La Finlande et la Seconde Guerre Mondiale Du traité de Moscou à

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La Finlande et la Seconde Guerre Mondiale Du traité de Moscou à
La Finlande et la Seconde Guerre Mondiale
Du traité de Moscou à Pearl Harbor
Un intérim de paix ?
Avant même sa signature, le traité de Moscou avait un surnom : la paix intérimaire. Les Finlandais
pensaient, ou du moins espéraient, qu’il ne serait que temporaire et que la dureté de ses termes
seraient amendés lors d’une conférence de paix internationale qui se tiendrait après la guerre,
comme cela s’était fait à Versailles.
Deux ministres de la Ligue Agrarienne – celui de l’Education, Hannula, et celui de la défense,
Niukkannen – démissionnèrent pour protester contre le traité. Cela n’empêcha pas le parlement de
l’approuver par 145 voix contre 3, plus neuf votes blancs et 42 abstentions, la plupart exprimant
évidemment un refus du traité.
Le 27 mars 1940, Ryti forma son deuxième cabinet. Il choisit de contourner les partis politiques et
d’inclure dans son équipe de nombreux ministres « techniciens ». Cela permit au gouvernement de
mieux travailler, mais mécontenta encore davantage le parlement. Néanmoins, il y avait au
gouvernement au moins un représentant de chaque parti, sauf du Mouvement Patriotique du Peuple
(IKL), parti d’extrême-droite. Le changement le plus significatif était la nomination aux Affaires
Etrangères de Rolf Witting, du Parti du Peuple Suédois. Väinö Tanner était nommé ministre du
Ravitaillement et le lieutenant-général Rudolf Walden (un confident de Mannerheim) ministre de la
Défense, Mannerheim lui-même restant commandant en chef des forces armées. Simultanément,
des mouvements diplomatiques furent décidés, J.K. Paasikivi devenant ambassadeur de Finlande à
Moscou, tandis que l’ancien Premier ministre, T.M. Kivimäki, était envoyé à Berlin.
Parallèlement aux négociations de Moscou s’étaient déroulés des entretiens entre Finlande, Suède et
Norvège sur la formation d’un pacte de défense nordique. Ces plans furent cependant jetés bas
quand Molotov annonça, fin mars, que tout accord de ce genre serait contraire à l’esprit du traité de
Moscou, car spécifiquement dirigé contre l’Union Soviétique. L’invasion du Danemark et de la
Norvège par les Allemands quelques semaines plus tard planta le dernier clou dans le couvercle du
cercueil de ce projet.
En dépit du traité de Moscou, le gouvernement finlandais n’avait aucune illusion sur la précarité de
la situation du pays. La guerre qui gagnait peu à peu toute l’Europe, la situation inquiétante du
ravitaillement et le mauvais état des forces militaires du pays imposaient le maintien de l’état de
guerre. Si la nation avait survécu, le coût avait été élevé. Un cinquième de la capacité industrielle du
pays et 11 % de ses terres cultivables avaient été perdues, et il fallait reloger d’urgence les 420 000
réfugiés de Carélie.
Contraint et forcé, le gouvernement dut maintenir le rationnement, car la Finlande ne pouvait plus
assurer que 60 à 65 % de ses besoins alimentaires du fait de l’amputation des terres agricoles, de la
perte de nombreuses têtes de bétail lors de l’évacuation précipitée de la Carélie et de l’arrêt des
importations d’engrais, dont les conséquences étaient encore aggravées par la médiocre météo de
l’été 1940. La Finlande devait absolument importer des céréales et d’autres produits alimentaires
aussi bien que du matériel de guerre, dont la nécessité n’était contestée par personne. Une partie des
besoins alimentaires purent être satisfaits en s’adressant à la Suède et une autre à l’Union
Soviétique – mais cela devait permettre à celle-ci d’exercer des pressions politiques sur la Finlande
en menaçant de retarder les livraisons.
Réarmer le pays
La prolongation de l’état de guerre permit au président Kallio de demander au maréchal
Mannerheim de rester commandant en chef et de superviser la réorganisation des forces armées
finlandaises et la fortification de la nouvelle frontière, tâche d’une importance capitale en ces temps
incertains. En fait, les forces finlandaises allaient rester sur le pied de guerre jusqu’en 1944.
Moins d’une semaine après la signature du traité de paix, les travaux de construction d’une nouvelle
ligne de fortifications commençaient sur les 1 200 km de la Salpalinja (“Ligne Verrou”) et
notamment entre le Golfe de Finlande et le lac Saimaa. A l’été 1940, ces travaux mobilisaient pas
moins de 30 000 hommes.
Jusqu’à la fin de 1940, la Finlande vit peu à peu arriver le matériel militaire qu’elle avait acheté ou
qui lui avait été offert pendant et juste après la Guerre d’Hiver, mais il allait falloir de longs mois
avant que Mannerheim puisse présenter une évaluation à peu près positive de l’état de l’armée.
Jusque là, le point de vue le plus répandu sur les chances de survie de la Finlande en cas de nouvelle
guerre était morose. La Guerre d’Hiver avait renforcé la confiance de l’armée en ses capacités, mais
le coût du conflit et la précarité de la situation du pays avait jeté le doute sur les perspectives
d’avenir de la Finlande. Au milieu de 1940, le Premier ministre Ryti considérait que l’armée était
« fatiguée, voire démoralisée dans une certaine mesure ». En août, l’évaluation du haut
commandement reflétait un sentiment convergent : « Les Finlandais sont prêts à se battre jusqu’au
dernier ». Cette appréciation matérialisait une impression de détermination amère, une conviction
que la lutte serait la seule chance de la Finlande, mais qu’il serait impossible de tenir longtemps. Si
les Finlandais étaient convaincus que leurs capacités militaires et leur combativité étaient plus
grandes que jamais, ils savaient aussi que la Finlande n’avait tout simplement pas assez d’hommes
pour se battre seule de façon prolongée contre l’Union Soviétique – pas sans aide en tout cas.
Au lendemain de la Guerre d’Hiver, les forces armées finlandaises comptaient 364 500 hommes,
chiffre ramené par une démobilisation partielle à 110 000 hommes à la fin de 1940. Jusqu’à la fin
de la guerre mondiale, ce qui inclut la mobilisation du printemps 1942 et la “Guerre des Trois
Jours” du mois de mai, les forces finlandaises auraient au moins trois fois plus d’hommes sous les
drapeaux qu’en temps de paix.
En 1940, les dépenses militaires atteignirent 45 % du budget du pays et les achats militaires furent
prioritaires par rapport aux besoins civils. La position de Mannerheim et la prolongation de l’état de
guerre permirent une organisation efficiente de l’armée, mais au prix de la création, en pratique,
d’un gouvernement parallèle qui se heurtait de temps en temps au gouvernement civil.
L’opération Weserübung et ses conséquences pour la Finlande
L’occupation du Danemark et l’attaque de la Norvège par l’Allemagne nazie en avril 1940 fut un
nouveau choc pour les Finlandais. Avec l’appui direct du maréchal Mannerheim, une unité
d’ambulanciers volontaires fut formée et envoyée en Norvège pour soutenir les Norvégiens dans
leur lutte contre les Allemands. Elle participa aux combats jusqu’à l’occupation complète du
territoire norvégien, puis réussit à rentrer en Finlande.
Après la victoire allemande sur ce théâtre d’opérations, la Finlande se retrouva physiquement isolée
de ses marchés traditionnels à l’ouest. Les routes maritimes qui la reliaient au reste du monde
étaient à présent contrôlées par la Kriegsmarine. En Baltique, les détroits danois étaient bloqués. Et
à l’extrême nord, dans l’Arctique, le lien de la Finlande avec le monde était une route en terre allant
de Rovaniemi au port libre de glaces de Liinakhamari, dans la région de Petsamo – de plus, les
navires qui en partaient devaient ensuite longer une longue bande de côte norvégienne occupée par
les Allemands.
De fait, si la Finlande, comme la Suède, échappait à l’occupation allemande, elle était encerclée par
les Nazis et les Soviétiques. Néanmoins, tant que le pays restait neutre, il avait la possibilité – dans
les limites imposées par la guerre… – de commercer avec tous les pays. Les navires de la flotte
marchande que Weserübung avait surpris dans la Baltique durent y rester ; dès la fin du mois de
mai, un accord avec l’Allemagne leur permit cependant de transporter des marchandises entre la
Finlande et d’autres pays d’Europe. Les navires qui se trouvaient ailleurs dans le monde établirent
des lignes commerciales à partir de et vers Petsamo, sous le contrôle des Britanniques et des
Allemands. Cette dernière activité put se poursuivre jusqu’à la fin de la guerre, en dehors d’une
interruption de deux mois, de mai à juillet 1942, lorsque les Britanniques refusèrent d’accorder des
certificats de navigation (navy certs) aux navires marchands finlandais à la suite de la “Guerre des
Trois Jours” au début de l’opération Barbarossa.
