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CLYSTERE
E-revue mensuelle illustrée
Histoire des objets et instruments médicaux
Histoire de la santé
SOMMAIRE N° 50 –MAI 2016
NUMERO SPECIAL
« LA MEDECINE DANS L’ANTIQUITE »
. Editorial : 5 ans !
. Une brève histoire de la médecine antique illustrée par
la philatélie (Jean-François Hutin)
. L’Égypte comme modèle de la science médicale dans le
monde antique : Mythe ou réalité ? Enquête dans la
littérature latine. (Joëlle Jouanna-Bouchet)
. Pour une introduction à la médecine égyptienne (Richard-Alain Jean)
. Essai (raisonné) sur les guérisons dans les temples
d’Esculape (Louis-Jean-Dupré)
. Cheiron le Centaure, inventeur de la chirurgie (André J.
Fabre)
. Les cachets d’oculistes ou cachets à collyres (Jacques
Voinot)
. La bourse à clystère (Jean-Pierre Martin)
. Le Cyasthique de Dioclès (Bernard Baldivia)
. Une cucurbite romaine (Henri Kugener)
. Aux sources de l’anesthésie : la mandragore magique.
Approche historique et bibliophilique (Jacques Hotton)
. La phytothérapie bucco-dentaire selon Celse et Scribonius Largus, deux médecins de l’Antiquité (Joëlle Jouanna-Bouchet, Xavier Riaud)
. Un Saint-Côme méconnu en Gironde (Charles Tamarelle)
En musardant sur la Toile (Bernard Petitdant)
Courrier des lecteurs / nouveautés en librairie
Numéro
Spécial
5 ans
P a g e |1
CLYSTÈRE
(ISSN 2257-7459)
Conception –réalisation : © Dr Jean-Pierre Martin
Service de gériatrie, Centre hospitalier Jean Leclaire BP 139
Le Pouget, CS 80201 24206 Sarlat cedex, France
Abonnement gratuit sur : www.clystere.com
Comité scientifique :
Michèle Moreau (cadre supérieure de santé honoraire, membre fondatrice et trésorière-adjointe de
l'Association des Amis du Musée de l'AP-HP (ADAMAP)
Frédéric Bonté (Docteur en pharmacie, membre de l’Académie Nationale de Pharmacie)
Guy Gaboriau (Docteur en médecine, Collectionneur et spécialistes des instruments médicaux anciens)
Guillaume Garnier (Docteur en Histoire moderne et contemporaine)
Richard-Alain Jean (Docteur en médecine, égyptologue, spécialiste de la médecine égyptienne)
Philippe Lépine (Ingénieur retraité du fabricant d’instruments médicaux Lépine, à Lyon)
Bernard Petitdant (Cadre kinésithérapeute, spécialiste de l’histoire de la kinésithérapie)
Xavier Riaud (Docteur en chirurgie dentaire, spécialiste de l’histoire dentaire et napoléonienne)
Clystère sur :
01 mai 2016
Facebook : https://www.facebook.com/Clystere
www.clystere.com / n° 50.
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Conseils aux auteurs
Format des articles : La longueur des articles est donc laissée à la discrétion des auteurs, ainsi que le
nombre des illustrations. Toutefois, afin de ne pas trop alourdir le poids en octets de chaque numéro,
le nombre des illustrations peut être réduit pour un article donné. Une bibliographie minimale est
souhaitée, sauf pour les sujets n'ayant jamais été traités auparavant. La présence de liens vers des
sites Internet en rapport avec le sujet sera appréciée.
Comment proposer un article : Les articles doivent être adressés par mail à [email protected],
au format word ou odt (open office). Les documents iconographiques seront soit intégrés directement
dans les textes (Word, Open office) soit adressés séparément aux formats classiques (jpeg, gif). Merci
de penser à réduire la taille des images (merci de me contacter par mail auparavant, pour les fichiers
trop volumineux).
Restrictions : Les articles soumis à Clystère ne doivent pas avoir été proposés ou publiés ailleurs. En
acceptant la publication de son article dans Clystère, l'auteur s'engage implicitement à respecter
cette clause. Le ou les auteurs s'engagent à détenir les droits des images (photos, dessins, etc.) accompagnant les articles proposés. En cas de litige, je dégage toute responsabilité, et mettrai immédiatement en relation l'éventuel plaignant avec le ou les auteurs de l'article. En cas de doute
sur la détention des droits par l'auteur, je me réserve le droit de refuser les images suspectes. Tout
contenu illicite, à caractère racial, pornographique, incitation à la violence, etc. entraînera le refus de
publication, sans justification.
Pour mémoire, les droits patrimoniaux sur un document expirent au bout de 70 ans. Donc il faut faire
des demandes uniquement pour les documents de moins de 70 ans. Pour les documents en licence
libre, bien préciser la source (BIU santé, Gallica, Wellcome Library, etc...
Responsabilités des auteurs : Le contenu des articles n'engage que la responsabilité de leurs auteurs.
Acceptation des articles : Considérant que les auteurs écrivant dans Clystère sont des spécialistes
habitués à publier dans des revues scientifiques, leurs articles ne seront pas soumis à l'acceptation
d'un comité de lecture. La vérification du texte se limitera à contrôler l'absence de contenu illicite et à
corriger les éventuelles coquilles. Lorsqu'un article est accepté, et après avoir discuté avec l'auteur des
éventuelles modifications à apporter (le plus souvent réduction du nombre d'illustrations), l'article est
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mis au format de la revue et adressé en PDF pour vérification et validation avant publication.
Rémunérations des auteurs : La revue étant sans but lucratif et gratuite, les articles ne sont pas rémunérés. Lorsque des tiers souhaitent obtenir les droits de diffusion des contenus ou images publiés
dans Clystère, ils peuvent soit me contacter par mail à [email protected], soit contacter directement les auteurs au mail précisé dans leur article.
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Editorial : 5 ans !
Clystère a 5 ans !
5 ans et 50 numéros.
Lorsque je relis les premiers numéros, qui comptaient moins de 10 pages, et dont tous les articles
étaient signés de ma main, et que je les compare aux derniers numéros parus et à ce numéro 50, je
mesure le chemin parcouru en 5 ans.
Cette belle aventure n’aurait pas été possible sans les premiers « afficionados », qui ont envoyé des
articles. Le premier « nouvel auteur » fut Bernard Petitdant, qui apparait dans le numéro 4, et qui est
depuis un auteur régulier, spécialisé dans l’histoire de la kinésithérapie et de la réadaptation et de
leurs appareils. Il assure avec opiniâtreté la rubrique « En musardant sur la Toile », où il déniche les
pépites que recèle le web en matière d’histoire de la santé.
Le numéro 6 a vu l’entrée en scène de Philippe Lépine, ancien ingénieur, pilier du Musée d’histoire de
la médecine de Lyon, digne descendant de la célèbre famille de couteliers chirurgicaux lyonnais, qui a
inauguré la rubrique « courrier des lecteurs » en commentant l’article du premier « nouvel auteur »
Bernard Petitdant, en nous faisant profiter de son expertise technique. Il ne lâchera plus l’affaire,
proposant des articles sur des instruments, commentant les écrits des uns et des autres d’un point de
vue technique.
Ensuite sont arrivés, dans le numéro 7, le jeune octogénaire, Jacques Voinot, bon pied bon œil (normal pour un ancien ophtalmologiste !), autre pilier du musée d’Histoire de la médecine de Lyon, spécialiste des cachets d’oculistes, et Guy Gaboriau, qui bien qu’anesthésiste soumis aux gaz sédatifs, ne
s’est pas endormi et nous a gratifiés d’un article sur les sangsues illustré de certains des merveilleux
objets de sa collection personnelle. D’autres articles ont suivi.
Ces premiers numéros m’ont donné l’occasion d’interviewer des passionnés, rencontrés au hasard du
Web, André Foeller et ses électrocardiogrammes, et Gianfranco Rocchini, italien francophile, grand
collectionneur lui aussi.
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Xavier Riaud, référence en histoire de la dentisterie, et directeur de la collection Médecine à travers
les siècles aux éditions L’Harmattan, est monté dans le train au numéro 8, et n’en est plus descendu. Il
a proposé de nombreux articles lui-aussi, certains étant encore en attente d’être publiés dans Clystère.
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La première année s’est donc terminée avec ces quelques auteurs motivés, avec une revue au design
encore artisanal et incertain.
A partir de la 2è année et du numéro 12, un nouvel habillage et une charte graphique plus « pro »
vont accompagner les écrits de nouveaux auteurs. Citons Richard-Alain Jean, égyptologue, qui a proposé plusieurs articles sur l’instrumentation égyptienne, articles qui devraient d’ailleurs être regroupés dans un cahier spécial. Il serait trop long de citer tous les auteurs ici, mais sans eux, Clystère ne
serait pas ce qu’elle est aujourd’hui. L’audience de Clystère va croitre progressivement, avec des lecteurs issus des cinq continents, en majorité francophones et européens, mais aussi russes, chinois,
américains, japonais, ou africains du Maghreb ou d’Afrique Noire. Le bouche à oreille va faire le reste,
ainsi qu’un travail de présence sur les réseaux sociaux, essentiellement Facebook et Twitter.
L’aventure s’est poursuivie en janvier 2016 avec la préservation de Clystère sur les serveurs de la Bibliothèque Nationale de France, grâce à l’intervention de Solenne Coutagne (BIUS), Jean-François
Vincent (BIUS), Guy Cobolet (BIUS), et Ange Aniesa (chargé de collections numériques au Département du dépôt légal, BnF), que je remercie de nouveau ici.
Autre élément de satisfaction, Clystère est devenu une zone ressource aussi bien pour des accessoiristes de cinéma en quête de documentations et conseils, que pour les antiquaires du monde entier
qui nous contactent pour des identifications d’instruments, de poinçons, des datations, etc.
La dernière nouveauté concerne l’augmentation de l’espace d’hébergement de Clystère sur les serveurs de mon fournisseur d’accès, qui est passé de 100 Mo (une misère !) à 6 Go (beaucoup plus confortable !), qui permet d’envisager des projets secondaires, comme des expos temporaires, un musée
virtuel de la carte postale médicale ancienne, etc.
Concluons en disant que ce numéro 50 a été l’occasion d’accueillir de nouveaux auteurs d’horizons
variés, qui nous ont fait l’honneur et le plaisir de signer de belles pages sur l’histoire de la médecine
antique. Merci de leur confiance.
J’adresse de sincères remerciements à toutes celles et ceux qui, au fil des numéros, participent à la vie
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de Clystère, au travers d’articles, du courrier des lecteurs, etc. Merci à ceux qui, à chaque numéro
pour certains (ils se reconnaîtront !) font état de leur plaisir à lire ces pages, et nous adressent leurs
encouragements à continuer, et à tous ceux qui font connaître Clystère autour d’eux.
Pour continuer, il faudra des articles, des auteurs, donc n’hésitez pas à proposer des textes, mêmes
courts, ils seront les bienvenus.
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Enfin, seul regret après ces 5 ans, de n’avoir pas su attirer vers Clystère, et d’une manière plus générale, vers l’histoire de la santé, nos futurs confrères. Seuls deux internes se sont abonnés à Clystère, un
Belge et un Français.
Une tentative de promotion de Clystère auprès des étudiants dans les Facultés de médecine françaises, via un mail adressé aux doyens, a été couronnée de moins de réponses de ces derniers qu’une
main compte de doigts…
Bonne lecture, et au plaisir de vous lire dans les prochains numéros.
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Dr Jean-Pierre Martin
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Une brève histoire de la médecine antique illustrée par la philatélie.
Jean-François HUTIN
Contact : [email protected]
NB : les nombres entre parenthèses font référence aux timbres numérotés dans l’ordre d’apparition dans
le texte, de haut en bas et de gauche à droite.
S’il est classique de situer la naissance de la médecine au siècle d’Hippocrate, il faut admettre qu’une
certaine forme de médecine existait bien avant lui. D’abord magique dans un monde dominé par la
pensée animiste, elle était le fait des chamans, medicine man et autres sorciers, comme il en existe
encore dans certains peuples primitifs qu’étudie l’ethno-médecine. Ceux-ci sont parfois représentés
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sur des timbres ethnographiques ou culturels, à l’exemple de quelques guérisseurs d’Afrique (1-7)
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ou d’Amérique latine (8-10).
Parfois plus proches de la sorcellerie que de la médecine, ces pratiques magico-religieuses sont parfois combattues par les pouvoirs publics à travers le message postal (11-12).
Parmi ces pratiques magiques, signalons l’énigme soulevée par la pratique des trépanations, notamment fréquentes au Pérou (13).
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La médecine devint sacerdotale et mystique quand l’homme inventa les dieux, à l’exemple des médecines assyro-babylonienne et égyptienne.
La médecine égyptienne était dominée par la figure d’Imhotep (14-17), dieu égyptien de la médecine
après avoir été médecin et ministre de Djozzer et l’architecte de la pyramide de Saqqara.
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L’étude des momies (18) et des papyrus médico-magiques, et notamment le papyrus d’Ebers conservé
en Allemagne (19), nous apprennent qu’une forme de médecine rationnelle existait néanmoins à cette
époque.
La chirurgie, à l’exemple de la réduction des luxations, est d’ailleurs un thème volontiers repris en
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philatélie par les congrès d’orthopédie se tenant en Egypte (20-22).
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Pour les congrès d’ophtalmologie, spécialité très ancienne en Egypte (23), on retrouve cette fois le
symbole de l’œil d’Horus (24-26).
Cette médecine empirique, où la diététique (27) était importante comme le montre ce timbre commémorant un congrès de diabétologie, était assurée par des médecins laïcs que l’écriture hiéroglyphique désignait par un vase et une flèche (28).
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Comme le long du Nil, la médecine des premiers grecs fut donc d’abord magico-religieuse. Elle
s’intégrait complétement à la mythologie. Parmi les dieux grecs en rapport avec la médecine, Zeus
(29-34) était le premier d’entre eux.
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Son fils, Apollon (35-37), consultait aussi des malades à Delphes.
Mais il faut surtout citer ici Asclépios (38-39), dieu grec de la médecine. Ce dernier vécut en -1250 en
Thessalie, mais il fut divinisé plus tard, comme l’avait été Imhotep. La légende en fit dès lors le fils
d’Apollon et de la nymphe Coronis, tuée par Artémis pour cause d’infidélité, et sorti par «césarienne»
par Hermès. Asclépios fut ensuite l’élève de Chiron, qui lui aurait appris comment soigner les maladies
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par « la parole, les simples (herbes) et le couteau ».
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Les quatre enfants d’Asclépios se destinèrent à l’art et leurs noms sont rentrés dans le langage courant : Panacée, « celle qui guérit tout » pour la pharmacie, Podalire, pour la médecine, Machaon pour
la chirurgie, qu’il exerça notamment sur les blessés de la guerre de Troie où il mourut, et Hygie pour
l’hygiène.
Plus que ses frères et sœur, Hygie bénéficia d’une attention particulière des postes de nombreux pays
tant cette partie de la médecine fut et reste fondamentale (40-45).
Et si le mot panacée est rentré dans le langage courant pour désigner un remède universel, c’est pourtant la coupe d'Hygie qui est devenue le symbole de beaucoup d’associations pharmaceutiques dans
le monde sous forme d’un patera ou bol médicinal dans lequel boit un serpent enroulé autour de son
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pied et que l’on retrouve à ce titre sur de nombreux timbres (46-49).
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On retrouve le serpent sur d’autres symboles concernant la médecine. Synonyme de vie et de vigueur
parce qu'il possède la propriété de changer de peau, retrouvant ainsi l'apparence de la jeunesse, le
serpent connait aussi les vertus des plantes médicinales. En s'insinuant dans les fissures de la Terre,
jusqu’aux enfers, il est aussi censé connaître tous les secrets entourant la mort ! Et s’il symbolisait
aussi l’harmonie de la vie sur la Terre, possédant la sagesse et le pouvoir de guérison, notamment en
Egypte, il était aussi une incarnation du diable depuis Adam et Eve (50-52).
On le retrouve donc logiquement sur le bâton d’Asclépios et sur la baguette d'Hermès, tous deux
nommés caducée dans le langage courant, mais pourtant différents. Pour le premier, la légende rapporte qu'Asclépios, voyant un serpent se diriger vers lui, tendit son bâton autour duquel l’animal s'enroula. Asclépios frappa le sol et tua la bête. On retrouve donc logiquement ce serpent sur de nom-
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breux timbres concernant l’art de guérir (53-56).
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On le retrouve notamment sur le sigle de l’O.M.S. repris par de nombreuses postes de par le monde
(57-62).
Le bâton et le serpent seront volontiers stylisés en philatélie (63-67).
Le bâton et le serpent peuvent se trouver dans un gyrophare d’ambulance (68), remplacer un totem
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(69) ou une torche, symbole de la lumière guidant l’ignorant (70).
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Selon la légende, un second serpent apparut, tenant dans sa bouche une herbe mystérieuse avec laquelle il sauva son congénère, révélant à Asclépios la vertu médicinale des herbes ce qui fait que ce
bâton d’Asclépios, qui n’est pas sans rappeler le bâton de Moïse guidant son peuple, est aujourd’hui
confondu avec le caducée d’Hermès, baguette de laurier ou d'olivier surmontée de deux ailes et entourée de deux serpents entrelacés (71-73).
La légende rapporte qu'Apollon échangea avec son demi-frère Hermès une baguette en or contre une
lyre et qu’Hermès l'utilisa un jour pour séparer deux serpents, qui s’y enroulèrent en sens inverse.
Ce caducée devint donc l’un des attributs d’Hermès, dieu du commerce (74) et des voleurs dans la
mythologie grecque, car les serpents symbolisent aussi la ruse, mais aussi, comme en témoignent les
ailes, le messager des dieux et à ce titre le premier postier et maître des télécommunications, honoré
comme tel (75-77).
Il n’y avait donc aucune raison qu’il soit utilisé comme emblème médical mais, sans doute à cause de
Willam Butts (1486-1545), chirurgien d’Henri VIII, une confusion apparut avec le bâton d'Esculape et
le caducée devint à son tour l'emblème de la profession médicale, comme en témoigne de très nom-
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breux timbres parfois également fortement stylisés (78-81).
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Cet emblème est logiquement utilisé pour symboliser la médecine volante (82)!
Rapidement le dieu Asclépios et ses enfants furent vénérés par des prêtres-médecins, les Asclépiades,
dans des temples-cliniques, où furent retrouvés de nombreux ex-voto(83-84), témoins d’une certaine
efficacité de cette médecine magico-religieuse.
Parmi ces premiers lieux de soin, citons le temple d’Apollon à Delphes, dont le tholos est souvent représenté (85-86), l’acropole d’Athènes (87), les temples de Titane ou celui d’Epidaure et son célèbre
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théâtre (88), puis plus tard ceux de Cnide et de Cos, la ville d’Hippocrate.
Même si ses biographes en firent un descendant d’Esculape, Hippocrate naquit d’une famille
d’Asclépiades réputée de l’île de Cos vers 460 avant J.-C. et mourut vers 360 ou 375 en Thessalie. Il est
considéré comme le père de la médecine notamment grâce au Corpus Hippocratum, mais cet en-
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semble d’écrits est davantage l’œuvre d’une époque à cheval sur les Ve et IVe siècles avant J.-C. (entre
450 et 350), que d’une école et encore moins d’un homme…
On est d’ailleurs en droit de se poser la question de savoir si, malgré les nombreux timbres à son effigie dans les postes du monde entier (89-97), Hippocrate mérite ce titre de père de l’art de guérir tant
le legs qu’il fit à la médecine moderne est pauvre dans le domaine de l’anatomie et de la physiologie
avec le côté archaïque et spéculatif de la doctrine des humeurs, comme dans celui du diagnostic, purement contemplatif, avec beaucoup d’emprunt à l’école concurrente de Cnide, sans parler de sa thérapeutique, pauvre et peu innovante.
Sans doute son titre de « père de la médecine » tient-il davantage au rôle qu’il joua pour délivrer la
médecine du sacré et pour avoir fixé les règles de la relation entre le médecin et son malade à une
époque où aucun diplôme était nécessaire pour exercer, serment encore aujourd’hui d’actualité dans
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les facultés du monde entier (98).
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La chirurgie inspira également les postes, notamment à travers les représentations artistiques de
l’épopée de la guerre de Troie (99-100) ou des conquêtes romaines (101).
La médecine grecque puis romaine de cette époque est aussi considérée comme le début de
l’approche clinique qui reste un thème postal récurrent, notamment avec la reproduction de la célèbre fresque représentant Jason palpant le ventre d’un enfant conservée au British Museum (102103).
Le rôle de l’enseignement de l’art de guérir est également volontiers mis à l’honneur (104). Selon la
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légende, Hippocrate délivrait le sien sous un arbre (105), sans doute par relent animiste…
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Malgré cela, ses élèves furent médiocres pour la plupart, tentant de concilier la médecine clinique de
leur maître avec la physiologie d’Aristote (384-322), l’autre grande figure de l’histoire de la médecine
de la Grèce antique, théoricien de la médecine, mais non médecin lui-même, grand inspirateur des
postes du monde entier (106-114).
En attendant l’apogée de la civilisation romaine, Dioscoride (20-90) (115), botaniste, possède une
place à part dans l’histoire de la médecine de cette période.
Son œuvre, maintes fois traduite, en latin sous le nom de De Materia Medica, mais aussi en syriaque,
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arabe, persan et diverses langues européennes, fut une source de connaissances majeures en matière
de remèdes de nature végétale, animale ou minérale.
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Rome intégra le culte grec d’Asclépios qui devint Esculape (116-117), mais, progressivement, s’installa
aussi une médecine rationnelle venue de Grèce, via Alexandrie, par l’immigration de médecins
«grecs».
Pilier essentiel de la médecine entre Hippocrate et Galien, modèle du clinicien
objectif et éclairé, indépendant de toutes les écoles et sectes qui fleurirent à
Alexandrie, thérapeute avisé et prudent, Arétée de Cappadoce (120-200)
(118) fut l’un d’eux. Ce médecin de l’époque de Trajan peut en effet être con-
sidéré comme le vrai digne successeur d’Hippocrate en ce qui concerne la
médecine d’observation et l’humorisme. Le seul timbre qui lui est consacré
nous rappelle qu’on lui doit notamment une description de la polyuropolydipsie avec amaigrissement dans le diabète sucré.
Praticien habile, clinicien brillant, excellent orateur, bon enseignant, mais prétentieux à outrance,
convaincu de son intelligence, Galien (131-216) (119-121), dernier grand médecin de l’Antiquité, est
souvent considéré comme le deuxième père fondateur de la médecine, mais les postes du monde lui
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rendirent moins hommage qu’à Hippocrate.
Toute référence à cet article doit préciser :
Hutin JF. : Une brève histoire de la médecine antique illustrée par la philatélie. Clystère
(www.clystere.com), n° 50, 2016.
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L'Egypte comme modèle de la science médicale dans le monde antique :
Mythe ou réalité ? Enquête dans la littérature latine
Joëlle JOUANNA-BOUCHET
Université de Lorraine
Contact : [email protected]
Si l’on veut étudier l’image de la médecine égyptienne chez les Romains, on se trouve confronté à un
double problème. Tout d’abord, dans quel type d’ouvrages convient-il de chercher cette image : chez
les spécialistes, ou chez les profanes ? Il est vraisemblable, en effet, que cette différence de point de
vue ait une influence sur l’opinion que ces auteurs ont de la médecine égyptienne.
D’autre part, peut-on isoler un corpus de textes médicaux latins qui ait une vision propre sur ce
point ? Car la littérature médicale de langue latine se développe parallèlement à une littérature médicale de langue grecque, dont elle s’inspire. Mais s’en distingue-t-elle vraiment ?
Après avoir rappelé brièvement quelle image la littérature grecque donne de la médecine égyptienne,
nous verrons, dans un premier temps, ce que devient cette image dans le monde romain, en enquêtant chez les auteurs techniques comme chez les non-spécialistes. Nous essaierons ensuite de vérifier
si cette image - ou ces images - que propose la littérature latine correspondent à la réalité de la médecine égyptienne, que l’on peut connaître par le témoignage des papyrus médicaux égyptiens. Et
pour finir, nous nous intéresserons plus particulièrement à une partie de la médecine qui offre des
points de convergence assez remarquables entre la médecine pratiquée chez les Égyptiens et celle qui
est pratiquée chez les Romains : le domaine des compositions médicales.
L’image de la médecine égyptienne dans la littérature grecque
Chez les Grecs, depuis l’épopée homérique jusqu’aux rois perses des guerres médiques, le prestige de
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la médecine égyptienne (1) n’a pas connu d’éclipse. Dans un passage de l’Odyssée qui constitue un
texte de référence pour l’excellence des médecins égyptiens, Hélène versait dans la coupe de ses invités, Télémaque et le jeune Pisistrate, fils de Nestor, une drogue magique appelée népenthès, sans
doute du pavot, qui calmait toutes les souffrances et faisait oublier les deuils, drogue qu’elle avait
reçue en cadeau de Polydamna, l’épouse du roi d’Égypte (2). C’est aussi chez les Égyptiens que les rois
perses cherchaient d’abord leurs médecins : le grand Cyrus, le fondateur de la dynastie, avait demanwww.clystere.com / n° 50.
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dé au pharaon Amasis un « médecin pour ses yeux, le meilleur qu’il y eût en Égypte » (3) et Darius, qui
s’était foulé le pied en sautant de cheval, avait lui aussi commencé par faire appel à ses médecins
habituels, des Égyptiens « qui passaient pour être les premiers dans l’art de la médecine » (4).
Mais la brutalité de leurs méthodes et les douleurs qu’il
dut endurer le détourna d’eux et le poussa à recourir aux
services d’un médecin d’origine grecque, Démocédès de
Croton (5), qui figurait parmi ses captifs de guerre. Et ce
n’est que plus tard que les rois de Perse commencèrent à
faire appel aux médecins grecs, comme le fit Artaxerxès
Ier avec Hippocrate [Fig.1], qui, on le sait, refusa son aide
à cet ennemi des Grecs (6). D’autres témoignages de la
littérature grecque viennent encore confirmer cette flatteuse réputation de l’Égypte, dont celui d’Isocrate, au IVe
siècle, qui en faisant l’éloge de l’Égypte (7) dans son Busiris (22), n’oublie pas de vanter sa médecine, de même
que plus tard celui de Diodore de Sicile (8), au Ier s. avant
Figure 1 : Hippocrate. © BIU Santé Médecine
J.-C., qui rapporte les traitements purgatifs dont usent les
Égyptiens pour prévenir les maladies (9).
Il existait donc bien dans la Grèce classique un véritable mythe de l’Égypte, comme modèle de la
science médicale. Néanmoins, il faut reconnaître que ce mythe est surtout entretenu par des nonspécialistes et qu’il disparaît dans la littérature médicale avec le développement de la médecine rationnelle grecque (10). Aussi, dans la reconstruction de l’histoire de la médecine que l’on trouve chez
les médecins grecs, l’Égypte en tant que puissance médicale n’a plus désormais qu’un rôle modeste,
voire inexistant, chez Hippocrate ou Galien.
Que devient chez les Romains cette réputation mythique de l’Égypte comme mère de la médecine,
que l’on trouve dans des ouvrages non-scientifiques ? Et peut-on constater la même différence
d’appréciation sur la place de l’Égypte dans l’histoire de la médecine selon que les auteurs écrivent ou
non des ouvrages techniques ?
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Pour mener l’enquête, nous nous intéresserons à la période qui voit se développer la médecine proprement romaine, c’est-à-dire le premier siècle après Jésus-Christ. A cette époque en effet apparaissent les premiers ouvrages médicaux écrits en latin qui nous sont connus, comme le De medicina de
Celse (11) ou les Compositiones, recueil de compositions médicales écrit par le médecin Scribonius
Largus (12) : quelle place ces auteurs accordent-ils à l’héritage égyptien ? Et cette place est-elle la
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même dans des ouvrages médicaux plus tardifs comme ceux de Caelius Aurelianus, Marcellus ou Cassius Felix, écrits entre la fin du IVe siècle et le début du Ve siècle de notre ère, période particulièrement
riche en productions médicales latines ? Quelle image enfin les auteurs latins qui sont extérieurs au
champ proprement dit de la médecine donnent-ils de la médecine égyptienne ?
L’image de la médecine égyptienne dans la littérature latine
Dans la littérature scientifique
Pour ce qui est des textes strictement médicaux, il faut bien reconnaître qu’ils ne nous livrent que peu
de renseignements sur l’image de l’Égypte et, en tout cas, il est certain qu’ils ne voient pas en elle la
source et la mère de la médecine. L’Égypte est sans doute mentionnée à plusieurs reprises, comme on
le verra plus loin, mais essentiellement pour les ingrédients qu’elle produit et qui sont utilisés dans des
remèdes, ou encore pour certaines compositions réputées efficaces, ce qui n’est pas étonnant,
puisque les ouvrages médicaux ont pour but de réunir les remèdes les plus utiles aux malades (13).
Mais les quelques considérations que les auteurs médicaux font sur
l’histoire de la médecine ne laissent aucun doute sur la place que
les spécialistes accordent à l’Égypte dans cette reconstruction :
pour eux, c’est la Grèce qui est la mère de la médecine et en aucun
cas l’Égypte. De fait, quand ils parlent de l’origine de la médecine,
ce sont aux seuls Grecs que les auteurs des ouvrages médicaux rédigés en latin attribuent la découverte de cet art. Ainsi, dans la Préface du livre I du De medicina, Celse [Fig. 2], qui esquisse une brève
histoire de la médecine, admet « qu’il n’est aucun pays où la médecine n’existe pas et que même les peuples les plus ignorants connaissent des herbes ou d’autres moyens qu’ils ont sous la main pour
remédier aux blessures et aux maladies », mais il ne cite pas les
Égyptiens comme une nation qui se distingue particulièrement dans
la maîtrise de cet art ; du reste, l’insignifiance de la médecine égyp- Figure 2 : Celse. In De medicina libri
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octo. Amsterdam, Joannem Wolters,
tienne dans cette reconstruction historique est immédiatement 1713. © BIU Santé Médecine.
confirmée par ce qui suit, puisque Celse affirme : « Toutefois, la
médecine a été notablement plus cultivée chez les Grecs que chez tous les autres peuples » (14). Ainsi
l’auteur remonte, pour les médecins les plus anciens, à Esculape, c’est-à-dire Asklépios (15), et à ses
deux fils Podalire (16) et Machaon (17) qui exercèrent leur art lors de la guerre de Troie. Il est intéreswww.clystere.com / n° 50.
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sant de constater que Celse cite ici les médecins grecs de l’expédition de la guerre de Troie sans plus
faire référence aux médecins égyptiens que le poète Homère déclarait pourtant sans ambiguïté
comme « les plus savants des hommes » (18). En cela, il adopte donc fidèlement le point de vue des
auteurs médicaux grecs (19), qui ignorent la médecine égyptienne. D’ailleurs, parmi les médecins
célèbres qui se sont illustrés dans cet art, Celse ne signale que des médecins grecs, Hippocrate bien
sûr, « aussi remarquable par son talent professionnel que par son éloquence (20) », ainsi qu’Hérophile
(21) et Érasistrate (22). La mention de ces deux grands médecins est justement intéressante, même si
Celse ne donne aucune indication concernant leur lieu d’activité, car ils ont l’un et l’autre exercé leur
art en Égypte, à Alexandrie, grand centre d’enseignement de la médecine à l’époque hellénistique : de
fait, grâce à eux, l’anatomie et la physiologie ont fait des progrès considérables, car ils bénéficiaient
du soutien des rois égyptiens pour pratiquer la dissection des cadavres et la vivisection. Néanmoins,
Alexandrie constitue une sorte d’enclave grecque en Égypte (23) pour la médecine, ce qui fait que la
remarque de Celse sur le grand développement de la chirurgie à Alexandrie à l’époque hellénistique
(24) ne doit pas être considérée comme une reconnaissance de la suprématie d’une médecine proprement égyptienne.
Une opinion identique sur l’origine grecque de la
médecine apparaît quelques années plus tard
chez le médecin Scribonius Largus : ainsi, dans la
lettre dédicatoire qui précède les Compositiones
[Fig. 3], l’auteur fait d’Hippocrate le « père de la
médecine » (conditor nostrae professionis) et,
quand il affirme les principes de l’éthique médicale, il reprend les termes du Serment hippocratique, Serment qui trouve d’ailleurs ici sa première attestation comme texte fondateur de la
médecine (25). De la même manière, chez les
auteurs médicaux tardifs, Caelius Aurelianus,
Marcellus ou Cassius Felix, les références aux
sources de la médecine concernent la seule
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Grèce (26).
On voit donc qu’à l’instar des médecins grecs, les
Figure 3 : Page de titre de Scriboni Largi Compositiones
Medicae. Johannes Rhodius recensuit, Notis illustravit, Lexicon scribonianum adjecit. Patavii : Paulus Frambottus, 1655.
© BIU Santé Médecine.
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spécialistes de la médecine latine n’accordent
que très peu, voire pas de place à l’Egypte dans
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l’histoire de la médecine. Mais l’image de l’Égypte comme modèle médical existait-elle encore au
premier siècle après Jésus-Christ hors de la sphère des spécialistes ?
Parmi les œuvres de cette époque susceptibles d’apporter un témoignage sur l’importance de l’Égypte
dans le domaine médical, l’ouvrage encyclopédique de Pline l’Ancien, l’Histoire Naturelle, constitue
évidemment une source irremplaçable. En effet, dans la seconde partie de cette encyclopédie, l’auteur
montre toutes les substances utiles, les remedia, qu’on peut tirer de la nature et des animaux qu’il a
décrits dans la première partie de son ouvrage, et l’on y trouve maintes mentions de l’Égypte fort
intéressantes, en particulier dans les livres 20 à 32 qui s’apparentent souvent à un véritable recueil de
compositions médicales (27).
Dans la littérature non-spécialisée
Chez Pline justement, on trouve bien l’idée que l’Égypte est le pays qui a vu naître la médecine (28),
même si cette opinion est rapportée par l’auteur comme étant celle qui prévaut chez les Égyptiens
eux-mêmes (29), lui-même ne prenant pas officiellement parti et proposant également une autre
version de l’origine de cet art : « Selon les Égyptiens, la découverte de la médecine aurait été faite
chez eux ; selon d’autres par Arabus, fils de Babylone et d’Apollon» (30). Les sources que Pline utilise
donnent en tout cas un certain crédit à l’idée d’une Égypte patrie d’élection de la médecine, mais pour
des raisons qui touchent moins à l’art des hommes qu’à la qualité du pays, puisque le climat sec et
chaud est particulièrement favorable au règne animal et au règne végétal, et donc à la production
d’ingrédients utilisés dans les recettes médicales. Car, dit Pline, la fertilité de l’Égypte lui vaut de posséder beaucoup d’espèces qui ne se rencontrent pas ailleurs (31). Il reprend d’ailleurs le fameux passage de l’Odyssée (IV, 229-232), rappelant qu’Homère, « l’ancêtre des doctrines et des traditions antiques, a donné la palme pour les herbes à l’Égypte » et que « des herbes d’Égypte furent remises en
grand nombre à son Hélène par la femme du roi, en particulier ce célèbre népenthès qui procurait
l’oubli des chagrins et le pardon, et qu’Hélène aurait sûrement dû faire boire à tous les mortels » (32).
Du reste, non seulement l’Égypte produit quantité de plantes médicinales qu’on ne trouve pas ailleurs
ou qui sont de bien moins bonne qualité, mais en outre, elle voit naître sous ses cieux et surtout dans
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les eaux du Nil qui la traverse nombre d’animaux utiles aux remèdes. Ainsi, parmi les multiples espèces animales qui peuplent le fleuve égyptien, cite-t-il, avec le crocodile, un animal qui lui ressemble
beaucoup, le scinque, qui constitue un ingrédient essentiel pour les antidotes (33), le myax, une sorte
de moule aux propriétés purgatives inégalées (34) ou encore le coracin (35), poisson efficace contre
les scorpions…
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Mieux encore : selon les sources de Pline, l’Égypte ne se contente pas d’être une mine d’ingrédients
pour les remèdes, les animaux eux-mêmes semblent y être doués d’une sorte de prescience médicale
qui les amène à adopter les comportements les plus propres à leur conserver la santé. Ainsi, l’ibis,
oiseau qu’on trouve en Égypte, veille-t-il à son hygiène digestive en utilisant « la courbure de son bec
pour se laver cette portion de l’intestin par où il est essentiel pour la santé que s’évacuent les restes
de la digestion (36) ». Comment, de nouveau, ne pas rester confondu devant l’intelligence médicale
de l’hippopotame, qui naît lui aussi dans les eaux du Nil ? Car il se révèle, selon les mots mêmes de
Pline, « comme un maître dans certaine partie de la médecine ». Et le compilateur nous livre immédiatement la preuve de cette surprenante science (37) : « En effet, quand l’abondance continue de
nourriture l’a rendu trop gras, l’hippopotame sort de l’eau pour inspecter le rivage où l’on vient de
faire une coupe de roseaux ; et là, quand il voit une tige très aiguë, il s’y appuie de façon à se couper
une veine à la jambe ; puis soulagé par cette saignée de la maladie qui le gênait, il recouvre la plaie
de limon (38) ». Ces anecdotes, plaisamment rapportées par l’auteur (39), témoignent en tout cas
que, pour les Romains non-spécialistes, l’Égypte est une terre qui a des liens étroits avec la médecine.
On peut d’ailleurs trouver encore au IVe siècle de notre ère, chez l’historiographe Ammien Marcellin, la
confirmation de ce lien que le public établit entre la médecine et l’Égypte, puisque, selon son témoignage, « un médecin, pour recommander le prestige de son art, n’a qu’à dire qu’il a été formé à
Alexandrie » (40). Néanmoins, il est difficile d’utiliser cette observation pour prouver l’existence et
l’excellence d’une médecine proprement égyptienne : car c’est une indication qui témoigne de la célébrité du centre médical d’Alexandrie, non de celle de la médecine égyptienne.
Chez Pline néanmoins, l’image de l’Égypte n’est pas uniformément positive et son éloge n’est pas
exempt de certaines réticences : car si cette terre est féconde en remèdes et semble susciter tout naturellement des comportements recommandés par les médecins, elle engendre paradoxalement de
nouvelles affections. Selon lui, l’Égypte est la mère des maladies nouvelles que sont le lichen, une
dartre furfuracée contagieuse qui couvrait le visage, le cou, la poitrine et les mains des malheureux
qui en étaient atteints (41) ; ou encore l’éléphantiasis (42), une sorte de lèpre, dont Lucrèce déjà attribuait l’origine à l’Égypte (43). D’ailleurs, ajoute perfidement Pline, l’Égypte est à la fois source du
mal et du traitement, puisque c’est l’occasion pour les médecins spécialistes de ces maladies de venir
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d’Égypte à Rome et de se faire payer à prix d’or des traitements (44), dont on peut dire qu’ils
n’obtiennent pas toujours le résultat escompté. Ce fut le cas notamment du chevalier romain Cossinus, pour qui l’empereur Néron fit venir d’Égypte un médecin spécialiste de cette maladie, un maître
de l’art qui lui administra une potion de cantharides… et le tua (45).
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En conclusion, même si les maladies nouvelles qui en sont issues inspirent une méfiance assez légitime
au public, la réputation de l’Égypte comme patrie de la science médicale paraît trouver encore une
certaine faveur dans la Rome du premier siècle après Jésus-Christ, tandis que chez les médecins euxmêmes, elle a cédé cette place enviable à la Grèce. Cette différence d’appréciation s’explique sans
doute par le fait que les auteurs médicaux latins sont étroitement dépendants de la médecine grecque
dont ils ont hérité et que, la prenant comme source, ils ne songent pas à remettre en question cette
suprématie qu’elle s’est elle-même octroyée.
Mais, même s’ils ne parlent guère de l’Égypte, les médecins de langue latine ont-ils été influencés,
directement ou indirectement, par la science médicale égyptienne ? Quelles traces précises de son
influence peut-on repérer chez eux ? Pour en juger, il faut évidemment faire le point sur ce qu’on connaît de cette science. Pour cela, nous disposons de deux sources de renseignements. La première, et la
seule d’ailleurs pendant longtemps, est constituée par les
témoignages de savants et de médecins grecs comme
Théophraste, Dioscoride et Galien. Ensuite, et c’est la
seconde source de renseignements, on dispose, depuis la
fin du XIXe siècle, de papyrus médicaux découverts en
Haute Égypte dont les plus anciens datent du Moyen Empire, soit environ 2000 ans avant notre ère ; les plus connus de ces papyrus médicaux, une quinzaine environ, sont
le papyrus Ebers [Fig. 4] et le papyrus Edwin Smith, qui
datent tous deux du début du Nouvel Empire (1500 avant
Jésus-Christ), le papyrus de Londres (vers 1350 avant Jésus-Christ) et le papyrus de Berlin (vers 1200 avant JésusChrist) (46). Ces papyrus (47) sont évidemment très importants pour la connaissance de la médecine égyptienne Figure 4 : Papyrus Ebers. Fac-simile du feuillet I.
In Encyclopédie française d'urologie. Pousson,
de l’époque pharaonique, car il s’agit d’un témoignage A. (dir.). Paris : Octave Doin et fils, 1914.
direct beaucoup plus fiable que les témoignages grecs,
d’autant plus que ces papyrus puisent eux-mêmes leurs recettes dans des recueils qui souvent sont
encore bien plus anciens (48). Aussi convient-il de s’intéresser au contenu de ces papyrus, afin de
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mieux comprendre ce qu’était la médecine égyptienne.
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La médecine égyptienne
Son champ d’application
À la lecture des papyrus médicaux, on s’aperçoit tout d’abord que le champ embrassé par la médecine
égyptienne est infiniment plus vaste que ne le laissent supposer les témoignages des médecins grecs,
qui citent surtout des recettes de médicaments. Si les papyrus parlent peu de la cause des maladies,
ils permettent néanmoins de se faire une idée des connaissances des Égyptiens en matière
d’anatomie et de biologie, et surtout de traitements. Il n’est évidemment pas possible de faire ici une
étude exhaustive de tous les aspects de cette médecine égyptienne. Disons seulement que, pour ce
qui est des connaissances anatomiques égyptiennes (49), si elles paraissent sans doute primitives aux
lecteurs modernes (50), elles ne sont cependant pas si scandaleusement arriérées, quand on les compare à celles qui avaient cours en Grèce au temps du « Père de la médecine », Hippocrate. Ainsi, voici
la méthode par laquelle les Égyptiens vérifiaient si une femme était stérile ou non : il fallait « introduire de l’ail dans son vagin, et voir le lendemain si l’odeur de l’ail est passée dans sa bouche ; si oui,
elle est capable de concevoir ; sinon, c'est qu’il y a un obstacle à la conception (51)». Or, on trouve la
même croyance et le même test dans le traité grec hippocratique des Femmes Stériles (52).
Nous nous limiterons cependant ici à l’étude des traitements médicamenteux, car c’est certainement
la pharmacopée égyptienne qui a le plus fortement influencé les générations de médecins de l’époque
romaine (53).
Et comme les écrits médicaux latins donnent de nombreuses recettes, une comparaison entre des
compositions latines et celles que donnent les papyrus peut apporter des informations utiles pour
apprécier une influence éventuelle de l’Égypte sur la médecine antique, dans le domaine de la pharmacologie.
Les différents types de recettes dans la médecine égyptienne
Les recettes égyptiennes se partagent assez nettement en deux grandes catégories : les recettes ma-
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giques, et celles qu’on pourrait qualifier de « rationnelles ». De fait, à l’origine, religion et médecine
sont étroitement liées en Égypte, et il n’est pas rare de trouver dans les papyrus des formules magiques censées guérir le malade, à prononcer en même temps qu’on applique le médicament dont la
recette est indiquée (54). Cela tient au fait que, pour les Égyptiens, les maladies, notamment les maladies internes, sont causées par une divinité mauvaise qui s’insinue dans le corps. Aussi le traitement
de ces maladies a-t-il été dans un premier temps du ressort des prêtres. Il arrivait cependant que les
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prêtres proposent d’appliquer quelques onguents ou crèmes, en même temps qu’on prononçait
l’incantation. Par la suite, progressivement, sans doute parce que le remède utilisé sans la formule
magique obtenait un résultat comparable (55), la médecine n’a plus été réservée aux seuls prêtres. Il
est frappant d’ailleurs de constater que, en Égypte, plusieurs corporations intervenant dans le domaine médical coexistent, de manière pacifique apparemment, des prêtres, des magiciens et des médecins, qui soignaient en utilisant des prières incantatoires, des procédés magiques, ou des traitements appris auprès d’un maître (56). Toutefois, la médecine égyptienne, pratiquée par des médecins
qu’on appelle sounous (57), existe bel et bien en tant que telle (58) et peut donc offrir matière à comparaison avec les textes médicaux de l’Antiquité.
Nous laisserons donc de côté les recettes médicales égyptiennes plus ou moins teintées de magie (59),
qui prescrivent par exemple l’utilisation d’excréments de crocodiles ou d’hippopotames (employés
souvent en fumigations), ou même de chiures de mouches par exemple dans la composition de suppositoires vaginaux (60), pour examiner des recettes qu’on peut dire « rationnelles » à base de
plantes, broyées, en infusion ou en décoction, de substances animales ou minérales, car ces compositions sont souvent très proches de celles que l’on trouve chez les médecins grecs et romains.
Recettes égyptiennes et recettes des textes médicaux latins
Trois recettes de collyres
Dans un premier temps, la comparaison de trois recettes de collyres, la première venant d’un papyrus
médical égyptien, les deux autres de recueils médicaux latins permettra tout d’abord d’apprécier plus
précisément la réalité d’une influence de la médecine égyptienne sur la médecine latine (61). Nous
nous intéresserons ensuite plus précisément aux ingrédients que l’on trouve dans les ouvrages médicaux et dont l’origine égyptienne est indiquée explicitement.
