Nouvelles des Mureaux - Notre

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Nouvelles des Mureaux - Notre
Niouzes des Mureaux.
01-09-2014
Isabelle : l’été a été chargé et compliqué entre les opérations de clôture de notre vie aixoise et ardéchoise, le
tri des affaires à emporter en Ardèche ou aux Mureaux, à laisser et, source d’enguelades conjugales, celui des
dossiers (en 36 ans de mariage, on accumule : ce qui est indispensables, ce qui est utile mais pas
indispensable, ce qui est peut-être utile, ce qui est totalement inutile mais sait-on jamais …). Bref après avoir
bourré « ras-la-gueule » deux voitures, nous partons. Aux Mureaux pour Pierre, à Roubaix pour moi afin
d’installer Sigolène, notre dernière fille, pour ses études d’art.
Pierre. Au Mureaux, Rodrigue, le patron de l’Antenne du Rocher, m’accueille très chaleureusement et je
découvre notre « petit chez nous ». Il est 21 heures, peu de monde en bas des immeubles. Quatrième étage,
pas d’ascenseur (le gestionnaire de la cité en a marre de le réparer), escalier en colimaçon visiblement mal
entretenu (j’apprends par la suite qu’il est nettoyé 2 fois par semaine). Ca y est, j’y suis. Petit appartement
meublé par la paroisse (merci à elle), j’ouvre la porte, je regarde (papier peint oriental parfois décollé, parfois
absent), je hume (quelques années de relents de cuisines exotiques agrémentés d’odeurs de collectivité allant
de la poubelle, aux évacuations en passant par un je ne sais quoi qui incite à ouvrir les fenêtres). Ce coup-ci, le
bourgeois aixois atterrit : « ça y est, mon garçon, tu l’as voulu, tu y es ! ». Quelques montées et descentes
pour apporter le contenu de la voiture dans l’appartement. Je quitte Rodrigue et file rejoindre Isabelle qui, de
retour de Lille fait escale à Senlis, chez Maguelonne et Benjamin, notre fille et gendre. « Alors, c’est
comment ? » me demande la Zaza. Je préfère ne pas l’influencer et lui dit : « pas trop mal, tu verras ça de tes
propres yeux ».
04-09-2014
Isabelle. Le vrai jour J arrive. Nous arrivons vers 11 heures. Première constat : pourquoi aller à l’étranger, on a
le monde entier dans la cité. Second constat : que de sourires, de « as-salâm 'aleïkoum » (pour les érudits :
‫ )ع ل ي ك م ال س ال م‬et de « oua-aleïkoum-salâm » en réponse !
Pierre. Et comme il fait très beau, je me dis que la vie est vraiment belle.
Isabelle. Je suis silencieuse depuis un moment. Tout est allé très vite, trop vite pour aujourd’hui. Dans
l’escalier en colimaçon, j’éclate en sanglots : « Pierre, qu’est-ce qu’on fout là ? ».
Pierre. C’est le moment d’improviser. Tout en pensant « merde, il y a un bug », je bredouille à ma Zaza un
« t’en fais pas, l’appartement c’est mieux » et la prends dans mes bras. C’est donc bras dessus, bras dessous,
tel de jeunes mariés, que nous entrons dans l’appartement. Tour de piste de la nouvelle maîtresse de maison.
Quelques sanglots, une grande inspiration et elle commence la liste des travaux qu’on (moi) va entreprendre.
Isabelle. Et puis, l’aide de Patrick, un des bénévoles du Rocher des Mureaux, pour finir de monter les derniers
cartons, la pizza hallal avalée au restaurant nommé Crousty Time (« ouala, si mieux en anglis », nous dit le
patron), l'accueil de l'équipe, la gentillesse des gens du quartier et un soleil presque "aixois" dissipent
tout. L’orage est passé, la vie est vraiment belle.
05-09-2014
Isabelle. Nous montons l’escalier quand surgit au second étage un petit diablotin noir de 6 ans : « Le
Rocher1 ! » s’écrit-il tout heureux. « Oui » répondons-nous en chœur. « Alors on va jouer ! ». L’animation de
rue est l’activité historique du Rocher : créer du lien, donner des règles, exprimer la joie, connaitre les familles
par les enfants …
08-09-2014
Pierre. Aujourd’hui, c’est la première réunion d’équipe avec le lancement de la semaine. Nous fixons ensemble
les détails des activités hebdomadaires à venir.