Les pressions soviétiques
L’application du traité de Moscou devait créer des problèmes dus à ce qui ne peut être décrit que
comme la mentalité du Vae Victis des Soviétiques. Le tracé de la frontière dans la zone industrielle
d’Enso (dont même des membres soviétiques de la commission chargée de cette question avaient
considéré qu’elle se trouvait du côté finlandais), l’obligation de livrer à l’URSS les machines, les
locomotives et les wagons qui avaient été évacués, l’inflexibilité sur des modalités de l’accord qui
auraient pu alléger les contraintes créées par la nouvelle frontière, telles que les droits de pêche et
l’utilisation du canal de Saimaa, tout cela ne fit qu’accentuer la méfiance voire la paranoïa
concernant les intentions de l’URSS envers la Finlande. Il fallut continuer d’appliquer la censure de
la presse pour interdire la publication des critiques du traité et les commentaires les plus
violemment anti-soviétiques.
………
Le nouvel ambassadeur d’URSS à Helsinki, Ivan Zotov, incarnait l’attitude soviétique. Il se
comportait d’une manière rien moins que diplomatique et faisait preuve de la plus grande rigidité
pour favoriser les intérêts de Moscou, réels ou imaginaires, en Finlande. Selon un parlementaire
finlandais (Edwin Linkomies, du parti de la Coalition Nationale), Zotov était grossier, mesquin,
belliqueux et arrogant. Son attitude contrastait violemment avec celle de l’ambassadeur de Finlande
à Moscou, Paasiviki, un homme âgé qui faisait de son mieux pour favoriser de bonnes relations
entre les deux pays. Tout au long de 1940, Zotov réclama à plusieurs reprises dans ses rapports au
ministère des Affaires Etrangères soviétiques que l’URSS en finisse avec la Finlande et l’annexe
une fois pour toutes.
………
Le 14 juin 1940 survint un incident très grave, quand deux Ilyoushine DB-3 soviétiques abattirent
au-dessus de la Baltique l’avion de ligne finlandais Kaleva, allant de Tallinn à Helsinki, qui s’écrasa
en mer. Les neuf occupants (deux pilotes et sept passagers) furent tués, bien que l’épave de l’avion
flottât encore. Des pêcheurs estoniens avaient assisté au drame. Peu après, un sous-marin soviétique
fit surface sur les lieux. Il inspecta les bateaux de pêche et saisit les quelques objets récupérés par
les pêcheurs, puis il s’empara avant de s’éloigner du courrier diplomatique encore contenu dans
l’épave ou qui flottait sur l’eau.
On suppose que cette attaque faisait partie des préludes à l’occupation complète de l’Estonie par les
Soviétiques, qui se produisit deux jours après l’affaire du Kaleva. Depuis plusieurs jours, un blocus
naval et aérien était imposé au petit pays, entre autres pour interdire l’envoi de tout courrier
diplomatique.
Les passagers du dernier vol de l’infortuné Kaleva comprenaient deux hommes d’affaires
allemands, un Suédois, une Estonienne et trois courriers d’ambassade : deux Français et un
Américain. Les Français avaient avec eux plus de 120 kg de courrier diplomatique et l’Américain
aurait transporté des codes militaires US. Le gouvernement français avait ce jour là bien d’autres
préoccupations et préféra, tout comme Washington, Berlin et Stockholm, accepter la thèse
soviétique d’un « désolant accident », qui passait sous silence l’implication des DB-3 et du sousmarin. Le gouvernement finlandais, soumis à une menace informulée mais réelle, en fit autant et ne
formula ni plaintes ni questions de peur d’une réaction brutale de Moscou. La vraie raison du crash
resta inconnue du grand public jusque dans les années cinquante.
Tout l’été, la pression soviétique sur la Finlande s’accrut, au fur et à mesure que l’URSS s’emparait
de nouveaux territoires. L’Estonie, la Lettonie, la Lituanie furent transformées en républiques
socialistes soviétiques avant d’être incorporées à l’URSS en août. Après ces annexions, l’Armée
Rouge occupa la Bessarabie et la Bucovine du nord.
Simultanément, une série d’exigences furent formulées par l’inénarrable camarade Zotov.
………
Les mines de nickel de Petsamo, dans le nord de la Finlande, étaient exploitées par la Mond Nickel
Company, une filiale britannique de l’International Nickel Company of Canada (Inco). Incapable
d’exporter le minerai à la suite de l’occupation de la Norvège, la Finlande ouvrit des négociations
avec la société allemande I.G. Farbenindustrie (IG Farben), proposant de vendre à l’Allemagne
60 % du minerai produit par les mines de Kolosjoki. Des géologues allemands avaient en effet
évalué la valeur de ces mines à plus d’un milliard de Reichsmarks, estimant qu’elles pouvaient
satisfaire les besoins du Reich pendant vingt ans (quelques mois plus tard, ces estimations seraient
révisées et multipliées par quatre !).
Le 23 juin, l’URSS proposa à la Finlande de révoquer l’ensemble des droits d’exploitation des
mines de Petsamo et de les lui attribuer. Pour une fois, il y avait une autre proposition : créer une
joint-venture soviéto-finlandaise dont Moscou serait propriétaire à 75 %, ainsi que d’une centrale
électrique voisine. Les Soviétiques réclamaient aussi le droit d’assurer la sécurité de la région !
C’était le début de la crise du nickel de Petsamo, qui devait empoisonner les relations soviétofinlandaises jusqu’à mai 1942.
Le 27 juin, les Soviétiques exigèrent soit la démilitarisation, soit un effort commun de fortification
des îles Åland. Le 9 juillet, ils réclamèrent le droit de transférer des troupes en train jusqu’à Hanko
– la veille, la Suède avait accordé à l’Allemagne le droit de faire passer sur son territoire des troupes
allant en Norvège ou en revenant.
Le commandement finlandais estimait très dangereux d’accorder à l’URSS des droits de transit pour
des troupes sur la principale voie ferrée du sud de la Finlande. En effet, on pouvait craindre que les
Soviétiques ne s’en servent pour lancer une attaque simultanée contre Helsinki et le cœur du pays à
partir de Viipuri, de Hanko et des trains introduits en territoire finlandais. Le gouvernement
commença donc à négocier en tentant de gagner du temps et de parvenir à un compromis sur ce
sujet comme sur celui des mines de Petsamo.
Le 6 septembre, les deux parties aboutirent à un accord prévoyant qu’il n’y aurait jamais plus de
trois trains soviétiques en même temps en territoire finlandais. Le 11 octobre, les Finlandais
acceptèrent la démilitarisation des îles Åland. Laisser celles-ci sans défense était très déplaisant,
mais ce n’était pas mortel pour la survie du pays. Quant aux négociations sur Petsamo, elles se
prolongèrent, les négociateurs finlandais s’efforçant de faire traîner les choses.
………
Toutes les menaces n’étaient pas extérieures. Le 22 mai, le politicien communiste finlandais Mauri
Ryömä créa la Société Finno-Soviétique pour la Paix et l’Amitié (Suomen-Neuvostoliiton rauhan ja
ystävyyden Seura, SNS). Le Parti communiste était devenu illégal et il était de toutes façons
totalement discrédité par la Guerre d’Hiver (pendant laquelle ses membres avaient combattu les
Soviétiques comme tous les autres Finlandais). La SNS était une façon relativement discrète de
contourner les sentiments anticommunistes des Finlandais tout en jouant les sous-marins pour
l’Union Soviétique. Elle proclamait agir pour éviter une nouvelle guerre, tout en soutenant
activement les points de vue soviétiques sur tous les sujets de désaccord.
L’ambassadeur Zotov avait évidemment des contacts étroits avec la SNS : chaque semaine, il
recevait ses dirigeants à l’ambassade d’URSS et il envoyait ses collaborateurs participer aux
réunions de la Société. Six mois après sa création, la SNS comptait 35 000 membres. Elle soutint
ouvertement l’annexion des états baltes par l’URSS, allant jusqu’à organiser des manifestations
dont certaines dégénérèrent en émeutes. La Société fut finalement interdite en décembre 1940, en
tant que faux-nez d’un parti illégal.
Cela n’empêcha pas l’Union Soviétique d’intervenir dans la politique intérieure finlandaise.
