En voici quelques échos

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En voici quelques échos
Toute «l’Orgia» des Borgia par Stéphanie
"La maternité purifiant la difformité morale, voilà Lucrèce Borgia.", écrit Victor Hugo dans
la préface d'une de ses œuvres les plus déconcertantes. En effet, en assistant à Lucrèce Borgia
on ne peut qu'être abasourdi devant tant d'horreur et tant de peine. D'un point de vue éthique,
cette œuvre est une aberration que je déconseillerais fortement aux âmes pures, quoiqu'elle
puisse les désillusionner à propos de la nature humaine !
Lucrèce Borgia est un mélange abominable et répugnant de choses atroces et contraires à
toute morale : traîtrise, vengeance, machination, quiproquo, meurtre, sauvagerie, orgie et
même inceste en font partie, c'est-à-dire, tout ce qu'il y a de plus hideux selon les normes de la
société. Le mal est présent, toujours prompt à étrangler ou empoisonner n'importe qui. Mais à
ce mélange effrayant s'ajoute un sentiment sublime et pur, tel une étincelle au milieu des
ténèbres : l'amour maternel !
Lucrèce est monstrueuse, mais elle est un effet de la monstruosité des hommes autour d'elle.
Lorsqu'elle tente une rédemption, elle est rattrapée par son identité et son passé. Et s'il ne reste
encore quelque bon sentiment chez cette femme, c'est son amour absolu et irrévocable par son
fils Gennaro et c'est par là que Victor Hugo arrive à nous faire apprécier les monstres. Le
meurtre final est notamment une scène marquée de haine, mais aussi, une scène d'amour.
Cependant, la représentation manque un peu d'explicite. Elle laisse peut être un peu à
désirer du côté de l'horreur et abuse de cet unique élément noble, de sorte que par une vision
trop gentille, on passe à côté de l'immoralité, visée par Hugo. On finit par idéaliser l'ensemble
qui nous paraît moins terrible qu'il ne l'est, en réalité.
Je reste néanmoins en admiration et garde une délicieuse épouvante devant toute « l'orgia »
des Borgia.
Et la moralité dans cette histoire ? par Victor
La pièce raconte l’histoire de cinq compagnons d’armes, en Italie qui vivent d’aventures, de
batailles et de vols. Un jour, ils vont croiser le chemin de Lucrèce Borgia et leur destin va
basculer brutalement. Parmi eux, Gennaro, le meneur, le fanfaron de la troupe, va tomber
amoureux d’une femme, Lucrèce trop souvent cachée derrière un masque. Au fur et à mesure,
cet amour va l’entrainer dans une spirale de malheurs ; il se fera empoisonner, verra ses amis
mourir sous ses yeux puis finalement se vengera de Lucrèce avant de comprendre qu’il est en
réalité ….. son fils !
Au travers de cette œuvre, Victor Hugo nous délivre une morale qui ne manque pas de nous
rappeler celle de Lorenzaccio d’Alfred de Musset dans laquelle nous retrouvons un lot de
meurtre, de plaisirs, de conspirations…... On peut aussi rapprocher Gennaro d’Œdipe car
comme le Roi de Thèbes, il est non seulement tombé amoureux de sa mère sans savoir qui
elle était, mais il l’assassinera.
Finalement, de cette soirée au théâtre, je retiendrai combien le mensonge, le silence, les
préjugés, la confusion des rôles dans une famille peuvent précipiter les êtres dans un
cauchemar sans fond. On n’échappe pas aux masques que les autres nous plaquent sur le
visage. Lucrèce ne pourra aimer son fils, Gennaro ne pourra aimer sa mère !
La morale porte aussi sur les préjugés, les masques du physique. Lucrèce est une femme belle,
envoutante, Gennaro ne se méfie pas et ne pense pas une seconde qu’elle peut être de la
famille Borgia.
Où es-tu Lucrèce ? Par Ophélie
« Eh bien, qu'est-ce que Lucrèce Borgia? Prenez la difformité morale la plus hideuse, la plus
repoussante, la plus complète, placez-la, là où elle ressort le mieux, dans le cœur d'une femme,
avec toutes les conditions de beauté physique et de la grandeur royale, qui donnent de la saillie
au crime, et maintenant mêlez à toute cette difformité morale un sentiment pur, le plus pur que
la femme puisse éprouver, le sentiment maternel; dans votre monstre mettez une mère; et le
monstre intéressera et le monstre fera pleurer, et cette créature qui faisait peur fera pité, et cette
âme difforme deviendra presque belle à vos yeux. » a écrit Victor Hugo dans sa préface de
Lucrèce Borgia.
Ainsi, Victor Hugo présente l'héroïne comme une femme démoniaque, prête à toutes les
infamies pour garder le pouvoir et, en même temps, comme une mère meurtrie, ne pouvant
aimer ouvertement ni être aimée de son enfant. Dès lors, en tant que spectateur, notre attente
première n'est autre que de percevoir cette dualité, cette complexité propre à Lucrèce Borgia.
Nous sommes dans l'attente d'une Lucrèce à la fois violente et douce, à la fois bourreau et
victime. L'actrice incarnant alors Lucrèce Borgia se doit de jouer ses deux extrêmes à la
perfection, de passer d'un état de férocité, de sauvagerie, de brutalité inouïe à une modération,
une tendresse, une bienveillance, une humanité brusque et exceptionnelle. Or, dans la mise en
scène de Lucie Berelowitsch à laquelle j'ai assisté, Marina Hands qui joue le rôle principal de
Lucrèce Borgia m'a profondément frustrée et mécontentée. L'actrice n'interprète pas ce
légendaire décalage. La mère affectueuse est amplement représentée mais à aucun moment,
Marina Hands n'entre dans une fureur incontrôlable nous exposant alors l'autre visage de
Lucrèce Borgia, un visage dur et cruel. Cette dernière semble toujours paisible, sereine. Elle
n'entre jamais dans une exaltation indomptable. Et c'est ce jeu sans dualité de Marina Hands,
cette interprétation simple qui me parait regrettable.