11-09-2014
1 En
fait, nous habitons l’appartement de précédents volontaires
1
Isabelle. Première animation de rue : nous voilà devenus éducateurs de rue. Je craque littéralement. Ils sont
tous très beaux, à la fois turbulents, attentifs, impertinents, charmeurs, boudeurs, … Je vois Pierre jouer à la
balle aux prisonniers et courir en tenant un enfant par la main. Très vite, je remarque que les plus petits ne
suivent pas le rythme et les prends avec moi pour faire des coloriages. Instant magique où ils sont tout à leur
activité et s’appliquent. Les garçons colorient des « Spiderman » ou des chevaliers et les filles des princesses.
La théorie du genre a encore du travail à faire en cité …
15-09-2014
Pierre. Et allons-y pour le porte à porte. Dring. Si c’est une femme qui ouvre, c’est la Zaza qui parle. Un
homme, c’est moi. L’un prie, l’autre parle : « Bonjour, nous sommes vos nouveaux voisins et nous venons vous
informer des activités du Rocher. Vous connaissez Le Rocher ? ». Et le contact s’établit. Nous prenons le nom
des ceux qui veulent que nous revenions les voir. Appartement par appartement, cage par cage, immeuble par
immeuble, l’équipe rencontre les habitants, engage le dialogue, tisse des liens, génère la confiance, noue des
amitiés. Le slogan du Rocher, c’est : « Oser la rencontre ». Au cœur des cités, nous osons et, croyez nous, nous
recevons plus que ce que nous donnons. La joie est grande quand la rencontre a lieu !
Isabelle. L’après midi a lieu la première séance d’aide aux devoirs. Nous sommes quasiment envahis par les
enfants (à ce jour plus de 90 enfants ou adolescents sont inscrits !). 17 à 18 heures, les primaires. 18 à 19
heures, les collégiens et lycéens. A 19 heures, l’équipe du Rocher et les bénévoles se retrouvent pour un
débriefing. La stupéfaction le dispute à l’agacement ou à l’hébétude. J’ai le souvenir d’une vague d’enfants
surexcités, joyeux et prêts à tous sauf à faire leurs devoirs. Les décisions stratégiques s’imposent. Demain : en
rang par deux, plus de bruit, chacun s’assied à la place qui lui est dévolue. Non mais !
Pierre. Aille, ma mère. Il nous faudra deux mois pour y parvenir. Et encore, à condition que l’un de nous fasse
l’adjudant chef de compagnie. Non pas que les enfants soient incapables de sagesse mais ils sont heureux
d’être au Rocher où ils se sentent aimés. A nous de leur faire découvrir les exigences de l’amour qu’on leur
porte. Pour ma part, je suis nul. Un exemple. Les mathématiques ! Certains enfants sont imperméables et leur
expliquer que 2 x 3 c’est égal à 3 x 2 relève de l’exploit. Résultat, sur la petite feuille où l’on apprécie le travail
qu’ils ont fait, j’assassine : « nul », « ne comprend rien », « devrait pouvoir comprendre ce qu’on lui apprend ».
Isabelle. … Heureusement, il y a le débriefing : « Pierre, tu n’as rien compris. Il ne s’agit pas de noter la
performance, mais d’apprécier la qualité de l’effort fourni par l’enfant, sa volonté au travail et sa disposition.
Et, en tous cas, de le valoriser, de lui montrer qu’on ne le juge pas mais qu’on l’accompagne ».
Pierre. En clair, cher enfant, tu n’as rien compris, tu m’as exaspéré, tu as mis ma patience à dure épreuve, tu
m’as obligé à trouver en moi des trésors de calme et à cacher mon énervement. Mais tu es formidable parce
que toi, de ton côté, tu as persévéré, tu as accepté que je te répète dix fois que si ta maman te demande
d’aller acheter 3 fois 2 pommes, tu rapporteras le même nombre de pommes si tu en achètes 3 en 2 fois. Tu es
vraiment bien, mon enfant.