Dans les textes médicaux anciens, les recettes consacrées aux affections des yeux représentent souvent une partie importante des remèdes. De fait, en Égypte comme en Grèce ou à Rome, les ophtal-
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mies sont fréquentes, ce qui explique le nombre élevé de ce type de compositions, parmi lesquelles les
trois recettes suivantes, destinées à soigner une conjonctivite avec écoulement d’humeur brûlante.
Les ingrédients cités peuvent paraître mystérieux, mais ils correspondent bien à des réalités, et leur
comparaison est intéressante.
La première est une recette égyptienne transmise par le papyrus Ebers (366) qui donne les indications
suivantes : « 1/32 de galène (la galène est du sulfure naturel de plomb), 1/16 de suc de baumier, 1/16
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de calamine (62), 1/64 d’ocre rouge (63), 1/64 d’oliban frais (l’oliban est le nom donné en médecine à
la résine qu’on appelle aussi encens), 1/64 de minéral-sia du Sud. Ce sera broyé finement, préparé en
une masse homogène, et placé dans les yeux jusqu’à ce qu’ils guérissent parfaitement (64)».
La seconde recette, prescrite pour la même indication, provient du De medicina de Celse. Il s’agit d’un
collyre transmis par le célèbre médecin Euelpidès (65), qu’il conseille d’employer en application et qui
contient les ingrédients suivants : « Suc de pavot et poivre blanc une once de chaque, une livre de
gomme, une drachme et demie de cuivre brûlé (66)».
Quant à la troisième recette, elle est transmise par Scribonius Largus dans ses Compositions médicales (Compositiones au chapitre 26 : « huit deniers de pompholyx lavé (ou arsenic blanc), huit deniers de cuivre brûlé, quatre deniers de safran, quatre deniers de myrrhe, six deniers et demi de nard,
deux deniers et demi de pierre hématite, dix grains de poivre blanc, un denier et demi d’opium, dix
deniers de gomme. On broie le tout dans du vin de Chios (67) ».
Ressemblances entre les recettes
La comparaison de ces recettes montre bien une certaine parenté, que ce soit dans la formulation, la
préparation ou la composition même : dans les trois exemples en effet, la recette commence par les
ingrédients et leur dosage et, dans deux cas, la façon d’associer ces ingrédients en les broyant est
indiquée. Des trois recettes, c’est la recette égyptienne qui semble la plus complète, puisqu’elle ajoute
une indication d’emploi et de durée d’utilisation du remède. Ce type d’indications apparaît aussi dans
des recettes latines plus longues, mais nous avons sélectionné ici des recettes assez courtes pour permettre une comparaison plus aisée des ingrédients. La composition des trois collyres offre des ressemblances assez notables en ce qui concerne les types d’ingrédients : car chacun associe des ingrédients minéraux aux vertus astringentes et antiseptiques, comme les sulfates de zinc, de cuivre, de fer
et de plomb, et des ingrédients végétaux qui ont à la fois des vertus astringentes, comme la gomme,
le suc de baumier, la myrrhe et l’encens, et des vertus anesthésiques et calmantes, comme le suc de
pavot, l’opium et le safran (68).
Dans le détail, les ingrédients de la recette égyptienne ne sont pas exactement identiques (69) à ceux
que l’on trouve chez Celse et Scribonius, mais les ingrédients minéraux et végétaux employés dans le
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remède égyptien, comme le sulfure de plomb (galène), l’argile rouge (ocre rouge), la calamine (oxyde
de zinc carbonaté natif), sont également utilisés dans d’autres recettes médicales grecques et romaines, de même que les végétaux cités (suc de baumier (70) et oliban, c’est-à-dire encens (71)).
Cette comparaison entre une recette égyptienne et des recettes latines - qui dépendent de la tradition
grecque et qui, à ce titre, sont plus éloignées encore des sources égyptiennes - fait donc apparaître un
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certain nombre de ressemblances dans la composition, la préparation et l’indication des remèdes.
Mais ces ressemblances, qui témoignent d’une bonne connaissance de la pharmacologie dans
l’Égypte pharaonique, ne sont cependant pas suffisantes pour mettre en évidence une influence égyptienne sur la médecine gréco-romaine, même s’il est fort possible que des emprunts à l’Égypte aient
été faits par la médecine grecque dans des temps anciens.
En somme, la médecine égyptienne ne paraît pas avoir eu une influence particulière sur la médecine
gréco-romaine, et la contribution de l’Égypte semble bien se réduire, en tout cas dans les textes médicaux grecs et latins, à la mention d’ingrédients (72) qui se trouvent explicitement associés à l’Égypte,
leur terre d’origine, ce qui constitue visiblement une garantie de leur qualité.
Les ingrédients d’origine minérale ou végétale associés à l’Égypte dans la littérature médicale antique
Chez les médecins grecs
En effet, c’est déjà l’Égypte, qui est citée le plus fréquemment dans la Collection hippocratique parmi
les pays lointains fournissant des remèdes. On peut relever ainsi : le crocus d’Egypte, le fruit de l’épine
d’Égypte, la fève d’Égypte, le gland d’Égypte (73), l’huile d’Égypte, l’huile blanche d’Égypte, la myrrhe
d’Égypte, la myrrhe blanche d’Égypte, ainsi que des substances minérales (4 en tout) : alun d’Égypte,
nitre d’Égypte, sel d’Égypte, terre d’Égypte (74). Chez Galien, cette liste va même s’allonger encore :
en effet, non seulement il reprend sept des ingrédients déjà cités chez Hippocrate (la fève d’Égypte,
l’épine d’Égypte et son suc, la myrrhe d’Égypte, l’huile blanche d’Égypte, le gland d’Égypte, l’alun
d’Égypte, la terre d’Égypte), mais il en ajoute encore au moins dix autres : les dattes d’Égypte, le kyphi
d’Égypte (75), la gomme d’Égypte, la plante appelée bouphthalmon d’Égypte (76), le ricin auquel
Galien donne son nom égyptien de cici (77), le roseau d’Égypte, le cumin d’Égypte (78), le chou
d’Égypte (79), le sory d’Égypte (80), et même un escargot d’Égypte, sans compter de nombreux em-
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plâtres dits égyptiens.
Chez les médecins latins
Chez les auteurs médicaux latins, on constate un appauvrissement évident de ces ingrédients
d’origine minérale ou végétale, associés à l’Égypte, en particulier au 1er siècle après Jésus-Christ,
même si l’on retrouve toujours un ensemble de base (81). Ainsi, Celse ne donne plus que sept ingréwww.clystere.com / n° 50.
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dients simples venant d’Égypte : l’alun d’Égypte (82), le sel ammoniac d’Égypte (83), la fève d’Egypte,
dont il se sert à la fois comme ingrédient (84) et comme unité de mesure (85) et le roseau
d’Alexandrie (86), la gomme ammoniaque (87), le suc de sycomore (88) et le papyrus calciné (89) ou
roulé (90).
Quant à Scribonius Largus, il ne cite plus que trois ingrédients qu’il met explicitement en relation avec
l’Égypte, la gomme d’Alexandrie (91), l’alun d’Égypte (92) et la fève d’Égypte (93), dont il se sert
d’ailleurs seulement comme unité de mesure (94).
Et c’est finalement encore chez Pline, le profane, qu’on recense le plus grand nombre d’ingrédients
égyptiens pour leur utilisation médicale, puisqu’il en relève plus d’une trentaine (95).
Mais cette abondance ne peut masquer le fait que les ingrédients explicitement associés à l’Égypte
deviennent de plus en plus rares dans les textes médicaux tardifs, puisqu’on compte dans le meilleur
des cas neuf ingrédients chez Marcellus (96) et, dans le pire des cas, quatre ingrédients chez Caelius
Aurelianus (97), de même que chez Cassius Felix (98).
En conclusion donc, au premier siècle de notre ère, si la médecine égyptienne n’a pas entièrement
perdu son prestige, ce sont essentiellement des profanes qui entretiennent le mythe de cette réputation glorieuse, comme le montre l’Histoire Naturelle de Pline. Mais ce témoignage, pour important
qu’il soit, ne peut cacher la réalité, et le déclin de l’Égypte en tant que sommité dans l’art de la médecine, déjà sensible dans la littérature médicale grecque, se confirme et s’accentue dans la littérature
médicale latine (99). Pour les auteurs médicaux latins, il n’est plus désormais d’autre médecine que la
médecine grecque, ils n’ont d’autre ambition que de l’adapter à leur culture et à leur langue : sic transit gloria mundi…
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Références
1- Cette médecine égyptienne dont les débuts se situent vers 2000 av. J.-C. est connue par les témoignages des Grecs, mais aussi par les découvertes de papyrus médicaux importants. Voir, à ce sujet,
l’ouvrage de TH. BARDINET, Les papyrus médicaux de l’Égypte pharaonique, Paris, Fayard, 1995.
2- Od. IV, 230-232 : Homère dit de cette terre d’Égypte qu’elle « produit avec le blé mille simples
divers : les uns sont des poisons, les autres des remèdes ; pays de médecins, les plus savants du
monde, tous du sang de Pæon » (Trad. V. BÉRARD). Pæon est un dieu guérisseur, médecin des dieux
dans l’Iliade, qui fut plus tard confondu avec Apollon. Pour le népenthès, sans doute du pavot, voir J.
ANDRÉ, Les noms de plantes dans la Rome Antique, Les Belles Lettres, Paris, 1985, p. 171. Voir aussi C.
FROIDEFOND, Le mirage égyptien dans la littérature grecque d’Homère à Platon, Aix-en-Provence,
1971, p. 54-68. Ce passage de l’Odyssée (IV, 227-232) sera repris par Diogène Laërce (Vie des philosophes 3, 7) pour justifier l’excellente réputation des médecins égyptiens qui auraient soigné Euripide, tombé malade en Égypte.
3- Hérodote, III, 1 (Trad. Ph.. LEGRAND, CUF, 1967).
4- Hérodote, III, 129-130 (Trad. Ph. LEGRAND, CUF, 1967).
5- Le même Démocédès soigna ensuite la reine Atossa d’un abcès au sein (Hérodote, III, 133-134).
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6- Voir Hipp., Lettres 4 et 5. Cet épisode extrêmement célèbre a été repris par Caton qui voyait dans
ce refus une raison majeure de se défier des médecins grecs, censés avoir tous fait le serment de ne
pas soigner les ennemis de la Grèce (voir Plutarque, Vie de Caton l’Ancien, 23, 3-4 (350c). On trouve
également la mention de ce refus d’Hippocrate chez Galien, Que l’excellent médecin est aussi philosophe, III, 1 (V. BOUDON-MILLOT (ed.), CUF, Paris, 2007, p. 288.
7- Il faut remarquer toutefois qu’il s’agit d’un éloge paradoxal : l’Égypte avait sur certains points une
mauvaise réputation, en particulier pour son caractère inhospitalier, souligné par Euripide dans sa
pièce Hélène.
8- Diodore de Sicile, I, 82 : « Pour prévenir les maladies, ils se soignent au moyen de lavements, de
diètes et de vomitifs, tantôt quotidiennement, tantôt en les espaçant de trois ou quatre jours. Ils
disent en effet que lorsque toute la nourriture a été distribuée dans le corps, l’excédent forme un
résidu et que c’est de là que viennent les maladies. Ainsi, les traitements dont nous venons de parler,
supprimant ce qui est à l’origine des maladies constitueraient les meilleurs moyens de préserver la
santé » (Texte établi par P. BERTRAC, traduit par Y. VERNIERE, CUF, Paris, 1993).
9- Hérodote avait déjà signalé que les Égyptiens usaient de vomissements et de lavements pour purger leur corps et se préserver ainsi des maladies (II, 77).
10- Dans son article « Médecine égyptienne et médecine grecque » in J. JOUANNA et J. LECLANT (eds.),
La médecine grecque antique (Actes du 14e colloque de le Villa Kérylos, Beaulieu-sur-mer, 10-11 octobre 2003), Cahiers de la villa « Kérylos » 15, Paris, Académie des inscriptions et belles lettres, diffusion De Boccard, p. 1-21, J. JOUANNA met ainsi en évidence le remarquable hellénocentrisme de la
médecine hippocratique : chez Hippocrate, la médecine égyptienne n’existe plus, puisque l’Égypte
fait partie des Barbares qui n’usent pas de la médecine.
11- Le De medicina est généralement daté du règne de Tibère. Voir G. SERBAT, De la médecine, CUF,
Paris, 1995, p. VII-XI.
12- Les Compositiones ont été écrites entre 44 et 47, comme le montrent divers renseignements que
fournit l’œuvre elle-même, ainsi que l’Epître dédicatoire adressée à Calliste, puissant affranchi de
l’empereur Claude et procurator a libellis, charge qu’il a obtenue en 47, après la mort de Polybe.
13- On trouve aussi chez Celse la mention de quelques médecins d’origine « égyptienne », comme le
montre M.-H. MARGANNE dans son article « Thérapies et médecins d’origine « égyptienne » dans le De
medicina de Celse, in C. DEROUX (ed.), Maladie et maladies dans les textes latins antiques et médiévaux. Actes du Ve Colloque International « Textes médicaux latins de l’Antiquité et du Haut Moyen
âge » (Bruxelles, 4-6 sept. 1995), Latomus, Bruxelles, 1998, vol. 242, p. 137-150 (p. 140-144).
14- Voir Celse, De med. I, Prooem. 1 (Trad. G. SERBAT, CUF, Paris, 1995) : haec nusquam quidem non
est, siquidem etiam imperitissimae gentes herbas aliaque prompta in auxilium uulnerum morborumque nouerunt. Verum tamen apud Graecos aliquanto magis quam in ceteris nationibus exculta
est…
15- Asklépios, fils d’Apollon et de Coronis, était considéré comme le dieu de la médecine, et les malades se rendaient dans ses sanctuaires, comme celui d’Épidaure, pour obtenir leur guérison. Voir
Celse, De medicina, Prooem. I, 1 : utpote cum uetustissimus auctor Aesculapius celebretur qui, quoniam adhuc rudem et uulgarem hanc scientiam paulo subtilius excoluit, in deorum numerum receptus
est. Huius deinde duo filii Podalirius et Machaon bello Troiano ducem Agamemnonem secuti non mediocrem opem commilitonibus suis attulerunt.
16- Voir Il. 2, 731 ; 11, 833. C’est l’ancêtre des Asclépiades, dont descend « par descendance mâle »
la famille du célèbre médecin Hippocrate. Pour Hippocrate, voir J. JOUANNA, Hippocrate, Fayard, 1992.
17- Voir Il. 2, 729 ; 4, 13 ; 11, 506 ; 14, 2.
18- Voir note 2.
19- Ce silence concernant l’existence de la médecine égyptienne est remarquable dans le traité hippocratique de l’Ancienne médecine, mais le même point de vue est adopté par Platon dans la République, (III 405d-406a), puisqu’il ne parle lui aussi que des médecins grecs de l’expédition qui sont
vantés dans l’Iliade.
20- De med. I, Prooem. 8 (Trad. G. SERBAT).
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21- Hérophile de Chalcédon en Bithynie vécut à Alexandrie sous le règne de Ptolémée I et fonda
l’anatomie en tant que discipline scientifique. Voir H. Gossen, RE VIII 1, Herophilos (n° 4), c. 11041110. Les témoignages sur Hérophile sont rassemblés par H. von Staden dans Herophilus. The Art of
Medecine in early Alexandria, Cambridge Univ. Press, 1989.
22- Érasistrate a notamment distingué le cervelet du cerveau et différencié les nerfs moteurs des
nerfs sensitifs. Voir M. WELLMANN, RE VI, c. 333. Voir également I. GAROFALO, Erasistrati fragmenta,
Pise, Giardini, 1988.
23- Voir J. BRUNSCHWIG, G. LLOYD, avec la collaboration de P. PELLEGRIN, Le Savoir grec, Flammarion,
1996, p. 243-244.
24- De med. 7, Prooem. 3 : Deinde postaeaquam diducta ab aliis habere professores suos coepit, in
Aegypto quoque Philoxeno maxime increuit auctore qui pluribus uoluminibus hanc partem diligentissime conprehendit : « Séparée plus tard des autres branches, la chirurgie eut des maîtres particuliers
et fit des progrès en Égypte grâce surtout à Philoxène, qui a composé sur la matière un traité spécial
en plusieurs volumes ».
25- Pour une analyse de ce passage, voir K. DEICHGRÄBER, « Professio medici. Zum Vorwort des Scribonius Largus », in Abh. Akad. Wiss. Lit. Mainz, Geistes-u. sozialwiss. Kl., 1950, p. 855-879, (p. 861), et
PH. MUDRY, « Éthique et médecine à Rome : la Préface de Scribonius Largus ou l’affirmation d’une
singularité », in Entretiens de la Fondation Hardt, Vandœuvres, 1997, p. 297-336, (p. 305-306).
26- Voir Cael. Aur., acut. 1, Praef. 1-2 ; Marc., De med., ep. 1 ; Cass. Fel., De med., Praef.
27- Dans cette étude, je mettrai en évidence les exemples les plus frappants qui illustrent l’image
donnée par Pline d’une Égypte patrie de la médecine et qui permettent d’apprécier la différence
entre la vision qui prévaut dans la littérature des spécialistes et celle qui apparaît chez les nonspécialistes. Pour une étude exhaustive de l’Égypte et de la médecine chez Pline, il faut se reporter
au très riche article de M.-H. MARGANNE, « l’Égypte médicale de Pline l’Ancien », in G. SABBAH (éd.),
Le latin médical. La constitution d’un langage scientifique. Réalités et langage de la médecine dans le
monde romain. Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 1991, p. 155-171 (Centre
Jean-Palerne. Mémoires X).
28- Pline signale aussi que l’alphabet aurait été inventé en Égypte par un nommé Ménon, selon le
témoignage d’Antidide (N. H. 7, 193), de même que la peinture (N. H. 7, 205).
29- La même origine égyptienne pour l’invention de la médecine est rapportée par Clément
d’Alexandrie, à la fin du IIe siècle après Jésus-Christ (Stromates, I, 16, 75, 2), à cette différence que
l’auteur n’attribue pas aux Égyptiens cette croyance. En effet, il écrit dans le chapitre intitulé Presque
toutes les inventions civilisatrices sont dues aux Barbares : « la médecine, dit-on, fut inventée par
Apis, Égyptien autochtone, avant l’arrivée d’Io, et plus tard seulement perfectionnée par Asclépios »
(Trad. M. CASTER, éd. du Cerf, 1951).
30- N. H. 7, 196 : Medicinam Aegyptii apud ipsos volunt repertam, alii per Arabum, Babylonis et Apollinis filium (Trad. R. SCHILLING). Cet Arabus, fils d’Apollon et de Babylone, n’est apparemment pas connu. Voir CUF, 1977, note 7, p. 240.
31- N. H. 13, 56 : Et Aegypto multa genera quae non aliubi, ante omnia ficus ob id Aegyptia cognominata.
32- N. H. 25, 11 : Homerus quidem primus doctrinarum et antiquitatis parens (…) gloriam herbarum
Aegypto tribuit (…). Herbas certe Aegyptias a regis uxore traditas Helenae suae plurimas narrat ac
nobile illud nepenthes obliuionem tristitiae ueniamque adferens et ab Helena utique omnibus mortalibus propinandum.
33- N. H. 8, 91.
34- N. H. 32, 95. On ne peut l’identifier de façon certaine, mais il est possible qu’il s’agisse du Mytilus
edulis. Voir E. DE SAINT-DENIS, C.U. F., 1966, note 3, p. 114.
35- N. H. 9, 68 ; 32, 56. Il s’agit du Labrus niloticus, Cuvier ou Tilapia nilotica le Bolti, Jones, à distinguer du petit castagneau (Sparus chromis L.). Voir E. DE SAINT-DENIS, N. H. 32, 56, C.U. F., 1966, note 2,
p. 99.
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36- N. H. 8, 97 : Simile quiddam et uolucris in eadem Aegypto monstrauit, quae uocatur ibis, rostri
aduncitate per eam partem se perluens, quae reddi ciborum onera maxime salubre est. Trad. A. ERNOUT, CUF, 1952. Voir aussi Cicéron, De natura deorum II, 126 ; Plutarque, Moralia 381c, 974c ; Elien,
De natura animalium II, 35 ; Galien, De uenarum sectione 6, (Kühn XI, 168, 3-4) Pseudo-Galien, Introductio siue medicus (Kühn XIV, 674-797). L’ibis passe encore pour un oiseau utile pour détruire les
serpents (Ammien Marcellin, Res gestae XXII, 15, 25-26.
37- Cette anecdote est reprise par Ammien Marcellin, Res gestae XXII, 15, 23 : « De même, quand il
se traîne paresseusement, le ventre gonflé par sa gloutonnerie extrême, il roule sur des tiges de roseaux récemment coupés ses cuisses et ses pattes, afin que la saignée de ses membres inférieurs
déleste son corps distendu par l’embonpoint ; il enduit les parties meurtries avec de la boue jusqu’à
ce que les plaies se referment, cicatrisées ». Trad. J. FONTAINE, CUF, 1996.
38- N. H. 8, 96 : adsidua namque satietate obesus exit in litus recenti harundinum caesura speculatum
atque, ubi acutissimam vidit stirpem, inprimens corpus venam quandam in crure vulnerat atque ita
profluvio sanguinis morbidum alias alias corpus exonerat et plagam limo rursus obducit. Trad. A. ERNOUT, CUF, 1952. Pour les utilisations de l’hippopotame, voir N. H. 11, 226 ; 28, 121.
39- Cette anecdote aurait apparemment une origine égyptienne ancienne (voir STEIER, Nilpferd, RE,
17, 1, col. 569). On voit en tout cas que l’ibis et l’hippopotame usent des traitements purgatifs recommandés par la médecine égyptienne, comme le rapportaient Hérodote (II,77) et Diodore de Sicile
(I, 82).
40- Res gestae XXII, 16, 18 (Trad. J. FONTAINE).
41- N.H. 26, 4 : ex Aegypto, genetrice talium uitiorum… Si l’on en croit Pline, cette maladie serait apparue au milieu du règne de l’empereur Claude. Du reste l’accusation qui fait de l’Égypte la mère de
maladies n’est pas nouvelle, puisque Thucydide (II, 47- 52) rapporte également que la grande peste
d’Athènes (en 430 avant notre ère) aurait pu venir d’Égypte. Voir aussi Lucrèce, De Rerum Natura, VI,
1141-1143 : Nam penitus ueniens Aegypti finibus ortus,/ aera permensus multum camposque natantis,/ incubuit tandem populo Pandionis omni : « Venu du fond de l’Égypte qui lui donna naissance,
après une longue course par l’air et les plaines flottantes, le fléau s’abattit sur les plaines flottantes ».
Trad. J. KANY-TURPIN, Aubier, 1995, p. 459.
42- N. H. 26, 8 : Aegypti peculiare hoc malum.
43- Voir également Lucrèce, De Rerum natura, VI, 1114-1115, qui reconnaît que les maladies dépendent des lieux : Est elephas morbus qui propter flumina Nili / gignitur Aegypto in media, neque praeterea nusquam : « Telle l’éléphantiasis qui naît sur les bords du Nil au centre de l’Égypte, et nulle part
ailleurs ». Trad. J. KANY-TURPIN, Aubier, 1995, p. 457.
44- Pline cite ainsi le cas d’un certain Manilius Cornutus qui dut verser 200000 sesterces pour se faire
soigner du lichen. Voir N.H. 26, 4 : aduenerunt ex Aegypto, genetrice talium uitiorum, medici hanc
solam operam adferentes magna sua praeda, siquidem certum est Manilium Cornutum e praetoriis
legatum Aquitanicae prouinciae HS CC elocasse in eo morbo curandum sese.
45- Voir N.H. 29, 93. Cossinum equitem Romanum amicitia Neronis principis notum, cum is lichene
correptus esset, uocatus ex Aegypto medicus ob hanc ualetudinem eius a Caesare, cum cantharidum
uenenum potu praeparae uoluisset, interemit.
46- Voir Th. BARDINET, Les papyrus médicaux de l’Égypte pharaonique, Paris, Fayard, 1995.
47- Nous ne prendrons pas en compte dans notre étude les papyrus grecs de médecine d’une
époque plus tardive qui reprennent dans leur majorité des textes de médecins grecs ou apportent
des renseignements sur les médecins alexandrins. Voir M-H. MARGANNE, Inventaire analytique des
papyrus grecs de médecine, Droz, Genève, 1981 ; id., « La médecine dans l’Égypte romaine : les
sources et les méthodes », A.N.R.W. II, 37, 3, p. 2703-2740.
48- Ainsi le papyrus Ebers s’inspire-t-il de recueils datant de l’Ancien Empire, entre 2670 et 2160 av.
Jésus- Christ. Voir Th. BARDINET, Les papyrus médicaux …, p. 13-23.
49- En dépit des pratiques d’embaumement, les Égyptiens ont apparemment une connaissance assez
vague de l’anatomie interne, et ne paraissent pas en avoir tiré avantage sur les Grecs, à qui la dissection était interdite.
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50- Par exemple, les Égyptiens ignorent, comme les Grecs, le principe de la circulation sanguine, mais
ils reconnaissent l’importance du cœur, et pensent que tous les vaisseaux partent du cœur. En revanche, ces vaisseaux, selon eux, ne transportent pas seulement du sang, mais aussi de l’eau, de l’air,
de l’urine ou du sperme. Ils ignorent l’existence des reins, et regroupent sous le nom de poumon
tous les éléments de l’appareil respiratoire ; ils connaissent bien les intestins, mais assez mal le foie.
La plupart des papyrus médicaux évoquent aussi les maladies de type gynécologique (tout en ignorant l'existence des ovaires) ; il s’agit surtout − comme plus tard dans les traités hippocratiques − de
traiter tout ce qui touche à la stérilité et aux accouchements difficiles.
51- Papyrus Carlsberg n°4 cité dans R. TATON, La science antique et médiévale, Quadrige, Presses Universitaires de France, p. 65.
52- Femmes Stériles, c. 214.
53- Les remarques que nous faisons à propos de la littérature médicale latine qui est l’objet de notre
étude sont également valables pour des recettes grecques analogues.
54- Le papyrus Ebers (499), par exemple, donne pour un cas de brûlure un onguent à appliquer en
même temps qu’on prononce une formule incantatoire, qui correspond à un court dialogue entre Isis
et un messager : « Ton fils Horus a été brûlé dans le désert. Y a-t-il de l’eau (là-bas) ; il n’y a pas d’eau
(là-bas) ! (Mais) il y a de l’eau dans ma bouche ainsi qu’un Nil entre mes cuisses. J’irai éteindre le
feu ! ». Paroles à réciter sur le lait d'une femme ayant mis au monde un garçon, de la gomme, des
poils de bélier. (Ce) sera placé sur l’endroit brûlé». Voir Th. BARDINET, Les papyrus médicaux…, p. 323.
55- C’est l’hypothèse avancée par G. LEFEBVRE, Essai sur la médecine égyptienne de l’époque pharaonique, Paris, p. 15.
56- Il a en effet existé − comme plus tard en Grèce − des familles où un savoir médical se transmettait de père en fils. Il semble même, d’après Hérodote (II, 284) qui parle de médecins spécialistes des
yeux, de la tête, des dents, de la région abdominale que ces médecins étaient souvent des médecins
de spécialité, même si cette affirmation a été remise en question (voir Th. BARDINET, Les papyrus médicaux…, p. 36-38). La médecine égyptienne semble s’être ensuite progressivement laïcisée, puisque
selon Diodore de Sicile (I, 82), dans les campagnes militaires, tout le monde était soigné gratuitement
par des médecins militaires payés par l’État.
57- Voir G. LEFEBVRE, Essai sur la médecine égyptienne…, p. 17-26.
58- Dans certains cas, les connaissances sont même remarquables, notamment sur le plan chirurgical, et elles rappellent celles des traités hippocratiques. Le Papyrus Smith en particulier, traité de
chirurgie osseuse et de pathologie externe, présente selon un mode d'exposition bien précis une
description de la lésion et des réactions physiques du blessé, l’énoncé du diagnostic et du pronostic,
que le médecin devait sans doute formuler à voix haute, et enfin l’annonce que le médecin traitera
cette lésion (suivie des indications thérapeutiques), ou au contraire que la lésion n’est pas curable. Le
cas suivant offre un exemple très intéressant : (Papyrus Smith, n° 32) : « Descriptif médical concernant un écrasement d’une vertèbre du cou. Si tu procèdes à l’examen d’un homme ayant un enfoncement d’une vertèbre du cou, alors que sa face reste figée, alors qu’il ne peut plus tourner son cou,
tu devras lui dire : « Regarde ta poitrine et tes épaules ! », mais il ne sera pas capable de tourner la
face pour regarder sa poitrine et ses épaules. Tu diras à son sujet : « Un homme atteint d’un enfoncement d’une vertèbre du cou, un mal que je peux traiter ». Tu devras le panser avec de la viande
fraîche, le premier jour. Puis tu devras défaire ses pansements et tu devras mettre de la graisse sur sa
tête aussi loin que son cou, puis tu devras le panser avec de l’imrou. Tu devras le soigner ensuite avec
du miel, chaque jour. Son soulagement sera de rester assis jusqu’à ce que l’enfoncement aille bien ».
Voir Th. BARDINET, Les papyrus médicaux…, p. 510.
59- Les recettes de type magique ne sont pas absentes des textes médicaux, en particulier des textes
médicaux latins tardifs, comme le De medicamentis de Marcellus où l’on trouve, à côté de recettes
« rationnelles » quantité d’autres recettes faisant intervenir des ingrédients ou des pratiques magiques.
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60- C’est ce qu’on appelle du mot allemand la Dreckapotheke ou « pharmacopée excrémentielle ».
Voir par exemple le papyrus Ebers, 782 : « Remède pour chasser les cris répétés (d’un enfant) : partie
chepennou de la plante-chepen ; chiures de mouche qui sont au mur. (Ce) sera préparé en une masse
homogène, filtré, puis absorbé quatre jours de suite. (Cela) cessera parfaitement ». Voir Th. BARDINET,
Les papyrus médicaux…, p. 360-361.
61- Comme nous l’avons déjà signalé, les remarques faites à propos des recettes latines sont valables
aussi pour les recettes grecques, puisque ces recettes latines sont héritées de la médecine grecque et
offrent de grandes ressemblances avec leur modèle.
62- La calamine est de l’oxyde de zinc carbonaté natif.
63- Il s’agit d’une terre argileuse colorée par du peroxyde de fer.
64- Voir Th. BARDINET, Les papyrus médicaux…, p. 306.
65- Cet Euelpidès est un médecin spécialiste des yeux dont Celse dit qu’il était très connu : Euelpides
autem, qui aetate nostra maximus fuit ocularius medicus (6, 6, 8A).
66- De med. 6, 6, 17 : In eo papaueris lacrimae, et albi piperis, singulae unciae sunt, gummi libra, aeris
combusti p. I S.
67- Comp. 26 : pompholygis lotae  p. VIII, aeris usti  p. VIII, croci  p. IIII, murrae  p. IIII, nardi  p.
VI et uictoriati, lapidis haematitis  p. II et uictoriati, piperis albi grana decem, opii  p. I et uictoriati,
commis  p. X. Teritur uino Chio.
68- Voir C. SALLES, « Les cachets d’oculiste, des ordonnances sur la pierre », in Dossiers Hist. et Arch.,
n° 123, 1988, p. 62-65 ; J. VOINOT, Les cachets à collyres dans le monde romain, Collection Monographies Instrumentum 7, éd. M. Mergoil, Montagnac, 1999.
69- A moins que le minéral-sia du Sud de la recette égyptienne, qui n’est pas identifié de façon certaine, corresponde à l’un des minéraux cités par Celse et Scribonius Largus.
70- Scribonius Largus emploie ainsi le suc de baumier dans plusieurs collyres (c. 33, c. 38). Voir également Celse, 5, 23,1.
71- L’encens est employé fréquemment dans différentes sortes de remèdes transmis par les médecins grecs et romains. Comme dans la recette égyptienne, il est utilisé dans la confection de collyres.
Cf. par exemple Scribonius Largus, Comp. 28, 30, 37.
72- Ces ingrédients peuvent être d’origine animale, minérale ou végétale. Nous nous intéresserons ici
surtout aux ingrédients d’origine minérale et végétale.
73- Il s’agit du fruit du Moringa arabica Pers. ou Noix de Ben. Voir J. ANDRÉ, Les noms de plantes…, p.
167 s. v. myrobalanum.
74- Voir J. JOUANNA, Hippocrate, note 158, p. 606.
75- Il s’agit d’un aromate égyptien employé en médecine. Voir Diosc., 1, 24-25 et R.E., 11, col. 52-57.
76- Pour cette plante, appelée également « Œil-de-bœuf », voir Diosc., 3, 156.
77- Il s’agit aussi pour Hérodote (II, 94), du terme égyptien. Cf. J. ANDRÉ, Les noms de plantes…, p. 66.
Néanmoins, que ce terme soit la transcription du mot kaka/kyky, connu des textes depuis le Nouvel
Empire, a été remis en question par D. MEEKS, dans son étude « Migration des plantes, migration des
mots dans l’Égypte ancienne », in M-Cl. AMOURETTI-G. COMET (éd.), Des hommes et des plantes.
Plantes méditerranéennes, vocabulaire et usages anciens, Aix-en-Provence, 1993, p. 71-92, p. 85
(Cahier d’histoire des techniques, 2).
78- Ce cumin dit « égyptien » ou d’Alexandrie désigne en fait l’ajouan ou ammi égyptien. Cf. J. ANDRÉ,
Les noms de plantes…, p. 81.
79- La présence de cette plante, typiquement européenne, n’est attestée en fait en Égypte que par
des vestiges d’époque romaine, ce qui explique que la première attestation lexicale de ce mot, en
démotique, soit contemporaine de ces vestiges, comme l’indique D. MEEKS, « Migration des plantes,
migration des mots dans l’Égypte ancienne »…, p. 87.
80- Voir Diosc., 5, 102.
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81- Le nombre beaucoup plus important dans la littérature grecque de substances d’origine égyptienne se confirme chez Dioscoride qui en cite, pour sa part, une bonne quarantaine. Voir à ce sujet
l’article de M.-H. MARGANNE, « Les références à l’Égypte dans la Matière médicale de Dioscoride », in
Serta Leodiensia secunda. Mélanges publiés par les Classiques de Liège à l’occasion du 175ème anniversaire de l’Université, Liège, 1992, p. 309-322.
82- De med. 5, 28, 12i.
83- De med. 5, 17, 18.
84- De med. 6, 7, 1e ; 6, 7, 2c.
85- De med. 5, 23,2 ; 5, 23, 3b ; 5, 25, 6 ; 5, 25, 16 ; 5, 27, 7 ; 5, 28, 146. La faba Aegyptia ou nénuphar
rose a des graines de la grosseur d’une noisette. Cf. J. ANDRÉ, Les noms de plantes…, p. 101.
86- De med. 5, 24, 1. Cf. J. ANDRÉ, Les noms de plantes dans la Rome antique, Paris, 1985, p. 45.
87- De med. 5, 5, 2 ; 5, 5, 11 ; 5, 18, 2; 5, 18, 5 ; 5, 18, 7B ; 5, 18, 14 ; 5, 19, 13.
88- De med. 3, 18, 12-13.
89- De med. 6, 4.
90- De med. 5, 28, 12K.
91- Comp. 24, 72, 74.
92- Comp. 47.
93- Comp. 95 ; 125 ; 144 ; 170 ; 173.
94- Néanmoins, au chapitre 206 des Compositiones, Scribonius Largus donne la recette de l’emplâtre
vert, appelé Isis, qu’il tient d’un chirurgien Glycon, qu’on ne connaît pas.
95- Voir pour le détail de ces ingrédients M-H. MARGANNE, « L’Égypte médicale de Pline l’Ancien »…,
p. 164-170. On peut ajouter à cette liste la moutarde d’Égypte (N. H. 19, 171) qui est citée aussi par
Marcellus.
96- Il s’agit, pour certains, d’ingrédients déjà cités par des auteurs précédents comme la fève
d’Égypte, employée comme ingrédient (De med. 8, 548, 55 ; 8, 59 ; 8, 61 ) ou comme mesure de capacité (1, 20 ; 16, 9 ; 17, 13 ; 20, 128, 129 ; 22, 16, 20 ; 26, 2-3 …) ; l’alun d’Égypte (10,7) ; la gomme
d’Égypte (8, 5 ; 14, 5) ; le nitre d’Égypte (4, 28, 67 ; 7, 17…) ; le cumin d’Égypte (20, 115) ; la terre
d’Égypte (2, 13) ; les dattes de Thèbes, fruits du palmier-dattier (20, 25, 26), mais Marcellus mentionne aussi deux autres ingrédients : la moutarde d’Égypte (15, 87…) ; le suc d’ortie d’Égypte (8,
115), ingrédients qui sont tous cités chez Pline comme venant d’Égypte.
97- Il s’agit de l’épine d’Égypte et de son suc (acut. II, 165, 197, 198, 266), du cumin d’Égypte (chron.
4, 100), des dattes de Thèbes (acut. II, 109, 200 ; III, 17 ; chron I, 184 ; II, 29, 104, 156, 158, 210 ; IV,
23, 125).
98- Chez Cassius Felix, on ne trouve plus mention que de la fève d’Égypte (De med. XXXIII, 6), de
l’épine d’Égypte (XXXII, 8), du cumin d’Égypte (XLIX, 5), à quoi il faut ajouter la lentille d’Alexandrie
(XX, 9), une sorte de lentille nommée ainsi d’après son origine (voir également Pline, N. H. 18, 123).
99- Cette absence de l’Égypte dans la littérature médicale paraît due pour beaucoup à son étroite
dépendance à la littérature grecque, mais dans le cas de Celse, M.-H. MARGANNE propose une hypothèse intéressante pour expliquer le silence de l’auteur, à savoir la marque d’une hostilité partagée
par la plupart des Romains à l’égard de l’Égypte et d’un fort courant de xénophobie (« Thérapies et
médecins… », p. 148-150).
01 mai 2016
Toute référence à cet article doit préciser :
Jouanna-Bouchet J.: L’Égypte comme modèle de la science médicale dans le monde antique : Mythe
ou réalité ? Enquête dans la littérature latine. Clystère (www.clystere.com), n° 50, 2016.
www.clystere.com / n° 50.
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Pour une introduction à la médecine égyptienne
Richard-Alain JEAN
Ancien correspondant de la Délégation Régionale à la recherche clinique de l’AP-HP.
Ancien collaborateur à la Mission Archéologique Française de Thébes-Ouest
(MAFTO / UMR 8220 LAMS-CNRS-Louvre)
Blog Histoire de la médecine en Egypte ancienne :
http://medecineegypte.canalblog.com
Contact : [email protected]
Dans la mesure où décrire plusieurs millénaires d’histoire de la médecine et des sciences annexes à
propos d’une grande civilisation antique est tout à fait irréalisable en quelques pages, surtout pour
l’Égypte, je ne présenterai ici et d’une manière concise, que quelques éléments et exemples – axés sur
les sources – mais pouvant déjà servir à une introduction générale illustrée afin d’éviter les habituelles
suites de mornes listes données en préambule. De la même façon, comme je ne parlerai que très peu
des divinités dans ce travail, je n’indiquerai pour commencer que les trois principales liées à la médecine. À savoir, Thot, omniscient dans les écritures, puis plus tardivement Imhotep, avec bien entendu
de tout temps Horus, dieu « récapitulateur », dont la fidélité à son père Horus l’Ancien (Osiris)
l’ordonne naturellement comme prescripteur en tant que restaurateur perpétuel de la monarchie qu’il
incarne avec son leitmotiv « Vie, Force, Santé », et aussi, en tant que salvateur en général quand il
évoque le pouvoir de guérir tout un chacun nous le verrons. Nous apercevrons ensuite d’autres entités, car à chaque membre étaient attachés une ou plusieurs déités. Les étiopathologies répondaient
également à d’autres puissances. La plupart des maladies était réputée envoyée par certains dieux ou
déesses, comme Seth, Sekhmet, Khonsou ... La grande force de la médecine égyptienne est d’avoir osé
s’en émanciper quelque peu, malgré quelques restrictions, et avec quelques résultats pour l’époque.
Effets positifs qui ne progresseront ensuite que très irrégulièrement, et avec même des régressions,
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jusqu’à l’aube de la modernité comme nous pourrons le constater à la fin de cet article.
N.B. : Afin de ne pas encombrer le lecteur de trop de notes à consulter, je renvoie aux bibliographies complètes et progressivement établies (1), ainsi qu’aux références incluses dans les travaux
cités, principalement ici et par commodité de consultation, aux articles accessibles sur le net.
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La médecine et les médecins
La médecine actuelle et la médecine égyptienne ancienne partagent bien l’idée d’un processus médical, mais à ceci près que le médecin antique est aussi, pour ce qui relève des domaines de l’étiologie,
de la pathogénie et de la physiopathologie, un médiateur entre le malade et les forces divines (Jean
1999, p. 14 et 75-79), médiateur ayant acquis de plus parfois une maîtrise particulière, puisque
l’activité des praticiens pharaoniques se situait assez souvent également, et selon les époques, dans
des spécialités diverses dont on trouve encore l’écho, au milieu du Ve siècle avant notre ère, chez Hérodote (II, 84) (2). Chaque médecin maîtrisait, pour la partie médicale – ainsi que, il faut bien le dire,
pour une partie religieuse attenante – une science tirée, selon Diodore de Sicile (Livre I, 82, 3), du Livre
sacré (hiera biblos) et dont les ouvrages de médecine font partie intégrante ainsi que le souligne Clément d’Alexandrie (Stromates VI, livre IV, 38). L’expression Livre sacré évoque un terme général (3),
qui, si on en isole la partie se rapportant à l’administration des soins, représenterait l’équivalent du
Corpus médical, et dont je ne pourrai donner, dans le cadre de cet article, que de très courts extraits
(Cf. infra). Il faut ajouter que l’art du médecin résidait non seulement dans l’observation médicale et
la prise en compte de la psychologie du malade, mais aussi dans l’approche magico-religieuse, au
point qu’il serait parfois impossible de séparer les textes médicaux et les textes magiques. En réalité, il
existait deux grandes tendances : d’une part, une médecine plutôt exempte de magie qui s’en tenait à
la diagnose, au traitement de la pathologie et au pronostic ; d’autre part, une médecine à caractère
incantatoire et ritualisé que l’on peut qualifier de iatromagique dans la mesure où elle pouvait avoir
parfois (comme le chamanisme) quelques effets réconfortants. Les deux formes se complétaient, et
dans ce cadre mêlé, le praticien se devait déjà d’appliquer dans l’exercice de son métier une déontologie assez contraignante (4). Il faut ajouter que nombre de textes dits magiques recèlent en fait de
véritables notions thérapeutiques ou autres qu’il faudra savoir déchiffrer.
Donc, si l’on en croit les auteurs grecs qui ont bien connu les Égyptiens, il existait toutes sortes de
médecins spécialistes qui pratiquaient à Alexandrie et de tous temps dans le reste du pays. En effets,
si nous reprenions la plupart des titres génériques initiaux des livres de médecine datant des époques
pharaoniques, nous pourrions souvent lire : « Commencement d’un recueil de remèdes pour les maladies de … », suivi de la suite de l’intitulé. Ils traitaient des maladies des yeux, des dents, de la toux, du
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ventre, des tumeurs, de l’anus, de la gynécologie, de la chirurgie … etc. Plusieurs domaines pouvaient
figurer à la suite dans un seul grand traité de médecine qui devenait ainsi généraliste. Ces ouvrages
savants étaient à la disposition des étudiants et des médecins dans les bibliothèques palatines et des
grands temples qui faisaient fonction d’université sous le contrôle d’un « Doyen ». En fait, l’on y rentrait dès les petites classes où l’on apprenait à griffonner sur des ostraca, puis, les meilleurs entamaient une sorte de propédeutique théologique puis choisissaient leur faculté. Médecine et prêtrise
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étaient cumulables mais non obligatoire. À la suite de leurs études et de leur compagnonnage, les
praticiens éprouvés pouvaient accéder à plusieurs « grades » comme celui de « Maître-médecins », et
éventuellement aussi, aux titres concernant leur spécialité acquise cette fois au « Palais » (une sorte
d’Internat palatin spécialisant). Pour les grands personnages, ces titres pouvaient être cumulés, avec
en plus, les grades supérieurs de « Directeur des médecins », « Grand des médecins », « Grand des
médecins du Nord », « Grand des médecins du Sud » … Dans ses dévolutions quotidiennes, le médecin
local qui s’occupait de tout était également propharmacien, alors que dans les grands centres il existait une sorte de « Conservateur des drogues ». Dans la mesure où toute la formation et l’exercice de
la profession étaient régis par l’État, les médecins laïques ou religieux étaient tous des fonctionnaires
établis dans de solides structures hiérarchiques dépendantes directement du pouvoir royal et sous la
responsabilité du « Grand des médecins du Nord et du Sud » officiant au Palais [Fig. 1].
Médecins extérieurs
Médecins palatins
Grand des médecins du Nord et du Sud = Grand des médecins du Palais
Grand des médecins Grand des médecins Maître médecin du roi (Hors Classe)
du Nord
du Sud
Grand des médecins
Grand
Grand
Grand
des oculistes
des dentistes
des médecins
du ventre
Directeur des médecins du palais / Doyen
Directeur des médecins
Ville
Maître médecin
Oculiste
Temple
Doyen
Prêtre pur
de Sekhmet
(chirurgien ?)
Médecin
Dentistes
Médecin
du ventre
Berger
de l’anus
Conservateur
Interprète
des drogues
des urines
Maître médecin du Palais
Interprète
de l’Art secret
Prêtre pur
de Sekmet
(chirurgien ?)
Conjurateur
Médecin du Palais
de Serket
(morsures
des animaux
venimeux)
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sounou
(≈ Compagnon)
(Étudiant)
(≈ Interne sp.)
Figure 1 : Tableau hiérarchique et des situations des médecins en Égypte pharaonique. (© R.-A. Jean)
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Figure 2 : Stèle du Médecin-Chef Ramès. (XIXe-XXe
dyn., Louvre, C 62 - N 216). © R.-A. Jean.
