La maladie mentale et le suivi intensif dans un
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La maladie mentale et le suivi intensif dans un
1 DÉPARTEMENT DE SOCIOLOGIE UNIVERSITÉ LAVAL La maladie mentale et le suivi intensif dans un contexte de désinstitutionnalisation RAPPORT SOUMIS AU CLSC-HAUTE-VILLE ÉMILIE RIVARD Avril 2000 Rapport rédigé dans le cadre du cours SOC-18879 Laboratoire de recherche sociologique sous la supervision de Simon Langlois, Andrée Fortin et Anton LaForce 2 RÉSUMÉ Cette recherche porte sur les représentations du suivi intensif chez les intervenants qui pratiquent le suivi communautaire. Nous nous demandons si ces représentations dépendent du type d’organismes où travaillent les intervenants, (communautaire ou public), des philosophies d’intervention propres à ces organismes ou si elles dépendent de la personnalité, des expériences et des rôles des intervenants au sein du suivi. Nous cherchons aussi à connaître les éléments de cette représentation communs à tous les intervenants et ceux qui diffèrent d’un intervenant à l’autre. Nous avons interviewé huit intervenants provenant de quatre organismes différents, soit quatre intervenants d’organismes communautaires et quatre intervenants en CLSC. Les entrevues étaient non-dirigées, ce qui nous a permis de recueillir une grande variété d’informations pertinentes pour notre étude. Des différences existent entre les représentations du suivi communautaire chez les intervenants; certaines dépendent du type d’organismes, c’est le cas en ce qui a trait aux prises de contacts avec les clients, à la durée du suivi et à la disponibilité. D’autres éléments sont déterminés par la philosophie d’intervention de l’organisme. Ainsi, les intervenants d’un des CLSC se rapprochent beaucoup des intervenants des organismes communautaires et partagent avec eux des buts communs et certaines manières de faire. Enfin, la représentation du suivi intensif semble principalement déterminée par leur formation et leur expérience de travail. En effet, un médecin et un psychologue qualifient leur suivi d’intensif alors qu’un éducateur affirme qu’un tel suivi n’existe pas. Il existe donc différentes représentations de ce qu’est un suivi intensif. Un comité travaille actuellement à la constitution d’une équipe d’intervenants qui pratiqueront ce type de suivi. Mais la difficulté d’une telle entreprise est grande puisqu’il n’existe pas de consensus sur la définition du suivi « intensif ». 3 Remerciements : Je tiens tout d’abord à remercier le CLSC Haute-Ville pour avoir permis cette recherche de laboratoire. Merci aussi à mesdames Michèle Clément et Denise Aubé pour l’aide et l’information ainsi que la possibilité d’une observation d’une réunion du comité Québec-Centre sur la création d’une équipe de suivi intensif. Un gros merci tout spécial à Denis Boudreau qui m’a aidé à la recherche à la première session et qui m’a aidé pour les entrevues et les verbatims. Merci aussi à ceux qui ont joué quasiment plus les psychologues que les professeurs Anton Laforce et Andrée Fortin. Merci de m’avoir supportée dans cette expérience traumatisante pour mon cerveau. Un gros merci à tous mes répondants, je vous remercie d’avoir pris le temps malgré vos horaires bien chargés. Merci tout spécial à notre répondant #1 qui nous a aidé à corriger notre grille d’entrevue. 4 Table des matières Résumé Remerciements Table des matières Liste des tableaux Liste des graphiques p. i p.ii p.iii p.v p.vi Introduction A- Le CLSC Haute-Ville B- Le mandat p.1 p.1 p.5 Chapitre I- Le contexte du suivi dans la communauté A- La désinstitutionnalisation B- Le suivi intensif : la définition C- Le suivi intensif : l’équipe D- La marginalisation et l’exclusion E- La représentation sociale p.7 p.7 p.10 p.14 p.20 p.22 Chapitre II- La problématique A- Le mandat B- Le modèle idéal du suivi intensif en équipe dans la communauté C- Le modèle idéal du Case management D- Le suivi non-intensif E- Les hypothèses p.24 p.24 p.25 p.26 p.27 p.27 Chapitre III- Méthodes A- L’entrevue B- L’observation C- La population p.28 p.28 p.30 p.31 Partie 2 : L’analyse des représentations A- Introduction p.33 p.33 Chapitre IV- Les hypothèses p.34 Chapitre V- Portraits d’intervenants 5.1La description des répondants A- Répondant #1- « Le littéraire engagé » B- Répondant #2- « L’infirmier expérimenté » C- Répondant #3- « Le psychologue institutionnel » D- Répondant #4- « L’éducateur expérimenté » p.37 p.38 p.38 p.40 p.40 p.41 5 E- Répondant #5- « Le sociologue professionnel » F- Répondant #6- « L’insatisfait engagé » G- Répondant #7- « L’humaniste » H- Répondant #8- « L’autodidacte communautaire » 5.2Notes sur les intervenants 5.3Les organismes A- PECH B- L’Archipel d’Entraide C- CLSC Haute-Ville et le CLSC-Orléans p.42 p.43 p.46 p.47 p.47 p.48 p.48 p.49 p.49 Chapitre VI- Les ressemblances dans les représentations A- Les valeurs, les principes et les qualités demandées pour les interventions B- La perception du client par l’intervenant C- L’organisation du temps chez les intervenants D- La perception du suivi E- Les buts, les bénéfices et les activités p.50 Chapitre VII-Les différences entre les représentations A- Les valeurs B- La perception du client p.62 p.62 p.65 Chapitre VIII- Les limites de l’étude p.71 Conclusion p.73 Bibliographie p.77 Annexes p.50 p.52 p.54 p.58 p.59 6 Liste des tableaux Tableau 1 Les organismes et leur type correspondant p.37 Tableau 2 Métier et expérience des répondant p.37 Tableau 3 Les valeurs p.62 Tableau 4 Les représentations du clients p.66 Tableau 5 Les foyers des représentations p.73 7 Liste des graphiques Graphique I La marginalisation contingencielle p.21 Graphique II La représentation sociale p.23 8 Introduction A- Le CLSC-Haute-Ville C'est sous l'égide du Ministère de la Santé et des Services sociaux que, comme l’ensemble des centres locaux de services communautaires, le CLSC-Haute-Ville a pour mission générale d'améliorer l'état de santé et le bien-être de la population de son territoire. Les services offerts par cet organisme de la ville de Québec sont qualifiés de première ligne, c'est à dire: « des soins de santé essentiels fondés sur des méthodes et des techniques pratiques, scientifiquement et socialement acceptables, rendus universellement accessibles à tous les individus et à toutes les familles de la communauté avec leur pleine participation et à un coût que la communauté peut assumer à tous les stades de son développement dans un esprit d’autoresponsabilité et d’autodétermination. Ils font partie intégrante tant du système de santé, dont ils sont la cheville ouvrière et le foyer principal, que du développement économique et social d’ensemble de la communauté. Ils sont le premier niveau de contact des individus, de la famille et de la communauté avec le réseau de services de santé, rapprochant le plus possible les soins des lieux où les gens vivent et travaillent » (Comité régional sur la première ligne des services de santé et des services sociaux ; 1997, p.2) Le CLSC-Haute-Ville offre une gamme de services qui s'étend largement aux « services infirmiers, médicaux, psychosociaux, communautaires, diététiques, d'hygiène dentaire, de réadaptation-adaptation [et] de réinsertion sociale. » (PRISM, Le programme de recherche du CLSC-Haute-Ville, p.1). Cette gamme comprend aussi les services régionaux. De plus, le CLSC Haute-Ville est reconnu comme un centre affilié universitaire, ce qui signifie que l’on y retrouve des activités d'enseignement universitaire et collégial ainsi 9 que des activités de recherche. Le CLSC-Haute-Ville a entrepris en 1998 « une démarche de conceptualisation et de mise en place de son programme Partenariat pour la recherche sur l'insertion sociale et la marginalisation ». (PRISM, CLSC, p.1) Ce programme est mieux connu sous le sigle PRISM. Il a été créé afin d'obtenir des résultats de recherche utiles à l'intervention et dans le but d'unir, à l'intérieur d'un même programme, les professionnels de l'intervention et ceux de la recherche. L'essence même de PRISM repose sur les caractéristiques de la clientèle du CLSC-Haute-Ville et sur la mission que l'organisme poursuit auprès de cette population. Le CLSC-Haute-Ville appartient au territoire de Québec-Centre qui, comme son nom l’indique, regroupe les quartiers centraux de la ville de Québec. La Régie Régionale a entériné un nouveau découpage de ce territoire le 12 mars 1998 et a présenté, pour l'occasion, quelques statistiques sur la population. Dans un document intitulé PRISM, Le programme de recherche du CLSC-Haute-Ville, les grandes lignes de ces statistiques sont reprises: - Le CLSC-Haute-Ville dessert le tiers ( 1/3 ) de la population totale du territoire Québec-Centre, soit une clientèle de 58 046 personnes. La clientèle de cet organisme compte une importante concentration de personnes âgées de plus de 65 ans (19,2%) dont 51,3% est âgée de plus de 75 ans. - Ces aînés vivent seuls en forte proportion (79,8%). - Une forte proportion de la population totale du secteur de la Haute-Ville est composée de familles monoparentales (52,4%). Si l’on compare cette dernière statistique au pourcentage retenu pour représenter le reste du territoire QuébecCentre (35,4%), une différence nette de 17% distingue le secteur du CLSC-HauteVille des autres secteurs du territoire. - Le secteur du CLSC-Haute-Ville présente une proportion légèrement plus faible de jeunes âgés de 0 à 17 ans (13,6%) que les autres secteurs du territoire QuébecCentre (16,5%). 10 « Enfin, plusieurs autres particularités propres au milieu centre-ville caractérisent la population desservie par le CLSC Haute-Ville, à savoir : - Une forte concentration de membres de la communauté gaie ; - Un nombre important de personnes présentant des problèmes de toxicomanie, de mésadaptation, de désordres mentaux et psychiques ou encore présentant des difficultés conjugales et familiales ; - Une importante population d’itinérants et de jeunes sans abris ; - Une importante communauté de femmes et d’hommes vivant du fruit de la prostitution ; - Une assez forte concentration d’immigrants ; - Une forte proportion de personnes d’expression anglaise. » (PRISM, CLSC p.3) Ces caractéristiques et ces statistiques nous amènent à penser que la population du CLSC-Haute-Ville doit faire face à des réalités quotidiennes particulières telles l’exclusion et la marginalisation. Les personnes qui y interviennent font face aux mêmes processus mais en tant qu’objet d’étude ou en tant qu’obstacle et condition de vie de leurs clients.1 Cependant, le document cité plus haut, qui se veut une présentation du CLSC, souligne que «l’on retrouve aussi localement une communauté vivante et intégratrice par la force des liens sociaux qui la traversent et qui doit, elle aussi, pouvoir compter sur l’appui et l’aide du CLSC. » ( PRISM, CLSC, p.3). En somme, l’intervention pratiquée au CLSC est généralement déterminée dans sa forme de même que dans son contenu par des mécanismes d’insertion sociale ou par des mécanismes de marginalisation et d’exclusion. C’est ce qui justifie la mise en place du PRISM et a permis à l’organisme d’être reconnu, au mois de mai dernier, comme centre affilié universitaire par le Ministère de la Santé et des Services Sociaux. 1 Les termes « client » et « usager » seront utilisés tout au long de ce travail comme synonymes de « personnes aux prises avec des troubles mentaux graves et persistants ». Ce sont les termes utilisés par le gouvernement dans ses documents. 11 Le PRISM a pour principale mission de : « …prévenir le glissement des individus et des groupes vers la marginalisation subie et l’exclusion, tout en cherchant à faciliter leur insertion sociale au moyen, entre autre, d’une attention particulière [portée] à la nature des liens sociaux, tant intragroupes qu’intergroupes. » (PRISM, CLSC, p.4). Les deux objectifs généraux de ce programme sont les suivants : 1) Documenter, analyser et comprendre les processus de marginalisation et d’insertion sociale dans les milieux de vie de la population du territoire. 2) Assurer une meilleure diffusion des résultats de recherche, encourager la réflexion et le réajustement de l’intervention et des pratiques professionnelles découlant de ces recherches. Deux axes orientent les activités de recherche du PRISM. Le premier axe couvre les recherches sur les groupes et les populations vulnérables et leurs milieux de vie. Le deuxième axe de recherche porte « sur les intervenants, les pratiques professionnelles et l’intervention. » (PRISM, CLSC, p.5). Cet axe de recherche touche à un aspect important, celui de l’intervention par rapport à la clientèle qu’elle dessert. Les questions au cœur de cet axe de recherche peuvent porter sur l’atteinte des objectifs d’une forme d’intervention donnée ou encore sur le déroulement des interventions et les rapports entre les intervenants et les clients. Il faut enfin souligner deux particularités du CLSC-Haute-Ville en ce qui concerne la recherche : l’équipe RIPOST et les recherches cliniques. L’équipe RIPOST (Recherches sur les impacts psychologiques, organisationnels et sociaux du travail) est une «équipe de recherche reconnue par le Conseil québécois de la recherche sociale (CQRS) » (PRISM, CLSC, p. 8) et dont les activités font généralement partie du deuxième axe de recherche du PRISM. « Les travaux réalisés par l’équipe offrent un éclairage particulier à la compréhension des mécanismes d’insertion sociale et de marginalisation qui sont associés à l’activité professionnelle »(PRISM, CLSC, p. 8). Les recherches cliniques constituent un autre volet des études menées au CLSC. Les recherches cliniques n’entrent pas 12 explicitement dans le programme du PRISM. Toutefois, étant donné que leurs résultats peuvent aider à prévenir les maladies et à en comprendre les conséquences sociales, elles servent les objectifs généraux du PRISM. B- Le mandat Nous allons, pour notre part, explorer l’une des raisons qui peuvent nuire au bon déroulement d’un soutien communautaire s’adressant à une clientèle composée de personnes atteintes de troubles mentaux graves et persistants. Notre étude s’inscrit dans le deuxième axe de recherche du PRISM, soit celui des recherches portant sur les intervenants, les pratiques professionnelles et les interventions. Nous nous interrogeons plus particulièrement sur les formes d’intervention qui s’adressent aux personnes aux prises avec des troubles mentaux graves et persistants et qui vivent dans la communauté; il s’agit du suivi intensif en équipe dans la communauté, du case management et du suivi non intensif. Ces formes de soutien ne semblent pas donner les résultats attendus si l’on en croit l’émission Les règles du jeu, télédiffusée le 11 décembre 1999 à Télé-Québec. Plusieurs