Ordre des Psychologues du Québec: Accueil
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DOSSIER Les émotions et la santé Par Bruno Fortin M. A. C réagiriez-vous si on vous disait que les personnes optimistes et de bonne humeur vivent moins longtemps que les autres ? H. S. Friedman et ses collègues (1993) rapportent une illustration intéressante de la complexité des liens entre les émotions et la santé. Leur étude longitudinale, basée sur un échantillon de 1178 personnes, couvre sept décennies. On y découvre que la gaieté cheerfulness (l’optimisme et le sens de l’humour) a une relation inverse avec la longévité. Faut-il enseigner aux enfants à être de moins bonne humeur pour qu’ils vivent longtemps ? Les auteurs suggèrent plutôt que cette gaieté s’est exprimée au cours de leur vie par une plus grande consommation d’alcool et de cigarettes, par des sorties et de la conduite automobile dangereuse. Il faudra donc enseigner aux enfants d’autres façons d’exprimer et de vivre leur gaieté. Ils soulignent également que l’optimisme peut amener à sous-estimer le degré de risque. Se dire que tout va bien peut aider à récupérer d’une opération mais peut s’avérer mortel pour un fumeur, un obèse ou une personne souffrant d’hypertension. OMMENT La fonction des émotions et la santé Les émotions sont des réactions complexes qui engagent à la fois le corps et l’esprit. Ces réactions incluent, selon Lazarus et Lazarus (1994, p. 151) un « état mental subjectif », tel que la colère, l’anxiété ou l’amour, une « impulsion à agir », comme fuir ou attaquer, que cela soit exprimé ouvertement ou non, et de profonds « changements dans le corps », comme une augmentation du rythme cardiaque ou de la pression sanguine. Certains de ces changements corporels préparent à des actions d’adaptations soutenues. D’autres, comme les postures, les gestes et les expressions faciales, communiquent aux autres ce que nous ressentons ou ce que nous voulons que les autres croient que nous ressentons. Pour ces auteurs, il n’y a pas d’émotion sans raison, sans signification et sans un processus d’évaluation, aussi primitif soit-il. L’émotion exprime un drame de la vie personnelle associé au sort des personnes, aux valeurs et aux idées qui leur tiennent à cœur et aux croyances qu’elles ont envers elles-mêmes et envers le monde où elles vivent. L’émotion est déclenchée par une évaluation de la signification personnelle du sens de ce qui se produit. La trame drama- tique varie d’une émotion à l’autre, chaque émotion ayant sa propre histoire. La conscience de l’émotion est régie par un mécanisme différent de celui qui génère l’émotion. D’autres auteurs insistent sur l’aspect automatique et réflexe de certaines émotions. Pensons à la réaction innée de l’enfant face à une chute ou à un bruit intense, brusque et rapproché. Quelques auteurs (Kennedy-Moore et Watson, 1999 ; Cacioppo, Berntson, Larsen, Poehlmann et Ito, 2000) présentent un modèle intégrant ces deux aspects, certaines connexions neuronales étant associées à une réaction physiologique primitive et d’autres à une évaluation plus élaborée. Les émotions, plus particulièrement les émotions négatives, ont été reliées à des augmentations de problèmes de santé, incluant une plus grande vulnérabilité à l’infection (Herbert et Cohen, 1993), une efficacité plus faible du vaccin de l’influenza (Kiecolt-Glaser, Glaser, Gravenstein, Malrkey et Sheridan, 1996), et une récupération plus difficile des blessures (Kiecolt-Glaser, Marucha, Malarkey, Mercado et Glaser, 1995). Les émotions négatives augmentent les déclins de santé et du bien-être avec l’âge (Kiecolt-Glaser, Dura, Speicher, Trask et Glaser, 1991) et les émotions positives ont moins d’impact (Ewart, Taylor, Kraemer et Agras, 1991). Les mécanismes sous-jacents à la relation entre les émotions et la santé sont complexes. Friedman et Booth-Kewley (1987) ont combiné les résultats de plus de 100 études analysant les liens entre la personnalité et les maladies. Ils n’ont établi aucun lien direct entre des émotions spécifiques et des maladies spécifiques mais ils ont cependant découvert que l’expérience chronique de sentiments négatifs tels que l’anxiété, la tristesse et l’hostilité rendait deux fois plus probable que les gens souffrent d’une variété de problèmes physiques tels que l’asthme, les maux de têtes, les ulcères et les maladies cardiaques. L’effet physique d’une émotion sera souvent associé à sa durée. Pour désigner la présence d’un état émotionnel constant tel que la gaieté mentionnée au début de cet article, nous parlerons de