21-09-2014
Pierre. Réunion au Centre social. Ordre du jour : élaboration du projet social2 2015 – 2019 de la cité. Dans la
salle, toutes les institutions et associations locales, beaucoup d’habitants du quartier, des femmes pour
l’immense majorité, magnifiques dans leur plus beau « boubou3 ». Discours des élus, slides, exposés
techniques, considérations sociologiques, budgets, perspectives, … les femmes africaines ne bronchent pas.
« Et maintenant, mesdames et messieurs, si vous voulez bien poser vos questions ». L’une d’elle se lance : « je
suis d’acco’ avec le p’ojet mais le p’oblème c’est que il y a toujou’s les cafa’rds 4 dans la maison ». La réunion
2 Les
municipalités élaborent des Projets Sociaux de quartier pour déterminer les actions et les investissements à réal iser pour et dans
le quartier. Pour les Mureaux, le précédent projet 2011 – 2014 avait été élaboré sans concertation avec les habitants. Cela a créé de
l’exaspération quand, par exemple, un pôle social de 17,5 millions d’euro a été construit : il est actuellement fini, occupé au quart de sa
surface, qu’on peine à trouver quoi en faire et que 35% de la population est au chômage.
3 Nom
donné aux habits des femmes
4 Problèmes récurant des
HLM : le cafard pullulent et prolifèrent avec un rare bonheur. Seul un traitement exhaustif de tous les
appartements pourrait, momentanément, les supprimer. Or, toute les familles ne sont pas là quand passe la société de décafard isation
…Pour l’instant, le premier de nous deux qui se lève, se précipite sur l’aérosol et part à la chasse. Rectificatif ( Isabelle) : je prends
l’aérosol, Pierre , lui, les prend par la patte et les met dehors !
2
s’anime. Les femmes accusent, les représentants des organismes d’HLM (les « bailleurs » comme on les
appelle ») répondent pied à pied, les élus se font tous petits, le directeur technique essaie de rehausser le
débat … C’est Pagnol en Afrique. Apothéose au moment où la discussion s’essouffle. Une maman se lève.
Silence (j’apprends plus tard qu’elle est présidente du Comité de quartier). Elle lève son index pour souligner
son propos : « Les cafa’rds, c’est r’ien. Le p’oblème, c’est les chats qui se ‘ep’oduisent dans les ga’ages
soute’’ains qui sont mu’és. Quans les femelles sont en chaleu’, c’est invivable ». Applaudissements nourri des
autres femmes. Elle se rassoit. Alors se lève le représentant d’un bailleur. Aussi noir que l’intervenante. « Au
‘isque de mett’e le feu, je me dois de vous di’e que lo’s de ma de’niè’e inspection des ga’ages, je n’ai vu aucun
chat ». La salle s’enflamme dans un délire de rires, d’invectives aimables et de mimiques estomaquées. In fine,
couvrant les voix, l’intervenante conclut : « Dommage que les chats ne mangent pas les cafa’ds ! ».
25-09-2014
Isabelle. Aujourd’hui, premier « café des femmes » avec Guénola, Nathalie et Françoise, trois bénévoles très
fidèles qui viennent de jolis coins des Yvelines et qui connaissent mieux que moi les participantes, avec, parmi
les fidèles : Mariamma, victime d’un AVC à trente ans et restée hémiplégique, Aïcha, Rabia et son franc parler,
Ijou qui nous amène Nadège, Khadidja et Rochia etc… L’ambiance est chaleureuse et la conversation aborde
vite des thèmes éducatifs : la dictature des marques, le règne du « paraître »… Nous alternons des « cafés
libres » et des activités préparées, atelier cuisine, atelier henné ou sorties à l’extérieur : nous emmènerons
bientôt un groupe de volontaires au salon « création et savoir faire » à Paris…
Pierre. Le jeudi soir, a lieu le repas d’équipe, moment très sympa de détente et d’échanges. On ne parle pas
« boulot » mais, en fait, on ne fait que cela : la Cité est présente en permanence dans nos cœurs et nos esprits.
Ce moment précède la visite des halls. Prière à Notre Dame du Rocher 5 puis nous allons en deux groupes de 4
ou 5 à la rencontre des grands jeunes. Ils peuplent certains halls d’immeubles de leur soif d’aimer et d’être
aimé qu’ils croient trouver dans leurs amitiés délétères, leurs discussions bruyantes, leur trafics, leur alcool.