Figure 3 : Le jeune dieu Horus Ched « Le
salvateur ». (Vers 1200 - 800 avant J.-C.,
Louvre, N 524). © R.-A. Jean.
Les sources
Comme pour les médecines grecque et romaine classiques, byzantine, arabe, médiévale, puis occidentale historique, l’étude de la médecine égyptienne antique doit s’appuyer sur tout un ensemble
d’informations. De plus, les éléments sont à puiser partout où cela est possible afin de palier à la relativement moins quantitativement importante littérature spécialisée qui nous en reste. Ainsi, l’on se
basera pour en déduire les aspects fondamentaux – plus que pour toutes autres – certes d’abord sur
les textes qui nous sont parvenus avec quelques difficultés, mais aussi sur les objets usuels conservés
dans nos musées, et, en explorant les détails figurant dans les monuments. Cette documentation sera
complétée par l'examen des momies facilité par les méthodes modernes, ainsi que par les données
acquises par d’autres sciences comme l’art vétérinaire, la zoologie, la botanique, la palynologie, la
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minéralogie, la géologie, la climatologie … et leurs moyens exploratoires comme la physique, la chimie, la biophysique, la biochimie, la cytologie, la génétique … Nous voyons que les sources sont de
nature multidisciplinaire. Par exemple, pour un protocole de recherche historique biomédicale portant
sur la contraception en Égypte ancienne (5), j’ai ainsi dû mobiliser à la fois une douzaine de spécialités
scientifiques, dont plusieurs hospitalières (chimie, biochimie, cytologie, hématologie, coprologie, bac-
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tériologie …). Pour d’autres protocoles plus complexes en cours, il faut faire appel aux chercheurs des
laboratoires d’anatomie pathologique, à ceux des unités de pharmacologie et de toxicologie et bien
d’autres choses encore comme par exemple le scanner.
L’égyptologue se voit, par conséquent, aux cours des expériences biologiques et historiques qu’il doit
mener à l’aide de toutes ces techniques, un peu comme un chef d’orchestre. Il faudra aussi choisir et
limiter les différentes possibilités en ce qu’elles ont de plus utiles. Il faut ajouter que parfois, un rendu
exploratoire peut influencer une traduction littéraire. Par exemple, la paléobotanique histologique
peut affirmer ou infirmer l’utilisation d’une plante dans une formule médicamenteuse papyrologique.
Une substance d’origine animale, végétale, ou minérale peut être découverte dans un fond de pot
inscrit et orienter la lexicographie spécialisée … Toutes ces choses passionnantes sont à interpréter à
la lumière de ce que nous dégageons, petit à petit, à la fois de l’archéologie et du savoir pharaonique
qui en découle. Il s’agit bien après étude de tous ces éléments de pratiquer une exégèse.
Les textes
La recherche portera bien entendu sur les textes médicaux, mais aussi sur les écrits mythologiques,
religieux, magiques, historiques et administratifs (comptabilités, comptes rendus …), ainsi que sur les
lettres privées (qu’elles s’adressent d’ailleurs aux vivants ou aux morts !) Dans toutes ces littératures,
y compris les historiolae, il faudra à chaque fois discerner les parties essentielles à la bonne compréhension de la pensée médicale égyptienne. Une étude approfondie des langues pharaoniques et connexes, jointe à de solides connaissances lexicographiques et historiques sont de toutes les façons nécessaires. Il faut bien ajouter ici qu’une profonde sensibilisation à la clinique médicale favorise grandement l’abord discursif de ces rédactions. Non pas qu’il faille à tout prix tout rattacher à l’art de
guérir – selon les adages correspondants aux critiques : « un médecin n’y verra que médecine », tandis « qu’un juriste n’y verra que du droit », ou « un architecte de l’architecture pure et dure » … mais il
faudra s’attacher à proposer toute notion particulière nouvelle – en accord avec ce que l’on peut ressentir de correspondance intime, entre ce que nous lisons et ce que pouvait en comprendre un ancêtre
praticien à partir de ce que cherchait à exprimer un auteur initial. Ceci correspond à un dialogue. En
fait, à travers le temps, la règle en est assez simple : les deux lectures doivent être conformes à la
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biologie, et donc à la clinique. C’est en cela que nous percevrons le mieux la connaissance de l’époque
étudiée. La biologie humaine n’ayant pas variée dans ces quelques millénaires qui nous séparent des
auteurs pharaoniques, tout en posant comme postulat que les hommes de sciences possédaient le
même degré de réflexion, et en tous les cas de la même puissance intellectuelle capable d’élaborer,
nous le savons, de complexes théories ontologiques et théologiques – tout cela, incline fortement à
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penser, et à admettre, une bonne résolution de l’observation naturaliste et médicale. Cependant,
comme je l’ai déjà indiqué à propos du cœur et du cerveau (6), les savants de l’époque pouvaient voir
leurs conceptions contrariées par les soucis politiques et le maintien de la légitimité royale. C’est probablement l’un des phénomènes qui restreint alors le développement d’une science qui se devait de
ne pas enfreindre le canon des Écritures. Pour cette raison, les travaux resteront sous le contrôle du
pontife. Ils seront élaborés, et recopiés, sous surveillance hiérarchique à l’ombre des grands temples.
C’est la raison pour laquelle les papyrus médicaux pharaoniques ne sont jamais signés. Ils rejoignent
en cela tous les textes religieux et magiques élaborés durant cette très longue période [Fig. 4 et 5].
Les textes religieux
Les textes religieux sont porteurs d’informations médicales. Ils s’étagent sur plusieurs millénaires. Il
faut compter sur les textes égyptiens anciens eux-mêmes, ainsi que sur les textes monothéistes dont
certains passages sont d’inspiration égyptienne, voire commandité à partir de l’Égypte ptolémaïque.
Textes égyptiens
Formation des chroniques,
Datations
Contenus
… Fondation de l’histoire
Biologie,
embryologie,
Plaquettes, puis textes sur ≈ 3200 av. J.-C. (prédynastique) …
anatomie, physiologie,
papyrus
pathologie,
prophylaxie (magique),
Textes mythologiques
Antérieurs et ≈ 2400 av. J.-C. (V
dyn.)
Très anciens à anciens
Textes de sauvegarde
Très anciens à anciens …
Textes des Pyramides
Textes des sarcophages
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e
Livre des morts
Papyrus tardifs, enrichissements
thérapeutique
≈ 2100 av. J.-C. Ie Période Intermédiaire …
≈ 1600 av. J.-C. Nouvel Empire …
… jusqu’à Basse Époque
Figure 4 : Tableau des principaux textes égyptiens et à composantes religieuses et salvatrices. © R.-A. Jean.
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Textes monothéistes
Datations
Contenus
Bible hébraïque (Penta- ≈ VIIIe - IIe siècle av. J.-C.
Textes religieux,
teuque)
Commandements.
Septante d’Alexandrie - I
≈ IIIe siècle av. J.-C. (Ptolémées I Sauter - II Phila- Biologie, embryolodelphe)
Ajouts
apocryphes ≈ IIIe siècle av. J.-C. (Ptolémées II Philadelphe)
gie, anatomie, physiologie,
pathologie,
alexandrins
Ajouts apocryphes
≈ IIe siècle av. J.-C. (Séleucides)
hygiène,
Ajouts apocryphes
≈ Ie siècle av. J.-C. (Hérode)
prophylaxie,
Nouveau testament
≈ Ie - IIe siècle ap. J.-C.
thérapeutique,
Bible copte
≈ IIIe (sahidique) - VIe siècle av. J.-C (Bohaïrique)
psychologie
Commentaires et règles Monachisme copte
coptes
Commentaires bibliques
Pères de l’Église et tout au long de l’histoire
Coran
Proclamé de 610-612 à 632 ap. J.-C.
Commentaires
cora- Tout au long de l’histoire
Général
Général
niques
Figure 5 : Tableau des principaux textes religieux monothéistes et à composantes salvatrices. © R.-A. Jean.
Par exemple, des textes religieux comme les célèbres Textes des Pyramides recèlent des « listes anatomiques ». Beaucoup de récits mythologiques très anciens donnent également quelques indications
sur de réelles notions physiologiques et pathologiques humaines. Il faut aussi savoir que ces écrits
relèvent d’autres précédents mais dont les papyrus ne nous sont pas parvenus. Il nous reste aussi des
sources antérieures gravées sur de petites plaques prédynastiques inscrites, et par exemple commémoratives des « courses royales » endurées lors des « Fêtes Sed » (Risques cardio-pulmonaires) (7)
[Fig. 6 c], ou encore, évocatrices des pseudo-sacrifices royaux sanglants pratiqués lors de grandes
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occasions justificatives de la bonne aptitude physique du chef à se maintenir au pouvoir (Cricothyroïdotomie ?) [Fig. 6 a et b]. Il faut aussi bien observer les vases portant des représentations humaines
et / ou quelques signes isolés.
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Plaquettes
Titulaires et datations
Contenus
a) Âha ≈ 3100 (Ier dyn.)
Pseudo sacrifice royal :
(Kahl 287 + 289
Cricothyroïdotomie ?
Musée du Caire, JE 349078)
b) Djer ≈ 3050 (Ier dyn.)
Pseudo sacrifice royal :
(Kahl 84-7
Cricothyroïdotomie ?
Musée du Caire, JE 70114)
c) Den ≈ 2990 (Ier dyn.)
Fête Sed et course royale :
(Kahl 1253
Test d’endurance
B.M. London 32.650)
cardio-pulmonaire ?
Figure 5 : Exemples de plaquettes informatives. © R.-A. Jean.
À tous ces documents, et à partir de l’époque ptolémaïque, succéderont des livres à qui l’on peut attribuer des noms d’auteurs [Fig. 9, en couleur brique]. Ils seront pour la plupart rédigés en grec, et
certains en démotique. Cependant, tous ne sont pas personnalisés [Fig. 9, en bleu], comme d’ailleurs
les écrits coptes de tradition sacerdotale établis dans la lignée de Saint Pakhôme [Fig. 10, en violet
foncé], les autres étant attribuables à leurs auteurs connus [Fig.10, en violet clair].
Les textes médicaux
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Les textes originaux médicaux proprement dit pharaoniques et suivants – qui nous sont parvenus,
s’étagent de la XIIe dynastie à la période romaine, puis chrétienne. Ils sont composés en hiératique
(hiéroglyphique cursif), puis, en démotique (égyptien cursif), en grec, et en copte (égyptien chrétien).
Les autres écrits plus tardifs nous sont conservés par des copies, dont ceux rédigés en expressions
grecque alexandrine, coptes, puis arabe. Ils dénotent une imprégnation égyptienne plus ancienne, et
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cela, d’une manière plus ou moins marquée – les écrits coptes en restent naturellement les plus
proches, mais les écrits égyptiens en langue arabe en gardent cependant un indéniable écho. Ils seront repris par leurs successeurs. Quant aux travaux alexandrins, leur rémanence reste constante.
Les papyrus originaux :
Papyrus
Ramesseum :
III, IV
V
VIII
IX-XVI
Kahun UC 32057
Edwin Smith
Berlin 3027
Ebers
≈ 1900 av. J.-C. (XIIe dyn.)
Hearst
Louvre E 32847
≈ 1550 av. J.-C. (N.E.)
Recto : ≈ 1479-1401 av. J.-C.
Verso : ≈ 1294-1250 av. J.-C. (Ramesside)
Louvre E 4864 vs.
London Papyrus (BM 10059)
Turin (Isis & Rê)
Deir el-Medina (IFAO)
Zagreb 881
Leiden I 343 + I 345, I 348
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Datations
≈ 1850 av. J.-C. (XIIe dyn.)
≈ 1550 av. J.-C. (N.E.)
≈ 1550 av. J.-C. (N.E.)
≈ 1550 av. J.-C. (N.E.) ou plus ancien.
ou plus anciens.
≈ 1430 av. J.-C. (XVIIIe dyn.)
≈ 1350 av. J.-C. (XVIIIe dyn.)
≈ 1290-1200 av. J.-C. (XIXe dyn.)
≈ 1292-1070 av. J.-C. (XIXe-XXe dyn.) ou
plus ancien.
≈ 1292-1070 av. J.-C. (XIXe-XXe dyn.)
≈ 1290s-1070 av. J.-C. (XIXe-XXe dyn.)
Contenus
Gynécologie, pédiatrie, OPH
Rhumatologie, vaisseaux
Migraines
Prophylactique (magique)
Gynécologie
Chirurgie
Gynécologie, pédiatrie
Général, chirurgie, thérapeutique
Général, dermatologie
Général, dermatologie, prescriptions …
Prophylactique (magique)
Thérapeutique
Prophylactique (magique)
Antivenimeux
Prophylactique (magique),
migraine
Thérapeutique
Thérapeutique, prophylactique (magique)
Chester Beatty :
V (BM 10685)
VI (BM 10686)
VIII, XV
Berlin 3038
Carlsberg VIII
≈ 1290-1070 av. J.-C. (XIXe-XXe dyn.)
Rubensohn (Berlin P. 10456)
Brooklyn :
47.218.48, 47.218.85, 47.218.138
47.218.86
47.218.49
47.218.47
47.218.02
Insinger
Ifao H 48
Pneumologie
≈ 400 av. J.-C. (période ptolémaïque)
e
≈ 300 av. J.-C. (XXX dyn. - période pto-
≈ 1250 av. J.-C. (XIXe dyn.)
≈ 1250-1150 av. J.-C. (XIXe-XXe dyn.) ou
plus ancien.
lémaïque) ou plus ancien (M.E.)
≈ 304-30 av. J.-C. (période ptolémaïque)
(fin ptolémaïque ou début romain)
Migraines
Proctologie
Prophylactique (magique)
Général
Gynécologie
Ophiologie, anti-vénimeux
Dos, rhumatologie
ORL
Dermato-vénérologie
Obstétrique, prophylaxie
Nutrition, excès.
Gynécologie
Figure 6 : Tableau des principaux papyrus égyptiens médicaux et magiques. © R.-A. Jean.
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Les ostraca :
Ostraca
Datation
O. Londres 297
O. Louvre 3255
O. Caire (Deir el-Medina) :
O. Caire (Deir el-Medina)
1062
O. Caire (Deir el-Medina)
1091
O. Caire (Deir el-Medina)
1216
O. Caire (Deir el-Medina)
1242
O. Caire (Deir el-Medina)
1414
O. Bruxelles 3209
O. Turin 57104
O. Turin 57163
O. Berlin P. 9898
O. Leiden 334
O. Berlin 5570
O. Thèbes Musée royal Ontario
O. Bodleian grec 923
≈ 1340 av. J.-C. (XVIIIe dyn.)
≈ 1550-1200 av. J.-C. (XVIIIe-XIXe dyn.)
≈ 1250-1140 av. J.-C. (XIXe-XXe dyn.)
Prescription
ORL
"
OPH
"
Cardiologie, dermatologie
"
Gastroentérologie
"
Thérapeutique
"
Thérapeutique
"
Contenu
e
e
≈ 1250-1140 av. J.-C. (XXI -XXII dyn.)
≈ 1250-1140 av. J.-C. (XXIe-XXIIe dyn.)
Époque romaine
Époque romaine
Piqûre de scorpion
Anatomie
Anatomie
Dermatologie
Thérapeutique
Thérapeutique
Prophylaxie
OPH
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Figure 7 : Tableau des principaux ostraca égyptiens à composantes médicales, thérapeutiques ou prophylactiques. © R.A. Jean.
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Les textes majoritairement écrits en grec :
Textes
PACK 2343.1
Hérophile de Chalcédoine
Érasistrate de Céos
Cléophante
Démétrius d’Apamée
Philon de Byzance
Andréas de Caryste
Soranos d’Éphèse
Ashm. Libr - PACK 2344
Tebtunis
:
II 679 & Carlsberg 230
II 275
II 676, 677, 678, 689
II 273
II 272
Univ. Giessen 153 - 4. 44
Mantias
Héraclide de Tarente
Apollonius Mys
Berlin 9764 - BKT 3. 22-26
Londres 155 - pLit. Lond. 166
Strasbourg GR 1187
Vienne D. 6257 (Crocodilopolis)
Aberden 11 - PACK 2342
Ross. Georg. - PACK 2343
Strasbourg GR 90
Genève 111
Rylands 3. 529
Cairo Crawford 1 - PACK 2377
Vienne D. 12287
Johnson MS 5753
Datations
Contenus
OPH
≈ 350 av. J.-C. (Grec)
≈ 330-250 av. J.-C. Ptolémée II Phila- Anatomie, physiologie
delphe
≈ 310-350 av. J.-C.
≈ 310-350 av. J.-C.
≈ 310-350 av. J.-C.
≈ 280-220 av. J.-C.
≈ 222-205 av. J.-C. Ptolémée IV Philopator
≈ 200 av. J.-C.
≈ 200 av. J.-C. (Grec)
- Démotique : ≈ 200 ap. J.-C.
(Époque romaine)
- Grec : 100 av. J.-C ≈ 200 ap. J.-C.
Anatomie, physiologie
Gynécologie
Gynécologie
Mécanique médicale
Mécanique médicale
Gynécologie, pathologies
OPH
≈ 100 av. J.-C.
≈ 100 av. J.-C.
≈ 100 av. J.-C.
≈ 100 av. J.-C.
≈ 100 ap. J.-C.
≈ 200 ap. J.-C.
≈ 200 ap. J.-C.
≈ 200 ap. J.-C
Plantes.
Fièvre.
Prescriptions.
OPH.
Fragment d'Hérodote.
Coloboma
Gynécologie, Pharmacie
Pharmacie
Pharmacie
Enseignement chir.
Luxation mâchoire
Chirurgie
Prescriptions.
≈ 200 ap. J.-C
≈ 200 ap. J.-C
≈ 200 ap. J.-C
≈ 200-300 ap. J.-C
≈ 300 ap. J.-C
≈ 300 ap. J.-C
≈ 300-400 ap. J.-C.
≈ 500 ap. J.-C.
Questionnaire OPH
Questionnaire OPH
OPH
Questionnaire chir.
Luxation épaule
OPH
Odontostomatologie
Herbier
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Figure 8 : Tableau des principaux travaux rédigés en Égypte, à Alexandrie (ou à la suite) et à composantes médicales,
chirurgicales, spécialisées, thérapeutiques ou prophylactiques. © R.-A. Jean.
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Les textes chrétiens écrits en copte ou en arabe :
Textes
Datations
Papyrus copte de Saint Pakhôme
≈ IVe siècle ap. J.-C.
Parchemin médical copte Borgia
Manuscrit médical copte de Vienne
Manuscrit médical copte de Berlin
Ibn Bishr al-Isrâ’îlî (al-Qibtî)
≈ Ve ou VIe siècle ap. J.-C.
≈ VIIe - VIIIe siècle ap. J.-C.
≈ VIIe - VIIIe siècle ap. J.-C.
≈ VIIIe - IXe siècle ap. J.-C.
Nastâs ibn Jurayj
≈ VIIIe - IXe siècle ap. J.-C.
Eutychius - Sa’îd ibn Batrîq
≈ IXe siècle ap. J.-C.
Abû al-Hasan Sahlân ibn ‘Uthmân ibn ≈ IXe siècle ap. J.-C.
Kaysân
Manuscrit médical copte d’Akhmîn
≈ IXe ou Xe siècle ap. J.-C.
Papyrus médical copte Méshaîkh
≈ IXe ou Xe siècle ap. J.-C.
Rahîd al-Dîn Abû Hulayqa
≈ XIIIe siècle ap. J.-C.
Papyrus magique copte 42573
≈ XIVe siècle ap. J.-C.
Contenus
Dermatologie,
presciptions
Général
Palpitation, insomnies
" + Goute, hémoptysie
Poème médical de 3500
vers
Urines, prescriptions
Pharmacie
Pharmacie
Sénologie
Général
Pharmacie, général
Prophylactique (magique)
Figure 9 : Tableau des principaux travaux chrétiens rédigés en copte ou en arabe et à composantes médicales, chirurgicales, spécialisées, thérapeutiques ou prophylactiques. © R.-A. Jean.
Il existe encore une quantité d’autres petits papyrus hiéroglyphiques, grecs, ou coptes, des fragments,
des ostraca, parchemins, et autres manuscrits répartis dans tous les musées du monde (Ashmolean
1984.55 …), ainsi que dans nombre de collections particulières. Certains sont de tailles moyennes et
encore non édités (Collections françaises, suisses et américaines).
Il faudrait également citer les auteurs qui ont au moins fait leurs études à Alexandrie et qui y ont
même pratiqué un temps parfois assez long, en commençant par Dioscoride au Ie siècle, Ruphus
d’Éphèse au IIe siècle … , puis, des VIe au VIIe siècles – avec ceux qui ont évolué au sein de la prestigieuse École d’Alexandrie cette fois – comme par exemple Alexandre de Tralles, Aétius d’Amide et
Paul d’Égine ... Les médecins arabes prendront ensuite le relais après la deuxième prise d’Alexandrie
en 646. Je ne citerai ici que Ali B. Ridwan pour le XIe, et Ibn al-Baytâr pour le XIIIe siècle – tous deux au
Caire. Avant ceux-ci, et pour le monde juif, il faut absolument citer Maïmonide qui s’établit en Égypte
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au XIIe siècle pour y produire de nombreux ouvrages. En effet, ce dernier et les médecins arabes
s’inspirèrent grandement des écrits cités antérieurement, car il est bien normal qu’il n’y ait pas eu de
coupure entre les différents types de médecine ou de pharmacie sur le territoire égyptien. Un continuum plurimillénaire est ainsi assuré.
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Tous ces littérateurs seront traduits et encore utilisés en occident du XVe au XVIIe siècle et voire encore
plus tard.
Figure 10 : Une page du papyrus Smith (Cas 17
à 20). © Library of the New York Academy of
Medicine.
Figure 11 : Un fragment du papyrus
Johnson recto : Symphytum officinale
(consoude). © Londres, Wellcome Library, MS 5753.
Quelques courts exemples
Les papyrus médicaux égyptiens traitent de plusieurs spécialités classiques dont ils citent un certain
nombre de symptômes. Ensuite, l’arsenal thérapeutique comprend des centaines d’ingrédients puisés
dans les mondes animaux, végétaux et minéraux. Certains sont issus de synthèses. Aussi, je
n’aborderai dans cette introduction que quelques très courts exemples cliniques, pathologiques et
thérapeutiques prélevés dans seulement trois d’entre eux, plus un ostracon. Le premier et le deuxième
exemples avec diagnostic différentiel sont pris dans le Papyrus Ebers et dans l’un des Papyrus médi-
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caux Chester-Beatty. Le troisième et le quatrième exemples joints sont prélevés au dos d’un petit papyrus littéraire du Louvre. Quant aux deux dernières citations, elles sont extraites de l’un des ostraca
magiques des Musées Royaux d’Art et d’Histoire de Bruxelles.
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• Papyrus Chester-Beatty V - BM 10685, verso 4, 1-9 + 4, 10-6 + 6, 5-7 — Ces fragments apparemment magiques contre le mal de tête, traitent en réalité d’un symptôme bien défini par le texte
puisque qu’il s’agit en réalité de chasser une douleur localisée dans un « côté » seulement du crâne, la
tempe m3‘ (4, 10-6,4) « côté tempe », et par exemple dans la « tempe gauche » (6, 5-7). Le diagnostic
donné en introduction est bon puisque le mot employé : gs-tp, littéralement « demi-tête » indique
bien une « migraine » (4, 1-9). Il faut aussi remarquer que ce mot correspond en outre au grec
ἡμικρανία « hemi-crâne » (Corpus hippocratique), dont provient le terme clinique latin hemicrania et
notre français « migraine ». Ce papyrus est très abîmé, mais les propositions thérapeutiques données
dans les autres fragments seraient susceptibles d’être un peu calmantes, avec peut-être de la valériane per os (XV, 8-9) (8) attestée en Égypte à la XVIIIe dynastie (9).
Le diagnostic différentiel est donc, dès cette époque en Égypte, tout à fait assuré. En effet, d’autres
textes citent simplement les « céphalées » avec la locution : tp mr=f « (quand toute) la tête est douloureuse » (Papyrus Ebers 253. 48,57 …), et le même écrit signale plus loin un traitement mieux approprié, en cas, cette fois ci, de « migraine » (Papyrus Ebers 260. 48, 17-20). Dans le passage précédent, le clinicien remarque que le front est chaud : le malade céphalalgique, dans ce cas, a en plus, de
la température (Papyrus Ebers 259, 48, 14-17).
Nous voyons ainsi à cette occasion, que comme pour nous aujourd’hui, les littératures se complétaient déjà les unes les autres. Les érudits en connaissaient la plus grande part.
• Papyrus Louvre E 4864 vs. 1, 4,5 et 2, 4-5 — Cette fraction médicale, écrite au dos d’un papyrus de Sagesse datant du Moyen Empire, propose entres autres choses des vermifuges. En voici la
première et la dernière des prescriptions :
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1, 4-5 :
4b
Médication pour éliminer < le ver-héfat > parasitant le corps :
4c
na[tr]on, - - - 5 […co]chon, baies de genévrier-oxycèdre (10), graisse, cire (d'abeille). Panser
avec cela.
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Si nous analysons cette dernière préparation, nous trouvons qu’elle est composée de deux ingrédients : l’un animal (porc), et l’autre formé d’un végétal encore considéré comme vermifuge au Maroc, et le tout maintenu dans un adjuvant semi-solide adhérent (graisse + cire) rendu fortement basique en raison du natron. Cet ensemble forme une pâte hypertonique, qui, appliquée sur le pourtour
de la marge anale, est de nature à lyser la vermine. Cette médication locale, ajoutée à une autre formule telle que celle qui figure ci-dessous dans le même document doit pouvoir être capable d’éliminer
des parasites.
2, 4-5 :
4a
Médication pour éliminer le ver-héfat parasitant le corps :
4b
soude (d’une plante) maritime, natron, salsola (11) [….]
Si nous analysons cette dernière préparation, nous trouvons qu’elle est composée de trois sels majeurs, dont du natron minéral et de deux soudes végétales. C’est-à-dire que nous sommes en présence
de trois carbonates de sodium et de potassium avec un peu de fer, de chlorures, de sulfates, de bromures, d’iodures et d’autres sels dont parfois de l’arsenic. Or, nous savons que les Salsola sont réputées vermifuges, et, que l’eau salée, l’eau savonneuse et le sulfate de fer étaient utilisés autrefois en
lavement pour se débarrasser des oxyures. Adjointe à la première, cette médication pouvait donc être
utile.
Ces deux petits extraits rejoignent d’autres prescriptions spécialisées destinées à soulager un endroit
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stratégique, qu’un l’homme de l’art portant le titre pittoresque de nrw pḥwjt « Berger de l’anus »
avait la responsabilité de le « surveiller », de « garder ». Nous retrouverons encore en Égypte au IIe
siècle avant notre ère la mention d’une fonction désignée par l’expression grecque ἰατροκλύστης (12),
inspirée cette fois de l’arme thérapeutique à employer – le clystère (… un clin d'œil à la présente revue
pour son cinquantième numéro … [Fig. 33].
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Par la position de cet ensemble médical inscrit sur le dos d’un texte de Sagesse, il est tout à fait permis de supposer que celui qui a recopié ce texte médical était aussi un philosophe, à l’image de ses
confrères modernes qui exerçaient la médecine jusqu’après-guerre. La médecine, il faut rappeler, a
longtemps fait partie des « Humanités ». C’était aussi le cas en Égypte.
• Ostracon 3209 de Bruxelles [Fig. 9 et 10] — Dans ce texte, il faut comprendre entres autres
choses, que le dieu « connu » son épouse par le « sang » et obtint à cette occasion la « connaissance »
nécessaire à sa fonction de « guérir ». C’est un aspect du cheminement de la pensée médicale pharaonique. En voici quelques extraits : jnk Ḥr swnw ḥtp(w) nṯr « Je suis l’Horus-médecin, (celui) qui
apaise la divinité » (11a), en fait, dans ce contexte de souhait de bons soins à donner au blessé « (celui) qui (sait encore pour toi aujourd’hui) modérer (une fois de plus dans mon exercice) la divinité ».
Divinité féminine à laquelle peut également se référer le malade orthographié dans ce texte au féminin (7b+12), afin d’être assimilé à la déesse scorpion – qui par solidarité et sympathie lui accordera de
sortir de sa souffrance. Le malade comme le médecin subissent donc une assimilation bénéfique : mj
n.j, mj n.j « Viens à moi, viens à moi » Bjt.t épouse d’Horus, « viens, je suis Horus » (4c-5a). Le thérapeute s’assimile ainsi à Horus son mari, de façon à user de son pouvoir sur la déesse scorpion (T3
Bjt.t), et donc à être autorisé à agir d’une manière quelconque sur son venin après piqûre du même
animal. En effet, la « sécrétion maligne » (mw mr en 7b) de ce dernier insecte (8a) ne pourra
qu’obtempérer à l’ordre de Celle qui le gouverne dans son genre spécifique, et se plier par suite à
l’ordonnance du prescripteur (snfr en 9a) qui désire le neutraliser. Et cela, qu’il s’agisse d’une formulation médicamenteuse ou d’une formule magique employée seule ou non. Cette ruse thérapeutique
dérive d’une suite de connaissances initiales des moyens de sauvetages transmises points par points
de divinités en divinités. Et ainsi, de mère en fille (Nout et ses puéricultrices à Isis mère d’Horus), de
grand-père en petite-fille (Rê à Isis) … Dans cet ostracon, c’est Horus qui obtient l’enseignement d’une
déesse venimeuse à un moment intime de leurs noces : ḏr wb3 sj Ḥr « Horus l’a défloréee » (1b + statue prophylactique de Ramsès III, 1. 3-4 + Papyrus Chester-Beatty VII, r° IV. 2-3). Si cet apprentissage
se résume dans ce cas au nom même de la déesse au venin dangereux, c’est qu’il contient en puissance toute la force nécessaire à son application salvatrice. Il représente au premier abord un acte
magique, mais il sous-entend également l’entreprise d’un geste plus complet – certes accompli avec
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les moyens du temps – et sur ce que représente ici l’archétype d’une atteinte qui peut être mortelle. Il
faut encore ajouter, comme je l’ai déjà indiqué ailleurs, que par la magie du soin, le malade-Horussouffrant rejoint le médecin-Horus-vainqueur. Il s’agit d’un couple en lutte contre la maladie. Par trop
religieuse qu’elle puisse paraitre de nos jours, cette association patient-soignant n’en reste pas moins
étonnement moderne, et elle gagnerait sans doute à être prolongée sans oubli dans notre pratique
médicale trépidante quotidienne (!)
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Figure 13 : Ostracon magique en hiératique
(M.E., MRAH Bruxelles 3209). (CdE, 42,
1967, fig. 2).
Figure 14 : Restitution hiéroglyphique réalisée par Baudouin
van de Walle. (CdE, 42, 1967, fig. suivante).
Les objets
Si les textes forment naturellement la partie la plus importante de l’étude fondamentale de la médecine égyptienne, la muséologie ne constitue pas moins une partie des plus académiques de
l’observation rationnelle de la perception naturaliste des hommes de ce temps. Aussi, l’œil du spécialiste devra s’efforcer de scruter tous les détails susceptibles d’apporter quelques éléments discriminateurs, et cela, dans les domaines anatomiques, physiologiques et pathologiques. En effet, la standardisation apparente et les styles inhérents aux différentes époques laisse parfois apparaître (hors artefacts) des particularités qui sont : soit normales (Ex. les différences sexuelles), soit ordinaires pour des
types de personnages (Ex. les nanismes), soit inhabituelles et relevées au mieux après avoir été remarquées par l’artiste (Ex. le genu recurvatum), soit exceptionnelles et mises en évidence d’une manière particulièrement soignée (Ex. mon exemple tumoral mammaire chez l’homme en infra), ou bien
encore, exagérée ou semblant telles (Ex. les statuettes dites « grotesques »). Dans tous les cas, ces
différences sont porteuses d’informations, et il restera à les reconnaître.
En anatomie, bien que souvent évidentes quand il s’agit des formes générales, les choses se compli01 mai 2016
quent si l’on tente de les aborder plus finement – car elles ne sont pas toujours constantes selon : les
moyens d’expressions artistiques, la plus ou moins juste connaissance de l’auteur, et, la liberté exprimée dans les réalisations très variables selon les époques. Après une étude assez poussée (13), j’ai
cependant assez longuement déjà démontré que les savoirs anatomiques superficiels pharaoniques
sont relativement bons tels qu’ils sont perceptibles par exemple dans la statuaire. Ils dénotent même
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des notions plus profondes et visibles en superficie, mais que seules des recherches plus internes un
peu fouillées peuvent apporter après dissections. Cette compréhension dans l’espace ne peut provenir
que d’un enseignement médicalisé. Il en va différemment pour les bas-reliefs et les peintures à la détrempe, où curieusement, l’art conserve des maladresses souvent extraordinaires comme à propos
des mains doubles, des épaules en faux profils, et autres perspectives bizarres qui laissent les observateurs modernes dans l’embarras. J’ai aussi émis l’hypothèse que ces fausses erreurs anatomophysiologiques proviendraient en réalité, non pas d’habitudes picturales ancestrales ou de styles,
mais, de volontés de représentations significatives de restrictions de mouvements ou d’aptitudes,
dictées par les besoins de la magie représentative. Par exemple, telle position ne serait opérationnelle
que dans un sens donné, celui imprimé par la religion et la politique. Cette simple prophylaxie protègerait donc de toute malveillance. De cette façon, nous voyons que dans l’art de ce peuple, c’est bien
« l’intention qui compte » (au sens fort), et non toujours la justesse de la représentation corporelle,
qui elle, est bien fidèlement rapportée quand il le faut vraiment.
Pour les indices visuels relevés sur des œuvres et qui sont témoins des représentations égyptiennes
anciennes de certains phénomènes physiologiques, il faudra être particulièrement attentifs, comme il
se doit aux détails, mais aussi à leurs variations d’un objet à un autre, et, des contextes dans lesquels
ils se placent. Par exemple, quelque chose d’allure toute symbolique peut, après discernement, révéler
un contenu compatible avec la physiologie humaine, ou bien celle d’un modèle animal, et il se trouve
que cette dernière non humaine appuie et renforce celle, humaine, ou même, un souhait de néophysiologie de résurrection, y compris un néo-biotope post-mortem. C’est le cas par exemple des
scènes de reproduction et d’accouchement bovins et de divers animaux établis à grands frais sur les
parois des grandes tombes (14). Il s’agit en l’occurrence, dans ce cas, d’assurer la fécondité du cheptel, la bonne nutrition du défunt et de ses proches, et donc par conséquent, de toutes les jouissances
de la vie réelle (physiologiques et amoureuses), durant l’éternité. Il est ainsi très important de bien
comprendre à cette occasion, que, pour un égyptien, tout déroulement biologique personnel, toute
évolution physiologique organique, et qui concourent ensemble depuis l’enfance : à sa croissance, à
sa maturité, à sa vélocité motrice, à tout fonctionnement normal végétatif et intelligent, se disposent
à être régénérés au moment ultime de la renaissance après justification divine. La mort n’étant perçue que comme une solution de continuité qui est à « dépasser ». Après cette épreuve, le corps est
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alors compris comme « glorieux », c’est-à-dire « doué de vie (éternelle) » et désormais à l’abri de tout
mauvais fonctionnement, et donc, de pathologie. Dans la mesure où tout événement vital dans l’audelà correspond à une fonction copiée sur la résultante royale et divine, la répercussion antérieure
terrestre s’accommode déjà de cette projection et élève les programmes viscéraux et comportementaux ici-bas et les rend accessibles aux volontés des divinités protectrices garantes des bons fonction-
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nements. Ainsi, l’activité des organes transparait parfois au travers d’objets consacrés. À nous de les
débusquer.
En ce qui concerne maintenant les signes visuels relevant de la pathologie, il faut ici noter que les
écarts représentatifs les plus importants sont parfois ténus – comme un simple trait ou deux. Je
prends toujours comme exemple une rétraction mamelonnaire isolée chez l’homme que j’ai relevée
sur deux statues différentes de Maya (XVIIIe dyn., Rijksmuseum van Oudheden de Leyde) qui présentent des dissymétries au niveau de la poitrine. De plus, on note une progression sur la statue AST1 par
rapport au groupe AST3 exactement au même endroit. Cela peut donc correspondre à une rétraction
pathologique du sein gauche et évoquer un cancer (15). Cependant, les diagnostics sont souvent
moins difficiles à porter. Pour des problèmes simples, voir par exemple une gynécomastie liée à l’âge
chez l’homme représentée sur la stèle C2 du Louvre ; une autre gynécomastie et bourrelets du scribe
Hepi (Musée égyptien du Caire, statue du scribe accroupi n° JDE 44861) (16) ; mêmes éléments biens
visibles sur trois statues d’un scribe conservées au Musée du Louvre [Fig. 17]. Pour d’autres ennuis
plus sérieux, voire une franche gynécomastie et obésité d’un personnage représenté sur une paroi de
la tombe d’Ânkhmahor (VIe dyn., Saqqâra) (17) ; celle du vizir Hémiounou (IVe dyn., Giza, mastaba G
4000, Pelizaeus-Museum d’Hildesheim, 1962) (18). Pour des complications, voir aussi une gynécomastie très probablement consécutive à une cirrhose bilharzienne chez un homme dans la tombe de Mehou (Saqqâra, VIe dyn.) (19) … Voir également l’affection de la reine de Pount telle qu’elle est montrée sur plusieurs supports différents (Martin 2014) (20).
En ce qui concerne les objets usuels de la vie courante, ils sont abondamment décrits. Les amulettes et
les exvotos également. Pour les instruments disponibles dans la tousse du médecin, y compris ceux
servant à la petite chirurgie, j’en ai déjà beaucoup parlé [Fig. 15] (21). Je renvoie donc pour tout cela
aux ouvrages parus.
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Figure 15 : Trois instruments métalliques du Musée du Val de Grâce. © R.-A. Jean.
Aussi, je ne prendrai ici que quelques exemples puisés dans la statuaire, les peintures et reliefs, les
ostraca figurés, les amulettes, et les momies.
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La statuaire
Les rondes-bosses laissent aussi parfois paraître, en plus des détails anatomiques, quelques signes
bien visibles de maigreur, [Fig. 16, 17, 18 et 19] d’obésité, de gynécomastie, ou encore de bourrelets
généreux ... On connaît également les déformations crâniennes particulières à la période amarnienne.
Il faudrait encore parler des modèles en bois décrivant des actions de la vie courante et qui nous renseignent par exemple sur les postures et montrent parfois quelques pathologies (mal de Pott …).
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Figure 16 : Meunière émaciée Figure 17 : Trois statues du vizir Montouhétep (XIIe dyn., Louvre, A 123, A 124, A
(A.E., Louvre, E 7704). © R.-A. 122). © R.-A. Jean.
Jean.
Figure 18 : Côtes apparentes, épine dorsale et
omoplates de la même meunière (A.E.,
Louvre, E 7704). © R.-A. Jean.
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Figure 19 : Bédouin mourant de
e
faim (V dyn., Louvre, E 17381).
© R.-A. Jean.
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Les peintures et les reliefs
Les peintures à la détrempe et les reliefs égyptiens nous montrent aussi quelques scènes épiques,
comme des vomissements [Fig. 20], ou encore des indices cliniques comme des hernies ou d’autres
signes corporels visibles extérieurement et non gommés. En orthopédie nous reconnaîtrons par
exemple le pied bot, et le genu recurvatum. Une stèle montre un homme portant des séquelles de
poliomyélite avec un membre inférieur atrophié et un pied en varus équin. Voir aussi un « accident du
travail » [Fig. 21]. On trouvera diverses représentations de danses acrobatiques, de gymnastique,
d’entraînements armés, de punitions corporelles, et encore de diverses vicissitudes, des éclopés, des
mutilés, des blessés de guerre (Ramesseum …), des noyés. On rencontre aussi naturellement des
scènes de soins (réanimation, réduction de luxation, OPH, évacuations sanitaires, ablation d’épine,
massages, manucures, pédicures …), ainsi que d’autres montrant des stades de préparation de divers
ingrédients entrant dans la composition des prescriptions (vins, bières, miel, sangs, plantes, onguents,
parfums …). Une suite de bas-reliefs du temple de Karnak montre en détail des spécimens de nombreux végétaux exotiques contenus dans un jardin botanique. Différents objets de laboratoires figurent sur les parois des officines spécialisées des temples comme à Edfou. On trouve aussi des plateaux
chirurgicaux (Kôm Ombo), des scènes de circoncision (Saqqarah), et aussi, des « comptages anatomiques » (sexes, têtes, cœurs, mains) qui correspondent sans doute aux premières « statistiques aux
armées ».
e
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Figure 20 : Vomissements (XVIII dyn., Bruxelles,
MRAH, E 2877). © R.-A. Jean.
Figure 21 : Accidents du travail (Tombe d’Ipuy,
e
XIX dyn., Louvre, E 17381). (N. de Garis Davies,
1930).
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Les ostraca figurés
À côté des ostraca inscrits que j’ai déjà cités, il en existe d’autres qui sont couverts de dessins ou
d’esquisses. Ainsi, les ostraca figurés représentent surement l’une des sources des plus intéressantes
qui nous soient parvenues. On peut en effet admirer sur un grand nombre d’entre eux bien des scènes
librement représentées sans artifice. Telle cette nourrice en mèches qui allaite à l’ombre d’un kiosque
de végétaux et à qui une servante tend un miroir et un flacon de
kohol [Fig. 22 = Louvre 2339]. Ou encore cette autre mère de
qualité allaitant tout en prenant un bain de pied aidée par sa
petite servante noire (Cat. IFAO 2858). Une femme se trouve
alanguie sur un lit placé dans une alcôve de toile moustiquaire
(Cat. IFAO 2345 pl. III). Ou au contraire, on nous dépeint des danseuses très agiles (Turin 7052), ou faisant le pont. Il existe aussi
une quantité extravagante de scènes érotiques, ou, satiriques …
Plus sérieusement, plusieurs activités professionnelles sont représentées ou mimées, comme ce pharaon raccommodeur de filet
(Louvre E 25310). Là encore des scènes de chasse, de sport (Caire
CG 25132), d’entraînement armé (Louvre E 25340), les scènes de Figure 22 : Nourrice (Période ramesside,
guerre sont nombreuses, les situations des ennemis peu envieuses
Louvre, 2339). © R.-A. Jean.
... Beaucoup de représentations animalières nous font comprendre la proximité de différents compagnons comme des chiens, des bovins ou de petits bétails, des singes [Fig. 24 = Louvre E 27666], la
présence de rats (Caire CG 25132), beaucoup pouvant transmettre quelques parasites ou maladies.
Voir encore une monture en
amazone au galop (Stockholm
MM 14057), un accident avec
un taureau [Fig. 23 = Louvre E
14367], un homme déchiqueté
par un lion (Kerma), un homme
qui tombe d’un palmier (Caire,
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Musée copte, 54987). D’autre
ostraca
sont
l’objet
d’observations naturalistes ou
biologiques comme des accouFigure 23 : Ostracon. Un taureau renverse un vacher (Période ramesside, Louvre,
E 14367). © R.-A. Jean.
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plements [Fig. 25 = Louvre E
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14311], puis des naissances de bêtes diverses. Certains montrent des tracés de pièces de tissus ou de
charpies : serviettes, couches, bandes, compresses (IFAO BE 142) … Bien entendu, les ostraca présentent aussi parfois des individus atteints de quelques pathologies ou difformités, comme des bossus,
des « mal de Pott » (Cambridge, FM, EGA 106.1949 ; New York, MMA 23.3.31 ; Hanovre, KM,
2001.297 …) (22), des bancales, des tordus, des obèses, et même des simples d’esprits. Je ne puis les
énumérer tous.
Figure 24 : Babouin dressé à cueillir les fruits (Période ramesside, Louvre, E 27666). © R.-A. Jean.
Figure 25 : Renard copulant (Période ramesside, Louvre, E 14311). © R.-A. Jean.
Les amulettes
Nous possédons dans nos musées une très grande quantité de ces objets manufacturés dans pratiquement toutes les matières possibles et à toutes les époques. S’ils sont réputés « magiques », ils
représentent aussi pour quelques-uns des parties anatomiques humaines, des animaux, des végétaux,
et ne sont donc pas complétement inutiles à notre recherche. Certains sont même inscrits. Ils représentent donc une source non négligeable d’indices qui reste à explorer. Par exemple parmi eux, j’ai
déjà parlé ailleurs d’une représentation cérébrale (23), d’autres pulmonaires, et des « scarabées de
cœur » (24). Aussi, je n’ajouterai dans cette introduction que deux petites perles et deux amulettes de
cœur en pâte de verre colorée conservées au musée du Louvre (N.E) [Fig. 28 et 29], et dont les teintes,
sont, si elles ne sont certes pas exclusives (il y en a des vertes et jaune), néanmoins intéressantes
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puisque elles sont rouge ou bleu. Elles n’apparaissent en effet non pas d’un « bleu égyptien » classique tirant sur le vert à la manière de la turquoise, mais bien d’un bleu plus sombre à la façon du
lapis-lazuli. L’une d’elle mêle des bandes rouges et bleues (séparées de blanc) [Fig. 26], et une autre
alterne juste des bandes bleues (blanches et bleues) [Fig. 27]. Il est impossible de savoir si l’artiste ou
son commanditaire tenaient dans ces œuvres à montrer le sang rouge et le sang bleu, mais le fait que
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l’organe ainsi façonné représente un cœur ne n’exclue pas définitivement si l’on considère quelques
aspects physiologiques déjà développés dans une suite d’articles consacrés à la respiration en Égypte
ancienne (Cf. dernière note en supra). Pour la couleur alternée verte foncée d’autres de ces perles en
forme de cœur, elle pourrait bien, elle, évoquer la force développée en son centre qui le fait battre
(croitre et décroitre), ainsi que son alternance avec le jaune, son potentiel de régénération au moment de la résurrection. Quant au noir profond qui compose la couleur dominante d’un autre petit
cœur en pâte de verre conservé au MRAH de Bruxelles (E 1852), il représente (comme pour Osiris) la
composition même de sa propre chair que l’on découvre également nimbée de rouge foncé par endroits et barrée de bandes rouges (et blanches). Ainsi, nous voyons qu’en Égypte toutes les couleurs
avaient un sens, y compris biologique.
