L`aménagiste, automne 2008 Marie-Claude Robert, consultante en
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L`aménagiste, automne 2008 Marie-Claude Robert, consultante en
L’aménagiste, automne 2008 Marie-Claude Robert, consultante en architecture de paysage. Directrice générale de l’Association des architectes paysagistes du Québec (AAPQ) Mieux comprendre le paysage, pour ouvrir le dialogue sur l’aménagement Le paysage est un lieu de confluence des disciplines de l’aménagement, car toute question de mise en valeur du paysage interpelle chaque professionnel dans son champ d’action respectif. Il l’invite à reconsidérer son implication dans ses projets et à donner une valeur ajoutée à son action. Bâtir des paysages, c’est viser un milieu de vie plus harmonieux en dépit des exigences contradictoires de notre forme de développement. Ceci implique pour tout professionnel de l’aménagement de « changer de lunettes », de délaisser, pour un temps, normes et certitudes et de partir à la découverte des paysages que l’on oublie trop souvent d’observer, trop occupé ailleurs à régler des problèmes courants. C’est l’occasion qui a été donnée à la MRC des Laurentides qui, prise dans la flambée de développement de son territoire à vocation touristique, s’est inquiétée du maintien de la qualité de ses paysages. Effectivement, la plupart des régions touristiques ont vécu la même situation critique. Des paysages d’une qualité exceptionnelle, tant vantés auprès de la clientèle touristique, se délabrent et perdent l’essentiel de leur valeur en raison de formes de développement qui échappent à tout cadre de planification concerté. Très consciente du défi de conserver une qualité de paysage laurentien à la hauteur de la réputation touristique de la région, notamment en regard de la présence d’une destination touristique de calibre international (Station Mt-Tremblant et le Parc du Mont-Tremblant), la région s’est mobilisée. La première urgence qui fut identifiée par la MRC des Laurentides l’a conduit à documenter la capacité de support du milieu. C’est dans cette optique qu’a été prise la décision de caractériser les paysages traversés par l’important réseau routier donnant accès aux principaux foyers de développement touristique de la région. Il en est du paysage comme de tout autre champ de connaissance. Il n’y a qu’une façon d’aborder l’épineuse question de sa mise en valeur, celle de se doter d’un outil pour mieux le comprendre. Encore mieux, pourquoi se priver de travailler avec l’artisan qui débarque avec sa boîte à outils, l’architecte paysagiste. Dans ce dossier, la MRC des Laurentides a travaillé successivement avec Daniel Arbour et Associés (2005) et avec Planicité (2007) pour en arriver à se doter d’une première reconnaissance de terrain avec diagnostic, recommandations d’intervention et réglementation à l’appui et à développer des plans d’aménagement pour fouiller les situations prioritaires sur le territoire. La caractérisation des paysages est le passage obligé des diverses facettes de l’aménagement, car c’est à partir du résultat « in situ » que l’on peut juger de l’état du patient et procéder aux changements de régime qui s’imposent. Eh oui! Il en est ainsi. Toutes les normes, règlements et autres formes d’encadrement ont ceci en commun. Elles sont sectorielles et – si nous reprenons l’analogie médicale – sont susceptibles d’entraîner des effets pervers que même le meilleur aménagiste ne pourra jamais annuler. Dans ce contexte, l’architecte paysagiste a comme rôle de mettre sa sensibilité et ses outils méthodologiques au service de la lecture et de l’interprétation des composantes du paysage. À cette étape de travail, il est très intéressant de coopérer avec le maximum de professionnels de l’aménagement familiers avec le territoire. En ce sens, la MRC des Laurentides a très bien joué son rôle. Les rencontres ont mis en lumière et permis de discuter de nombreuses zones grises touchant les pratiques d’exploitation forestière, la qualité discutable de design des récents tracés routiers de Transport Québec, des conséquences problématiques de certains aspects de la réglementation d’urbanisme et les tensions qui minent trop fréquemment l’effort de planification. L’exercice fut également l’occasion de révéler des petits bijoux de paysage qui étaient passés sous silence au schéma d’aménagement et dont la destinée future imposait leur signalement, ainsi que diverses mesures de mise en valeur. Il a surtout – et c’est là que la démarche devient intéressante – permis de préciser les orientations d’intervention