Backgrounds se composent d`un ensemble ouvert d`images
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Backgrounds se composent d`un ensemble ouvert d`images
BACKGROUNDS Backgrounds se composent d’un ensemble ouvert d’images débuté en 2010. Travail personnel, il prend cependant naissance dans des travaux de commande. Dans les images commerciales, la mise en valeur des objets passe notamment par l’élaboration d’un environnement plus ou moins élaboré. Mon langage personnel pour ce dernier se concrétise le plus souvent par un assemblage de formes et de lignes géométriques créées par la confrontation de plans colorés composés de plaques de miroir, de plexiglas ou de forex. Dégagés de leur fonction promotionnelle, ces «décors» acquièrent le statut d’œuvre à part entière et attribuent d’une certaine façon au processus de travail de la commande commerciale le statut de geste artistique autonome. La composition de ces fonds prends ainsi une double importance dans la mesure où ces derniers vont changer de statut selon si le regard est centré sur un objet qui y est placé au centre ou s’il se présente uniquement dans son essence architectonique. La différence réside dans la fonction. Néanmoins, Backgrounds ne se limite pas à ce simple déplacement de la perception visuelle. Il se réfère également à l’art concret avec qui il partage plusieurs des conditions édictées dans ses manifestes: Du premier, rédigé par Théo Van Doesburg en 1930 il faut retenir que « rien n’est plus concret, plus réel qu’une ligne, qu’une couleur, qu’une surface ». Du second, plus détaillé, mon travail précise le point selon lequel« l’art concret prend forme avec l’aide de la couleur, de l’espace, de la lumière, du mouvement». EDITORIAL MAGAZINE EDELWEISS 2010 EDITORIAL MAGAZINE EDELWEISS 2010 EDITORIAL MAGAZINE EDELWEISS 2010 CLIENT BODUM 2011 CLIENT BODUM 2011 VISUEL CRÉER POUR LA SOIRÉE GRAPHIQUE NO 4 ISSUE D’UNE AFFICHE DE TAMARA JANES KOMET 2011 CLIENT ASSOCIATION M CUBE PATCH COLLECTION STYLISTE TRUMPET BY MEISTER 2011 CLIENT ASSOCIATION M CUBE PATCH COLLECTION AFFICHE 2011 EDITORIAL MAGAZINE ENCORE! 2011 PAIN MAKES YOU BEAUTIFUL «Dans notre société la plasticité du corps est devenue un lieu commun. L’anatomie n’est plus un destin mais un accessoire de la présence, une matière première à redéfinir, à soumettre au design du moment.» Lukas Zpira Avec ce travail photographique j’ai voulu rassembler deux mondes qui se placent ordinairement en opposition dans notre société, mais qui se ressemblent et qui naissent de la même motivation : chercher à plaire aux autres et à soi-même. Désormais, il n’y a plus vraiment de différence entre la femme qui va se faire une augmentation mammaire, et celui qui va se faire tatouer. Toutes les deux cherchent une certaine perfection et veulent ressembler à un modèle prédéfini ou appartenir à un groupe. Le corps devient malléable. Grâce à la technologie, aussi bien virtuelle que médicale, la réalité peut se rapprocher de notre volonté d’être et de paraître. La possibilité d’intervenir sur notre aspect est une capacité proprement humaine. Dans certaines sociétés la modification corporelle ne symbolise-t-elle pas le passage de l’être animal, qui n’a pas conscience de son aspect physique, à l’être humain qui s’approprie son identité corporelle ? Daniela Droz / Travail de diplôme ECAL 08 / Livre de 87 pages Il n’y a que le premier pas qui coûte. Mais combien? Impossible de le savoir à l’avance. Se paiera-t-il en regrets? Peut-être. En argent? Sûrement. Il doit cependant y avoir une suite. Puis deux. C’est la raison pour laquelle, après tout, on parle de «premier pas». Il y a une trentaine d’années, tout restait mystérieux. Personne ne parlait d’implants. Les piercings se limitaient sagement aux oreilles, voir à une oreille unique (la gauche), et on ne tirait pas dessus pour agrandir les trous. Quant aux tatouages, ils demeuraient faits de bribes et morceaux, genre vieille couverture en patchwork. Faute de revues spécialisées, personne (ou presque) n’avait pu admirer de corps décoré selon une certaine logique. Le