hypothèses peuvent être avancées afin d’éclairer ce phénomène : le manque de fonds qui empêchent une meilleure distribution des charges de travail au sein de l’équipe d’intervention, une gestion des ressources humaines qualifiées et disponibles qui ne maximise pas toujours le potentiel des dites ressources; l’oubli de la souffrance psychologique des clients et le manque d’adaptation de la part du personnel de soutien aux besoins spécifiques des clients, le scepticisme des intervenants face aux principes et aux programmes mis de l’avant par le gouvernement, les rapports de forces entre les différents types d’intervenants dus à une hiérarchie basée sur la charge de travail, la responsabilité, le statut ou le rôle de la personne au sein de l’équipe d’intervenants, etc. Cependant, à la demande de Madame Michèle Clément, coordonnatrice scientifique de la recherche au CLSC-Haute-Ville, nous allons axer notre travail sur les représentations du soutien chez les intervenants de différents organismes et les interrelations entre les intervenants oeuvrant 13 au sein d’organismes publics et les intervenants oeuvrant au sein d’organismes communautaires. Est-ce que la représentation du soutien est la même chez ces deux catégories d’intervenants? Est-ce que les suivis offerts par ces intervenants correspondent au type idéal de l’un des suivis définis par le gouvernement? Quels sont les valeurs et les principes d’intervention à la base des différentes représentations du suivi communautaire offert par les organismes publics et les organismes communautaires? Dans quelle mesure les intervenants ont-il une représentation personnelle du suivi qu’ils offrent? Ces questions forment la toile de fond de notre mandat. Notre question de recherche se formule ainsi : Quelles sont les différences entre les diverses représentations du suivi dans la communauté chez les intervenants ? Ces représentations du suivi dans la communauté influencent les comportements quotidiens des intervenants dans leur milieu de travail. La représentation du suivi communautaire est déterminée par des valeurs et des principes propres à chaque organisme, qu’il soit public ou communautaire. Au sein d’un même organisme, est-ce que la définition du suivi communautaire peut changer d’un intervenant à l’autre? Est-ce que le suivi réalisé par les intervenants dans la réalité correspond à l’un des modèles types d’intervention, soit le case management, le suivi intensif en équipe dans la communauté ou le suivi non intensif? 14 Chapitre I - Le contexte du suivi dans la communauté Il est impératif, à ce stade-ci, de définir les concepts sur lesquels repose notre étude. A- La désinstitutionnalisation Dans le contexte de la désinstitutionnalisation, le gouvernement québécois a décidé de réintégrer les personnes atteintes de maladies mentales dans la société. Ce mouvement de désinstitutionnalisation a débuté à la fin des années 1960. La commission Castonguay proposait alors que le gouvernement québécois se dote de cliniques locales de santé et d’organismes contrôlés par la population locale (pour le domaine des services sociaux) afin de mieux desservir sa population. Au début des années 1970, le gouvernement québécois s’est doté de moyens destinés à faciliter cette désinstitutionnalisation. Les CLSC (Centre Local de Services Communautaires) furent alors créés et mis en place. Les CLSC furent, avant tout, le fruit de la décentralisation dans les domaines de la santé et des services sociaux. À l’époque, la création des centres (CLSC) avait pour but le désengorgement du système institutionnel de la santé et des services sociaux. Les CLSC n’ont pas été créés à la suite d’une demande de la population. Voici une définition de la désinstitutionnalisation qui se rapporte aux maladies mentales: 15 « Conception du traitement des maladies mentales basée sur un changement des rapports entre les personnes handicapées et la société, et sa mise en pratique par l’abandon du recours à l’hospitalisation traditionnelle dans tous les cas possibles et par l’utilisation de services communautaires de soins et de réadaptation, soit pour remplacer le traitement hospitalier, soit pour en assurer le suivi. » (Répertoire des avis terminologiques et linguistiques, Erreur! Signet non défini., septembre 1999) Il faut souligner que le terme désinstitutionnalisation est utilisé aussi, depuis quelques années, pour désigner des nouvelles conceptions de programmes élaborés pour venir en aide aux détenus, aux délinquants, aux handicapés physiques et aux personnes âgées. Dans certains contextes, comme c’est le cas dans notre recherche, il est possible d’utiliser le terme «réinsertion sociale », ce dernier ne constituant pas un synonyme mais plutôt un objectif poursuivi par la désinstitutionnalisation. Le gouvernement souhaite réduire les dépenses reliées aux soins dans les hôpitaux psychiatriques par la fermeture de lits dans ces établissements. L’actualisation de cette volonté entraîne le transfert des soins dans la communauté. Ces soins visent à prévenir les crises et à aider la personne souffrante à se (ré)adapter à son milieu de vie. Les soins et le suivi se font donc dans la communauté et ce, dans tous les cas possibles. Les intervenants vont rencontrer les clients dans leurs milieux de vie, que ce soit à leur logement, à l’épicerie, dans la rue ou à quelque autre endroit où cette personne est susceptible de se retrouver. La désinstitutionnalisation marque un changement du lieu où sont dispensés les services; les soins se donnent de moins en moins en établissement ou en institution psychiatrique et de plus en plus dans la communauté, dans le milieu de vie de la personne souffrante. Ce changement a de profondes répercussions sur le traitement lui-même, il traduit une volonté de programmer des interventions proactives, c’est-à-dire des interventions dont le but est d’anticiper les crises plutôt que d’agir après les crises. Les organismes communautaires et les CLSC ont expérimenté plusieurs types de suivi dans le but d’aider au mieux de leurs capacités les gens atteints de maladies mentales : 16 le case management, le suivi intensif en équipe dans la communauté, le suivi non intensif, etc. Le suivi intensif en équipe dans la communauté est défini comme : « …comprenant au moins deux intervenants et un psychiatre impliqué directement dans le suivi d’un client donné (ratio intervenant /usagers variant entre 1 : 8, 1 : 12) […] Le suivi doit se faire principalement dans la communauté, et non dans les bureaux des intervenants…»(Conseil d’Évaluation des Technologies de la Santé du Québec, CÉTS, 1999, p. 9). Cette forme de suivi s’adresse à un sous-groupe restreint de la population atteinte de troubles mentaux graves et dont les besoins sont plus importants. Les intervenants qui assurent ce suivi doivent être disponibles le soir et les fins de semaine ainsi que la nuit sur appel. Le Case management est différent du suivi intensif : « La philosophie d’intervention du case management ne s’apparente […] pas au processus de la maladie : on veut pas coudre une rupture mais aider la personne à faire ce qu’elle veut et travailler avec elle à partir d’où elle est. Le case management implique une continuité de soins pour favoriser l’adaptation de la personne à son milieu de vie plutôt qu’une guérison. » (Groupe de professionnels en santé mentale, Actes du Symposium Interactif sur le Case Management au Québec, Québec, septembre 1988, p. 13). Le case manager gère les stratégies de négociations, il doit être omniprésent dans les différentes étapes d’aide. Son travail consiste également à prévenir les crises de manière à protéger le client de même que son environnement social. Le suivi non intensif, comme son nom l’indique, vise la conservation des acquis de la personne via des références aux ressources communautaires du milieu. Le client choisit ce qu’il veut travailler et l’intervenant attitré n’intervient que rarement. Ici, il n’est pas question de prévenir les crises mais plutôt de guider le client dans la communauté en respectant son autonomie. Enfin, comme c’est le suivi intensif en équipe dans la communauté qui nous intéresse plus particulièrement dans cette recherche, nous allons l’expliquer plus en 17 profondeur. Nous précisons que ce type de suivi n’existe pas présentement mais est en voie de se réaliser par l’entremise d’un comité d’intervenants de la région Québec-Centre. B- Le suivi intensif :la définition Le Suivi intensif en équipe dans la communauté s’adresse à une clientèle composée de personnes atteintes de troubles mentaux graves et persistants. Il est essentiel ici de définir la nature de ces troubles. Le Ministère de la Santé et des Services Sociaux définit, dans le Plan d’action pour la transformation des services de santé mentale, la notion de troubles mentaux graves comme suit : « troubles mentaux associés à la détresse psychologique et à un niveau d’incapacité qui interfère de façon significative dans les relations interpersonnelles et les compétences de base. » (M.S.S.S. ; Plan d’action, p.17) NOTE : Il y a lieu de rajouter le qualificatif « persistant » à la notion de « troubles mentaux graves » lorsque l’on réfère à l’idée que ces problèmes de santé mentale sont «chronicisés » et/ou permanents. Le fait que ces troubles soient associés à la détresse psychologique rend compte d’un état particulier de la personne qui souffre de ces troubles. Le Petit Robert définit la détresse comme un «sentiment d’abandon, de solitude, d’impuissance que l’on éprouve dans une situation difficile et angoissante ». Le dictionnaire ajoute à cette définition une liste de synonymes : « besoin, danger, souffrance » (Petit Robert, 1993). La dimension de la souffrance est donc reconnue dans la définition des troubles mentaux graves et persistants qui accablent les clients du suivi intensif en équipe dans la communauté. Cette 18 souffrance vécue par la personne se répercute sur ses manières d’agir, de penser et de vivre. Ce n’est pas seulement une partie de son être qui souffre mais toute sa personne. Cette définition indique déjà certaines difficultés auxquelles doit faire face la clientèle concernée par le suivi intensif étudié ici : les difficultés qui ont trait aux relations interpersonnelles et aux compétences de bases. Les personnes atteintes de troubles mentaux graves et persistants ne parviennent pas toujours à accomplir certaines activités élémentaires : se construire un tissu social par le biais de relations interpersonnelles avec des membres de la communauté, acquérir de l’autonomie dans l’accomplissement de tâches quotidiennes comme prendre des médicaments, cuisiner, faire l’épicerie, entretenir le logement, payer les factures etc. Le suivi intensif en équipe dans la communauté vise justement à aider les personnes atteintes à développer une certaine autonomie fonctionnelle. Le suivi intensif peut se définir comme un traitement psychologique et/ou médical dispensé à l’individu dans son milieu de vie en tenant compte de son environnement social et de ses besoins; ce suivi se caractérise par une intervention continue auprès du client. Le Ministère de la Santé et des Services Sociaux affirme que : « les principes de base du suivi intensif en milieu communautaire sont d’intervenir de façon proactive dans le milieu de vie même des clientèles, de les aider à acquérir les ressources matérielles de base (le logement, la nourriture, les vêtements et les soins médicaux), de favoriser le développement, les aptitudes et l’autonomie nécessaire pour vivre dans la société, de soutenir et d’informer la famille et l’entourage. Dans ce type de programme, le personnel passe la majorité de son temps de travail dans le milieu de vie des usagers et des usagères et une fraction seulement dans un bureau. » (MSSS, Orientation pour la transformation des services de santé mentale, p.15) Le Ministère insiste donc sur le fait que les intervenants doivent se trouver dans la communauté, dans les milieux de vie de la clientèle et non plus dans les institutions. 19 Une définition plus précise et plus systématique du suivi intensif en équipe dans la communauté s’avère une nécessité pour la présente recherche. Cette définition exhaustive comprend les objectifs et les caractéristiques de ce type de suivi qui serviront de trame de fond pour construire un modèle idéal de ce type de suivi communautaire permettant de vérifier si c’est à celui-ci que renvoie la pratique des intervenants. Le Ministère de la Santé et des Services Sociaux a publié un document intitulé Suivi intensif en équipe dans la communauté qui décrit précisément ce processus. On y apprend que ce type de suivi a été développé à l’origine aux États-Unis. Les concepteurs avaient alors pour objectif « de permettre à des patients psychiatriques de bien s’intégrer dans la communauté de façon à ce qu’ils aient le moins besoin possible d’être réhospitalisés. » (MSSS, Suivi intensif en équipe dans la communauté, p.3) Le suivi intensif communautaire en équipe comprend plusieurs caractéristiques qui définissent la structure opérationnelle à adopter afin de rencontrer ses objectifs. Les voici : 1- Le suivi se fait par une équipe d’intervenants qui est responsable de l’ensemble des services reçus par la personne souffrante. Autant que possible, c’est l’équipe qui donne les services directement à la clientèle, sinon, elle s’assure que ces services sont dispensés autrement. 2- L’équipe d’intervenants est multidisciplinaire, ses membres sont de diverses professions et doivent s’assurer de la cohérence des services. Ceci demande de la communication et de la coordination entre les membres de l’équipe. 3- Un intervenant s’occupe de 8 à 12 personnes atteintes de troubles mentaux graves et persistants. 4- Le suivi se veut individualisé et doit s’adapter quotidiennement aux changements possibles dans les milieux de vie des usagers. 5- L’intervention se fait surtout dans les milieux de vie des usagers et non dans les bureaux des intervenants, autant que possible. C’est donc l’intervenant qui se déplace dans la communauté pour rencontrer les personnes souffrantes, il doit se 20 rendre là où vit la personne que ce soit à son logement, dans la rue, au restaurant du coin etc. 6- Le suivi intensif appelle les membres de l’équipe à intervenir au besoin le soir et la fin de semaine, ils doivent être disponibles sur appel pendant la nuit. La disponibilité des intervenants auprès des clients s’avère une nécessité. 7- Le suivi est proactif plutôt que réactif, ceci signifie que « l’on anticipe les crises et on cherche à les prévenir » (MSSS, Suivi intensif en équipe dans la communauté, p.3) 8- Le travail des intervenants dans ce suivi doit favoriser autant que possible une intégration complète et satisfaisante de la personne atteinte de troubles mentaux graves et persistants. 