Fabrica 0464 Malek Gnaoui Dates de l`exposition | 30.05 au 28.06

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Fabrica 0464 Malek Gnaoui Dates de l`exposition | 30.05 au 28.06
 Fabrica 0464
Malek Gnaoui
Dates de l’exposition | 30.05 au 28.06.15
Agnus Dei blanc par ismaël
Narcisse et écran
s’illuminant l’un l’autre
blanc sur blanc.
Bashō
Si l’on pose après Newton que le blanc est la somme lumineuse de toutes les
couleurs, « Carré blanc sur fond blanc » serait donc la peinture qui contient le plus de
couleurs. Le tableau de Malevitch les contiendrait toutes, deux fois plutôt qu’une. De
plus, ces deux blancs en recouvrent un troisième, celui de la toile vierge. La pensée
germanique a contesté (Goethe), nuancé (Schopenhauer), dépassé (Wittgenstein), le
traité et la théorie scientifiques de la lumière et des couleurs du physicien
britannique. Puis un suprématiste russe a fait le reste. Si le blanc n’était qu’une
lumière composée, « Carré blanc sur fond blanc » se verrait dans le noir. Or le blanc
n’existe pas, il n’y a que des blancs. Le tableau de Malevitch en contient deux. Et
l’exposition personnelle de Malek Gnaoui propose une variation de blancs sur un
même thème.
L’ « Agnus Dei » en sol mineur, n° 26 de la Messe en si mineur de Bach, jamais
donnée en office car trop longue, plus spécialement l’ « Agnus Dei » (peut-être parce
que c’est le seul numéro composé dans un ton éloigné des 26 autres numéros de la
messe), est une musique d’une plasticité rare. L’alto solo venant s’ajouter aux deux
lignes mélodiques des cordes et du continuo composent une matière musicale
flottante. La musique est une forme qu’on ne voit pas mais l’ « Agnus Dei » de Bach
fait naître dans l’espace des volumes de sensations comme dans une expérience
synesthétique dont il serait l’alchimiste sensoriel. Bach est le premier compositeur
plasticien.
« Fabrica 0464 » est une musique que l’on voit composée à partir de notes de
blancs. Musique que l’on pourrait nommer « Œuvres blanches devant murs blancs
dans lumières blanches ». Ainsi, la composition sérielle de la plupart des travaux
comme par exemple « BS. 99’s » (le nombre 99 renvoyant aux 99 noms de dieu et
par extension aux 99 perles en bois, ivoire ou tout autre matériau, contenues dans un
chapelet) créée une musicalité immédiate. Cette musicalité est accentuée par une
rythmique sous-jacente qui structure l’ensemble de l’exposition.
En français, le vers blanc est une versification sans rimes. Cette figure existe dans
d’autres langues comme l’allemand et en anglais on appelle blank verse un
pentamètre iambique non rimé. Cette forme imparfaitement apparue dans telle ou
telle poésie (elle est fréquemment utilisée chez Shakespeare mais est liée en France
aux écritures modernes apparues à la fin du XIXème siècle) n’en demeure pas moins
une structuration rythmique, non pas à travers des rimes régulières mais à travers un
agencement phonique moins visible qui se révèle par glissement, contamination et
réminiscences.
Ainsi opère la poétique de Malek Gnaoui. Les assonances sémantiques et
conceptuelles débordent des œuvres stricto sensu pour en contaminer d’autres. La
forme est pratiquement la même (à dimensions différentes) dans « B.S. Aïd II » et «
B.S. Moving points ». Quand à l’idée d’ultra-surveillance, elle est perceptible dans les
écrans décuplés de « B.S. Fabrica » et dans « B.S. </html> ».
« Fabrica 0464 » est donc comme l’ « Agnus Dei » de Bach, une matière sonore
flottante, à la fois musicale et poétique. Et comme pour le tableau de Malevitch, il faut
s’approcher pour distinguer les différentes tonalités. L’espace de la galerie pouvant
se rapprocher d’une gigantesque installation à l’intérieur de laquelle l’expérience
inédite de la blancheur se vit et se pense. L’espace devient une matière laiteuse où
le déplacement est un enjeu à la fois du corps et de sa capacité de perception. Car
distinguer le blanc d’une œuvre de celui de la lumière de celui du mur équivaut à
percevoir la forme visible qui se dérobait il y a un instant au regard.
Phénoménologiquement, c’est un processus continuel de révélation qui se déploie
devant nos yeux. Ces apparitions/disparitions sont encore marquées par la
séparation des différentes salles de la galerie par des rideaux à lanières
transparentes.
Si la texture de la matière, ses reliefs et ses accidents, donnaient corps à l’outrenoir
de Soulages, c’est la forme de la céramique qui donne corps à l’intrablanc de
Gnaoui. Il ne s’agit plus d’aller voir au-delà du noir, il s’agit d’aller voir à l’intérieur du
blanc, mais pas seulement. Il s’agit dans un processus d’immersion totale où les cinq
sens sont convoqués, d’expérimenter la barbarie qui se cache à l’intérieur de la
beauté, de gouter au sang qui coule sous les oripeaux du progrès civilisationnel.
Le travail de Malek Gnaoui porte sur les liens entre aliénation contemporaine et
systèmes de valeurs ancestraux à travers une relecture de la céramique et de la
figure du mouton telle que véhiculée par la religion et les croyances populaires.
Aboutissement de plusieurs années de recherches plastiques et politiques, « Fabrica
0464 » prend la forme d’une variation sur un même produit : Black Sheep. Dans un
monde aseptisé, le mouton noir, figure centrale dans le travail du céramiste, devient
produit de consommation décliné de façon frénétique en logo, en parfum, en
spectacle et ainsi de suite jusqu’à ce que mort s’en suive. De son côté, l’artiste est le
metteur en scène de sa récupération par le marché de l’art, c’est-à-dire in fine
metteur en scène de sa propre mort en tant qu’artiste libre. Loin d’être un hasard, «
BS. Dead meat » - cinquième autoportrait de l’artiste - est pour la première fois un
autoportrait en carcasse.
Plongée radicale et sensorielle dans les profondeurs de l’hypercapitalisme,
l’exposition se clôt sur « BS. </html> ». Ecran diffusant les images d’une caméra de
surveillance placée dans la dernière salle de la galerie. Les spectateurs s’y voient
derrière un voile blanc sur lequel est inscrit « Black sheep » dans une tonalité
différente de blanc. A l’intérieur de ces trois blancs superposés (celui de la lumière
diffusée depuis l’écran et traversant les deux blancs du vinyle) il y a le point
culminant de la barbarie. A l’intérieur du fascisme hypercapitaliste se cache ce que
personne ne veut voir : les individus aussi ne sont plus rien d’autres que des produits
manufacturés et mis sur le marché par la finance. Jamais « blanc sur blanc » n’a été
aussi noir.

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