L`invention du monument historique dans le contexte
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L`invention du monument historique dans le contexte
http://www.reseau-asie.com Enseignants, Chercheurs, Experts sur l’Asie et le Pacifique Scholars, Professors and Experts on Asia and the Pacific L'INVENTION DU MONUMENT HISTORIQUE DANS LE CONTEXTE COSMOPOLITE ÉGYPTIEN (1870-1890) Mercedes Volait Centre national de la recherche scientifique Thématique C : Patrimoine culturel : Enjeux et métamorphoses Theme C : Cultural Heritage: Issues and Metamorphoses Atelier 02 : Patrimonialisations coloniales : Approche transversale Workshop 02: Colonial heritagisation : A cross disciplinary approach / Creating a heritage in a colonial context 4ème Congrès du Réseau Asie & Pacifique 4 Congress of the Asia & Pacific Network th 14-16 sept. 2011, Paris, France École nationale supérieure d'architecture de Paris-Belleville Centre de conférences du Ministère des Affaires étrangères et européennes © 2011 – Mercedes Volait Protection des documents / Document use rights Les utilisateurs du site http://www.reseau-asie.com s'engagent à respecter les règles de propriété intellectuelle des divers contenus proposés sur le site (loi n°92.597 du 1er juillet 1992, JO du 3 juillet). 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Any opinions expressed are those of the authors and do.not involve the responsibility of the Congress' Organization Committee. L'INVENTION DU MONUMENT HISTORIQUE DANS LE CONTEXTE COSMOPOLITE ÉGYPTIEN (1870-1890) Mercedes Volait Centre national de la recherche scientifique L’invention du patrimoine monumental en Egypte à la fin XIXe siècle complexifie l’analyse des « patrimonialisations coloniales » pour au moins trois raisons. Les débuts de la protection sont antérieurs à l’occupation coloniale du pays en 1882. Elle résulte au départ d’initiatives militantes, plutôt que d’une volonté publique délibérée. Elle doit composer, enfin, avec des institutions préexistantes. Le cas égyptien introduit ainsi d’autres variables dans l’équation de la patrimonialisation en situation coloniale, au-delà de ses déterminations politiques. Il incite à se pencher sur le socle local de phénomènes étiquetés trop rapidement comme étant de pure extranéité. Il plaide pour la prise en compte de l’antiquariat dilettante et des mobilisations extrainstitutionnelles comme forces centrales, plutôt que d’appoint, dans le processus. Il souligne le lien étroit qui, dès l’origine, s’établit entre patrimoine monumental et création architecturale. Il met en lumière enfin la dimension urbaine du processus, et à travers elle, les correspondances qui peuvent être établies avec l’idée de « VieuxParis » ou de « Vieux-St-Pétersbourg ». En parallèle ou en superposition avec le circuit colonial, des canaux associatifs et transnationaux inscrivent ainsi le phénomène dans des géographies plus larges, dans des modalités extra-coloniales ou supra-coloniales qui dessinent une autre forme d’internationalisation du modèle patrimonial français. Une instance hybride sous influence française Le décret khédivial du 18 décembre 1881 crée en Egypte une institution originale, le Comité de conservation des monuments de l’art arabe. Constitué pour partie d’hommes de l’art bénévoles, l’instance se situe à mi-chemin de la société des amis et d’une administration officielle des monuments historiques. Elle n’a vocation à prendre en charge qu’un segment du patrimoine égyptien, celui postérieur à la conquête arabe de 622 (ses attributions seront progressivement élargies). L’instance vient se greffer sur l’administration locale qui chapeaute les biens constitués en waqf (mainmorte). Inaliénables et affectés à des fonctions de bienfaisance, ces biens fournissaient des services urbains tout en constituant une forme, de facto, de C 02 : Patrimonialisations coloniales : Approche transversale L'invention du monument historique dans le contexte cosmopolite égyptien (1870-1890) Mercedes Volait / 2 perpétuation du bâti. Les modalités d’intendance des biens étaient précisées dans l’acte de fondation du waqf ; la taille parfois importante des fondations pouvait les assimiler à des opérations d’urbanisme (Raymond, 1985). Le système est soumis en Egypte, tôt dans le XIXe siècle, à un processus de centralisation et de nationalisation. Les fondations waqf acquièrent un statut d’exception dans le système administratif passé sous contrôle britannique à partir de 1882, en raison de leur régime juridique gouverné par la loi islamique. Leur administration est placée sous la tutelle directe du pouvoir khédivial. L’état des « biens de mainmorte », dont les destinées sont confiées au Comité de conservation des monuments de l’art arabe, est variable. Certains ont conservé leur fonction initiale, religieuse ou commerciale, d’autres pas. Beaucoup ont connu le ravage des ans et sont en ruines. Une logique de protection et de conservation vient se substituer à la logique d’entretien, plus ou moins effective, proposée par le waqf. L’appréciation au cas par cas de l’« intérêt artistique et historique » des monuments revient, comme dans le modèle français, à des experts. Antiquariat dilettante et apostolat patrimonial: Le dilettantisme, au sens premier du terme (Kelly 2010), a joué un rôle majeur dans ce processus. L’initiative d’amateurs individuels domine aussi bien la mise en image des « monuments de l’art arabe », que la mise en place de leur