9- Le suivi dure aussi longtemps que le besoin se fait sentir par le client, aussi longtemps que c’est cliniquement justifiable. Il importe maintenant d’établir la philosophie qui sous-tend ce type de soutien communautaire et de rendre compte des objectifs dont il vise l’atteinte et ce, à partir du document du Ministère de la Santé et des Services Sociaux mentionné ci-haut. Chaque élément de cette philosophie coïncide avec une orientation régissant ce type de suivi. Voici ces orientations : 1- augmenter l’autonomie fonctionnelle du client; il importe que ce dernier apprenne à réaliser certaines tâches qui semblent futiles mais qui touchent à la vie quotidienne ; 2- favoriser l’intégration du client dans la communauté; 3- un des objectifs de l’équipe d’intervenants est d’aider l’usager à développer ses habiletés de vie quotidienne, à apprendre à devenir responsable, à agir en tenant compte des conséquences de ses choix; 4- un autre objectif consiste à aider l’usager à prendre ses médicaments. Ceci peut exiger des rencontres quotidiennes entre l’usager et l’équipe afin de développer une relation de confiance entre la personne souffrante et les intervenants. Une fois la 21 relation de confiance établie, il est plus facile pour les intervenants de négocier avec le client quant aux doses de médicaments. L’équipe d’intervenants se doit d’être attentive aux besoins du client, ceci demande un climat d’écoute et de respect envers les plaintes de l’usager sur les effets secondaires des médicaments. 5- L’équipe du suivi se doit d’accompagner et d’intervenir au nom de l’usager dans la communauté, que ce soit auprès des propriétaires de logement, des employeurs, des gens que l’usager fréquente. Les membres de l’équipe d’intervenants accompagnent les clients dans leurs démarches auprès des instances judiciaires et gouvernementales. 6- L’équipe se doit ainsi d’aider le client à former son tissu social qui le mène vers l’autonomie. 7- Elle se doit aussi de donner tout le soutien dont l’usager a besoin sans faire d’exagération afin d’éviter une trop grande dépendance du client face à l’équipe de soutien. L’autonomie de la personne doit être encouragée. 8- Enfin, la structure du suivi laisse une grande latitude aux intervenants quant à la nature de leur relation avec le client. C- Le suivi intensif : l’équipe L’équipe qui assure ce suivi est multidisciplinaire; les individus qui la composent appartiennent à différentes professions qui se préoccupent autant de la santé physique de la personne souffrant de troubles mentaux que de sa santé psychologique. Idéalement, une équipe de suivi intensif est composée d’un psychiatre à temps partiel, d’au moins une infirmière ou un infirmier psychiatrique ainsi que d’un ou plusieurs spécialistes en service social, psycho-éducation, psychologie, réadaptation professionnelle et en toxicomanie. L’équipe peut accueillir en son sein un client(e) ou un ex-client(e), ce qui permet une approche plus ouverte. L’équipe dispose de son propre bureau dans la communauté, bureau situé le plus près possible du milieu de vie des usagers du suivi ou de la majorité de 22 ceux-ci et non dans un hôpital. Une secrétaire-réceptionniste a pour tâche d’assurer le lien entre les usagers et le personnel intervenant sur le terrain. Le suivi intensif en équipe dans la communauté implique que « chaque usager devrait connaître et bénéficier du soutien de chacun des intervenants. » (MSSS, Suivi intensif en équipe dans la communauté, p.4). Le suivi se veut individualisé. Il couvre toutes les sphères de la vie du client : suivi médical, soutien au logement, réadaptation sociale, etc. Afin d’éviter l’incohérence dans la gamme des services offerts, un échange continu entre les intervenants de l’équipe assurant le suivi s’avère essentiel. Le document du Ministère ajoute que cet échange continu doit se faire : « préférablement au moyen d’une rencontre quotidienne. Il est préférable que l’équipe soit coordonnée par un intervenant qui donne lui-même aussi des services directs au client, de façon à ce que le coordonnateur ait une connaissance directe de la situation de chaque usager. » (MSSS, Suivi intensif en équipe dans la communauté, p.4) Ces propos montrent l’importance que le gouvernement accorde dans l’élaboration d’un programme de suivi, à la coordination et à la cohérence des services offerts. Celui-ci encourage la communication au sein de l’équipe et l’échange d’informations lors de réunions de travail quotidiennes des intervenants oeuvrant au sein d’une même équipe. Le fonctionnement quotidien du suivi se réalise dans les milieux de vie de la clientèle, dans la communauté et non dans les bureaux des intervenants. Le travail de l’équipe d’intervenants consiste à : « favoriser chez l’usager l’apprentissage d’activités quotidiennes telles que le ménage et la cuisine, la résolution de crises diverses (évictions, arrestations, rechutes psychotiques), l’accompagnement aux services judiciaires et gouvernementaux, le soutien (parfois quotidien) à la prise des médicaments prescrits, la prestation directe de services cliniques divers, et la représentation auprès des propriétaires de logement, des employeurs et des autres membres de la communauté avec qui les clients sont en relation » (MSSS, Suivi intensif en équipe dans la communauté, p.4) 23 Le but du suivi intensif en équipe dans la communauté est révélé par la charge de travail mentionnée plus haut. Le gouvernement s’attend à ce que les intervenants accompagnent la personne souffrant de troubles mentaux graves et persistants dans tous les secteurs de sa vie privée et publique ainsi que dans ses moments de crise. Pour rencontrer cet objectif, les équipes d’intervenants doivent se montrer extrêmement disponibles envers leurs clients. Il est toutefois mentionné, dans le document gouvernemental, que si l’équipe n’est pas en mesure d’assurer le service, elle peut travailler en coordination avec un service de crise qui fonctionne sept jours sur sept et 24 heures sur 24. Il importe que le client obtienne une aide familière à tout moment, sinon dans un court délai (quelques heures). Le suivi intensif en équipe dans la communauté n’est pas le seul service offert aux personnes en difficulté. Ce type de soutien est en relation avec d’autres services mais les membres de l’équipe d’intervenants doivent fournir au client un maximum de services de manière directe et sans avoir recours ni à une clinique externe, ni aux résidences protégées et supervisées (afin que le client puisse vivre dans son logement), ni aux milieux de travail protégés. En ce qui concerne le domaine de la toxicomanie, l’intervenant spécialiste dans ce domaine s’occupe d’aider le client à contrôler sa consommation sans faire appel à des services d’aide extérieurs au suivi (sauf dans le cas de certains programmes comme les Alcooliques Anonymes). Enfin, selon les besoins de la personne suivie, d’autres ressources peuvent s’ajouter en cours de route. Le but de l’équipe est d’apporter un maximum de soutien afin d’assurer une aide constante et familière à ce dernier. Cette façon de faire favorise les échanges et, par conséquent, l’accroissement du bien-être de la personne souffrante. Dans certains cas, la famille désire s’impliquer dans le suivi de la personne souffrante. Le gouvernement encourage cette implication familiale. Il favorise aussi la participation du client à des activités sociales et culturelles diversifiées se situant dans ses champs d’intérêts et lui permettant d’acquérir et de développer une certaine autonomie. Cependant, le gouvernement, dans ses documents sur le suivi intensif en équipe dans la 24 communauté, insiste pour que ce soit l’équipe qui soit responsable directement des services donnés à la clientèle. La position du gouvernement n’en est pas moins claire : l’équipe est directement responsable de la majeure partie du soutien apporté à la clientèle. Trois questions relatives aux modalités et à la nature des interventions doivent également être couvertes dans le cadre de notre recherche. Il s’agit du partenariat au niveau des ressources, de la nature des relations entre les intervenants et les usagers et de l’évolution du rôle joué par les intervenants. Chacun de ces points mérite que l’on s’y attarde. Le premier point a trait au partage des ressources entre les équipes de suivi intensif et les instances d’aide extérieures. Deux grandes tendances paradoxales se dessinent : 1- Un des principes du suivi intensif demande que l’équipe fournisse un maximum de services directs ce qui réduit le partenariat avec des ressources externes au suivi. 2- Un des objectifs du suivi consiste à maximiser l’intégration communautaire de l’usager, ce qui conduit l’équipe à intégrer au suivi une grande variété de ressources externes à celui-ci. On remarque qu’un principe et un objectif du suivi entrent plus ou moins en contradiction en ce qui a trait à l’utilisation de ressources extérieures. Les services spécifiques offerts par l’équipe en charge du suivi intensif sont le soutien au logement, le soutien à l’emploi ainsi que le traitement pour l’alcoolisme et la toxicomanie. Nous avons mentionné plus haut les tâches qui se rapportent au soutien au logement dont la réalisation vise à faire en sorte que le client acquiert une certaine autonomie dans un milieu de vie donné. Soulignons que le privilège est donné aux milieux de vie autonomes. 25 Il est possible pour un usager d’occuper un emploi dans un milieu de travail normal et ce, à l’aide d’un soutien approprié qui sous-tend deux conditions de réussite : « Les services de suivi et de soutien à l’emploi doivent être donnés par les membres d’une même équipe professionnelle […] Il faut placer l’usager directement dans un emploi normalisant qui correspond à ses préférences et ensuite le soutenir (de même que l’employeur) dans son emploi » (Suivi intensif, p.45). Il existe deux modalités de soutien à l’emploi: 1- L’équipe peut inclure un ou deux spécialistes en réadaptation professionnelle qui ne s’occupent pas des crises mais du soutien à l’emploi ; 2- Dans un même centre, inclure deux équipes : une équipe de suivi intensif et une équipe de soutien à l’emploi. Cette dernière équipe s’occupe aussi de cas où les troubles mentaux en question sont moins graves que ceux dont s’occupe le suivi intensif. Les deux équipes sont logées dans le même bâtiment « et leurs membres communiquent entre eux sur une base quotidienne » (Suivi intensif, p.46). Pour traiter efficacement les problèmes d’alcoolisme et de toxicomanie, l’équipe d’intervenants doit comprendre au moins un spécialiste dans le domaine, car si le but du suivi intensif consiste à développer l’autonomie du client, l’équipe qui le dispense doit elle aussi aspirer à l’autonomie fonctionnelle. Au départ, les usagers toxicomanes ou alcooliques sont classés sur une échelle allant de la pré-contemplation (où le fait d’être alcoolique ou toxicomane n’est pas un problème pour l’usager) au maintien effectif de l’abstinence. A chaque stade d’évolution du processus de prise de conscience du problème où l’usager est amené, celui-ci peut choisir dans un éventail d’interventions qui lui sont proposées. Certains services externes s’avèrent presque inutiles à l’équipe d’intervenants. Par exemple, une équipe multidisciplinaire n’a pas vraiment besoin d’une clinique externe psychiatrique ou d’une clinique spécialisée étant donné que l’équipe compte un psychiatre. 26 Néanmoins, rien n’empêche l’équipe d’intervenants de faire appel à des ressources extérieures comme les clubs sociaux, les groupes d’entraide, les ressources de santé mentales orientées vers les arts et vers les loisirs, et enfin, les services de crises ouverts 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 (si l’équipe n’offre pas de service de première ligne la nuit). L’équipe peut également solliciter la collaboration des employeurs, des CLSC et d’autres organismes communautaires (tels les centres sportifs etc.). « Dans bien des cas le travail de l’équipe doit se faire autant auprès des organisations pour les aider à accepter et à composer de façon harmonieuse avec les usagers qu’auprès des usagers pour les aider à interagir plus normalement. » (Suivi intensif, p.47). Le but est donc de développer autant que possible le tissu social de l’usager. En ce qui concerne les relations entre les intervenants et les usagers, il faut préciser que la loi québécoise protège les usagers. Il est demandé aux intervenants de respecter le besoin d’indépendance des usagers et de ne pas avoir recours à des méthodes paternalistes et coercitives. Il y a bien des exceptions, des cas où une coercition limitée peut être préférable, par exemple, quand l’équipe contrôle une partie des prestations sociales de l’usager afin de s’assurer que celui-ci ait de quoi payer son loyer. La coercition est toutefois déconseillée parce que, dans bien des cas, elle mine les rapports entre les intervenants et les usagers. Un rapport de confiance ne se développe pas à partir d’un jeu de pouvoir mais d’une saine collaboration entre les deux partis impliqués. La collaboration et la confiance doivent être le plus possible présentes dans les relations intervenants/usagers, surtout lorsque le client requiert un suivi à long terme. Afin d’établir cette relation de confiance, les intervenants doivent posséder trois attitudes fondamentales : l’empathie, l’énergie et la créativité. Le document du Conseil d’Évaluation des technologies de la santé du Québec propose d’embaucher « des intervenants qui se sentent plus semblables aux usagers que différents d’eux - et donc seront naturellement portés à les traiter avec empathie et compassion » (Suivi intensif, p.44). 27 Les chambardements qu’implique l’implantation d’un suivi intensif en équipe dans la communauté peuvent entraîner des changements dans les rôles traditionnels attachés aux professions. « Les rôles du psychiatre et des intervenants d’une équipe de suivi intensif ne correspondent pas aux rôles professionnels habituels au Québec. » (Suivi intensif, p.44). Le suivi intensif requiert une certaines polyvalence de la part de chacun des intervenants. À l’intérieur de l’équipe, le travail doit être réparti de manière à « définir des champs de responsabilité communs à tous les intervenants, tout en reconnaissant les contributions spécifiques de chaque profession » (Suivi intensif, p.44). Pour ce faire, une plus grande disponibilité est exigée des intervenants, peu importe leur statut professionnel au sein de l’équipe. Le document gouvernemental, dans lequel nous avons déjà abondamment puisé, donne une idée des tâches qui incombent au psychiatre oeuvrant au sein d’une équipe de suivi intensif: - le psychiatre passe une partie importante de son temps à rencontrer les usagers dans leur milieu de vie; - il partage le pouvoir de décision clinique avec le coordonnateur de l’équipe qui n’est pas un médecin ; - le psychiatre participe à certaines interventions de l’équipe auprès d’organisations diverses » (Suivi intensif, p.45) Dans un contexte de désinstitutionnalisation et de responsabilisation des « cellules d’intervention » que sont les équipes de suivi intensif, les principes orientant l’action des organismes d’aide varient en fonction de leur statut (communautaire ou institutionnel public) Les intervenants ont des valeurs, des philosophies et des principes qui émanent de l’organisme au sein duquel ils évoluent. Ces principes déterminent dans une certaine mesure leurs comportements et leurs façons d’aborder la clientèle sur le terrain autrement dit, leurs représentation du suivi intensif. 