Japon restait voué à l’ethnographie. Quant à la Nouvelle-Zélande et aux Iles Marquise, peu de gens auraient été capables de les situer sur une carte. Rien. On n’avait alors rien vu. Pour obtenir un rendez-vous, pas trop loin de chez soi, c’était déjà toute une affaire dans les années 70. Les adresses se donnaient, faute de s’offrir au regard. Les quelques tatoueurs romands proposaient des «flashs», punaisés aux murs. Il fallait s’adapter à ces images, à moins «d’amener son modèle». On s’habillait du coup en prêt-à-porter. Un motif suivait l’autre, sans souci des raccords. Quant aux couleurs, car tout se voulait en couleurs à l’époque, elles souffraient parfois à la cicatrisation. Certains faiseurs de «bouzilles» n’y allaient pas avec des gants. Des gants, d’ailleurs, personne n’en portait encore. Dans ces conditions, il n’existait pas de projet. Chacun avançait en terre inconnue, même si cette terre était faite de ses bras, de ses jambes et de son dos. Il faudra la parution des premiers magazines, vers 1985, pour réaliser qu’à l’amateurisme de l’artiste et du client pouvait succéder des motifs coordonnés. Dommage qu’on ne l’ait pas su avant, mais tant pis! Maintenant, on allait continuer avec un plan de travail, en s’offrant des recouvrements au passage. De terrain d’essai, la peau se muait en chantier permanent, mais coordonné. Ce qui est permanent prend du temps. Les idées volent dans l’air. Il a fallu apprendre, en ce temps là, à ne pas changer d’inspiration alors qu’il en surgissait toujours de nouvelles. A maintenir le cap, afin de ne pas commencer la cuisse en japonais pour finir avec le mollet biomécanique. A faire symétrique. Et surtout à risquer gros. Très gros. Une suite de tatouages, après tout, doit nettement se distinguer d’une collection de timbres-poste. Du coup, les limites se sont progressivement mises à reculer. Pourquoi arrêter le bras juste au-dessous du coude? Qu’est-ce qui empêche de couvrir le pied? Et la main, maintenant que le poignet déborde? De visible, le motif a ainsi pu devenir voyant. Quelle différence cela fait-il, quelques centimètres de plus? Et puis le cou est aussi un bel endroit. Du tatouage sur le cou, on en arrive ainsi au cou tatoué. Notez la différence. Normalement (anormalement diraient déjà bien des gens), l’audacieux s’arrête là. Fin des travaux! Il reste pourtant le visage, qui est une partie expressive, comme l’ont bien compris les Maoris et d’autres insulaires moins connus. C’est le plongeon dans l’inconnu, évidemment, mais on a pris l’habitude de sauter, en dix ou quinze ans. Les hésitations sont faites pour se voir balayées. Cette fois-ci, j’y vais! J’en ai tellement envie. L’aiguille laboure le front, puis les ailes du nez. On éternue. Ce qui est fait est fait. Il n’y a plus qu’à s’adapter. Cette fois-ci on y est, presque seul à avoir été jusqu’au bout. Après deux décennies, la couleur a envahi jusqu’aux oreilles, maintenant couvertes de flammes et ourlées de noir. Il n’y a plus un millimètre carré de libre. L’idée rend vite triste. Finir, c’est mourir un peu. Mais pourquoi finir? Les piercings connaissent depuis la fin des années 1990 des prolongements inattendus. Il y a le nez. Il y a la lèvre. On peut grossir l’orifice. Toujours davantage. Un travail frustrant au début. Ce n’est qu’au moment où l’on compte en centimètres que les choses deviennent intéressantes. Jusqu’où peut-on aller? Et puis un jour ça y est. Le nez, quoique très réfractaire, a fini par s’écarter, même si ce n’est jamais assez. Les oreilles se sont gonflées, l’une (la gauche) nettement plus que l’autre du reste. Le labret explose à la satisfaction générale. Deux centimètres et demi de diamètre, en attendant bien plus. Le plateau à l’africaine s’il le faut. Si le corps a ses limites, l’imagination n’en connaît heureusement aucune! En attendant les dilatations ultimes, dignes des manuels d’ethnologie, d’autres revues et des sites ont aidé à compléter la panoplie. On ne fait pas que «stretcher» la peau, de nos jours. On implante. Entre votre peau et vous, il y a désormais des billes, des cornes