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Figure 26 : Cœur en pâte de verre
colorée (Louvre). © R.-A. Jean.
Figure 28 : Cœur en pâte de
verre colorée (Louvre). © R.-A.
Jean.
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Figure 27 : Cœur en pâte de verre
colorée (Louvre). © R.-A. Jean.
Figure 29 : Cœur en pâte de verre
colorée (Louvre). © R.-A. Jean.
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J’ajouterai à ces pièces muséologiques une représentation du dieu Bès [Fig. 30]. Cet objet conservé au
Musée du Louvre montre le personnage habituel, avec en plus dans sa poitrine, ce qui correspond à la
partie inférieure ouvragée d’un signe pulmonaire sm3 (F 36) de cette période.
Figure 30 : Le dieu Bès (Bronze, époque ptolémaïque,
Louvre E 25948). © R.-A. Jean.
Or, cette divinité impliquée dans la naissance agit aussi comme protectrice des nourrissons. Le sens de
cette figuration particulière est clair : elle rejoint cette fois par la prophylaxie le souhait d’une bonne
résolution pulmonaire, et qui correspond dans un texte bien connu, à l’expression sonore du cri du
désir de vivre du nouveau-né « Ny ! » (Fort et clair) poussé au moment d’un pronostic vital post natal.
Par contre, un son assourdi, confus « mby » (Faible et étouffé) signifie qu’il ne survivra pas (Papyrus
Ebers 838. 97, 13-14), car le bébé est en souffrance, il se plaint, il est encombré (Papyrus Ebers 839.
97, 14-15). D’autres textes indiquent que l’enfant peut être cyanosé.
Les momies
Les sujets conservés sont découverts par les archéologues, et sous ces latitudes dans ce pays, soit
grâce à un processus naturel résultant d’une simple dessiccation dans les sables du désert ou dans
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une sépulture de pierres sèches (Brodeuse du MRAH de Bruxelles), ou bien, grâce à l’aide de techniques spéciales d’embaumement qui varièrent selon les époques et la qualité apportée. Ces dernières
méthodes étaient assez sophistiquées. Comme les organes les plus importants devaient être prélevés
pour être traités à part, les procédures nécessitaient diverses formes d’intrusions manuelles et instrumentales dans le corps. Afin de conserver au mieux les chairs, on utilisait du natron dissolvant.
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Puis, on répartissait de grandes quantités de baumes assouplissants et d’huiles parfumées – et cela,
au point que les momies égyptiennes artificielles elles-mêmes (mumiæ sepulchrorum) servirent autrefois (surtout entre le XVIe et le XVIIe siècle) de médicament (25) (!) Elles étaient ensuite recouvertes de
bandelettes de lin, souvent judicieusement et artistiquement disposées [Fig. 31 et 32]. Ce détail augure pour nous des pansements tout aussi bien confectionnés pour les vivants.
Figure 31 : Un savant bandelettage de momie
(Époque ptolémaïque, Louvre, N 2627). © R.-A.
Jean.
Figure 32 : Détail du bandage en croisillons
(Époque ptolémaïque, Louvre, N 2627). © R.A. Jean.
Les explorations actuellement mises en œuvre pour leur arracher leurs secrets sont les mêmes que
celles couramment utilisées dans les hôpitaux pour les malades (Fibroscopie, radiologie, scanner …).
Les vases et les paquets canopes qui accompagnent le défunt peuvent encore contenir des restes
identifiables d’organes. Ils sont parfois accessibles à l’histologie et à l’anatomie pathologique. Pour ne
prendre qu’un exemple, les dents sont porteuses d’une quantité d’informations biologiques (ADN
…)(26). D’autres analyses très fines permettent de diagnostiquer quelques maladies infectieuses et
donc d’affirmer ou d’infirmer leurs présences à différentes époques.
Les restes d’animaux momifiés peuvent être découverts porteurs de parasites et d’agents vec-
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teurs (27). La parasitologie, la bactériologie, la virologie et la biochimie avec toutes ses techniques
(sérologies, immunofluorescences …) sont également utiles à l’évaluation sanitaire historique de ces
époque lointaines, et cela, grâce à la science de la conservation des corps en Égypte ancienne (28).
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Anthropologie
La mortalité infantile
En ce qui concerne la mortalité infantile, on estime qu’un tiers des enfants n’atteignait pas l’âge de 5
ans (29). Pourtant, les mères prenaient grand soin de leurs nourrissons, et l’allaitement était particulièrement surveillé (30) – restaient les maladies infantiles et les accidents. Or, nous savons que par
exemple en France aux alentours de 1740, près d’un nouveau-né sur trois mourait avant d’avoir atteint son premier anniversaire, et que sur en gros huit à dix naissances, trois ou quatre arrivaient à
l’âge adulte (31). La situation changera progressivement à partir de la fin du XVIIIe siècle. Vers 1850,
la mort ne frappe plus qu’un nouveau-né sur six. Cette baisse est due à la vaccination contre la variole, à l’amélioration des méthodes d’accouchement, et des premiers soins donnés au nouveau-né.
Nous savons aussi que la mortalité infantile en Afrique n’a diminuée que très récemment, mais pas
partout (OMS et UNICEF). Les anciens médecins égyptiens, dont certains spécialisés travaillant auprès
de la mère et de l’enfant, obtenaient donc des résultats assez comparables à ceux enregistrés au
moins aux XVe-XVIe en Europe, et bien plus tard dans beaucoup d’endroits du continent africain.
L’espérance de vie
En ce qui concerne l’espérance de vie, nous savons après études des restes humains que celle-ci a
évolué ou régressé selon les époques. En effet, en cas de guerres, de difficultés économiques afférentes, de disette, ou encore de diverses épidémies, l’espérance de vie était diminuée surtout dans les
classes sociales inférieures, et aussi d’une façon plus étendue dans les régions géographiques atteintes. Ainsi, selon les périodes en Égypte ancienne, l’espérance de vie se situait entre 25 et 35 ans,
voir 40 ans, et avec des exceptions notables pour les personnes évoluant dans des milieux privilégiés,
même si par exemple le pharaon Ramsès II vécu jusqu’à 92 ans. Nous ne sommes donc pas si loin de
l’espérance de vie des Français au XIXe siècle puisque celle-ci avoisinait en gros 33 ans (32) (!)
Si l’on veut comparer avec les mondes antiques grec et romain, nous trouverons selon les sources et
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les auteurs : 30-35 ans en Afrique (Suder, 1981), moins de 30 ans à partir des tables de mortalité
(Scheidel, 2001), moins encore (Frier, 1982 et 1983), 37,2 ans d’âge moyen au décès dans l’Égypte
chrétienne (Boyaval, 1992) (33), guère plus de 25 ans en Égypte romaine (Bagnall et Frier, 1994). Voici encore les dates de naissance et de décès de quelques personnages antiques : Pythagore : (580490) à 90 ans ; Thalès de Millet (640-560 av. JC) à 80 ans ; Platon (427-347) à 80 ans ; Euripide (vers
480-406) à environ 74 ans ; Anaxagore (500-428) à 72 ans ; Eschyle (vers 525-456) à environ 71 ans ;
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Thucydide (460-395) à 65 ans ; Aristophane (vers 450-386) à environ 64 ans ; Aristote (384-322) à 62
ans ; Herodote (484-425) à 59 ans … Périclès fut généralissime jusqu'à sa mort survenue vers 66 ans,
et un demi-siècle plus tard, le roi Agésilas de Sparte mourut à l'âge de 84 ans à son retour d’Égypte.
Trois des généraux d'Alexandre devenus monarques ont vécu jusqu'à un âge très avancé : Ptolémée
en Égypte peut-être jusqu'à 85 ans, Antigone de Macédoine jusqu'à 80 ou 81 ans, Séleucos en Syrie
jusqu'à plus de 75 ans. Auguste, fondateur de l'Empire romain, commença sa carrière alors qu'il approchait les 20 ans et mourut, premier empereur romain, à l'âge de 72 ans … Il y a tout lieu de penser
qu’en Égypte les moyennes étaient comparables pour les personnalités et leurs familles ayant vécu
dans des milieux protégés.
Il faut encore indiquer à ce sujet que nous n’avons pratiquement pas à ce jour de textes égyptiens
concernant la gérontologie, sauf une proposition destinée à « transformer un vieillard en jeune
homme » (!) Il s’agit en fait d’une préparation pré-galénique complexe destinée à produire une huile
spéciale très purifiée, et réputée faire disparaître les principales imperfections dermatologiques dues
à l’âge (Papyrus Smith 21, 9 -22,10). Il existe encore d’autres formulations éparpillées, des indices
anatomiques et physiologiques, ainsi que des traces de pathologies, inclus dans la littérature du
temps, même religieuse et touchant à vieillesse des dieux (reflet mythologisé de la vieillesse des
hommes). Si l’on compare à une autre médecine plus tardive, on peut voir dans les Aphorismes hippocratique (1.14), que : « Les vieux ont peu de chaleur et ils n'ont besoin que de peu de nourriture qui
produise de la chaleur ; trop de cette nourriture éteindrait seulement la chaleur qu'ils possèdent. Pour
cette raison, les fièvres ne sont pas si aiguës chez les vieillards, parce qu'alors le corps est froid » ;
puis, une brève section est simplement consacrée à l'énumération des maladies caractéristiques de
chaque tranche d'âge : celles des vieux sont les toux de catarrhe, l'arthrite, la néphrite, l'apoplexie,
l'insomnie, la perte d'acuité visuelle, la surdité et quelques autres. Il n’est pas question de démence.
Conclusion
Par manière de conclusion, je dirai déjà simplement ici et avant d’y revenir dans un autre travail plus
largement documenté, que les praticiens égyptiens pharaoniques, grâce à leur formation et par leurs
efforts engagés dans une médecine pour tous (étatique), parvenaient finalement à des résultats assez
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comparables à ceux supposés obtenus vers les XIIe-XIVe siècle en Europe – pas beaucoup moins. Cela
s’explique par une stagnation des sciences médicales trop dépendantes de celles de l’antiquité – les
seules qui étaient enseignées dans les universités. Ces dernières doctrines dérivaient pourtant pour
partie des Maîtres ayant dispensé leur savoir à Alexandrie, nous l’avons vu au début de cet article
(Sources), connaissances elles-mêmes détenues en grande part et promulguées au fil des millénaires
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antérieurs par les médecins pharaoniques. Ainsi, le même phénomène que sur les bords du Nil se reproduit après l’ère chrétienne – en ce sens que la théocratie pharaonique qui dut freiner d’une certaine façon dont j’ai déjà parlé le progrès médical pour conserver sa légitimité – se voit continué dans
ses conséquences par un néo-conservatisme à la fois politique, religieux et universitaire. Les grands
centres jaloux de leurs prérogatives issues des privilèges acquis se disputaient leurs importances avec
la bénédiction de l’Église – pas mécontente de détenir, par ce biais, un autre moyen de pression sur
les souverains. Jusqu’à ces époques pas si éloignées donc, la médecine restera quelque peu « politique », comme en Égypte antique.
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Références
1- R.-A. Jean, Pour une Histoire de la Médecine égyptienne, tome I : fascicule 1. Bibliographie thématique – fascicule 2. Bibliographie nominative et chronologique, Paris, 1995 ; ID., La Base Progressive,
Indexée et Thématique de la Médecine égyptienne (BPITME = HME 13), Paris, 1995- (en préparation) ;
J. C. Rose, Bioarchaeology of Ancient Egypt and Nubia. A bibliograpgy, British Museum, Occasional
Paper 112, London, 1996 ; L. Sabbahy, Paleopathology of the Ancient Egyptians. An Annotated Bibliography 1998–2011, Le Caire, 2012. Pour les tous derniers titres publiés jusqu’en 2016, se reporter à
mes dernières publications.
2- Hérodote, Livre II, 84 : « La médecine est répartie en Égypte de cette façon : chaque médecin soigne
une seule maladie, et non plusieurs. Aussi (le pays) est-il plein de médecins (et on les recherchait à
l’étranger : III, I, 129) ; les uns sont spécialistes des yeux, d’autres de la tête, des dents, du ventre, ou
encore des maladies d’origine incertaine. » retraduit du grec (R.-A. Jean 2016). Cf. Hérodote, Histoires. Texte grec original présenté, traduit et annoté par Philippe-E. Legrand, Les Belles Lettres, Paris,
II, 2009, p. 120.
Il s’agit de la notion grecque de l’époque.
3- Voir encore S.H. Aufrère, « Manéthôn de Sebennytos, médiateur de la culture sacerdotale du Livre
sacré : vers de nouveaux axes de recherche », dans B. Legras (éd.), Transferts culturels et droits dans
le monde grec et hellénistique. IIèmes Rencontres internationales sur les transferts culturels dans
l’Antiquité méditerranéenne, Reims, 14-17 mai 2008, Presses de la Sorbonne (Histoire ancienne et
médiévale – 110), Paris, 2012, p. 321.
4- Voir l’analyse fournie sur Diodore de Sicile I, 82 par S.H. Aufrère, « Médecine et guérison dans les
religions de l’Égypte ancienne. Note à propos du passage de Diodore Livre I, § LXXXII », dans J.-M.
Marconot (éd.), Représentation des maladies et de la guérison dans les textes de la Bible. 1er-2 décembre 2000, Université Paul Valéry, Montpellier, 2002, p. 87-106.
5- R.-A. Jean et al., Protocole CROCO - I & CROCO II : Détermination des composés utiles à la pharmacopée et contenus dans les selles et le sang du crocodile du Nil, éd. Université Denis Diderot - Paris VII,
Paris, 2001 ( = R.-A. Jean, G. Durand, A. Andremont, L. Barbot, V. de Bufrénil, N. Cherubin, G. Feldmann, E. Ferrary, L. Fougeirol, J.G. Gobert, C. Harault, O. Kosmider, G. Le Moël, A.-M. Loyrette, J.
Pierre, T. Phung-Koskas, C. Sifer, M. Teixiera, À propos des zoothérapies en médecine égyptienne, I,
Les reptiles, 1, Le Crocodylus niloticus Laurenti (1). Protocole CROCO I, CNRS, Paris V, Paris VII et Paris
XI, 2000 ; R.-A. Jean, T. Berthier, V. de Bufrénil, M. Hakim, A.-M. Loyrette, À propos des zoothérapies
en médecine égyptienne, I, Les reptiles, 1, Le Crocodylus niloticus Laurenti (2). Protocole CROCO II,
CNRS, Paris-V, Paris-VII et Paris-XI, 2001.CNRS, Paris V, Paris VII et Paris XI, 2001. Déroulement : R.-A.
Jean et al., Reportage : R-A Jean, L. Delalex, L. Fougeirol, N. Goldzahl, M. Lesggy, M. Morelli, D. Heck,
S. Durin, Médecine et Contraception en Égypte Ancienne. La pharmacopée et les crocodiles, Reportage de VM Production en collaboration avec le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Paris 2001.
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6- R.-A. Jean, La chirurgie en Égypte ancienne. À propos des instruments médico-chirurgicaux métalliques égyptiens conservés au musée du Louvre, Editions Cybele, Paris, 2012, p. 18 ; — « La médecine
égyptienne – " Médecine cardiaque " : le cœur, l'infectiologie », dans Pharaon Magazine, n° 13, mai
2013, p. 42-46 ; — « Notes complémentaires sur le cœur en Égypte », dans Histoire de la médecine en
Égypte ancienne, Cherbourg, 06 mai 2013 ; — « Notes complémentaires sur le cœur en place, embaumé, ou perdu en Égypte », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 20 mai
2013 ; — « La place du cœur dans les anthropologies égyptienne et comparées. Perspective médicale », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 3 juin 2013 ; = cliquez :
(http://medecineegypte.canalblog.com/pages/la-medecine-en-egypte-ancienne---ii/25975517.html).
R.-A. Jean, « Le cœur cérébral en Égypte ancienne », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne,
Cherbourg, 27 juin 2013 ; — « Le cerveau cardial en Égypte ancienne », dans Histoire de la médecine
en Égypte ancienne, Cherbourg, 29 juin 2013 ; = cliquez :
(http://medecineegypte.canalblog.com/pages/neurologie---iv/27515964.html).
7- R.-A. Jean, « Le système respiratoire en Égypte ancienne (3) Physiologie humaine théologique et
royale (1) La fête sed et le souffle du roi », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 27 février 2014 = (http://medecineegypte.canalblog.com/pages/pneumologie---iii--physiologie---souffle/29317980.html) ; — « Le système respiratoire en Égypte ancienne (6) Physiologie humaine théologique et royale (4) Conclusion cardio-pulmonaire », dans Histoire de la médecine
en Égypte ancienne, Cherbourg, 10 avril 2014 ; — « Le système respiratoire en Égypte ancienne (7)
Physiopathologie (1) Associations pneumo-hépato-splénique et cardio-circulatoires », dans Histoire de
la
médecine
en
Égypte
ancienne,
Cherbourg,
20
avril
2014
=
(http://medecineegypte.canalblog.com/pages/pneumologie---vii---physiopathologiei/29689511.html).
8- Dawson dans : J.W.B. Barns, Five Ramesseums Papyri, Oxford, 1956, S. 26 : « Valerian ». Bardinet
1995, p. 479 : valériane ( ?). Westendorf 1999, I, p. 71, ne se prononce pas. Hannig 2006, 32202 non
plus. Germer 2008, p. 129, ne le pense pas. Ici, cette indication portée à distance du texte conviendrait. Il faut aussi rappeler que l’activité pharmacologique d’une plante ne peut être appréciée qu’à
propos de pathologies reconnues, et que les textes égyptiens n’ont pas encore tous été « relus » d’une
manière vraiment « clinique ».
9- Chr. de Vartavan, V. Asensi Amorós, Codex des restes végétaux de l’Égypte ancienne, Londres,
1997, p. 272.
10- Traduction et détermination taxonomique dans : Th. Bardinet, Relations économiques et pressions
militaires en Méditerranée orientale et en Libye au temps des pharaons, Cybèle, Paris, 2008, p. 97101.
11- Traduction et détermination taxonomique dans : R.-A. Jean, A.-M. Loyrette, ERUV III, 2005, p. 387406.
12- L. Mitteis, U. Wilcken, Grundzüge und Chrestomathie der Papyruskunde, Hildesheim, 1963, n° 136
p. 162. Il s’agit de l’engagement d'un médecin et tuteur de grec dans une grande famille égyptienne
(Engagement eines griechischen Hauslehrers in einer ägyptischen Familie. Andererseits spricht der
Beruf des PALOU.. ES als IATROKLUSTES nicht gerade für jene Annahme. Ich denke daher an eine
Stelle in der Familie. Wenn der Arzt, der offenbar ein Ägypter ist, seine Kinder nicht von einem Ägypter, sondern von einem Griechen, der auch Ägyptisch kann, erziehen lässt, so solten sie offenbar nicht
nur Ägyptisch, sondern auch Griechisch lernen.)
13- Une partie de ces élément sont publiés et directement accessibles par exemple dans : R.-A. Jean,
« Anatomie humaine », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg et Angers, 20142016 : items en référence / http://medecineegypte.canalblog.com.
14- R.-A. Jean, L’Art vétérinaire et la naissance des bovins dans l’Égypte ancienne, Biltine, 1998 et
réimpression anastatique en 2011 ; 3e édition revue et augmentée en 2012.
15- Pour une photo chez l’homme, voir, par exemple : J. LIPSZYC, « Cancer du sein chez l’homme »,
dans A. GORINS (éd.) 1995 op. cit., p. 1119.
16- M. Saleh, H. Sourouzian, Catalogue officiel du Musée Égyptien du Caire, Mainz, 1987, n° 148.
17- Clichés : C.M. Firth, B. Gunn, Excavation at Saqqara : Teti Pyramid Cemeteries, Le Caire, 1926. A.
www.clystere.com / n° 50.
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BADAWY, The Tomb of Nyhetep-Ptha at Giza and the Tomb of Ankhm’ahor at Saqqara, University of
California Press, Berkeley, 1978.
18- Cliché : M. Hill, dans Cat : L’Art égyptien au temps des pyramides, Paris, 1999, n° 47, p. 196-197.
19- Z. Saad, ASAE XL/11, 1941, p. 675-687.
20- Jean-Pierre Martin, « La reine de Pount souffrait-elle de Cutis Laxa ? », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 7 juillet 2014 :
http://medecineegypte.canalblog.com/archives/2014/07/06/30201773.html`
21- R.-A. Jean, À propos des objets égyptiens conservés du musée d’Histoire de la Médecine, Paris, éd.
Université René-Descartes - Paris V, Paris, coll. « Musée d'Histoire de la Médecine de Paris », 1999 ; —
La chirurgie en Égypte ancienne. À propos des instruments médico-chirugicaux métalliques égyptiens
conservés au Musée du Louvre, Éditions Cybele, Paris, 2012 ; — « La Médecine et la chirurgie dans
l’ancienne Égypte », dans Pharaon Magazine, n° 11, novembre 2012, p. 46-51. — « Forces ancêtres
des ciseaux chirurgicaux. À propos de deux modèles égyptiens », Clystère (www.clystere.com), n° 23,
2013, p. 10-14 ; — « Dioptres ancêtres des grands spéculums. À propos de deux représentations égyptiennes », dans Clystère (www.clystere.com), 29, avril 2014 ; — « Trois objets égyptiens antiques du
Musée du Val-de-Grâce », Clystère (www.clystere.com), n° 38, mars 2015, p. 3-14 ; — « Une suite
d’instruments antiques du Musée du Val-de-Grâce », dans Clystère (www.clystere.com), n° 39, avril
2015 ; « Autres instruments antiques et anciens du Musée du Val-de-Grâce », dans Clystère
(www.clystere.com), n° 40, mai 2015. R.-A. Jean, A.-M. Loyrette, 2010, p. 431-460. R.-A. Jean, X.
Riaud, « L'odonto-stomatologie en Égypte antique – I , L'instrumentation disponible », dans Histoire
de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 1er octobre 2013.
22- R.-A. Jean, « Anatomie humaine. Le rachis - II. Atlas anatomique égyptien commenté », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 16 mars 2015, Fig. 45-51 p. 25-26.
23- R.-A. Jean, « Anatomie humaine. La tête et le cou – II, Ostéologie et parties molles », dans Histoire
de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 27 mai 2015, p. 16-19 et Fig. 14-16, Fig. 8 p. 14.
24- R.-A. Jean, « Le système respiratoire en Égypte ancienne (6) Physiologie humaine théologique et
royale (4) Conclusion cardio-pulmonaire », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 10 mars 2014, p. 9-10 et Fig. 5 et 6.
25- Voir par exemple : An. Godfraind de Becker, « Utilisation des momies de l’antiquité à l’aube de
XXe siècle », Revue des Questions Scientifiques, 2010, 181 (3), p. 305-340. En 1924, la firme pharmaceutique Merck (Darmstadt) reprend toujours la momie artificielle dans sa liste de produits, en tous
cas dans sa liste de prix de gros : un kilo de Momia vera Aegyptica y est offerte pour 12 marks d’or !
Dans l’Index Merck de 1910, on la réservait – déjà ou encore – exclusivement à l’usage vétérinaire ...
ou à la peinture (B.R. Meyer-Hicken, Ueber die Herkunft der Mumia genannten Substanzen und ihre
Anwendung als Heilmittel. Inauguraldissertation zur Erlangung der Dok- torwürde des Fachbereiches
Medizin der Christian-Albrechts-Universität zu Kiel, Kiel, 1978).
26- X. Riaud, « Apport de l'étude de l'ADN et de la structure minérale d'une dent en archéologie et en
odontologie médico-légale à travers quelques cas historiques », Première partie, dans Histoire de la
médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 22 février 2013 ; — « Apport de l'étude de l'ADN et de la
structure minérale d'une dent en archéologie et en odontologie médico-légale à travers quelques cas
historiques », Deuxième partie, dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 23 février 2013 ; Richard-Alain Jean, « Introduction à une suite d'articles sur la paléobiologie moléculaire
(1) », dans Xavier Riaud, « Apport de l'étude de l'ADN et de la structure minérale d'une dent en archéologie et en odontologie médico-légale à travers quelques cas historiques », Première partie, dans
Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 22 février 2013.
27- R.-A. Jean « Infectiologie (1). Épidémiologie. La notion parasitaire en Égypte ancienne (1), les insectes », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 28 mai 2014 ; — , « Infectiologie (2). La notion parasitaire en Égypte ancienne (2), les mouches et leurs larves (1), épidémiologie,
prophylaxie », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 3 juin 2014 ; — , « Infectiologie (3). La notion parasitaire en Égypte ancienne (3), les mouches et leurs larves (2), génération »,
dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 10 juin 2014 ; — , « Infectiologie (4).
Quelques traces écrites possibles de la typhoïde en Égypte ancienne (1), les textes », dans Histoire de
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la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 16 juin 2014 ; — , « Infectiologie (5). Quelques traces
écrites possibles de la typhoïde en Égypte ancienne (2), observation et analyse », dans Histoire de la
médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 20 juin 2014 ; — , « Infectiologie (6). Note sur le typhus et
autres rickettsioses (1) », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 23 juin 2014.
28- Pour un bon exemple de publication en mumiologie, voir l’une des études menée au sein de notre
laboratoire : A. Macke, Ch. Macke-Ribet, Jc. Connan, Momification, Chimie de baumes, Anthropologie,
et Paléopathologie, dans Ch. Leblanc, Ta Set Neferou - Une nécropole de Thèbes-Ouest et son histoire,
V, Le Caire, 2002.
29- Voir aussi à ce sujet : A. Marshall, Être enfant en Égypte ancienne, Paris, 2014 ; — Maternité et
petite enfance en Égypte ancienne, Paris, 2015.
30- Voir à ce sujet : R.-A. Jean, A.-M. Loyrette, La mère, l’enfant et le lait en Égypte ancienne. Traditions médico-religieuses. Une étude de sénologie égyptienne (Textes médicaux des Papyrus Ramesseum nos III et IV ), Collection Kubaba – Série Antiquité – Université de Paris 1, Panthéon Sorbonne,
L’Harmattan, Paris, 2010.
31- Voir aussi à ce sujet : L. Bély, La France moderne. 1498-1789, Paris, PUF, 2003 ; B. Garnot, La population française aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, 2005.
32- En France, au milieu du XVIIIe siècle, la moitié des enfants mouraient avant l’âge de 10 ans et
l’espérance de vie ne dépassait pas 25 ans. L'espérance de vie à 25 ans (moyenne du nombre d'années de vie après 25 ans, non pas l'âge moyen auquel un individu décède) est passée de 32 ans en
1740 à 40 ans à 1870. Pour les hommes nobles, l'espérance de vie est passée de 35,6 ans avant 1550
à 40,5 ans entre 1600 et 1649, à 38 ans entre 1650 et 1679 à 43 ans entre 1770 et 1819. L'espérance
de vie à 25 ans des femmes nobles était inférieure de un à deux ans à celle des hommes. Voir à ce
sujet : Y. Blayo, 1975, « La mortalité en France de 1740 à 1829 », Population, vol.30, n° spécial, p.123143. L'espérance de vie est passée ensuite à 78,5 ans pour les hommes et 84,9 ans pour les femmes
en 2012.
33- B. Boyaval, « Remarques à propos des indications d’âge des étiquettes de momies », ZPE, 18,
1975, 49-74 ; — « La mortalité saisonnière dans l’Égypte gréco-romaine », dans J. Vercouter (éd.),
Livre du centenaire 1880-1980, Mémoires de l’IFAO 104, Le Caire, 1980, p. 281-286 ; — « Quelques
remarques démographiques sur les nécropoles de Mirgissa », CRIPEL, 6, 1981, p.191-206 ; — « Datation du décès dans l’épigraphie funéraire de l’Égypte gréco-romaine », Kentron, 4, 1988, p. 65-70 ; —
« L’âge au décès dans l’Égypte chrétienne », Kentron, 8, 1992, p. 177-180. R. Bagnall, « The Beginning
of the Roman Census in Egypt », GRBZ, 32,1991, p. 255-265 ; — « Census Declarations from Tebtunis »,, Aegyptus, 72, 1992, p. 61-84 ; — « Note on Egyptian Census Declaration V », BASP, 30, 1993,
p. 35-56 ; — « Census Declaration from the Berlin Collection », APF, 39, 1993, p. 21-28 ; R. Bagnal, B.
Frier, The Demography of Roman Egypt, Cambridge, Cambridge Univ. Pr. 1994. J.-N. Corvisier, « L’état
présent de la démograhie historique antique : tentative de bilan », Annales de démographie historique, 2001, 1, p. 101-142.
Toute référence à cet article doit préciser :
01 mai 2016
Alain-Jean R. : Pour une introduction à la médecine égyptienne. Clystère (www.clystere.com), n° 50,
2016.
www.clystere.com / n° 50.
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01 mai 2016
Figure 33 : Pour le 50è numéro de Clystère : « Le clystère », Tapisserie des Gobelins, Musée du Val de Grâce à Paris.
© R.-A. Jean.
Figure 34 : Détail de la tapisserie ci-dessus. © R.-A. Jean.
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Essai (raisonné) sur les guérisons dans les temples d’Esculape.
Louis-Jean DUPRE
Anesthésiste réanimateur, Saint Alban Leysse
Contact : [email protected]
La vie d’Asklepios ou Asclépios pour les Grecs et Esculape pour les Romains, dieu de la médecine, nous
est parvenue essentiellement par les écrits des Grecs : Hésiode (VIIIe av JC), Homère (VIIIe av JC), Pindare (518-438 av JC), Apollodore (début IIe av JC), Pausanias (IIe ap JC) et des Romains Higin (65-17 av
JC), Ovide (43 av JC -17 ou 18 ap JC) …. Souvent plus poètes qu’historiens, leurs récits divergent parfois, d’autant plus qu’ils ne nous sont accessibles le plus souvent que par des traducteurs. La biographie d’Asclepios est donc toujours sujette à caution (1-9).
La mythologie d’Asklepios
Selon plusieurs historiens, Asklepios a pu être un humain connu pour son savoir et sa bonté et qui fut
divinisé par la suite. La date de sa naissance n’est pas connue, mais elle se situerait une cinquantaine
d’années avant le siège de Troie qui eut lieu vers 1180 av JC, puisque ses fils Podalire et Machaon
étaient médecins de l’armée grecque assiégeant Troie. Sa légende dit qu’il aurait été conçu au bord
du lac Boibiis, par Apollon, subjugué par la belle Coronis, fille de Phlégias, roi de Thessalie. Son vrai
nom serait Aegla, surnommée Coronis (la corneille) en raison de sa grande beauté. Ayant peur d’être
abandonnée par Apollon, lorsqu’elle vieillirait, elle prit un amant, Ischys, le fils d’Elathos, roi des Lapithes. Apollon l’apprit peut être par divination ou parce qu’averti par une corneille. Les corneilles à ce
jour étaient blanches mais fou de colère, Apollon teignit leur plumage en noir, c’est pourquoi les corneilles sont maintenant toujours noires. Dans sa rage, Apollon partit avec sa sœur jumelle Artémis
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(Diane pour les Latins). Ils tuèrent respectivement Ischys et Coronis de leurs flêches [Fig. 1]. Alors que
le corps de Coronis est déposé sur le bucher enflammé par Hépaithos (le dieu Forgeron), Apollon extrait son fils du ventre de sa mère et le confie à Chiron, le bon centaure. Pour d’autres auteurs, Coronis suit son père à Epidaure, accouche en secret et abandonne l’enfant. Asclepios est sauvé par une
chèvre qui l’allaite et un chien qui le garde. Le berger à qui appartenait la chèvre et le chien arrive et
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veut tuer l’enfant. Mais la foudre tombe et protège l’enfant.
Le berger élève alors l’enfant avant que son père ne vienne le
reprendre pour le confier à Chiron. Alors que les autres centaures étaient frustes et cruels, Chiron était réputé pour sa
sagesse et sa science. Il connaissait la chasse, la musique, la
divination et la médecine, qu’Artémis et Apollon lui avaient
enseignés. Il savait l’art de guérir, grâce à sa grande connaissance des plantes. Achille, Jason et Ulysse auraient été les
élèves de Chiron, mais seul Asclépios s’intéressa à la médecine, délaissant l’art de la guerre et de la chasse. Athéna
(Minerve des Romains) confia à Asclépios deux fioles de sang
de la Gorgone, méduse tuée par Persée. Des deux fioles,
l’une donnait la mort, l’autre permettait de redonner la vie.
Il aurait ainsi ressuscité Lycurgue législateur mythique de
Sparte, Capanée fils d’Hypponoos, Tyndare roi de Sparte,
Hypolyte fils de Thésée, Glaucos, fils de Minos. Hades (Pluton
des Latins), le dieu des enfers, jaloux de ne pas voir arriver
ces personnages vers lui s’en plaint à Zeus (Jupiter en latin),
son frère cadet. Zeus foudroie alors Asclépios. Mais il le réinFigure 1 : Apollon tuant Coronis. Peinture de
Domenichino (Domenico Zanpieri. Le Dominiquin 1581-1641). Cette toile peinte entre
1616 et 1618 faisait partie des fresque consacrées à Apollon, dans le pavillon de jardin de
la Villa Aldobrandini à Frascati. © National
Gallery London
carne par la suite, sous la forme d’un serpent (ou la constellation du Serpentaire). La couleuvre d’Esculape (Elaphe longis
sima) est une très grande couleuvre inoffensive, mais dotée
d’un grand appétit qui devient le symbole d’une bonne santé.
Apollon en colère, après la mort d’Asclépios, va tuer les cyclopes, responsables d’avoir forgé la foudre.
Aussi Zeus, envoya Apollon comme esclave chez Admete de Phères en Thessalie pendant 1 an.
Asclépios a été marié à Epioné (celle qui soulage), fille du roi de Cos. Il eut trois fils, Podalire et Machaon, qui ont guéri la blessure de Philoctète pendant la guerre de Troie, et Télésphore (la convalescence). Il eut également six filles : Hygie (hygiène), Panacée (la guérison universelle), Acéso (le médicament), Iaso (la guérison par les soins du père), Meditrine (la guérisseuse). La dernière, Eglé est la
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mère des Charités (Les Trois Grâces pour les Romains).
Asclepius ou Aesculapus apparaît aussi dans la mythologie des égyptiens et phéniciens. Pour les égyptiens, il serait le cousin germain de Thot (Hermès pour les grecs et Mercure pour les latins) qui lui aurait appris la médecine (10). Pour les phéniciens, il est le neveu de Chanaan (Canaan) le petit fils de
Noé. Cela situe donc Esculape, près de onze siècles avant le siège de Troie et celui de la mythologie
grecque (11). Pour certains, Asclépios, le grec, n’aurait jamais existé. Alors que Podalire et Machaon,
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ont réellement existé, « Le Poète les a faits, fils d’Esculape, pour leur faire plus d’honneur, dans le
même esprit qu’il a dit des Médecins en général, qu’ils étaient de la race de Paon, Médecins des
Dieux » (11).
Le culte d’Asclépios n’a débuté qu’au sixième siècle avant
J-C. [Fig. 2]. Le plus ancien
temple d'Asklépios se trouve
en Thessalie à Trekna, l’un
des plus célèbres est celui de
Pergame, ville
Claude
natale
Galien
de
(129-216),
mais le centre principal est
Epidaure. Les prêtres médecins chargés du culte d'Asklépios sont connus sous le nom
d'Asklépiades
(Asclépiades).
Hippocrate (460-370), originaire de Cos, en est le plus
connu. A Rome, le
culte
d’Esculape date de 290 av JC.
Les Romains décimés par la
peste envoient une délégation Figure 2 : Tête d’Asklepios en marbre provenant d’une statue plus grande que
à Delphes pour implorer l'aide
nature sur l’ile de Paros. Fin du IV° siècle av JC © British Museum London.
d'Apollon, qui leur conseille de faire venir à Rome son fils Esculape. Le sénat envoie alors une mission
à Épidaure, l'envoyé romain voit en songe Esculape, qui lui promet de partir à Rome, sous forme d'un
serpent, ne laissant sur place que sa statue. Devant les notables grecs qui ont demandé au dieu de
manifester sa volonté, le dieu apparaît sous la forme d'un serpent, que son prêtre reconnaît solennellement comme étant le dieu Esculape. Le dieu quitte son temple et rampe à travers la ville vers le
port. Il s'installe sur le bateau des Romains. Les envoyés romains, après avoir offert un sacrifice, s'em-
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pressent d'appareiller avec le dieu à leur bord. Ils traversent la mer Ionienne, rejoignent le sud de
l'Italie. Le dieu-serpent quitte le bateau à hauteur de l'île Tibérine à Rome. Il s'y installe, après avoir
repris sa forme divine et mis fin à la peste [1-9] [Fig. 3].
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Figure 3 : Esculape métamorphosé en Serpent part avec les Romains pour traiter l’épidemie de peste à Rome en 290 v JC.
Gravure de Jean Mathieu. (1590-1672). Les métamorphoses d’Ovide. Lancelger, Paris, 1619. Page 457.
La prise en charge dans les temples d’Esculape
Ératosthène, Phérécyde, Apollodore, Arius de Tarse, Andreas de Caryste, Soranus de Cos, Polianthus
de Cyrène, Histomaque ont écrit sur les Asclépiades, ces descendants d’Esculape, malheureusement,
leurs livres ne nous sont pas, pour la plupart, parvenus. Les textes qui subsistent sont les récits
d’historiens et non de témoins. On ne connaît pas leurs sources et ce que nous pouvons lire, « dérive
de légendes fabuleuses qui ne gagnent rien en authenticité » (12). On connaît simplement les noms
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des descendants, dans certaines branches, en particulier pour Hippocrate (460-370 av JC) qui représentait la 18è génération. Les familles collatérales se sont développées, formant des écoles, comme
celle de Cos avec Hippocrate, d’Epidaure, de Cnide, de Rhodes, de Cirène, de Crotone, avec Démocène... Selon Galien « la médecine était toute renfermée dans la famille des Asclépiades. Les pères
enseignaient l’anatomie à leurs enfants, et les accoutumaient dès l’enfance à disséquer des animaux,
en sorte que cela passant de père en fils comme une tradition manuelle, il était inutile d’écrire comwww.clystere.com / n° 50.
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ment cela se faisait » (11). Les Asclépiades étaient à la fois prêtres et médecins. En étant les interprètes des Dieux, ils exerçaient la médecine. Cette activité se faisait dans des temples dont le plus
célèbre est celui d’Epidaure. Certains de ces sanctuaires ont été décrits par Pausanias ou ont laissé
des ruines explorées par les archéologues. Les fouilles de Panagiatis Cavvadias (1850-1928) dans les
ruines d’Epidaure, à la fin du XIXe siècle ont été essentielles à notre connaissance des sanctuaires
d’Esculape (13) [Fig. 4 et 5].
Figure 4 : Le plan général restauré d’Epidaure en 1895. Relevé de Alphonse Defrasse (1860-1939).
Defrasse H Lechat H. Epidaure. Restauration et description des principaux monuments du sanctuaire
d’Asclépios. Librairies Imprimeries Réunies, Paris, 1895, p 193.
Les sanctuaires comportaient un temple, qui abritait la statue du dieu ; des portiques, galeries couvertes et bien aérées, où les pèlerins venaient passer la nuit sacrée ; enfin une source, qui fournissait
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l'eau nécessaire aux traitements élémentaires que le dieu ordonnait, aux purifications et aux ablutions. « Ces asclépiéions étaient généralement placés dans une contrée saine, dans un site riant; un
bois sacré les entourait toujours, de sorte que toutes les conditions de salubrité et d’agrément s’y
rencontraient » (12). Les prêtres médecins étaient assistés de laïcs, appelés Zacores, Néocores, Naophylakes. Ils avaient un rôle de sacristain, de gardien mais leur fonction était variable suivant
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l’importance du sanctuaire et a évolué dans le temps, les amenant à devenir les interprètes des
songes et directeurs des cures (14).
Figure 5 : Facade restaurée du temple d’Asclepios à Epidaure en 1895. Relevé de Alphonse Defrasse (1860-1939). Defrasse H Lechat H. Epidaure. Restauration et description des principaux monuments du sanctuaire d’Asclépios. Librairies
Imprimeries Réunies, Paris, 1895, p 49.
Avant de pouvoir bénéficier des soins, le pèlerin devait se soumettre à un grand nombre de pratiques.
Les unes étaient purement hygiéniques : abstinence sexuelle, jeûnes ou diètes, pas de viandes, de
certains poissons ou de fèves réputées défavorables à l’apparition des songes. L’abstinence de vin
devait être de trois jours, car les buveurs d’eau par rapport aux consommateurs de vin ont un sommeil sans trouble et ils dorment sans se forger ni chimères ni fantômes (12,14). Cette préparation
s’accompagnait de bains et d’ablutions soit par les fontaines du sanctuaire, soit dans la mer ou les
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rivières. Ces ablutions pouvaient être suivies de massages, qui chez certains patients étaient déjà vraisemblablement un début de thérapeutique (14). Les frictions dans la vue d'ouvrir les pores étaient
utilisées en particulier dans l'hydropisie (15).
Ces rites matériel étaient doublés de préparations plus religieuses : sacrifices, purifications et onctions
de toute sorte... (11,12,14). Ces conditions préalables remplies, le pèlerin rentrait dans le sanctuaire,
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suivant des cérémonies, différentes d’un temple à l’autre. Il passait dans les chapelles, devant les
statues des dieux Isis, Apollon, Asclépios, Machaon, Hygieia… et leur offrait selon ses moyens des
sacrifices et offrandes : bœuf, brebis, coq, gâteaux, huiles, encens… Les prêtres accompagnaient ce
parcours, stimulant la foi et les espoirs des malades, en leurs racontant les guérisons déjà observées,
confirmées par les ex-votos et iamatas jalonnant le parcours (14). Les hommages et supplications
devaient se montrer ardents autour de la statue des dieux, «surgissant spontanément de la piétée et
de la confiance des suppliants». Il n’existait pas de formulaire (14,16). La nuit venue, le pèlerin allait
se coucher dans l'abaton pour l’incubation. L’abaton est considéré comme le lieu pur, où il n’est pas
possible au profane d’entrer , ainsi qu’à ceux qui n’ont pas accompli les cérémonies préliminaires. Il y
est interdit de naitre ou de mourir. Le patient pour rêver au dieu, s’allongeait à même le sol, sur la
dépouille de la victime sacrifiée à Esculape ou bien enroulé de couvertures ou bien encore sur une
simple couche de branches et de feuilles (16). Les lumières étaient éteintes par un zacore, qui incitait
les pèlerins à dormir. Les grandes couleuvres inoffensives, symboles d’Esculape, et les chiens sacrés,
circulaient alors librement entre les dormeurs. Des chiens accompagnaient aussi parfois Esculape.
C’est le rite de l’incubation, sommeil au cours duquel le dieu apparaissait et venait indiquer aux consultants les régimes à suivre, les traitements à appliquer, les actes religieux à accomplir, les offrandes
à lui faire (14). Tantôt le dieu envoyait un songe que le malade, à son réveil, contait aux prêtres chargés d'interpréter ces visions, tantôt le dieu seul ou accompagné du chien ou du serpent apparaissait
réellement, faisait lécher le malade ou lui administrait directement quelque autre remède (17,18). Les
prêtres faisaient aussi des applications sur diverses parties du corps et même des opérations chirurgicales. Au réveil, après les lustrations obligatoires, sacrifices et prières recommençaient (16). Les
échéances de guérisons étaient parfois longues et le pèlerin devait passer plusieurs nuits dans
l’abaton en attendant le fameux message prémonitoire (19).
Le traitement n'est pas gratuit. Par exemple à Oropos au IVe siècle av JC, le sanctuaire réclame une
taxe de consultation de une drachme béotienne ou neuf oboles à tout visiteur désirant se faire soigner. Un néocore surveille les patients pour qu’ils ne resquillent pas (20,21). Ce n'est qu'occasionnellement que les sources littéraires mentionnent des formes de paiement en argent à l'intérieur des
sanctuaires d'Asclépios. Ce sont surtout les témoignages épigraphiques qui permettent de reconstruire le système de payement en argent dans les Asclépias (21,22). Les malades, après leur rétablis-
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sement, déposaient aussi dans les temples, des modèles en pierre, en ivoire, en argent ou en or, de la
partie qui avait été le siège de l'affection. Plus tard ce furent des tableaux qui décrivaient la nature de
la maladie guérie et du remède employé. Pausanias, lors de son voyage à Epidaure, vit encore beaucoup d'inscriptions écrites en dialecte ionien, ceux-là mêmes qui furent retrouvé dans les fouilles par
Cavvadias (1,13,15).
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La tradition des ex-votos anatomiques, n’est pas exclusive au rite d’Asklépios, elle l’a précédé et a perduré
dans la religion chrétienne, et persiste même en Espagne et au Brésil [Fig. 6 et 7].
Figure 6 : Relief votif dédié à Asclepios et Hygie pour la guérison d'une
jambe provenant de l’île de Melos
vers 100–200 © British Museum
London.
Figure 7 : Ex Votos dans la chapelle « Maria zur Hohen Stiege » à Saas Fee. © Louis-Jean Dupré.
Les guérisons attribuées aux Asclépiades
Les guérisons miraculeuses nous sont connues par les récits écrits sur des pierres ou des stèles retrou-
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vées dans les différents temples des Asclépiades. Certains textes sont le fait des patients eux-mêmes
et évoquent des interventions du dieu dans un contexte onirique. D’autres rédigés par les responsables du sanctuaire, réalisent de véritables catalogues des récits de guérison, une succession de
textes qui intègrent des récits de rêve rapportés initialement par ceux qui sont venus faire
l’incubation. A Ibena, ces catalogues ont été rédigés à partir des textes d’action de grâce inscrits sur
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des tablettes en bois, offertes par les fidèles. Parmi tous ces iamatas, les plus importants sont ceux
figurant sur les stèles découvertes à Epidaure, par Cavvadias entre 1881 et 1900. Sur les six stèles
décrites par Pausanias lors de son passage à Epidaure, seules quatre ont été retrouvées, dont deux
très abimées ou fragmentaires. Leur écriture a permis de les dater dans la deuxième moitié du IVe
siècle avant JC. Ces iamatas rapportent 69 guérisons miraculeuses, toutes ne sont pas lisibles.