28 D- La marginalisation et l’exclusion Dans le cadre de notre recherche, il est nécessaire de définir deux importants processus vécus par la clientèle du suivi intensif. Il s’agit des processus de marginalisation et d’insertion sociale. La marginalisation est définie comme «le fait d’être exclu de la société, de perdre son intégration sociale. » (Le Larousse, 1992) Dans les dictionnaires de sociologie, la personne qualifiée de marginale est considérée comme déviante par rapport aux autres membres de la société, c’est-à-dire qu’elle vit en dehors des normes et des valeurs véhiculées par celle-ci Il est deux types de marginalisation : dérivative et contingencielle. Ces deux types de marginalisation impliquent une prise de conscience par le sujet de son rapport à la société, à ses normes et à ses valeurs. La marginalisation dérivative est non-intentionnelle, ce qui signifie que l’individu, en raison de l’un de ses attributs « contre » lequel il ne peut rien (par exemple, la couleur de sa peau ou son homosexualité) se retrouve, dans une certaine mesure, exclu d’une pleine participation à la vie sociale de la communauté au sein de laquelle il évolue. La marginalisation contingencielle, quant à elle, implique le choix individuel de ne pas se conformer aux normes et aux valeurs de la société (par exemple, on ne naît pas skinhead, on choisit de le devenir en dépit du fait qu’une telle identification conduit à l’exclusion sociale, et ce, peu importe que l’exclusion soit davantage vécue comme une « adhésion à » que comme une « exclusion de »). La marginalisation contingencielle : Graphique I Prise de conscience de l’identité Prise de conscience de la différence CHOIX Exclusion Acceptation et intégration des valeurs et des normes sociétales 29 30 Inclusion dans la société Dans le cas des individus souffrant de troubles mentaux graves et persistants, il va sans dire que la marginalisation dont il est question est dérivative. Le client n’a pas choisi d’être malade. Au Québec, on a choisi de combattre l’exclusion des personnes aux prises avec des troubles mentaux graves en les intégrant, dans la mesure du possible, dans le « milieu » (et ce, bien que cette mesure soit également la réponse non à la nécessité d’humaniser les soins, mais à d’incontournables « impératifs » budgétaires. Avec la mise en place de sa politique du « virage milieu », le gouvernement, s’est résolument engagé sur la voie d’une intégration des personnes atteintes de troubles mentaux au sein de la société québécoise et ce, malgré le fait que la population soit défavorable à 64,2% à la présence de ces personnes dans leur environnement .(Télé-Québec, Les règles du jeu, 11 déc.1999). L’insertion sociale (ou l’intégration sociale) peut se définir comme suit : un «processus par lequel un individu fait siennes les normes culturelles prévalant dans une société ou un groupe. » (La Sociologie, 1970). La personne, dans ce cas-ci, adopte les normes et les valeurs culturelles, morales, sociales, etc. qui font gouvernent la culture dominante de la société. Elle est donc en accord avec celles-ci et elle les intériorise, ce qui facilite ses interactions avec les autres membres de la communauté et, par le fait même, son intégration à cette communauté. E- La représentation sociale 31 Notre recherche porte sur les représentations sociales que les intervenants peuvent avoir du suivi communautaire. Moscovici définit les représentations sociales comme étant «des produits », c’est-à-dire : «des systèmes cognitifs ayant une logique et un langage particuliers. Elles portent autant sur les valeurs que sur les concepts […] Les représentations sont des organisations d’éléments cognitifs, chargés affectivement. Organisations d’images, de concepts, de significations ayant trait à un objet […] elles s’édifient comme le reflet de celui-ci et comme une activité de sujet individuel et social » (Moscovici, 1961, p.302). Selon Moscovici, nous recourons sans cesse à des représentations lorsque nous communiquons avec les autres. La représentation sociale institue le sens que l’on doit donner à un phénomène, un objet ou une situation. Elle est socialement élaborée et partagée et elle élabore l’action. La représentation sociale est l’idée qu’un groupe se fait d’un phénomène ou d’un objet. Cette idée règle le comportement de tout un chacun vis-à-vis le phénomène ou l’objet en question. Une représentation sociale est constituée d’un noyau et d’éléments périphériques. Le noyau est l’ « idéal », ce dont on ne peut faire abstraction sans courir le risque de perdre la notion même de ce dont on parle. Par exemple, la notion de couleur implique nécessairement la notion d’étendue. La représentation sociale laisse place à la subjectivité individuelle. Les éléments périphériques sont des corrélats du noyau, des variantes subjectives de celui-ci. Le sujet X définit le gris comme étant le mélange du noir et du blanc, alors que le sujet Y le définit comme étant à mi-chemin entre le noir et le blanc. Les deux s’entendent sur ce qu’est le gris mais le conçoivent différemment. Le processus est schématisé ainsi : La représentation sociale : Graphique II 32 RÉEL INDIVIDU objectif subjectif Objet du réel Idée, image Comportements En conclusion, le suivi communautaire a été créé pour résoudre les problèmes des personnes atteintes de troubles de santé mentale. Ce suivi a pour but d’éviter la marginalisation et l’exclusion de ses usagers. Le suivi intensif, quant à lui, se déroule en équipe, il est donc nécessaire pour les intervenants d’en venir à un consensus sur la perception de leur suivi afin d’éviter des troubles de communication et de comportements. Chapitre II- A- La problématique Mandat Notre recherche se situe dans un contexte de désinstitutionnalisation, où les services publics de santé se donnent en priorité dans la communauté et non dans les institutions hospitalières. Cela s’avère particulièrement vrai dans le domaine de la santé mentale. En effet, depuis quelques années, le gouvernement québécois met sur pied des programmes d’intervention dans les milieux de vie des personnes atteintes de maladies mentales. Ces programmes se 33 traduisent dans les faits par différents types de soutien, (non-intensif, le case management et le suivi intensif en équipe dans la communauté). Ces types de soutien ne semblent pas donner les résultats escomptés. Ainsi, selon l’information divulguée par l’émission Les règles du jeu, les personnes aux prises avec des troubles mentaux graves et persistants sont de plus en plus victimes du syndrome de la porte tournante, c’est-à-dire le phénomène qu’elles vivent en se déplacent constamment entre l’hôpital psychiatrique, la rue et le poste de police. Cette réalité amène la population de même que les spécialistes à se poser de sérieuses questions concernant le virage ambulatoire de la désinstitutionnalisation. Nous ne disposons ni du temps, ni des ressources qui nous permettraient d’apporter des éléments de réponses à ces questions. C’est pourquoi nous avons choisi, de concert avec notre cliente, de nous intéresser qu’à une seule cause potentielle des problèmes qui sont soulevés présentement par la création d’une équipe de suivi intensif, soit l’existence d’importantes différences dans les représentations de ce type de suivi au sein du comité chargé de la mise sur pied d’un tel suivi. Ces différences, si elles existent, ont-elles leur origine dans un présumé décalage entre la réalité du terrain et la conception théorique du suivi, ou selon le type d’organisme où oeuvrent les intervenants, ou encore dans la culture professionnelle des intervenants ? Reprenons la question de recherche à partir des éléments du sujet énumérés plus haut. Quelles sont les différences entre les représentations du suivi dans la communauté chez les intervenants? Le document du Conseil d’Évaluation des technologies de la santé du Québec, décrivant les modalités du suivi intensif, offre déjà des modèles de ce type d’intervention. Ces modèles, présentés en annexe, peuvent servir à l’élaboration d’un modèle idéal de ce type de suivi. Le modèle idéal suivant se divise en cinq parties qui reprennent les grandes lignes du suivi intensif. B- Le modèle idéal du suivi intensif en équipe dans la communauté SUIVI : 34 Buts : encourager l’autonomie du client et l’intégration de ce dernier dans la communauté. Le suivi se veut proactif, il veut anticiper les crises. INTENSIF : Fréquence des rencontres : Les intervenants doivent se rencontrer quotidiennement, les clients ont le droit de rencontrer les intervenants quotidiennement, les intervenants se doivent de connaître leurs clients, de les rencontrer régulièrement. EN ÉQUIPE : Multidisciplinaire : L’équipe est composée de plusieurs intervenants de diverses professions (un psychiatre, une infirmière, des intervenants spécialisés en toxicomanie et alcoolisme, en soutien professionnel à l’emploi, en psycho-éducation, en réadaptation sociale (etc). L’équipe nomme un coordonnateur. Rôles : les rôles des intervenants professionnels ont changé. Ils sont différents des rôles traditionnels l’intervenant doit faire preuve d’une certaine polyvalence. Cohérence des services : L’équipe doit s’assurer que les services donnés par chacun des intervenants sont compatibles et n’entraînent pas d’incohérence; ceci justifie la tenue d’une rencontre quotidienne au sein de l’équipe. DANS LA COMMUNAUTÉ : Dans le milieu de vie des usagers Faire le moins possible appel aux services externes au suivi mais l’équipe peut y faire appel pour favoriser la construction d’un tissu social pour l’usager. PERSONNE ATTEINTE DE TROUBLES MENTAUX GRAVES ET PERSISTANTS : La dimension de la souffrance psychologique chez la personne doit être considérée par les intervenants. 35 L’équipe lui vient en aide dans l’apprentissage des tâches quotidiennes, la construction d’un tissu social et le soutien à l’emploi. Les intervenants peuvent aider l’usager à la prise quotidienne des médicaments. Ils se doivent d’être à l’écoute de cette personne et respecter son autonomie et sa capacité de jugement. Ce modèle idéal sera comparé à ceux des intervenants. Il est construit à partir des documents gouvernementaux. C- Le modèle idéal du Case management Le case management consiste en un intervenant qui soutient ses clients en leur présentant les ressources communautaires appropriées à leurs besoins. Il n’y a pas d’équipe et pas de fréquences obligatoires. D- Le suivi non intensif : Ce dernier type de suivi ressemble quelque peut au Case management mais, comme son nom l’indique, il est non intensif. L’intervenant n’est pas obligé d’accompagner la personne dans les diverses démarches qu’il lui propose. Ces modèles idéaux seront comparés à ceux des intervenants. Ils sont construits à partir des documents gouvernementaux. 36 E- Les hypothèses Les chemins qui s’ouvrent devant nous sont nombreux, c’est pourquoi nous nous limitons aux hypothèses suivantes : 1a) Les intervenants ont des représentations du suivi communautaire, distinctes d’un intervenant à l’autre et qui varient selon le type d’organisme (public ou communautaire) où oeuvrent les intervenants. 1b) Ces représentations sous-tendent des valeurs, des principes d’intervention et des perceptions du client, ce qui complique la tentative de création d’une équipe de suivi composé d’intervenants de différents organismes. Chapitre III - Méthodes A- L’entrevue Les représentations sociales étant jusqu’à un certain point le domaine de la subjectivité et des expériences individuelles, nous avons opté pour la méthode de l’entrevue semi-dirigée. Cette méthode nous a permis de comparer les discours des répondants ainsi que de vérifier quels éléments du suivi communautaire font l’objet de représentations différentes (les valeurs et principes du suivi, la perception du client etc.). Nous avons tenté de comprendre d’où viennent ces différences de représentation à l’égard du suivi communautaire. 