Le 15 août, Väinö Tanner, le ministre du Ravitaillement, démissionna après que l’URSS, par la voix
de Zotov, ait exprimé son déplaisir quant à ses prises de position. Cette démission fut suivie par de
nouvelles exigences, demandant la démission de Karl-August Fagerholm, le ministre des Affaires
Sociales, et celle d’Ernst von Born, le ministre des Affaires Intérieures. Mais Fagerholm et von
Born devaient garder leurs places, après un discours radiodiffusé de Ryti affirmant le désir de son
gouvernement d’améliorer les relations finno-soviétiques.
Le 28 août, le Président Kallio subit un accident vasculaire cérébral dont il récupéra partiellement,
mais qui le laissa affaibli au point de ne plus pouvoir assurer ses fonctions. Trois mois plus tard, il
présenta sa démission. Moscou réagit en annonçant que T.M. Kivimäki, le maréchal Mannerheim,
Väinö Tanner et l’ancien président Svinhufvud ne conviendraient pas pour prendre sa succession.
Le 19 décembre, Ryti, qui semblait acceptable par les Soviétiques, fut élu président. Le même jour,
Kallio mourut subitement, victime d’un accident cardiaque lors d’une cérémonie d’adieu à la gare
d’Helsinki.
………
Ces événements, s’ajoutant à des rumeurs d’invasion en août 1940, rappelaient constamment au
peuple finlandais l’occupation et l’annexion des états baltes. Rien d’étonnant si tout le monde
redoutait que la Guerre d’Hiver n’eût accordé à la Finlande qu’un bref sursis.
Le dédain britannique, l’effacement français
Pendant l’été 1940, à la différence de ce qui s’était passé pendant la Guerre d’Hiver, le sort de la
Finlande n’était pas au premier rang des préoccupations de la politique étrangère britannique. On
peut le comprendre, en raison de ce qui s’était passé sur le front français. La défaite des Alliés en
mai-juin avait livré la France à l’invasion. Quoique le véritable complot dirigé par le maréchal
Philippe Pétain pour s’emparer du gouvernement et signer une paix séparée avec l’Allemagne ait
été déjoué, dès le début de juin, la chute de la France métropolitaine était inévitable. Dans cette
nouvelle et catastrophique situation stratégique, Londres (et Toulouse, puis Alger) ne pouvait que
chercher l’appui de l’Union Soviétique, même indirectement.
Pour y parvenir, Winston Churchill envoya comme ambassadeur à Moscou, dès le 31 mai, Sir
Stafford Cripps, un représentant de l’aile gauche du Labour Party ouvertement marxiste. Il espérait
que Sir Stafford pourrait négocier avec Staline. Cripps avait clairement soutenu le gouvernement
Terijoki pendant la Guerre d’Hiver. Il se signala en exprimant à l’ambassadeur Paasikivi sa
« stupéfaction » de constater que les Finlandais se refusaient à rejoindre les Baltes au sein de la
Grande Union Soviétique, puis en traitant le Président Kallio de « koulak » et la social-démocratie
des pays nordique de « réactionnaire ». Le Foreign Office dut faire ses excuses à l’ambassadeur
Gripenberg pour ces écarts de langage.
Quoique fort déplaisantes, les gaffes de Sir Stafford étaient une gêne mineure comparée aux
difficultés causées par l’évolution de la politique britannique envers la Finlande (et à l’effacement
de la France, au moins dans ce domaine). Le gouvernement de Sa Majesté s’opposa à toute
coopération finno-suédoise et soutint assidument les efforts des Soviétiques pour démolir cette
initiative, jusqu’à ce qu’il fut apparent, en 1941, que cette attitude avait dangereusement poussé la
Finlande dans les bras des Allemands. Le commerce international finlandais était un autre point
sensible, car il dépendait de l’attribution par les Britanniques de navy certs, que le ministère de la
Guerre Economique, à Londres, n’accordait qu’avec réticence.
Durant les négociations sur l’affaire des mines de nickel de Petsamo, le Foreign Office fit pression
sur la Mond Nickel Company pour qu’elle accepte de renoncer « temporairement » à sa licence
d’exploitation. Il offrit aux Soviétiques son aide diplomatique pour les aider à prendre le contrôle
des mines, à la seule condition qu’aucun minerai ne serait livré aux Allemands.
Par comparaison, l’attitude officielle des Français envers la Finlande fut plus compréhensive, au
moins verbalement. Cependant, du fait de ses propres et immenses difficultés, le gouvernement
d’Alger, qui combattait « avec l’échine brisée », ne pouvait offrir beaucoup plus qu’un soutien
moral.
« Les Anglais font des câlins aux Russes, étouffent notre économie et font bon marché de notre
territoire nationale. La France métropolitaine est occupée et les plus proches forces françaises sont
en Corse. L’Entente pourrait aussi bien être sur la Lune, pour le bien qu’elle peut nous faire ! »
écrivit avec amertume dans son journal l’ex-ministre Urho Kekkonen.
L’amélioration des relations avec l’Allemagne
Au printemps 1940, il n’était pas évident que les relations germano-finlandaises pourraient
s’améliorer. Durant la Guerre d’Hiver, l’Allemagne était restée strictement neutre, ne voulant pas
risquer d’agacer les Soviétiques alors qu’elle se préparait à envahir la France et le Benelux. En fait,
Hitler était quelque peu méprisant pour les pays nordiques : « Je n’ai guère d’estime pour les pays
du Nord. Depuis mon arrivée au pouvoir, les journaux de Suède, de Norvège et de Finlande ont fait
assaut d’insultes envers ma personne. Je n’ai vraiment aucune raison de ressentir la moindre
amitié envers des pays dont la presse m’a traité de façon aussi indigne. Quant à la Finlande,
sachant qu’en 1918, l’expédition de von der Goltz a aidé le pays à se sortir d’un très mauvais pas1,
je crois que nous étions en droit d’en attendre plus de gratitude et de considération qu’elle ne nous
en a accordé. »
Les Allemands avaient même bloqué le passage de l’aide italienne aux Finlandais et refusé
d’honorer les commandes d’armements passées par la Finlande avant le début de la guerre.
Cependant, à partir de juillet 1940, alors que la chute de France métropolitaine était imminente et
que la capitulation française semblait inévitable, l’intérêt de l’Allemagne pour la Finlande s’accrut,
tandis que Hitler dressait des plans pour envahir l’Union Soviétique. Ce n’était pas sans raison.
D’abord, Hitler avait presqu’autant besoin du nickel finlandais que du pétrole roumain. Les stocks
allemands étaient dangereusement bas et la seule source de ce minerai crucial qui lui fût accessible
en dehors de l’URSS se trouvait à Kolosjoki. En juillet 1940, l’I.G. Farben et la Petsamon Nikkeli
Oy signèrent (au grand mécontentement des Soviétiques) un accord qui assurait à l’Allemagne 60 %
de la production des mines de Petsamo.
De plus, la côte sud de la Finlande était importante pour le contrôle du Golfe de Finlande et du nord
de la Baltique, tandis que la Laponie fournissait un point de départ pour aller couper le chemin de
fer de Mourmansk.
Enfin, il est possible qu’Hitler ait apprécié la valeur militaire des Finlandais après avoir constaté
leur performance durant la Guerre d’Hiver.
Les premiers signes d’une amélioration des relations germano-finlandaises apparurent au début du
mois d’août, quand Hitler, craignant que les Russes n’attaquent immédiatement la Finlande, leva
l’embargo sur les armes. Les livraisons interrompues depuis le début de la Guerre d’Hiver reprirent
alors.
La deuxième étape fut franchie le 18 août, quand le Lt-Colonel Joseph Veltjens, marchand d’armes
et émissaire de Göring, vint en Finlande négocier avec Ryti et Mannerheim les droits de transfert de
troupes allemandes vers le nord de la Norvège en échange d’armes et d’autres matériels. Les
Finlandais acceptèrent tout de suite et l’accord fut signé le 12 septembre. Les Allemands étaient
autorisés à installer leurs propres bases de communications et de ravitaillement à Vaasa, Rovaniemi
et Ivalo, où devaient travailler 1 100 personnels administratifs. En échange, les Finlandais devaient
recevoir 300 pièces d’artillerie, 500 canons antichars, 650 000 grenades et 50 avions de combat
modernes (dont la plupart allaient être prélevés sur le butin de guerre allemand). En quelques
semaines, la Finlande reçut plus de matériel de guerre de l’Allemagne que les Alliés ne lui en
avaient envoyé durant toute la Guerre d’Hiver.