tempérament (ensemble des dispositions physiques innées d’un individu et qui détermineraient son caractère) ou de traits de personnalité. L’hostilité, par exemple, est un état émotionnel négatif durable, caractérisé par de l’irritabilité et de la colère. Des études longitudinales suggèrent que l’hostilité peut être un élément toxique amenant à long terme le développement de l’artériosclérose et une augmentation de la probabilité d’avoir un accident cardiaque aigu sous l’effet du stress (Smith, 1992 ; Contrada, Leventhal et O’Leary, 1990). La colère est un facteur de risque important dans le développement et l’exacerbation de maladies cardiaques (Siegman et Smith, 1994). Ajoutons que les individus qui expriment presque toujours leur colère et ceux qui n’expriment presque jamais leur colère ont un 25 PSYCHOLOGIE QUÉBEC • JANVIER 2002 taux élevé de cholestérol (Engebretson et Stoney, 1995). Cette relation en U met en évidence les risques dans l’excès et la rigidité. Le contexte social interagit avec les émotions et la santé. Les étudiants solitaires ont une réponse du système immunitaire plus faible que ceux qui ne le sont pas. Les personnes en deuil d’un être aimé démontrent une immunité affaiblie (Lazarus et Lazarus, p. 242). Les patients qui ont un style d’adaptation passif (accepter, coopérer) ont un système immunitaire plus faible que ceux qui sont actifs. Une trop grande gentillesse (suppression émotionnelle, absence d’affirmation de soi) serait un facteur de risque associé au cancer. Pour certains cancers, dans certaines circonstances, les facteurs émotionnels peuvent interagir avec les mécanismes biologiques et influencer la progression du cancer (Kennedy-Moore et Watson, 1999, p. 281). Rappelons que cela ne signifie pas qu’une extrême gentillesse cause la prolifération de cellules cancéreuses ou qu’une moins grande gentillesse guérira le cancer. Les émotions peuvent être dangereuses si elles sont trop intenses pour ce que notre corps peut tolérer, si elles nous poussent à faire des choix à court terme qui sont destructeurs à long terme, si elles nous poussent à agir d’une façon qui nuit à nos objectifs physiques et relationnels. Voilà une affirmation assez simple. Mais les émotions sont-elles vraiment la cause de ces malheurs ? Ne sont-elles pas plutôt le signal de la présence d’autres facteurs ? Des médiatrices favorisant des interactions entre d’autres éléments ? Un effet de notre état physiologique ou du contexte ? Un symptôme ? Kleinginna et Leinginna (1981) rapportent 92 définitions du terme émotion et Kirouac (1995, p. 147) constate l’absence aberrante d’une définition de l’émotion qui fasse consensus. La recherche n’apporte pas toutes les solutions au psychologue clinicien qui devra donc intervenir selon son orientation théorique, en tenant compte des connaissances cliniques empiriques. Nous avons plusieurs bonnes raisons de porter attention aux émotions dans le domaine de la santé. Abordons quelques mythes à ce sujet. Se défouler La recherche ne supporte pas l’hypothèse émotionnelle hydraulique selon laquelle il faut vider son réservoir de colère, que plus on le fait, mieux se sera, et qu’on en ressentira un effet immédiat associé directement à l’expression émotionnelle. Kennedy-Moore et Watson (1999, p. 41) soulignent que l’expression intense de la colère est associée à une augmentation de l’intensité de la colère et du degré d’activation physiologique et à une plus grande probabilité d’explosion émotive subséquente. L’expression intense de la colère ne diminue pas l’expérience de la colère mais au contraire l’intensifie, la perpétue et augmente la probabilité d’escalade autant chez la personne qui vit cette émotion que chez son entourage. L’expression de la colère est contagieuse. L’apparente accalmie qui suit l’explosion de colère pourrait être due à l’épuisement plus qu’à la résolution du problème. Lorsque l’expression émotionnelle est utile, elle implique une forme de résolution, sous la forme d’une nouvelle compréhension ou 26 PSYCHOLOGIE QUÉBEC • JANVIER 2002 d’un changement dans le comportement d’autrui. Cet objectif aura plus de chance d’être atteint si la personne maintient un degré modéré d’activation physiologique lui permettant de penser clairement, d’intégrer l’information qui lui est fournie et d’envisager les conséquences à long terme de ses actes. La personne très en colère n’a plus le goût d’utiliser ses habiletés de communication : elle est tentée d’agir de façon extrême, impulsive et inadaptée. Le degré d’activation physiologique peut être diminué par des