Chaque stèle comporte le récit de 20 à 25 guérisons miraculeuses, ce qui fait que Pausanias au IIe
siècle a pu lire le récit de cent vingt à cent cinquante miracles (16). Ces stèles ne sont pas des témoignages individuels, mais des témoignages sans doute remaniés, élaborés par les autorités religieuses.
Il est vraisemblable aussi que certains récits soient issus de la tradition orale. « Il devait courir, parmi
les pèlerins du Hérion, quantité d’histoires extraordinaires très anciennes, nées on ne sait comment,
on ne sait où, mais racontées avec force détails précis, par des gens qui à la fin, croyaient fermement
avoir été témoins de la chose et l’aurait attestée par serment » (16). La composition rigoureuse, identique, de tous ces récits arétalogiques et la présentation ne respectant pas la chronologie montre la
volonté de leurs auteurs d’offrir une morale et d’arracher la conviction. Tous ces récits qu’ils soient le
fait des prêtres ou des pèlerins eux-mêmes sont avant tout pragmatiques et ne peuvent être pris stricto sensu par l’historien (23-25). De nombreux auteurs ont traduit et essayé d’interpréter les iamatas
d’Asclépios, retrouvés dans les différents temples (23-28). Sur les 50 textes interprétables d’Epidaure,
la plupart concernent des hommes (29), mais aussi des femmes (14) et des enfants (6). Curieusement,
le 10e récit, concerne un objet, un cothon brisé dans un sac au cours de la chute de celui qui le portait.
Il fut reconstitué par Asklepios. Les pathologies les plus fréquemment évoquées concernent la maternité et l’orthopédie, mais aussi l’ophtalmologie, les affections cutanées et la médecine interne comme
la tuberculose et l’insuffisance cardiaque… Certains de ces miracles s’accompagnent de prodiges ou
soulignent la foi du suppliant malgré l’incrédulité des autres. Par ailleurs, ces inscriptions rappellent
aussi qu'il y a des succursales agréées ou que la concurrence ne vaut rien.
Peut-on expliquer les guérisons des Asclépiades par l’incubation ?
Le culte d’Asclépios s’est répandu dans tout le bassin méditerranéen et a perduré pendant une douzaine de siècles malgré l’avènement du christianisme. Pendant tout ce temps, la médecine des asclé-
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piades a beaucoup évolué, en particulier avec la naissance de la « médecine scientifique »
d’Hippocrate. La réflexion de ce travail porte essentiellement sur les premiers siècles des asclépiades
et les iamatas d’Épidaure. Il est difficile de vouloir analyser avec précisions les récits de guérisons, car
ils sont forcements déformés. Déformation et transformation inhérentes au passage de la forme orale
à la forme écrite, déformation qui peut être accentuée par le contrôle dès lors que le récit doit être
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affiché dans le sanctuaire. Cette déformation devient encore plus importante, lorsque la guérison
n’est plus représentée par un récit, mais par un relief votif. Passer d’un récit qui se déploie dans la
durée à une image fixe, oblige à une construction. L’image doit reconstituer une unité factice dans le
temps et dans l’espace (25). Pour l’archéologue français, spécialiste de l’histoire des religions, Salomon Reinach (1858-1932), les premiers iamatas découvert à Epidaure contiennent « le récit de vingt
guérisons ou plutôt de vingt miracles… car il n’est nulle part question de remèdes pharmaceutiques,
mais seulement de visions et de songes ». L’auteur tend alors à faire passer l’étude de ces guérisons,
dans le champ de la religion et non plus de la
médecine (29). Heinrich Meibom (16381700), médecin et érudit allemand, ne voyait
dans les guérisons que l’effet de l’action du
diable, et rejetait toute intervention d’une
forme de médecine rationnelle (30) [Fig. 8].
Avec le développement des sciences naturelles dans la deuxième moitié du XVIIIe
siècle, on a vu s’affirmer la conviction que les
hommes seuls intervenaient dans le traitement des maladies. Il s’agit alors de trouver
le mécanisme des guérisons en se fondant
sur l’observation de la procédure suivie au
cours du rite de l’incubation (31).
Figure 8 : La thèse de Heinrich Meibom en 1659 (30).
Le charlatanisme
Il ne peut pas être totalement exclu. La suggestion pour les Asclépiades, jouait un rôle important,
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alors que c’est un point essentiel du charlatanisme (32). Les rites préparatoires avaient pour but de
s’assurer de la confiance et de la docilité des patients. Certains des prêtres, « enivrés par leurs succès
et surtout enhardis par l’immense crédulité des malades » sont sans doute tombés dans « l’ornière du
charlatanisme » (33). Pour certains auteurs, Epidaure aurait été le lieu des «miracles mensongers »,
alors qu’à Cos ou Pergame la pratique médicale était associée à l’interprétation de rêves, servant à
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déterminer des traitements rationnels. D’autres historiens au contraire, se sont efforcés de montrer
que sur l’ensemble de l’histoire du culte d’Asklépios, ce sont bien des méthodes rationnelles qui furent
utilisées pour conduire les malades à la guérison (18).
La chirurgie
Elle tient une place non négligeable et trop souvent sous-estimée dans la médecine des Asclépiades.
Podalire et Machaon, pendant le siège de Troie, avaient avant tout une réputation d’habiles chirurgiens. Machaon avait réussi à guérir l’ulcère chronique de Philoctète, blessé près de 10 ans plus tôt
par une flèche d’Héraclès, en la lavant avec du vin et la frottant avec une pierre appelée « ophite ou
ophéite », oxyde de cuivre qui devait son nom à sa couleur proche de celle d’un serpent (34). Dans sa
virulente et amusante diatribe contre la saignée, Pierre Martin de la Martinière (1634-1676), fait référence à Esculape (35). En fait, c’est Podalire qui serait, selon Etienne de Byzance (Ve siècle), l’inventeur
de la saignée. Syrna, fille de Damathus,
roi de Carie, souffrait terriblement et se
mourait, après une chute d’un toit. Podalire, la saigna aux deux avants bras,
ce qui la sauva (11, 34, 36-39) [Fig. 9]. À
Oropos, où pourtant, aucun témoignage
de guérison ne nous est parvenu, les
instruments médicaux découverts témoignent de la pratique de la chirurgie
(20). Les grecs se sont servis très tôt du
cautère et les Asclépiades ont beaucoup
utilisé ce remède (36). Comme Esculape,
ils connaissaient aussi la manière de
réduire les fractures et les luxations (11). Figure 9 : Podalire réalise la première saignée (38).
Parmi les iamatas d’Epidaure (27,28,40),
un certain nombre font indubitablement évoquer la chirurgie. Le cas d’Euhippos avec une pointe de
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lance plantée dans la mâchoire depuis six mois ou celle de Gorgias d’Héraclée avec une plaie purulente, sur une extrémité de flèche restée dans la poitrine, qui guérirent après l’extraction du corps
étranger pendant leur sommeil, sont indiscutablement chirurgicales, même s’il est vraisemblable que
le récit soit enjolivé et que la cicatrisation ne fut pas obtenue au réveil. Pandoros de Thessalie venu
pour une marque de fer rouge sur le front, voit le dieu lui bander le front. Quand il enlève le ruban le
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jour venu, comme lui a ordonné le dieu, la cicatrice a disparu. Cela évoque une résection de chéloïde
et le jour venu, peut correspondre au jour convenu plus qu’au réveil. Dans l’observation 17, un ulcère
d’orteil par morsure de serpent, le patient voit dans son sommeil, l’intervention d’un serpent et
« qu'un jeune homme très beau lui avait mis un remède sur l'orteil». Le iamata 14, rapporte l’histoire
d’une lithiase séminale. Le patient rêva d’un rapport avec un beau garçon. Il éjecta la pierre au cours
de pertes séminales pendant son sommeil. Cette observation peut faire évoquer un massage prostatique. L’observation d’Eratocles, souffrant d’un ulcère chronique, cautérisé à de multiples reprises (ce
qui devait sans doute entretenir l’ulcération), à qui le dieu ordonna d’arrêter les cautères et qui se
réveilla guéri est très évocatrice d’une abstention chirurgicale logique. Plus ambigus sont les cas de
ces femmes en mal d’enfant qui enfantèrent dans l’année qui suivi. Les visions dans leur sommeil furent pour Andromaque d’Epire « un très beau garçon lui ôtait ses vêtements », pour …da de Kéos,
« un serpent qui se lovait sur son ventre », pour Nicasiboulè de Messénie : « le dieu l'enveloppait d'un
serpent ». Ces iamatas ne sont pas strictement chirurgicales, mais évoquent fortement une intervention humaine. L’absence de perception douloureuse, la description du vécu des patients font évoquer
des interventions sous hypnose.
L’hypnose
Elle a fait l’objet de multiples discussions à la fin du XVIIIe et au XIXe siècle. En 1779, Franz Anton
Messmer (1734-1815) publie son « mémoire sur la découverte du magnétisme animal », magnétisme,
qu’il définit « comme la capacité d’un individu à guérir son prochain grâce au fluide naturel qu’un
magnétiseur, détenteur de techniques spécifiques, fait circuler dans un but thérapeutique » (41) [Fig.
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10].
Figure 10 : Le magnétisme animal. Teste A. Manuel pratique de magnétisme animal, SN,
Paris, 1843.
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Les idées de Messmer sont très largement controversées et condamnées, d’abord à Vienne, puis en
France où ses confrères jaloux de ses succès, font condamner le magnétisme, par une commission
mixte de l’Académie des Sciences et de la Société Royale de Médecine en 1784. Cette commission ne
réfute pas une action du magnétisme, mais la considère comme possiblement funeste (42). Reprenant
les idées de Messmer, le marquis Armand Marie Jacques Chastenet de Puységur (1751-1825) arrive à
la notion de somnambulisme provoqué » ou « sommeil magnétique », il rapporte l’expérience faite
sur un jeune paysan de 23 ans, Victor, qui sous l’action du somnambulisme provoqué se met alors à
diagnostiquer ses propres maux et ceux des autres malades et à prescrire les remèdes appropriés
(43). L’hypnose devient alors une hypothèse prépondérante, bien que très discutée, pour expliquer les
guérisons des Asclépiades, considérés comme les précurseurs de Messmer ou Puységur (44,45) [Fig.
11].
Figure 11 : Le magnétisme précurseur de la médecine selon Aubin Gauthier (45).
Louis-Philibert-Auguste Gauthier (1792-1851), médecin de l’Antiquaille à Lyon, réfute cette hypo01 mai 2016
thèse. Ses arguments s’appuient sur le témoignage d’Aelius Aristides (117-185), rhéteur grec du IIe
siècle. Dans son autobiographie, intitulée « Les Discours sacrés », il raconte comment, en 143 après
JC, malade, et, désespérant de la médecine humaine, il se rendit au sanctuaire d’Asclépios, à Pergame, pour s’y faire soigner. Il y retourna, par la suite de nombreuses fois et décrit les soins qui lui
furent donnés (46). Dans son récit, les prêtres médecins n’étaient pas présents pendant le sommeil de
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patients dans l’Abaton et ne pouvaient donc pas hypnotiser. L’autre argument de LPA Gauthier est
que le souvenir des rêves n’est pas compatible avec l’oubli qui caractérisait à l’époque le somnambulisme (47), notion qui s’avérera erronée (48). Jean Amédée Dupau (1797-18..) a une position plus ambiguë sur la pratique du magnétisme animal, par les Asclépiades, puisqu’il ne nie pas son existence,
mais son incompétence à guérir : «Mais cette influence morale exercée par des hommes méchans et
intéressés, ne produisit alors que des malheurs. Semblables à des vautours dévorans, ils s'attachaient
souvent à leurs victimes et les poursuivaient sans relâche, en leur opposant de fausses terreurs, ou les
remplissant d'absurdes visions » (49). Les auteurs au XIXe siècle qui réfutent l’hypnotisme chez les
Asclépiades sont avant tout ceux qui réfutent l’hypnose et le somnambulisme en général, parce que
n’ayant pas de preuve concrète du mécanisme. Mais aussi parce que trop souvent, le magnétisme
animal est le fait de charlatans ou d’excessifs, les magnétiseurs ayant tendance à s’entourer d’un halo
de mystère et de manipulations diverses, non justifiés. « Le magnétisme animal de Mesmer ne dégagea pas la vérité. Ses manipulations bizarres, sa fascination, ses attouchements avec la baguette conique, son baquet de bois, agissant plus ou moins vivement sur l'imagination des sujets, déterminaient des troubles nerveux variés : pandiculations, cris, bâillements, spasmes, pleurs, attaques d'hystérie, catalepsie, somnolence et sommeil; mélange d'hystéricisme et d'hypnotisme. L'hypnotisme était
caché dans le magnétisme, comme la chimie dans l'alchimie » (50).
L’Abbé José Custódio de Faria (1756-1819), n’est pas qu’un personnage d’Alexandre Dumas, dans le
Comte de Monte Cristo, c’est avant tout un ecclésiastique et scientifique portugais, qui a profondément marqué le domaine de l’hypnose ou sommeil lucide (51) [Fig. 12].
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Figure 12 : Les idées de l’Abbé Faria reconnues (51).
Il montre le caractère naturel de l'hypnose. Il remplace les termes de magnétisme animal et somnambulisme par sommeil lucide, pour écarter l'idée du fluide magnétique. Il décrit précisément et scientifiquement les méthodes pour obtenir le sommeil lucide et ses effets. Il envisage la suggestion hypnotique pour le traitement des maladies nerveuses. Pour lui, il est incontestable que l’hypnose était conwww.clystere.com / n° 50.
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nue des prêtres dans les temples d’Esculape. « Leur sagesse dans l'usage qu'ils en faisaient pour l'utilité sociale les rendait si vénérables à l’opinion publique que le petit nombre de personnes qui désiraient y être admises se soumettaient avec résignation aux pénibles épreuves qu'on en exigeait ».
(51). Un siècle plus tard, Hippolyte Bernheim (1840-1919) forme avec Ambroise Auguste Liebault
(1823-1904), Jules Liegeois (1833-1908) et Henri Etienne Beaunis (1830-1921) l’école de Nancy ou
école de la suggestion, par opposition à l’école de la Salpetrière de Jean Martin Charcot (1825-1893),
qui elle faisait de l’hypnose un état pathologique propre aux hystériques. Bernheim définit l'hypnose
comme un simple sommeil produit par la suggestion et susceptible d'applications thérapeutiques (48).
Il assimile le terme d’état hypnotique à celui d’état de suggestion. C’est dans ce cadre que Berheim
situe les traitements dans les temples d’Esculape : « L'exercice de la médecine dans les temps d'Esculape n'était que pure suggestion. Des cérémonies et pratiques religieuses avaient lieu pour obtenir des
Dieux la guérison des malades» (50). Parmi les 58 observations que Bernheim présente dans son ouvrage « Hypnotisme et suggestion : hystérie, psychonévroses, neurasthénie, psychothérapie », un
certain nombre sont en tout point comparables aux iamatas d’Epidaure, en particulier en ce qui concerne les paralysies et neuropathies anciennes (50). Dans sa conception de la suggestion ou hypnotisme, il devient visionnaire quand il écrit : « L'idée arrive au cerveau par un des cinq sens, ou par les
sensations internes, musculaires ou viscérales. Chaque cerveau transforme l'impression en idée, suivant son individualité psychique… L'idée devient sensation (douleur, démangeaison, froid, etc.), image
(hallucination, rêve), sensation viscérale (coliques, vomissements, etc.), acte et mouvement (phénomènes du cumberlandisme, actes divers de la vie)… Le médecin utilise la suggestion dans un but thérapeutique ; car le cerveau, actionné par l'idée, actionne à son tour les nerfs qui doivent réaliser cette
idée ; il peut, par des phénomènes de dynamogénie ou d'inhibition, exalter ou modérer les fonctions
organiques, dans un sens utile à la guérison des malades » (50). Il aura fallu attendre le tournant du
millénaire, pour visualiser les modifications cérébrales induites par l’hypnose sur l’EEG, l’IRM et le Pet
Scan (52). Nous avons aussi appris que notre cerveau n’était pas que des neurones, nourris par la
substance gliale, avec des astrocytes, aux rôle ingrat de fossoyeur, mais que ces deux derniers éléments, aussi nombreux que les neurones avaient une fonction aussi importante, permettant au cerveau un fonctionnement d’oscillateur modulable ou plastique (53-55). Enfin cette période est aussi
marquée par la mise en évidence des MAPK (Mitogène Activated Proteine Kinases) impliquées dans
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divers processus cellulaires fondamentaux tels que prolifération, différentiation, mobilité, réponse au
stress, apoptose et survie. L’activation de ces protéines peut être le fait de substances mitogènes, de
cytokines, facteurs de croissance et stress environnemental (56,57). Dès lors, la réalité de l’hypnose ne
fait plus aucun doute, il reste à affiner sa place dans notre arsenal thérapeutique.
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Conclusion
Asklepios ou Esculape est considéré comme le dieu de la médecine [Fig. 13], il n’existe plus, dans notre
quotidien de médecin que par son bâton entouré du serpent qui est le symbole de notre caducée depuis 1605. Hippocrate, l’un de ses lointains descendant est considéré lui, comme le père de notre
« médecine scientifique ». Pourtant, en reprenant les observations des Asclépiades, au travers des
iamatas d’Epidaure, découverts à la fin du XIXe siècle, et en fonction des découvertes récentes sur le
fonctionnement de notre cerveau, on peut imaginer que la médecine du IIIe millénaire, devra une part
non négligeable à cette médecine d’Esculape.
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Références
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23- Lloux M. Expressions de la perception du rêveur au sein des sanctuaires guérisseurs en Grèce classique. Kentron, 2011 ; 27 : 61-80.
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28- Błaśkiewicz M. Healing dreams at Epidaurus. Analysis and interpretation of the Epidaurian iamata. Miscellanea Anthropologica et Sociologica 2014, 15 : 54–69.
29- Reinach S. Chronique d’Orient. Revue Archéologique 1884 ; 4 : 76-84.
30- Meibom H. Exercitatio philologico-medica. De incubatione in fanis deorum medicinae causa olim
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31- Sinueux P. La guérison dans les sanctuaires du monde grec antique : de Meibom aux Edelstein,
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32- Sinueux P. Dormir, Rêver, Montrer. A propos de quelques « représentations figurées » du rite de
l’incubation sur les reliefs votifs des sanctuaires guérisseurs de l’Attique. Kentron, 2007, 23 : 11-28
33- Vercoutre AT. La médecine sacerdotale dans l'antiquité grecque (Tiré à part Revue d’Archéologie).
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34- Millin AL. Monuments antiques inédits ou nouvellement expliqués. Tome second. Imprimerie Impériale, Paris, 1806, 385p.
35- La Martinière PM de. L’ombre d’Esculape. Chez l’auteur, Paris, 1664, 55p.
36- Dujardin M. Histoire de la chirurgie depuis son origine jusqu’à nos jours. Tome premier. Imprimerie royale, Paris, 1774, 528p.
37- Hallerus A. Disputatio medico-chirurgica de venae sectione. In :Disputaniones chirurgicae selectae. Tome 5. M. M. Bousquet, Lausanne, 1756, pp 477-533.
38- Marquis AL. Podalire ou le premier âge de la médecine. A Eymery, Paris, 1815, 286p
39- Mege JB. Essai sur les causes qui ont retardé ou favorisé les progrès de la médecine depuis la plus
haute antiquité jusqu’à notre époque. Ladeveze, Tours, 1868, 35p.
40- http://chaerephon.e-monsite.com/medias/files/miracles.html
41- Messmer FA. Mémoire sur la decouverte du magnétisme animal. PFR Didot le Jeune, Paris, 1759,
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44- Koenig CA. Dissertatio inauguralis medica de Aristides incubatione, Iéna, 1818, 66p.
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47- Gauthier LPA. Recherches historiques sur l’exercice de la médecine dans les temples, chez les
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48- Bernheim H. De la suggestion et de son application à la thérapeutique. O Doin, Paris, 1888, 596p.
49- Dupau JA. Lettres physiologiques et morales sur le magnétisme animal. Gabon, Paris, 1826, 246p.
50- Bernheim, Hypnotisme et suggestion : hystérie, psychonévroses, neurasthénie, psychothérapie. 3°
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l’édition de 1819 ave préface et introduction de DG Dalgado. Henri Jouve, Paris, 1906, 204p.
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57- Dhillon AS, Hagan S, Rath O & Kolch W. MAP kinase signalling pathways in cancer. Oncogene,
2007 ; 26 : 3279–3290
Toute référence à cet article doit préciser :
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Dupré L-J. : Essai (raisonné) sur les guérisons dans les temples d’Esculape. Clystère
(www.clystere.com), n° 50, 2016.
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Cheiron le centaure, inventeur de la chirurgie
André J. FABRE
Société Internationale d’Histoire de la Médecine
Contact : [email protected]
Cheiron parfois appelé Chiron, est dans la mythologie grecque, le Centaure devenu célèbre pour avoir
appris à Esculape (l'Asclépios des Grecs) l’art de la médecine [Fig. 1].
Figure 1 : Le centaure Chiron. © Wellcome Library Catalogue.
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Les Centaures, peuple des "hommes-chevaux" (1)
Les Centaures, selon la mythologie, étaient un peuple sauvage vivant au centre de la Grèce, en Thessalie. Peut-être faut-il voir ici le souvenir des peuplades nomades primitives qui envahirent l'Europe
avant l'âge de fer (2).
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La mythologie le donnait comme le produit des amours "zoophiles" de Centaure, fils d'Ixion, roi de
Thessalie… avec une jument. Ainsi naquit, à ce qu'affirme Pindare (3), un être ressemblant à la fois au
père (par le haut) et à la mère (par le bas)…
La réputation des Centaures n'était gère flatteuse (4) et leur brutalité bestiale était redoutée de tous :
ainsi lors des noces de Pirithoos, roi des Lapithes, les Centaures pris de boisson (5) s'enfuirent en emportant avec eux… la jeune épousée. Un combat s'ensuivit, et… la civilisation triompha de la barbarie.
Un autre récit mythologique, montre un Centaure, Nessus, blessé après son combat furieux contre
Hercule-Heraklès, qui parvient à convaincre Déjanire la compagne du dieu-héros, de lui faire revêtir la
tunique empoisonnée qui va causer sa mort dans d’horribles souffrances (6).
Naissance de Cheiron le Centaure
Le Centaure Cheiron est fils de Cronos (7), le Titan père de Zeus. Sa mère est Philyra, nymphe océanide
qui vivait dans une grotte du mont Pélion, en Thessalie.
Apollonios de Rhodes (8) décrit très poétiquement comment Cheiron est né : "La nuit tombée, les
Argonautes étaient de passage à l’île de Philyra (9). C’est là que le fils d’Ouranos, Cronos, trompa son
épouse Rhéa en couchant avec la fille d’Océan, Philyra, à l’époque où il régnait sur les Titans de
l’Olympe et où Zeus était encore un enfant.... Mais Cronos et Philyra furent surpris par la déesse Rhéa.
Alors Cronos sauta du lit et partit au galop prenant forme d’un étalon à longue crinière, tandis que
Philyra dans sa honte, quittait précipitamment la chambre pour aller se cacher en Pélagie (10). Là,
elle donna naissance à Cheiron, un être monstrueux, mi-cheval et mi-divin, progéniture d'un amant à
la forme instable" (11).
Comme si souvent dans la mythologie grecque, les variantes sont légions : selon Diodore de Sicile (12),
le Centaure serait né du fils du roi des Lapithes, Ixion, et de la nymphe des nuages, Nephele, selon
Xénophon (13), Cheiron serait issu de la nymphe Naïs et selon Déimaque de Platées, (géographe du
IIIe siècle après JC), de Philomèle, fille d’Actor, roi de Phthie…
Une chose est certaine, Cheiron, est le grand ancêtre des Centaures mais il est tout différent d'eux,
tant par ses origines que par sa personnalité : à l’opposé des autres Centaures, êtres sauvages et
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cruels, le Grand Centaure était réputé pour sa sagesse et sa science.
Dès son enfance, Cheiron avait reçu d'Artémis et d'Apollon un enseignement raffiné sur la chasse, la
musique et la divination (14). De plus, sa vie en pleine nature lui avait permis d'acquérir de grandes
connaissances sur les plantes médicinales en particulier les vulnéraires, destinées au soin des blessures, dont les Anciens faisaient grande consommation, mais aussi la grande centaurée, l’herbe d’or,
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la grande aunée, la gentiane et le tamier,
l’"herbe aux femmes battues", qui garda le nom
le "raisin de Cheiron".
Le grand titre de gloire de Cheiron, " le plus sage
et le plus juste de tous les Centaures " d'après
Homère (15), fut d'avoir su transmettre son
savoir à de nombreux héros tels Achille [Fig. 2],
Ajax et Patrocle, futurs héros de la Guerre de
Troie, mais aussi Hercule, Jason et Pelée, père
d'Achille et bien d'autres.
Cheiron vivait en Thessalie, dans une grotte du
mont Pélion, avec son épouse Chariclo (16) qui
lui donna trois enfants :
. Ocyrhoé (Mélanippe) dont le nom qui signifie
"courant rapide", rappelle le fleuve tumultueux
près duquel elle était née (17).
. Endeis mère de Pélée, le père d'Achille.
Figure 2 : Chiron éduquant Achille. Lithographie de J.B.
Regnault. © Wellcome Library Catalogue.
. Caryste qui donna son nom à un petit port de pêche de l'ile d'Eubée.
La mort de Cheiron
La fin de Cheiron fut, comme sa vie, exemplaire (18) : fils du dieu Cronos, Chiron était promis à l'immortalité mais il y renonça pour la transmettre à son ami Prométhée.
Selon une version tardive de Théocrite (19), Cheiron périt au cours d'un repas où l'avait invité un autre
Centaure, appelé Pholus. Alors qu'ils étaient à souper, Hercule demanda du vin mais Pholus n'avait
qu'une amphore de vin sacré. Hercule l'ouvrit et l'odeur attira les Centaures qui rodaient autour de la
grotte. Il s'ensuivit un combat violent. Après que les Centaures aient pris la fuite, Pholus vint inspecter
les cadavres restés sur place s'étonnant que de simples flèches puissent faire autant de morts. Il en
arracha une pour l'examiner de plus près mais elle tomba sur la jambe de Cheiron qui mourut sur le
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coup.
Dans Ovide (20) Hercule, en présence d'Achille enfant, rend visite à Cheiron dans sa grotte du Mont
Pelion. Chiron interroge Hercule… et il examine la dépouille du lion, la massue : "Le héros est digne de
ces armes, dit-il, et ces armes sont dignes du héros." Achille même ne peut commander à ses mains
curieuses; il ose toucher les longs poils de cette crinière hérissée. Tandis que Chiron manie les traits
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trempés dans les poisons, une flèche tombe et va percer son pied gauche. Chiron gémit et retire le fer
de la blessure. (Pour guérir sa plaie), Cheiron mélange des simples cueillies sur les collines et invoque
toutes les ressources de l'art. Mais l'art cède au feu dévorant du virus, qui a pénétré jusque dans la
profonde moelle des os, et répandu dans le corps entier un poison mortel. Le sang de l'hydre de Lerne
mêlé au sang du Centaure rend désormais tout remède impuissant. Le jeune Achille, les yeux baignés
de larmes, se tient près de lui comme auprès d'un père; il ne pleurerait pas autrement si Pélée, son
propre père, allait mourir. Souvent, d'une main affectueuse, Achille presse la main du Centaure couché sur son lit de douleur, souvent Achille l'embrasse, et lui dit: "Vivez, ô mon père, ne m'abandonnez
pas, je vous en conjure". Mais le neuvième jour arrive, et le corps de Chiron le juste, se trouve au ciel,
entouré de deux fois sept étoiles."
Comme toujours, plusieurs versions co-existent : Selon Apollodore (21), Hercule avait permis à Prométhée de faire mourir Cheiron à sa place mais, selon Pherekides (22) et Diodore de Sicile (23) Hercule
tua accidentellement Cheiron.
En fait, tous les textes concordent : même mort Cheiron le Centaure est reste à tout jamais présent
dans la grande constellation qui porte son nom (24) :
Comment Cheiron reçut la garde d’un enfant appelé Esculape (Asclépios)
La naissance d'Esculape (25) a donné lieu, elle aussi, à de nombreuses variantes: d'après Pindare (26),
Coronis fille de Phlégias roi des Lapithes, avait été immolée par Apollon qui lui reprochait son infidélité mais, avant de mourir, elle avoua être enceinte. Alors, Apollon, pris de pitié, entreprit d’extraire du
ventre de sa mère l’enfant auquel il donna le nom, bien mérité, d’Esculape, « celui qui est né par incision... »
Une autre version (27) de la légende assure que le corps était déjà sur le bûcher lorsqu’Apollon comprit que Coronis était enceinte et arracha son fils du ventre de sa mère et des flammes.
D’après d’autres récits, plus terre-à-terre, Coronis aurait tout simplement accouché alors qu’elle était,
en compagnie de son frère, en visite à Epidaure.
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Esculape-Asclepios, le plus brillant des élèves de Cheiron (28).
Après sa naissance, Esculape fut confié au sage Centaure Cheiron de qui il apprit la science des
plantes médicinales et l’art de guérir les maladies.
Esculape profita si bien des enseignements de son maître qu’il devint dieu de la médecine et de la
chirurgie. Son sceptre est le caducée (29), bâton sur lequel s'enroule symboliquement un serpent (30).
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A la fin, Esculape, ivre de son savoir, ne se limitait plus à soigner les maladies et panser les blessures.
Il entreprit de ressusciter les morts, ce qui ne plut guère à Jupiter-Zeus qui se voulait seul maître du
destin des hommes. La suite ne tarda pas : Esculape périt foudroyé.
Après sa mort, Esculape devint objet de culte : un
temple lui fut consacré à Épidaure, où les pèlerins
venaient attendre leur guérison au milieu des serpents sacrés, symboles du mystère asclepien.
En tant que dieu, Esculape avait su s'entourer d'une
véritable constellation familiale où chacun et... chacune avait une fonction bien définie : Epioné, son
épouse était "celle qui soulage tous les maux", Panacée, sa fille, était déesse des soins et Hygie, la dernière fille, était déesse de la santé. Point n'est besoin
de rappeler la vocation d'Hygie pour… l'hygiène et de
Panacée… pour les médicaments.
"Last but not least", le dernier rejeton de cette constellation mythique fut le plus grand médecin de tous
les temps, Hippocrate.
Figure 3 : Statue en plâtre de Chiron. © Wellcome
Library Catalogue.
Hippocrate, "père de la médecine", est né selon la
tradition, dans l'ile de Cos au Ve siècle avant JC. A vrai
dire, on ne sait que peu de choses de sa vie sinon qu'il revendiquait le titre de descendant direct de la
17ème génération, d'Esculape.
Comment Cheiron devint fondateur de la "chirurgie"
Cheiron, passé maître dans l'Art de la chirurgie, portait, bien évidemment un nom symbolique rappelant le lien étroit qui existe "main" et "chirurgie".
Le chirurgien lorsqu'il tranche, extirpe ou sectionne, ne fait-il pas, au sens propre un "travail manuel"?.
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Deux concepts sont, en effet, étroitement associés ici : "main" ("cheir" en grec) et "travail" ("ergon")
(31).
En conclusion, le mythe de Cheiron rejoint celui d'Apollon : tous deux sont poètes, musiciens et archers, tous deux sont immortels dotés de pouvoirs magiques. Mais Apollon est le "dieu soleil", tandis
que Chiron vit dans les forêts sombres de Thessalie : deux facettes d'un même mythe ?
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Références :
Bibliographie sommaire
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Grimal Pierre, Dictionnaire de la mythologie grecque et
1- La mythologie Grecque mentionne aussi l'exis- romaine (Ed. Presses Universitaires de France, 1999)
tence de "Centaures femmes" : Ovide dans ses Hamilton Edith, La Mythologie (Ed. Vervier, Paris, 1978)
Metamorphosen (12,393ff.) relate l'histoire d'une Commelin Pierre, Mythologie grecque et romaine (Ed.
Pocket, Paris, 2002)
"Centauresse" appelée Hylonome.
Grant Michael et Hazel John, Dictionnaire de la mytho2- Voir de G. Dumézil, Le Problème des Centaures
logie (Ed. Marabout, Paris 1995).
(Paris 1929).
Cheiron, décidément immortel, est resté présent parmi
3- Pindare, Odes pythiques : A Hiéron, roi de Synous.
racuse (Trad. Aimé Puech., Ed Belles lettres, Paris
Bien des œuvres font référence au Centaure :
), 2014.).
Dante Alighieri fait de Cheiron une figure mémorable du
4- A l'exemple des Satyres et des Ménades des
chant XII de l’"Enfer", le "Chant des Centaures".
cortèges de Dyonisos.
Un grand poète, à tort bien oublié, Leconte de Lisle
5- Ovide, Métamorphoses, XII.218.
évoque magnifiquement Cheiron (Khirôn) dans ses
Poèmes antiques
6- Ovide , Métamorphoses, IX, 130-133
John Updike dans son livre "Le Centaure" (32) relate
7- Cronos ne doit pas être condondu avec Chrol'histoire d'un professeur de sciences appelé…Caldwell,
nos le dieu primordial du Temps et de la Destinée
qui mène une existence morose dans une petite ville de
8- Apollonios de Rhodes, Argonautiques, II, 1231Pennsylvanie..
Simon Vestdijk, écrivain néerlandais (1898-1971) donne
1241.
dans son roman "Aktaion Sous les etoiles" (1941) une
9- Phylira est une ile à l’extrémité orientale de la
vision très personnelle de la vie d'un des élèves favoris
côte sud de la mer Noire
de Cheiron.
10- Pélagie (Agia pelagia) est située prés d'HeraOn ne saurait oublier la saga d'"Harry Potter" montrant
klion en Crète
un Centaure vivant dans la Forêt interdite avant de
devenir professeur de… divination.
11- ?
12- Diodore de Sicile, IV,70
Le cinéma n'a pas oublié le Centaure :
13- Xénophon, Cynégétique, Chapitre I
en témoigne le dessin animé des studios Walt Disney,
14- D’après l’historien Staphylos de Naucratis, "Hercules", qui donna lieu à une série de films téléviCheiron était aussi un grand astronome (Sur sés.
l’Éolie, livre III).
15- Homère, Iliade, XI.831
Rappelons que Chiron est aussi une petite planète du
système solaire externe, découverte en 1977 par l'astro16- Chariclo est representée sur le "vase Frannome Charles T. Kowal.
çois" du musée archéologique de Florence, chefQuant au Mont Cheiron, son nom, d'après les topolod’œuvre de la céramographie archaïque, daté de
gistes, serait issu du parler populaire mais sans aucun
570 av. J.-C.
lien, loin de là, avec la mythologie…
17- Ovide Metamorphoes Livre II . 2(5,397 à 99
18- Diodore de Sicile - Bibliothèque historique, IV, 12
19- Theocrite, Idylle vii.149. Rappelons que Dante fait, lui aussi, le récit du repas funeste dans la Divine Comédie (Chant XII)
20- Ovide, Fastes, V, 379-514
21- Apollodore. 3.13.3
22- Pherkides. 83
23- Diodorus Siculus, Library of History 4. 12. 3 :
24- La constellation du Centaure fait partie des 48 constellations répertoriées par Ptolémée. Elle était
déjà mentionnée par Eudoxe au IVe siècle av. J.-C. et Aratos de Soles au IIIe siècle av. J.-C.
25- Esculape est le nom donné par les Romains à l'Asclépios des Grecs.
26- Pindare, Pythiques, III, 8 et suivants.
27- Ovide, Fastes I.291
28- Pindare, Troisieme Ode Pythique
29- Le caducée est littéralement "baguette de héraut". C'est aussi l'attribut d'Hermès-Mercure.
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30- Serpent et bâtons apparaissent frequemment dans la mythologie mediterranéenne. Leur signification a donné lieu à de savants commentaires : le serpent serait symbole de régéneration ou du péché,
le bâton garderait le souvenir des médecins intinerants de la Grèce antique.
31- Comment ne pas rapprocher les "artisans de la main" du peuple des Dactyles, anciens maîtres de
l’art de la métallurgie et des guérisons magiques qui vivaient, selon la tradition, sur le mont Ida en
Phrygie.
32- Updyke J."Le Centaure" (Ed. du euil, Paris, 1865).
Toute référence à cet article doit préciser :
01 mai 2016
Fabre A.J. : Cheiron, le Centaure, inventeur de la chirurgie. Clystère (www.clystere.com), n° 50, 2016.
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Les cachets d’oculistes ou cachets à collyres
Jacques VOINOT
Ophtalmologiste retraité (Chaponost 69630)
Contact : [email protected]
Les photographies des cachets représentés ici ne sont pas à leur taille réelle
Objets exceptionnels dans l’histoire de la médecine, les cachets à collyres sont des petites pierres
plates, dont les tranches portent des inscriptions, en latin pour la plupart, que l’on trouve dans des
sites archéologiques allant du Ier au IVe siècle de notre ère. On les attribue à la pratique de
l’oculistique car il semble bien qu’aucune autre spécialité médicale ne puisse en revendiquer l’usage.
Histoire de leur découverte
C’était en 1606 ; encore un peu au XVIe siècle, pas tout à fait au XVIIe, Rembrandt et Pierre Corneille
voyaient le jour, alors qu’à Rome Le Caravage tuait son adversaire en duel, que les Espagnols découvraient l’archipel des Nouvelles-Hébrides et que Jacques Ier faisait de l’Union Jack le drapeau du futur
Royaume Uni…
C’était en 1606, précisément le 18 avril, à Mandeure, dans la principauté de Montbéliard qui appartenait aux Wurtemberg depuis le XVe siècle. On connaît bien Montbéliard à cause de la famille Peu-
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geot, un peu moins bien Mandeure. Et pourtant l’antique Epomanduodurum était, au premier siècle
de notre ère, une importante cité Séquane dont il reste de nombreux vestiges, dont un théâtre antique, le deuxième plus important de Gaule après celui d’Autun [Fig. 1].
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Figure 1 : Table de Peutinger, en M, Epomanduodurum. En B, Vesontine (Besançon), Le Lac Léman (lacvs Losanete).
En 1606, le prince régnant était le duc Frédéric de Wurtemberg. Réformateur convaincu et personnage typique de la
Renaissance, il cultivait les Lettres et les Sciences et avait
créé, dans la Tour Neuve du château de Montbéliard, un
Cabinet des Médailles dont il confia la direction à son médecin particulier, Jean Bauhin [Fig. 2].
Ce curieux personnage était de souche française. Son père,
originaire d’Amiens, avait fui la France lors des guerres de
religions pour se réfugier à Bâle où Jean Bauhin naquit en
1541. Son frère puîné n’est autre que Gaspar, dont le nom
est attaché à la valvule iléo-cœcale dont, dit-on, il s’attribua
la description. Jean Bauhin était médecin, mais il fut aussi un Figure 2 : Jean Bauhin à l’âge de 50 ans.
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célèbre botaniste, créateur d’un fameux jardin botanique à
Montbéliard (le troisième en ordre de grandeur en Europe) où il cultivait le tabac et la pomme de
terre ! Il est surtout connu pour son Historia Plantarum où il propose une classification raisonnée des
plantes dont s’inspirera Linné.
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Jean Bauhin était donc chargé d’alimenter le Cabinet des Médailles du prince et Mandeure était à
deux pas… On y fouillait en effet depuis la découverte fortuite, en 1548, d’un trésor de 800 monnaies
d’argent et de bronze. Or, le 18 avril 1606, apparut sous la pioche des ouvriers, une petite pierre
plate, carrée et dont les tranches portaient des inscriptions. On montra la pierre à Jean Bauhin qui, en
l’examinant, en saisit tout de suite l’intérêt. Il la décrit ainsi au Duc : «… les lettres gravées tout autour sont romaines ou latines, bien formées et creusées à l’envers comme on le fait pour les sceaux
qu’on ne peut lire facilement que si on les imprime dans de la cire ou du plâtre… Les mots sont grecs,
mais écrits en langue latine et semblent faire partie du vocabulaire médical » (1). Cependant, doutant de l’exactitude de sa traduction, il confia la pierre à ses maîtres es Lettres de l’Université de Bâle.
Les réponses qu’il reçut nous laissent pantois d’étonnement devant l’ignorance de savants parlant soidisant grec ou latin : l’un lui répondit qu’il s’agissait d’une amulette pour conjurer le souffle des esprits mauvais, un autre une lettre d’amour (sic) adressée par un quelconque militaire en garnison, en
mal de sa belle romaine !!
Voici le texte de ce cachet :
a) C SVLP HYPNI ST
c) C HYPNI LISIPONVM
ACTVM OPO AD CL
AD SVPPVRATION
b) HYPNI CROCOD DI
d) HYPNI COENON
ALEPID AD ASPRI
AD CLARITATEM
Il s’agit donc d’un cachet d’oculiste qui porte un nom d’homme C(aius) SVLP(icius) HYPNVS et 4 noms
de collyres avec les indications thérapeutiques, on verra cela plus loin. C’est probablement le nom
HYPNVS qui a égaré nos savants de Bâle dans les sphères des soupirs !
Vers les années 1677-78, on découvrit 2 pierres semblables à Nimègue (NL). Puis les trouvailles se
multiplièrent : en Allemagne, Grande-Bretagne, Italie, mais surtout en France. En labourant un
champ, un cultivateur ouvrit par hasard une cavité dans laquelle se trouvaient, bien empilées les unes
sur les autres, 8 pierres sur lesquelles on pouvait lire le même nom TAVRVS, c’était en 1807 à Naixaux-Forges, près de Bar-le-Duc, l’antique Nasium qui livra bien d’autres richesses. Au cours du XIXe et
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du XXe siècle les découvertes n’ont cessé et, depuis 1606 jusqu’à maintenant, environ 350 cachets ont
été mis au jour.
Parallèlement à ces découvertes, de nombreux auteurs ont cherché à percer le mystère de ces objets.
Si Jean Bauhin les avait d’emblée attribués à un usage médical, c’est Jacob Spon, médecin et « antiquaire » lyonnais qui, en 1685 fut le premier à rattacher ces pierres à des pratiques d’oculistique, car
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il avait remarqué que certaines inscriptions se retrouvaient dans les recettes de collyres des auteurs
anciens, mais il croyait que c’étaient « des couvercles de boîtes destinées à renfermer les collyres
débités par les oculistes romains » (2). C’est l’abbé Lebeuf, érudit chanoine à la cathédrale d’Auxerre
qui, en 1753, fut le premier à attribuer ces cachets à l’usage que nous leur connaissons aujourd’hui.
Plus tard paraissent de nombreuses publications au fur et à mesure que les découvertes augmentent.
Parmi ces auteurs, citons Jules Sichel (1802-1868) [Fig. 3], cet ophtalmologiste allemand qui s’installa
à Paris au milieu du XIXe, y fonda une clinique et fut en fait le créateur de l’ophtalmologie en France !
Il publia en 1866 un opuscule dans lequel il inventorie une centaine de cachets (3).
Figure 3 : Docteur Jules Sichel.
Figure 4 : Commandant Émile Espérandieu.
Mais c’est au commandant Émile Espérandieu (1857-1939) [Fig. 4] que l’on doit les travaux les plus
précis sur les cachets. Réformé à cause d’une surdité, il se consacra à l’archéologie et fut longtemps
directeur des fouilles d’Alésia. Julius Hirschberg, ophtalmologiste allemand et historien de notre spécialité lui confia la rédaction du tome XIII du célèbre « Corpus des inscriptions latines (CIL)», gigan01 mai 2016
tesque répertoire de toutes les inscriptions latines de tous les monuments antiques. Le tome XIII est
consacré aux 217 cachets d’oculistes connus à cette époque, soit en 1906 ; chaque cachet est décrit,
en latin puisque c’est une publication « universelle », avec le lieu de découverte, de conservation (musée ou collection privée) dimensions, transcription des textes et surtout des dessins, à l’échelle, d’une
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précision remarquable. Espérandieu compléta cet inventaire en 1927 en ajoutant 27 nouveaux cachets.
On note alors un déclin de l’intérêt porté aux cachets : les trouvailles se raréfient, il n’y a plus de publications archéologiques et la deuxième guerre mondiale stoppe les recherches. Cependant, un ophtalmologiste parisien Marc-Adrien Dollfus continua à collecter les nouvelles découvertes sans les publier et Pierre Wuillemier, archéologue, publia en 1963 un complément au CIL d’Espérandieu dans la
revue Gallia.
C’est au cours de mon séjour chez mon Maître Louis Paufique que je découvris le petit opuscule de
Sichel dont la lecture me passionna. Installé à Besançon, j’ai appris qu’un cachet était conservé au
Musée de cette cité. C’est grâce à cette « découverte » que j’entrepris des recherches et que j’eus
l’idée de reprendre les travaux d’Espérandieu et d’éditer un nouvel inventaire. Le premier parut en
1981, dans les Conférences Lyonnaises d’Ophtalmologie [Fig. 5], c’était un catalogue où je classais les
cachets par ordre chronologique de découverte, mais surtout j’ai cherché à l’illustrer par des photographies. Ce livre, non commercialisé, contenait beaucoup d’erreurs, ce qui m’a décidé à faire une
deuxième édition. Je pensais pouvoir m’associer à un confrère belge, le Dr. Paul Jansens, anthropologue réputé, mais il mourut trop tôt. Ce n’est qu’en 1999 que parut dans les Monographies Instrumentum n° 7 (éditions Monique Mergoil, Montagnac) « Les cachets à collyres dans le monde ro-
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main » où, reprenant l’ordre chronologique des découvertes, je pouvais publier 314 cachets [Fig. 6].