Nous allons à leur rencontre, leur dire par notre présence et par l’intérêt que nous leur portons que nous les
aimons. Accueil chaleureux (ça n’était pas le cas pour les premiers volontaire en 2010 : « t’es flic toi, cassetoi »). Ce soir-là, en fait de halls nous passons deux bonnes heures à discuter avec 4 grands jeunes très sages,
dont deux, en djellabas blanches, me font penser à des séminaristes de monseigneur Lefebvre. Discussion
intéressante sur le fait religieux. Ils sont accompagnés de Pierrot, vieux Muriotain, qui m’explique l’évolution
du quartier depuis 40 ans, avant les immeubles.
Isabelle. Certains des grands jeunes que nous croisons, ou qui fréquentent le Rocher, ont vraiment des mines
patibulaires et se sont donné des noms qui font sourire… ou frissonner : PDG, Abou Pourtant , Barbar , etc… je
n’aurais pas aimé les croiser la nuit au coin de ma rue à Aix et ici, malgré leur casier judiciaire et leur bracelet
électronique, je m’aperçois que ce sont souvent de grands enfants blessés.
27-09-2014
Pierre. Le Rocher nous demande nos premières impressions : « C'est parti pour trois ans. Après 36 ans de
mariage, où l'un comme l’autre avons eu des activités différentes, nous nous retrouvons ensemble, à tout
partager : porte à porte pour nous présenter et annoncer la reprise des activités, animations de rue, aide aux
devoirs, réunions officielles, rencontres inattendues, Et alors, c'est comme un nouveau début de mariage : nous
nous redécouvrons. Je vois Isabelle taper aux portes avec un vrai bonheur et parler aux mamans avec une
conviction qui ferait pâlir le plus ardent des témoins de Jéhovah ! Je vois Pierre avoir une patience d'ange avec
les enfants de l'aide aux devoirs, lui qui supportait difficilement de superviser le travail de ses propres
enfants. L'âge en plus, nous repartons à zéro dans la vie ! Un remariage ! Qui plus est, béni par l’Eglise. C'est
fabuleux ! Deo gratias. »
2-10-2012
Pierre. C’est au cours des visites de halls, qu’est née l’idée des cafés philo. « Tu es heureux, toi, de la vie que tu
mènes ? de ton trafic ? –ô frère, c’est quoi l’bonheur ? ». Le premier café philo a eu lieu il y a un an, avec
quelques grands jeunes, et un intervenant extérieur, philosophe connu (« ô frère, on va faire d’la philosophie !
Nous qu’on n’est pas cultivé ? »). Ce soir, nous parlons « contradiction », avec Jacques, notre beau frère,
5 Cette
prière, jointe à ces feuilles, est dite avant chaque activité. Elle a été écrite par Anne Sophie, mère de 4 enfant, déc édée très
jeune d’un cancer foudroyant, épouse de Cyril Tisserand, fondateur du Rocher
3
avocat6. La discussion commence dans le tâtonnement. Il ne s’agit pas de faire un cours de philo mais de
laisser s’exprimer les participants et de discuter avec eux. Au bout de quelques minutes, entre dans la salle, un
jeune en état d’ébriété qui va torpiller la soirée, interrompant les échanges, demandant à Jacques toutes les 5
minutes « Tu es qui toi ? tu connais le terrain ? ». Que faire ? Rodrigue, tendu comme une corde d’arc,
accompagne dehors une première fois le jeune qui revient. Je vais alors vers ce jeune (qui m’agace profond !),
lui explique en essayant de ne pas montrer mon agacement qu’il nous dérange et lui demande de sortir.