37 Nos entrevues furent beaucoup plus ouvertes que fermées, ce qui est caractéristique des études portant sur les représentations sociales. Il importait avant tout de laisser les répondants s’exprimer spontanément et librement sur le suivi communautaire. Cette façon de faire a eu l’avantage de faire affluer des éléments auxquels nous n’avions pas pensé et a présenté pour principal inconvénient le fait d’avoir obtenu des informations dont l’intérêt et la pertinence varient d’un intervenant à l’autre. Au début de la recherche, nous avions incorporé à notre grille d’entrevue une section portant sur la formation et l’expérience de travail des répondants, mais nous avons ensuite laissé tomber cette section et avons opté pour des entrevues plus ouvertes. Dans la plupart des cas, les répondants nous ont donné les renseignements voulus d’eux-mêmes pendant l’entrevue. Nous nous sommes cependant rendu compte par la suite que nous aurions du garder notre première idée et inclure une section portant sur le « background » de nos répondants. C’est une des limites de notre recherche. La grille d’entrevue comprend une série de questions ouvertes dont le but est de couvrir les divers éléments du suivi communautaire susceptibles de faire l’objet d’une représentation sociale, autrement dit qui risquent de susciter des réponses différentes d’un répondant à l’autre. La grille d’entrevue semi-dirigée se doit de contenir des questions très ouvertes de manière à laisser la personne parler au maximum. Notre technique lors des entrevues consistait à poser une question générale faisant le tour du sujet soulevé et à réorienter parfois le répondant lorsque son discours sortait trop du cadre et du sujet de recherche ; cela dit, nous voulions minimiser nos interventions durant les entrevues. Ainsi, la grille d’entrevue se veut une progression en ce sens que nous nous intéressons d’abord à des idées générales concernant le suivi communautaire pour ensuite progresser vers des éléments plus spécifiques et plus précis caractérisant ce type de suivi. Les dernières questions de la grille d’entrevue élargissent à nouveau le débat tout en ayant pour but d’inviter le répondant à nous faire quelques confidences. Nous avons placé ces questions à la fin de la grille d’entrevue pour nous laisser le temps d’établir une relation de confiance avec les répondants. À ce stade de 38 l’entretien, ces derniers étaient en général plus à l’aise de parler de leurs idées personnelles à propos du suivi communautaire. Nous avons testé cette grille une fois avant le début des entrevues. Il aurait fallu la tester plus d’une fois mais nous avons manqué de temps pour ce faire. Nous avons toutefois compris l’importance de ne pas poser de questions qui présupposent l’adhésion au modèle idéal, il faut laisser les intervenants parler au maximum et réduire autant que possible nos interventions en tant qu’intervieweurs. Un deuxième pré-test d’entrevue a été fait lorsque nous avons rencontré notre premier répondant. Il s’est prêté au jeu et la grille était selon lui satisfaisante. Les entrevues se sont déroulées entre le 1er et le 10 février 2000. Nous avons réalisé sept entrevues dont la durée a variée entre une demie heure et une heure et demie chacune. Une huitième entrevue a été réalisée au mois de mars, nous n’avons pas eu le temps d’en tirer toutes les informations. C’est ce qui expliquera que nous citerons le répondant #8 à certains endroits seulement. B- L’observation Afin d’obtenir des données moins idéologiques et moins « politically correct » sur les rapports de forces, nous voulions faire de l’observation lors des rencontres de l’équipe d’intervenants afin de déceler des indices de rapports de forces dans les gestes, le discours, les regards, les jeux de négociation, les tons de voix et dans d’autres éléments qui définissent les relations professionnelles et peut-être personnelles. Nous souhaitions également suivre des intervenants sur le terrain, pour nous plonger dans leurs univers et celui, surtout, de leurs clients. Cet univers, c’est le milieu de travail des intervenants et le milieu de vie des personnes atteintes de 39 troubles mentaux graves et persistants. Ce type d’observation nous aurait permis de mieux comprendre la situation des clients qui font l’objet du suivi communautaire en équipe. Mais, comme le suivi intensif en équipe dans la communauté n’existe pas à Québec, (c’est ce que nous avons appris au mois de janvier), nous n’avons pu faire d’observation sur le terrain ni lors de rencontres d’équipe d’intervenants. Cependant, on nous a permis d’assister à une rencontre entre divers intervenants des quartiers centraux de la ville de Québec qui se déroulait le 27 janvier au CLSC Basse-Ville-Limoilou à 9 heures du matin. C’est surtout à ce moment que nous avons été plongés dans le bain de la réalité concernant le suivi intensif en équipe dans la communauté. Ce type de suivi n’existe pas mais il est en voie de création. Cette rencontre regroupait plusieurs acteurs qui se concertaient sur l’éventuelle création d’une équipe d’intervenants provenant des organismes communautaires et des organismes institutionnels et publics que sont les CLSC. Cette rencontre nous a fait découvrir le côté politique du suivi étudié ici et dont certains répondants parlent dans les entrevues. C) La population : Cette recherche s’intéresse aux représentations sociales des intervenants de la ville de Québec à l’égard du suivi communautaire. Comme cette population est plutôt homogène, notre échantillon n’a pas besoin d’être très étendu. Nous nous sommes limités à 8 intervenants et, afin de répondre à l’hypothèse qui s’intéresse aux différences de représentations entre les organismes publics et les organismes communautaires, notre cliente nous a soumis deux organismes de chaque types qui oeuvrent dans les quartiers centraux de la ville de Québec soit deux CLSC (les CLSC Haute-Ville et le CLSC Orléans) ainsi que deux organismes communautaires (PECH et Archipel d’Entraide). Deux intervenants ont été choisis par organisme afin de vérifier si les différences de 40 représentation se situent au niveau des organismes ou au niveau des intervenants eux-mêmes. Nous aurions voulu un échantillon d’au moins 12 intervenants mais le temps nous a limité à 8. Les intervenants ont répondu à nos questions sous le couvert de l’anonymat. Si nous ne pouvons révéler leur identité, il nous est cependant possible de glisser un mot sur les organismes où ils oeuvrent. Les deux CLSC font du suivi auprès des personnes atteintes de maladie mentale, que ce soit des troubles transitoires ou des troubles graves et persistants. Le CLSC Haute-Ville se situe sur le chemin Ste-Foy et près du secteur de la rue Cartier à Québec. Nous avons déjà décrit sommairement la population du territoire de ce CLSC en introduction au début de la recherche. Le CLSC Orléans se situe à Beauport, tout près de l’Hôpital Robert-Giffard, bien connu pour sa clientèle qui se compose de personnes aux prises avec des troubles mentaux. La population de ce territoire ne partage pas tous les traits caractéristiques de celle du territoire couvert par CLSC Haute-Ville. Les deux organismes communautaires sont situés en Basse-Ville de Québec. L’Archipel d’Entraide se trouve sur la Côte d’Abraham, qui sépare la Haute-Ville de la Basse-Ville. La population à qui l’organisme adresse ses services est dans une forte proportion constituée de sans abris. PECH, de son côté, se situe entre les quartiers Saint-Roch et Saint-Sauveur sur la rue StJoseph en Basse-Ville. Sa clientèle se compose de gens qui ont été judiciarisés ou qui ont des troubles mentaux. Les deux organismes offrent leurs services d’aide dans la communauté immédiate qui les entoure. 41 Partie 2 : L’analyse des représentations A Introduction : La présente partie est le coeur de notre étude sur le suivi intensif en équipe dans la communauté. Nous tenons à souligner que ce type de suivi n’existe qu’à l’état embryonnaire dans la ville de Québec ; en pratique il n’existe pas ici. Au cours des entrevues, certains répondants ont affirmé qu’ils appliquent présentement ce type de suivi alors que d’autres dénoncent le fait qu’il n’existe pas. On voit donc déjà des différences dans les représentations de la définition du suivi intensif ainsi que dans le suivi communautaire que ces intervenants pratiquent actuellement. Dans 42 un premier temps, il est impératif de reprendre les deux hypothèses de la question de recherche pour les décortiquer en sous-éléments à analyser. Cette étape est primordiale si nous ne voulons pas déroger du mandat qui nous a été confié. Par la suite, viendra l’étape de l’analyse proprement dite. Cette dernière étape se divisera en deux parties. Dans la première, nous rendrons compte de l’essentiel du discours tenu par chacun des intervenants. Dans la deuxième partie, nous procèderons à un regroupement de ces discours, regroupement que nous opérons à la lumière des points que ceux-ci ont en commun. Même si le suivi intensif en équipe dans la communauté existe dans les écrits gouvernementaux, il n’existe pas en pratique dans la ville de Québec. Cela dit, il est en voie d’être mis en opération via la création d’un comité regroupant des intervenants des organismes communautaires et des organismes institutionnels. Les membres de ce comité se réunissent pour débattre de la question de la création d’une équipe d’intervenants provenant des organismes publics et communautaires susceptibles de pratiquer un suivi intensif en équipe dans la communauté. Chapitre IV- Les hypothèses Nos deux hypothèses de départ sont très générales, il importe donc de les décortiquer en sous hypothèses afin de bien rendre compte de chaque élément. Voici les deux hypothèses : 1a) Les intervenants ont des représentations du suivi communautaire distinctes d’un intervenant à l’autre selon le type d’organisme (public ou communautaire) où ils oeuvrent.. 1b) Ces représentations sous-tendent des valeurs, des principes d’intervention et des perceptions du client qui diffèrent, ce qui complique l’éventuelle mise sur pied d’une équipe de suivi composée d’intervenants de différents organismes. 43 Reprenons la première hypothèse et tentons de voir ce qu’elle contient comme sous éléments : les intervenants ont des représentations du suivi communautaire distinctes d’un intervenant à l’autre selon le type d’organisme (public ou communautaire) où ils oeuvrent. Est-ce que les différences de représentation se situent strictement au niveau de l’organisme? Est-ce que les différences dépendent du type d’organisme (public ou communautaire) où les intervenants travaillent? Est-ce que chaque intervenant possède sa propre représentation personnelle du suivi et qui ne dépend pas de l’organisme où il travaille? Est-ce que ces représentations peuvent être regroupées différemment, selon d’autres critères que le type d’organisme? Les entrevues ouvertes s’avèrent très utiles pour répondre à ces questions. En effet, certains s’expriment sur des sujets qui ne sont pas directement reliés au suivi intensif en équipe dans la communauté mais qui permettent de comprendre d’où viennent les différentes représentations du suivi communautaire chez les intervenants. Certains répondants ont parlé de leur background en ce sens qu’ils nous racontaient leur propre histoire, d’autres mentionnaient simplement l’endroit de leur dernier travail, certains s’ouvraient sur des propos à connotation plus politique, d’autres parlaient de leurs clients et de l’avenir qui est réservé à ces derniers. Bref, les réponses sont très variées et plusieurs répondants ont tenu un discours original touchant à une multitude de sujets. La forme d’entrevue adoptée constitue donc un avantage pour l’analyse des origines des différences entre les représentations des intervenants. L’hypothèse, une fois décortiquée, permet donc d’orienter l’analyse, d’identifier les liens qui existaient entre les différentes représentations. Certains répondants s’accordent en partie avec d’autres, en ce sens qu’ils ont des représentations communes sur certains points du suivi mais pour ensuite tenir des discours discordants concernant d’autres éléments. Qu’est-ce qui cause ces différences dans les représentations? C’est peut-être la formation de chacun, ou encore leur position par rapport à la politique, leur expérience personnelle, etc. Notre cliente pense quant à elle qu’il faut chercher du côté des différents types d’organisme au sein desquels évoluent les 44 intervenants. Tous ces foyers possibles de variation dans les représentations seront couverts dans l’analyse proprement dite. La deuxième hypothèse se formule ainsi : ces représentations sous-tendent des valeurs, des principes d’intervention et des perceptions du client qui diffèrent, ce qui complique l’éventuelle mise sur pied d’une équipe de suivi composé d’intervenants de différents organismes. Décortiquons ces éléments. Premièrement, il y a les valeurs et les principes d’interventions; certains répondants les regroupent, rares sont ceux qui les distinguent clairement. Afin de faciliter l’analyse, nous regrouperons ces éléments avec les habiletés personnelles. Il ne faut pas oublier non plus la perception du client, de ses problèmes et de sa situation. Nous regroupons également dans l’analyse le déroulement du suivi avec la manière dont se fait le premier contact, tout en étant conscients que cela peut changer d’un organisme à l’autre. Les activités et les comportements des intervenants au sein du suivi seront regroupés. Ensuite, nous analyserons la représentation globale du suivi; ce que ce suivi représente pour les intervenants, leur vision de celui-ci, le fait qu’ils « croient » ou non en lui. Finalement, deux catégories d’analyse porteront sur la fréquence et la durée du suivi dans un premier temps, et sur les buts poursuivis au sein du suivi dans un deuxième temps. Bref, les angles sous lesquels nous pouvons aborder notre corpus de données sont nombreux. Nous nous attendons à ce qu’il y ait des différences de représentation au sein d’un même organisme, ce qui est normal. Nous croyons, cependant, que certains éléments du suivi nommés ci-haut soient communs au sein d’un même organisme ou d’un type d’organisme. Nous tenterons, dans l’analyse, de discerner lesquels. Nous essayerons en outre de dégager les différents facteurs à l’origine des différences dans les représentations. 45 Chapitre V- Portraits d’intervenants Maintenant que l’univers de recherche est circonscrit, présentons quelques éléments significatifs obtenus lors des entrevues. Comme nous l’avons mentionné plus haut, celles-ci étaient de type ouvert, ce qui accroît la diversité des informations d’une entrevue à l’autre. Les membres de notre échantillon ont été sélectionnés par notre cliente. Cet échantillon est composé de huit intervenants oeuvrant auprès de personnes atteintes de troubles mentaux dans la ville de Québec et qui pratiquent un suivi de type communautaire. Pour respecter l caractère confidentiel des entrevues, celles-ci ont été numérotées de 1 à 8. distribution des numéros d’entrevue selon les organismes. Voici un tableau qui représente la 46 Tableau 1- Les organismes et leur type correspondant Nom d’organisme et son type Numéros d’entrevue correspondants Archipel d’entraide #1 et #8 / type communautaire PECH / type communautaire #5 et #7 CLSC Orléans / type institutionnel public #2 et #4 CLSC Haute-Ville / type institutionnel public #3 et #6 Ces répondants peuvent aussi être regroupés par profession et par types d’expériences. Tableau 2-Métier et expérience des répondants Métier pratiqué # d’entrevue correspondant et expérience Intervenant communautaire #5 #7 #8 expérience de terrain Éducateur #4 #6 expérience en institution Psychologue #3 expérience en institution Infirmier #2 expérience en institution Médecin #1 expérience en institution + terrain Nous pouvons, dans l’analyse, regrouper le médecin et l’infirmier étant donné que les deux s’occupent du volet médical du suivi. 47 La numérotation des entrevues respecte l’ordre chronologique elles furent effectuées. 