Vevey - Riviera

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Vevey - Riviera
REGIONAL
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Vevey - Riviera
Date 01.02
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Jeudi 31 janvier - vendredi 1er février 2008 - No 405
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Merck Serono va investir près d’un demi-milliard à Corsier
Mais ses OGM et ses bioréacteurs classés top secret font peur
Biorisques • Devisée à 490 millions de francs, l’extension du site de Corsier provoque une levée de boucliers de Greenpeace, du WWF,
d’Helvetia Nostra, de Pro Riviera et de la commune de St-Légier. En cause, les risques liés à l’utilisation d’OGM, l’explosion de
la consommation d’eau et le traitement des eaux polluées, qui à lui seul nécessitera la construction d’une nouvelle STEP. Enquête.
O
GM, bioréacteurs, solvants chimiques toxiques et corrosifs, gaz
volatils et explosifs, eaux potentiellement
dangereuses, boues contaminées, déchets
biologiques spéciaux... Bienvenue chez
Merck Serono, numéro trois mondial de
la biotechnologie médicale industrielle.
La multinationale allemande s’apprête
à investir massivement - 490 millions
de francs d’ici à 2012 (300 millions
d’euros) - dans l’extension de son site de
Corsier. Objectif, la fabrication à grande
échelle de principes pharmaceutiques
actifs à partir de cultures de cellules de
mammifères au patrimoine génétiquement modifié. Notamment des hamsters et des souris, pour la production de
l’Erbitux, un médicament contre le cancer colorectal, mais pour lequel Merck
Serono est actuellement en phase avancée de développement clinique pour
l’élargir au cancer des poumons et aux
cancers ORL.
mental, technique, politique et économique, éthique.
fabrication, cette eau contiendra «des
déchets biologiques liquides et des substances potentiellement dangereuses»,
révèle le dossier d’enquête. Au point que
Merck Serono devra construire sa propre station d’épuration (STEP) pour la
traiter, avant de la rejeter dans le réseau
public d’eau d’alimentation. A elle seule,
cette installation coûtera 25 millions de
francs. Pourtant, sa construction n’a
pas encore été mise à l’enquête. Ce qui
«constitue une violation du principe
de coordination justifiant pleinement
notre opposition», expliquent le WWF
et Greenpeace.
«Compte tenu de l’envergure du projet,
d’«exiger que les caractéristiques des
OGM utilisés soient précisément spécifiées et que soient démontrés en détail
les procédés de traitement des eaux qui
auront été contaminées par ces OGM
avant leur rejet dans les eaux d’alimentation».
Dernière crainte, «les charges organiques polluantes produites par les
nouvelles installations équivaudront à
celles produites par tout le district de
Vevey en termes de phosphates», évalue
Greenpeace, qui insiste: «Il est tout simplement inacceptable que l’ensemble des
moyens mis en œuvre pour la résolution
d’un problème environnemental majeur
ne soit pas présenté de manière
détaillée». Même
critique du côté
du WWF: «Toutes les assurances ne sont pas
données quant à
la neutralisation
des organismes et
déchets».
laboratoire pharmaceutique, et que cette
épizootie ait été propagée par le biais de
déplacements humains. Comparaison
n’est certes pas raison, mais la réflexion
s’impose».
Certes aussi, les principales associations
écologistes ont été conviées à une séance
spéciale afin de poser leurs questions.
Mais la multinationale a beau assurer que
toutes les mesures sont prises pour prévenir tout accident, voire, cas échéant,
pour en minimiser les conséquences, de
nombreuses questions cruciales n’ont
pas reçu réponses. Le domaine est ultra
confidentiel.
«D’où la nécessité de réaliser une étude
d’impact», soulignent tant Greenpeace
que le WWF, relèvant au passage, non
sans étonnement, que «cette usine n’a
jamais été soumise à un rapport d’impact et que les étapes successives de sa
construction et de ses agrandissements
et modifications diverses ont échappé à
cette procédure».
