résumé du cours no. 1
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résumé du cours no. 1
HEMU, septembre 2016 Mathilde Reichler, cours de synthèse Richard Strauss, Salomé : résumé du cours no 1 « La lutte entre la parole et le son a été dès le début le grand problème de ma vie et s’est terminée dans Capriccio par un point d’interrogation ! » In Richard STRAUSS, Anecdotes et Souvenirs, trad. Pierre Meylan et Jean Schneider, Lausanne, éditions du Cervin, 1951, p. 49. Situation de Salomé dans la carrière de Richard Strauss Au moment où Strauss tombe sur le texte d’Oscar Wilde, il est un pianiste et chef d’orchestre réputé, auteur de nombreux poèmes symphoniques qui l’ont clairement placé dans la tradition de la musique à programme. Malgré deux tentatives dans le domaine lyrique (Guntram (1894) et Feuersnot (1901) (dont Strauss n’est visiblement pas satisfait), il n’a pas encore de carrière à l’opéra. Fervent admirateur de Wagner –celui que l’on nommait « l’enchanteur de Bayreuth » –, Strauss, comme beaucoup de ses contemporains, est impressionné par le modèle wagnérien, vis-à-vis duquel il s’agit forcément de se positionner. Le poème symphonique offre un refuge rêvé, lui permettant d’exploiter son imagination débordante en matière de caractérisation musicale, au profit d’une narration qui fait de certains de ses poèmes des sortes d’« opéras sans paroles ». Liste des Poèmes symphoniques de Richard Strauss Aus Italien, op.16 (1886) Don Juan, op.20 (1889) Macbeth, op.23 (1888/90) Mort et Transfiguration, op.24 (1891) Till l'Espiègle , op.28 (1895) Ainsi parlait Zarathoustra (Also sprach Zarathustra), op.30 (1896) Don Quichotte : Variations fantastiques sur un thème chevaleresque, op.35 (1897) Une vie de héros, op.40 (1899) Sinfonia Domestica, op.53 (1904) Une symphonie alpestre, op.64 (1915) Pourtant, Strauss rêve de mots, et de voix. La voix lyrique est l’une de ses grandes passions, lui qui est marié à une chanteuse, qui accompagne des chanteurs en récital comme pianiste, et qui dirige de l’opéra comme chef d’orchestre... Il ne lui manque qu’un bon livret, qui soit à la hauteur de ses exigences en matière de littérature et qui puisse respecter les principes de Wagner, sans le maintenir dans une dépendance vis-à-vis de son modèle… Ce livret, ce sera précisément - Salomé. Ainsi, force est de constater, à travers la liste impressionnante des opéras de Strauss à partir de Salomé, que la pièce d’Oscar Wilde aura servi de révélateur, en quelque sorte, à un talent extraordinaire pour la scène, débouchant sur l’une des plus importantes carrières du 20ème siècle dans le domaine lyrique. Avec quinze opéras, dont seuls les deux premiers ne sont plus joués, Strauss apparaît comme l’un des plus prolifiques compositeurs d’opéra de toute l’histoire du genre. Et à partir de Salomé, son activité dans le domaine purement symphonique se réduit par contre considérablement (cf. tableau de la page précédente). •Guntram, Op.25 (1894) •Feuersnot, Op.50 (1901) •Salome, Op.54 (1905) •Elektra, Op.58 (1909) •Der Rosenkavalier, Op.59 (1911) •Ariadne auf Naxos, Op.60 (1916) •Die Frau ohne Schatten, Op.65 (1918) •Intermezzo, Op.72 (1924) •Die ägyptische Helena, Op.75 (1927) •Arabella, Op.79 (1932) •Die schweigsame Frau, Op.80 (1934) •Friedenstag, Op.81 (1938) •Daphne, Op.82 (1938) •Die Liebe der Danae, Op.83 (1940) •Capriccio, Op.85 (1942) Genèse de Salomé Strauss découvre le texte de Wilde en 1901 (celui-ci est mort l’année précédente à Paris, dans la misère). Si l’on en croit les Anecdotes et Souvenirs laissés par le compositeur, le « coup de foudre » a dû être immédiat. En 1902 en effet, le compositeur assiste à une représentation de la pièce à Berlin, dans une mise en scène de Max Reinhardt (l’un des grands homme de théâtre de son temps, très proche de Strauss - il mettra en scène la création du Chevalier à la rose, et Strauss lui dédiera Ariane à Naxos). « Strauss, voilà un sujet d’opéra