sur le front des avalanches

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sur le front des avalanches
accidentologie
Accidentologie
Avertissement
Les médias s’en sont largement fait l’écho cet
hiver : jamais en France les avalanches n’ont été
à l’origine d’autant de décès parmi les pratiquants de sports d’hiver qu’au cours de celui qui
vient de s’achever. Retour sur une saison dramatique, à travers l’analyse des accidents mortels.
Photo : Hervé DUPUY
François SIVARDIÈRE et Fred JARRY
ANENA
2005-2006 : un hiver exceptionnel
Les informations données dans le présent article proviennent des rapports
d’accidents fournis par les services publics de secours en montagne (gendarmes, CRS, et sapeurs-pompiers le cas échéant). Dans certains cas, les
services de sécurité des pistes des stations de ski font également parvenir
à l’ANENA les données concernant les accidents d’avalanche sur lesquels
leur personnel est intervenu. Qu’ils soient ici tous remerciés de leur précieuse collaboration.
Si ce mode de collecte permet d’obtenir des renseignements sur la totalité
des accidents mortels*, il n’est absolument pas suffisant pour connaître
tous les accidents d’avalanche qui se produisent en France. En effet, de
nombreux accidents ne se terminent heureusement pas de façon dramatique. Leur gravité ne nécessite alors pas l’intervention des secouristes. Ils
échappent donc au bilan tenu par l’ANENA. Leur nombre est, de fait,
inconnu et difficile à estimer. C’est la raison pour laquelle ne sont présentées dans le présent bilan hivernal que les données relatives aux accidents
mortels d’avalanche, qui sont, elles, exhaustives.
Par ailleurs, la période considérée comme étant « l’hiver », dans cette analyse, s’étend du 1er décembre au 30 avril. Elle correspond, à peu de
choses près, à la saison d’ouverture des domaines skiables alpins français, ainsi qu’à la période de diffusion des BRA (Bulletins d’estimation du
Risque d’Avalanche) par les services de Météo France.
* accident mortel : accident d’avalanche étant à l’origine d’au moins un décès, par opposition aux accidents d’avalanche
qui ne provoquent que des blessures plus ou moins graves.
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accidents mortels
■
décès
accidents mortels et 55 décès :
tel est le triste bilan d’une saison de sports d’hiver qui restera dans les mémoires comme la plus
meurtrière à ce jour. Jamais, en effet, un
bilan hivernal d’accidents d’avalanche n’a
été aussi lourd en France, depuis la saison 1971-1972, année du début du
recensement des accidents d’avalanche
par l’ANENA (cf. graphique n° 1). S’agissant d’accidents ayant touché des pratiquants de sports de neige, et compte
tenu de la faible fréquentation de la montagne avant 1970, il s’agit de l’hiver le
plus meurtrier que la France ait jamais
connu.
▲ Graphique n° 1 : évolution du nombre d’accidents mortels et de décès par avalanche en hiver (1er décembre- Les valeurs enregistrées en 2005-06 sont
même très largement supérieures aux
30 avril), entre 1971/72 et 2005-06 en France.
moyennes annuelles calculées depuis
1989-90. Ainsi, entre l’hiver 1989-90 et
l’hiver 2004-05, ces dernières s’établissent à un peu plus de dix-sept accidents
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mortels (282 accidents mortels au total)
et près de vingt-cinq décès (395 décès au
total). L’hiver 2005-2006 compte donc
près de trois fois plus d’accidents mortels
d’avalanche et plus de deux fois plus de
décès qu’en moyenne pendant les seize
hivers précédents.
Ces accidents mortels, et d’une manière
plus générale une grande partie des accidents d’avalanche, sont survenus au
cours d’un nombre restreint de journées,
réparties en quelques courtes périodes
de deux ou trois jours. Ainsi, on compte
quatre décès les 31 décembre et 1er janvier, sept décès les 19 et 20 janvier, onze
■ Alpes du Nord
Alpes du Sud
Autres départements
décès les 28, 29 et 30 janvier et douze
décès les 20, 21 et 22 février (cf. graphique n° 2). Cette répartition est remar- ▲ Graphique n° 2 : répartition chronologique, et par massif, des décès par accident d’avalanche en France entre
er
quable : les hivers précédents, les acci- le 1 décembre 2005 et le 30 avril 2006.
dents mortels d’avalanches étaient répartis plus régulièrement au cours de l’hiver. > > >
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Accidentologie
> Répartition par type d’activité
La quasi-totalité (92 %) des accidents
mortels est survenue alors que les victimes pratiquaient une activité sportive
de loisirs : vingt personnes sont décédées au cours d’une randonnée , vingtsept au cours d’une sortie hors-piste,
trois lors d’une course d’alpinisme et
une sur une piste de ski (cf. tableau
n° 1).
Comme chaque hiver, ce sont les activités de hors-piste (à skis ou snowboard) et de randonnée (à skis ou
raquettes) qui cumulent le plus grand
nombre d’accidents mortels et de
décès.