définies par un nouveau point de vue, celui du paysage, à partir duquel concerter l’ensemble des acteurs actifs sur le territoire. Dans la suite naturelle de ce dossier, la MRC des Laurentides s’est concentrée sur le corridor névralgique et problématique de l’autoroute 15 et de la route 117 qui s’y greffe afin de formuler une signature distinctive des traversées d’agglomérations et requalifier cet axe routier dont le cadre naturel a été durablement phagocyté par l’urbanisation disparate de ses abords. Plus concrètement, on peut observer une tendance croissante de la banalisation du domaine bâti en bordure de la route, en raison des formes d’implantation et des formes d’architecture qui rappellent une réalité banlieusarde, comme on en voit un peu partout le long des grands axes routiers en région métropolitaine. L’exemple du Secteur St-Jovite, à l’entrée de la Station, est éloquent. Des propositions d’aménagement ont donné forme à ces nouveaux lieux urbains « revisités ». C’est à mon avis un travail important de l’aménagiste de pouvoir mettre en image l’espace qu’il contribuera à créer. Cette démarche est indissociable du cadre réglementaire du zonage dont l’aridité n’a d’égale que son abstraction; utile par son mordant et sa rigueur, le zonage ne se suffit cependant pas à lui-même. Je ne veux surtout par dénigrer cet aspect éminemment pratique, mais j’ai la conviction que le défi des régions comme celui des villes est de recentrer la pratique de l’aménagement sur le projet, comme le propose cette démarche de mise en valeur des paysages de la MRC des Laurentides. Cet exercice, dans la durée, implique un certain courage pour l’architecte paysagiste car il impose de rallier les acteurs – incluant société civile et corps politique, sans oublier tous ceux qui animent l’économie régionale et en profitent – autour d’une vision d’aménagement qui ait suffisamment de souffle pour s’articuler sur l’horizon du long terme. Ces projets sont autant de propositions qui font image et offrent le potentiel de débattre du choix d’aménagement et de créer une culture du paysage propre au Québec. Car, force est de constater que la courte expérience de l’aménagement planifié du territoire québécois – 30 ans de législation en aménagement du territoire, c’est hier dans l’horizon de toute civilisation – a été vécue par des cohortes de professionnels peu expérimentés et mal outillés. Actuellement, nous débouchons sur une réflexion nettement plus riche et mûre dans laquelle la question du paysage profite d’un milieu mieux préparé et conscientisé. Heureusement, l’aventure n’en est qu’à ses débuts. Eh oui ! On peut observer que l’attrait pour la question des paysages sous-tend plus que jamais un désir collectif de construire sa propre identité combinant l’enracinement d’un patrimoine européen à une forme américaine de l’espace (1). Actuellement, on peut compter sur une frange créatrice de jeunes professionnels qui sont plus friands de partager une vision collective de l’aménagement que de défendre leur partisannerie corporatiste. Ils s’approprient à leur rythme le sens concret du développement durable et auront un impact assuré dans les milieux qu’ils animent. Ce sont eux que nous devons penser à outiller pour une, toujours meilleure, mise en valeur de nos paysages. Le projet a été piloté par Richard Morin et Chantal Giroux, aménagistes de la MRC des Laurentides. Les architectes paysagistes qui ont travaillé à ce dossier sont Yvan Lambert, Marie-Claude Robert et André Moreau. Le travail a été accompagné de recommandations et d’une révision de la réglementation d’urbanisme réalisées par Pierre Côté et François Saint-Germain, urbanistes. (1) L’échelle américaine (il s’agit ici du continent) de l’espace détermine une appropriation du territoire considérablement éloignée de l’Europe. À titre d’exemple, au Québec, une ferme de 40 hectares est une taille de référence alors qu’en France, le même agriculteur devra souvent composer avec une terre de moins de 4 hectares. À Montréal, le parc Lafontaine couvre une superficie de 40 hectares alors, qu’en Europe, cette situation est un cas d’exception. Il faut ajuster notre perception lorsqu’il est question de faire jouer la comparaison de nos modes d’occupation de notre territoire. Même si l’effet du développement économique sur les deux territoires offre une similitude croissante avec les décennies, la mise en valeur de nos paysages se révèle comme un facteur culturel significatif qui nous distingue et qu’il reste à nos aménagistes de révéler. C’est ce j’appelle la culture du paysage.