conservation. Le relevé de monuments médiévaux opère dans le sillage de la science égyptologique, sans en avoir les moyens et soutiens institutionnels. Les inventaires de Pascal Coste, Joseph-Philibert Girault de Prangey, Emile Prisse d’Avennes ou Jules Bourgoin, ont été menés, à grand peine, sur fonds privés. La topographie monumentale du Caire a été rendue familière par des amateurs, même si la Description de l’Egypte lui a dédié quelques planches. Sa protection est obtenue par la poignée d’aficionados européens qui font campagne à partir des années 1870 à cette fin. Ces « fous du Caire » (Volait 2009), emmenés par l’architecte Ambroise Baudry et l’amateur Arthur Rhoné, obtiennent avec le soutien de hauts-fonctionnaires du gouvernement égyptien (un préfet français, un architecte allemand, un ancien diplomate britannique, un secrétaire d’Etat arménien), la création du Comité de conservation des monuments de l’art arabe. C 02 : Patrimonialisations coloniales : Approche transversale L'invention du monument historique dans le contexte cosmopolite égyptien (1870-1890) Mercedes Volait / 3 Il y a une forme d’indigénisme dans leur apostolat patrimonial. La plupart sont solidement ancrés en Egypte. Les images qu’ils ont laissées d’eux-mêmes les représentent en habit local (costume de fonctionnaire ou gallabiya populaire). Leurs univers domestiques sont imprégnés de couleur locale et regorgent d’objets islamiques et de remplois patiemment assemblés. Ce sont de grands collectionneurs d’art islamique, à l’instar du baron Delort de Gléon auquel on doit l’ouverture de la section musulmane du Louvre. Le combat patrimonial opère dans une relation étroite à la possession d’objets, à la jouissance esthétique, à l’invention de soi. Il promeut une forme de vulgarisation savante, qui permet aux antiquaires, sinon de gagner leur place dans l’establishement académique, du moins d’en fréquenter les coulisses. A ce faisceau de déterminants vient s’ajouter l’idéologie coloniale d’une France qui se veut protectrice des Lumières en Egypte (Charmes 1881). Un « intérêt d’application » Comme ailleurs dans le monde colonial, et plus fortement sans doute qu’en Europe, la protection du passé est intrinsèquement liée à la création contemporaine. L’un des rapports établi en vue de la création du Comité de conservation des monuments de l’art arabe le dit nettement : «(...) En relevant les monuments arabes, on n'aurait pas seulement sauvé des oeuvres admirables qui menacent ruine, on aurait préparé l'apparition d’œuvres nouvelles, sinon aussi parfaites que les anciennes, au moins dignes de figurer à côté d'elles et de maintenir au Caire le privilège d'être la capitale de l'art arabe » (cité in Volait 2002). L’architecture orientaliste, dite encore néomamelouke, y a connu de beaux jours, comme ailleurs (Oulebsir et Volait 2009). L’institut français d’archéologie et d’art musulmans, créé à Damas en 1929 incluait une Ecole des Arts décoratifs (Avez 1993). En Iran, la gestion du patrimoine national iranien et la construction de monuments respectant le style national, sont fondus dans l’Institut des Oeuvres nationales créé en 1921 (Grigor 2009). La perspective applicative n’est pas sans lien avec l’émergence très tardive de l’archéologie islamique dans le paysage académique européen (plus d’un siècle après la naissance de l’égyptologie) ; elle ne favorise pas la mise en marche d’une connaissance fondamentale. Le pittoresque urbain C 02 : Patrimonialisations coloniales : Approche transversale L'invention du monument historique dans le contexte cosmopolite égyptien (1870-1890) Mercedes Volait / 4 L’intérêt que portent les amateurs au patrimoine médiéval égyptien (et surtout cairote) tient pour beaucoup à sa dimension urbaine (Rhoné 1889). C’est le monument dans son écologie urbaine et sociale qui retient leur attention, au prix d’incompréhensions et de conflits avérés avec les édiles égyptiens, soucieux de modernisation (El-Habashi 2003). Un lien s’établit par le biais urbain avec le milieu patrimonial parisien. Actif défenseur des monuments cairotes en 1879-1881, Arthur Rhoné l’est autant des vieux quartiers parisiens (Volait 2006) et retrouve au sein de la Société des amis des monuments parisiens créée en 1884 (Fiori 2010), nombre d’amateurs des monuments du Caire. La piste de l’action associative, et de ses circuits internationaux, est à creuser. Repenser l’internationalisation du modèle français On sait ce que le surgissement d’une scène patrimoniale internationale en Méditerranée doit aux circuits de l’expansion coloniale française (Oulebsir 2004) ou à un art, non moins hexagonal, de la diplomatie culturelle (Chevalier 2002). En Egypte, l’internationalisation du modèle français se déploie en parallèle, sinon en dehors, des manœuvres et stratégies étatiques. L’invention de soi dans la seconde moitié du XIX e siècle, en parallèle à celle du loisir, n’y est pas étrangère. On a prêté insuffisamment attention jusqu’à présent à cette scène « off » des affections patrimoniales, peuplée d’individualités singulières aux biographies sinueuses, mondes parallèles à la croisée de l’antiquariat, de la science et de l’action publique ; son étude est susceptible de renouveler les regards portés sur la fabrique, coloniale ou pas, du patrimoine. C 02 : Patrimonialisations coloniales : Approche transversale L'invention du monument historique dans le contexte cosmopolite égyptien (1870-1890) Mercedes Volait / 5