Etre fiscaliste aujourd`hui : quelques conseils tirés de mon expérience

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Etre fiscaliste aujourd`hui : quelques conseils tirés de mon expérience
Etre fiscaliste aujourd’hui : quelques conseils tirés
de mon expérience
Le congrès Forum For the Future m’a fait l’honneur d’une tribune pour vous exposer
mon point de vue sur le métier passionnant mais exigeant de conseiller fiscal en
Belgique.
Je remercie Emmanuel Degrève d’avoir estimé que j’avais une certaine légitimité pour
en parler.
Modestement, je vais tenter de vous faire part de mon expérience et vous délivrer
quelques conseils.
Quelques mots sur mon parcours tout d’abord.
J’ai démarré ma carrière fiscale en 1991 à l’administration fiscale où j’ai été intégré dans
des services fort différents : Contrôle IPP de Wavre, Contrôle AFER de Louvain-LaNeuve, Service Non-Résidents (Sociétés) de Bruxelles et Département des conventions
internationales à l’Administration centrale.
En 1998, j’ai poursuivi mon parcours au Barreau de Bruxelles au sein du cabinet CMS
Lexcelis (devenu CMS DeBacker) où j’ai collaboré avec Maitre André Bailleux,
fiscaliste reconnu.
Recruté en 2007 par Gérard Delvaux (Past Président de l’IEC), j’ai été responsable du
département fiscal du célèbre cabinet DFSA fondé par ce dernier (cabinet intégré au
groupe à BDO en 2009).
Depuis 2011, j’exerce comme conseil fiscal indépendant, collaborant notamment pour
diverses fiduciaires et avocats.
En avril 2012, j’ai été désigné comme expert auprès du Parlement fédéral et fus chargé,
à ce titre, de la rédaction de propositions de lois fiscales, et de multiples questions
parlementaires.
Je suis l’auteur de 12 ouvrages de droit fiscal, dont « L’entreprise face au droit fiscal
belge » (Editions Larcier, 2 volumes, 1578 pages), « Les frais professionnels en 100
questions » et les « Principaux redressement à l’impôt des sociétés ».
Je suis aussi collaborateur régulier à la Libre Belgique (Chroniques fiscales
hebdomadaires de la Libre Entreprise)
Chargé de cours à la Chambre Belge des Comptables de Bruxelles et formateur aux
FUCaM, j’ai enseigné comme Maître de conférences à l’UCL et à l’ULg et j’anime
souvent des séminaires fiscaux pour divers groupements professionnels.
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J’enseigne la fiscalité des sociétés à la Solvay Brussels School, en qualité de professeur
invité.
Depuis janvier 2016, je suis Secrétaire Général de l’Ordre des Experts comptables et
Comptables Brevetés de Belgique (www.oeccbb.be), tout en exerçant à titre personnel
une activité de conseil fiscal (www.coppensfiscaliste.be).
Plutôt qu’un long discours sur ce beau métier de fiscaliste, ses avantages, ses contraintes
et ses risques, je voudrais simplement évoquer les 12 qualités qui selon moi feront de
vous un bon praticien de la fiscalité.
1. L’humilité : la fiscalité est vaste, multiple, piégeuse et volatile. Il serait vain et
prétentieux de se targuer d’être un spécialiste en toutes matières fiscales. Tout au
plus peut-on se spécialiser dans l’une ou l’autre des matières et se montrer
généraliste dans les autres matières. Ne vous présentez donc pas comme celui qui
pourra répondre à tout car vous risquez d’être vite pris au dépourvu ou de vous
abimer la santé à force de vouloir tout connaitre. Ce n’est pas un défaut de
reconnaitre ses limites.
2. La volonté constante d’apprendre : cette qualité (qui n’est pas contradictoire
avec la modestie) est nécessaire car elle vous permettra de construire peu à peu
votre armature fiscale et à de ne jamais perdre le fil des connaissances. Rien n’est
plus désagréable que d’apprendre une nouveauté fiscale par un de vos clients
alors que vous n’en avez pas entendu parler. Consacrez donc au moins ½ journée
par semaine à lire la fiscalité, à sélectionner les bons articles et à dégager les
lignes de forces des textes récents. En pratique, le mieux est de sélectionner
quelques revues fiscales auxquelles vous serez fidèle chaque semaine plutôt que
de se perdre dans des tas de revues et ne rien retenir.
3. La capacité à travailler en réseau : Puisqu’il est impossible de tout maitriser,
il faut savoir bien s’entourer. Construisez peu à peu un réseau de confrères en qui
vous avez toute confiance qui seront les spécialistes des matières ou de
techniques fiscales que vous ne traitez pas ou qui vous demanderaient des heures
de recherche épuisantes si vous deviez la connaitre. Ce réseau sera composé de
fiscalistes mais aussi de notaires, avocats ou réviseurs d’entreprises. Travailler
seul et sans aide est aujourd’hui suicidaire.
4. La vision globale d’un problème : lorsqu’un client vous sollicite pour une
consultation ou un montage fiscal, il faut penser 360°. Ne perdez pas de vue
qu’une question peut avoir des conséquences tant à l’impôt sur les revenus, qu’en
TVA, en droits d’enregistrement, en droit social, en droit des sociétés ou en droit
civil. Perdre de vue une conséquence dans un de ces domaines peut être
catastrophique. Cela ne signifie pas que vous devez vous-même approfondir ces
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matières (d’où l’importance du réseau) mais il faut au moins avoir le réflexe de
penser large et de ne pas négliger un aspect fiscal ou juridique d’une opération et
en faire part au client.