Au début, ces livraisons d’armes transitèrent par la Suède, mais les suivants arrivèrent directement
dans les ports finlandais. De la part de l’Allemagne, c’était un coup de canif dans le Pacte MolotovRibbentrop, et pour la Finlande, c’était une violation du traité de Moscou. Rétrospectivement,
1
Hitler fait ici référence à l’intervention allemande dans la guerre civile finlandaise de 1918. La Division allemande de
Mer Baltique commandée par le général Rüdiger von der Goltz avait débarqué à Hanko et marché sur Helsinki, qu’elle
avait enlevée aux Gardes Rouges.
certains ont affirmé que le Président Kallio n’était pas informé des détails de l’accord sur les
livraisons d’armes. Il est possible que l’accident vasculaire cérébral qu’il avait subi en août soit
survenu avant qu’il ait pu être complètement mis au courant.
Les négociateurs soviétiques avaient insisté pour que l’accord leur donnant des droits de transfert de
troupes vers Hanko ne fût pas rendu public afin qu’il ne fût pas discuté au parlement – et moins
encore soumis à un vote. Ironiquement, ce précédent servit de prétexte au gouvernement finlandais
pour garder le secret sur l’accord conclu avec les Allemands jusqu’à ce que les premières troupes
débarquent à Vaasa, le 21 septembre. La prise de décision politique resta si étroitement entre les
mains de Ryti, Mannerheim, Walden et Witting que l’arrivée des Allemands fut une surprise pour la
plupart des membres du cabinet.
Cette arrivée apporta allégea d’ailleurs beaucoup le sentiment d’insécurité du Finlandais moyen et
fut largement approuvée. La plupart des critiques soulevées portèrent plus sur la façon dont l’accord
avait été négocié que sur son contenu, quoique le peuple finlandais n’ait été informé que de son
cadre général. La présence de troupes allemandes fut considérée comme dissuasive vis-à-vis de
nouvelles menaces soviétiques et comme une réponse aux transferts de troupes soviétiques vers
Hanko. De fait, des années plus tard, Mannerheim écrivit dans ses mémoires que les transferts de
troupes allemandes par la Finlande avait été la seule chose qui ait pu empêcher une invasion
soviétique à l’automne 1940.
Le 23 octobre, Ryti, Mannerheim, le ministre de la Défense Rudolf Walden et le chef d’état-major
Erik Heinrichs décidèrent que les plans de défense finlandais de la Laponie pouvaient être
communiqués à la Wehrmacht en signe de bonne volonté, malgré le risque que ces plans puissent
être transmis à l’Union Soviétique.
Le 21 novembre, l’accord conclu avec les Allemands fut élargi, autorisant le transfert par Turku de
soldats blessés ou en permission. Les personnels des bases allemandes arrivèrent et établirent leurs
quartiers, leurs entrepôts et leurs bases le long des voies ferrées de Vaasa et Oulu à Ylitornio et
Rovaniemi, et de là le long des routes par Karesuvanto et Kilpisjärvi ou Ivalo et Petsamo vers
Skibotn et Kirkenes, au nord de la Norvège. Des discussions s’ouvrirent pour envisager des travaux
sur le réseau routier afin d’améliorer la route d’hiver entre Karesuvanto et Skibotn, et de construire
une route entièrement nouvelle, d’Ivalo à Karasjok. Les projets mis sur pied furent même financés
par les Allemands.
Devant cette nouvelle situation, la Suède, qui, depuis l’été 1940, se sentait étranglée entre deux
grandes puissances totalitaires, tenta de nouveau de resserrer ses liens avec la Finlande. En octobre,
le ministre des Affaires Etrangères suédois Christian Günther proposa officiellement une union
entre son pays et la Finlande pour permettre aux deux pays de rester neutres et à l’abri de la guerre.
Ce projet, qui aurait permis l’organisation d’une politique étrangère et d’une défense communes, fut
immédiatement soutenu par de nombreux ministres des deux pays. Mais cette fois, les Soviétiques
et les Allemands tombèrent d’accord pour condamner une telle union, et celle-ci fut promptement
enterrée.
Le 12 novembre 1940 fut une date marquante dans les relations germano-finlandaises. Molotov, le
ministre soviétique des Affaires Etrangères, était à Berlin en visite officielle. Il demanda que
l’Allemagne cesse de soutenir la Finlande et que l’URSS se voit reconnaître le droit de traiter ce
pays comme elle l’avait fait des états baltes – invasion, occupation et annexion. En réponse, Hitler
exigea qu’il n’y ait plus d’activité militaire en Europe du Nord avant l’été 1941. Molotov comprit
que l’Union Soviétique ne pourrait plus régler ses comptes avec la Finlande sans entrer en conflit
avec l’Allemagne – et elle n’y était pas prête. C’est alors que, par différents canaux officieux, le
gouvernement finlandais fut informé que « les Finlandais [pouvaient] dormir tranquilles, Hitler
[avait] ouvert son parapluie sur la Finlande ». Le pays était passé de la sphère d’influence de
l’URSS dans celle de l’Allemagne.
En décembre, une fois élu président par le parlement, Ryti nomma Premier ministre Johan W.
Rangell, un banquier de ses amis. Le 4 janvier 1941, le gouvernement Rangell prit ses fonctions. Il
incluait des membres de tous les partis représentés au parlement, y compris l’IKL, d’extrême-droite.
Et Rolf Witting, confirmé comme ministre des Affaires Etrangères, allait continuer de favoriser des
relations plus étroites avec l’Allemagne.
La Finlande dans les premiers plans de guerre allemands (1940)
Les plans initiaux d’invasion de l’URSS dressés par l’OKW en août 1940 ne prévoyaient aucun rôle
pour la Finlande. Quelques semaines plus tard, les plans furent modifiés, donnant cette fois aux
Finlandais un rôle important : ils devaient aller couper le chemin de fer de Mourmansk sur une
partie de ses 1 400 km de long ; le reste de l’armée finlandaise devait participer au blocus de
Leningrad en occupant la Carélie et en donnant la main au Groupe d’Armées Nord allemand à
Tikhvin. Pendant ce temps, des unités allemandes iraient contrôler Petsamo.
Le 5 décembre 1940, les Allemands indiquèrent aux Finlandais qu’ils attendaient leur coopération –
sans aller jusqu’à leur communiquer le détail de leurs plans – et les informèrent que deux divisions
de montagne allaient être déployées dans l’Arctique. Deux jours plus tard, ils commencèrent à
parler de quatre divisions ! Plus ambitieux encore étaient les plans que le colonel Buschenhagen,
chef d’état-major de l’armée allemande de Norvège, avait mis sur pied sur l’ordre du général Franz
Halder. Il s’agissait de lancer une offensive simultanée contre Salla et Mourmansk.
Le 18 décembre, Hitler approuva la Directive 21, qui donnait les grandes lignes de l’invasion de
l’URSS, dont la planification était en cours, et précisait que sa préparation devait être achevée le 15
mai au plus tard. Le rôle de la Finlande était de neutraliser la base soviétique de Hanko et de
coopérer étroitement avec l’offensive du GA Nord vers Leningrad en attaquant des deux côtés du
lac Ladoga. La Force Nord allemande, basée en Norvège, devait occuper Petsamo dans le cadre
d’une opération maladroitement baptisée Renntier (Renne)2. Les craintes morbides du Führer pour
la sécurité de la Norvège étaient telles que la Force Nord ne devait pas participer à l’attaque de
Mourmansk.
Pour des raisons de sécurité, ces plans allemands ne furent pas communiqués aux Finlandais. Quand
le général Paavo Talvela vint à Berlin quelques jours plus tard pour des entretiens avec des
représentants de l’OKW, on ne lui demanda qu’une chose : combien de temps il faudrait pour
mobiliser l’armée finlandaise.
Pendant ce temps, à l’automne 1940, des généraux finlandais avaient fait plusieurs voyages en
Allemagne et dans toute l’Europe occupée pour acheter du matériel militaire, des armes et des
munitions. Dans le même esprit, le 7 janvier 1941, Mannerheim alla jusqu’à écrire une lettre
personnelle à Göring pour tenter de le convaincre de rendre à l’armée finlandaise des pièces
d’artillerie achetées par la Finlande et capturées par les Allemands dans des ports norvégiens lors de
l’opération Weserübung.
Dans les derniers jours de 1940, l’état-major finlandais commença à étudier diverses éventualités en
fonction du déroulement possible de la guerre en Europe. Il semble que Mannerheim ait à ce
moment hésité à pronostiquer le résultat final de la guerre, qui était encore principalement
européenne. Le Japon était neutre (en dehors de son conflit avec la Chine), ainsi que les Etats-Unis
(bien qu’ils fournissent des quantités chaque jour croissante de matériels de guerre aux Alliés).