Les proportions d’accidents mortels en
hors-piste (51 %) et en randonnée
(35 %) constatées cet hiver sont comparables aux moyenne calculées sur
les seize précédents (respectivement
50 % et 37 % entre 1989-90 et 200405). Elles confirment un fait relativement nouveau, puisque apparu il y a
moins de dix ans : le hors-piste est
maintenant la pratique sportive la plus
touchée par les accidents d’avalanche.
En effet, même si, pour ces deux types
d’activités, le nombre de victimes
décédées est en augmentation depuis
de nombreuses années (cf. graphiques n° 3 et 4), l’évolution a été nettement plus marquée en hors-piste.
L’hiver 2005-06 confirme ainsi, voire
accentue, cette tendance d’une augmentation régulière du nombre d’accidents mortels et de décès par avalanche en hors-piste depuis plus de dix
ans.
Alors que l’on recensait en moyenne
près de six accidents mortels en randonnée et en hors-piste au cours des
cinq premiers hivers de la période
d’étude (1989-90 à 1993-94), cette
valeur moyenne sur les cinq derniers
hivers (2001-02 à 2005-06) est comprise entre huit et neuf pour la randonnée
(+ 40 %) et treize et quatorze en horspiste (+ 120 %). L’augmentation des
accidents mortels est donc bien réelle
(surtout en hors-piste). Elle doit cependant être relativisée par l’augmentation, plus élevée encore (mais difficilement quantifiable), de la fréquentation
de la montagne dans ces deux activités. Le nombre de victimes décédées,
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▲ Tableau n° 1 : répartition par activité des accidents mortels et des décès par avalanche en France, au cours
de l’hiver 2005-06.
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Evolution annuelle
Tendance
Moy. mobile sur 5 ans
▲ Graphique n° 3 : évolution du nombre de décès par accident d’avalanche en hors-piste (à skis et à snowboard), entre 1989-90 et 2005-06, en hiver en France.
ramené aux nombres de pratiquants,
est ainsi très probablement en baisse.
Le nombre de pratiquants de hors-piste, même s’il n’est pas connu avec
précision, peut être estimé à une
valeur comprise entre un et trois millions, en fonction de la fréquence à
laquelle ses adeptes s’y adonnent. En
revanche, les randonneurs à skis et à
raquettes (pour ces derniers, il s’agit
de la petite proportion qui s’aventure
en terrain alpin) peuvent être estimés
à cent trente mille environ, voire légèrement plus. C’est donc pour la randonnée que le ratio « nombre de victimes / nombre de pratiquants » est le
plus élevé.
Par ailleurs, un skieur emporté par
une avalanche sur une piste de liaison
est décédé le 29 janvier 2006. Les
accidents mortels sur piste sont très
rares. Il s’agit en effet cet hiver du
sixième accident mortel de ce type,
survenu au cours des dix-sept derniers hivers.
En ce qui concerne les deux accidents
mortels survenus en alpinisme, le premier (deux décès) concernait des personnes pratiquant l’escalade de cascade de glace.
Il faut enfin noter les quatre accidents
mortels survenus au cours d’activités
professionnelles. Deux sont survenus
dans le cadre de reconnaissances à
proximité de domaines skiables, un
lors d’une opération d’entraînement
aux secours et le dernier lors d’une
opération de déclenchement préventif
d’avalanches. Les accidents mortels
d’avalanche lors d’activités professionnelles sont également rares. On
dénombre ainsi dix accidents mortels
d’avalanche dans ce type d’activité
(minage, damage, secours, autre) au
cours des seize derniers hivers.
> Répartition par département
◆
Evolution annuelle
Tendance
Moy. mobile sur 5 ans
▲ Graphique n° 4 : évolution du nombre de décès par accident d’avalanche en randonnée (à skis et à
raquettes), entre 1989-90 et 2005-06, en hiver en France.
Les départements nord-alpins (HauteSavoie, Savoie et Isère) concentrent
le plus grand nombre d’accidents mortels (61 %, cf. tableau n° 2). Mais cette part est, cette saison, inférieure à la
part moyenne calculée sur les seize
hivers précédents (68,5%) : on
constate proportionnellement moins
▲Tableau n° 2 : répartition par département des accidents mortels et des décès par avalanche en France, au
cours de l’hiver 2005-06.
■ Alpes du Nord
Alpes du Sud
Pyrénées
Autres départements
▲ Graphique n° 5 : évolution du nombre de décès par accidents d’avalanche en France en hiver, par massif,
entre 1989-90 et 2005-06 (hors habitations et voies de communication).
d’accidents en Haute-Savoie et en
Isère que sur les seize derniers hivers.
En revanche, la part d’accidents mortels dans les Alpes du Sud a été en
2005-06 beaucoup plus importante
qu’habituellement. Ainsi, si entre les
hivers 1989-90 et 2004-05, la proportion moyenne d’accidents mortels
dans les trois départements des Alpes
du Sud était de 19 %, elle s’établit cet
hiver à 32 %. Ce sont surtout les accidents mortels survenus dans les
Alpes-de-Haute-Provence et les
Alpes-Maritimes qui viennent modifier
la répartition totale : ces deux départements ont en effet été beaucoup plus
durement touchés en 2005-06 qu’au
cours des seize derniers hivers (cf.
graphique n° 5).