ou des anneaux. Des billes qui augmentent de volume, en plus! Nous voilà en effet revenus au lent parcours obligé. Une taille après l’autre. L’enveloppe corporelle se soulève peu à peu, avec la même question lancinante. Est-ce que je m’arrête un jour, ou faut-il refuser les limitations? Comment répondre, alors que le corps est à la fois devenu l’ami intime et le pire ennemi? Et puis, dans l’idéal, il y a toujours une suite. Qu’est-ce que je ferai, quand tout sera implanté? Après avoir creusé le corps, il s’agit de creuser la question. Une chose semble sûre. L’appétit vient en mangeant et l’on a déjà dévoré. Trop, ce n’est jamais assez. Trop, c’est tout au plus un début. Témoignage d’Etienne Dumont, journaliste de «La Tribune de Genève» Nos sociétés valorisent aujourd’hui le souci de « changer son corps » sous une forme ou sous une autre. La modification profonde du statut du tatouage ou du piercing dans les années quatre-vingt dix marque simultanément la promotion du corps comme instance première de la consommation et souci de s’individualiser parfois en parcourant les mêmes allées marchandes ou bien en essayant de se construire un personnage. La culture traditionnelle du tatouage, celle qui demeure dominante jusque dans les années soixante-dix, quatre-vingt, relevait surtout d’une culture populaire masculine et hétérosexuelle visant à affirmer la virilité, la force de caractère, l’agressivité, etc. Elle se donnait en opposition à la culture bourgeoise. Elle se voulait rebelle ou excentrique. Dans le courant des années quatre-vingt s’amorce une culture des modifications corporelles débordant le tatouage pour investir les piercings, les implants, les brandings, burnings, cutings, etc. et touchant de manière privilégiée les communautés gays, lesbiennes, SM, fétichistes, etc. Puis, dans les années quatre-vingt dix, le recrutement s’élargit à une population tout venant. Aujourd’hui l’ampleur culturelle des modifications corporelles dit également cette volonté de s’ « approprier » son corps pour devenir enfin soi. Le supplément introduit par l’individu à la surface de sa peau restaure à ses yeux une dignité à un corps insuffisant sinon à accueillir ses aspirations. En quelques années l’engouement pour les modifications corporelles a inversé les anciennes valeurs négatives qui lui étaient associées qu’il s’agisse des marques corporelles ou du culturisme. Simultanément, le signe cutané est une prise de marque avec un monde qui échappe en grande part. Il s’agit de remplacer des limites de sens qui se dérobent par une limite sur soi, une butée identitaire pour se reconnaître. La modification corporelle devient un badge identitaire, une signature de soi. Nombre de nos contemporains trouvent leur identité grâce à elle. Sans elles ils disent qu’ils ne seraient plus rien et ne pourraient avec autant de force se distinguer des autres. Daniela Droz a ainsi suivi une poignée d’homme ou de femmes qui sont les artisans majeurs d’une relation inédite au corps, des hommes ou des femmes allant loin dans l’exploration de soi. Tatoués ou piercés en de multiples endroits et faisant de leur corps une œuvre d’art ou bien en suspension, en pleine extase, dans le contrôle de leur douleur, en quête d’une spiritualité n’appartenant qu’à eux. Les photos de Daniela Droz saisissent des visages, des mains, des corps comme à fleur de peau à travers un singulier mélange de proximité et de distance. Elles enregistrent des moments d’apesanteur de leur présence au monde, comme si les personnages étaient intériorisés, à la fois infiniment présents sur la scène qui les enregistre, mais participants simultanément d’une autre réalité. Le noir et blanc ajoute au hiératisme des situations. L’aura des marques est comme flottante dans le grain de ces photos qui portent le poids d’une sorte de gravité de la présence. Ce sont des photos habitées d’un regard et qui restituent avec force le grain de la peau et la singularité de ces hommes ou de ces femmes. David Le Breton Professeur de sociologie à l’université Marc Bloch de Strasbourg DESSOUS DANCE DANCE DANCE