Hitler ne semblait plus pouvoir envahir l’Angleterre et l’on manquait de renseignements sur la
façon dont évoluait la bataille de l’Atlantique, mais l’Allemagne était au zénith de sa puissance.
Une grande partie de l’Europe continentale gémissait sous le joug du svastika. Vu d’Helsinki, la
seule ombre au tableau pour les Allemands était la déconfiture de leur allié italien, qui avait été
chassé d’Afrique du Nord, de Sardaigne et du Dodécanèse et dont les possessions est-africaines ne
2
L’opération Renntier était à l’origine une mesure de sauvetage prévue en cas d’invasion soviétique de la Finlande. En
pareil cas, les Allemands auraient agi uniquement pour conserver Petsamo : il n’était pas envisagé qu’ils fassent quoi
que ce soit pour aider la Finlande elle-même.
tiendraient plus longtemps. Le tout parce que les Français s’accrochaient obstinément en Afrique et
en Corse ! Mais cela pouvait-il vraiment changer quelque chose à la situation finlandaise ?
La crise de Petsamo : suite et fin ?
Les négociations avec les Soviétiques sur les mines de Petsamo traînaient depuis six mois quand, le
14 janvier 1941, le ministère des Affaires Etrangères soviétique déclara qu’il fallait en finir. Le jour
même, l’URSS interrompit les livraisons de céréales à la Finlande. Le 18, l’ambassadeur Zotov fut
rappelé à Moscou et les radios soviétiques commencèrent à s’en prendre à la Finlande. Le 21,
Moscou publia un ultimatum exigeant que les négociations sur le nickel soient bouclées dans les
deux jours – ce qui n’eut aucun effet concret.
Le 23 janvier, à l’expiration de cet ultimatum, les renseignements militaires finlandais détectèrent
des mouvements de troupes du côté russe de la frontière. Mannerheim proposa une mobilisation
partielle, mais Ryti et Rangell refusèrent, de crainte de paraître provoquer les Soviétiques.
Le 24, de Berlin, l’ambassadeur Kivimäki signala que les Allemands avaient lancé la conscription
d’une nouvelle classe d’âge. La nouvelle était relativement rassurante, car ces forces n’étaient pas
levées pour attaquer les îles méditerranéennes occupées par les Alliés : c’était bien l’URSS qu’il
s’agissait de tenir en respect.
A Moscou, l’ambassadeur Paasikivi désirait que le gouvernement finlandais accepte les exigences
soviétiques concernant Petsamo. Devant le refus d’Helsinki, il donna sa démission, prétextant
officiellement son âge avancé (il avait 69 ans).
Du 30 janvier au 3 février, le chef d’état-major finlandais, le Lt-général Heinrichs, se rendit à
Berlin. Le but officiel de cette visite était de donner une conférence sur l’expérience tirée par les
Finlandais de la Guerre d’Hiver, mais Heinrichs eut plusieurs entretiens privés avec Halder, son
homologue allemand. Ce dernier ayant « imaginé » une attaque de l’Allemagne contre l’Union
Soviétique, Heinrichs l’informa des limites de la mobilisation finlandaise et des plans de défense
prévus en cas d’attaque soviétique, en fonction de la participation ou non des forces allemandes ou
suédoises. Le 1er février, Halder l’informa que le colonel Buschenhagen, en Norvège, avait signalé
que les Russes avaient réuni à Mourmansk cinq cents bateaux de pêche, capables de transporter une
division, et que Hitler avait ordonné aux troupes allemandes en Norvège d’occuper immédiatement
Petsamo pour « protéger » les mines de nickel si les Soviétiques attaquaient la Finlande – mais il ne
mentionna pas, et pour cause, de préparatifs destinés à « protéger » le reste de la Finlande.
Le 10 février, Mannerheim envoya à Ryti sa lettre de démission, déclarant que la politique de
concessions continuelles rendait impossible de défendre le pays contre un envahisseur. Il reprit cette
démission le lendemain après s’être entretenu avec Ryti, en échange de l’envoi d’instructions plus
strictes aux négociateurs finlandais à Moscou. Selon ces instructions, Helsinki refusait de céder plus
de 49 % des droits miniers à l’URSS, les postes de direction devaient être réservés à des Finlandais,
la centrale électrique devait être attribuée à une compagnie finlandaise indépendante et l’agitation
anti-finlandaise entretenue par les Soviétiques devait cesser.
Une semaine plus tard, le 18 février 1941, l’Union Soviétique rejeta les propositions finlandaises,
mettant fin aux négociations sur le nickel.
Pourtant, cette rupture ne signifiait pas la guerre. Les Russes se méfiaient toujours de l’Allemagne
et l’Armée Rouge ne bougea pas. Mieux encore : ayant fini par admettre que l’ambassadeur Zotov
était une gêne et un obstacle à l’établissement de bonnes relations soviéto-finlandaises, Moscou ne
le renvoya pas à Helsinki.
La Finlande dans les nouveaux plans de guerre allemands (1941)
Fin décembre 1940, le général Nikolaus von Falkenhorst, commandant de l’armée allemande en
Norvège, reçut de l’OKW l’ordre de faire dresser des plans nouveaux et plus détaillés d’opérations
contre les Soviétiques dans l’Arctique.
Le 27 janvier 1941, le colonel Buschenhagen lui soumit le plan de l’opération Silberfuchs (Renard
argenté). Selon ce plan, Petsamo devait toujours être occupé par les Allemands du XIXe Corps de
Montagne, pendant que, plus au sud, le IIIe Corps finlandais avancerait vers Kem par Ukhta. Le
XXXVIe Corps de Montagne allemand devait couper la péninsule de Kola en fonçant par Salla
jusqu’à Kandalaksha, bloquant le chemin de fer de Mourmansk 200 km au sud de ce port
stratégique pour l’isoler. Cela fait, le XXXVIe Corps de Montagne devait remonter vers le nord
pour attaquer Mourmansk par le sud, pendant que la force ayant occupé Petsamo l’attaquerait par
l’ouest. La principale contribution des Finlandais était prévue dans le sud : le gros de leurs forces
devait attaquer au nord du lac Ladoga vers la rivière Svir, tandis que des forces réduites tiendraient
le front plus au nord, jusqu’à Salla.
Cependant, l’état-major finlandais était maintenu dans l’ignorance de ces projets, en dépit du fait
que la participation finlandaise fût essentielle au succès de Silberfuchs.
Le 3 février, Hitler approuva les plans de l’opération Barbarossa. Selon ces plans, Silberfuchs ne
devait être lancé qu’une fois la Finlande engagée dans le conflit. L’OKW estimait en effet que les
possibilités opérationnelles en Arctique étaient minimes et qu’aucune force militaire d’importance
ne pouvait opérer indépendamment à partir de Petsamo. Il fallait que les Suédois autorisent le
passage de troupes de Norvège en Finlande et que les Finlandais coopèrent à fond.
Fin février, Buschenhagen s’envola pour la Finlande afin de se familiariser avec le terrain et le
climat de la Laponie, et de discuter avec l’état-major finlandais. Il rencontra Mannerheim,
Heinrichs, le major-général Airo et le colonel Tapola, chef du bureau des opérations. Tous
soulignèrent le caractère spéculatif de leurs entretiens, bien que ceux-ci fussent destinés à former la
base d’accords officiels. A partir de ce moment, les contacts germano-finlandais devinrent continus,
bien que le détail des plans des Allemands fût toujours inconnu de leurs alliés putatifs.
Les Finlandais apprécièrent que les Allemands proposent de prendre à leur charge la défense du
nord du pays et de la Laponie, mais expliquèrent que leurs objectifs stratégiques se limitaient à
libérer la Carélie occupée par les Soviétiques. De plus, il était exclu qu’ils attaquent l’URSS sans
une bonne raison, telle qu’une provocation de Staline.
A cette divergence d’objectifs s’ajoutèrent bientôt les conséquences du raid britannique sur les îles
Lofoten, début mars. Furieux, Hitler décida en effet que 40 % des unités de l’armée allemande en
Norvège devaient être consacrées à la défense du pays, réduisant fortement les forces disponibles
pour les opérations contre l’URSS. Mais bientôt, ce problème allait perdre de son actualité.