stratégies de distraction, comme compter jusqu’à 10, se relaxer, se distraire, se parler d’une façon réconfortante et se donner des directives positives, se laisser « dormir là-dessus » et reprendre le problème le lendemain. L’expression de retardement dans cette stratégie ne signifie pas pour autant absence d’expression. Elle permet plutôt de rendre le message plus nuancé et plus cohérent. Pleurer un bon coup Les lamentations n’améliorent pas nécessairement la santé (Lutz, 1999, p. 131). Les larmes ont été associées à une plus mauvaise santé et selon Davis (1990), elles n’ont pas démontré d’effet significatif pour diminuer le stress. Pleurer toute la journée en répétant « je me sens mal », « je ne peux rien faire » ou « tout est fini » n’aidera personne. Se concentrer ainsi sur sa souffrance peut au contraire l’intensifier. Les larmes sont associées à une intensification de l’expérience de la détresse et de l’activation émotionnelle. Notons toutefois que certaines personnes sont plus confortables avec les larmes et en bénéficient plus que d’autres : pour elles, retenir ses larmes est une expérience physiologiquement épuisante. Pleurer peut constituer le point de départ d’un processus de résolution de la détresse. Il s’agit d’un signe que les individus expérimentent activement leurs émotions. C’est une occasion de comprendre et de tenir compte de ses émotions : les expérimenter, intégrer l’information qu’elles nous fournissent, en découvrir le sens puis le communiquer. Les larmes peuvent parfois susciter chez autrui des réponses favorables à la résolution de la détresse. Le bienfait associé aux pleurs dépend en grande partie de la réaction de l’entourage. Pensons aux risques associés aux larmes au travail (Soares, 2000). Aider les gens à être à l’aise avec les larmes est important, mais cette aide doit également inclure une aide pour les assécher et à y trouver un sens. Nous souhaitons que les gens apprennent quelque chose de leurs larmes plutôt que de s’enfermer dans un cycle de détresse émotionnelle sans fin. Revivre les traumatismes À court terme, l’expression de sentiments associés à une expérience traumatique est psychologiquement douloureuse et augmente l’activation physiologique. Toutefois, les effets à long terme pourraient améliorer la santé psychologique et physique (Kennedy-Moore et Watson, 1999, p. 57). La recherche dans ce domaine indique que ces résultats positifs ne sont pas l’effet de la simple ventilation mais plutôt le résultat de trois mécanismes : une diminution de l’effort d’inhibition, une DOSSIER amélioration de la compréhension de soi et une représentation plus positive de soi et de la situation. Ces trois mécanismes sont interreliés. Percevoir ses sentiments comme étant plus acceptables et tolérables peut permettre aux gens de mieux se comprendre et de diminuer l’intensité des efforts pour inhiber leurs sentiments. En revanche, la diminution de l’inhibition peut fournir l’occasion de mieux se comprendre, amenant une représentation plus positive de la situation. Par ailleurs, l’évitement émotionnel peut parfois avoir des fonctions adaptatives. Il peut permettre aux individus de moduler leur douleur émotionnelle ou d’affronter efficacement leurs responsabilités individuelles ou professionnelles. Bonanno et ses collaborateurs (1995) suggèrent que différentes formes d’évitement émotionnel (manque de conscience émotionnelle, distraction à court terme, suppression volontaire avec effort) peuvent avoir différentes conséquences pour le bienêtre. Ils suggèrent, comme Pennebaker (1995), que la tension associée aux efforts volontaires pour éviter des sentiments subjectivement perçus comme insupportables peut être dommageable. Entre l’impuissance et la toute puissance L’intervention psychologique n’est pas un substitut pour les traitements médicaux appropriés. Certains patients refusent toute aide psychologique en affirmant qu’ils ne sont pas « malades dans la tête », outrés que leur médecin ne croie pas à la réalité de leur maladie. Il importe donc que le psychologue adopte une attitude rationnelle dans son traitement, en ne blâmant pas le patient pour sa maladie, et en ne suggérant pas que la souffrance du patient est seulement « dans sa tête ». D’autre part, certaines personnes abandonnent tout traitement médical, convaincues qu’un travail « en profondeur sur les causes » de leur maladie les guérira définitivement. Elles considèrent qu’elles se sont infligées cette maladie et qu’elles peuvent la faire disparaître elles-mêmes. Cette attitude risque de les priver de ressources