La Crucifixion du Parlement de Toulouse

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La Crucifixion du Parlement de Toulouse
Secondaire
Polychromies secrètes :
La Crucifixion du Parlement de
Toulouse
La Crucifixion du Parlement de Toulouse a la particularité d’être accompagnée de deux
donateurs royaux. Le Christ, monumental, est entouré de la Vierge et de saint Jean en prière. Il
occupe le centre de la composition. A chaque extrémité de la croix, les symboles des quatre
évangélistes sont insérés dans des médaillons. Au pied de la croix, les donateurs royaux, plus
petits que les personnages saints, sont représentés agenouillés et en prière. A l’arrière-plan, on
distingue un groupe de soldats et de cavaliers au cœur d’une végétation assez aride, devant
une ville fortifiée, représentation de la Jérusalem céleste. Le panneau représente deux étapes
de la Passion puisque l’on voit sortir de la ville le cortège de soldats qui a mené le Christ et les
deux larrons vers le calvaire.
L’identité du commanditaire du Christ en croix comme celle de l’artiste sont incertains.
Le Christ en croix était entreposé dans la Grande Chambre du Parlement des Etats du
Languedoc, au château Narbonnais. Pendant la Révolution française, s’il échappe au bûcher
patriotique du 10 août 1793, il est néanmoins détérioré par le vandalisme révolutionnaire.
L’œuvre entre au dépôt des Augustins qui devient musée en 1794. La Crucifixion du Parlement
de Toulouse est retrouvée dans une galerie, en 1853, très dégradée par l’humidité. Depuis
1979, l’œuvre est reléguée en réserve ; une nouvelle restauration est décidée en 2001.
Aspects techniques
Le support en bois, un assemblage de trois planches, était censé rester suffisamment rigide
pour que l’artiste ait choisi d’y appliquer au moins cinq couches d’un apprêt dur, composé de
colle et de craie (le gesso). (préparation blanche)
La composition a été mise en place sur l’enduit lisse par le dessin et des incisions destinés à
localiser les formes devant être dorées. Le dessin souple et rapide précise les silhouettes, les
traits des visages, les contours des accessoires mais aussi les modelés par des hachures.
L’examen stratigraphique a permis d’observer un repentir dans le dessin de la tête du Christ.
Les premiers éléments mis en place sont la croix avec le Christ, saint Jean et la Vierge, les
donateurs et les blasons, les cavaliers. On peut retrouver des cernes originaux correspondant
au dessin et les incisions donnant les limites de la dorure.
La dorure constituait l’étape suivante. La colle utilisée pour la dorure contenait de l’argile, de
l’eau et du blanc d’œuf ; l’oxyde de fer donne une couleur rouge à cette mixtion. Plusieurs
© Ville de Toulouse, musée des Augustins, service éducatif, (Anne-Laure Jover, Didier Michineau, 2006)
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couches de « bol » sont nécessaires, chacune étant poncées soigneusement. La feuille d’or
étant posée, on la « brunit » (frotte) avec un instrument dur comme une dent d’ours, de loup ou
encore une pierre. Des reliefs sont quelquefois créés dans la préparation avant ou après la
dorure à l’aide d’outils métalliques (poinçon ou roulette par exemple). Voir les traces sur le bois.
L’or une fois déposé sur son motif peut alors être recouvert d’un glacis et créer un camaïeu d’or
ou devenir le support d’un dessin utilisant des couleurs plus soutenues.
Une fois l’or posé, le peintre a procédé à la peinture des figures et du fond à l’aide d’une
tempera à l’œuf. La touche diffère selon les éléments peints : touche apparente, brossée
largement pour les carnations du Christ, le paysage et les vêtements, touches plus fines,
précises et rapprochées pour le visage de la Vierge.
Chaque élément figuré est créé à partir d’une couche de préparation :
Le corps du Christ est réalisé à partir d’une sous-couche rose que le peintre a recouverte de
glacis bruns. Le plans rocheux et les chemins du paysage forment eux aussi une couche de
fond sur laquelle l’artiste a rajouté les arbres et certains éléments du cortège.
Les masses principales de l’architecture étant posées, les formes sont reprises par des glacis
pour les détails des ouvertures, les toits et les clochers.