Le WWF va même plus loin, estimant
«judicieux de soumettre le rapport
OPAM à un expert extérieur, qui devrait
être choisi parmi des spécialistes indépendants de l’administration et n’ayant
aucun lien économique ou autre avec
l’entreprise Merck Serono».
Manque de transparence
inacceptable
Au centre des oppositions, les risques sur
la population et l’environnement liés à
l’utilisation et au stockage de très importantes quantités de solvants et d’organismes génétiquement modifiés. Organismes et substances dont Merck Serono
refuse de fournir la liste, sous prétexte
de secret de fabrication. Un manque
de transparence «inacceptable dans un
domaine aussi sensible que celui des biotechnologies», fustige Greenpeace Suisse,
dont l’avocat n’est
autre que Pierre
Chiffelle.
«Ce
d’autant plus que
ces activités se
déroulent dans
une région à forte
densité de population», souligne
Dossier complexe, enjeux multiples
Pour les autorités, c’est une excellente l’ancien conseiller
nouvelle, avec la création de plus de d’Etat, qui agit
200 emplois à Corsier, qui passeront aussi au nom
de 230 à 450. Mais du côté des servi- d’Helvetia NosExpert neutre
ces cantonaux, c’est le branle-bas de tra. «Il s’agit d’un
et étude d’impact
combat. «Chimiste cantonal, service de problème de santé
demandés
l’environnement, service des eaux, sols publique», appuie
Certes, le dossier
et assainissement; tous sont actuelle- Pro Riviera, pour
mis à l’enquête Course contre la montre
ment sur ce projet», lâche une source qui «le principe
publique
était Mais «l’objectif de Serono est d’éviter
proche du dossier. Idem chez les orga- de précaution ne
assorti d’un volu- d’avoir à faire une étude d’impact»,
nisations de protection de l’environne- saurait s’appliquer
mineux rapport sur confie une source proche du dossier,
ment, qui toutes montent aux barrica- à huis clos».
la protection contre «car cela prendrait au minimum six
des. Greenpeace Suisse, le WWF Vaud La question est
lesaccidentsmajeurs mois». Or le temps presse. Et la producet le WWF Suisse, Helvetia Nostra, d’autant plus sen(OPAM). «Mais les tion de l’anti cancer Erbitux est cruciale
fondation de Franz Weber, ainsi que sible que l’agranimpacts ne doivent pour l’avenir de Merck Serono. Car
des
Pro Riviera. Même la commune voisine dissement
pas être considérés le brevet de son produit-phare contre
de St-Légier s’est opposée à l’enquête installations va
uniquement sous la sclérose en plaque, le Rebif, qui lui
une L’agrandissement de l’usine va provoquer une explosion de 10% de la consommation de l’eau l’angle des risques assure actuellement plus de la moitié de
publique, inquiète de voir se déver- provoquer
ser le surplus de trafic sur son réseau explosion de 10% de tout le district de la Riviera, soit l’équivalent d’une augmentation. soudaine de la popula- majeurs, mais éga- son chiffre d’affaires de 6,25 milliards
Photo: Sandra Giampetruzzi
routier. Non sans déplorer au passage de la consomma- tion de quelque 7000 habitants.
lement sous celui de francs (chiffre 2006) échoit en 2012.
le manque de communication et de tion de l’eau du
de l’exploitation De telle sorte qu’il lui est indispensable
coordination nécessaires à ce genre de district Riviera. C’est comme si la popu- commune et canton ont autorisé que ces courante de l’usine», estime le WWF.
de programmer le développement et la
dossier. «J’ai rarement vu autant d’or- lation augmentait d’un coup «de quelque demandes de permis de construire soient Pro Riviera confirme: «D’une manière production d’un produit susceptible de
ganisations se manifester sur un même 7000 habitants», s’inquiète Serge Anser- faites de manière séquentielle», justifie générale, le facteur humain n’est pas pris reprendre sa place dans la stratégie commet, secrétaire du WWF Vaud.
projet», résume un observateur.