Figure 5 : Jacques Voinot : Inventaire des cachets
d’oculistes gallo-romains. Conférences lyonnaises
d’ophtalmologie, 1981.
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Figure 6 : Jacques Voinot : Les cachets à collyres
dans le monde romain. Monographie Instrumentum. Ed. Monique Mergoil, 1999.
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Actuellement, le flambeau de la recherche est entre les mains de Mme Muriel Labonnelie, agrégée de
Lettres classiques, Maître de conférences (Langue et littérature latines) à l’Université de Bourgogne et
elle aurait colligé environ 350 cachets !
Mais, il serait peut-être temps maintenant de savoir vraiment ce que sont ces « cachets d’oculiste »
ou plutôt « cachets à collyres ».
Les cachets d’oculistes ou cachets à collyres
Ce sont de petites pierres plates [Fig. 7], le plus souvent carrées ou rectangulaires. Jusqu’à une
époque récente on disait qu’ils étaient en stéatite, roche tendre facile à graver, au toucher gras (d’où
son nom) de couleur vert clair à vert foncé. Mais une hypothèse récente rejette cette origine, on aurait plutôt affaire à des grauwackes, roches détritiques de couleur verte également (le vert avait la
réputation de donner une bonne santé dans l’Antiquité), que l’on trouve dans des carrières d’Égypte.
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Des analyses pétrographiques sont en cours pour vérifier cette origine…
Figure 7 : Trois cachets, celui de droite en haut est authentique, les autres sont des moulages. © J. Voinot
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Ils ont une épaisseur de 5 à 15 mm et c’est sur cette surface étroite que l’on peut lire un texte latin,
plus rarement grec, gravé en creux et en caractères rétrogrades, afin de pouvoir imprimer l’inscription
sur une matière susceptible d’en garder le relief [Fig. 8-9].
Figure 8 : cachet découvert à Lyon, le texte tel qu’il se présente.
© J.Voinot
Figure 9 : le négatif a été retourné pour une lecture directe
© J.Voinot
Le texte est évidemment la partie la plus intéressante du cachet et en fait toute l’originalité.
Il s’agit, en effet, d’une véritable ordonnance médicale.
Prenons par exemple l’un des plus beaux cachets, en tout cas le plus grand (8.3 cm) qui provient
d’ALLERIOT en Saône et Loire, non loin de Chalon sur Saône où il a été découvert en 1784 au cours du
défrichage d’un champ [Fig. 10].
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Figure 10 : cachet d’Allériot - © J.Voinot.
On lit successivement : - un nom d’homme au génitif, ici Reginus - le nom d’un médicament, le
diasmyrnes, très célèbre « collyre » de l’antiquité - le nom d’une affection lippitudo, c'est-à-dire
«l’inflammation » très probablement la conjonctivite, - un mode d’emploi : « ex ovo primum » que
l’on traduit par « à diluer d’abord dans du blanc d’œuf »
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REGINI DIASMYRNES POST LIPPITVDINES EX OVO PRIMVUM
Cela nous donne la phrase suivante « (Collyre) diasmyrnes de Reginus à utiliser après (le début de) la
conjonctivite, à diluer d’abord dans du blanc d’œuf ».
C’est bien là une véritable ordonnance médicale !
Voici un autre exemple : un cachet découvert à Lyon en 1934, sur le plateau de la Sarra [Fig. 11]. C’est
une petite réglette (40x20x10) dont trois côtés sont inscrits. En voici un :
Figure 11 : cachet découvert à Lyon en 1934. © J. Voinot.
La lecture est un peu plus difficile :
M.SVLPICI.HERMADI NARDINVM AD LI(ppitvdinem)
(collyre) au nard de Marcus Sulpicius Hermadius, contre l’inflammation.
On remarque que sur les deux lignes les lettres MA sont entremêlées on appelle ça une « ligature »,
c’est fréquent sur les inscriptions latines.
Et encore ce cachet provenant d’un petit village de la Nièvre, Alluy, découvert au milieu de construc-
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tions romaines en 1854. Il est remarquable avec ses 3 lignes de texte [Fig. 12].
Figure 12 : cachet d’Alluy- © J.Voinot. Musée archéologique du Nivernais, Porte du Croux,
Nevers.
L POMP NIGRINI ARPAS
TON AD RECENT LIPPIT
VDINE ODENT DIE EX OVO
(collyre) à l’ambre de Lucius Pompeius Nigrinus
(à utiliser) pour les inflammations récentes
craignant la lumière, (à diluer) dans du blanc d’œuf
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Au passage, je vous convie à admirer la gravure de ces lettres qui ont moins de 4mm de hauteur et
qui ont les caractères des inscriptions latines monumentales.
On imprimait ces textes sur des « collyres ». Ce terme est un peu ambigu. En effet, dans notre langage
moderne, les collyres sont uniquement les médicaments à destinée oculaire et ils se présentent toujours sous la forme de liquides. Dans l’antiquité, le terme « collyre » pouvait désigner des médicaments pour d’autres indications.
A côté des collyres liquides qui existaient déjà (on a découvert des petites fioles à Lycium, remède
liquide préconisé pour les affections oculaires) les collyres de l’Antiquité se présentent donc sous la
forme de petits bâtonnets de pâte dont la matière principale est une gomme qui servait d’excipient
aux différents composants.
On mélangeait en effet tous les ingrédients (et ils pouvaient être nombreux, dépassant la vingtaine)
en y incorporant de la gomme arabique. Une fois cette préparation achevée, on donnait à la pâte la
forme de petits pains que l’on marquait avec le cachet avant de les faire sécher au soleil. En grec,
petit pain se dit kollurion « Ainsi le terme kollurion désignait-il, au sens propre un remède ophtalmique, composé d’ingrédients d’origine végétale et minérale finement broyés, pulvérisés à l’aide
d’un liquide et façonnés en une petite pâte de forme oblongue… » (4).
Comme nous l’avons vu plus haut, au moment de l’emploi, on les diluait dans du blanc d’œuf, du lait
maternel, ou bien tout simplement de l’eau.
À l’époque de Celse, les dilutions se faisaient à l’aide d’une spatule appelée specillum. Cet instrument
servait à écraser le collyre sur une plaque de la même matière que les cachets, quelquefois même sur
une des grandes faces du cachet creusée en légère fossette.
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Figure 13 : Specillum. © Musée des Beaux Arts et d’Archéologie de Besançon.
http://www.culture.gouv.fr/Wave/image/joconde/0756/m117383_018727_p.jpg
Le specillum présente un bout olivaire sur lequel on chargeait un fragment de collyre que l’on introduisait dans l’œil, soit dans le cul de sac inférieur, soit sur la face conjonctivale de la paupière supérieure préalablement retournée. Par exemple Galien écrit : « on emploiera ce collyre, contre les grawww.clystere.com / n° 50.
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nulations seulement, on l’introduira dans l’œil avec une spatule, sans toucher au globe, il suffira d’en
enduire la paupière inférieure avec la spatule. » Plus loin, il ajoute : « celui qui emploie ce collyre doit
bien étaler la paupière renversée et le malade ne clignera pas à ce moment-là. »
Par contre Oribase préfère, en cas d’inflammation aigue, utiliser des collyres en solution afin d’éviter
à œil le contact irritant de la spatule.
Les collyres solides sont donc une originalité gallo-romaine qui sera reprise ultérieurement par les
arabes, sous forme de pastilles. La forme solide se justifie probablement pour des raisons de transport
et de conservation.
Figure 14 : On tient la pierre entre le pouce et l’index et on l’appuie fortement sur la préparation pour marquer le bâtonnet de collyre.
© J.Voinot
L’étude de ces objets fait appel à plusieurs « spécialités » : l’onomastique (étude des noms), la philologie, la pétrographie, la botanique, la pharmacopée, etc…
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Les noms sur les cachets à collyres
On trouve d’abord les tria nomina classiques avec le praenomen, le nomen et le cognomen, c’est le
cas de la plupart des cachets. Quelques exemples :
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Figure 15 : Un des cachets découvert à Naix au Forges en 1807. Avec les
tria nomina: Q(uinti) IVN(ii) TAVRI. © Musée du Louvre.
Mais d’autres cachets ne comprennent qu’un seul nom qui est souvent le cognomen :
Figure 16 : Cachet trouvé dans la Saône à Lyon en 1860. © Musée des Beaux-Arts de
Lyon.
Ferox, Taurus, sont des noms d’origine latine, mais il y en a qui sont d’origine grecque comme Epagathos sur ce très beau cachet découvert à Este (Italie)
Figure 17 : © Museo Atestino, Este.
Ou, celui-ci, au nom de Kosmos, écrit en caractères grecs et qui provient d’Arles
Figure 18 : © M.Lacanau. Musée d’Arles.
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Beaucoup plus rarement on trouve des noms d’origine celte, comme cet Arvernicus sur un cachet découvert à Martres-sur-Morge, non loin de Clermont-Ferrand… chez les Arvernes !
Figure 19 : © Bernard Rémy.
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La plupart des cachets ne mentionnent qu’un seul nom, mais quelques-uns en ont deux, voire trois…
Cela pose la question, qui n’a pas encore trouvé de réponse : ces noms sont-ils ceux des propriétaires
des cachets ? Ou bien le nom du préparateur du collyre ?
Par exemple sur les 7 cachets découverts à Naix-aux-Forges, 6 portent le nom de Q.INI.TAVRVS, mais
l’un porte aussi le nom de L.CL.MARTINVS… Pourquoi ? S’agit-il d’associés, de successeurs ?
Figure 20 : Cachet de Naix aux Forges - © Musée du Louvre.
Et que dire de ce cachet avec 4 cognomina ! (A noter le mot « COL LIRI »)
PATERNIANVS
SEVERIANVS
M.FLAV.FAVS(tus)
DIVIXEV (Divixtus ?)
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Figure 21 : Cachet de Sens, Musée de St Germain en Laye - © J. Voinot.
En présentant les cachets j’avais pris comme exemple le superbe cachet d’Allériot visible au Musée
des Antiquités Nationales de Saint-Germain-en-Laye, je voudrais insister sur la gravure du texte; dans
ce cas elle est superbe et l’on ne peut qu’admirer l’habileté de ceux qui l’ont faite, les lettres ont
moins de 5mm de hauteur !
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Sur certains cachets on voit très bien les lignes préalablement tracées pour guider le graveur dans son
travail :
Figure 22 : cachet de Plessis-Brion (Oise). © J. Voinot.
D’après un moulage au Musée de St Germain en Laye.
Figure 23 : cachet de Compiègne, original au Musée de St Germain en
Laye. © J.Voinot.
A côté de ces gravures superbes, parfaitement lisibles, certains cachets présentent des textes écrits de
façon maladroite, comme s’ils avaient été faits par des « amateurs », à la va-vite :
Figure 24 : cachet de Pommœreul (Belgique)- © Marc Bar. COLIRIVM DIAPSORI / GAI NVMIS PERECR.
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Figure 25 : cachet de Maastricht (NL) - © Dr. Panhuysen
VICTORINI PAL / LADIVM AD CA
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Sur la plupart des cachets les noms des collyres sont associés à des affections oculaires. Cette originalité fait de l’ophtalmologie une spécialité très ancienne. « L’ophtalmologie est, après la chirurgie, la
première spécialisation apparue au sein de la médecine antique et les Anciens distinguaient un
nombre très élevé de maladies des yeux » (5). On ignore pourquoi les autres spécialités, comme la
dermatologie par exemple, ne bénéficient pas de cette façon de marquer les médicaments. Ainsi,
Celse dans sa compilation intitulée De medicina, consacre tout le chapitre VI de son VIe Livre aux maladies des yeux et, en introduction, il insiste sur l’importance de ce chapitre : « Les maladies dont nous
venons de parler (les maladies cutanées) méritent peu d’attention, mais il n’en est pas de même de
celles des yeux qui sont sujets à quantité d’accidents graves. Ces organes contribuent trop aux besoins et aux agréments de la vie pour qu’on ne prenne pas toutes les précautions possibles pour les
conserver. »
Cette opinion prévaut encore aujourd’hui et tous mes confrères vous diront qu’ils ne cessent
d’entendre cette réflexion de leurs patient : « La vue c’est tout ! »…
La composition des collyres
Remarque : pour les statistiques des collyres et des affections je me base sur les 314 cachets de
mon inventaire de 1999, plus 1 cachet qui m’appartient, soit 315.
Si l’on peut dénombrer environ 105 noms de collyres, il y a à peine une vingtaine d’affections oculaires. Mais si l’on veut étudier l’efficacité des traitements, on ne peut compter que sur 212 cachets.
En effet, 103 d’entre eux ne sont pas exploitables, soit parce que le texte est incomplet, voire tellement effacé qu’il est illisible, soit parce qu’il n’y a que des noms de collyres et c’est le cas le plus fréquent.
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Voilà par exemple un cachet trouvé à Nîmes qui ne porte que 4 noms de collyres :
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AROMATICVM, aromatique
MELINVM
à base de jus de pomme, de coing, jaune
PSORICVM « aux sels métalliques »
CROCODEM, au safran, jaune vif
Figure 26 : Cachet de Nîmes © Musée du Louvre.
C’est bien l’occasion d’étudier les collyres. J’ai déjà évoqué brièvement leur préparation. Voici ce
qu’écrit Celse, (§2 et §3, Livre VI, chapitre VI du De Medicina) :
« Bon nombre d’auteurs ont préparé, pour les affections oculaires, beaucoup de collyres qu’on peut,
en outre, modifier par de nouveaux mélanges ; … Il est bon de savoir, à ce sujet, que tous les médicaments doivent d’abord être broyés à part, puis mêlés, broyés de nouveau et additionnés peu à peu
d’eau ou de tout autre liquide et que la gomme, entre autres propriétés, a surtout celle d’assurer la
cohésion et de prévenir la friabilité des collyres qu’on a préparés et fait dessécher ».
On classera les collyres en 3 catégories selon le nom marqué sur les cachets :
1- Les collyres dont le nom évoque l’un des composés :
D’origine botanique :
CHELIDONIVM, la chélidoine, l’herbe à verrue
CRODES, le safran
DIARHODON, à la rose (toujours actuel !)
PYXINVM, au buis
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MELINVM, au coing, à la pomme
CINNAMVM, à la cannelle …
D’origine animale :
DIACERATOS, à la corne (de cerf le plus souvent)
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DIACHOLES, à la bile, à cause de sa couleur verte.
ARPASTON, à l’ambre (selon Pline) …
D’origine minérale :
DIALEPIDOS, aux squames de cuivre
AMETHYSTINVM, à l’améthyste
DIAGESAMIAS, à la terre de Saïmos …
2- les collyres au nom
Symbolique :
CHLORON, vert
CYCNON, blanc
ACHARISTON, disgracieux
AROMATICVM, aromatique …
Et au nom emphatique :
ANICETVM, invincible
AMIMETVM, inimitable …
FOS ou PHOS, lumineux
ISOCHRYSVM, égal à l’or
ISOTHEON, égal aux dieux
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THALASSEROS, comme la mer, (bleu ?)
THEODOTIVM, donné par les dieux
Pour ceux-ci, leur efficacité ne résidait-elle pas autant dans la poétique de leur nom que dans leur
composition ? Au milieu du XIXe siècle on pouvait encore prescrire le « collyre à la pierre divine » ou le
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« collyre céleste » !!
3- Les collyres dont le nom évoque une propriété :
ANODYNVM, qui calme la douleur
ARPASTON, qui tire à soi, qui saisit avec avidité
COENON, commun, usuel
RAPIDVM, rapide
SMECTICVM, détersif …
Restent de très célèbres collyres, très employés, comme le DIASMYRNES ou le DIAPSORICVM dont
nous reparlerons à propos de leur efficacité thérapeutique.
Parmi tous ces noms, beaucoup sont d’origine grecque, preuve s’il en fallait de l’origine de la médecine ; il n’y avait pas, à proprement parler de médecine romaine, elle était grecque provenant de l’île
de Cos, de Cnide, de Pergame ou de Smyrne…
Les affections oculaires
On peut les classer en 6 catégories.
Les altérations de la vue,
D’abord la claritas, citée 65 fois sur 212, soit près du quart des cachets. C’est une affection peu précise
dans notre langage actuel. S’agit-il tout simplement de la presbytie, ou de toute autre amétropie ?
Les lunettes n’apparaîtront qu’au XIIIe siècle! Ou bien alors pour « éclaircir la vue » dans tous les cas ?
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On ne peut trancher…
À côté de la claritas, on peut mettre la caligo. Là il s’agit d’un grave symptôme, plus que d’une maladie. Celse dit que c’est l’obscurcissement de la vue, soit après une inflammation, soit sous l’effet de
l’âge. Elle est citée 31 fois et peut-être ce terme qui définit « un état sombre de l’atmosphère » cor-
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respond-il à la cécité ? On pourrait penser qu’il s’agit de la cataracte, mais celle-ci est plutôt nommée
suffusio par Pline et Celse et curieusement on ne la retrouve que 2 fois citée sur les cachets.
Figure 27 : cachet de Mandeure - © J.Voinot.
C CL IMMVNIS DIAP
SOR(icum) OPOB(obalsamatum) AD CLARITAT(em)
En se basant sur l’association de certains collyres à la claritas on peut entrevoir les traitements qui
paraissent les plus efficaces. Sur les 65 cachets où elle est citée c’est le DIAPSORICVM, retrouvé 22
fois, qui semble le plus efficace avec le STACTVM (16 fois). Ces deux collyres sont très souvent associés
à l’OPOBALSAMATVM, comme on le voit sur ce cachet de Mandeure.
Le Diapsoricvm est un médicament composé essentiellement de sels de cuivre. Quant au Stactvm,
c’est la goutte de résine qui coule après l’incision de l’écorce du baumier. L’opobalsamatvm ne serait
autre que le baume de Judée. Il poussait en Arabie du Sud et fut introduit près de Jéricho. Parmi les
autres baumiers c’est celui de Judée qui avait la meilleure réputation, à tel point qu’après la campagne de Titus contre Israël en 70, la population voulut se venger de la défaite en coupant tous les
baumiers, les romains parvinrent à en sauver quelques-uns qui furent utilisés comme trophées au
triomphe de Titus à Rome.
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Figure 28 : OPOBALSAMATVM sur cachet découvert à
Daspich (57). © J.Voinot.
Ce n’est pas le lieu, ici, de s’étendre sur la composition et l’action de ces « collyres » ce sont des
discussions de spécialistes, surtout des philologues.
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Les inflammations et les infections.
C’est essentiellement la lippitudo, terme général pour désigner l’état inflammatoire de l’œil ; les latinistes et autres savants philologues l’appellent « ophtalmie », nous autres ophtalmologistes on parle
soit de conjonctivite, sous toutes ses formes, soit d’iritis, voire d’uvéite, toutes affections qui se signalent par une rougeur, de la douleur et un larmoiement plus ou moins purulent. La lippitudo est une
maladie très fréquemment nommée sur les cachets puisqu’on la retrouve 84 fois. Elle est même décrite avec précision puisque l’on peut lire ad impetum lippitudinem : « dès le début de l’infection » (36
fois) ou post impetum lippitudinem : « après le début de l’infection » (35 fois) enfin, ad lippitudinem
ou ad omnem lippitudines, cité 28 fois. Or cette maladie (ou ces maladies ?) bénéficie d’un traitement
précis et probablement efficace puisque le DIASMYRNES lui est associé 33 fois post impetum, c’est à
dire après le début de la conjonctivite, dans une période que l’on peut assimiler à la phase d’état.
Figure 29 : Cachet de Montcy-Saint- Pierre (Ardennes). © Dr Sédille. Le Diasmyrnes est, ici, à diluer dans du blanc d’œuf (ex ovo).
Ce collyre diasmyrnes est un des plus célèbres de l’Antiquité, c’est le plus fréquemment nommé sur
les cachets. C’est une préparation à base de myrrhe, gomme résine produite par Balsamodendron
myrrha, plante thérébintacée poussant en particulier sur les rives de la Mer Rouge. La myrrhe transitait par le port de Smyrne, d’où ce nom de Diasmyrnes donné par les grecs. La myrrhe a des propriétés antiseptiques, tonique et antiputrides.
A côté de ce collyre on voit souvent écrit (21 fois) PENICILL(vm) LENE(mentvm), il s’agit là d’un « pin-
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ceau doux », très probablement pour appliquer le collyre sur ces yeux enflammées et douloureux.
Figure 30 : Lenem Peni(cillum) pinceau doux sur un cachet
de Trèves © E. Künzl, Mainz.
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Les manifestations lésionnelles.
C’est dans cette pathologie que l’on rencontre une affection aussi fréquemment citée que la lippitudo,
c’est : l’aspritudo (83 fois). Littéralement, c’est « l’âpreté », on dira plus volontiers « granulations »
des conjonctives. Celse écrit que « les granulations succèdent ordinairement à l’inflammation des
yeux et sont, tantôt volumineuses, tantôt petites ; elles donnent quelquefois naissance à la lippitude
qui, de son côté, accroît ensuite les granulations. » On croit reconnaître dans cette description le trachome, redoutable affection oculaire virale, transmise par les mouches et qui sévit sur le pourtour
méditerranéen, jusqu’au Sahel et aux Indes. Grâce aux cachets on peut estimer que l’aire d’extension
de cette maladie (qui ne sévit pas en Europe) a été plus septentrionale que maintenant. En effet la
carte de répartition des cachets portant la marque aspritudo montre une concentration assez remarquable dans le Nord-Est de la Gaule, jusqu’aux rives du Rhin, (comme d’ailleurs la lippitudo), d’où
l’hypothèse assez vraisemblable de supposer que les utilisateurs des cachets étaient principalement
des médecins accompagnant les Légions romaines… et que certains légionnaires étaient porteurs de
la maladie…
a) L.SEXT(i) MARCIANI DIAMYSVS AD
VETERES CICATRICES COMPL(endas)
b) L.SEXT MARCIANI T(h)ALAS
SEROS DELACRYMATORI(vm)
c) L.SEXTI MARCIANI DIALEPIDOS
AD ASPRITVDINEM TOL(l)E(ndam)
d) L.SEXTI MARCIANI DIASMYR
NES POST IMPETVM LIPPI(tudinis)
Figure 31 : Cachet d’Ingwiller (67) d’après un moulage.- © J.Voinot.
J’ai mis les photos de ce cachet car les inscriptions illustrent très bien ce qui est écrit ici. Ce cachet a
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été découvert au XVIIIe siècle sur le territoire d’Ingwiller, petite cité au Nord-ouest de Strasbourg, non
loin de Niederbronn-les-Bains. Conservé dans la Bibliothèque de Strasbourg, il disparaît (avec le tout
premier cachet trouvé à Mandeure) lors de l’incendie de la ville en 1870. Heureusement un moulage
en avait été fait auparavant et ce moulage est conservé, avec 46 autres au Musée des Antiquités Nationales de Saint-Germain-en-Laye. Taille : 45 x 44 x 8 mm.
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87 cachets ont disparu depuis leur découverte, détruits au cours des guerres, volés… vendus à des
collectionneurs privés qui les cachent. Heureusement, pour la plupart, soit des transcriptions, soit des
empreintes ont été faites qui nous permettent d’en exploiter les textes.
Les inscriptions sont remarquables, présentant de nombreuses ligatures :
a) L.SEXT(i) MARCIANI DIAMYSVS AD
b)L.SEXT MARCIANI T(h)ALAS
VETERES CICATRICES COMPL(endas)
SEROS DELACRYMATORI(vm)
c)L.SEXTI MARCIANI DIALEPIDOS
d)L.SEXTI MARCIANI DIASMYR
AD ASPRITVDINEM TOL(l)E(ndam)
NES POST IMPETVM LIPPI(tudinis)
Un argument supplémentaire pour assimiler l’aspritudo au trachome est, sur les inscriptions,
l’association assez fréquente avec les cicatrices en particulier les cicatrices anciennes (veteres cicatrices). Or si le trachome est une des causes les plus fréquentes de cécité dans le monde, c’est à cause
des taies cornéennes cicatricielles et des rétractions en dedans de la paupière supérieure provoquant
une irritation permanente par les cils (trichiasis).
Les collyres qui semblent les plus efficaces pour l’aspritudo sont le DIALEPIDOS (23 fois) et le CROCODES (20 fois). Le Dialepidos est un médicament à base de squames de cuivre. J’ai évoqué plus haut
le rôle important pour les Anciens de la couleur verte dans l’efficacité des traitements oculaires, ce
collyre en est la preuve. Or le sulfate de cuivre entrait encore dans la composition du « collyre contre
les conjonctivites chroniques » de Sichel ou le « collyre cuivrique » d’Ange Guépin, oculiste à Nantes
au XIXe.
L’autre collyre, le Crocodes, est à base de safran (Crocus sativus) employé probablement à cause de
sa couleur ?
Les autres manifestations lésionnelles sont les cicatrices, citées 51 fois ; surtout les anciennes (veteres
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cicatrices). Elles sont traitées essentiellement par le DIAMYSUS, encore un collyre à base de cuivre.
La pathologie palpébrale
Elle est très rarement nommée, on retrouve 5 fois la mention des Genas (paupières) avec des qualificatifs divers, qu’elles soient fendues (scissae) ou accompagnées de rugosité (scabritiae).
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Le larmoiement
Il occupe une place non négligeable, soit sous la forme d’epiphora (terme toujours utilisé de nos jours)
soit, une fois ad lacrymas restringendas.
A côté on lit 11 fois DELACRYMATORIUM, terme assez curieux. Ce serait pour « exciter le larmoiement » selon Marcellus Empricus, auteur gaulois du début du Ve siècle de notre ère.
La pathologie fonctionnelle
Elle est représentée essentiellement par la diathesis (citée 19 fois) terme aussi imprécis à cette
époque que de nos jours et sur lequel je ne m’étendrai pas…
Conclusion
Je voudrais dire que ce qui précède n’est qu’un « aperçu » de cet immense sujet que sont les cachets à
collyre. Ils ont donné lieu à une très abondante bibliographie qui ne fait qu’augmenter encore actuellement, il n’est donc pas question de la mettre ici.
Je voudrais dire encore que je regrette qu’actuellement ce sujet n’intéresse plus les historiens (ô combien modestes) de la médecine et de l’ophtalmologie. Les cachets sont maintenant entre les mains de
personnes, certes très savantes (latinistes, philologues, etc..) mais qui n’ont pas la culture médicale
nécessaire à une bonne compréhension de l’utilisation de ces objets exceptionnels. Les « oculistes
gallo-romains » nous ont laissé là un héritage qui m’a passionné et me passionne encore. Qui viendra
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me succéder?
Figure 32 : cachet de provenance inconnue, probablement GrandeBretagne. © British Museum, London.
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Références
1- Lettre de Jean Bauhin au duc Frédéric de Wurtemberg, reproduite par Fevret de Saint Mesmin,
Mémoires de la commission des Antiquités de la Côte d’Or, 1838-41, p.382.
2- Spon Jacob Miscellanea eruditae antiquitatis, Lyon 1685).
3- Sichel Jules– Nouveau recueil de pierres sigillaires d’oculistes romains. Paris, Masson, 1866.
4- Pardon-Labonnelie Muriel. Du χολλυριον au « collyre » in La coupe d’Hygie, médecine et chimie
dans l’Antiquité ; Éditions Universitaires de Dijon, collection Sociétés. Dijon 2013.
5- Gaillard-Seux, Patricia. Les maladies des yeux et le lézard vert. In : nommer le maladie, recherches
sur le lexique gréco-latin de la pathologie. Centre Jean Palerne. UNiversité de Saint-Étienne. 1998.
Toute référence à cet article doit préciser :
01 mai 2016
Voinot J. : Les cachets d’oculistes ou cachets à collyre. Clystère (www.clystere.com), n° 50, 2016.
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La bourse à clystère
Jean-Pierre MARTIN
Service de gériatrie, Centre hospitalier Jean Leclaire BP 139, Le Pouget, CS 80201 24206 Sarlat cedex.
E-mail : [email protected]
La bourse à clystère est probablement l’un des instruments à usage médical qui compte parmi les plus
anciens. On le trouve en usage dans diverses sociétés antiques européennes et asiatiques, mais aussi
en Amérique du sud, dans les civilisations dites préhistoriques car ne connaissant pas l’écriture. Les
médecins de l’Antiquité pratiquaient fréquemment des injections de liquides variés dans les différents
orifices de l’organisme ou dans les plaies. Cette bourse à clystère était un dispositif simple mais efficace, toujours utilisé de nos jours pour des lavements rectaux, une poire en caoutchouc, puis des dispositifs à usage unique (poche avec tubulure et canule) ayant toutefois remplacé la vessie et la peau
animale.
La bourse à clystère : description
La bourse à clystère est un instrument d’une grande simplicité, puisque composé d’une canule sur
laquelle est fixé un réservoir, constitué par la vessie ou la peau d’un animal, dans lequel sera contenu
le liquide à injecter. L’éjection du liquide se fait par simple pression manuelle sur ce réservoir.
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Figure 1 : Bourse à clystère. In Chirurgie de Guy de
Chauliac, 1363 (traduction de Nicaise, Paris, Alcan,
1890). © BIUS.
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Avant la bourse à clystère : la bouche
Il est tout à fait probable que le premier outil utilisé pour administrer des lavements ait été la bouche,
comme cela se pratiquait encore en Afrique il y a quelques décennies [Fig. 2].
Figure 2 : Le lavement chez les Mossi de Koudougou (Haute-Volta). Au préalable, la
mère aspire de l’eau prise dans la calebasse posée à ses côtés. Détail d’une carte
postale, Ed. Ministère France Outremer, Circa 1950. © Coll. de l’auteur.
Antiquité égyptienne, romaine et grecque
Dans l’Antiquité, Hippocrate (460-370 av. JC.) évoque l’utilisation d’une seringue, « … et infuser dans
les parties génitales, à l’aide d’une seringue (1)», mais sans en donner la description. Il s’agit probablement d’une simple bourse à clystère, sans piston.
Les Egyptiens ne connaissaient pas la seringue. Ils pratiquaient des lavements évacuateurs ou nourriciers à l’aide d’une canule en bois, en plume ou en corne, dans laquelle on versait le liquide à administrer avec un récipient à bec verseur allongé, ou sur laquelle était fixé un sac de cuir. On connait des
tubes coniques métalliques qui pouvaient servir d’embout. Par contre le trocart creux (son ancêtre)
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avec âme (aiguille pleine) était utilisé, par exemple, probablement, pour faire des ponctions d’ascite
(2).
Dans le traité de médecine de Celse (3) il est fait état de divers instruments. Celse ne parle pas de
seringue (ajout probable du traducteur dans la table) mais uniquement de clystère, clyster auris (Livre
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VI, chapitre VII, §3, 9) pour instiller des médicaments dans les oreilles et de clyster ani (pour l’anus),
qu’il ne juge pas utile de décrire, ce qui sous-entend que ces instruments étaient d’une grande banalité et connus de tous.
Galien (129-216) appelait « seringue » la bourse à clystère utilisée pour les lavements rectaux, celui
pour injecter la vessie étant désigné par le terme « sonde ». Le terme latin « clyster » désignait le
même dispositif avec lequel on injectait le rectum, le vagin, l’utérus, ou la vessie. Le clystère nasal
était désigné en latin par « rhinenchytes », le clystère auriculaire et pour les sinus par « oricularius
clyster » (4). Un tube de clystère en bronze a été trouvé lors des fouilles d’un hôpital romain à Baden.
Il est probable que les injections vésicales devaient rarement atteindre la vessie et ne dépassaient pas
l’urètre (sauf chez la femme dont l’urètre est très court et rectiligne), comme les injections utérines
devaient être essentiellement vaginales. La « seringue » nasale était composée de deux tubes liés
ensemble (un pour chaque narine), mais le dispositif d’injection du liquide n’est pas connu, faute
d’avoir été décrit par Galien : vessie (ce qui correspondrait à une bourse à clystère à usage nasal),
simple versement de liquide dans les tubes, la tête étant renversée en arrière ?
L’évacuation d’une collection purulente était réalisée, selon Galien, à l’aide d’un tube droit en bronze
ou en corne, fixé sur une vessie de porc, ensemble également appelé extracteur de pus ou pyulcus. Il
ne s’agit pas d’une seringue, contrairement au pyulcus décrit antérieurement par Heron d’Alexandrie
(10-70), qui était composé d’un tube dans lequel coulisse un piston [Fig. 3]. Ce serait Galien
qui, le premier, proposa d’évacuer les épanchements sanglants des plaies thoraciques en
les « pompant à l’aide d’une seringue » (5). Il
faut toutefois se méfier ici du terme seringue,
qui pouvait être employé par Galien pour désigner une bourse à clystère, sans qu’il s’agisse
d’une seringue avec piston. En effet, même au
IVe siècle, Oribase (325-403), évoque plusieurs
clystères, l’un pour les lavements intestinaux Figure 3 : le pyulcus décrit par Heron d’Alexandrie. De haut en
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par voie rectale, l’autre, le clystère auriculaire,
bas : le pyulcus, vue en coupe, le piston. In Milnes, 1907.
pour vider les collections purulentes des fistules ou des abcès intercostaux. L’expulsion du pus ne se
faisait pas par aspiration, mais par injection-lavage à l’eau chaude de la cavité, grâce au clystère.
L’eau injectée dans l’abcès en chassait le pus. La cavité était ensuite lavée avec de l’eau ou du vin
miellés (hydromel), avant d’être injectée de médicaments divers (6, 7).
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Médecine indienne
Il est intéressant de s’intéresser à la médecine indienne antique, tant il semble acquis que des
échanges ont eu lieu dans l’Antiquité entre les peuples du sous-continent Indien, du Moyen-Orient et
d’Europe et d’étudier ce qu’il en était de la bourse à clystère. Le texte de référence est bien sûr le célèbre Sushruta Samhita, considéré comme le plus ancien ouvrage de médecine et chirurgie écrit en
sanscrit entre le Xe et le VIe siècle avant JC. L’auteur est Susruta, dont on ignore exactement à quelle
époque il a vécu. De plus, ce texte aurait été rédigé sur plusieurs siècles et par plusieurs auteurs (samhita signifie « collection qui forme un ensemble »). C’est le texte fondateur de la médecine ayurvédique, la médecine traditionnelle indienne. Le Sushruta Samhita est divisé en deux parties, PurvaTantra et Uttara-Tantra (8). Il a été traduit en Arabe au VIIIe siècle, puis en latin, allemand et anglais.
Deux traductions anglaises ont été faites, en 1910 et 1963. C’est dans la première traduction anglaise
que nous avons cherché trace des bourses à clystère.
Il est fait référence à différentes seringues : « Uttara-vasti » (9, 10, 11) (seringue urétrale ou vaginale) ; Pushpa-netra (12) (seringue urétrale); Asthapana-vasti (13) (pour des injections rectales); Vasti
(seringue à lavement « enema syringe »); Le terme « vasti » semble désigner tout autant le lavement
et ce qu’il contient que l’instrument qui sert à le donner. On trouve dans le Chikitsa Sthanam, l’un des
livres du Purva-Tantra, la description du vasti (14). Il est composé d’un tube dont la longueur et le
calibre sont adaptés à l’âge et au sexe du patient : 6 doigts de long / diamètre du petit doigt (enfant
de 1 an), 8 doigts / diamètre de l’annulaire (enfants de 8 ans) et 10 doigts de long / diamètre du majeur (adulte de 16 ans), 1 doigts de long / diamètre du pouce (adulte de 25 ans). Le vatri était doté de
protrusions bulbaires et / ou de « Karnikas » (liens) pour prévenir une pénétration trop profonde et sa
perte accidentelle dans le rectum. L’orifice rectal du tube correspondait selon les âges des patients
évoqués ci-dessus, respectivement au diamètre d’une plume de corbeau, d’un faucon, d’un paon, d’un
vautour. L’ouverture extérieure était également d’un diamètre croissant selon l’âge du patient. Cette
canule avait donc une forme conique et devait être lisse. Elle était faite en or, argent, cuivre, fer, laiton, ivoire, pierre précieuse, ou bois. A défaut, la canule pouvait être faite avec un roseau, un bambou, ou en corne. Sur cette canule était fixée une vessie animale, bœuf, buffle ou mouton adulte,
souple et pas trop fine. A défaut, la vessie pouvait être faite de peau ou d’un linge épais. La confection
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de la vessie est détaillée : lavage, tannage, désinfection, puis assouplissement et lubrification avec un
« sneha » (traduction?). La bouche de la vessie devait s’adapter à la canule sur laquelle elle était fixée
par les « Kamikas » (liens). La vessie devait être frottée avec une pièce métallique chauffée, pour la
polir et en supprimer les pores, assurant ainsi une meilleure étanchéité. Cette description est sans
équivoque celle d’une simple bourse à clystère. Il ne s’agit en aucun cas d’une seringue avec un piston. Il est précisé que l’Uttara-vasti (traduit comme « seringue urétrale ») doit être conçu avec une
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vessie de chèvre ou de mouton. L’Uttara-vasti n’est donc pas non plus une seringue, mais également
une bourse à clystère (14). Ces instruments sont classés dans les « Nadi Yantras », instruments tubulaires ouverts sur toute leur longueur et / ou sur une ou deux extrémités, et utilisés pour extraire différentes choses des orifices de l’organisme, inspecter des plaies, aspirer du sang, etc… ou injecter des
liquides dans l’urètre, les intestins, le vagin ou l’utérus (15).
Dans le Charaka Samhita, autre texte fondateur de la médecine ayurvédique, sont évoqués les lavements spéciaux, mais aucun détail n’est donné sur les instruments servant à les administrer : uttaravastikas, pichcchavasti. Les seringues sont évoquées, sans aucun détail. Il est probable, là encore, que
ces termes renvoient au même instrument que celui du Sushruta Samhita, à savoir, la bourse à clystère.
Médecine de l’Amérique précolombienne
Les civilisations précolombiennes correspondent aux sociétés autochtones du continent américain qui
existaient avant que celui-ci soit découvert par Christophe Colomb, en 1492. Aztèques, Mayas, Incas,
Caral, Moches, etc., sont autant de sociétés qui, pour la plupart, ne connaissaient pas l’écriture.
L’histoire de leur médecine est donc difficile à retracer, et repose sur l’étude des documents pariétaux,
des sculptures, momies, et instruments à usage médical ou chirurgical retrouvés dans divers sites de
fouilles. Concernant la seringue, il semble qu’elle était inconnue des peuples de l’Amérique précolombienne. Elle était toutefois remplacée par l’équivalent de la bourse à clystère. Ainsi, le lavage des
plaies était réalisé à la bouche, ou à l’aide d’une sorte de poire à canule de bois. Le liquide injecté
était de l’eau, de l’urine, des sucs de plantes ou une boisson alcoolisée comme la chicha (16).
Dans notre ouvrage consacré à l’histoire de l’instrumentation médico-chirurgicale en caoutchouc (17),
nous avons consacré quelques lignes à ces bourses à clystère américaines, que nous reprenons ici.
Les Portugais, au Brésil, découvrirent que les Indiens Omaguas fabriquaient des bouteilles creuses en
caoutchouc, percées à leur extrémité d’un petit orifice sur lequel ils adaptaient une canule de bois.
L’ensemble formait une sorte de seringue sans piston (18, 19). C’est pour cette raison que les Portugais avaient appelé l’hévéa « pao de xiringa », autrement dit, bois de seringue (20), et que celui qui
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saignait l’arbre et qui fabriquait des instruments en caoutchouc était un seringueiro. La première
mention de cette seringue équipée d’une poire en caoutchouc revient au Père de la Neuville, en 1723 :
« J’oubliais à vous parler d’un des plus curieux ouvrages de nos Indiens. C’est une espèce de poire
creuse et fort maniable, qui leur sert de seringue : elle est faite d’une gomme, laquelle a une vertu de
ressort si surprenante, qu’elle fait autant de bonds qu’une balle de paume. Elle ne fond point, quelque
chaude que soit l’eau dont on remplit la poire, qui a assez l’air et la couleur d’un éolipyle de cuivre
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bien passé. Elle dure très longtemps ; on l’étend sans la gâter, jusqu’à lui donner la longueur d’une
demie-aune, quoique dans son volume ordinaire elle ne soit ni plus longue ni plus grosse qu’une poire
de bon chrétien, et qu’en cette figure elle contienne une chopine [soit un demi-litre] (20). » Par seringue, il ne faut pas entendre l’instrument comme nous le connaissons actuellement, destiné à des
injections intraveineuses, mais plutôt comme un clystère utilisé pour des lavements intestinaux par
voie rectale. C’est d’ailleurs ainsi que La Condamine la décrit : « L’usage que fait de cette résine la
nation des Omaguas […] est encore plus singulier. Ils en construisent des bouteilles en forme de poire,
au goulot desquelles ils attachent une canule de bois ; en les pressant, on en fait sortir par la canule la
liqueur qu’elles contiennent, et par ce moyen ces bouteilles deviennent de véritables seringues : ce
serait chez eux une espèce d’impolitesse de manquer à présenter avant le repas à chacun de ceux que
l’on a priés à manger, un pareil instrument rempli d’eau chaude, duquel ils ne manquent pas de faire
usage avant que de se mettre à table(21).» En 1745, alors qu’il descend l’Amazone, La Neuville note
que les Portugais du Para ont appris des indiens Omaguas à faire ces poires seringues en caoutchouc.
Le procédé de fabrication des seringues par les indiens Paragas est donné par Pierre Barrère, médecin
botaniste du roi, qui fut médecin à Cayenne de 1722 à 1725 : « Ils ramassent une certaine quantité de
ce suc laiteux, qu’ils font bouillir environ un gros quart d’heure, pour lui donner un peu de consistance; après quoi ils disposent les moules qu’ils ont préparés pour différentes choses. Ils les font ordinairement d’un peu d’argile, qu’ils pétrissent avec du sable, afin qu’on puisse les casser aisément. Les
moules de seringues ont la forme d’une perle ou d’une grosse poire, longue de cinq ou six pouces. On
met par-dessus ces moules plusieurs couches de cette espèce bouillie, sur laquelle on trace, avec la
pointe d’un couteau, ou un poinçon, plusieurs traits figurés : on a soin ensuite de les sécher à un petit
feu et on achève de les noircir à la fumée. Après quoi, on casse le moule (22). »
Serier affirme que ces seringues furent importées en Europe dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle,
et qu’elles arrivèrent à Lisbonne en provenance de Belém (Brésil), parmi les bouteilles et les chaussures réalisées en Amérique. Quoi qu’il en soit, ces poires-seringues en caoutchouc constituent le
premier instrument médical fabriqué dans cette matière.
Conclusion
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Dans l’Antiquité, et dans les civilisations précolombiennes en Amérique, c’est l’utilisation de la bouche
et de la bourse à clystère qui prédomine pour l’injection de liquide dans les cavités naturelles ou pathologiques de l’organisme. C’est un instrument de réalisation simple, qui a été copié jusqu’à nos
jours, n’évoluant que par le remplacement de ses deux pièces par des matériaux modernes, essentiellement plastique et caoutchouc. On en trouve des équivalents modernes avec les seringues vésicales
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ou urétrales à boule [Fig.4, 5, 6, 7] de la fin XIXe début XXe, et, sous la dénomination de poire à lavements, la bourse à clystère est toujours utilisée pour des injections rectales ou auriculaires.
e
Figure 4 : Seringue vésicale de Bonneau, début XX . Le principe conserve celui de la bourse à clystère. © Coll. JP Martin.
Figure 33 : Poire à lavement auriculaire. L’instrument est d’une seule
pièce, la canule a été moulée dans la
e
masse. Début XX . © Coll. JP Martin.
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Figure 5 : Poire à lavement de marque Burnet, canule en
os. Début XXe. © Coll. JP Martin.
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Les systèmes d’injections avec piston,
n’apparaîtrons que plus tard, au début l’ère
chrétienne, et ouvriront l’ère de la seringue
proprement dite.
Figure 34 : Autre déclinaison de la bourse à
clystère avec cette douche vaginale Marvel
à jet rotatif, début XXe. © Coll. JP Martin.
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Références
1Littré
E. :
Œuvres
complètes
d’Hippocrate. Paris, J.B. Baillière, 1853,
Tome VIII, § 197, p 381.
2- Jean R.A. : La chirurgie en Egypte ancienne. A propos des instruments médicochirurgicaux métalliques égyptiens conservés au musée du Louvre. Ed. Cybèle, Paris,
2012, p 133, fig. 288, 288 bis.
3- Védrènes A. : Traité de médecine de A.C.
Celse, traduction nouvelle. Paris, Masson,
1876, 426.
4- Milne JS. : Surgical instruments in greek
and roman times. Oxford, Clarendon Press,
1907, 105-111.
5- Sprengel K. : Histoire de la médecine, depuis son origine jusqu’au XIXe siècle. Tome 9. Paris, 1820.
6- Milne JS. : Surgical instruments in greek and roman times. Oxford, Clarendon Press, 1907, 105-111.
7- Bussemaker, Daremberg : Œuvres d’Oribase, Livre VIII : Des évacuations. Paris, Librairie Impériale,
1854, 204-224.
8- Loukas M. and coll. : Anatomy in ancient India : a focus on the Susruta Samhita. Journal of Anatomy (2010) 217, 646-650.
9- Kaviraj Kunja Lal Bhishagratna : An english translation of the Sushruta Samhita. Vol. II, Calcultta,
1907, 260.
10- Kaviraj Kunja Lal Bhishagratna : An english translation of the Sushruta Samhita. Vol. II, Calcultta,
1907, 332.
11- Kaviraj Kunja Lal Bhishagratna : An english translation of the Sushruta Samhita. Vol. II, Calcultta,
1907, 336.
12- Kaviraj Kunja Lal Bhishagratna : An english translation of the Sushruta Samhita. Vol. II, Calcultta,
1907, 335.
13- Kaviraj Kunja Lal Bhishagratna : An english translation of the Sushruta Samhita. Vol. II, Calcultta,
1907, 585.
14- Kaviraj Kunja Lal Bhishagratna : An english translation of the Sushruta Samhita. Vol. II, Calcultta,
1907, 260.