………
A la fin de 1940, la 2e Division de Montagne allemande (2. Gebirgs-Division) avait été transportée
par bateau jusque dans la petite ville (ou le gros village…) d’Alta. Elle devait être le fer de lance du
XIXe Corps de Montagne, ou XIX. Gebirgs-AK, commandé par le fameux héros de Narvik, le
général Eduard Dietl. La division passa l’hiver sur la rive du Varangerfjord. Au printemps, Dietl
décrivit la région comme un misérable « désert », en été comme en hiver. « Personne, ajoutait-il,
n’a jamais fait la guerre dans le Grand Nord. La région ne convient pas aux opérations militaires.
Il n’y a pas de route et il faudrait en construire avant de pouvoir lancer une attaque quelconque. »
En l’absence de routes correctes, d’éventuels attaquants manqueraient d’équipement lourd et se
heurteraient à des obstacles naturels et à d’énormes problèmes logistiques, ce qui condamnait
d’avance une offensive vers Mourmansk.
Le 1er avril 1941, Dietl partit pour Berlin, où il participa à la conférence tenue à la Chancellerie lors
de laquelle Hitler informa ses généraux du lancement de Barbarossa. Après avoir décrit les
opérations sur le front principal, le Führer montra Mourmansk sur la carte. Confiant dans l’appui
finlandais, il voulait que Dietl contrôle les mines de Petsamo avant d’aller occuper le grand port.
« Il n’y a que 120 km entre la frontière finlandaise et Mourmansk, commenta Hitler, une distance
risible ! » Selon lui, ce serait une formalité pour l’un de ses généraux favoris.
Dietl, qui commençait à connaître le secteur, observa que la région de Mourmansk et la péninsule
de Kola donnaient une idée du monde au premier jour de la Création : rien d’autre que des rocs nus,
d’énormes monticules, des torrents et pas la moindre végétation. L’hiver, la région devenait un
enfer glacé, avec des températures plongeant jusqu’à -50°C. L’été, bref, n’était guère préférable. Le
permafrost empêchant les eaux de pluie de s’infiltrer en profondeur, les averses continuelles
transformaient le sol saturé en un immense marais, hanté de nuages de moustiques.
Dietl recommanda d’abandonner tout le territoire au nord du 65e parallèle durant l’hiver, laissant les
800 km de frontière entre Suomussalmi et Petsamo sans autre surveillance que celle de quelques
patrouilles de skieurs. Il suggéra de se contenter d’occuper Petsamo et de ne lancer qu’un raid
contre Kandalaksha pour couper le chemin de fer de Mourmansk. Le port serait ainsi isolé du reste
de la Russie et deviendrait inutile. Alors seulement, si les circonstances s’y prêtaient, il serait
envisageable d’attaquer Mourmansk.
Hitler parut d’abord écouter les objections de Dietl, mais il en tira ses propres et idiosyncrasiques
conclusions. L’armée de Laponie devait être divisée en trois : le XIXe Corps de Montagne devait
toujours marcher sur Mourmansk, le XXXVIe Corps de Montagne devait attaquer Salla et capturer
Kandalaksha (200 km au sud de Dietl) et le IIIe Corps finlandais devait aller couper le chemin de fer
à Louhi (350 km au sud du XXXVI. AK). Un tel plan aurait à coup sûr conduit à un échec. De
toutes façons, lorsque son exécution fut envisagée, il n’y avait pas assez de troupes allemandes dans
la région pour le mener à bien et l’OKW se résigna à abandonner le grandiose projet de Hitler pour
celui, plus modeste, de Dietl – avant que les événements ne rendent ce choix sans objet.
L’affaire du bataillon SS finlandais
De février à avril 1941, les Allemands préparèrent Barbarossa en secret et, en dehors des contacts
d’état-major déjà évoqués, ne communiquèrent aux Finlandais aucune information. Au contraire,
même : ils laissèrent filtrer vers Helsinki que la concentration de troupes à l’est de l’Europe n’était
qu’une ruse masquant la préparation d’une invasion de l’Angleterre, voire de l’Afrique du Nord,
dans la foulée de Merkur.
Dans le même temps, les relations entre la Suède et l’Allemagne se dégradaient rapidement. Le 15
mars, la Suède (qui avait déjà partiellement mobilisé) appela 80 000 hommes de plus sous les
drapeaux et déploya des unités sur la côte sud et la frontière norvégienne, montrant qu’appuyer la
Finlande ne serait pas son premier souci si la guerre éclatait. Parallèlement, les échanges
d’informations entre les états-majors suédois et finlandais déclinaient considérablement.
Le 4 mai, quand la Wehrmacht envahit la Yougoslavie et la Grèce, les soupçons quant aux
intentions réelles des Allemands s’accrurent en Finlande, bien que certains continuassent de douter
que Hitler ait vraiment décidé d’attaquer l’URSS alors que l’Angleterre et la France étaient encore
en guerre contre lui. Néanmoins, les Finlandais avaient, dans le passé, appris à la dure comment un
petit pays pouvait être utilisé comme un pion dans les accords entre grandes puissances. Il était clair
que la Finlande pourrait être utilisée comme un cadeau de réconciliation si Hitler choisissait
finalement de rester en bons termes avec Staline, ce que les Finlandais avaient toutes les raisons de
craindre. C’est pourquoi entretenir de bonnes relations avec Berlin était considéré comme de toute
première importance pour l’avenir de la Finlande, surtout si une guerre germano-soviétique tardait à
éclater. D’où certains gestes d’amitié qui peuvent aujourd’hui sembler scandaleux.
Dès le mois de décembre 1940, les chefs de la Waffen SS avaient réclamé que la Finlande montre
son orientation pro-allemande « par des actes autant que par des mots » – signifiant par là que la
Finlande devait accepter l’engagement de Finlandais dans la SS.
Le 1er mars 1941, les premiers contacts officiels furent pris et le 23, le ministre des Affaires
Etrangères, Witting, informa la Suède (où la SS avait déjà commencé à recruter) du déroulement
des négociations. Les Finlandais tentèrent, mais en vain, de faire en sorte que leurs compatriotes qui
s’engageraient sous l’uniforme allemand le fassent dans la Wehrmacht, à l’exemple du bataillon de
chasseurs finlandais qui avait servi dans l’Armée Impériale durant la Première Guerre, plutôt que
dans la SS. Les Allemands refusèrent et les tractations faillirent être rompues, mais Ryti et
Mannerheim estimèrent que la création d’un bataillon de Finlandais dans l’armée allemande était
une nécessité pour renforcer les liens germano-finlandais, d’où le surnom de « Panttipataljoona »
(bataillon-pion) donné à cette unité.
En effet, le peuple finlandais n’était pas considéré d’un œil favorable par les théoriciens nazis, qui
trouvaient sans doute que les Finlandais avaient trop de liens avec les Lapons et les Slaves pour être
de bons Aryens, ce qui était très préoccupant dans la perspective d’une victoire allemande. En
utilisant le « bataillon-pion » pour se ménager les bonnes grâces de Berlin, les dirigeants finlandais
espéraient être en meilleure position dans l’Europe d’après-guerre, pour obtenir la récupération des
régions d’URSS de peuplement finnois et notamment de la Carélie. Ce point de vue gagna
progressivement en popularité dans le pays et jusqu’au gouvernement au printemps 1941 – encore
fallait-il que l’Union Soviétique fût abattue…
Le 28 avril, un accord fut conclu aux conditions que les fonctionnaires, les Gardes Civils et les
membres des forces armées finlandaises ne pourraient s’engager et que les engagés devraient au
préalable avoir fait leur service militaire dans l’armée finlandaise. Les Finlandais espéraient ainsi
garder quelque distance avec l’Allemagne nazie…
Le recrutement se déroula en mai, malgré les protestations émises le 16 par les ambassadeurs
anglais et français auprès du ministère des Affaires Etrangères finlandais. Les engagés furent
ensuite envoyés en Allemagne, où le bataillon SS finlandais fut créé le 18 juin. Au total, 1 400
Finlandais environ s’engagèrent ainsi dans la Waffen SS.
De leur côté, les Alliés constataient avec une préoccupation croissante le rapprochement de la
Finlande avec l’Allemagne. Le 30 mars, à la suite des rapports de son ambassadeur à Helsinki,
Gordon Vereker, le Foreign Office demanda l’allègement de la règlementation commerciale
finlandaise à Petsamo. Le 28 avril, Vereker recommanda que le gouvernement britannique fît
pression sur l’URSS pour que Hanko et Viipuri fussent rendues à la Finlande, seul moyen, selon lui,
d’assurer la neutralité finlandaise en cas de conflit germano-soviétique.