D’une manière générale, on recense
dans chaque département en 20052006 plus d’accidents mortels qu’en
moyenne :
➜ en Haute-Savoie et en Isère, on
compte deux fois plus d’accidents
mortels qu’en moyenne,
➜ en Savoie et dans les Hautes-Alpes
trois fois plus,
➜ dans les Alpes-de-Haute-Provence
et les Alpes-Maritimes treize fois
plus !
Les départements pyrénéens ne présentent pas de caractéristiques particulières au regard des seize hivers
précédents. On recense cet hiver
deux accidents mortels, alors qu’en
moyenne on en compte un ou deux
par hiver.
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Accidentologie
Il en est de même dans les autres
départements de montagne (Massif
Central, Vosges, Jura), où les accidents mortels d’avalanches sont très
rares.
C’est donc en Savoie et dans les trois
départements des Alpes du Sud que
l’hiver 2005-06 a été particulièrement
dramatique en termes d’accidents
d’avalanches.
> Un hiver exceptionnel dû à
des conditions nivo-météorologiques particulières
La fréquentation et le comportement
des pratiquants ont considérablement
évolué depuis 1971-72, et même
depuis 1989-90. Cependant, ces éléments ne peuvent pas être invoqués,
seuls, pour expliquer un nombre plus
de deux fois plus élevé d’accidents
mortels et de décès en 2005-2006 par
rapport aux dernier hivers qui l’ont précédé (2000-01 à 2004-05). Les évolutions ne sont en effet pas aussi impor-
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tantes à cette échelle de temps.
Ce raisonnement tient surtout pour la
Savoie. En revanche, s’agissant des
Alpes du Sud, on peut peut-être trouver une partie de l’explication de l’accidentologie particulière de l’hiver
2005-06 dans une fréquentation plus
importante de leurs massifs. En effet,
ces trois départements ont connu, à
partir de la fin janvier 2006, un enneigement plus important qu’en début
d’hiver et que durant les hivers précédents, ce qui a permis une pratique de
la randonnée et du hors-piste plus
importante.
Quelle est alors l’explication de ce
nombre d’accidents d’avalanches
exceptionnellement élevé ? Comme
pour les hivers 1984-85 et 1995-96, la
raison est sans doute à trouver dans
une météo, et donc un manteau neigeux, particuliers.
Comme l’a expliqué Météo France en
cours d’hiver 2005-06 sur son site
Internet, « l’enneigement [dans les
Alpes NDLR] débute doucement en
novembre mais reste très faible jusqu’à la mi décembre. (…) Ces condi-
tions de faible enneigement alliées au
temps souvent beau et froid en montagne empêchent le tassement et la
consolidation de ces premières neiges
qui formeront la base du manteau neigeux de l’hiver (…). La particularité
des conditions nivologiques de cet
hiver a été la présence de couches
fragiles dans de nombreux versants et
jusqu’à des altitudes basses (…), il n’y
a pas eu d’épisode de pluie significatif
à moyenne altitude qui aurait pu
consolider le manteau neigeux »
après une phase de regel (NDLR).
De telles conditions nivologiques, à
l’origine d’un plus grand nombre d’accidents mortels qu’à l’accoutumée, ont
déjà été rencontrées dans le passé.
Ainsi, à la suite de l’hiver 1984-85, on
pouvait lire dans le bilan annuel des
accidents d’avalanches publié en
mars 1985 dans Neige et Avalanches
n° 36 : « Ce nombre très élevé d’accidents [35 accidents mortels NDLR]
est dû aux conditions atmosphériques
de cet hiver, en particulier à la vague
de froid intense du mois de janvier qui
a transformé la couche de neige et l’a
rendue très fragile ». Et dans un autre
article du même numéro : « Le début
de l’hiver 1984-85 restera dans les
mémoires comme peu enneigé et
froid. (…) ».
De la même manière, au terme de l’hiver 1995-96 (vingt-neuf accidents
mortels), Météo France écrivait dans
la revue Neige et Avalanches n° 76 de
décembre 1996 : « il faut vraisemblablement mettre ces chiffres inquiétants plus sur le compte des conditions nivologiques particulières de cette saison que sur un changement de
comportement des skieurs. En effet, le
manteau neigeux (…) a fait preuve
globalement d’une mauvaise stabilité
jusqu’à début mars (…). La raison en
tient à l’édification tardive et lente du
manteau neigeux, d’où des bases fragiles constituées de neige sans cohésion ».
Plus qu’un changement de comportement de la part des pratiquants, les
conditions nivologiques particulières
de cet hiver (à l’origine d’une instabilité quasi généralisée du manteau neigeux dans l’ensemble des Alpes sur
une longue période), expliquent sans
doute le lourd bilan de cet hiver.
❚

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