Rodrigue et ses amis l’accompagnent à nouveau dehors. La discussion reprend : « Dieu ne peut pas sauver ceux
qui se conduisent mal ! ». Ca devient intéressant. Las ! notre ami bourré revient. Petit à petit les gens s’en
vont. La soirée fait « pschitt ». Débriefing. J’explose : « un mec bourré, ça n’est pas tolérable. Rodrigue tu
aurais dû le virer une bonne fois pour toute ! De toute façon, le lendemain il ne se souviendra de rien. – Pierre,
tu n’as rien compris (one more time, me dis-je en moi-même) … », et Rodrigue m’explique. Le Rocher va à la
rencontre et accueille chacun comme il est avec ses faiblesses, ses limites, ses pauvretés. L’exclure à cause de
ses faiblesses, ses limites, ses pauvretés, c’est rompre la rencontre. Pour celui qui est venu ce soir, peut-être
ne se rappellera t-il de rien, mais ses trois amis, eux auraient vu qu’on le rejetait. Aimer, c’est ouvrir son cœur
à l’autre tel qu’il est et non pas tel que je veux qu’il soit. Merci Rodrigue. Mais que c’est dur d’aimer ! et de
s’oublier soi-même ! Le débriefing dure un bon moment. Petit clin d’œil du bon Dieu : en partant, le jeune est
encore là. Il vient vers moi. Aille ? « Pierre, j’ai mis le Bronx ce soir … je te demande pardon ». Il me fait pleurer,
ce bourricot ! Alors, pour la première fois de ma vie, je serre un grand noir balaize dans mes bras et je
l’embrasse sur le front.
4-10-2014
Isabelle. Surprise : nos 16 enfants, beaux et petits enfants débarquent à la maison profitant, nous disent-ils, de
la Manif pour Tous pour venir nous voir. Tu parles, c’est d’une inspection 7 en règle qu’il s’agit. Ils veulent tout
savoir. Nous leur offrons l’apéritif dans les locaux du Rocher avec les autres membres du Rocher et, sympa, des
voisines qui passent par là. A midi, mouloukhia 8 à la maison meilleure que celle de la maman de Pierre ! La
cage d’escalier est désinfectée pour 15 jours et les cafards fuient.
Pierre. L’après midi, nous allons en famille à la mosquée es-Salem présenter nos vœux de bonne fête à l’iman
et à la communauté : « Aïd mabrouck9 y’a khouïa10 – vrraiment, votrre prrésence en famille me fait trrès
plaisirr et c’est le plus beau jourr de ma vie ». L’iman est adorable, il a une bonne tête et c’est un saint homme.
Il se met tous les enfants dans la poche. Quelques jours auparavant nous sommes allés en paroisse visiter sa
mosquée et il est venu en mosquée visiter notre paroisse. Apprendre à se connaitre. Les musulmans de bonne
volonté sont troublés. Les attentats répétés, l’égorgement vidéo d’Hervé Gourdel en Algérie, le massacre des
chrétiens au Moyen Orient, … ils sont nombreux à penser et à dire que cela ne peut être l’islam, que ceux qui
font cela ne sont pas de bons musulmans. L’iman lui-même nous l’a dit. Et ce, devant sa communauté11.
9-10-2014
Isabelle. Notre fils Louis, sa compagne Louise et leur fils Gaston nous font la joie de rester quelques jours aux
Mureaux avant leur départ pour Mayotte. A midi, je les emmène à la paroisse. Les prêtres, Xavier et Marc, y
font table ouverte deux fois par semaine. Ce sont des paroissiennes12 qui confectionnent les repas, mettent la
table et font le service. Elles sont admirables car la cuisine du curé c’est pas le top ! Là, c’est davantage le
quart monde qu’en cité ! Des gens très seuls, abîmés par la vie, parfois handicapés et dont certains ne doivent
pas manger à leur faim tous les jours…Le peuple de « bras cassés » que le Christ est venu aimer et sauver et
6 Qui,
au passage, héritera de 2 clients en délicatesse avec la justice
7 Sms
de notre fille Pascaline en réponse à mon sms de remerciement pour leur visite : « Maintenant qu’on a vu que vous étiez
heureux, on est rassurés »
8 Plat tunisien qui ressemble à de la bouse
de vache liquide, qui embaume et dont l’odeur tenace mais agréable se répand allégr ement
alentour.
9 Bonne
10 Mon
fête
frère
11 Cela est significatif car une
chose est une discussion en tête à tête, une autre une affirmation devant la Communauté. En public, un
musulman ne se risque pas à dire des choses dont il sait qu’elles ne sont pas partagées. C’est là un témoignage fort qu’il no us a fait.
12 Elles sont admirables car
la cuisine du curé n’est pas top : petit évier, petit fourneau, petits plats, … pas vraiment faite pour le repas
répétitifs de collectivité.
4
que l’Eglise accueille avec une sollicitude maternelle. Louise et Louis m’ont parus touchés par ce repas.