5.1- La description des répondants Voici donc l’essentiel du discours de chaque intervenant interrogé accompagné d’un court profil. Pour faire plus sympathique et éviter de nommer les répondants par de simples numéros, nous les surnommerons temporairement. Notons que pour assurer l’anonymat des répondants, nous ne faisons pas mention de leur sexe. A) Répondant #1- « Le littéraire engagé » Le répondant #1 travaille à l’Archipel d’Entraide en tant que médecin : « Moi, c’est plus du côté médical » (entrevue #1, p.3) Il possède la connaissance du volet médical du suivi. De plus, il se veut très engagé : il siège au Conseil d’administration de l’organisme communautaire où il pratique, il est psychologue au CLSC Haute-Ville, il participe à la table de concertation pour instaurer un suivi intensif dans la communauté dont nous avons déjà parlé. Cet intervenant chevauche les deux types d’organisme, communautaire avec l’Archipel d’Entraide et public au sein du CLSC. Il a affirmé à ce sujet : « Je vois ce qui sépare les gens des CLSC, des hôpitaux des gens communautaires; c’est que l’engagement se fait. » (Entrevue #1, p.15) Le discours de ce répondant était très structuré, très méthodique et très littéraire, ce qu’il reconnaît lui-même à la fin de l’entrevue : « Je me trouve pas très spontané… » (entrevue #1, p.18). 48 Son discours sur le suivi intensif est très proche de celui que l’on retrouve dans la littérature mais il donne tout de même sa représentation du suivi communautaire qu’il opère au sein de l’Archipel : « Dans le type de suivi que moi je pratique qui est le suivi intensif …je travaille ça avec une équipe d’Archipel d’Entraide qui est une équipe de suivi intensif… » (entrevue #1, p.3) Ce répondant définit le suivi qu’il pratique comme étant du suivi intensif communautaire qui se fait en équipe. C’est sa représentation globale de son suivi. Un autre élément intéressant à souligner chez ce répondant est sa vision des conditions de vie de ses clients. En fin d’entrevue, il nous a parlé assez longuement des conditions économiques difficiles des gens qu’il suit et de l’avenir qui, selon lui, leur est réservé : « …mais ça sert à quoi [le suivi] quand ils ont aucune perspective d’emploi, qu’ils sont stressés socialement, qu’ils vont être pris avec 510$ par mois le restant de leurs jours… C’est quoi le devenir de ces gens là dans 10 ans ? » (entrevue #1, p.16) Cet extrait fait état de la sensibilité de cet intervenant en ce qui concerne sa clientèle, il révèle une vision qui dépasse les limites d’un suivi communautaire et ce, sans verser dans le paternalisme. Étant donné sa présence au sein de divers comités, nous pouvons dire du répondant #1 qu’il est un professionnel engagé dans des pratiques qui dépassent la simple intervention. B) Répondant #2- « L’infirmier expérimenté » Le répondant #2 travaille au CLSC Orléans comme infirmier en santé mentale. Il se présente comme étant : « du centre hospitalier Robert-Giffard qui suit une clientèle à domicile ou en famille d’accueil à différents endroits pour le suivi dans la communauté. […]…depuis mars il a deux ans, donc 98 à peu près, je suis attaché au CLSC comme infirmier, maintien à domicile santé mentale. […] Mon bagage…expérience est quand même tout près de 35 49 ans de soins infirmiers où j’ai travaillé autant en déficience, en médico-légal… Donc, j’ai une bonne expérience et depuis un peu plus de dix ans, je travaille sur le suivi, l’intégration entre autre dans la communauté. Depuis deux ans, je suis plus attaché à Robert-Giffard, je suis vraiment dans la communauté… » (Entrevue #2, p 1-2) Ce répondant possède une bonne expérience des milieux institutionnels et commence à acquérir une expérience axée sur le terrain tout en restant attaché à des organismes institutionnels. Il connaît la différence entre les deux types de milieux, mais n’a pas l’expérience des organismes communautaires. De ce fait, son expérience de travail est comparable au répondant #3; tous deux ont œuvré au Centre RobertGiffard et tous deux oeuvrent maintenant au sein d’un CLSC. C) Répondant #3- « Le psychologue institutionnel » Le répondant #3 travaille au CLSC Haute-Ville comme « support psychologique » auprès des clients atteints de maladie mentale. Ce répondant travaille « en alternance une fois au domicile, une fois au bureau » (entrevue #3, p.2) pour certains clients et pour ce qui est des premiers contacts, « c’est souvent, ou bien lorsqu’elle (le client) arrive à domicile, par téléphone ou encore je me rends à l’hôpital pour la rencontrer. » (entrevue #3, p.3) Voici comment ce répondant se représente le suivi qu’il pratique : « Dans ma pratique, le suivi communautaire c’est un suivi qui est plus intensif parce qu’on va aller à domicile pour des raisons de prises en charge plus globale, contrairement à un suivi au bureau où ça va être davantage des interventions de support en psychothérapie, alors que dans la communauté, les niveaux d’intervention sont beaucoup plus vastes… » (entrevue #3, p.1) Le répondant se représente son suivi comme du suivi intensif dans la communauté qui se fait en équipe. Il parle des différents types d’intervenants qui se joignent à lui dans son suivi : un médecin, un éducateur du CLSC, des intervenants de l’Archipel d’Entraide… « Alors, on a là des intervenants qui interviennent au niveau de la santé physique, de la santé mentale, de la réhabilitation à l’insertion sociale, au niveau du maintien des acquis. C’est vraiment une prise en charge globale. » (entrevue #3, p.2) 50 Pour ce répondant, le suivi intensif effectue une prise en charge totale du client. C’est ce qui lui permet de se représenter le suivi qu’il pratique comme un suivi intensif. Cependant, il est à noter que ce répondant supervise une quarantaine de cas : « Je ne peux pas voir tout le monde à toutes les semaines…[…] le tiers [des clients] que je vois souvent, le tiers que je vois à une fréquence d’une fois par mois ou aux deux mois et un autre tiers que je vais voir au besoin. » (Entrevue #3, p.5) Il est important de souligner que ce répondant était autrefois intervenant à Robert-Giffard et qu’il a été transféré au CLSC il y a trois ans lors du mouvement de la désinstitutionnalisation. Ce répondant a surtout travaillé en milieu institutionnel. Son expérience de travail ressemble à celle du répondant #2. D) Répondant #4- « L’éducateur expérimenté » Le répondant #4 travaille au CLSC Orléans en tant qu’éducateur. Il joue souvent un rôle d’intervenant pivot ou de coordonnateur de plan de services. Ça fait 25 ans qu’il pratique son métier, il possède donc une bonne expérience dans le domaine. Il a déjà été attaché au centre de crises de Robert-Giffard, mais il travaillait surtout dans la communauté, il allait voir les clients à leur domicile. Son bagage d’expériences de travail n’est pas sans rappeler les répondants #2 et #3 mais à la différence que lorsqu’il travaillait pour le Centre Robert Giffard, il pratiquait déjà un suivi dans la communauté. Il définit sa fonction d’intervenant de manière très professionnelle : « Nous autres quand on est là c’est souvent pour palier… On est des intervenants, on est pas des frères et sœurs, on est pas leurs amis, on leurs explique bien que notre rôle, c’est vraiment un rôle d’intervenant… Pour certains, on se rend compte qu’on est pratiquement le seul lien […] t’es la personne de confiance … » (entrevue #4, p.12-13) Il prend ses responsabilités tout en gardant une certaine distance professionnelle par rapport au client, peut-être pour éviter que celui-ci ne développe une dépendance affective. Un autre aspect qui ressort dans l’extrait cité précédemment, c’est justement la connaissance de la maladie mentale, de son client et des techniques d’approche des clients. Il acquiert actuellement une 51 formation offerte par le CLSC et qui porte sur l’approche communautaire. Il s’y connaît en intervention : « C’est des techniques qu’on a, on est habitué… » (Entrevue #4, p.7). Pour ce répondant, le suivi qu’il pratique est réalisé en collaboration avec d’autres personnes comme le psychiatre ou des équipes de santé mentale ou d’autres personnes du milieu. Il considère son suivi comme un suivi communautaire fait en équipe. Pour lui, c’est un devoir, c’est une base importante pour la communauté mais cela demande beaucoup. Il travaille plus souvent dans la communauté mais utilise parfois son bureau si le client en a besoin. Il donne d’ailleurs en exemple un cas où le client s’avère plus transparent en bureau que dans communauté. Pour lui, le suivi c’est du support, de la prévention, de la réadaptation, etc. E) Répondant #5- « Le sociologue professionnel » Le répondant #5 pratique un suivi communautaire au sein de l’organisme PECH qui œuvre en Basse-Ville de Québec. Il pratique son intervention au sein d’un organisme communautaire. Ce répondant est titulaire d’un baccalauréat en sociologie, son discours sur la « réalité sociale » révèle une vision plus théorique que pratique de l’intervention mais il fait preuve d’un grand professionnalisme envers les clients dont il est responsable. Il aide les clients mais sans trop s’investir personnellement : « …on travaille à la frontière comme intervenant […] pas tout gober, sentir les émotions ou les problèmes des autres. Faut arriver à se faire une bonne frontière pour justement garder son énergie […] Comment intervenir avec les gens aussi ? Comment on peut travailler les problèmes pis qu’est-ce qui nous appartient des fois quand une personne nous parle de ses problèmes? » (Entrevue #5, p.18-19) Ce répondant définit le suivi qu’il pratique comme étant un accompagnement de la clientèle dans le milieu, du maintien dans la communauté où l’intervenant aide la clientèle à développer son autonomie. 52 Ce répondant fait preuve d’un grand professionnalisme qu’il a acquis par expérience. Il croit en son suivi mais apporte la nuance suivante : « Quand le suivi tombe, le client tombe » (Entrevue #5, p.12). Cet intervenant est conscient que le client peut développer dépendance affective à son égard : il a déjà vécu cela. Cet intervenant souligne également qu’en tant qu’intervenant, il est important de travailler à sa propre santé mentale. L’organisme PECH offre aux intervenants une supervision clinique dite de psychothérapie corporelle intégrée (P.C.I.) où le travail se fait sur le corps, l’âme et l’esprit. « …les intervenants, il faut se soucier de notre propre santé mentale parce qu’on est pas à l’abri de ça non plus. […] Fait qu’on est bien soucieux de notre santé mentale pis on s’est doté d’une supervision pour ça. Pis on en transmet des éléments aussi à notre clientèle. » (Entrevue 5, p.19) Cet enseignement de techniques de santé mentale à certains clients semble spécifique à l’organisme PECH puisqu’aucun autre répondant ne nous en a parlé. F) Répondant #6- « L’insatisfait engagé » Le répondant #6 est éducateur au CLSC Haute-Ville. Il pratique donc dans un organisme institutionnel public et possède une expérience de travail respectable dans ce type de milieu puisqu’il a fait ses débuts dans le métier à 18 ans et ce, au centre Robert Giffard. Il était alors préposé moniteur au département d’évaluation psychiatrique de l’institution. Il a beaucoup de respect, voire même de l’admiration pour les personnes qui oeuvrent dans la communauté : « C’est ben beau d’être scolarisé pis avoir des cours mais des fois il a des qualités que les individus, que les gens ont qu’on voit dans les ressources communautaires dont l’Archipel…Je peux dire que j’ai vu des bénévoles là qui… tabarouette, ils l’ont ben plus que moi tsé…Dans le fond qu’eux autres c’est des êtres de même, c’est des dons de soi pis je trouve ça en même temps beau pis en même temps quasiment incroyable…[…] C’est des gens qui font un don de soi terrible… Pis ils ont pas de formation mais ils ont une écoute extraordinaire…ils sont dans le milieu… » (Entrevue #6, p7 et 8) 53 Pour ce répondant, une formation « qualifiante » n’est pas garante d’une intervention de qualité. Pour lui, c’est le fait de posséder certaines qualités personnelles qui détermine l’aptitude à intervenir auprès des personnes aux prises avec des troubles mentaux. Le répondant manifeste une certaine déception par rapport au côté politique des interventions. Même si la politique lui « pue au nez », il participe aux travaux comité QuébecCentre dont le but a déjà été présenté. Il reproche à ce comité son « animosité politique » ainsi que la perte de l’objectif client. Il est insatisfait du déroulement des événements, que ce soit en ce qui concerne le comité de création de l’équipe d’intervenants ou en ce qui concerne les conditions de vie de ses clients. « Sur la table de Québec-Centre, il y a des ressources, il y a des gens de la Régie Régionale qui sont représentants là pis tu sens que si on donne des solutions…ça… Je peux les comprendre mais ça veut dire qu’on a peut-être …qu’on a moins besoin du genre d’emploi que t’as un coup qu’on a installé ça…Ça pédale dans le beurre… C’est naturel mais ça c’est un exemple… Ou certaines ressources communautaires qui vont être plus proches de certains CLSC qui vont peut-être avoir des subventions plus, ça crée… Il y a une animosité politique, ça j’aimerais ça qu’il y ait moins ça tsé, on perd l’idéologie un peu ou le bon sens de vouloir aider la personne à cause de tous ces fuckaillages de réunions… » (Entrevue #6, p.17) En ce qui concerne ses clients, il considère que le système ne favorise pas présentement leur développement social vu qu’ils sont souvent placés en H.L.M.. Pour lui, les H.L.M. sont des ghettos où les gens n’ont pas de modèles qui leurs permettraient d’apprendre ce qu’est une vie saine : « …comme une forme de ghetto qui arrive… que le gouvernement encourage les ghettos des fois aussi… H .L.M. pour moi est un ghetto, c’est pas bon un H.L.M. si tu veux intégrer quelqu’un dans la communauté. Foute le pas dans un H.L.M. où tout est identifié comme un gars qui a pas une cenne […] pis qui a des problèmes pis on va vous mettre 65 appartements là dedans pis … Bonne année ! » (Entrevue #6, p.11) De plus, il avance l’idée de placer un intervenant par immeuble (H.L.M.) afin de répondre à certaines petites urgences qui peuvent s’aggraver et mener à une crise. Une deuxième solution à la « ghettorisation » serait d’éparpiller ces gens dans divers immeubles avec des étudiants et des travailleurs, ce qui permettrait d’éviter d’isoler les cas à problème dans les mêmes espaces. Son 54 insatisfaction par rapport au système ne se limite pas à la critique puisqu’il propose des solutions. En manifestant certaines préoccupations relatives aux conditions dans lesquelles vivent ces clients, il rejoint notre « littéraire engagé » puisque sa vision est globale et dépasse les limites du suivi. Il définit son travail comme du suivi milieu, et il spécifie qu’il ne s’agit pas d’un suivi intensif : « Moi je fais un suivi milieu, je fais pas vraiment un suivi intensif parce que le suivi intensif dans le milieu c’est du 24 – 7 premièrement, c’est une équipe 24 – 7. […] Tu fais pas un suivi intensif dans le milieu quand tu fais du 8 à 5 tsé, c’est ridicule… Même les ressources communautaires le font pas…[…] Fait que le suivi intensif milieu, il y en a pas présentement… La personne qui va dire qu’elle fait un suivi