pour vous ! » s’exclame une connaissance croisée au théâtre. Strauss répond qu’il a déjà commencé à écrire la musique (cf. Anecdotes et Souvenirs, p. 42). Délaissant rapidement les vers que lui avaient proposé un poète viennois nommé Antoine Lindner, le compositeur revient au texte original, en prose, d’Oscar Wilde, tel qu’il avait été traduit en allemand en 1903 par Hedwig Lachmann (une femme de lettre allemande, poétesse et traductrice de nombreux ouvrages). Richard Strauss, à propos de la genèse de Salomé « Je lui donnai mon accord et il m’envoya quelques scènes du début, habilement mises en vers. Mais je n’arrivais pas à me décider, jusqu’au jour où j’eus cette révélation : pourquoi ne pas commencer, tout simplement, par mettre en musique « Que la princesse Salomé est belle ce soir ! » Après quoi il ne fut pas bien difficile de nettoyer la pièce de toute la très belle littérature qu’elle contient pour en faire un fort beau "livret". » Op. cit., p. 42 (mais ici dans la traduction de l’Avant-Scène Opéra, p. 60, nettement meilleure) L’opéra littéraire Ce retour à la source fait de Salomé un « opéra littéraire », soit un opéra prenant pour livret une pièce de théâtre préexistante, sans la modifier et sans passer par les services d’un librettistes pour une éventuelle versification / ajout de passages propices à construire des airs / ensembles, etc. Strauss travaille lui-même à l’adaptation du texte, en supprimant certaines répliques pour condenser la pièce sans toutefois la dénaturer. Le choix de la prose, plutôt que des vers qui auraient apporté une régularité métrique à la ligne vocale, est très intéressant car le phénomène est nouveau (même Wagner adopte une forme de vers, libre, mais néanmoins visant une certaine régularité) : notons que Pelléas et Mélisande de Debussy (1902) et Wozzeck d’Alban Berg (1925) sont deux autres opéras littéraires écrits sur des textes en prose. La composition de Salomé durera environ 2 ans, entre 1903 et 1905. Dès 1904, les esquisses sont terminées, et Strauss se met à l’orchestration. Ce travail lui prendra encore près d’une année (Cambridge Opera Handbook, p. 5). En été 1905, peu après avoir terminé Salomé et avant même que l’œuvre ne soit créée en allemand, Strauss décide de donner de son opéra une version française. La pièce d’Oscar Wilde, sur laquelle il s’était basé, n’avait-elle pas été écrite en français, et ne valait-il pas la peine de faire un pas de plus vers l’original, pour lui être vraiment fidèle ? Le compositeur se lance alors dans un important travail d’adaptation, pour éviter que cela ne « sonne » comme une traduction (ce qui aurait été un comble, puisqu’il s’agit justement d’un retour à l’original). Il remet sa partition sur le métier, et étudie les lois de la prosodie française. Il est aidé dans ce travail par l’écrivain Romain Rolland, grand connaisseur de musique et proche de Strauss. Ce travail nous vaut toute une correspondance entre les deux hommes, très intéressante du point de vue des questions esthétiques qui y sont évoquées. Le 10 novembre 1905, le travail d’adaptation est terminé. La création allemande de Salomé a lieu peu après, le 9 décembre 1905, à Dresde. (La version française de Salomé sera créée quant à elle à Bruxelles en 1907.) Réception de Salomé Il semble que la première de Salomé ait été triomphale, avec non moins de 38 rappels ! Mais certains auteurs parlent aussi de scandale. Strauss lui-même mentionne des campagnes de presse contre l’oeuvre, ainsi que l’intervention du clergé qui proteste en plusieurs lieux de création. Ce qui est certain, c’est que malgré son sujet plutôt dérangeant (même s’il correspondait à l’air du temps…) et sa partition complexe, l’oeuvre entre rapidement à l’affiche d’un grand nombre de théâtres en Allemagne. (Strauss note qu’elle est admise au répertoire de dix théâtres en Allemagne dans les 3 semaines qui suivent la première.) Entre 1905 et 1907, on compte 50 représentations