Dans la peau… d`un personnage handicapé

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Dans la peau… d`un personnage handicapé
Comment un acteur valide se prépare-t-il à jouer le rôle d’une personne
handicapée ? Comment s’approprie-t-il une gestuelle pour apprivoiser
l’intériorité d’un personnage ? Qu’y ajoute-t-il de sa propre histoire ou
de sa sensibilité pour rendre crédible son interprétation ? Flash-back
sur quelques rôles marquants de cette dernière décennie.
DossieR
Dans la peau… d’un
personnage handicapé
Transformation physique
Olivier Gourmet dans Nationale 7 (2000)
© Rezo Films
« Regarder, écouter, réagir : tel est le métier. Chaque personna
nage est un abîme. C’est lui que je mets en avant et pas moi.
En observant sans cesse mes semblables. En les volant », a confié
Olivier Gourmet (1). Pour interpréter le rôle de René, myopathe de 50 ans au caractère irascible et rebelle, l’acteur
belge a subi une transformation physique et s’est soumis à
une préparation rigoureuse.
« Pendant une semaine, Daniel Bacon, lui-même myopathe
[NDLR : aujourd’hui décédé] l’a coaché, explique le réalisateur Jean-Pierre Sinapi (2). Il lui a appris comment bouger la
tête, projeter son corps en avant, allumer une cigarette, faire
tomber sa cendre, tenir une fourchette, ou boire à la paille… Tout ce travail autour de
la gestuelle lui a permis d’entrer dans le mental de son personnage. » Résultat : une performance d’acteur exceptionnelle dans un film drôle, tendre et généreux.
Immersion à l’hôpital de Garches
© Mars Distribution
Titoff dans Cavalcade (2005)
Abonné à des rôles plus légers, le comédien
s’est profondément investi dans la préparation
du film de Steve Suissa inspiré du roman de
Bruno de Stabenrath. « J’ai perdu 15 kilos
avant de passer un mois à l’ hôpital de Garches,
racontait-il lors d’une émission télévisée (3).
Pour comprendre ce que les personnes handicapées vivaient, je me suis interdit de me lever du
fauteuil. Un des exercices les plus déterminants
a été le transfert lit-fauteuil, donner l’impression de déplacer un corps mort, en oubliant tous
les muscles réflexes pour ne faire travailler que
quelques muscles restant au niveau des bras et
des épaules. Le jour où j’y suis enfin parvenu,
je me suis mis à pleurer. » Décriée par les uns,
saluée par les autres, la performance de l’humoriste a le mérite de la sincérité.
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38 Une improvisation soigneusement travaillée
Au-delà de l’histoire poignante de Ramon Sampedro, tétraplégique après un accident, qui s’est battu pendant presque
trente ans pour le droit à mourir, la réussite du film d’Alejandro Amenábar tient au choix de Javier Bardem dans le
rôle principal.
« Javier pouvait sembler l’acteur le plus indiqué et le moins
indiqué pour faire ce film, reconnaissait le réalisateur à sa
sortie (4). Le moins indiqué parce qu’il n’a ni le physique ni
l’ âge requis pour ce rôle […]. Le plus indiqué parce qu’il est
selon moi un monstre sacré de l’interprétation. Il a énormément travaillé sur sa voix et sa gestuelle. Il était le plus apte
à se rapprocher ainsi de la réalité
parce qu’ il a en lui cette magie
qui sublime le texte, qui vous fait
oublier que derrière tout cela il y a
un scénario mémorisé par un acteur.
On a l’ impression qu’ il improvise
constamment. » En effet, qui eût cru que cet acteur au charisme sauvage pourrait incarner avec tant de délicatesse et
de force ce personnage cloué dans un lit, ne communiquant
avec son entourage que par la voix et le regard ?
Deux mois de préparation
Emmanuelle Devos dans Sur Mes Lèvres (2001)
© Pathé Distribution
Le film de Jacques Audiard a marqué incontestablement un
tournant dans la carrière de la discrète Emmanuelle Devos.
Pour incarner Carla Behm, jeune secrétaire dans une société
de promotion immobilière, effacée et portant des prothèses
auditives, la comédienne a bénéficié de deux mois de préparation. Un luxe courant aux États-Unis mais qui demeure
rare en France.
« Je lis le scénario, je sais que c’est parti, se souvient-elle (5).
C’est le big rôle. Je vais voir un spectacle de sourds-muets, je
rencontre une traductrice en langage des signes, un orthophoniste… Je me balade aussi avec des bouchons dans les oreilles, et je les garde pour des dîners
entre amis, afin de ressentir l’isolement. » Immense succès, le film offre à la comédienne
le césar de la meilleure actrice en 2002.
Coaching avec une femme tétraplégique
Sophie Marceau dans L’Homme de chevet (2009)
© Rezo Films
Dans le film d’Alain Monne, la comédienne
incarne une tétraplégique qui, au contact de
son auxiliaire de vie, ancien champion de boxe
à la dérive, reprend goût à l’amour. D’abord
sceptique et peu amène, elle se laisse progressivement apprivoiser par cet autre accidenté
de la vie.