Bénédicte Bogh, porte-parole de la mul- en considération. Et malgré les mesures de merciale de l’entreprise. «Mais de tels
Une mobilisation qui s’explique par la Car l’eau est la principale matière utili- tinationale, qui assure que cette seconde confinement destinées à assurer la qualité objectifs ne sauraient justifier un passage
complexité de ce dossier, mais surtout sée par l’entreprise. Mais aussi son prin- mise à l’enquête interviendra en mars. La des produits, les risques de dissémination en force dont l’opacité et le découpage
par ses multiples enjeux, environne- cipal rejet. Et au terme du processus de firme attend encore le feu vert du can- d’organismes génétiquement modifiés ne dans le temps font craindre quant au
ton, dont les services analysent actuelle- sont pas exclus». A ce sujet, l’organisation respect des principes du développement
ment les données relatives à la qualité et n’hésite pas à tirer un parallèle alarmant: durable», conclut Pierre Chiffelle, au
Projet déplacé d’Allemagne à Corsier… Pourquoi? aux volumes des eaux, pour déterminer «Il y a de fortes probabilités pour que la nom de Greenpeace.
ce qui pourra être traité respectivement fièvre aphteuse qui s’est déclarée en AngleIl y a peu encore fleuron de l’industrie helvétique, Serono appartenait à la famille
par la STEP propre à Merck Serono et terre en août dernier ait pour origine un
Textes: Serge Noyer
Bertarelli, qui l’a vendue en septembre 2006 à l’allemand Merck pour une valeur
par la STEP intercommunale.
boursière de 16,6 milliards de francs. Désormais filiale de la multinationale Merck
KGaA, Merck Serono est le numéro trois mondial de la biotechnologie indusFortes charges polluantes
«Risque absent ou négligeable»
trielle, derrière les américains Amgen et Genetech. Son chiffre d’affaires 2006 était
Un vrai casse-tête, sachant qu’en volume,
de 6,25 milliards de francs. Concentrée sur les activités médicales, elle emploie
A Corsier, Merck Serono produit actuellement le Rebif, son médicament-phare
cette extension fera passer la consomma14’500 personnes dans le monde, dont 4500 issues de Serono, et compte en Suisse
contre la sclérose en plaque. Or, «le nouveau médicament que nous souhaitons y
tion d’eau de l’usine de 3600 m3 à 8500
1600 salariés. Outre son siège mondial, situé à Genève, et son siège national à
produire, l’anti-cancer Erbitux, se fabrique à peu près de la même façon», pondère
m3 par semaine. Volume qui viendra
Zoug, elle exploite dans le pays trois unités de production, à Aubonne, Corsier, et
Bénédicte Bogh, porte-parole de la multinationale. Dès lors, s’agissant des OGM
s’ajouter à celui des eaux claires de surCoinsins, cette dernière, sur la Côte vaudoise, étant dévolue au conditionnement
utilisés, «la nature de l’activité y sera la même après l’extension de l’usine». Face
face déversées dans la nature...
de ses produits.
aux inquiétudes des organisations écologistes, Bénédicte Bogh relativise: «ExtrêUne des hypothèses de travail consiste
Pour la production de l’Erbitux, Merck avait initialement annoncé vouloir invesmement fragiles, ces organismes seront cultivés en milieu confiné, dans des bioréaà rejeter le tout dans le ruisseau de la
tir sur son site allemand de Darmstadt. Mais c’est Corsier qui l’a emporté, «pour
teurs, et seront inactivés par pasteurisation au terme du processus de fabrication,
Chaux. Avec cette inquiétude: le ruisdes raisons d’efficacité», confiait récemment le Suisse Elmar Schnee, patron de
avant d’être dirigés vers la STEP (réd: l’inactivation consiste en un chauffage à 80°
seau pourra-t-il absorber cette quantité
Merck KGaA, sur www.swissbiotech.ch. Selon lui, «les conditions cadres en Suisse
durant 30 secondes)». Quant à leur dangerosité, «sur l’échelle de risque BSL (réd:
supplémentaire? «Le secteur aval de
sont meilleures qu’en Allemagne. La politique de santé en Allemagne ne favorise
bio safety level), qui va de 1 à 4, ce type de micro organismes est classé 1. Ce qui
ce ruisseau est en glissement actif et sa
pas l’investissement dans l’industrie pharmaceutique. Tandis qu’en Suisse - j’essignifie “risque absent ou négligeable pour l’être humain et l’environnement”»,
profondeur constitue une masse relatipère que cela restera le cas - on protège les brevets, on accepte les nouveautés pour
assure la porte-parole.