intensif milieu, commencez donc par lui demander si il est ouvert 24 heures sur 24, pis ta réponse… T’as pas besoin de te poser d’autres questions après, c’est ça la première chose. » (Entrevue #6) Cet intervenant affirme clairement sa représentation de ce en quoi consiste un suivi intensif, une définition bien différente de celles de notre littéraire engagé (#1) et de notre psychologue institutionnel (#3). Nous y reviendrons plus tard. Ce répondant manifeste une certaine insatisfaction face au système politique et au déroulement des interventions dans le réseau de la santé. G) Répondant #7- « L’humaniste » Le répondant #7 travaille à la maison d’hébergement de l’organisme PECH, un organisme communautaire. Il a déjà œuvré au sein de cet organisme en tant que travailleur de rue. Il possède donc une certaine expérience de terrain. Par ailleurs, il réfléchit sur la clientèle : « Moi, je suis vraiment en train d’évaluer pis de comparer avec la clientèle de PECH, pis c’est ben différent… J’ai travaillé 4 ans comme travailleur de rue pour eux pis je vois la différence avec les gens de la maison ici. » (Entrevue #7, p.6) Cet intervenant souligne les conditions qu’il faut réunir pour assurer un suivi de qualité: 55 « D’après moi, ce que l’on doit favoriser c’est la communication entre intervenants, qu’on arrête de vivre dans un créneau d’intervention. […] Ça prend des intervenants flexibles sur le terrain, qui marchent pas par boîte vocale pis qui ont un horaire du temps intelligent parce que c’est pas vrai que quand t’as 60 clients que tu fais une bonne job. Je crois pas à ça… » (Entrevue #7, p6-7) Sa position dévoile un modèle idéal d’intervenant qui axe son action sur le client et qui laisse de côté les écrits et le volet institutionnel de l’intervention. C’est la vision d’un modèle d’intervenant tourné vers ses clients. Il se décrit lui-même ainsi : « J’suis un peu humaniste, je ne suis pas un preacher » (Entrevue #7, p.4) Selon sa représentation, le suivi doit être axé sur la personne et les changements possibles, non sur les résultats. Il veut « amener aux gens un regard différent sur eux-mêmes » (Entrevue #7, p.3) Il préconise les contacts d’ « égal à égal » entre l’intervenant et la clientèle. Pour ce faire, le suivi doit donc se pratiquer dans la communauté, sur le terrain, dans le milieu de vie du client. Il croit en son type d’intervention et affirme que le suivi ne peut fonctionner si le client n’y croit pas. Étant donné qu’il travaille dans une maison d’hébergement, le suivi qu’il pratique se définit comme un support au logement. Cependant, cette ressource d’hébergement étant de type transitoire, le suivi qu’il pratique ne dure pas indéfiniment. H) Répondant #8- « L’autodidacte communautaire » Ce répondant œuvre à l’Archipel d’Entraide depuis la création de l’organisme en 1989. Il possède donc une expérience de travail communautaire. Il ne possède pas de diplôme d’études supérieures mais possède les qualités requises pour intervenir dans le milieu. Il correspond à la description donnée par le répondant #6 en ce qui a trait aux intervenants communautaires. Il qualifie son suivi de « quasiment intensif » en ce sens que le service offert n’est pas disponible 24 heures sur 24, il respecte les heures de bureau. Sur ce fait, il se rapproche du répondant #6. 56 5.2 Notes sur les intervenants Une différence frappante entre les intervenants des organismes communautaires et ceux des organismes publics, c’est l’expérience. Les intervenants des CLSC proviennent tous d’un centre hospitalier soit Robert-Giffard. Ils ont vécu la désinstitutionnalisation, tout comme leurs clients. La plupart d’entre eux possèdent une bonne formation ou encore une expérience de plusieurs années dans le milieu institutionnel. Les intervenants des organismes communautaires ont soit moins d’expérience, soit une formation scolaire moins poussée. Cependant, leur expérience en est une de terrain, de communauté. Un seul intervenant des organismes communautaires se distingue des autres par sa formation, son expérience et par le fait qu’il œuvre au sein de deux organismes à la fois, soit à l’Archipel et au CLSC Haute-Ville. 5.3 Les organismes Les organismes ont déjà été présentés dans la première partie du présent travail. Cependant, de nouvelles informations sont venues s’ajouter avec les entrevues. Il est à noter ici que tous les organismes possèdent une équipe d’intervenants qui pratiquent le suivi communautaire. Les deux organismes communautaires offrent tous deux un service d’hébergement transitoire. Voyons ce qui est spécifique à chacun. A)PECH L’organisme PECH offre ses services à une clientèle judiciarisée ou aux prises avec des problèmes de santé mentale. Il possède un protocole d’entente avec les policiers, en vertu duquel ces derniers signalent à l’organisme des clients potentiels, des personnes qui ont besoin d’aide. 57 PECH offre deux services communautaires: le travail communautaire et le travail de milieu où les intervenants vont prendre contact avec la clientèle dans les organismes communautaires de manière moins formelle afin de les amener tranquillement à un suivi communautaire. Il dispose d’un lit de dépannage pour les relocalisations rapides et temporaires d’une nuit ou de quelques jours ou pour garder certaines personnes sous observation sans hospitalisation. Enfin, PECH offre à ses intervenants une supervision clinique de psychothérapie corporelle intégrée qui les aide à s’en tenir à la frontière des problèmes de leurs clients et à conserver ainsi une bonne santé mentale. B)L’Archipel d’Entraide Cet organisme communautaire existe depuis 1989 et offre lui aussi divers services comme le service de maintien à domicile, où les intervenants enseignent aux clients l’entretien dans leur milieu de vie, et le suivi communautaire. Cet organisme a « emprunté » un intervenant du CLSC Haute-Ville, soit le répondant #1. Par ce fait, cet organisme se rapproche beaucoup plus des organismes institutionnels que PECH. C)CLSC Haute-Ville et le CLSC Orléans Les deux CLSC possèdent des structures institutionnelles semblables mais ils diffèrent par les populations de leurs territoires respectifs. Le CLSC Orléans se situe près du centre RobertGiffard, ses clients sont majoritairement des personnes atteintes de troubles mentaux qui demeurent dans le secteur depuis la désinstitutionnalisation. Cet organisme se rapproche donc des 58 organismes communautaires de la Basse-Ville par les caractéristiques de la population de son territoire. Chapitre VI- Les ressemblances dans les représentations Dans ce chapitre, nous nous intéressons aux points communs entre les diverses représentations des répondants. Nous avons identifié les éléments contenus dans les propos de chacun des répondants et nous les avons regroupés en catégories. Ces catégories sont de deux ordres : les répondants et le suivi pratiqué. Toutes les informations qui concernaient strictement les répondants, soit leur formation, leur expérience etc., sont déjà présentées. Le présent chapitre concerne strictement les représentations du suivi chez les intervenants. À l’intérieur de ces catégories, nous avons dégagé : 1- Les valeurs, les principes, les philosophies d’intervention, les habiletés et les demandées ; 2- La perception du client par l’intervenant ; 3- Le temps (la durée, la fréquence) et le déroulement des premiers contacts. 4- Les buts, les bénéfices que le suivi amène ainsi que les activités pratiquées ; qualités 59 5- La représentation générale du suivi soit : le suivi, son intensivité, le travail d’équipe ou seul et la communauté ; A) Les valeurs, les principes et les qualités demandés pour les interventions Parmi les valeurs partagées par tous les intervenants interrogés se trouve le respect de la personne, le respect de son rythme, de ses limites, de ses forces et de ses faiblesses. Pour certains, c’est la première valeur, la valeur essentielle à toute intervention. C’est une valeur qui en recouvre plusieurs autres comme la tolérance et l’acceptation (répondant #3). Bref, le respect du client est la valeur sans laquelle le suivi communautaire est impossible. La souplesse, ou la flexibilité, est une autre valeur qui semble partagée par tous. Les mots changent d’un intervenant à l’autre mais signifient tous la même chose ; que l’on parle de polyvalence, de souplesse, de flexibilité ou d’adaptation, tous ces synonymes renvoient à une capacité d’agir dans différentes situations, à différents niveaux et avec des personnes différentes. Il est à noter que la flexibilité renvoie au rôle des intervenants dans le modèle idéal du suivi intensif en équipe dans la communauté, puisque le travail demandé se veut beaucoup plus flexible que ce qui était demandé traditionnellement. Cette valeur semble nécessaire à tout suivi communautaire. Tous les répondants encouragent l’autonomie chez leurs clients. Cependant, ils ne considèrent pas cet élément comme une simple valeur du suivi ; pour la plupart, l’autonomie, la responsabilisation et l’autodétermination sont des valeurs que les intervenants illustrent par des gestes concrets à l’intérieur du suivi. Cependant, des différences apparaissent. Ainsi, pour le répondant #1, l’autonomie de la personne est une valeur importante mais l’on doit aussi respecter les limites de la personne. Le répondant #6 considère lui aussi l’autonomie comme une valeur importante qu’il faut développer chez le client mais il ajoute qu’il faut leur donner du temps. L’autonomie est ainsi liée au respect. Pour le répondant #5, l’autonomie n’est pas seulement une valeur, c’est l’un des buts du suivi communautaire. Cependant, lorsque le client est en crise, la prise en charge se fait par l’intervenant. Pour le répondant #4, l’autonomie du client se veut à la 60 fois un principe d’intervention ainsi qu’une activité du suivi. Pour le répondant #7, il s’agit d’un pouvoir que l’intervenant redonne à son client : « C’est la personne qui fait ses choix pour reprendre le pouvoir sur sa vie […] j’essaye de donner beaucoup de pouvoir à la personne, le pouvoir c’est celui de travailler sur son estime » (Entrevue #7, p.3-4) Pour cet intervenant, l’autonomie engendre la confiance en soi. Le répondant #2 mentionne que les clients, lorsqu’ils ne sont pas hospitalisés, ont des habiletés : « La personne continue à être importante dans la communauté, à apporter sa contribution, elle continue à produire de quoi pis à être autonome » (Entrevue #2, p.12) Le suivi communautaire, en évitant la réhospitalisation des clients, encourage ceux-ci à jouer un rôle dans la société, à être autonomes. Le répondant #2 considère lui aussi l’autonomie comme un pouvoir, un contrôle qu’il faut redonner à la personne afin qu’elle puisse se respecter elle-même. À ce titre, il ressemble beaucoup au répondant #7. Cet infirmier (#2) apporte en outre la même nuance que le répondant #5, à savoir que si le client est en crise, l’intervenant peut et se doit d’accroître la prise en charge de celui-ci. Pour le répondant #3, l’autonomie est une valeur indissociable du respect de la personne, du respect de son autodétermination. Sa représentation de l’autonomie ressemble beaucoup à celle de son confrère #2. Elle traduit l’autonomie comme quelque chose de fragile puisque le danger existe de « faire une trop grande prise en charge. » (Entrevue 3, p.7) Tous s’entendent sur l’importance d’agir dans le milieu de la personne, que ce soit à son domicile ou auprès de son entourage. C’est d’ailleurs ce qui permet de qualifier le suivi pratiqué de communautaire. Soulignons, toutefois, que l’élément « milieu de la personne » n’est pas toujours considéré comme une valeur du suivi communautaire mais tous en ont signalé l’importance lors des entrevues. Les intervenants partagent aussi une dernière valeur, celle du professionnalisme, qui se résume à agir envers les clients de façon responsable et avec transparence afin d’éviter des comportements paternalistes. Il est à noter que les valeurs dont il a été question, à savoir le respect, l’adaptation, l’autonomie du client, l’importance d’intervenir dans le milieu de vie de la personne et la 61 responsabilité professionnelle sont des valeurs normalement partagées par tout intervenant ; elles ne sont pas spécifiques aux intervenants en santé mentale. Elles sont considérées comme essentielles à des interventions de qualité, sauf en ce qui concerne la valeur « milieu de vie de la personne » qui est spécifique aux divers types de suivis communautaires, celui que tous les répondants pratiquent. Ceci nous amène à penser que l’opérationnalisation des valeurs mentionnées est nécessaire à tout acteur qui se définit comme intervenant. Nous reviendrons dans un prochaine section sur les différences de valeurs entre les intervenants. B) La perception du client par l’intervenant Tous les intervenants s’entendent sur le fait que leurs clients, ou du moins la majorité, souffrent de problèmes de santé mentale et qu’ils sont diagnostiqués tels. La plupart des répondants dressent même la liste des troubles mentaux les plus répandus parmi leur clientèle ; les exemples qui reviennent le plus souvent sont les psychoses, les troubles bipolaires, les troubles affectifs, la schizophrénie et la paranoïa. Il s’agit donc ici de troubles mentaux graves et persistants marqués par la chronicité. Certains intervenants ont souligné l’existence de troubles transitoires mais ils ajoutent que les clientèles touchées par ce type de problèmes ne sont pas sous leur responsabilité directe. Les problèmes transitoires sont de l’ordre des dépressions, des pertes d’emploi, des idées suicidaires etc. Il s’agit donc de problèmes qui peuvent se résorber assez rapidement. Tous les répondants (sauf le répondant #3) décrivent les situations de pauvreté et de misère de leurs clients ou en donnent des indices (dette, itinérance, non paiement des loyers, perte d’emploi, bénéficiaire d’Aide Sociale etc.). La plupart des intervenants, (sauf le répondant #3), affirment que leurs clients ont des problèmes d’alcool, de drogue ou reliés à la médication ; ce dernier point peut s’avérer problématique si le client ne prend pas sa médication. Que ce soit l’alcool, les drogues ou les médicaments, les clients sont affectés par la consommation de ces produits. Le répondant #5 nous a fait remarquer que les médicaments prescrits aux clients sont très forts et peuvent être à l’origine d’un certain « ralentissement » de la personne qui les consomme. Tous les 62 répondants soulignent l’existence de problèmes d’adaptation sociale chez leurs clients, des difficultés à vivre en communauté ; ils parlent de marginalisation, d’exclusion et d’isolement, de problèmes judiciaires, de violence, de perte de capacités et d’habileté de vivre en communauté, de