drieu – que nous, lecteurs, nous entrons dans le jeu de l’écrivain qui veut nous entraîner
dans sa promenade, son vagabondage parmi les cœurs et les corps. Sur les talons de
l’auteur, nous pénétrons dans ces foyers et ces ménages, dans ces garçonnières et ces
boudoirs des années 1929-1939 où la bourgeoisie moyenne et la haute bourgeoisie se
complaisaient ou faisaient halte quelquefois entre deux grandes passions, deux lunes de
miel ou, plus souvent, deux orages. Divertissement de la part de Drieu, fantaisie littéraire, délassement du romancier peintre de son temps et doctrinaire ambitieux et assuré,
le Journal d’un Homme trompé ne nous apporterait rien d’autre qu’un peu de détente
et d’amusement, assortis d’une pointe d’envie, si la nouvelle terminale du recueil,
Défense de sortir, ne nous obligeait à un jugement plus circonspect. Car Défense de
sortir est un texte d’une étoffe différente de tout ce qui le précède et dont la lecture
attentive nous ramène au Drieu des grandes œuvres, des solides constructions littéraires
dans lesquelles sont traités (avec quelle maestria !) des attachants problèmes de
l’homme et de sa destinée. Cette nouvelle méritait à elle seule de faire l’objet d’un long
exposé. Nous l’avons fait (cf. Les Vues prophétiques de Drieu la Rochelle – L’Europe
réelle n° 131 – février 1973).