Les formes sont ensuite précisées par des repeints sur les dorures. (couleurs ou cernes noirs)
La Crucifixion du Parlement avant la dernière restauration, (Photo : C2RMF).
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© Ville de Toulouse, musée des Augustins, document réalisé par le service éducatif, (A.-L. Jover, D. Michineau, 2006).
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> Les différentes étapes de la réalisation de la Crucifixion du Parlement
Les trois panneaux de bois
sont assemblés et encollés.
Le panneau est préparé avec 5 couches
d’apprêt blanc (gesso)
Mise en place du dessin pour la peinture et des
incisions pour la dorure
Mise en place de la dorure
Réalisation du fond et des sous-couches des
éléments
Réalisation de glacis sur
les sous-couches et les dorures
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© Ville de Toulouse, musée des Augustins, document réalisé par le service éducatif, (A.-L. Jover, D. Michineau, 2006).
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Aspects plastiques
> La composition
L’essentiel de la représentation est constitué par la « Crucifixion » : le Christ sur la croix avec
saint Jean et la Vierge. Ces figures sont statiques et conventionnelles tout comme la
Jérusalem représentée au fond de cette « plate-peinture ».
La composition est donc classiquement symétrique pour ce qui est des premiers plans : la
disposition des saints personnages disposés selon la tradition, les personnages royaux en
dessous et de taille inférieure pour respecter la hiérarchie avec leurs blasons et leurs prie-dieu.
Le dauphin, de taille plus petite, porte une épée au côté.
Le tétramorphe qui symbolise les Evangélistes, est lui aussi organisé selon l’axe fourni par la
croix avec l’aigle associé à saint Jean au zénith, l’ange, pour saint Matthieu, lui correspond au
pied de la croix, tandis que le lion de saint Marc est situé à droite et le taureau symbolisant saint
Luc se trouve à la gauche du Christ.
> Correspondances
Néanmoins, cette symétrie frontale très codifiée est troublée par des détails significatifs. Le
Christ est traditionnellement penché vers sa mère dans une position que l’on retrouve dans
d’autres oeuvres de cette époque. Pour représenter le paysage et ses protagonistes, l’artiste
n’a pas utilisé la symétrie mais a placé les personnages en mouvement.
La conception de cette Crucifixion est complexe.
L’axe de la croix donne une première organisation verticale dominée par l’aigle du tétramorphe,
censé pouvoir regarder Dieu en face. Les différents personnages figurent la relation entre la
Terre et le Ciel.
Quatre plans d’avant en arrière reprennent la distribution
décrite ci-dessus : le premier
présente les personnages royaux, le second représente la scène de la crucifixion elle-même, le
troisième montre des scènes dans le paysage, le dernier plan figure la Jérusalem céleste.
Comme toujours dans la peinture religieuse, il s’agit de mettre en relation des conceptions ou
des enseignements plutôt que de montrer la nature ou le monde visible. On voit une évocation
du Paradis, la condamnation des larrons et de Jésus, image de la justice humaine, le sacrifice
du Christ pour le rachat des péchés des hommes, et enfin la situation du roi, serviteur de Dieu
sur terre.
> La figuration
Peints dans une gamme restreinte où domine le bleu (le manteau de la Vierge était bleu), le
rouge et l’or, la représentation des personnes et du paysage montre une technique variée et
très maîtrisée.
Le hiératisme des personnages des premiers plans, aux formes découpées avec rigueur, dans
une posture absolument fixe s’oppose à l’agitation et la vivacité des petites scènes se déroulant
dans le paysage.
La touche diffère selon la figure exécutée : souple, vive, très gestuelle pour la mise en place du
paysage et des arbres, on retrouve la même ardeur dans le travail des carnations du Christ ou
les drapés. Le visage de la Vierge montre des petites touches rapprochées, caractéristiques de
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© Ville de Toulouse, musée des Augustins, document réalisé par le service éducatif, (A.-L. Jover, D. Michineau, 2006).
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la peinture
à la tempera. Les dommages subis par le panneau ont malheureusement fait
disparaître une part importante du travail de l’artiste. La tempera s’utilise en une succession de
touches superposées plus ou moins transparentes.