vement conséquente susceptible d’être
traiter les patients, on fixe des prix acceptables pour amortir les coûts de recherche,
En outre, selon le dossier OPAM joint à l’enquête publique, les déchets liquides
mobilisée sous l’effet d’un apport imporles règles ou autorisations concernant le marché du travail sont favorables».
contenant des substances ne pouvant être traitées sur place seront dirigés vers des
tant d’eau et de former un barrage sur la
Davantage orientée dans la chimie, Merck KGaA, la maison mère dont le siège
citernes à eaux usées, dont le contenu sera collecté et traité par une entreprise
Veveyse», alerte Pro Riviera, rappelant
mondial est à Darmstadt, emploie 31’000 personnes dans 61 pays. Son chiffre
externe. Les boues contaminées seront quant à elles évacuées par camion pour
que le projet se situe «dans une zone de
d’affaires avoisine les 12 milliards de francs, au 26ème rang mondial de l’industrie
incinération. Et la présence d’eau contenant des substances potentiellement danglissement de terrain».
chimico-pharmaceutique. Historiquement, Merck KGaA est née de la division de
gereuses sera gérée dans un réseau de traitement séparé de la STEP interne, avant
Autre problème, la température de cette
Merck en deux groupes distincts après la première guerre mondiale. En récompurification par osmose inverse et adsorption par charbon actif, ce qui permettra
eau au sortir de l’usine, qui sera de 2 à
pense de l’effort de guerre, les USA avaient alors en quelque sorte «confisqué» une
de filtrer aussi bien les substances de base que leurs résidus.
3° trop chaude pour être directement
partie de cette entreprise en 1917, devenue aux USA Merck & Co Inc.
Syndic de Corsier, Franz Brun avoue toutefois «parfaitement comprendre qu’il y
déversée dans ce ruisseau. «Nous avons
Numéro 5 mondial des sociétés pharmaceutiques, avec 65’000 employés et un
ait des inquiétudes lorsqu’on parle d’OGM. Toutes ces questions sont justifiées».
demandé au canton une étude d’enchiffre d’affaires de 23 miards de francs, Merck & Co Inc, qui n’a plus aucun lien
Sur la problématique du déversement après traitement des eaux résiduelles dans
vironnement pour savoir quelle est la
avec l’allemand Merck, a été pris en 2006 dans une tempête judiciaire. En cause,
le réseau public d’eau d’alimentation et du volume supplémentaire à absorber, il
faune de ce cours d’eau et connaître
son anti inflammatoire vedette, le Vioxx, qui aurait occasionné des dizaines de
affirme: «La situation est maîtrisée. Cela fait des mois que le SIGE (Service interles risques encourus», confie Thierry
millier d’infarctus en guise de fâcheux effet secondaire. Sous le coup de 27’000
communal de gestion des eaux) et Merck Serono travaillent sur ce dossier. Tous
Constantin, municipal en charge de ce
plaintes, ce médicament, depuis retiré du marché, était soupçonné de doubler les
les calculs ont été fait».
dossier à Corsier.
risques d’accident cardiaque après au moins 18 mois de traitement. Une affaire
Reste que les biologistes et différents spécialistes de la multinationale répondront
En bout de circuit, toute cette eau finira
que la multinationale a partiellement soldée par le versement de plus de 6 milà toutes les questions encore en suspens du côté des opposants. «Une séance est
dans cet immense réservoir d’eau potaliards de francs d’indemnités aux victimes.
d’ores et déjà fixée au 20 février», informe le syndic.
ble qu’est le lac, via la Veveyse. Raison
supplémentaire pour Greenpeace Suisse

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