Quelques jours plus tard le père Xavier me dit que Daniel, un des participants, avec qui Louise a parlé un très
long moment lui avait dit que ça avait été un grand jour pour lui. Ecouter, montrer au plus pauvre qu’il a de
l’importance, que ce qu’il dit est intéressant, c’est le travail du Rocher. Merci Louise.
12-10-014
Isabelle. Le dimanche soir, présentation du Rocher à l’aumônerie de Chatou. 50 lycéens nous accueillent, nous
chauffons la salle et leur montrons avec Camille et Victor que l’on peut « aller aux périphéries » et y trouver la
joie. Beaucoup de volontaires et de bénévoles du Rocher s’engagent deux ou trois ans après une présentation
à laquelle ils ont assisté. Nous rentrons crevés mais contents à minuit.
21-10-2014
Pierre. « Ah, Pierre, tu veux bien recevoir Ahmed13 ? Il a un petit souci. ». Y’ Allah ! 25 ans, brevet des collèges,
sorti de l’école à 15 ans, tournicoté à droite et à gauche, touché par çi par là au trafic (guetteur, revendeur)
mais (rarissime !) prend la décision de s’en sortir et veut trouver un vrai job pour mener une vie vraiment
normale. Et allons-y que je te lui sors le discours pro : compétences, projet professionnel, motivations,
entretien d’embauche, recherche d’emploi … la totale. Rendez-vous est pris pour le lendemain avec comme
objectif : faire son CV. Le lendemain, personne. Les jours suivants, personne. Rodrigue se marre : « Pierre, tu
n’as rien compris (et re one more time …). Il faut t’inscrire dans la durée. D’abord apprivoiser, faire parler,
laisser dire les difficultés. Le reste viendra en son temps ».
27-10-2014
Isabelle. Rendez-vous à Toulon pour une session de formation des nouveaux du Rocher. Pierre me rejoins des
Mureaux à Avignon où je le récupère après une semaine passée à Abeau avec Maguelonne et Sigolène. Le sud,
le soleil, la chaleur, la rade de Toulon vu du fort du Rocher 14 : le retour aux Mureaux risque d’être difficile. Au
menu : institutions partenaires avec lesquelles le rocher travaille, la violence, l’éducation affective et sexuelle,
les relations chrétiens musulman et, à nouveau, l’option préférentielle pour les pauvres. Avec Pierre, on se dit
que nous aurions entendu certains topos au début de notre mariage, nous aurions peut-être été de meilleurs
éducateurs …
13 Les
prénoms sont changés
14 La
Marine nationale a loué au Rocher un vieux fort sur les hauteurs de la ville en contrepartie d’une remise en état. Des camps
organisés dans ce lieu avec les jeunes des cités permettent cette remise en état et ancrent ces jeunes dans leur relation ave c le Rocher.
Ils ne sortent pas « indemnes » de ces camps qui, pour beaucoup d’entre eux, représentent un chemin de libération.
5
ANNEXES
Isabelle.
Quelques mots sur les Mureaux. C’est une petite ville de 35 000 habitants dont la moitié vit dans des cités
HLM mais qui comporte un vieux centre charmant , des zones pavillonnaires charmantes aussi … et des cités à
taille humaine entourées de verdure. Ce qui frappe, c’est la verdure partout … et la propreté ! C’est plus
propre qu’Aix ! (Pierre : exagération Zazesque : Aix est propre !). Explications : après les émeutes de 2006,
dont les meneurs ont été coffrés et ont quitté les lieux, des fonds très importants ont été débloqués pour les
banlieues et particulièrement pour les Mureaux qui est l’une des communes les plus subventionnées de France
au titre de la politique de la Ville ! Résultat : des travaux partout. Les « barres » de béton ont été, sont ou
seront détruites. C’est ainsi que l’on voit des immeubles dont toutes les fenêtres sont murées de parpaings
(pour empêcher les squatts) à l’exception d’une ou deux : cela signifie que dès que les derniers habitants
auront été relogé dans des HLM de bien meilleure conception et qualité, on détruira l’immeuble (sachez
quand même que les anciens, construits pour les ouvriers de l’industrie automobile, ont été longtemps
considérés eux-mêmes comme le top du genre !). C’est donc tout à fait habitable, ce que confirment les visites
aux familles. La population des cités est à 80% d’origine africaine (Sénégalaise et Malienne essentiellement,
avec une très forte proportion de musulmans : 80%) et à moins de 20% magrébine. Quand une famille
s’installe, elle fait venir ses frères et sœurs, neveux et cousins et il y a donc souvent de vraies tribus familiales
qui se retrouvent ici. Je me dis que, pour des femmes qui n’ont connu que la dure vie dans les campagnes
africaines ou l’insalubrité des bidonvilles comme ceux que nous avons vus à Kinshasa, ces logements
relativement spacieux, avec chambres séparées pour le couple et les enfants, cuisine équipée, électricité, eau
courante chaude et froide doivent représenter ce que représente pour nous le Ritz ! Je comprends aussi
mieux comment la France rend impossible le stoppage de l’immigration et même l’encourage en améliorant
constamment les conditions de vie des arrivants. Ici, les volontaires du Rocher sont les quasi seuls Blancs du
quartier, l’on entend parler tous les dialectes africains et il vaut mieux ne pas être en panne de cochon car
pour en trouver dans les magasins ça tient de l’exploit.