5. La diplomatie : Que vous soyez face à un client ou face à un contrôleur fiscal,
il est essentiel de ne pas adopter de position trop rigide, voire péremptoire. Cela
vous déforcera très souvent. Il faut accepter d’écouter la position de l’inspecteur,
ne pas agir de manière frontale car cela peut mettre à néant un accord important.
Il faut aussi parfois être capable de supporter les longues litanies de certains
agents parfois démotivés et faire preuve à leur égard d’empathie (cela peut servir
par la suite). De même, écouter avec attention et patience les problèmes (parfois
personnels) des clients vous permettra d’en faire des clients fidèles.
6. La ténacité : Etre diplomate ne signifie pas être faible. J’ai toujours adopté
l’attitude suivante lors d’un contrôle : souple sur des points du dossier assez
fragiles sur lesquels il serait vain d’insister et très ferme sur des points de droit
sur lesquels j’ai la conviction d’avoir raison. Ne pas se perdre sur des détails sans
importance mais se battre sur des vraies questions de principe auxquelles vous
croyez et avec des arguments solides et bien maîtrisés, voilà l’enjeu. Le client
vous sera reconnaissant de cette stratégie toujours payante.
7. La force de travail. C’est une évidence que le métier de fiscaliste n’est pas de
tout repos. Il vaut faut vous mettre à jour constamment, gérer votre cabinet,
parfois votre personnel, respecter les délais liés aux obligations légales en termes
de déclarations fiscales, prendre le temps de rédiger des avis solides et faire les
recherches nécessaires. Cela suppose que l’on ne compte pas ses heures. Autant
en être conscient si l’on veut se lancer dans le métier. Un conseil : essayer de ne
pas répondre sans cesse aux mails mais choisissez (si possible) des moments
précis de la journée pour y répondre. Les e-mails constants détruisent une journée
de travail et vous font perdre toute la concentration.
8. La prudence : Tout avis, tout montage fiscal, tout conseil doit être soupesé en
vue d’évaluer les risques fiscaux. La recherche de la voie la moins imposée à tout
prix est une démarche aujourd’hui révolue. Veillez donc à indiquer toujours au
client les risques possibles de l’opération proposée, les incidences fiscales parfois
inévitables en lui demandant de valider ce risque ou ce cout fiscal. N’hésitez pas
à lui conseiller d’introduire une demande de décision anticipée en cas de doute,
histoire de sécuriser votre optimisation. Même s’il ne l’introduit pas, il aura aumoins été averti de l’opportunité de le faire. Ne vous avancez pas trop vite lors
d’un entretien avec votre client sans avoir relu les textes de loi ou les circulaires
de l’administration. Il n’y a aucune honte à reconnaitre qu’on ne sait pas répondre
à l’un de ses questions et que l’on fera la recherche nécessaire. C’est nettement
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plus efficace que de proposer immédiatement une solution incertaine pour donner
l’illusion d’être professionnel.
9. La pédagogie. J’ai toujours adoré donner cours ou des séminaires. Et je me rends
compte que cet exercice (qui prend souvent du temps et de l’énergie) a un effet
bénéfique en clientèle et devant un contrôleur : cela vous permet d’expliquer les
choses plus clairement et parfois en termes simples, parce que j’ai pris l’habitude
d’essayer d’être un bon pédagogue avec mes étudiants (qui sont sans pitié si vous
n’êtes pas clair) ou avec les participants à des séminaires. Cela vous permet aussi
de structurer votre réunion et de synthétiser les problèmes. Dès lors, n’hésitez pas
à donner de temps à autre un séminaire en interne ou à l’extérieur. Le stress est
vite surmonté avec un peu de pratique.
10. L’honnêteté. Cette qualité coule de source. Il faut pratiquer une tarification
raisonnable et en adéquation avec le travail presté. Affichez dès la première
réunion vos tarifs (quand vous remettez votre lettre de mission) pour éviter tout
malentendu. Le client qui se sent floué ne revient jamais. Face à l’administration,
il faut aussi savoir jouer franc jeu en ne dissimulant pas des informations (dont il
pourrait de toute façon avoir connaissance par des recoupements). Cela ne veut
pas dire bien qu’il faille tout divulguer au fisc (n’oublions pas le droit au respect
de vie privé) mais à tout le moins il faut éviter de lui mentir.
11. L’enthousiasme : L’expérience m’a permis de constater que la passion d’un
métier est communicative et très positive. Si votre client se rend compte que le
métier vous passionne (alors que peut-être pour lui la fiscalité l’effraie), il s’en
souviendra, vous sera fidèle et le fera savoir autour de lui. Montrez donc votre
motivation et votre bonne humeur, malgré les difficultés qu’il rencontre ou les
craintes qu’il exprime. Cela facilitera le traitement du dossier et consolidera les
relations avec lui.
12. La capacité à se ménager des moments de détente. J’avoue que c’est peut-être
mon principal point faible : j’ai de la peine à « fermer la boutique », à dire stop
et à me reposer. Mais j’essaie d’évoluer en ce sens (âge oblige …). Il faut pouvoir
avoir suffisamment de temps libre pour ses proches, ses amis et aussi pour soi. Il
est essentiel de se ressourcer. Votre capital santé est votre bien le plus précieux,
Ne l’oubliez jamais. Prenez de temps à autre des journées ou des weekends loin
de la fiscalité. Apprendre à ne penser à rien …Plus facile à dire qu’à faire parfois.
Bonne chance à tous !
Fiscalement vôtre,
Pierre-François Coppens
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