précieuses. Par ailleurs, la recherche indique que l’expression émotionnelle écrite est associée à une amélioration de l’état de santé sur plusieurs variables. Smyth (1998) rapporte cet effet principalement chez les personnes en santé. Pennebaker et Beall (1986) ont suscité la recherche dans ce domaine après avoir noté une différence significative entre un groupe où les participants écrivent leurs pensées les plus profondes sur un événement traumatique et un groupe dont les participants écrivent leur plan de la journée. L’activité physique peut également contribuer à la gestion des émotions en constituant une stratégie de distraction et en augmentant le sentiment d’efficacité personnelle (DiLorenzo et al., 1999 ; Paluska et Schwenk, 2000). Elle peut même jouer un rôle important dans le soulagement des symptômes dépressifs et anxieux. Selon ces auteurs, l’activité physique semble aussi efficace que la psychothérapie pour le traitement des symptômes dépressifs légers ou modérés et diminue le risque que des éléments modérés de dépression se développent en trouble dépressif majeur. Face à la maladie, le patient a plusieurs choix à faire. Nous souhaitons qu’il les fasse en pleine possession de ses moyens, c’est-à-dire sans être submergé par la détresse émotionnelle, sans ruminer de sombres pensées sous l’effet de la tristesse, sans être envahi par des scénarios catastrophiques sous l’effet de l’angoisse et sans chercher constamment un coupable et une cible pour se défouler sous l’effet de la colère. À cause de la détresse émotionnelle, le cerveau fonctionne moins bien, les capacités d’attention et de concentration diminuent. Il devient plus difficile de régler les problèmes. Certains outils axés sur la compréhension des émotions, la résolution des problèmes et la satisfaction de ses besoins peuvent aider à être moins vulnérable. La santé est affectée par plusieurs facteurs très influents sur lesquels nous avons peu ou pas de contrôle tels que les accidents, les facteurs génétiques-constitutionnels, les toxines environnementales et les effets à long terme de certains styles de vie, impliquant la consommation de substances dommageables à travers l’alimentation, la consommation d’alcool et le tabagisme, tout cela ayant sans doute une grande importance, surtout chez les personnes vulnérables (Lazarus, 1999, p. 263). À la recherche d’une explication simple qui mettrait un sens sur ce qui lui paraît absurde, le patient peut être tenté de recourir aux explications fournies par les croyances populaires associées aux médecines douces, aux transferts d’énergie, et aux thérapies par régression dans les vies antérieures. Le chemin que le psychologue offre à ses patients peut sembler moins attrayant, parsemé d’exploration de l’inconnu, de réflexions, de remises en question et d’efforts dont sont exemptes les explications associées à la pensée magique. Dans cette optique, il apparaît important que le psychologue démontre à son client l’utilité des hypothèses que celui-ci a développées en s’observant : Qu’est-ce qui amplifie les symptômes ? Est-ce pire lorsqu’il est fatigué, anxieux ou triste ? Comment réagit-il aux symptômes ? Est-ce que cela le rend anxieux ou irritable ? Éprouve-t-il plus de difficultés à suivre son traitement lorsqu’il est triste ou submergé par l’émotion ? Le traitement sera alors davantage axé plus sur la gestion du stress et de la détresse, l’exploration de sa marge de manœuvre et de sa zone de pouvoir, l’exécution de choix éclairés, l’adhésion au traitement et l’amélioration de sa qualité de vie plutôt que sur les promesses de guérison. Bruno Fortin est psychologue au Centre hospitalier Pierre-Boucher. Références Booth, Roger J., Pennebaker, James W. « Emotions and immunity ». In Lewis, M., HavilandJones, J. (éd.). Handbook of Emotions, New York, The Guilford Press, 2000, p. 558270. Cacioppo, J. T., Berntson, G. G., Larsen, J. T., Poehlmann, K. M. et Ito, T. A. « The Psychophysiology of emotion ». In Lewis, M., Haviland-Jones, J. (éd.). Handbook of Emotions, op. cit., p. 173-191. Contrada, R. J., Leventhal, H. et O’Leary, A. (1990). « Personality and health. » In Pervin, L. A. (éd.), Handbook of Personality: Therory and Research, New York, Guilford Press, p. 638-669. Davis, Wendy Ellen. Crying It Out: The Role of Tears in Stress and Coping of College Students. Ph. D. dissertation, University of Colorado at Boulder, 1990. 27 PSYCHOLOGIE QUÉBEC • JANVIER 2002 DiLorenzo, T. M., Bargman, E. P., Stucky-Ropp, R., Brassington, G. S., Frensch, P. 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