en Allemagne et en Europe, et 50 dans la seule ville de Berlin ! La censure interdit la pièce à Vienne, ville où travaille Strauss, « pour des raisons religieuses et morales » (Avant-Scène Opéra, p. 4) : l’opéra n’y sera joué qu’en 1918. A New York, l’oeuvre ne reste pas à l’affiche à cause de l’intervention des puritains. Enfin, Strauss raconte que l’Empereur allemand n’autorisa la représentation (où?) que lorsque l’Intendant eut proposé l’arrivée des Rois Mages à la fin de l’opéra et l’apparition de l’étoile du berger ! Dans ses Souvenirs et Anecdotes, Strauss raconte en outre comment il joua quelques pages de sa partition à son père d’une part (corniste réputé, de nature plutôt conservatrice), et à Cosima Wagner d’autre part, l’illustre épouse de Wagner et fille de Liszt, qui figurait encore peu avant parmi les figures de proue de la Neudeutsche Schule : « Mon bon père, lorsque, quelques mois avant sa mort, je lui tapotai au piano des passages de l’oeuvre, gémit de désespoir : "Mon Dieu, quelle musique nerveuse ! C’est à vous donner l’impression d’avoir des hannetons qui vous chatouillent plein le pantalon !" Il n’avait pas tout à fait tort. - Cosima Wagner à laquelle, à sa demande expresse, et bien que j’aie essayé de l’en dissuader, je dus aussi jouer des extraits à Berlin, eut cette remarque après la scène finale : "Mais c’est de la folie ! Vous, vous êtes pour l’exotisme, et Siegfried pour l’art populaire !". (Souvenirs et Anecdotes p. 44, ici à nouveau dans la traduction de Bernard Banoun issue de l’Avant-Scène Opéra, p. 60) Au côté de ces réactions conservatrices, il faut aussi citer la méfiance de certains interprètes, dont les chanteuses qui durent interpréter Salomé aux heures de la création. Là encore, Strauss fournit quelques anecdotes amusantes, relatant comment Mme Wittich, la créatrice du rôle, refusa de faire certaines des choses préconisées par le metteur en scène… « Vous ne me ferez pas faire ça ! Je suis une femme honnête ! », criait-elle lors des répétitions. Notons que Strauss n’est pas loin d’approuver cette réaction pudique ; il écrit à ce sujet que « d’une manière générale, le jeu des interprètes doit, contrastant avec l’agitation extrême de la musique, demeurer de la plus grande simplicité [...] .» (44 / 60) Ce qui est certain, c’est que la succession Salomé (1905) / Elektra (1909) propulse Strauss dans l’avant-garde du début du 20ème siècle. Avec leur langage résolument moderne, très audacieux pour l’époque, chromatique, parfois polytonal, ces deux opéras ont décontenancé, voire choqué une partie du public. Par contre, elles ont valu à Strauss l’approbation des modernistes. Ainsi, la première page de Salomé est-elle citée en exemple par Schoenberg, qui l’admirait énormément (cf. Cambridge Opera Handbook, p.8). Le retour à une forme plus traditionnelle de romantisme, voire de classicisme, dès le Rosenkavalier (1911) (qui renoue également avec la notion de « numéros » fermés et qui joue avec la référence à l’opérette viennoise), aura donc tendance à être perçu comme une trahison, aux yeux des tenants d’un renouvellement constant du langage et des formes artistiques. Il faut dire que c’est la nature des sujets qui détermine, chez Strauss, le style, la forme et le langage. Avec un sens de la scène et du théâtre tout à fait prodigieux, sa plume épouse naturellement la dramaturgie. Seul le contexte tortueux et torturé de Salomé et d’Elektra justifie les « excès » de la musique, le chromatisme généralisé et l’usage émancipé de la dissonance… Strauss ne le préconise pas dans n’importe quel contexte, et reviendra à un langage beaucoup plus sage lorsqu’il quittera l’univers exacerbé, teinté d’exotisme et chargé de symboles de la Salomé d’Oscar Wilde. Richard Strauss (1864 - 1949) Puccini (1858-1924) Sibelius (1865 -1857) Mahler (1860 - 1911) Janáček (1854-1928) Debussy (1862-1918) Bartók (1881-1945) Schoenberg (1874-1951) Stravinsky (1882-1971)