La représentation de l’espace, multiple, obéit à la composition c’est-à-dire au message qui est
transmis. Cette Crucifixion présente à la fois une image d’adoration et de méditation, centrée,
symétrique avec un espace que l’on qualifierait aujourd’hui de « non réaliste ».et une image
narrative placée dans un espace profond et tendant au réalisme. La disposition de la croix
flottant au-dessus des donateurs forme avec les saints personnages de part et d’autre, un plan
ou plutôt un espace frontal qui capte le regard dès l’abord. La profondeur est rendue par la
superposition des donateurs sur les mêmes saints personnages mais en les absorbant dans ce
plan principal. L’arrière plan constitué par le paysage montre une représentation de la
profondeur toute autre. Le premier élément consiste dans un étagement des couleurs et des
lumières du bas (le devant) vers le haut (l’arrière), réalisant une alternance de verts et de
jaunes. Le second pourrait être celui du cortège longue courbe qui part de la ville et s’avance
vers le lieu du calvaire. L’artiste a émaillé ce « fond » de petites scènes très détaillées
empruntées à son époque. La perspective y est localement maîtrisée ; en témoigne le raccourci
des chevaux par exemple. Les personnages sont plus petits et moins précis près de la ville de
Jérusalem. L’artiste a donc su utilisé plusieurs procédés de représentation de l’espace : plans
et perspective.
L’espace global par contre n’est pas unifié ni par la couleur et la lumière à la manière des
Provinces du Nord, ni par la géométrie à la manière italienne. Le choix de ces différences de
procédés est probablement dicté par la volonté de différencier le divin du terrestre. Le divin
étant infigurable, l’absence de « réalisme » est un indice supplémentaire de marquer cette
distinction entre ces deux mondes.
> Le temps représenté
Les différents dispositifs utilisés pour la représentation de l’espace sont associés à la
représentation du temps : chaque plan correspond à un temps. On peut lire dans l’image le
temps de l’éternel Sacrifice chrétien, le temps de la justice des hommes, le temps du Nouveau
Testament et le temps de l’actualité. En effet, le vitrail de la chapelle Saint-Louis situé dans la
cathédrale Saint-Étienne de Toulouse a permis d’en rapprocher les figures royales et d’établir
une correspondance avec le panneau en « plate-peinture ».
A l’arrière, dans le paysage, une colonne avec le
Christ portant sa croix, en route pour le supplice
avec les deux larrons. Au premier plan, le Christ
en croix. Photo : Daniel Martin
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Secondaire
> Les couleurs
Le choix des couleurs obéit au symbolisme :
Le fond de la composition est occupé par le ciel doré, matière-couleur que l’on retrouve bien
entendu dans les nimbes des saints et sur les symboles royaux.
L’OR, étant d’essence divine, il devient sur Terre l’attribut des princes et des rois qui proclament
l’origine sacrée de leur pouvoir. L’or représente le règne de Dieu sur la Terre.
Le ROUGE est la couleur des martyrs, du Saint-Esprit, de la croix et des apôtres. Associé à la
vie et à l’action, il rappelle l’Amour du Christ pour l’humanité et symbolise le témoignage du
sang versé pour le Christ.
Le BLEU, choisi par les premiers chrétiens pour symboliser Dieu le père, l’église chrétienne
d’aujourd’hui l’utilise le plus souvent comme la couleur de la Vierge.
Le BLANC est la couleur de la pureté marquant que rien, n’a été accompli.
Le NOIR est la couleur du deuil mais il aussi est symbole de survie, d'éternité.
> Les influences
Trois influences majeures sont visibles dans ce tableau.
La clarté et l’intensité des couleurs et des contrastes font penser à la peinture provençale
illustrée par Enguerrand Quarton dont le style austère s’exprimait à travers la qualité de la
lumière éclatante qui simplifie les volumes. En résumé : rigueur des volumes et du modelé,
clarté du coloris, dépouillement des formes. Le monde (le paysage et Jérusalem) forme un fond
devant lequel les silhouettes des saints personnages se détachent, comme devant un rideau ou
un espace abstrait qui isole chaque figure dans une manière très solennelle.
La structure de l’œuvre a pu être inspirée par le Retable du Parlement de Paris, peut-être peint
par le flamand André Ypres mais les éléments figurés sont différents.