15- Kaviraj Kunja Lal Bhishagratna : An english translation of the Sushruta Samhita. Vol. I, Calcultta,
1907, 58-59.
16- Coury C. : La médecine de l’Amérique précolombienne. Paris, Da Costa, 1969, 125.
17- Martin JP. : Instrumentation médico-chirurgicale en caoutchouc en France, XVIIIe-XIXe.
L’Harmattan, 2013, 32-34.
18- Lapouge G. : Caoutchouc. In Dictionnaire amoureux du Brésil. Paris, Plon, 2011.
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19- De Gassicourt C. : Caout-chouc. In Dictionnaire des sciences médicales par une société de médecins et de chirurgiens. Tome IV-Can-Cha. Paris, Panckoucke, 1813.
20- De la Neuville P. : Troisième lettre. In mémoires de Trévoux, mars 1723. Cité par Lafiteau P. :
Mœurs des sauvages amériquains comparées aux mœurs des premiers temps. Tome 3. Paris, Saugrain l’aîné, Hochereau Charles-Etienne, 1724.
21- Anonyme : Sur la résine élastique nommée caoutchouc. Histoire de l’académie royale des
sciences. Paris, imprimerie royale, 1755.
22- Barrère P. : Nouvelle relation de la France équinoxiale. Paris, 1743.
Toute référence à cet article doit préciser :
01 mai 2016
Martin JP. : La bourse à clystère. Clystère (www.clystere.com), n° 50, 2016.
www.clystere.com / n° 50.
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Le cyathisque de Dioclès
Bernard BALDIVIA
Contact : [email protected]
LE VICOMTE :
« Attendez ! Je vais lui lancer un de ces traits! ...
Vous ... vous avez un nez ... heu ... un nez ... très grand. (1)»
Si l’on peut se sentir blessé d’un trait d’esprit, on peut également être profondément touché par un trait au sens où le
Larousse le définit comme :
Projectile, tel que flèche, javelot, etc., lancé avec un arc, une
arbalète ou à la main : « Tirer un trait. »
La difficulté, pour le chirurgien antique sera, ensuite,
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d’extraire ce projectile :
Figure 35 : Lapyx retire une flèche de la
cuisse d’Enée. Fresque de Pompéi. Domaine
public.
Figure 3 : Diverses pointes de
flèches. © armae.com
Figure 2 : Céramique de la période classique : Achille soigne
Patrocle d'une blessure à l'avant-bras lors de la Guerre de
Troie. Peinture de Sosias. Circa 500 avant JC. © Berlin Museum .
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Dioclès est un médecin grec du IVe siècle av. J.-C., natif de Carystos ou Karystos (petit port de pêche du
sud de l'île d'Eubée, plus grande île grecque après la Crète). Il vécut notamment à Athènes. Les Athéniens le surnommèrent le nouvel Hippocrate. Dioclès décrit un outil spécifique « le cyathisque » pour
extraire les traits, dont aucun exemplaire, n’a été retrouvé. Les 2 dessins ci-dessous ont été imaginés
à partir de textes anciens.
Figure 4 : le cyasthisque de Dioclès, d’après des textes anciens.
D’après les descriptions, il s’agit d’une lame métallique, en forme de « chausse pied » étroit ou de
cuillère dont les bords sont rabattus et le fond troué, et que l’on fait glisser le long du fût de la
flèche, puis passer sous celle-ci. Le trou permet de coincer la pointe de l’arme, et de remonter
l’ensemble. Une fois la flèche extraite, on va nettoyer la plaie au vinaigre et appliquer différents
baumes cicatrisants, avant de bander l’ensemble.
Le médecin romain Celse (1er av. J.C. - 1er ap. J.C.) en décrit l’utilisation :
« 3 - De la manière d’extraire les traits dont le fer est large.
Si un trait, dont le fer est large, est resté dans les chairs ; il n’est point à propos de le retirer par le
côté opposé à son entrée ; car ce serait ajouter à une grande plaie une plaie non moins grande. Il
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faut donc l’arracher avec un instrument appelé par les Grecs le cyathisque de Dioclès, du nom de
son inventeur, que j’ai déjà dit avoir été un des plus grands médecins de l’Antiquité. Cet instrument
est composé d’une lame de fer ou de cuivre, dont un bout est armé, de chaque côté, d’un crochet
recourbé ; de l’autre, elle est doublée sur ses côtés, légèrement échancrée, et percée d’une ouverture. On introduit cet instrument transversalement, le long du trait, jusqu’à sa pointe et lorsqu’on
y est parvenu, on le fait un peu tourner, afin que le trait entre dans l’ouverture ; lorsqu’il y est enwww.clystere.com / n° 50.
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tré, on saisit, avec deux doigts, l’autre extrémité par ses crochets, et l’on retire l’instrument avec le
trait. »
Figure 5 : reconstitution d’un cyasthisque de Dioclès d’après la description donnée par le texte ci-dessus. A gauche,
de face ; à droite, de profil. © Bernard Baldivia.
Références :
1- Rostand E. : La "Tirade du Nez", Cyrano de Bergerac.
Toute référence à cet article doit préciser :
01 mai 2016
Baldivia B. : Le cyasthisque de Dioclès. Clystère (www.clystere.com), n° 50, 2016.
www.clystere.com / n° 50.
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Une cucurbite romaine ?
Dr. Henri KUGENER
Luxembourg
Museum Sybodo
Contact : [email protected]
Les éleveurs de l'Antiquité connaissaient parfaitement les ravages que causait la sangsue chevaline
(haemopsis sanguisuga), les turcs parlent de "Sülük", les Perses de "Zalu". Je saute le verset 30,15 des
Proverbes bibliques, dont l'interprétation varie trop (Scheuchzer p.141). Petites, elles s'attaquent aux
grenouilles, aux poissons, adultes c'est le tour des animaux terrestres comme vaches, chevaux – et
occasionnellement l'homme. Les anciens avaient sans aucun doute observé des animaux sauvages ou
domestiques souffrant de pathologies arthrosiques entrer dans un marécage pour se faire mordre par
les sangsues. De l'observation des effets propices provoqués par la morsure de ces parasites naissait
très probablement l'idée d'aspirer le mal vers la surface (ventouses sèches) voire hors du corps (ventouses humides).
En imitant la nature, l'homme en vint aux ventouses - représentation d'une ventouse sur le tampon du
médecin mésopotamien Urlagaledinu 3300 av. JC. Le papyrus égyptien Ebers datant de 1500 av. JC.
mentionne la ventouse sanglante. Hérodote nous renseigne en 413 av. JC. que les Egyptiens connaissaient ventouse scarifiée et sêche.
Toutes les cultures du Proche-Orient pratiquaient la saignée. Le Talmud nous parle de l'oummanime
pratiquant l'oumman, la saignée. Les ventouses sèches étaient considérées bonnes contre les "tranchées" (crampes abdominales) des enfants par le Talmud (Baumes p.393).
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La saignée gréco-romaine
Maîtres des premiers médecins grecs, les anciens Egyptiens transféraient leurs expériences au monde
gréco-romain. La première saignée "à l'Européenne" est rapportée par Homère aux VII-VIIIe siècle av.
JC. : "Podalire en revenant [de Troie], fut jeté sur les côtes de Carie, où il guérit Syrna, fille du roi Damaethus, tombée du haut d'une maison, en la saignant des deux bras; elle l'épousa en reconnois-
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sance" (Delandine p.317; Diderot p.501) - traitement tout à fait réussi et couronné par un "grand mariage". Nous ignorons tout de la technique utilisée par Podalire – lancette ou ventouse scarifiée –
chacune de ces méthodes étant connue des anciens.
Les Egyptiens et les premiers médecins grecs avaient travaillé sur base de conceptions magiques et
empiriques, restait à élaborer une justification théorique, à adapter la pratique à une théorie plausible! C'est ce que firent les Grecs du Ve siècle av. JC. en développant la théorie des 4 humeurs (Hippocrate, De Natura hominis).
La ventouse devint l'instrument le plus représentatif de la médecine grecque antique de sorte qu’il
servit "d’emblème à l’art médical sur les documents iconographiques" (M2-Muséologie, Typologie des
instruments de chirurgie en usage en Grèce à l’époque classique et hellénistique, Internet 2015). Les
médecins grecs emmenaient leur instrument "de base" quand ils se mirent au service des Romains –
première installation en 219 av. JC. d'un chirurgien grec à Rome, celle du péloponnésien Archagathos.
La ventouse en devint l’un des rares instruments d’usage courant dont la présence dans le mobilier
d’une tombe romaine confirme la destination médicale des instruments voisins (M2-Muséologie).
La ventouse mécanique
Si nous croyons Hippocrate, les anciens Grecs utilisaient de très grosses ventouses pour la réduction
des luxations vertébrales, selon l'idée que ‘’les os enfoncés à l’intérieur pouvaient être ramenés en
leur place par l’aspiration des ventouses’’. Le corpus hippocratique de critiquer lui-même cette application de ventouses grandes et lourdes :
"Ceux qui appliquent de grandes ventouses dans la vue d'attirer en haut les vertèbres luxées à l'intérieur, font ici preuve de peu de jugement; car ils ne remarquent pas que, loin de les attirer ainsi, ils les
repousseraient plutôt; car plus les ventouses sont grandes, plus l'épine se creuse, tandis que la peau
se tend" (Hippocrate, Des luxations, dans l'édition du chevalier de Mercy, Paris 1832, p.258).
La grosse ventouse était un élément mécanique de traction. On peut se poser la question, si les médecins ne s'en servaient pas des fois à la manière d'un "élévateur à aspiration" moderne, d'un pommeau
permettant de remettre à leur place des vertèbres déplacées; la ventouse comme complément au
banc d'Hippocrate!
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La descente utérine est un beau modèle de grosse ventouse agissant à distance cette fois-ci:
"La femme sera couchée sur le dos, ayant les pieds élevés et les jambes étendues. Puis, appliquant des
éponges, on les fixera à un bandage des lombes. (..) Si les matrices rentrent par ces moyens, très-bien;
sinon, raclez-en l'extrémité, échauffez-les, lavez-les, oignez-les; puis, attachant la femme à une
échelle, faites la succussion la tête en bas, et repoussez les matrices avec la main. Puis on attache les
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jambes croisées, et on laisse la femme en cette situation pendant un jour et une nuit. (..) Le lendemain, la femme étant couchée, on appliquera sur la hanche une ventouse très-grande qu'on laissera
tirer pendant longtemps. La ventouse ôtée, vous ne scarifierez pas, mais vous laisserez la femme couchée" (Hippocrate, Nature de la femme. Athènes, Kaktos, 1992; chap.5).
Remarquez que la ventouse n'arrive pas à "aspirer" la matrice dans le ventre mais aide quand-même
à retenir l'organe remis à sa place par d'autres manœuvres.
Aucun musée n'expose pareille ventouse XXL. Je suppose qu'elles n'ont pas survécu aux ferrailleurs de
l'antiquité, qui les ont du coup récupérées et fondues.
La petite et moyenne ventouse
Dans la plupart des indications la ventouse ne tirait pas sur un os, mais sur des humeurs : soit en aspirant un excès de sang de bonne qualité, soit en aspirant du sang vicieux – un sujet traité par plusieurs
auteurs anciens :
- Des ventouses, tiré d'Hérodote (Gal. t. XI, p. 321)
- Des ventouses, tiré de Galien (Cels. II, 113; Gal. t. XI, p. 320-321; Synops. I, 13 et 25; Aët. III, 20; Paul.
VI, 41; Act. Meth. med. III, 4)
- Des ventouses, tiré d'Antyllus (Hippocr. De med. p. 20, l. 38 sqq. ed. Foës; Cels. II, 11; Synops. I, 13;
Aët. III, 20; Paul. VI, 41)
(cit : Oribase livre VII Des Émissions Sanguines Et Des Évacuations).
Dans une série d'indications c'est l'irritation locale qui importait. Quand Hippocrate "s'en servait sur
les mammelles pour arrêter les hémorrhagies de l'utérus" (Panckoucke p. 175), il renforçait, sans s'en
douter, la production de l'oxytocine - un réflexe qu'on déclenche à chaque fois qu'on touche à un
mamelon :
"Si l'on veut donc réprimer l'écoulement excessif des menstrues, il faut appliquer aux mammelles une
très-grande ventouse : par ce moyen le sang rappelé de la matrice aux mammelles, retourne sur ses
pas & cesse de couler par la matrice" (Hippocrate, Les Aphorismes, Paris 1727 p.180).
D'autres effets sont plus difficiles à interpréter : règles provoquées par application de ventouses aux
cuisses, coliques intestinales apaisées par une ventouse placée sur le nombril, effets propices en cas
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de pleurésie. Celse employa les ventouses scarifiées dans la phrénésie, autrement dit, dans le délire
continuel avec fièvre continue. Dopage du système immunitaire ou simple effet psychologique, la
"révulsion" est pratiquée depuis la nuit des temps.
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Acceptation de la ventouse
Sur les rangs de l'école médicale d'Alexandrie les jeunes médecins apprenaient l'art de poser les ventouses – les indications étaient sujettes à discussion et variaient d'un maître à l'autre, d'une école à
l'autre - Galien de Pergame reprochant à Erasistrate d'Alexandrie de négliger la ventouse. D'autres
exagéraient carrément : ventouse sur les seins pour traiter la dysménorrhée, ventouse sur les morsures fraiches de chien pour extraire le venin de la rage, sur les morsures de serpent pour extraire le
"virus" mortel.
Un instrument tout-puissant donc – ce qui n'empêcha pas les vrais romains de le détester, tout
comme ils détestaient toute cette pagaille de médecins aux origines grecques.
Au Ier siècle av. JC. on assista à un changement de mode sous l'empereur Auguste, quand son médecin
personnel Themison de Laodicée introduisit les sangsues – ce qui rendit les ventouses superflues : rien
d'étonnant donc de retrouver par-ci par-là une ventouse romaine dans une église, où les premiers
chrétiens – pieux et pauvres - conservaient les reliques de leurs saints dans ces petits pots.
Détails techniques
L'application correcte d'une ventouse demandait toute une série de préparatifs et de précautions.
Quand poser les ventouses ?
Il fallait d'abord respecter le patient et sa maladie. Certaines ventouses étaient de vraies "urgences" :
"Galien arrêta l'hémorrhagie (par la narine) de ce jeune Romain par la seule application d'une ventouse à l'hyp(p)ochondre sans luy avoir ordonné aucune saignée" (Galien, Livre du Pronostic à Posthume chap.13, cit. : Lazare Rivière, La Pratique de médecine avec la Théorie, Lyon 1682 p.419).
D'autres au contraire devaient être placées avec circonspection :
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"N'appliquons les ventouses, ni au commencement des maladies, ni quand les malades sont pléthoriques, mais quand on a déjà fait une déplétion générale, qu'il n'y a plus aucun afflux vers la partie, et
qu'il est nécessaire de mettre en mouvement et de soulever quelque matière et de l'attirer vers l'extérieur" (Oribase, Synopsis I, 13).
Arétée de Cappadoce aux premiers siècles ap. JC. voulait qu'on n'emploie les ventouses qu'après le
septième jour dans les maladies.
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Quelle matière préférer ?
Celse (cit. Renner) utilisa des ventouses en corne animale ou en cuivre (De medicina, livre III). Les ventouses en verre gagnaient la faveur des médecins du fait qu'ils chauffaient moins, que le danger de
brûlure était nettement moindre.
"Celles d'airain, supportant une plus grande flamme, tirent davantage que celles de verre, qui d'ailleurs se brisent facilement" (Paul d'Égine, Chirurgie, Paris 1855 p.203).
Quelle format de ventouse utiliser, la grande ou la petite, la large ou l'étroite?
Du volume de la tête dépendait la force globale de la ventouse. Du diamètre du pied dépendait la
force locale : petit diamètre - force concentrée sur une petite surface, donc forte; diamètre plus grand
– force moins concentrée, donc moindre. Aspiration douce (col large) pour les alentours immédiats,
aspiration corsée (col étroit) pour aspirer des humeurs corrompues profondes et distantes :
"Si la fluxion est fixée loin de la superficie de la chair, il faut que le col de la ventouse soit court, mais
que la ventouse même soit ventrue, non allongée dans la partie que tient la main; avec cette forme
elle attirera en droite ligne et amènera bien vers la chair les humeurs éloignées" (Hippocrate, Du médecin chap.7).
Où appliquer la ventouse ?
Celse plaçait sa cucurbite sur le côté malade:
"C'est qu'on n'applique jamais les ventouses sur une partie différente de celle où est le mal" (Traité de
médecine de Celse, Texte latin d'après l'édition de Léonard Targa, Paris 1855 p.62).
Ses successeurs trouvaient des arguments plaidant pour le côté opposé :
"En appliquant les ventouses, on a pour but, tantôt de détourner le sang de la partie malade, en le
dirigeant vers celle où on les applique, tantôt de tirer du sang de la partie affectée. Dans le premier
cas on les applique sur une partie plus ou moins éloignée de celle qui est malade, et dans le second,
sur la même qui est affectée" (Alexis Boyer, Traité des maladies chirurgicales qui se rencontrent le
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plus fréquemment dans la pratique usuelle, Bruxelles 1836 p.81).
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Comment fixer la ventouse?
Pour créer le vide, Paul d'Égine, au VIIe siècle de notre ère, se servait d'une mèche brûlant à l'intérieur
de la clochette (elle créait le vide en consommant l'oxygène) :
"Lorsque nous devons appliquer la ventouse, nous disposons verticalement la partie et nous plaçons
l'instrument horizontalement. En effet, si nous le collions verticalement sur le malade couché, la
mèche tomberait en même temps que la flamme sur la peau et la brûlerait douloureusement sans
nécessité" (René Marie Briau, Chirurgie de Paul d'Égine: texte grec restitué, 1855 chap. XLI p.203).
D'autres préféraient chauffer l'air qui, en refroidissant, créait le vide. Le danger inhérent à la flamme
était une des raisons pourquoi certains médecins préféraient en rester à la technique ancestrale de la
corne à sucer.
Quand scarifier?
Question fondamentale de la médecine antique. Plusieurs auteurs de traiter la matière :
- De la scarification, tiré d'Antyllus (Gal. t. XI, p. 321; Act. Meth. med. III, 3) (dans: Oribase livre VII Des
Émissions Sanguines Et Des Évacuations).
- De la scarification, tiré d'Apollonius (Gal. Comm. I in Hum. § 9, t. XVI, p. 95; Gal. t. XI, p. 322; Synops.
I, 14; Aët. III, 21) (dans: Oribase livre VII Des Émissions Sanguines Et Des Évacuations).
- Que la scarification convient aux femmes mal réglées, et dans plusieurs autres affections (Gal. t. XI,
p. 321 ; Synops. 1, 14; ad Eun. I, 9; Aët. III, 21) (dans: Oribase livre VII Des Émissions Sanguines Et Des
Évacuations).
- Galien, De la Raison de curer par évacuation du sang; traduction par Pierre Dolet à Lyon, 1542).
Pour illustrer la méthode sanglante, citons le père de la médecine européenne, Hippocrate :
"Il faut commencer par appliquer une ventouse au cou, puis raser la tête, et en mettre une autre près
des oreilles de chaque côté, les y laisser longtemps et les scarifier" (Hippocrate, Des maladies, dans:
Encyclopédie des sciences médicales de M. Bayle, septième division: Hippocrate, Paris 1837 p.139).
Le traitement de l'angine est un cas classique de dérivation de l'infection de la gorge vers la nuque !
01 mai 2016
Comment scarifier?
"Faut-il les scarifier, faites les incisions perpendiculaires à la peau; car le sang doit couler abondamment" (Hippocrate, Du Médecin, p.229 dans la Traduction des œuvres médicales d'après l'édition de
Foës, Tome second, Toulouse 1801).
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"Lorsqu'ils scarifiaient en même temps, ils les appliquaient ordinairement deux jours de suite; le premier jour ils ventousaient et scarifiaient; le lendemain ils ventousaient seulement sur les piqûres de la
veille sans scarifier : ils prétendaient que par cette seconde opération on attirait la sanie et qu'on
ménageait le sang (Arétée, Morbis acutis lib.1 cap.10). Ils mettaient souvent du sel et du nitre sur les
endroits qui avaient été scarifiés" (Panckoucke p. 175).
"Les anciens, après avoir rubéfié la partie avec la ventouse simple, pratiquaient, à l'aide d'un rasoir ou
d'un bistouri, des incisions sur le lieu où elle venait d'être appliquée, puis faisant une réapplication de
la ventouse sur le même lieu, le sang montait, attiré par la puissance du vide, dans la cucurbite"
(Panckoucke p.176).
Quand renoncer à la scarification ?
Sur un patient particulièrement jeune, ou âgé ou faible, la technique dite "sèche" avec aspiration tout
juste d'esprits était préférable aux techniques sanglantes de la phlébotomie et de l'application de la
ventouse scarifiée.
Autant d'aspects que je ne fais que signaler, sans les discuter à fond.
Typologie des ventouses
Toutes les ventouses gréco-romaines conservées sont en bronze. Milne, citant Oribase, dit qu'elles
pouvaient être faites en verre pour mieux distinguer le contenu (Milne p.102-3). Elles proviennent
majoritairement de tombes de médecin et représentent "pars pro toto" l'ensemble du matériel technique utilisé par le médecin de son vivant.
On les retrouve dans des collections plus ou moins accessibles sous forme de reliefs et de dessins :
- le relief du médecin de Bâle (Bâle, Antikenmuseum, inv.Nr. B 5/23),
- la scène de l'officine sur l'aryballe Peytel (vers 480-470 av. JC., Paris, Musée du Louvre, inv. Nr. CA
2183) que j'ai eu le plaisir de voir au musée de Rennes en 2013,
- une base d'offrande en marbre provenant de l'Asclépieion d'Athènes (Athènes, Musée Archéologique
01 mai 2016
National, inv. Nr. 1378), que j'ai vue en 1999,
- le relief d'un sarcophage (Museo della Civilta Romana, Ravenne),
- le relief du médecin Jason au British Museum (Department of Greek & Roman Antiquities : salle 69,
inv. Nr. 1865,0103.3),
- un relief avec 2 ventouses trouvé dans les catacombes dites de St. Paul à Rabat/Malte.
- le relief de Kom Ombo sur le Nil que j'ai visité en 2007.
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On les retrouve "en chair et en os" dans une série de musées internationaux :
- deux ventouses provenant d'un dépôt funéraire trouvé en 1880 à Paris (Musée Carnavalet, Paris),
- ventouse trouvée à Paris en 1880 (Collection privée "Aufbewahrungsort unbekannt", Künzl p.74),
- ventouse trouvée à Corfu / Grèce (British Museum, catalogue Walters n°2313, illustration Küntzl
p.43),
- 4 ventouses trouvées à Jalysos / Rhode,
- ventouse trouvée à Kolophon / Turquie en 1912 (Baltimore, John Hopkins University),
- ventouse au Science Museum à Londres "This bronze cupping vessel is from Pompeii, Italy" (inv. Nr.
A608649),
- 3 ventouses du Wellcome Historical Medical Museum à Londres, en provenance de Bordighera sur la
Riviera italienne,
- ventouse en bronze recueillie à Martigny / Suisse (Musée gallo-romain de la Fondation Pierre Gianadda à Martigny),
- 3 ventouses, dont une très petite au Musée de Mérida / Espagne,
- 3 ventouses dans la tombe d'un médecin romain ("Museum am Strom" à Bingen / Allemagne),
- ventouse de Dionysopolis / Balcik en Bulgarie (Musée archéologique de Varna),
- ventouse trouvée dans une épave en mer devant Populonia / Toscane en 1974,
- 2 ventouses assez comprimées en feuille de bronze, trouvées en 1964 sur le site du champ funèbre
de Heidelberg-Neuenheim (Kurpfälzisches Museum Heidelberg, Inv.Nr. 1964/81.i/t).
Le matériel très abondant suffit pour discerner deux types d'instruments :
- la ventouse de type grec au col à peine démarqué de la tête, la transition est plutôt progressive et
fluide.
- la ventouse de type romain qui se présente sous forme d'un "champignon" au pied plus ou moins
étroit surmonté d'une tête nettement évasée, col et tête étant séparés par une vraie arête dans la
majorité des cas.
Ventouse de notre collection
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La ventouse que nous présentons est de type romain [Fig. 1]. Elle mesure 8.3 cm en hauteur, alors que
celles de Bingen mesurent 12 respectivement 16 cm. Diamètre du goulot: 5.2 cm, les ventouses de
Bingen ayant des cols de 4.3 respectivement 6.2 cm de diamètre (Como p.153). Hauteur du col : 2.6
cm; diamètre horizontal maximal de la cloche : 7.2 cm; poids total : 60 g; volume de la cloche sans le
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pied, mesuré par remplissage à l'eau : 150 ml. Le bord de la tôle de bronze est mousse, mais non retroussé.
Figure 1 : Ventouse romaine. © coll. H. Kugener.
L'objet a été acquis à Ottawa fin juin 2013 d'un commerçant aux meilleures références qui, sur demande, dit le tenir d'un médecin-collectionneur local qui l'aurait acheté auprès d'un antiquaire newyorkais dans les années 60. Impossible donc de retracer plus loin le cheminement de la ventouse. Pour
vérifier son authenticité une analyse archéo-metallurgique serait nécessaire (Riederer), dont le coût
dépasserait de loin mes possibilités. La désillusion étant préprogrammée je préfère le doute et contempler la belle patine de ma ventouse au sujet de laquelle, par prudence, je me suis résolu à ne parler que d'une ventouse "dite" romaine.
Références :
-
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-
Jean-Baptiste Timothée Baumes, Traité des convulsions dans l'enfance, Paris 1805.
Helen Christopoulou-Aletra et al., Cupping: an alternative therapeutic method used by Hippocratic physicians, dans: The Journal of Alternative and Complementary Medicine. October 2008,
14(8): 899-902.
Jakob Como, Das Grab eines römischen Arztes in Bingen, dans: Anzeiger der RömischGermanischen Kommission des Deutschen Archäologischen Instituts, pp.152-162).
Magdalena Cybulska, Czesław Jeśman, Agnieszka Młudzik, Agnieszka Kula, On Roman military
doctors and their medical instruments, dans: Military Pharmacy and Medicine, 2012.
Antoine François Delandine, Manuscrits de la Bibliothèque de Lyon, 1812.
Diderot & d'Alembert. Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences et des Métiers, 17511772.
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-
Kurt Gschwantler, Wolfgang Oberleitner, Götter, Heroen, Menschen, Antikes Leben im Spiegel der
Kunst. Ausstellung (Wien 1974), Nr. 230.
Kurt Gschwantler, Römische medizinische Instrumente in der Antikensammlung des Wiener Kunsthistorischen Museums, dans: Österr. Ärztezeitung 19, 20 (1974), 163.
Ernst Künzl, Medizinische Instrumente aus Sepulkralfunden der römischen Kaiserzeit (1983).
Antoine Jean Louis Magistel, Traité pratique des émissions sanguines, Paris 1838.
John Stewart Milne, Surgical Instruments in Greek and Roman Times, 1907.
Claude Renner et Dalil Boubakeur, Les ventouses de la Hijama, dans: e.sfhm. 2015/1.
Joseph Riederer, E. Briese, Metallanalysen römischer Gebrauchsgegenstände, dans: Jahrbuch des
Römisch-Germanischen Zentralmuseums Mainz (1972) 19:83-88
Joseph Riederer, Metallanalysen römischer Bronzen, dans: 6. Tagung über antike Bronzen, Berlin
1980.
Joseph Riederer, Die Metallanalyse von Bronzegefäßen aus Pompeji. Berliner Beiträge zur Archäometrie, Bd. 21, S. 143-206 (2008).
M2-Muséologie, Typologie des instruments de chirurgie en usage en Grèce à l’époque classique et
hellénistique (collection Meyer-Steineg, Iéna).
Johann Jacob Scheuchzer, Physique sacrée ou Histoire naturelle de la Bible, Amsterdam 1735.
Toute référence à cet article doit préciser :
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Kugener H. : Une cucurbite romaine ?. Clystère (www.clystere.com), n° 50, 2016.
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Aux sources de l’anesthésie : la mandragore magique. Approche historique et bibliophilique
Jacques HOTTON
Service d’Anesthésie, Centre Hospitalier, BP 30161, 88204 REMIREMONT
Contact : [email protected]
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Figure 1 : La plante, racine, feuilles, fleurs et pommes, sur un pied
« mâle », représentation de Dom Calmet, in « Le Magasin Pittoresque,1854, p308 »., et illustration de verso de J. Bouquet, figures de
la mandragore, plante démoniaque, ed. Chiron,Paris,1936.
Petite solanacée à fleurs et baies, comme la belladone, la mandragore est l’archétype des plantes
magiques de l’antiquité [Fig. 1].
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Sa dangerosité potentielle, souvent largement exagérée, comme son pouvoir maléfique lors de la
cueillette, pour laquelle l’arrachage est réalisé en nuit de pleine lune, au pied des gibets, par attelage
à un chien noir destiné à en périr, la rendait redoutable [Fig. 2].
Figure 2 : Timbre autrichien de 1986, présenté sur enveloppe FDC, représentant la cueillette de la mandragore par un chien attaché, lequel sera foudroyé par le cri de celle-ci
lors de son arrachage. Le cueilleur s’en éloigne. Souvenir émis dans le cadre du 7° congrès
européen d’anesthésie à Vienne le 11 septembre 1986. Le cachet est illustré d’un dessin
de la plante.
Mais en contrepartie, des effets mirifiques : pouvoir, fortune, beauté, fécondité et vie éternelle,
étaient attribués à qui savait entretenir et protéger cette racine tourmentée à l’allure humanoïde [Fig.
3]. Dans les cas les plus spectaculaires, elle pouvait, car issue de la terre et de la semence du supplicié,
se transformer en un être hybride sexué, mi-végétal, mi-humain, adulé et vénéré [Fig. 4], parfois dénommé (à tort) « Homoncules », ou « Golem », objet de toutes les convoitises [Fig.5]. Ces appellations sont en effet fréquemment confondues, mais seule la mandragore correspond à une réalité botanique, les deux autres concepts d’androïdes relevant du domaine de la magie pure [Fig. 6].
A l’origine de ces déviations de croyances, les propriétés sédatives et délirogènes de la plante sont
toutefois bien réelles, à un niveau de puissance évidemment bien moindre que conté.
Toutes les parties de la plante, tubercule, feuilles et fleurs, sont riches en alcaloïdes vagolytiques à
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effets sympatholytiques : atropine, scopolamine et hyosciamine.
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L’utilisation médicale de la mandragore était
d'usage courant dans l'Antiquité [Fig. 7].
En Mésopotamie, plus de 2000 ans avant J.C, les
prêtres babyloniens de Chaldée y avaient recours
sous le nom de Yabinhin pour son action narcotique et antalgique lors des rites initiatiques.
Dans l’Egypte ancienne (1500 avant J.C), la plante
est retrouvée comme décoration et comme offrandes dans des tombes (Tout-Ankh-Hamon). La
légende de Hathor lui attribue des propriétés somnifères, le Dieu soleil Amon Râ endormant à l’aide
de jus de mandragore sa fille Hathor qui
s’apprêtait à massacrer l’humanité.
Hippocrate (460-380 av JC), auteur du célèbre
"divinum est sedare dolorem", préconise son
usage par voie interne en alcoolat à titre antidépresseur, antispasmodique et sédatif, ainsi que par Figure 3 : la mandragore d’abondance, en couverture du
livre de L. Tercinet, Mandragore, qui est-tu? Chez l’auteur,
voie externe pour les injections vaginales ou dans Paris, 1950.
le traitement des hémorroïdes.
Théophraste (372-287 av JC), élève d’Aristote,
dans son ouvrage "Histoire des plantes" conseille le vinaigre de racine de mandragore
comme inducteur de sommeil et mentionne la
nécessité de précautions lors de la cueillette.
A Rome, Celse (en 15 av JC), dans son "De Arte
Medica" décrit son action narcotique ainsi qu’un
usage en collyre huileux à visée mydriatique,
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comme Galien (131-205 av JC)
Figure 4 : mandragores humanoïdes
vénérées, recto de couverture de
l’ouvrage de J. Bouquet, figures de la
mandragore, plante démoniaque, ed.
Chiron, Paris, 1936.
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Figure 5 : une des nombreuses ré-éditions du
livre de G. Le Rouge : La mandragore magique,
içi chez Terre de Brume, à couverture illustrée
d’une mandragore « femelle ».
Figure 6 : L’édition originale rare du livre de G. Le
Rouge, Ed. H. Daragon, Paris, 1912.
Figure 7 : La très rare plaquette de Da CostaSacadura S., A Anestesia na antiguidade – espojas somniferas e a mandragora, Lisboa, 1947.
Recherchée, collection privée, avec autorisation.
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Pline l’Ancien (23-79 av JC), dans son "Histoire Naturelle", précise que 1 cyathe, soit 0,45 l de vin de
mandragore, entraîne une action soporifique, et engourdit la sensibilité ; il la recommande avant les
ponctions et incisions.
Dioscorides (41-68 av JC), chirurgien de Néron, dans son ouvrage "Matière Médicale", recommande le
Morion, variété de mandragore "mâle" per-os ou en inhalation (« olfactu et cibo ») avant les amputations et les accouchements.
Apulée, au IVe siècle, rédige "De virtutibus herbarum" dans lequel il précise "si l’on doit couper ou
cautériser quelque membre, ou y porter le fer, que le patient boive une demi once de mandragore
dans du vin, et il dormira jusqu’à ce que le membre soit coupé, sans éprouver aucune douleur".
Plus tard, au moyen âge apparaitront les éponges soporifiques (ou somnifères) [Fig. 8]; Saint Benoît, au Mont Cassin
décrit en 880, l’inhalation à usage somnifère et antalgique
d’un mélange de mandragore, jusquiame et opium. Les
moines italiens des XIIe et XIIIe siècles tels que P. Hugues à
Lucca, Théodoric à Cervia, reprennent ces modalités d’utilisation. Le réveil est obtenu par inhalation de vinaigre.
L’ouvrage de Guy de Chauliac "la grande chirurgie" (Montpellier, 1363) analyse plusieurs recettes dites "endormitives"
à base de mandragore, opium, ciguë, laitue, etc.
En cette grande époque de la magie et de l’alchimie, de
nombreux bréviaires, tels ceux de Villeneuve (1483), Bulléyn
(1579), Della Porta (1588), Lemnius (1660) ou Lémery
(1738), mentionnent l’action sédative de la plante et la posFigure 8 : Deffarge A., histoire critique des
anesthésiques anciens et en particulier des
éponges somnifères, J.Bière, Bordeaux, 1928.
sibilité de réaliser des incisions lors de son administration.
A Londres, en 1597, J. Gérard, dans "History of plants" préconise encore le vin ou l’infusion de mandragore pour son
effet somnifère et son effet "anodin" atténuant la douleur.
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Depuis le XVIIIe siècle, l’usage de la mandragore est tombé en désuétude.
Curieusement en 1847, Dauriol à Toulouse remet à la mode les éponges de sucs de solanacées et rapporte leur utilisation dans le "Journal Médico-chirurgical de Toulouse" chez 5 patients pour la réalisation d’amputation de doigts, d’ablation de tumeur palpébrale ou du sein, et de cure de fistule anale.
Quelques années auparavant, M. L. Baur, avait toutefois, par ses travaux, démontré un effet clinique
vraiment minime lors de l’utilisation de la plante, dont l’efficacité serait à rechercher plutôt dans le
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domaine du spiritisme ou de l’ésotérisme [Fig. 9].
La réalité historique de l’usage de cette plante fut
rappelée à l’Académie de Médecine, au cours de la
séance du 23 juin 1885 par Maurice Perrin, auteur
d’un des premiers ouvrages de référence sur
l’anesthésie chirurgicale en 1863. Il précisa, en réponse à l’interrogation septique de ses collègues,
que les voies d’absorption par olfaction et par ingestion se cumulaient lors de l’usage de ces
éponges en vue d’induire le sommeil.
Figure 9 : Baur M.L., recherches sur l’histoire de
l’anesthésie avant 1846, J.Brill, Leiden, 1927.
Au XXe siècle, son utilisation n’est plus que l’apanage
des guérisseurs et sorciers africains qui l’utilisent pour
ses effets sédatifs et hallucinogènes [Fig. 10], ainsi que
01 mai 2016
pour ses prétendues vertus sexuelles.
Figure 10 : Mandragore (femelle) , illustration
en couverture du livre de A.-M. Schmidt, la
Mandragore, collection Symboles, Flammarion,
1958.
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De nos jours, la mandragore, tombée dans l’oubli, retrouve un regain d’intérêt au travers de
l’engouement actuel pour les objets et cabinets de curiosités [Fig. 11].
Figure 11 : “Mandragora grandiflora”, création originale © “A Qui Veut croire” pour cabinet de curiosité;
reproduction avec autorisation.
Références (en complément des ouvrages présentés en illustrations)
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Perrin M ., Lallemand L ., traité d’anesthésie chirurgicale, Chamerot,1863.
Dutertre, des anesthésiques durant l’Antiquité, Davy Ed, 1886.
Avalon J., l’anesthésie chirurgicale dans l’Antiquité, Pro Medico, vol.1 n.4, Lambiotte frères, Paris,1924.
Hamilton G.R., Baskett T.F.,"From mandrake to morphine, the anodynes of antiquity", In: Annales du
CRMCC [ Collège Royal des Médecins et Chirurgiens du Canada), p. 1-15, Oct. 1999.
Ségal A : Réflexions sur les spongia somnifera. Societas Belgica Historiae Medicinae, 1991 : 1255-61
Sur les plantes magiques, les références sont très nombreuses, on mentionnera particulièrement le joli
livre suivant :
Bilimoff M., Enquête sur les plantes magiques, Ed. Mémoires Ouest-France, 2003.
Toute référence à cet article doit préciser :
Hotton J. : Aux sources de l’anesthésie : la mandragore magique. Approche historique et bibliophilique. Clystère (www.clystere.com), n° 50, 2016.
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La phytothérapie bucco-dentaire selon Celse et Scribonius Largus, deux médecins de l’Antiquité
Joëlle JOUANNA-BOUCHET
Maître de conférences en Latin à l’Université de Nancy 2.
Xavier RIAUD
Docteur en chirurgie dentaire, Docteur en épistémologie, histoire des sciences et des techniques, Lauréat et membre associé national de l’Académie nationale de chirurgie dentaire, membre libre de
l’Académie nationale de chirurgie.
Celse
Aulus Cornelius Celsus, dit Celse, serait né à Rome ou à Vérone à la fin du Ier siècle av. J.C. Il a écrit
sous Tibère une œuvre encyclopédique, intitulée Artes qui traitait de disciplines liées à des métiers,
comme l’agriculture, l’élevage, la médecine, l’art militaire, la rhétorique, la philosophie et le droit
civil. Les huit livres consacrés à la médecine ou De medicina sont les seuls conservés et lui ont valu le
titre de « Cicéron de la médecine ». Même si Celse n’a sans doute pas été médecin lui-même, il s’agit
d’une œuvre remarquable, qui traite de tous les domaines de la médecine (diététique, pharmaceutique, chirurgie) et qui représente la somme des connaissances médicales issues de l’héritage grec à
Rome au 1er siècle de notre ère. Publié en 1478, il est devenu ainsi le premier auteur médical à être
publié en caractères mobiles.
Scribonius Largus
Scribonius Largus est un médecin qui a exercé à Rome avec succès. S’il a accompagné l’empereur
Claude lors de la campagne de Bretagne, il n’était sans doute pas son médecin personnel. Il rédige
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son ouvrage Compositiones vers l’an 47 à la demande de Calliste, affranchi de l’empereur. C’est un
recueil de préparations médicales en 271 chapitres, précédé d’un index et d’une épître dédicatoire, et
divisé en trois grandes parties. Il y donne d’abord des remèdes destinés à soigner les maladies des
différentes parties du corps, selon l’ordre a capite ad calcem, de la tête aux pieds ; puis des remèdes
contre différents types d’empoisonnements ; enfin des remèdes à utiliser en application externe, es-
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sentiellement des emplâtres et des cataplasmes. C’est lui qui, parlant de vermisseaux chassés des
dents par une fumigation, passe pour être à l’origine de l’étiologie vermiculaire de la carie qui a eu un
développement si important par la suite. Il est aussi le premier observateur de l’utilisation de
l’électricité médicale, en notant l’effet antalgique de la décharge provoquée par le poisson torpille sur
le front, ou sous les pieds du patient. Son ouvrage a été publié en 1529.
Les remèdes phytothérapiques à usage dentaire de Celse et Largus
Dans le De medicina de Celse et dans les Compositiones de Scribonius Largus, de nombreux remèdes
phytothérapiques sont énumérés en cas de problèmes bucco-dentaires. Les plantes sont employées
seules ou en composition, parfois avec des ingrédients d’origine minérale ou animale.
Selon Celse, sont utilisés en cas de maux dentaires :
(En rouge et gras, les prescriptions encore en usage de nos jours)
-
Calament >> bains de bouche et gargarismes, en application ou en friction.
-
Cardamome >> cataplasme appliqué sur la dent, cataplasme révulsif.
-
Cinnamome >> pilule.
-
Cyprès >> application/friction.
-
Elatérium >> cataplasme sur la dent.
-
Farine >> cataplasme sur la mâchoire.
-
Figue >> cataplasme dentaire, application/friction, bains de bouche et gargarismes, cata-
01 mai 2016
plasme révulsif.
-
Fleur de jonc >> pilule.
-
Fleur de roses >> friction.
-
Galbanum >> cataplasme dentaire.
-
Graine de rue sauvage >> pilule.
-
Grenade (écorce) >> bains de bouche et gargarismes, cataplasme dentaire.
-
Huile d’iris >> cérat sur mâchoire.
-
Iris jaune >> pilule.
-
Jusquiame (racines) >> bains de bouche et gargarismes.
-
Laurier >> cataplasme dentaire.
-
Lentilles (décoction) >> bains de bouche.
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-
Lierre (baie) >> suppression de la dent cariée.
-
Mandragore (pommes sèches de) >> pilule.
-
Mandragore (racines) >> bains de bouche et gargarismes.
-
Menthe sauvage >> fumigation.
-
Moutarde >> cataplasme dentaire, cataplasme révulsif.
-
Myrrhe >> cataplasme révulsif, friction.
-
Noix de galle >> cataplasme dentaire, bains de bouche et gargarismes, friction.
-
Oxycrat (vinaigre-eau) >> bains de bouche et gargarismes.
-
Panax >> cataplasme dentaire.
-
Panax (racine) >> pilule.
-
Pavot (écorce) >> bains de bouche et gargarismes.
-
Pavot (suc) >> pilule.
-
Pavot >> cataplasme dentaire.
-
Peucédan >> cataplasme dentaire.
-
Peuplier (écorce blanche de la racine) >> bains de bouche et gargarismes.
-
Pin (écorce) >> cataplasme dentaire.
-
Pin gras >> bains de bouche et gargarismes.
-
Poires ou pommes peu mûres >> bains de bouche et gargarismes.
-
Poivre >> cataplasme dentaire.
-
Poivre (graine) >> suppression de la carie dentaire.
-
Poivre (grains) >> pilule.
-
Pyrèthre >> cataplasme dentaire, cataplasme révulsif.
-
Quintefeuille >> bains de bouche et gargarismes.
-
Safran >> cataplasme dentaire, cataplasme révulsif.
-
Staphisaigre >> cataplasme dentaire.
-
Staphisaigre (sans les graines) >> cataplasme dentaire.
-
Suie d’encens >> cataplasme dentaire.
-
Tordyle >> pilule.
-
Troène >> masticatoire.
-
Troène (huile) >> cérat sur mâchoire.
-
Vin >> bains de bouche et gargarismes.
-
Vin de raisins secs >> pilule.
-
Vin miellé >> bains de bouche et gargarismes, cautérisation des gencives, application/friction.
-
Vinaigre >> bains de bouche et gargarismes.
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Selon Scribonius Largus, sont utilisés en cas de maux dentaires :
-
Bette (suc) >> fumigation.
-
Cèdre (résine) >> frictions sur les dents et les gencives.
-
Cyclamen >> fumigation.
-
Fleur de rose jaune >> application/friction.
-
Graine de cresson alénois frais >> cataplasme dentaire, à l’intérieur d’une dent cariée.
-
Grenade (écorce) >> ulcères des gencives.
-
Herbe pariétaire >> bains de bouche et gargarismes, dentifrice.
-
Jusquiame (graine) >> cataplasme dentaire, à l’intérieur d’une dent cariée, fumigation.
-
Jusquiame (racine ou graines) >> sachets appliqués sur la dent.
-
Laurier-rose >> masticatoire.
-
Lentisque >> application/friction.
-
Lentisque de Chio (résine) >> dentifrice.
-
Lierre (suc) >> fumigation.
-
Menthe sauvage >> masticatoire.
-
Morelle (suc) >> bains de bouche et gargarismes.
-
Moutarde >> cataplasme dentaire.
-
Myrrhe >> cataplasme dentaire, application/ friction, à l’intérieur d’une dent cariée.
-
Nard >> dentifrice.
-
Noix de galle >> application/friction.
-
Nombril de Vénus >> masticatoire.
-
Oléastre (olivier sauvage) >> ulcères des gencives.
-
Opium >> appliqué à l’intérieur d’une dent cariée.
-
Opopanax >> cataplasme dentaire.
-
Orge (farine) >> dentifrice.
-
Patience (racines) >> bains de bouche et gargarismes.
-
Pavot >> cataplasme dentaire.
-
Peucédan >> cataplasme dentaire.
-
Poivre (blanc) >> à l’intérieur d’une dent cariée, cataplasme dentaire.
-
Pourpier >> masticatoire.
-
Pyrèthre >> masticatoire.
-
Quintefeuille >> bains de bouche et gargarismes.
-
Radis potager (peau) >> dentifrice.
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-
Raisin sec sans pépins >> cataplasme dentaire.
-
Safran >> application/friction, à l’intérieur d’une dent cariée, cataplasme dentaire.
