TD n° 2 : « Comment Wang-Fô fut sauvé » de Marguerite

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TD n° 2 : « Comment Wang-Fô fut sauvé » de Marguerite
Oral professionnel 2ème partie – Littérature jeunesse
CRPE
TD n° 2 :
« Comment Wang-Fô fut sauvé »
de Marguerite Yourcenar
Ce récit, publié en 1952, résulte d’une adaptation, réalisée par Marguerite Yourcenar,
d’après les Nouvelles orientales. Il tourne autour de la création et de la disparition. C’est
l’histoire d’un vieux peintre aux dons surnaturels, qui a le pouvoir de donner vie à sa peinture, à
tel point que l’on ne sait plus si ce qu’il peint est imaginaire ou réel. L’empereur jaloux et déçu de
ne pas pouvoir en faire autant (de ne pas parvenir à recréer autant de beauté dans la réalité)
décide de l’exécuter pour mensonge, trahison, illusion des sens, représentant ainsi l’intolérance
développée par les dictatures à l’égard des artistes (troisième Reich, Union Soviétique). Mais
Wang-Fô tire parti de son pouvoir pour disparaître sur l’immensité bleue à laquelle il vient de
donner vie. Wang-Fô disparaît donc dans sa propre peinture. Ce récit rend hommage à la création
comme force d’expression qui effraie le pouvoir. L’artiste surpasse ici le pouvoir de l’Empereur,
qui, pourtant possède le droit de vie et de mort chez ses sujets étant donné qu’il est le garant,
quasi spirituel, de l’ordre du monde et que toutes ses actions sont légitimes. L’Empereur est un
personnage important dans la mythologie chinoise et orientale en général. C’est une figure
intouchable puisque le toucher pourrait apporter de grandes catastrophes à ses sujets (voir à ce
propos Totem et Tabou de S. Freud qui évoque le tabou du toucher : les sujets ne peuvent
toucher l’Empereur parce qu’inconsciemment ils l’envient et lui veulent du mal, ils risqueraient
ainsi de l’atteindre et de provoquer la colère de ses proches et une vengeance du ciel auquel il est
lié).
Suivant la tradition orientale, cette œuvre tourne autour de la frontière entre
l’imaginaire et la réalité de la même façon que le proverbe chinois suivant l’envisage : c’est
l’histoire de l’homme qui rêve d’être un papillon, mais en se réveillant, il ne sait plus s’il est un
papillon qui pense être un homme, ou un homme qui a rêvé d’être un papillon. Ce mode de penser
est difficile pour les occidentaux, qui ont besoin de frontières nettes entre le réel et
l’imaginaire. Ce livre vise à introduire les enfants au genre fantastique, mais un fantastique dénué
d’effets de science-fiction, d’épouvante faciles. Il retrouvera au collège et au lycée des nouvelles
de l’écrivain argentin Cortázar qui reposent sur le principe de la perte des repères imaginaire/
réel. Étant donné ce mode d’écriture, le conte va solliciter la compréhension, la capacité à se
détacher du réel, à interroger la création poétique (métaphores, analogies), il sollicite également
l’attrait pour une autre culture. C’est aussi un récit moderne, ouvert, où le lecteur est libre
d’imaginer la fin de l’histoire (à la différence des narrateurs omniscients de la littérature
naturaliste du XIX). Trois passages peuvent être présentés en classe : le titre peut donner lieu à
des observations puisque les élèves vont anticiper un danger qui va menacer un personnage. En
même temps, l’absence de point d’interrogation indique que la narratrice sait ce qui va se passer
et l’élève à sa suite va le découvrir. La tirade de l’Empereur peut également servir de point de
départ à une caractérisation de ce personnage étrange et jaloux, des rapports entre l’art et le
réel. Lorsque le châtiment a été prononcé, les élèves peuvent essayer de construire la suite à
partir de la certitude que Wang-Fô va être sauvé. Nous avons choisi de nous arrêter sur les
pages 30 à 33, depuis « Wang-Fô commença par teinter de rose … » jusqu’à « la tête de
l’Empereur flottait comme un lotus ».