J’ai demandé aux filles du Rocher, s’il leur était arrivé de se sentir en insécurité et elles m’ont répondu d’une
seule voix : jamais. Tout le monde les connaît aux Mureaux et tout le monde les respecte. Le problème numéro
1 semble être le chômage : 38%, qui fait le lit de la délinquance ; ce sont souvent des hommes seuls ou des
jeunes qui ne travaillent pas. La plupart des jeunes des cités arrêtent leurs études en troisième. Malgré les
fonds engagés, les moyens déployés par l’Education Nationale, les collectivités territoriales et l’Etat ! Quel
gâchis : cela conforte la vocation du Rocher : une présence aimante au cœur des Cités qui conduit
paisiblement les comportements à évoluer vers le bien, le beau et le vrai.
L’équipe du Rocher aux Mureaux. Nous sommes plusieurs qui vivons dans 3 appartements en cité, le nôtre,
celui des filles à deux pas de chez nous et celui des garçons un peu plus loin :
-
deux salariés : Rodrigue 35 ans (lui-même enfant de la cité de Bondy, d’origine congolaise,
enthousiasme débordant et vitalité inaltérable) et Victor, 28 ans, diplômé d’une école de
commerce, qui en avait marre d’un discours politique théorique sur les banlieues et l’immigration et
qui a voulu venir voir la vraie vie (il est chargé des relations entreprises pour l’ensemble des antennes
du Rocher),
-
deux volontaires en année de césure, Camille 22 ans (école de commerce) et Yolaine 20 ans (étudiante
en droit),
-
un stagiaire, Bruno 20 ans (1ère année Polytechnique),
-
trois bénévoles intermittents, Claire 25 ans (sage femme), Laure 24 ans (ingénieur) et Vianney 30 ans
(professeur de Physique), tous trois anciens volontaires ayant souhaité rester en cité à la reprise de
leur activité professionnelle,
-
et des bénévoles issus parfois de la cité ou qui viennent des environs pour donner régulièrement de
leur temps (ceux-là ne vivent pas avec nous).
Nous voilà plongés au cœur de la jeunesse ! Nous avons une chance extraordinaire d’être au sein d’une
association novatrice, en pleine expansion, entourés de jeunes et travaillant avec eux. Cela génère beaucoup
de dynamisme mais aussi, parfois des crispations ou des oppositions qui nécessitent des calages en termes de
6
travail d’équipe. Le Rocher a bien pensé les choses et le partage d’équipe permet de tout mettre à plat. C’est
très beau. Chacun exprime la façon dont il vit les évènements et ses relations aux autres. Il n’est pas
interrompu. Ce qu’il dit n’est pas commenté ni critiqué. C’est le lieu du pardon et de la compréhension de
l’autre. Ca nous fait grandir et renforce notre cohésion
Religion
08-09-2014
8h 30 : église Saint Pierre Saint Paul des Mureaux. Messe, adoration du Saint sacrement, louange. A 10 heures,
au retour vers le local du Rocher, petite réflexion dubitative : « ouaou, tous les jours … ».