-
Souchet (jonc ou racine) >> application/friction.
-
Suie d’encens >> cataplasme dentaire.
-
Vin des Marses >> bains de bouche et gargarismes.
-
Vinaigre >> bains de bouche et gargarismes, dentifrice.
En conclusion
Les deux médecins ont tout compris du bénéfice à retirer de l’usage de la phytothérapie en cas de
problèmes bucco-dentaires, bien qu’ils n’aient jamais connu le nom donné aujourd’hui à la discipline
qui préconise l’emploi des plantes en médecine. Au-delà même de la simple assimilation de ces préceptes, ils les ont appliqués directement à la bouche de leurs malades et ont affirmé même la supériorité de ce type de traitements pour soigner les maux de dents. Et s’ils ne peuvent être considérés
comme les seuls précurseurs de la phytothérapie, puisqu’ils s’inscrivent dans une longue tradition
médicale héritée de l’Egypte et de la Grèce, ils ont enrichi son champ d’action par de nouvelles prescriptions dont certaines ont cours aujourd’hui encore.
Références :
- Dupont M., Dictionnaire historique des Médecins dans et hors de la Médecine, Larousse (éd.), Paris,
1999.
- A. Cornelii Celsi quae supersunt, F. Marx (éd.), B. G. Teubner, 1915.
- Aurelii Cornelii Celsi De re medica libri octo [...] Accessit [...] liber Scribonii Largi titulo Compositiones
medicamentorum, nunc primum tineis et blattis ereptus [...] industria I. Ruellii, Paris, 1528-1529.
- Lamendin H., Précurseurs de la phytothérapie bucco-dentaire occidentale, L’Harmattan (éd.), Collection Médecine à travers les siècles, Paris, 2008.
- Scribonii Largi Compositiones, S. Sconocchia (éd.), Leipzig, B. G. Teubner, 1983.
- Zehnacker H. & Fredouille J.-C., Littérature latine, PUF, Paris, 1993.
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Toute référence à cet article doit préciser :
JOUANNA-BOUCHET J., RIAUD X. : La phytothérapie bucco-dentaire selon Celse et Scribonius Largus,
deux médecins de l’Antiquité. Clystère (www.clystere.com), n° 50, 2016.
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Un Saint-Côme méconnu en Gironde
Charles TAMARELLE
17 Allée des Sables 33210 Langon
Contact : [email protected]
Le thème de la médecine antique est largement ouvert ! Avant la fin de l’empire romain.
On a donc pu choisir un sujet qui en implique plusieurs aspects :
- les personnages : médecins, pharmaciens ou chirurgiens, Côme (ou Cosme) et Damien sont aussi des
saints à une époque où le christianisme subissait encore des influences païennes,
- leur exercice professionnel récapitule instruments et maladies, débouche sur la transplantation
d’organes, en fait les patrons de trois professions, ou plus,
- l’expression artistique abondante due au culte qui leur est rendu va des églises, statues, tableaux
aux jetons de présence.
Ces considérations générales trouvent un écho local original en Gironde, dans la commune rurale de
Saint-Côme, à 2 Km de Bazas où un Saint-Côme, négligé par les revues générales, montre une orientation rare vers les « maladies du cœur ». On n’oubliera pas leur apport à la pharmacopée.
Hagiographie
Il est difficile de faire la part entre le réel et l’imaginaire qui ont inspiré le culte et l’iconographie.
Cosme et Damien sont deux frères jumeaux ou Damien est plus jeune, d’une famille arabe, nés à la fin
du IIIe siècle. Leur mère -Théodote- est chrétienne, leur père, païen, se convertit avant sa mort alors
qu’ils sont enfants. Ils apprennent la médecine en Syrie, alors province romaine et exercent à Aégée
(Hayliz) en Cilicie (actuelle Turquie). Ils guérissent les sourds, les aveugles, les paralytiques et soignent
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même les animaux. Appliquant le précepte « vous avez reçu (la connaissance) gratuitement : donnez
(vos soins) gratuitement», ils sont dits anargyres : sans argent. Leurs succès thérapeutiques et leur
prosélytisme entraînent l’intervention du proconsul, Lysias, lors des persécutions des chrétiens sous
Dioclétien. Refusant de sacrifier aux idoles, Côme et Damien, condamnés à mort, subissent le martyre
à Cyr en 287 ou 303, avec leurs frères puînés Anthime, Euprépius et Léonce. On entre alors dans la
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Légende dorée de Jacques de Voragine, écrite au XIIIe siècle. Jetés à la mer enchaînés, un ange les
ramène au rivage, les flammes de leur bûcher se retournent contre les exécuteurs, les flèches et
pierres de leur lapidation les évitent, ils sont décapités. Côme avait demandé une sépulture séparée, il
reprochait à Damien d’avoir reçu trois œufs de Palladia, elle avait déjà dépensé sa fortune en médecins, mais ils l’avaient guérie. Un chameau dont ils avaient soigné la patte, prit la parole et expliqua
que Damien n’avait accepté que par humilité, pour ne pas vexer Palladia. Ils eurent donc une sépulture commune.
Les reliques :
Leur tombeau à Cyr de Syrie, entre Antioche et l’Euphrate, devint un lieu de pèlerinage et de guérisons miraculeuses illustré par l’évêque Théodoret (423-458) à l’origine de la diffusion du culte en envoyant des reliques divisées à des sanctuaires à Jérusalem, en Egypte, en Mésopotamie. Une partie
transportée à Rome, les papes Félix III (483-492), Symmaque (498-514), Félix IV (526-530) leurs consacrent une chapelle puis un oratoire et une basilique à l’emplacement d’un temple à Romulus, fils de
l’empereur Maxence – rival de Constantin, au début du IVe siècle -, sur la Via Sacra du forum. Des
ossements y ont été retrouvés sous l’autel en 1924. Guéri d’une maladie par leur intercession,
l’empereur Justinien (527-565) restaure la ville de Cyr et reconstruit leur église à Constantinople qui
avait six paroisses à eux dédiées.
A partir du Ve siècle, des reliques sont vénérées en France, à Auxerre, Luzarches, Tours, ainsi qu’à Venise, San Giorgio Maggiore et dans le sud de l’Italie.
Les crânes, apportés de Rome à Brème puis à Bamberg par l’archevêque au Xe siècle, retrouvés au
XIVe par son successeur, ont été ensuite donnés aux Clarisses de Madrid par Maria, fille de CharlesQuint. Selon une autre version, ils auraient été rapportés à Brageac (Cantal), par les seigneurs du lieu,
de retour de la Première croisade, au début du XIIe siècle. La cathédrale Saint-Etienne de Vienne (Autriche) les revendique aussi.
L’épée qui serait celle de la décollation, ramenée de Rome a été offerte par un empereur d’Allemagne
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à la cathédrale Côme, Damien et Sainte-Marie d’Essen.
Les miracles posthumes
En dehors du chameau doué de parole lors de leur sépulture, on leur attribue divers miracles liés à la
dispersion des reliques :
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- dans un sanctuaire dédié aux saints, expulsion d’un serpent (diabolique) qui s’était introduit dans les
entrailles d’un paysan pendant son sommeil.
- délivrance d’une femme que le diable ensorcelait en ayant pris l’apparence de son mari.
- « le miracle de la jambe noire » : le sacristain de la basilique St Côme et St Damien de la Via Sacra à
Rome souffrait de gangrène d’une jambe. Soigné en rêve par les saints qui l’amputent, il entend l’un
d’eux suggérer la greffe de la jambe d’un éthiopien qui venait de mourir, juste enterré au cimetière de
St Pierre-aux- Liens, puis se réveille guéri.
Côme et Damien et le pouvoir
Bien qu’on ne mentionne souvent que le premier (ordre alphabétique ?) Côme et Damien font partie
des jumeaux inséparables, toujours présents simultanément dans les paroisses et œuvres d’art. Ils
font partie des couples fraternels orientaux que l’église chrétienne a opposé aux cultes païens. Ainsi
s’explique le choix par les papes pour leur basilique de l’emplacement d’un ancien temple à Romulus,
fils de l’empereur Maxence, à l’opposé du temple de Castor et Pollux, fils de Zeus et de Léda, de
l’autre côté de la Via Sacra. Cyrille et Méthode au IXe siècle seront un autre couple fraternel chrétien.
La liaison entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel s’exprimera ultérieurement à toutes les époques
par les dédicaces d’édifices religieux.
Dans l’Italie de la Renaissance, le culte de Côme et Damien a bénéficié de l’appui et du mécénat de la
famille Médicis. Le patronage des saints médecins donnait une onction religieuse au patronyme de
ces banquiers florentins. Cosme l’Ancien (1369-1464) puis les Grands Ducs de Toscane : Cosme Ier
(1519-1574), IIe (1609-1671), IIIe (1670-1713) et Cosme Jean (1421-1463) ont porté le prénom. Cosme
l’Ancien a offert le retable de la jambe noire : Guérison du diacre Justinien (1438-1440) par Fra Angelico à l’église San Marco de Florence, il s’est fait représenter en Saint Côme avec Cosme Ier en Saint
Damien. Ils ont aussi subventionné diverses œuvres.
Iconographie
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L’iconographie est en relation avec les lieux et formes de culte. On ne peut énumérer les différentes
représentations rencontrées dans les édifices qui leur sont consacrés. Ses modalités vont des éléments
décoratifs d’édifices (mosaïques, fresques, retables, tableaux, statues, icônes, vitraux, chapiteaux)
aux éléments fonctionnels ou symboliques (pots de pharmacie, missels, sceaux, médailles, monnaies,
jetons de présence, initiales de miniatures et, de nos jours, estampes postales) visibles sur internet
(site Persée). Elle a débuté avec le culte et certaines modalités se poursuivent actuellement bien
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qu’on constate une apogée à la Renaissance. L’Italie de cette époque foisonne de tableaux et miniatures du miracle de la jambe noire.
Les personnages sont représentés en pied, dans leurs activités de soin ou dans des circonstances remarquables, martyre ou miracles. Leur vêtement va du drapé à l’antique ou à l’orientale - avec un
turban à l’occasion -, au costume médiéval occidental - avec éventuellement un bonnet de médecin.
Ils sont pourvus d’attributs en rapport avec leurs professions (accessoires médicaux, chirurgicaux ou
pharmaceutiques) : urinal ou matula servant à mirer les urines, lancette et palette à saignée, spatule,
mortier, pot à onguent ou albarel, pince (à trochisque ou chirurgicale), trousse de chirurgie ou coffret
à médicaments. Un livre peut représenter une pharmacopée. Une gerbe de plantes médicinales est
moins fréquente que la palme du martyre.
L’environnement est quelquefois professionnel : Côme dans une officine, Damien dans un laboratoire
de chimie, sur des œuvres du 18e suisse - les deux supportent l’écu de la corporation des chirurgiens
sur un chapiteau du couvent des Carmes de Trie-sur-Baïse.
L’affectation des deux saints aux trois principales professions de santé (médecin, chirurgien, pharmacien) initialement confondues chez le thérapeute hippocratique, suit l’évolution de leur différenciation. La confection du médicament s’individualise à partir de l’hôpital de Bagdad et des édits de Frédéric, roi des Deux Siciles et de Charles le Bel en France. L’appellation spezzeria des apothicaireries
italiennes rappelle l’origine exotique de la matière médicale. Les barbiers, pratiquant la saignée depuis l’antiquité, y joignent la chirurgie. Généralement Côme est plutôt médecin, Damien plutôt pharmacien, l’un et/ou l’autre chirurgien. Leur identification d’après les attributs reste aléatoire.
Actualisation
Le culte religieux :
Le culte des saints médecins s’est répandu dans la chrétienté catholique, en Europe (Italie, France,
Espagne, Pays-Bas, Allemagne, Suisse, Autriche, Pologne, Danemark et Suède), en Amérique (Canada
et Brésil où il donne lieu à un cérémonial influencé par des rites africains). Il a été codifié par le concile Vatican II.
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Les églises orthodoxes
- de Cilicie, comparable à la tradition catholique,
- de Mésopotamie où leur sépulture serait à Thereman,
- de Rome, où ils auraient été martyrisés sur plainte d’un médecin païen jaloux, sous l’empereur Carinus (283-284), les vénèrent sous diverses modalités, à des dates de célébration différentes.
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C’est le cas des églises grecques, russes, bulgares, roumaines, du sud de l’Italie, byzantine et des
Etats-Unis où leur est dédiée l’église orthodoxe de la Mayo Clinic. Il est peu pratiqué dans l’Eglise anglicane.
En France, la dédicace est le plus souvent commune à Côme et Damien quand il s’agit d’églises paroissiales (25 dans 20 départements), spécifique à Saint Côme (7 fois) ou à Saint Damien (1 fois)
quand elles donnent leur nom à une commune. (Annexe I).
Le patronage professionnel et l’histoire des professions
Faisant partie des saints guérisseurs, ils ont, dès les débuts, été les patrons des professions de santé :
médecins, apothicaires devenus pharmaciens et chirurgiens-barbiers, avant l’individualisation des
métiers et des corporations. S’y sont ajoutés dentistes, infirmiers et coiffeurs. C’est Saint Côme qui est
le plus souvent invoqué.
Des Ecoles de médecine ont consacré à Saint Côme des amphithéâtres de chirurgie à Paris (Cordeliers), Montpellier, Bordeaux (ancienne faculté de médecine, actuellement disparue). Les confréries
professionnelles des chirurgiens affichent son appellation : à Paris depuis Saint Louis en 1212 devenue
ensuite Académie royale de chirurgie ainsi que Montpellier et Bordeaux, en Espagne, au XVe siècle à
Barcelone, Saragosse, Huesca, au XVIIe à Cadix. A Paris, une Société de Médecine Saint Luc, Saint
Côme, Saint Damien a affirmé une vocation de médecine catholique de 1884 à 1914. Ils ont suscité et
patronné des confréries de secours, notamment à Luzarches, Pierre-Buffière (Limousin) et Saint-Côme
en Gironde.
L’histoire des saints et la diffusion de leurs cultes sont l’occasion de congrès spécifiques comme à
Mendrisio (1985), Mercogliano (2006) ou intégré à des congrès internationaux d’Histoire de la Pharmacie à Grenade (1985), Paris (1995). Ils sont le sujet de nombreux articles des Sociétés d’Histoire de
la Pharmacie et de la Médecine donnant lieu à publication dans leurs revues respectives. Ces articles,
d’auteurs cosmopolites, traitent de la large répartition du culte en Europe : en Allemagne (Saxe,
Souabe), Angleterre, Belgique, Bulgarie (Kouklen), Scandinavie (Danemark, Suède sauf Norvège,
pourquoi ?). L’Italie est fort présente. (Annexe II).
Malgré l’abondance des références historiques à Saint Côme et leur extension géographique on peut
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trouver un point peu connu en Gironde.
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Saint-Côme en Gironde
Pourquoi le Saint-Côme girondin reste-t-il peu connu ?
Il a probablement été étouffé par Bazas, siège du diocèse, dont la cathédrale, dédiée à Jean le Baptiste, bénéficie de l’antériorité. La chapelle n’a été érigée en paroisse qu’en 1140 : le diocèse de Bazas
était « décimateur », recevait la dîme, désignait un vicaire, le titre de curé de Saint Côme restait à
l’évêque qui nommait le conseil de fabrique.
La situation géographique y contribue. Il s’agit de Saint-Côme, une commune rurale, à 2 Km de Bazas,
victime de l’exode rural. Sa population a diminué de moitié en deux siècles et depuis toujours les propriétaires terriens sont extérieurs à la commune.
Il n’est jamais cité dans les congrès historiques, les ouvrages consacrés aux saints Côme et Damien le
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passent sous silence, il n’apparait que dans la bibliographie régionale.
Figure 1 : L’abside de l’église Saint-Côme. © Tamarelle C.
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Historique de l’église Saint-Côme [Fig. 1, 2]
Saint-Côme apparait dans l’histoire en 853, à l’occasion de la destruction par les Vikings de sa chapelle que l’évêque fait reconstruire à partir de 982. Elle est ensuite agrandie, pourvue de bas-côtés
comme le montrent les inscriptions gothiques millésimées 1536, 1538, 1553 d’un pilier et de clefs de
voûte. Un aménagement définitif débute au XIXe siècle par le porche et le clocher puis de 1824 à
1843, des aménagements intérieurs, signés de l’inscription « O’Reilly Rector » de cet abbé, curé et
historien. Des travaux
d’entretien
ultérieurs font intervenir le Conseil
de Fabrique avec
contribution de la
Confrérie de SaintCôme pour la refonte des cloches.
La date des travaux récents n’est
pas précisée.
Figure 2 : Eglise Saint-Côme. © Tamarelle C.
Descriptif
L’église est pourvue des équipements habituels : fonts
baptismaux, chaire, crucifix, chemin de croix. Le chœur
renferme un retable dédié au Sacré-Cœur, un autel
d’une richesse remarquable et une fresque imitant des
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vitraux.
Figure 3 : Saint-Côme tenant un ciboire. Vitrail. © Tamarelle C.
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Les représentations de Saint Côme et Saint Damien méritent une attention particulière. Les vitraux du chœur montrent Saint Côme tenant un ciboire [Fig. 3], Saint Damien
une ampoule (matula) [Fig. 4]. Comme ceux de St Luc, St
Marc, St Joseph, St Mathieu, St Jean évangéliste, Ste Marie, ils datent de la période O’Reilly. Les saints sont présents avec leurs noms inscrits : St Côme tenant un SacréCœur, St Damien tenant un livre (Codex ?), encadrent Marie et Madeleine sur le tableau de la crucifixion du XVIIIe,
restauré, qui masque une ouverture de l’abside. En deux
statuettes de bois en haut-relief aux côtés du tabernacle
Saint-Côme tient un calice, Saint-Damien un livre. Plus
remarquables, dans la nef une statue en bois de SaintCôme en pied, entouré de draperies, tient un Sacré-Cœur
et une épée, à ses pieds est un reliquaire marqué S.C.
Figure 4 : Saint-Damien tenant une matula.
Vitrail. © Tamarelle C.
(Saint-Côme ou Sacré-Cœur ?), dans le bas-côté, un SaintCôme en plâtre tient un Sacré-Cœur et une épée. Elles voi-
sinent avec les retables des bas-côtés dédiés au Sacré-Cœur avec une statue de Jésus au nord, et à
Notre-Dame avec sa statue au sud, et avec une autre statue de Sainte Thérèse.
Saint Côme et le « mal au cœur »
La référence au Sacré-Cœur, matérialisée par les deux
statues de Saint-Côme tenant un cœur surmonté
d’une flamme [Fig. 5, 6, 7] est une originalité que l’on
ne trouve nulle part ailleurs parmi leurs attributs, ni
dans leurs divers patronages. En outre, Côme et Damien ne font pas partie des saints catholiques en rapport avec le Sacré-Cœur. Cette orientation est accentuée par le transfert au Sacré-Cœur de la dédicace de
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l’autel du bas-côté gauche, précédemment dédié à
Sainte-Quitterie – princesse wisigothe décapitée à
Aire-sur-Adour-. Ceci a pu se produire après 1824, au
cours des travaux dirigés par l’abbé O’Reilly pendant
Figure 5 : Saint-Côme tenant un
cœur. © Tamarelle C.
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son séjour à Saint-Côme (1823-1843). Est-il l’initiateur de cette christianisation d’un culte païen antérieur ? La notion de « mal au cœur » est assez large et va de la nausée aux gastrites. L’homophonie entre cau, le
cœur en gascon et « Côme » expliquerait le glissement du culte au saint.
On la rencontre aussi à Escource (40-Landes) où les maladies de cœur
sont guéries par un « saint Cô » local. Saint-Côme a été, jusqu’au siècle
dernier, l’objet d’un pèlerinage à indication thérapeutique cardiologique
au XIXe siècle et jusqu’à la fin du XXe. En témoignent le pendentif de procession marqué du Sacré-Cœur et la bannière de la Société de Secours de
Saint-Côme, conservés à l’entrée du chœur. Les pratiques comprenaient un Figure 6 : la main de SaintCôme tenant le cœur (détail).
circuit autour des quatre piliers centraux de la chapelle et les effets de © Tamarelle C.
l’eau de la source voisine quelquefois utilisée après transport [Fig.8]. Cette orientation thérapeutique
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n’a donné lieu à aucun autre médicament.
L’apport
des saints
Figure 7 : Autre statue de Saint-Côme tenant un cœur. © Tamarelle C.
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Côme et Damien à la Pharmacopée [Fig. 8]
Leur contribution n’est pas seulement mystique mais thérapeutique. On leur attribue :
- un collyre dont la formule (rue, fenouil, ache, lierre, vinaigre) avait été donnée par Théodote, leur
mère, et certains médicaments dont les sources se confondent,
- des trochisques contre les céphalées, d’après des recueils des IXe et XIe siècles,
- un électuaire : opopyra (de opos, le suc et pyros, le feu), composé de 70 drogues végétales dont
opium, sauge, pivoine, mandragore, gingembre, achillée, aristoloche, centaurée, ellébore, zédoaire et
2 drogues animales (musc et raclure d’ivoire). C’est une panacée aux propriétés échauffantes, utilisée
aussi comme sédatif par voie externe. Cité
par Arnaud de Villeneuve (XIIIe siècle), il figure dans le Grand Antidotaire de Salerne de
Nicolaï, repris par le Ricettario Fiorentino et
les auteurs de pharmacopées italiennes du
XVIe au XVIIIe siècle. Certains distinguent
Opopyra Nicolaï de Mesué, Opopyra laudani
de Paracelse et Opopyra magna de Côme et
Damien. On peut le confondre avec un Anti- Figure 8 : Saint-Côme, source guérisseuse. © Tamarelle C.
dotum Cosmiana, un Antidotum Damiani de
Marcellus Empiricus (médecin bordelais du 5° siècle) et un « diatesseron » ultérieur. Il disparaît des
Pharmacopées allemandes au XVIe siècle et n’apparaît pas dans les pharmacopées françaises.
Ils utilisent aussi :
- une huile « oleo ordinato », à base de coque ou de vers de châtaigner et d’huile d’olive portée à
l’ébullition, encore utilisée en Italie du Sud,
- un vin médicinal (ail, lierre, vin rouge),
- un baume (ail, huile d’olive), ou cérat ou onguent adoucissant (unguentum leniens) et un miel médicinal.
Leur patronage a été invoqué à des fins commerciales pour une Huile de Harlem et un balsamum
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sulphuris au XVIIe siècle ainsi que par des contrefacteurs au XIXe.
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Conclusion
Côme et Damien ont une double activité, religieuse et professionnelle, donc une double appartenance. Du point de vue religieux, ils font partie des saints de l’église chrétienne et du cercle plus restreint, des saints doués d’un pouvoir guérisseur. Mais parmi ces derniers, ils sont les seuls à y être
préparés par leur activité professionnelle. L’évolution des professions et de leur mode d’exercice a fait
que si, dans l’antiquité, deux thérapeutes étaient représentatifs de trois activités corporatives (médecin, apothicaire, chirurgien), ils patronnent à l’heure actuelle l’ensemble des professions de santé.
Leur culte tombe souvent en désuétude mais continue à présenter un intérêt historique large, dans le
temps et ses diverses modalités dont certaines quasiment anticipatrices.
Il peut être utile de rappeler le Saint-Côme de Gironde, la plupart du temps omis par les revues historiques, d’autant plus que le culte religieux s’y double d‘une orientation thérapeutique originale.
Si la médecine antique va jusqu’à la fin de l’Empire romain, on a ici des personnages remarquables
dont l’influence s’étend jusqu’à l’actualité.
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Références
- Barran J. La petite histoire de Saint-Côme et des Saint Cômais, communication personnelle.
- O’Reilly P.J. Essai sur l’histoire de la ville et de l’arrondissement de Bazas, 1840,
- Julien P. St Côme et St Damien, patrons des médecins, chirurgiens et pharmaciens, L.Pariente éd.
Paris 1980,
- Lederman F. Les saints Côme et Damien et leurs médicaments, 27e Congrès d’Histoire de la Pharmacie, Grenade 1985
- Catellani P. La transplantation de la jambe noire par les saints Côme et Damien, 32° Congrès
d’Histoire de la Pharmacie Paris 1995
Julien P. Saint Côme et Saint Damien, de la médecine à la pharmacie. 32e Congrès d’Histoire de la
Pharmacie Paris 1995
- De Marliave O. Sources et saints des landes de gascogne, Horizon chimérique éd. Bordeaux 1999,
- Dictionnaire d’Histoire de la Pharmacie, Pharmathèmes éd. Paris 2003,
- Site internet de la S.H.P. www.shp-asso.org
- 2° Congrès international sur l’iconographie et le culte des saints Côme et Damien, Mercogliano, Italie, 2006, (résumé des communications Annexe II, CD Rom).
- Brohard Y. Leblond J.F. Une histoire des médecines populaires, La Martinière éd. Paris 2013,
- www.culture.gouv.fr/public/mistral/palissy (monuments) ou mémoire (images).
- www.persee.fr/web/revues/home/prescipt/search/ accès à une bibliographie extensive.
- www.patrimoine-de-france.org (Annexe I).
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Annexes
Annexe I : Patrimoine de France : www.patrimoine-de-france.org
rechercher : « Saint Côme », on peut en extraire :
Paroisses- Eglises (25/ 20 départements) :
Aisne : Thenailles, Allier : St-Léon, Corrèze : Chamboulive, Le Jardin, Pérols-sur-Vézère, Corse : Sartène,
Côte d’Or : Brémur-et-Vaurois, Dordogne : Simeyrols, Eure : Ajou, Finisterre : Saint-Nic, Lot-etGaronne : Aiguillon, Granges-sur-Lot, Manche : Angoville-au-Plain, Haute Marne : Germiny, Meurtheet-Moselle : Pierrepont, Vézelise, Morbihan : Locminé, Pyrénées orientales : Sardinya, Rhône : Caluire,
Seine, Paris : Cordeliers, St Germain des prés, Yvelines : Montesson, Essone : Villebon-sur-Yvette, Vald’Oise : Luzarches. Vaucluse : Avignon.
et y ajouter :
Seine Maritime : Etoutteville (Brohard).
Communes (8) : St-Côme 33490 Gironde, St-Côme-de-Fresné 14960 Calvados,
St Côme-du-Mont
50500 Manche, St-Côme d’Olt 12500 Aveyron, St-Côme-et-Marvejols 30870 Gard, St-Cosme 68210
Haut-Rhin, St-Cosme-en-Varais 72110 Sarthe, San Damiano 20264 Haute-Corse.
Amphithéatres : Paris (Cordeliers), Montpellier, Bordeaux (ancienne école de médecine, disparu).
Œuvres d’art (109), y ajouter : chapiteau du cloître des Carmes de Trie-sur-Baïse (Brohard).
Annexe II :
II° Congrès international sur l’iconographie et le culte des Saints Côme et Damien,
Mercogliano 2006, Sommaire des communications :
Cosme et Damien en Scandinavie : Danemark, Suède, sauf Norvège, pourquoi ?
Les saints médecins de Carbonara de Nola, (16° siècle),
Culte des saints Côme et Damien à Naples et la Côte Amalfitaine, (14,15° siècle),
Culte des saints guérisseurs dans les Pouilles, (14° siècle),
L’habit des saints Côme et Damien dans les représentations italiennes, (14-16° siècles),
Le culte des saints guérisseurs Côme et Damien et l’assistance sanitaire à Rome au Moyen Age,
Côme et Damien deux saints oubliés ?
Un parcours interrompu à Naples :
Ste Marie, de l’Institut Reine du Ciel à l’Hôpital du Peuple aux Incurables,
01 mai 2016
Le miracle de la jambe noire vu par les artistes,
Introduction au culte et à l’iconographie orthodoxe des saints Côme et Damien dans l’île de Chios,
Cosme et Damien : un panorama bibliographique,
Culte et iconographie des saints médecins en Basilicate,
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Aller-retour de l’histoire à la légende : la construction hagiographique des saints Côme et Damien,
Traitement des « fous » à Irpinia au 19° siècle : pratique magique, démonologique, remèdes populaires, Le culte des saints Côme et Damien en Calabre,
Médailles et monnaies des saints Côme et Damien (16-20° siècles),
Cosme et Damien et le Gentil de Fabriano « retrouvé » à Florence (15° siècle),
Histoire, mythe et légende de l’art médical au Moyen Age,
L’Irpinia et le Sannio à travers le culte des saints Côme et Damien,
Le culte des saints Côme et Damien à Irpinia et alentour (15-18° siècles),
Saints Côme et Damien : les instruments des professions de santé, analyse historique et iconographique, Les saints Côme et Damien de l’église Saint Roch de Belluno,
Les « simples » : mythes et usages actuels,
L’iconographie des saints médecins sur des vases d’apothicaire italiens des 16° et 17° siècles,
Le tryptique de Côme et Damien de l’Antique Oratoire de St Pierre à Ceneda (Venetie),
L’iconographie des saints Côme et Damien à Malte.
en partie repris dans La Festa dei santi Cosma e Damiano in Alborello, 2007, www.albarellocultura.it.
Toute référence à cet article doit préciser :
01 mai 2016
TAMARELLE C. : Un Saint-Côme méconnu en Gironde. Clystère (www.clystere.com), n° 50, 2016.
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En musardant sur la Toile …
Une rubrique de Bernard Petitdant
Pourquoi est-il nécessaire d’étudier la médecine antique ?
http://orbi.ulg.ac.be/bitstream/2268/181913/1/MHMarganne_Entretiens_mars_2009.pdf
La conscience médicale antique et la vie des enfants :
http://www.persee.fr/doc/adh_0066-2062_1973_num_1973_1_1169
Soins et idéal hippocratique
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4263393/
Le rôle du massage chez les athlètes :
http://bjsm.bmj.com/content/27/1/28.full.pdf
Point de vue antique sur l’obésité :
http://link.springer.com/article/10.1007/s11695-007-9017-2#page-2
Une exposition des instruments de Pompéi
http://exhibits.hsl.virginia.edu/romansurgical/
ou ici http://www.usask.ca/antiquities/our-collection-/roman/surgical-instruments/surgicalinstruments/index.php
Phytothérapie en Egypte
http://www.academicjournals.org/article/article1380374686_Aboelsoud.pdf
Médecine antique en Iran
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http://www.sid.ir/En/VEWSSID/J_pdf/86920080120.pdf
Bonne lecture !
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Courrier des lecteurs
En réponse à la question posée (Clystère n° 49, avril 2016) par Louis-Charles Barnier (Musée de la
médecine de Hautefort, 24), sur un modèle de four qui aurait servi à chauffer des comprimés ? (principe du frittage ?), Francis Gires, Président de l’ASEISTE (Association de Sauvegarde et d'Étude des
Instruments Scientifiques et Techniques de l'Enseignement) a apporté les informations suivantes :
Dans un catalogue Prolabo de 1932 il est indiqué "four à moufle pour incinérations" sans autres préci-
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sions.
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Dans le catalogue Billault Chenal et Douillet successeurs de 1914, il est indiqué à propos du four crématoire Tranchant-Grédy pour animaux inoculés N° 3033 que "Tous les fours à moufle série M. O.
conviennent pour ce travail ; on y fait cependant une légère modification pour assurer la combustion
intégrale des gaz de la distillation ; l'opération s'opère sans aucune odeur". Sur la page de droite de
on retrouve le modèle de four N°3034, très semblable à celui que l'on vous a donné pour le musée, qui
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est de la série M. O.
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Dans un autre extrait du catalogue Billault, le N° 3003 est dénommé "Four à moufle long, pour incinération du sucre".
Il faudrait regarder si les dimensions correspondent à l'un ou l'autre de ces différents modèles. Cela
donnerait peut-être des éléments pour préciser de quel type d'incinération il s'agit.
Au total, ce type de four semble avoir été utilisé pour incinérer des animaux de laboratoire ou du
sucre. Peu de rapport donc avec la fabrication de comprimés, en tout cas en l’état actuel de la discussion.
En réponse à l’article de Bernard Petitdant intitulé « L’appareil à air chaud du Docteur Miramond de
Laroquette" (Clystère n° 49, Avril 2016), Michel Pineau a adressé les commentaires suivants :
« Suite à votre article dans le n°49 de CLYSTERE, en prolongement de celui-ci, je vous signale que MIRAMOND DE LA ROQUETTE, MM2 en 1908, fera longuement parler de lui durant la GG. Mobilisé en
14 au titre de la brigade Marocaine, on le retrouve à VERDUN comme MM1 (c'est à dire assimilé au
grade de commandant) en mars 1916 au lendemain de l'offensive éclair du KRONPRINZ, comme m-c
(médecin-chef) de l'ambulance 1/3 BM devenue en 1915 la 4/153, chargé de la responsabilité d'un
nouveau CH (centre hospitalier) qui vient d'être créé à la caserne BÉVAUX regroupant 5 ambulances :
les 2/13, 203, 2/153, 3/153, 4/153, ... Le tout dépendant du 20°CA.
Le lien avec votre article se situe au niveau d'une pathologie sévissant en hiver dans les tranchées et
causant d'énormes dégâts (par centaines), je veux parler de ce que l'on a appelé "les pieds de tranchées". Les pauvres bougres pataugeant dans l'eau, la boue, le froid pendant des heures et des jours
ont les pieds qui macèrent dans leurs godillots et forment des œdèmes graves (malgré toutes les
belles circulaires de JOFFRE, Cdt en Chef, sur le sujet). Finalement, le traitement à base de massages,
d'applications de vaseline et de séchage, verra la fabrication artisanale de "boites à air chaud" où le
soldat introduira les pieds ... En 4 à 6 semaines, selon l'état de gravité des blessures, des guérisons
seront obtenues et le soldat pourra être de nouveau opérationnel !
Le haut-commandement viendra féliciter ces médecins-ingénieurs qui avec des moyens de fortune et
dans des conditions très difficiles, auront fait progresser la médecine de guerre ... Je ne sais si ces
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fabrications locales ont un lien direct avec les brevets antérieurs de MIRAMONT dont vous avez rappelé la genèse !
Pour information, je vous joins un petit tableau que j'avais eu l'occasion de réaliser il y a une dizaine
d'années, à l'occasion d'une étude sur le SS en Argonne. Si cette pathologie vous intéresse, je peux
vous fournir copie d'un extrait de JMO d'une ambulance en pointe sur le sujet ».
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Bernard Petitdant ajoute le commentaire suivant : « Il est tout à fait possible que le médecin-chef du
secteur en l’occurrence M. de L., inventeur du radiateur photo-thermique, ait fait « bricoler » ces
«boites à chaleur » avec les moyens du bord pour créer une vasodilatation ».
Sur le sujet :
-
Bernard Petitdant : Vesalius,
-
Bernard Petitdant : Le radiateur photo-thermique du Dr Miramond de Laroquette. Clystère n°
4, Novembre 2011.
-
Alain Sauvaget : Le pied de tranchée, une exception française ? Clystère n° 30, Mai 2014.
Pour contacter Michel Pineau : [email protected]
Le Dr Pierre Dehon (Huy, Belgique) s’interroge sur cette illustration de catalogue portant la mention
«périmètre portable “ dit de Badal. Selon lui il s’agirait plutôt d’un “ tonomètre de BADAL “ ?
Tout éclaircissement de nos spécialistes en instrumentation ophtalmologique sera la bienve-
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nue. Réponses à [email protected]
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Autres demandes d’identification et explications proposées par le Le Dr Pierre Dehon (Huy, Belgique)
concernant des instruments ophtalmologiques :
« Une étrange seringue avec réservoir latéral dans un coffret signé Georges Clasen (ancienne maison
Bonneels, Bruxelles). Dans la partie horizontale, il existe une vis sans fin mais la partie supérieure et
verticale de cette seringue ou clystère ophtalmo est malheureusement cassée. Le seul élément dont
je suis sûr et certain même, c’est que cet instrument est ophtalmo ! Destiné aux voies lacrymales ? Il
appartenait à feu mon prédécesseur le Dr René HUBIN de et à HUY ». Si un lecteur dispose d’un catalogue de cette maison bruxelloise, peut-être pourra-t-il nous dire à quoi servait cette seringue.
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Réponses à [email protected]
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Qui pourra dire à quoi sert cet appareil. Le Dr Pierre Dehon (Huy, Belgique) pense qu’il s’agit d’un
appareil destiné à examiner ou à ré-éduquer la vision binoculaire mais en n’en étant pas certain du
tout. Cet appareil doit être raccordé au courant 6 ou 12 volts et qui fonctionne encore !
Réponses à [email protected]
Nahema Hanafi (Université d'Angers, CERHIO - UMR 6258), cherche à
savoir avec quels types d'instruments chirurgicaux les castrations (castrats italiens de l'époque moderne) étaient réalisées ? Elle s'intéresse à la
castration des castrats italiens (chanteurs sopranos) du 16e au 18e siècle.
En ce qui les concerne, les testicules n’étaient pas coupés, mais on réalisait visiblement une entaille au niveau de l'aine, puis on tirait le cordon
et les testicules, puis on ligaturait.
Réponses ou commentaires à : [email protected]
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Carlo Broschi dit Farinelli, célèbre
castrat italien (1705-1782).
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Nouveautés en librairie
War Neurology. Ed. Karger (Basel), Volume 38 de la collection
«Frontiers of Neurology and Neuroscience», sous la direction
de Laurent Tatu (Besançon) and Julien Bogousslavsky (Montreux), 2016, 244 p., 86 fig.
ISBN: 978-3-318-05605-1
L'intérêt dans l'histoire de la science neurologique a augmenté
significativement pendant la dernière décennie, mais la signification de guerre a été négligée. Au contraire, ce livre met en
évidence la guerre comme un facteur de progrès dans la
science neurologique. La lumière est faite sur ce sujet à travers
divers chapitres consacrés à des neurologues dans la guerre,
des expériences de soldats souffrant de maladies neurologiques
et des chapitres consacrés à la neurologie dans la guerre totale
et contemporaine.
Écrit par des experts, les contributions dans ce livre se concentrent sur les Guerres Napoléoniennes, la Guerre civile américaine, la Guerre franco-prussienne de
1870, des Guerres mondiales I et II et des conflits récents comme le Viêt-Nam ou l'Afghanistan.
Complet, concis et accessible, ce livre est d'une lecture passionnante pour des neurologues, des neurochirurgiens…
Nous avons le plaisir de retrouver notre collègue le Dr Olivier Walusinski (www.baillement.com) qui
est co-auteur de deux chapitres.
Disponible chez l’éditeur :
01 mai 2016
http://www.karger.com/Book/Home/271348
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Etat, santé publique et médecine à la fin du XIXe siècle français. Isabelle Cavé. Ed. L’Harmattan, 2016, 342 p.
ISBN : 978-2-343-08899-0
Dans ce livre consacré à l'histoire d'une société qui se médicalise de façon radicale, la loi du 15 février 1902 est le tout premier texte du code de la santé qui résume les préoccupations
de salubrité visant à venir à bout des épidémies et des maladies contagieuses. De ce vaste chantier de prophylaxie sanitaire, il reste à constater que les organismes et autorités de
l'époque ne s'accordent pas toujours sur les principes d'organisation, ou que la population demeure rétive à appliquer les
réglementations lorsque le mal frappe. C'est pourquoi le principe de vaccination et de revaccination est imposé à la population.
Isabelle cavé est titulaire d’une maîtrise de sociologie, faculté des
lettres de Rennes, d’un doctorat d'histoire et civilisations à l'EHESS
de Paris (2000-2013) sous la direction de Gérard Jorland directeur d'études. Thèse spécialisée en histoire de la
médecine sous la IIIe République. Spécialiste de la santé, Isabelle Cavé répond à toutes les problématiques de la
santé contemporaine en général. Elle est à la recherche actuelle d'opportunités professionnelles (cdd, cdi).
Grande spécialiste de la documentation et des archives en sciences humaines. A travaillé pendant plusieurs
années pour le Comité d'Histoire de la Sécurité Sociale (ministère de la santé), autres ministères et entreprises
privées.
Disponible chez l’éditeur 33,25 €
La psychiatrie vécue au XIXe siècle. Lettres à Louisa. Bernard de
Marsangy. Ed. L’Harmattan, 2016, 262 p.
ISBN : 978-2-343-08856-3
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2 février 1886 : tentative de meurtre à l'hôtel du Louvre. L'assassin est le neveu du baron Haussmann. Emmanuel baron Artaud a
épousé Louisa, pieuse fille d'aristocrates de province. « Fou circulaire », Emmanuel est interné ; Haussmann nommé tuteur. Emmanuel s'évade avec la complicité de Louisa, dont il a divorcé à
contre cœur, et erre en Europe, traqué par les sbires de son
oncle. Cette histoire vraie est « folle assurément, mais Artaud
était-il fou ? Ce témoignage, transmis sans éclairage savant,
offre une lumière étonnante sur les pratiques des aliénistes… Un
document captivant sur les rapports entre folie et société » (Professeur Arnaud Plagnol).
Disponible chez l’éditeur 24.70 €
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Collection Médecine à travers les siècles
Directeur : Dr Xavier Riaud
Fondation : 2006 - 80 livres
10 ans déjà…
REUNION DES AUTEURS DE LA COLLECTION MEDECINE A TRAVERS LES SIECLES
N°1 en France en histoire de la médecine au nombre de livres publiés.
Samedi 12 novembre de 9h00 à 18h30
Espace L’Harmattan
24, rue des Ecoles
75005 Paris
Les institutions suivantes seront représentées :
- Académie nationale de Chirurgie : Prs Michel Germain et Dominique Le Nen (chirurgiens), Dr Xavier
Riaud (chirurgien-dentiste) et Dr André Fabre (médecin).
- Académie nationale de Médecine : Pr Michel Germain.
- Académie nationale de Chirurgie Dentaire : Dr Xavier Riaud.
- Université de Nantes : Pr François Resche (chirurgien et ancien président)
- Société française d’histoire de la Médecine : Pr Michel Germain et Dr André Fabre.
- Société internationale d’histoire de la Médecine : Dr André Fabre (délégué pour la France), Dr Xavier
Riaud.
- Société française d’histoire de l’art dentaire : Dr Jean-Pascal Durand (chirurgien-dentiste).
- Groupement des Ecrivains Médecins : Pr Michel Germain, Drs Vincent Bouton (médecin) et André
Fabre, Mme Isabelle Cavé (universitaire).
Seront également présents :
01 mai 2016
-
Drs Regis Nessim Sachs, Gilbert Guiraud, Mathieu Rayssac (médecins), Mélanie Decobert,
Mathieu Bertrand et Clément David (chirurgiens-dentistes).
-
Pr Michel Chauvin (chirurgien).
-
M. Patrick Pognant (universitaire).
-
M. Bernard de Marsangy (haut fonctionnaire).
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Programme :
- Les auteurs dédicaceront leurs ouvrages.
- Communications :
9h00 – Accueil des auteurs.
9h15 – Xavier Riaud « Présentation et bilan sur 10 ans d’existence de la Collection Médecine à travers
les siècles ».
9h30 – Vincent Bouton « La méningite de François II ».
9h45 – André Fabre « De grands médecins méconnus ».
10h00 – Michel Germain « Histoire des tables chirurgicales ».
10h15 – Gilbert Guiraud « André Breton, médecin malgré lui ».
10h30 – Serge Kernbaum « Alastrim ».
Pause
11h00 – Clément David « Hygiène bucco-dentaire du XVIIe au XIXe siècle en France ».
11h15 – Xavier Riaud « Et si la Seconde Guerre mondiale nous était racontée autrement… ».
11h30 – Patrick Pognant « La folle clinique sexuelle du Professeur Pxxx ».
11h45 – Isabelle Cavé « Les médecins-législateurs et le mouvement hygiéniste sous la IIIe République ».
12h00 – Dominique Le Nen « L’anatomie au creux de la main ».
Repas
14h00 – André Fabre « Les médecins et la politique ».
14h15 – Michel Germain « Musiciens célèbres malades ».
14h30 – Jean-Pascal Durand & Xavier Riaud « L’Odontotechnie ou l’art du dentiste (Réédition du livre
de 1825 de Julien Marmont) ».
14h45 – François Resche « Le papyrus médical d’Edwin Smith ».
15h00 – Michel Chauvin « Le geste qui sauve ».
15h15 – Mathieu Bertrand « Horace Wells et William T. G. Morton ».
Pause
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16h00 – Dominique Le Nen « Léonard de Vinci, un anatomiste visionnaire ».
16h15 – Mélanie Decobert « Odontologie médico-légale et Seconde Guerre mondiale ».
16h30 – Regis Nessim Sachs « Les médecins juifs du Xe au XVIIe siècle ».
16h45 – Bernard de Marsanguy « Une psychiatrie du XIXe siècle ».
17h00 – Xavier Riaud « Napoléon Ier et ses dentistes ».
17h15 – Mathieu Rayssac « Les médecins de l’assistance médicale en Indochine ».
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Interlude musical (petite formation de musique classique).
18h15 – Bref rappel des 3 livres primés dans la collection par le Dr Xavier Riaud :
-
Xavier Riaud, Napoléon Ier et ses médecins, Prix de l’Association des Amis du Musée du Service de Santé des Armées au Val-de-Grâce, 2012.
-
André Fabre, Haschisch, chanvre et cannabis : l’éternel retour, Prix Ampli-Groupement des
Ecrivains médecins, 2013.
-
Apolline Trioulaire, Sainte Apolline, sainte patronne des dentistes et de ceux qui ont mal aux
dents, Prix Georges Villain d’histoire de l’art dentaire, 2014.
18h30 – Remise de prix par le Dr Xavier Riaud :
-
Prix Georges Villain 2016 du meilleur travail d’histoire de l’art dentaire (Président jury : Dr Xavier Riaud ; membres jury : Pr Michel Germain et Dr André Fabre).
-
Prix du meilleur livre de la collection Médecine à travers les siècles à l’issue des 10 ans
d’existence ;
-
Prix de l’auteur le plus prolifique de la collection Médecine à travers les siècles à l’issue des 10
ans d’existence.
19h00 – Clôture (verre de l’amitié).
Repas de gala avec les auteurs et leurs proches.
Prochain numéro :
01 mai 2016
1er Juin 2016
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