La Finlande prête pour Barbarossa
Alors que le printemps avançait, il apparut qu’il serait impossible de lancer Barbarossa le 15 mai
comme prévu. D’abord, les Allemands avaient dû assister les Italiens pendant un mois lors d’une
bataille acharnée pour récupérer la Sardaigne et occuper la Corse face à une résistance alliée
opiniâtre. L’affrontement avait été coûteux en avions et en hommes – du moins pour les troupes
aéroportées, mais surtout il avait fait perdre du temps. Puis il avait été nécessaire de lancer les
opérations 25 et Marita contre la Yougoslavie et la Grèce, encore une fois pour sauver la peau de
Mussolini, menacé d’être piteusement éjecté d’Albanie. La Wehrmacht allait y laisser d’autres
avions, d’autres pilotes, mais aussi des chars et de l’infanterie – et la conquête de la Grèce allait se
prolonger jusqu’au 18 juillet. Encore la Crète resterait-elle aux mains des Alliés !
La campagne des Balkans égara d’autant plus la Finlande (de même que les autres alliés potentiels
de l’Allemagne) à propos des intentions de Hitler que les Allemands ne firent rien pour dissiper leur
incertitude. Ainsi, le ministère allemand des Affaires Etrangères envoya le 10 mai en Finlande un
diplomate nommé Ludwig Weissauer, qui expliqua qu’il n’y aurait pas de guerre entre l’Allemagne
et l’URSS avant le printemps 1942 – alors même que Hitler espérait bien, à cette date, attaquer dès
l’été 1941 ! Au moins officiellement, Ryti et Witting crurent Weissauer et firent suivre
l’information à l’ambassadeur Gripenberg, à Londres.
Pourtant, quelques jours plus tard, le 19 mai, un autre envoyé de Ribbentrop, Karl Schnurre, se
rendit à Helsinki pour inviter des officiers d’état-major finlandais en Allemagne, afin d’évoquer la
coopération militaire germano-finnoise dans le cadre d’une « possible » guerre contre l’URSS. En
réponse, le 23 mai, le général Heinrichs se rendit à Salzbourg à la tête d’une délégation militaire. Le
lendemain, cette délégation eut des entretiens approfondis avec l’OKW.
Dès l’ouverture des discussions, le général Alfred Jodl affirma que l’Allemagne avait des relations
amicales avec l’Union Soviétique, mais que les Soviets avaient pourtant concentré des forces
importantes sur la frontière allemande. Faute de parvenir à une solution politique, l’Allemagne se
voyait forcée de concentrer elle-même des troupes et, si besoin, serait obligée d’attaquer
préventivement ! Il est difficile de dire si les Finlandais crurent ce discours, mais quoi qu’il en soit,
ils ne se mirent pas à rire.
Dans l’hypothèse d’une « offensive préventive » allemande, l’OKW exposa son intérêt pour
l’utilisation du territoire finlandais pour lancer une attaque de Petsamo contre Mourmansk et de
Salla vers Kandalaksha. En réponse, Heinrichs rappela l’intérêt de la Finlande pour la Carélie
orientale, mais les Allemands lui recommandèrent une stratégie attentiste dans cette région.
Heinrichs s’inquiéta alors de la possibilité pour l’Allemagne de conduire une entreprise aussi
considérable que l’invasion de l’Union Soviétique alors que les combats faisaient rage en Grèce et
qu’il semblait que les forces de l’Axe se heurtent dans cette région à une forte résistance des troupes
alliées. Jodl lui-même assura alors que les Alliés ne tarderaient pas à céder et que toute la Grèce
serait bientôt soumise à l’Axe – il alla même jusqu’à prévoir la prise de contrôle de l’ensemble des
îles grecques, à commencer par la Crète. Les Finlandais accueillirent évidemment ces déclarations
avec les hochements de tête approbateurs de rigueur.
Le jour suivant, 25 mai, les négociations se poursuivirent à Berlin, cette fois avec l’OKH.
Cependant, contrairement à ce qu’avait recommandé l’OKW, les Finlandais se virent demander de
préparer une puissante attaque le long de la rive est ou de la rive ouest du lac Ladoga. Quelque peu
surpris, Heinrichs promit d’examiner la proposition, mais avertit les Allemands que l’armée
finlandaise ne pourrait assurer le ravitaillement d’une telle offensive que jusqu’à la ligne OlonetsPetrozavodsk.
La question de la mobilisation fut aussi discutée. Il fut décidé que les Allemands enverraient des
officiers de liaison pour transmettre des messages secrets le plus vite possible du GQG allemand
jusqu’au PC de Mannerheim à Mikkeli, afin que les Finlandais puissent lancer leur mobilisation en
temps utile. Le sujet des communications en Mer Baltique fut aussi abordé ; la marine finlandaise
devait coopérer avec la Kriegsmarine pour assurer leur sécurité. De leur côté, les Finlandais
présentèrent diverses requêtes matérielles, allant de la fourniture de céréales et de carburant jusqu’à
celle d’équipements radio et d’avions de combat.
Le 27 mai, Heinrichs et sa délégation rentrèrent à Helsinki et rapportèrent le contenu de leurs
discussions à Mannerheim, Walden and Ryti.
Le 30 mai, Ryti, Witting, Walden, Kivimäki, Mannerheim, Heinrichs, Talvela et Aaro Pakaslahti,
un diplomate expérimenté, se concertèrent. Ils décidèrent d’accepter les demandes allemandes, sous
quatre conditions. L’Allemagne devait garantir l’indépendance de la Finlande, la restauration de ses
frontières d’avant la Guerre d’Hiver (au minimum) et l’approvisionnement du pays en céréales.
Enfin, il était exclu que les troupes finlandaises passent la frontière soviétique avant une incursion
de l’Armée Rouge.
Sous ces conditions, la Finlande était prête à participer à Barbarossa.
Retards et reports pour les Allemands
C’est à ce moment que la machine de guerre allemande s’enraya.
Une réunion prévue à Helsinki début juin dans le prolongement des entretiens de Salzbourg et de
Berlin fut annulée par les Allemands à la dernière minute, pour des « problèmes d’emploi du
temps ». Puis l’attente se prolongea.
Les jours passaient et les Finlandais ne voyaient aucun signe de préparatifs d’une attaque allemande
contre la Russie. Pas de mouvements de troupes inhabituels en Norvège et vers la Finlande. Pas de
pose de mines dans le Golfe de Finlande – un préalable à toute guerre contre les Soviétiques,
pourtant. Pendant tout le mois de juin, les seuls Allemands à se rendre en Finlande furent des
dignitaires de deuxième ordre envoyés négocier des questions pratiques concernant les horaires des
trains allemands allant en Norvège et en revenant, ou le logement des personnels administratifs des
centres de communications. La seule exception fut la visite de Herr Veltjens, qui arriva le 22 juin
pour discuter de nouvelles livraisons d’armes allemandes à l’armée finlandaise.
Pendant ce temps, Staline s’efforçait d’améliorer ses relations avec le Reich et d’écarter le risque
d’une invasion en faisant marche arrière sur des sujets sans grande importance et en remplissant
fidèlement sa part des échanges commerciaux prévus avec l’Allemagne, même quand les livraisons
allemandes se faisaient attendre.
Cette politique incluait l’amélioration des relations soviéto-finlandaises. Dans ce cadre, le 23 avril,
Pavel Orlov fut nommé ambassadeur à Helsinki à la place du camarade Zotov. Cette nomination fut
accompagnée d’un petit cadeau – un train de blé… – qui fut offert à l’ambassadeur démissionnaire
J.K. Paasiviki lorsqu’il quitta Moscou pour rentrer à Helsinki. L’Union Soviétique annonça au
même moment qu’elle levait son opposition au projet d’alliance défensive finno-suédoise – il est
vrai que les Allemands, eux, s’y opposaient toujours et que les Suédois ne semblaient plus s’y
intéresser. Mieux encore : les radios soviétiques cessèrent de traiter les Finlandais de fauteurs de
guerre et autres noms d’oiseau.
Installé à Helsinki, Orlov se mit à se comporter de façon très conciliante et à panser les nombreuses
plaies laissées ouvertes par son prédécesseur. Cependant, il n’était pas en son pouvoir de résoudre
les problèmes les plus brûlants (comme le désaccord concernant Petsamo) ou de relancer les
importations de blé soviétique. Les Finlandais estimèrent donc que la politique soviétique leur était
toujours aussi hostile, même si elle se donnait une allure plus avenante.