L’espace est représenté d’un point de vue élevé et forme un plan incliné à la manière flamande.
La peinture est plutôt descriptive. Les personnages sont détaillés. On peut parler de notations
réalistes. Et la manière flamande se caractérise par sa quête de la réalité. Les hommes de
l'époque découvrent que la vie sur terre mérite en soi d'être observée et représentée. Les
éléments des tableaux commencent à ne plus être réductibles à des schémas, agissant à la
manière des signes ; les scènes « historiques » s’émaillent de petites scènes qui lui apportent
un peu d’" épaisseur humaine ". Il s’agit des prémices d’un mouvement qui les amènera dans
une ère où l’individu prendra de plus en plus d’importance.
La peinture en Espagne a profité de deux influences majeures et en deux temps.
La première, globalement au XIVe siècle, au risque d’être schématique, est italienne et plus
particulièrement siennoise. La deuxième influence sera flamande et tout au long du XVe siècle.
Ces influences passent par des échanges accrus entre les marchands des Flandres et leurs
homologues italiens, français ou espagnols.
Mais n’est-ce pas le fait de toute la peinture en Europe, au XVe siècle, de tisser des
interdépendances ? Il est difficile de parler au XVe siècles, de déterminer les caractéristiques
d’un “style” qu’on pourrait qualifier d’espagnol,
sauf peut-être à considérer une certaine
accentuation dans le rendu des formes associée à l’austérité des tenues et une surenchère
dans l’expression des sentiments.
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Aspects historiques et iconographiques
La Crucifixion du Parlement de Toulouse présente un réel intérêt historique dans la mesure où
elle provient d’une donation royale.
Les donateurs royaux sont en prière aux pieds du Christ. Leurs prie-dieu sont recouverts d’une
draperie à leurs armes. De part et d’autre du tableau, des blasons portent ces mêmes
armoiries. L’écu de France à trois fleurs de lys couronné de fleurons permet d’identifier le roi
tandis que l’écu delphinal avec écartelé de France et d’or au dauphin d’azur désigne le dauphin.
Le roi, dont la tête et le visage ont été effacés à l’époque révolutionnaire, porte un manteau de
brocart rouge et est coiffé d’une couronne, dont il ne reste aujourd’hui que quelques traces d’or.
Son fils a un aspect plus juvénile ; vêtu de son armure de chevalier, il porte l’épée au côté.
L’identité des deux priants est incertaine. L’hypothèse selon laquelle les donateurs royaux
représentés seraient Louis XI (1461-1483) et Charles VIII (1483-1498) semble rejetée
aujourd’hui. Différents arguments conduisent à attribuer la donation royale à Charles VII (14031461) et au dauphin Louis XI.
Tout d’abord, la création du Parlement des Etats du Languedoc à Toulouse par Charles VII,
évoquée précédemment, confirme cette hypothèse.
La présence de cavaliers et de soldats en arrière-plan peut apparaître comme une référence
aux réformes militaires, entreprises par Charles VII, qui contribuèrent à débarrasser Toulouse
des routiers et par là même à réduire l’insécurité. En effet, jusque vers 1445, des Toulousains
sont faits prisonniers ; craignant les brigands et les pillages, ils osent à peine sortir de leurs
murs. La monarchie se dote alors d’une force armée permanente et disciplinée afin de délivrer
le pays du fléau des bandes de « ribauds ».
Par ailleurs, les Annales de la ville mentionnent la venue à Toulouse, à plusieurs reprises, de
Charles VII et de son fils et plusieurs enluminures représentent ces deux figures royales. Enfin,
un vitrail de la cathédrale Saint-Étienne a été réalisé afin de commémorer la venue en
Languedoc, en 1437, du roi Charles VII et du dauphin, futur Louis XI. Dans ce vitrail, on
retrouve une représentation analogue des donateurs royaux agenouillés au pied de la croix, en
présence de la Vierge et de saint Jean. Ces différentes représentations du roi et du dauphin
symbolisent la reconquête du royaume par Charles VII.
Crucifixion du Parlement de Toulouse :
les cavaliers (détail) - Photo : Daniel Martin
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© Ville de Toulouse, musée des Augustins, document réalisé par le service éducatif, (A.-L. Jover, D. Michineau, 2006).