3ème partie – Etude détaillée de quelques œuvres – TD 2
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1) La création de l’effet fantastique : l’abolition des frontières réel/imaginaire
Dans le conte merveilleux, l’imaginaire se substitue à la réalité (les chevreaux sortent du
ventre du loup entiers après avoir été dévorés), alors que la nouvelle fantastique transgresse
une frontière, de façon à brouiller la reconnaissance, à induire un effet d’étrangeté (voir plus
loin). Ici, la frontière, c’est la page blanche du peintre. Les éléments qu’il peint sortent de cette
page comme un magicien ferait apparaître des colombes : le chien que Wang-Fô représente monte
la garde et il faut attacher les chevaux pour éviter qu’ils ne s’enfuient. Cet aspect là résulte du
merveilleux, ce qui prouve la difficulté d’établir des classifications.
Marguerite Yourcenar, page 30, crée un effet intéressant lorsque la barque se rapproche et
occupe le premier plan alors qu’elle n’est pas annoncée : « Le frêle canot grossi par les coups de
pinceau occupait maintenant le premier plan. » Remarquons l’emploi du connecteur « maintenant »
qui suppose un avant, une localisation précédente dans le temps et l’espace qui n’est jamais
apparue. On a le même effet avec l’apparition de Ling page 32 : « c’était bien Ling ». Employer
« bien » signifie que l’on a déjà aperçu quelqu’un au loin et qu’on le reconnaît. Avec l’arrivée de ce
personnage le monde de la mort et de la vie se touchent, l’artiste a le pouvoir de recréer la vie.
Pourtant au cours du récit, Wang-Fô est lui-même confronté de manière douloureuse à la réalité,
puisqu’il vit pauvre, mais il a la capacité d’entrevoir la beauté même dans les situations les plus
difficiles, comme par exemple lorsqu’il se retrouve dans une auberge minable avec Ling qui
souffre pour lui de la crasse alors qu’il observe les contours d’une tache.
Le peintre comme l’Empereur sont des personnages étranges. Qu’est-ce que l’étrange ?
Pour Freud 1, ce qui est étrange c’est ce qui a été autrefois familier, les désirs inconscients
refoulés (il prend pour exemple un conte d’Hoffmann L’homme au sable) comme le complexe
d’Œ dipe, mais qui sous l’effet du refoulement deviennent étrangers à nous-mêmes. Les désirs
liés au complexe d’Œ dipe essaient toujours de se frayer un chemin vers la conscience, de
transgresser la frontière érigée par les interdits et le préconscient qui censure les pensées. Ce
qui nous donne le frisson lorsque nous lisons du fantastique ou de l’étrange, c’est l’approche de
ces pensées refoulées mais que nous ne voulons à aucun prix reconnaître. Dans le conte de
Yourcenar l’effet d’étrangeté est particulièrement important lors de la présentation de
l’Empereur. Ne représente-t-il pas l’enfant tyrannique et tout-puissant que nous avons cru être
dans notre toute petite enfance ? En même temps n’est -il pas une représentation du Père cruel
que nous avons fantasmé lorsque notre père nous privait de quelque chose ? Wang-Fô représente
le revers de la médaille, l’ambivalence des sentiments liée à la figure paternelle, puisqu’il est
dépeint sous les traits d’un honorable et bon vieillard. Notons également la transgression
générationnelle à l’œuvre dans le personnage de l’Empereur qui à vingt ans vit reclus et présente
les rides d’une personne de quatre-vingt.
Quelques travaux autour de l’étrange :
La description du palais de l’Empereur permet de saisir les recours de l’étrange, par
exemple l’effacement des limites spatiales et temporelles : des salles qui représentent le temps
(les saisons, la longévité) ou bien l’espace (les points cardinaux, la lune et le soleil), la toutepuissance qui est l’absence de limites par excellence. L’ambiance minérale (la pierre de jade), la
musique alors que les portes, au lieu de s’ouvrir, tournoient sur elles -mêmes, le silence étouffant
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S.Freud L’inquiétante étrangeté in Essais de psychanalyse. Paris, Gallimard, 1971.