29-09-2014
« Ah, Pierre et Isabelle, le Rocher demande que vous participiez à une Maisonnée - C’est quoi ce truc ? – Une
soirée hebdomadaire avec des membres de l’Emmanuel pour voir ce que Dieu a fait pour vous dans la semaine
et ce que vous avez fait pour Dieu. Ca fait du bien ». Why not. De toute façon c’est compris dans le package :
allons-y. Ce soir première maisonnée (en trainant un peu les pieds). Accueil très sympa, réunion à 9, exercice
très intéressant où l’on apprend comment peut se découvrir et se vivre la fraternité. Si on m’avait dit il y a
quelques temps que je ferais tout cela …
11 et 12-10-2014
« Ah, Pierre et Isabelle, le Rocher demande que vous participiez à un week end - C’est quoi ce truc ? – Deux
jours avec les membres de l’Emmanuel du secteur pour se retrouver et approfondir la vie communautaire. Ca
fait du bien ». Why not. De toute façon c’est compris dans le package : allons-y. Louange, adoration, topo très
intéressant sur l’option préférentielle pour les pauvres. On a bien fait de venir. En fin d’après midi, l’animatrice
rappelle qu’il y a une feuille blanche au fond de l’église et qu’il faut s’inscrire pour l’adoration nocturne. « Voilà
autre chose » me dis-je en moi-même ! Ma Zaza itou qui est assise devant moi et se retourne pour me
chuchoter : « ce soir, on dort ! ». C’est sans réplique possible mais heureuse insomnie qui, à deux heures du
matin, me permet de jouer les parfaits adorateurs sans la réveiller.
Maisonnée
14 novembre 2014
Pierre : Le rythme est soutenu, les activités et les rencontres s’enchainent. L’équipe n’est pas encore rodée,
beaucoup de choses se font dans l’urgence. Cela crée des difficultés de fonctionnements, des insatisfactions et
des crispations. Rodrigue propose un partage et commence. A tour de rôle, chacun s’exprime. La règle est
simple : pas de commentaire, pas de conseil, pas de débat. Chacun expose ce qu’il vit et le fait :
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positivement (exemple : « cette semaine j’ai bien apprécié telle rencontre ou telle action »)
sans jugement (exemple : « j’ai besoin que les choses soient organisées et planifiées à l’avance … » au
lieu de « ta façon de faire improvisée est insupportable »)
sans a priori (exemple : « je pense que cette action doit être partagée par l’équipe » au lieu de « tu
t’accapares l’action, elle doit être partagée »
sans accusation
avec humilité (exemple : « je n’ai pas fait ma tâche dans les temps » au lieu de « oui mais comme untel
est passé me voir, il m’a fait perdre mon temps »)
en vérité : (exemple : « il n’y a pas de raison que seules les filles fasse vaisselle et repas »)
en charité (exemple : « j’ai été maladroit avec toi et je t’ai blessé. Je te demande pardon » au lieu de
« si tu avais fait les choses différemment, je n’aurais pas été maladroit avec toi »)
Ce jour-là, ce que nous partageons concerne nos modalités personnelles de fonctionnement et nous touchons
à l’intime de nos personnalités, avec nos défauts et nos faiblesses. Une fois de plus, nous avons mis les mots
justes sur des soucis réels. Sans rancœur, sans méchanceté, sans remarques désobligeante. Dans la paix.
Participent au partage trois jeunes stagiaires, une chrétienne et deux musulmanes. Au début, je me pose la
question de savoir s’il est opportun qu’elle soient-là ? Une fois le partage terminé, elles nous ont dit leur joie
d’y avoir participé. Aborder des points relationnels difficiles, voire très difficiles et se dire les choses avec
charité sans gueulante ni opposition : de mon point de vue, elles ont été scotchées.
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Nous avons fait trois partages depuis notre arrivée. A chaque fois, cela s’est fait au moment opportun :
l’équipe avait besoin de « se parler ». A chaque fois, il s’avère que le partage est préparé dans la prière, le
matin devant le saint sacrement, pendant l’adoration. Par chacun. « Il y a un problème de fonctionnement,
mon dieu donnes-nous d’en parler entre nous et de le faire en vérité, pour le bien de tous ». Notre expérience
est courte mais les fruits sont extraordinaire. Chacun grandit et l’équipe se tire vers le haut.
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