Pour se glisser dans ce rôle, Sophie Marceau a
beaucoup échangé avec une femme tétraplégique et s’est préparée à rester immobile. « L’un
des obstacles les plus difficiles à franchir a été la
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frustration totale de ne plus pouvoir me servir
de mon corps et de n’avoir aucun autre moyen
d’expression que les mots, révélait-elle lors de
la sortie du film (6). Je n’ai tourné que pendant
quatre semaines, mais passer huit heures par jour
à interpréter cette femme m’a beaucoup affectée. » S’il sombre parfois dans le mélo, le film
demeure une belle leçon d’humilité dont la
réussite tient sans nul doute à la performance
du couple de comédiens.
© UFD
Javier Bardem dans Mar adentro (2005)
Incarner force et vulnérabilité
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Colin Firth dans Le Discours d’un roi (2011)
© Wild Bunch Distribution
La pluie de récompenses – dont l’oscar du meilleur acteur
raflée par l’acteur britannique – est-elle méritée ? Incontestablement oui ! Dans le film de Tom Hooper, Colin Firth
campe un George VI (le père de la reine Élisabeth II) tourmenté, dans l’obligation de surmonter son bégaiement afin
d’incarner un souverain crédible.
« Ce qui m’a attiré, dès le départ, chez George VI, ce n’est pas
tant son bégaiement, sa timidité ou le fait qu’il ne souhaitait
pas devenir roi, mais plutôt cette façon qu’il a eue de prendre
les problèmes à bras-le-corps, confie-t-il (7). Je devais trouver
le moyen d’incarner cette dignité personnelle pour laquelle il se battait, et,
dans le même temps, laisser apparaître l’immense vulnérabilité de cet homme. Il fallait
aussi que le bégaiement soit suffisamment prononcé à l’écran pour que le spectateur souffre
avec le personnage, sans pour autant rendre le son de sa voix insupportable à l’oreille. »
Un bizarre challenge physique
François Cluzet dans Intouchables (sortie prévue en novembre 2011)
D’abord confié à Daniel Auteuil, c’est à François Cluzet que
revient d’incarner Philippe Pozzo di Borgo, ancien directeur
délégué des champagnes Pommery devenu tétraplégique
suite à une chute en parapente, dans le nouveau film du
tandem Olivier Nakache et Éric Toledano.
Mettant en scène la rencontre entre un tétraplégique
fortuné et son jeune auxiliaire de vie venant de la banlieue,
Intouchables offre à François Cluzet son premier rôle de handicapé. « Physiquement, c’est un challenge un peu bizarre :
Philippe est un personnage intérieur, or, moi, je travaille avec
tout mon corps… Au début, j’ai essayé de m’exprimer beaucoup par le visage, mais les réalisateurs sont vigilants sur la
sobriété ! », précisait-il il y a quelques mois en plein tournage (8). Verdict à la fin de l’année.
Quand les acteurs ne jouent pas le jeu
Au moment où la promotion bat son plein, les acteurs d’un film se pressent sur les plateaux de télévision
ou se répandent en interviews dans les magazines. Jouets consentants – ou pas ? – d’un plan médias
soigneusement orchestré par leurs attachés de presse ou leurs agents, ils se prêtent au jeu des questionsréponses entourant le tournage ou la préparation. Mais qu’advient-il après la fin de l’exploitation du film ?
« L’emploi du temps actuel de mademoiselle Sophie Marceau ne lui permettra pas d’accorder une suite
favorable à votre demande d’interview », a répondu de manière lapidaire l’agence artistique Artmedia.
Même réponse – mais avec des excuses souriantes – de l’attachée de presse d’Emmanuelle Devos
actuellement sur les planches du Théâtre Marigny à Paris. Silence radio en revanche du côté de l’entourage
d’Olivier Gourmet et Titoff…
Pourquoi ce manque d’entrain à donner suite à nos sollicitations ? Faut-il en conclure qu’une fois la
“promo” terminée, les acteurs passent à autre chose, quelle que soit la marque laissée par le rôle incarné ?
Ou qu’attachés de presse et agents font barrage, privilégiant leur actualité ? Ou devons-nous tout simplement
penser qu’un magazine parlant du handicap est moins valorisant qu’un Gala ou un Paris Match … ?
(1) Télé Ciné Obs, juillet 2004.
(2) Interview bonus inclus
dans le DVD du film (Blaq out
collection).
(3) Tout Le Monde en parle,
France 2, 14 mai 2005.
(4) http://www.allocine.fr/film/
fichefilm_gen_cfilm=53097.
html
(5) L’Express, septembre 2007.
(6) Sélection du Reader’s
Digest, novembre 2009.
(7) www.gala.fr, 2 février 2011.
(8) Le Parisien, 31 janvier 2011.
Texte Claudine Colozzi
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