Tandis que juin faisait place à juillet, les Allemands continuaient à reporter le lancement de leur
attaque et à répondre de façon évasive aux interrogations des Finlandais. Comme juillet lui-même
s’avançait, l’état-major finlandais finit par conclure que s’il devait y avoir une guerre germanosoviétique, elle n’aurait pas lieu en 1941. L’automne arriverait trop vite et tout le monde connaissait
la campagne de Napoléon en 1812 et la façon dont l’hiver russe l’avait transformée en catastrophe
pour l’envahisseur. De fait, dès le 12 juillet, un message secret de l’OKW finit par laisser entendre
qu’il n’y aurait pas d’opération Barbarossa cette année, même si la chose ne devait être officialisée
qu’un mois plus tard.
Les historiens considèrent en général que c’est le report de Barbarossa à la suite de la campagne des
Balkans qui fit naître dans l’état-major finlandais les premiers doutes quant à l’issue de la guerre.
En 1940, l’Allemagne avait triomphé, apparemment sans peine, sur tous les fronts. En 1941, les
victoires de l’Axe avaient été chèrement acquises, que ce fût en Corse et en Sardaigne ou en
Yougoslavie et en Grèce. L’Empire britannique était encore une grande puissance et la France,
malgré la perte de sa métropole, restait capable de lui offrir un appui considérable. De plus, si
l’Allemagne dominait l’Europe continentale, elle y était enfermée. La Kriegsmarine, même avec
l’aide de la Regia Marina, ne pouvait sérieusement contester la suprématie de la Royal Navy
soutenue par la Marine Nationale. Pour le reste, l’Italie, qui avait perdu tout son empire colonial,
était plus un poids et une gêne qu’un partenaire utile pour l’Allemagne.
Les doutes de Mannerheim quant au résultat de la guerre en Europe ne firent que croître à partir du
mois de juillet 1941, comme le montre son journal. Quoique l’Allemagne restât apparemment
puissante, le maréchal observait qu’elle avait eu du mal à vaincre ses adversaires en 1941, or il était
conscient – sans doute plus que les Occidentaux des deux camps – de la puissance potentielle de
l’Armée Rouge, surtout sur son terrain. Et qu’allaient faire les Américains ?
Dilemme pour les Finlandais
Le 2 octobre, à Mikkeli, lors d’une réunion rassemblant les principaux ministres et quelques
généraux du haut commandement, Mannerheim exprima très clairement ses vues : « Chaque jour,
les Bolcheviques deviennent plus forts. Les Allemands ont dû reporter leur attaque, et c’est
justement ce que souhaitait Staline. Cela lui laisse le temps de reconstruire son armée désorganisée
par les purges de 1937-38. Et cela leur laisse le temps de corriger les erreurs qu’ils ont commises
pendant la guerre contre nous. Croyez-moi, si nous devions à nouveau les affronter, ce seraient des
adversaires très différents. C’est pourquoi il est nécessaire d’achever le plus vite possible la
construction de la Ligne Salpa. »
Ryti : « Et si les Américains se joignent aux Anglo-Français, comme en 1917 ? »
Mannerheim : « Alors, tôt ou tard, l’Allemagne est perdue, et avec elle tous ses alliés. »
Ryti : « … Alors nous devons reconsidérer nos choix. »
Mais à ce moment, la Finlande ne pouvait choisir qu’entre l’Allemagne et l’Union Soviétique.
En 1940, l’Allemagne avait été le choix logique, en raison de sa force et de ses objectifs opposés à
ceux de l’URSS. Celle-ci souhaitait visiblement corriger le résultat de la Guerre d’Hiver et seul le
rapprochement de la Finlande et de l’Allemagne l’en avait empêchée.
Fin 1941, s’aligner sur l’Union Soviétique restait une option des plus risquées, car nul ne pouvait
être sûr que les Soviets garantiraient la souveraineté finlandaise : ils risquaient fort de chercher à
annexer le pays, que ce soit par des moyens militaires ou par l’intermédiaire d’organisations
séditieuses comme l’ex-SNS. De plus, se séparer des Allemands serait loin d’être commode. La
Finlande recevait du Reich une grande partie de ses équipements militaires et les prochaines
livraisons étaient déjà prévues jusqu’au printemps 1942. Le commerce finlandais dépendait aussi
fortement du bon vouloir allemand, qu’il passe par l’Allemagne même ou par voie maritime dans
l’Arctique. Les ressources en nickel de Petsamo et leur grande valeur stratégique pour l’Allemagne
représentaient le meilleur (et le seul) outil que la Finlande pouvait utiliser pour négocier avec les
Allemands, mais l’armée allemande de Norvège était une menace à ne pas négliger. Même si elle
n’était pas assez puissante pour occuper la Finlande, elle pouvait facilement contrôler Petsamo et
une bonne partie de la Laponie, ce qui provoquerait une réponse soviétique, transformant le pays en
champ de bataille, une bataille qui n’épargnerait pas les îles Åland, en raison de leur position
stratégique.
………
Le 7 décembre, la Marine Impériale japonaise mit un terme à ces spéculations en attaquant la flotte
américaine à Pearl Harbor. Quatre jours plus tard, Hitler déclarait la guerre aux Etats-Unis lors d’un
discours au Reichstag. N’ayant pas été averti des plans japonais, le Führer avait d’abord été irrité
que les Américains eussent été entraînés dans la guerre avant qu’il se fût assuré le contrôle de toute
l’Europe continentale. Néanmoins, il estimait que la guerre avec les Etats-Unis était inévitable et le
discours de Roosevelt après Pearl Harbor (qui évoquait la guerre en Europe tout autant que le
conflit avec le Japon) l’avait convaincu que l’Amérique était sur le point de lui déclarer la guerre –
un “plaisir” qu’il ne voulait pas lui laisser ! Peut-être espérait-il aussi que cette déclaration de
guerre l’aiderait à obtenir une collaboration plus étroite des Japonais, notamment contre l’Union
Soviétique. Mais Hitler sous-estimait les capacités industrielles des Etats-Unis, les capacités de son
pays de mener une guerre sur deux fronts et surtout le temps qu’il lui faudrait pour venir à bout des
Russes.
Les hauts responsables finlandais n’entretenaient aucune illusion sur les forces allemandes et les
supposées faiblesses américaines. Ils se souvenaient très bien des événements de 1917-1918, et ils
étaient bien conscients de l’importance du potentiel militaire et industriel américain. Mannerheim et
ses généraux savaient aussi – pour l’avoir expérimenté – que l’élan martial ne pouvait suffire à
entraîner une armée que jusqu’à un certain point. Le journal du commandant en chef en porte
témoignage, comme le montre cet extrait en date du 11 décembre, apparemment rédigé tard le soir,
après avoir reçu des informations de ses aides de camp :
« 11 décembre 1941 (suite)
Il l’a fait. Le chancelier du Reich [Rikskansler dans le texte original, en suédois] vient de perdre la
guerre. Entrer en guerre de son plein gré avec les Etats-Unis alors qu’on est déjà en guerre avec la
Grande-Bretagne, la France et quelques autres pays, c’est de la folie, mais le faire alors qu’on se
prépare à entrer en guerre contre l’URSS à bref délai, c’est purement et simplement du suicide. Je
ne vois pas comment l’Allemagne pourra s’en tirer.
Pour nous, la revanche est un luxe que nous ne pouvons nous permettre. Pourtant, nos liens avec
l’Allemagne sont étroits. Si nous restons avec Hitler trop longtemps, il nous entraînera dans sa
ruine, mais si nous nous retournons immédiatement contre lui, nous risquons de subir sa colère en
même temps que l’opportunisme de Staline. C’est un casse-tête digne du nœud gordien. »
Le 12 décembre, le lendemain de la déclaration de guerre de l’Allemagne aux Etats-Unis (et le
même jour que l’incident de Smolensk entre l’Allemagne et l’URSS), les plus hauts responsables du
gouvernement et de l’état-major finlandais se retrouvèrent au PC de Mikkeli. Là, ils tombèrent
d’accord pour s’efforcer de maintenir le pays à l’écart de la guerre germano-soviétique qui se
préparait, chacun en était conscient.
Le Président Ryti envoya alors au Président Roosevelt une lettre que l’on réussit, non sans mal, à
préserver de la curiosité des Allemands. Ryti expliquait que si la Finlande était déterminée à
défendre sa souveraineté contre tout agresseur, elle préférait de beaucoup rester neutre dans la
guerre en cours en Europe « et dans tout autre conflit qui pourrait se développer à l’avenir ».
Pour Roosevelt et son équipe, cette lettre fut un signal important. Elle signifiait que, si la Finlande
était pour le moment dans le camp de l’Allemagne, elle était prête à un renversement d’alliances. Le
message fut transmis à Staline par des canaux non officiels mais sûrs. Néanmoins, une lettre ne
suffirait pas à éteindre la méfiance paranoïaque du dictateur envers la Finlande.