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(p.18), les fleurs froides et sans parfum. La métonymie « Dragon céleste » fait référence à la
mythologie chinoise, à la nécessité du mal dans l’ordre de la vie et du royaume du ciel et de la
terre, c’est le symbole de la puissance. Face à cette étrangeté du personnage et du palais, les
enfants sont encouragés à exprimer leur ressenti et à créer eux-mêmes métaphores et
comparaisons, dont le rôle justement, est d’établir des analogies pour décrire les émotions
(apprendre à utiliser le comparatif « comme » : le palais est froid comme la pierre, l’Empereur
est vert comme un malade etc.). Cette étude de l’atmosphère étrange donne lieu, bien entendu à
des recherches lexicales.
2) Construction de la nouvelle : l’alternance des temps
Comment Wang-Fô fut sauvé est un récit bref, un épisode de la vie d’un personnage qui se
clôt par un artifice, une illusion, et qui est destiné à se prolonger au-delà de la fiction dans
l’imagination des lecteurs (c’est à eux d’imaginer comment fut sauvé Wang-Fô, contrairement à ce
qu’à pu laisser croire le titre, à savoir que la narratrice allait le raconter).
Ce récit permet d’observer l’alternance des temps du passé, l’imparfait se rapportant à la
durée et à la répétition d’une action. Par exemple, au début (p.7) : « Le vieux peintre Wang-Fô et
son disciple Ling vagabondaient… Personne ne peignait mieux que Wang-Fô… », puis p.11 l’enfant
peut observer la rupture temporelle « Un soir, au soleil couchant, ils atteignirent les faubourgs
de la capitale… ». Le passé simple permet de relater un événement particulier, achevé, du passé.
Au cycle 3, les enfants doivent pouvoir reconnaître les temps du passé et leur valeur. Ils doivent
également être capables « d’utiliser les temps verbaux du passé dans une narration »
(programmes), par exemple en proposant la fin de l’histoire après le discours de l’Empereur (p.
26).
Le passé simple introduit également le discours direct au présent : « Tu me demandes ce
que tu m’as fait, dit l’Empereur…Tu me demandes ce que tu m’as fait, reprit l’Empereur… ». La
dynamique du récit repose sur l’alternance imparfait/passé simple, mais aussi récit/discours
direct au présent. Le présent reflète la coïncidence entre la parole du personnage et la narration
alors que l’imparfait condense le récit (des années de la vie de Wang-Fô et de son activité sont
résumées en quelques lignes).
3) L’éclat des couleurs et des formes :
Wang-Fô, tout au long du roman, est obsédé par la forme, les lignes (l’Empereur assimile
sa peinture aux lignes de sa main, tissant un rapport étroit entre le corps et le monde). Le maître
peut proposer aux enfants d’observer des estampes ou de la calligraphie, de faire des essais pour
maîtriser le geste et les effets produits par le contrôle de la ligne. La couleur est aussi très
importante au cours du récit, elles produit l’effet étrange du palais (ton verdâtre, bleuâtre,
violet), la violence des soldats dépeints comme des dragons enflammés « la flamme filtrant à
travers le papier bariolé mettait sur leur visage des reflets rouges, jaunes et bleus » (p.16), la
cruauté de l’exécution de Ling (rouge), alors que la peinture de Wang-Fô se caractérise par la
pureté (rose et bleu).
Les illustrations :
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Georges Lemoine s’est inspiré de la peinture chinoise : goût pour la ligne, la finesse et la
légèreté des couleurs, l’estompage. Le portrait de Wang-Fô est celui d’un vieillard qui a trouvé la
paix et la sagesse dans ses voyages, G. Lemoine parle d’un « homme à la respiration lente »,
s’inspirant de la philosophie chinoise qui harmonise le corps et la création. Les portraits sont
estompés, brouillés dans la couleur, accentuant l’effet d’irréel, fantastique, du récit.
4) D’autres exercices :
Géographie : localisation de la Chine, sa population, sa civilisation, ses grandes œuvres et
découvertes.
Arts plastiques : aperçu sur l’art chinois, les figures de la mythologie, les cerfs-volants.
Education civique : la liberté d’expression dans les démocraties et les dictatures.
Littérature de jeunesse : la figure de l’Empereur dans le Rossignol d’Andersen.
Musique : opéra sur DVD, réalisé à l’aide d’images de synthèse, le Rossignol de Stravinsky.
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