dettes etc. Le répondant #7 affirme que la plupart de ses clients proviennent des orphelinats, qu’ils ont connu la violence et que ceci nuît à leur adaptation sociale. En affirmant que ces personnes ont des problèmes d’ordre social, psychologique et parfois physique, les intervenants avouent implicitement que ces personnes sont aux prises avec des problèmes multiples. Les problèmes ne relevant pas des maladies mentales aggravent la situation de vie des clients parce qu’ils causent des stress qui viennent s’ajouter à ceux déjà subis par un transfert de l’hôpital à la société. Somme toute, certaines caractéristiques des clients sont représentées de façon commune chez les intervenants : les troubles mentaux graves et persistants, les situations de pauvreté et de misère des clients, des problèmes d’alcoolisme, de toxicomanie et/ou de médication et des problèmes d’adaptation sociale. Tous les intervenants semblent conscients du fait que leurs clients sont des personnes qui ont des problèmes et des besoins multiples, d’ordre mental et social surtout. Il est à noter que le répondant #3 se concentre davantage sur les problèmes d’ordre mental de ses clients plutôt que sur les problèmes d’adaptation sociale. C) L’organisation du temps chez les intervenants La variable temps se divise en quatre éléments : la durée d’intervention, la durée du suivi, la fréquence des rencontres entre les intervenants et les clients, et les heures de services. En ce qui concerne la durée des interventions, ceux qui nous en ont parlé évoquent une intervention qui dure entre une demi-heure et une heure ; le répondant #3 nous explique que c’est pour garder l’attention et la concentration. Cependant, les répondants #4 et #8 affirment qu’une intervention peut durer une demie journée, ou même deux jours dans le cas du répondant #8 de 63 l’Archipel d’Entraide. Si le besoin s’en fait sentir, les interventions peuvent durer plus longtemps. La durée d’intervention ne semble pas dépendre du type d’organisme où œuvre l’intervenant mais plutôt du client et de ses besoins. En ce qui concerne la durée du suivi auprès des clients, soulignons que les répondants #2, #3, #4, #6 donnent des exemples de clients qu’ils suivent depuis un an, deux ans ou trois ans. Il est à noter que ces répondants pratiquent tous à l’intérieur d’un CLSC, qu’ils ont tous vécu le transfert d’un centre hospitalier vers les CLSC il y a deux ou trois ans. La durée du suivi semble donc reliée à la date de transfert ; ils suivent leurs clients depuis leur transfert en CLSC. La durée du suivi semble indéterminée dans le futur mais débute en général après le transfert. Est-ce que la durée du suivi dépendrait du type d’organisme où pratiquent les intervenants ? Vérifions ce qu’en disent les intervenants de PECH. Les répondants #5 et #7, tous deux de PECH, affirment que la durée du suivi dépend du client : « C’est tant que la personne peut changer des choses dans sa vie, améliorer ses conditions de vie, on peut être présent... Il arrive par contre que nous on mette fin aussi au suivi... » (Entrevue #5, p.4) Malheureusement, ce répondant n’a pas glissé un mot sur les raisons qui justifient un arrêt du suivi. Le répondant #7 explique comment se décide la durée du suivi communautaire : « Pour nous autres, y a pas de temps précis. On convient ensemble d’une période de temps » (Entrevue #7, p.2) Nous pouvons conclure que les intervenants de PECH ajustent la durée du suivi selon le client et ses besoins mais cette façon de faire est-elle spécifique aux intervenants de PECH ? Il semble que non puisque les intervenants des CLSC continuent le suivi auprès des clients malgré le fait que ceux-ci soient stabilisés. En insistant sur la flexibilité de la durée du suivi, les intervenants agissent conformément à une valeur qu’ils partagent tous, soit le respect du client, de son rythme et de ses besoins. Ce qui est particulier aux intervenants de PECH c’est : « ...l’intervention qui n’est pas axée sur les résultats mais plutôt sur les possibilités de changement. » (Entrevue #7, p.5) Ce principe d’intervention n’est pas sans rappeler le critère de durée du suivi du répondant #5, soit le changement. Donc, les intervenants de PECH se distinguent des intervenants des CLSC 64 par la durée de leur suivi qui dépend du changement chez le client. Nous avons donc ici une différence entre deux types d’organismes : les organismes publics ayant débuté le suivi communautaire après le transfert, c’est-à-dire il y a deux ou trois ans, et qui n’ont pas de critère précis pour en limiter la durée, et les intervenants de PECH qui possèdent un critère (le changement) pour fixer la durée du suivi communautaire qu’ils pratiquent. Ceci renvoie à un principe d’intervention qui est propre à l’organisme PECH. Analysons maintenant les ressemblances ayant trait à la fréquence des rencontres entre les intervenants et les clients. Le répondant #1 fait remarquer que dans les écrits sur le suivi intensif, la fréquence des rencontres est fixée à quatre rencontres par semaine. Selon lui, cette fréquence est très exigeante. Malheureusement, il ne nous a pas précisé la fréquence de ses rencontres avec ses clients. Même chose pour le répondant #6. Les répondant #2, #3, #4, #5 et #7 affirment que la fréquence des rencontres dépend des besoins du client. Ainsi, le nombre des rencontres varie entre une et trois fois par semaine et les fréquences changent d’un intervenant à l’autre. Les intervenants de PECH et les intervenants #2 et #3 ajustent la fréquence des rencontres en fonction des besoins du client. En début de suivi, les intervenants #2, #5, et #7 rencontrent leurs clients deux ou trois fois par semaine alors que le répondant #3 ne les rencontre qu’une fois par semaine. Le répondant #4 reste disponible pour les urgences. Plus les clients sont plus stables, moins les rencontres sont fréquentes. De ce fait, les répondants #4 et #5 rencontrent habituellement leurs clients une fois par semaine, le répondant #7 aux 15 jours alors que les répondants #2 et #3 rencontrent leurs clients aux deux ou trois semaines voire même au mois. La fréquence des rencontres ne semble pas dépendre du type d’organisme mais plus du rôle joué par l’intervenant dans le suivi. C’est ce qui pourrait expliquer que les répondants #4, #5 et #7 rencontrent leurs clients plus souvent que les répondants #2 et #3. Les premiers jouent un rôle d’éducateur, ils ont donc besoin d’être plus présents auprès du client pour lui faire faire des apprentissages. Le répondant #3 semble jouer un rôle de psychologue alors que le répondant #2 est infirmier. Ces deux derniers intervenants n’ont donc pas à rencontrer leur client aussi souvent que les éducateurs. Donc, la fréquence des rencontres dépend des besoins du client et du rôle que l’intervenant joue auprès de lui. 65 Un dernier point qui touche au temps de l’intervention est celui amené par le répondant #6 qui désire une disponibilité des services au-delà des heures de bureau. En effet, le service présentement offert aux clients n’est dispensé que durant les heures de bureau. Il n’y a donc pas de service de nuit sauf celui offert par le centre de crise et encore, il ne s’agit que d’un service téléphonique. Or, toujours selon le répondant #6, les clients n’ont pas tous le téléphone. Cet intervenant mentionne qu’il faudrait offrir des services 24 heures sur 24 et sept jours sur sept. Il ajoute que c’est le premier critère à respecter pour offrir du suivi intensif. Nous reviendrons sur cette notion plus loin. Voyons si d’autres intervenants abordent ce sujet. Le répondant #7 de PECH semble partager cette vision : « Le suivi de sept jours, c’est moi... » (Entrevue 7, p.3) Rappelons que cet intervenant pratique dans une maison d’hébergement transitoire, il a donc affaire à une clientèle qui habite à cet endroit à tous les jours de la semaine. Un autre intervenant (#4) affirme offrir ses services à tous les jours : « moindrement nous autres, on donne le service à tous les jours... » (Entrevue #4, p.10) Ceci ne signifie pas qu’il offre le service les fins de semaines mais plutôt à tous les jours ouvrables. Un tel service (24 heures/ sept jours) n’existe pas dans le moment. Selon le répondant #6, seul un tel service pourrait être qualifié d’intensif ; et c’est pourquoi il affirme que ce type de suivi n’existe pas. D’autres intervenants, soit les #1 et #3 nous signalent qu’ils pratiquent du suivi intensif. La différence est frappante. Voyons ce que signifie pour eux un suivi intensif. Pour le répondant #3, un suivi intensif se traduit par une prise en charge globale et à différents niveaux : « C’est un suivi qui est plus intensif parce qu’on va aller à domicile pour des raisons de prise en charge plus globale [...] C’est un suivi qui est plus intensif et est plus large » (Entrevue #3, p.1) Selon l’intervenant #1, le suivi qu’il pratique peut être qualifié de suivi intensif en équipe parce que : « C’est ça, une approche centrée sur le client et qui interpelle plusieurs acteurs [...] un travail d’équipe qui vise à répondre à des besoins spécifiques [...] dans l’équipe, mon apport est un apport particulier [...] il y a pas de clientèle par personne, c’est plutôt une clientèle d’équipe... » (Entrevue #1) 66 Donc, un premier critère qui lui permet de qualifier son suivi d’intensif est le fait de pratiquer en équipe multidisciplinaire d’intervenants aux habiletés distinctes. Il amène une distinction entre son suivi intensif et d’autres types de suivis communautaires pratiqués dans les CLSC comme le case management ainsi défini : « être capable de faire le lien entre les personnes et les ressources [ou encore le suivi] avec un intervenant pivot pis un plan d’intervention [où des personnes ] vont chercher des ressources parce qu’ils en ont besoin, ils sont capables de faire ça. Alors ces gens là n’ont pas besoin d’un suivi intensif. » (Entrevue #1) Un deuxième critère adopté par l’intervenant #1 pour qualifier le suivi d’intensif repose sur les capacités du client. Enfin, ce répondant amène trois principes spécifiques au suivi intensif dans la communauté, à savoir le travail dans la communauté, le travail pro-actif, qui consiste à prévenir les crises, et le repérage actif qui consiste à identifier de nouveaux clients dans la communauté. L’intervenant #8, pratiquant lui aussi à l’Archipel d’Entraide affirme que le suivi pratiqué peut quasiment être défini comme du suivi intensif, en ce sens qu’une équipe multidisciplinaire d’intervenants suit des clients en leur apportant divers services. La seule différence selon lui, c’est que les organismes communautaires et publics ne sont ouverts que durant les heures de bureau. Il existe donc des différences importantes en ce qui a trait à la représentation du suivi intensif. La différence n’est pas liée au type d’organisme puisque les deux intervenants du CLSC se contredisent. Il est encore trop tôt pour en tirer des conclusions. D)La perception du suivi La première ressemblance qui ressort lorsque les répondants parlent du suivi communautaire, c’est le lieu; chacun s’entend pour dire que le suivi se fait dans le milieu de vie de la personne. La communauté, c’est le milieu de base où il faut pratiquer le suivi. n’insisterons pas là dessus. Nous 67 Un deuxième point commun à tous les intervenants et ce, malgré le fait que certains affirment pratiquer seuls avec leurs clients, c’est qu’ils font tous appel à de l’aide soit extérieure (d’autres ressources communautaires) ou interne (d’autres intervenants travaillant pour le même organisme). Le répondant #7 affirme qu’il donne le suivi seul mais que d’autres y collaborent et ainsi l’aident. Les autres répondants disent qu’ils font partie d’une équipe d’intervenants qui se partagent les dossiers. La raison de cette différence c’est que le répondant #7 travaille pour une maison d’hébergement dont il semble être le responsable. Donc, tous les organismes possèdent une équipe composée d’intervenants de diverses professions pour assurer le suivi en communauté. Cependant, l’Archipel ressemble beaucoup aux CLSC de ce fait que des intervenants du CLSC y oeuvrent. Tous les répondant affirment que le suivi qu’ils pratiquent couvre toutes les sphères de la vie du client : social, mental, physique, budgétaire etc. Le suivi se veut donc multitâche, il répond aux différents besoins de la personne considérée globalement. Tous les intervenants reconnaissent que le suivi a du bon, ils y croient tous mais à des degrés variés et avec certaines nuances. Les répondants #1 et #3 signalent que le suivi a besoin de certaines ressources et que présentement, il y a des lacunes de ce côté. Le répondant #3 fait remarquer qu’avec sa charge de 40 cas, il a besoin de plus de temps. Les intervenants #4 et #7 avouent que le suivi communautaire exige beaucoup de la part de l’intervenant. Ce dernier intervenant de PECH insiste sur le fait qu’il faut croire aux possibilités de la personne et qu’il est nécessaire que le client y croit aussi sinon le suivi ne sert à rien. Le répondant #5 de PECH ajoute le fait que le client peut créer un lien affectif envers l’intervenant et que si le suivi tombe, le client tombe à cause justement de ce lien de dépendance. Les nuances d’un intervenant à l’autre sont issues de l’expérience de chacun. Les répondants #1 et #3 ont beaucoup de clients, ils manquent de temps et de collègues ; il semble que pour eux ce soit une nécessité. E) Les buts, les bénéfices et les activités. 68 Cette dernière section porte sur des éléments empiriques du suivi, des éléments observables compris dans les buts et les résultats du suivi communautaire, les activités et les premiers contacts. Nous avons décidé de regrouper les buts, les bénéfices et les activités ensemble sous différents thèmes parce que beaucoup d’éléments se recoupent. Voici donc les divisions introduites : a- l’axe de prévention : les éléments regroupés ici touchent à la proaction, à la prévention des rechutes ou de la désorganisation et à la baisse d’hospitalisation; b- l’axe milieu : on y retrouve tout ce qui touche de près ou de loin à la résidence, aux services communautaires, à la vie communautaire et aux coûts sociaux; c- l’axe de la personne : on y retrouve tout ce qui touche aux conditions de vie, aux besoins, à la volonté et au cheminement de la personne; d- l’axe de l’intervention : on y retrouve tout ce qui touche à l’enseignement et aux techniques d’intervention, au suivi médical et de santé mentale ainsi qu’aux rôles des intervenants. Reprenons ces axes un à un et soulignons les points communs. A) L’axe de prévention : Le répondant #1 insiste plus que tous les autres sur l’importance de la prévention et de la proaction. Pour les autres, ceci revient souvent à un principe d’intervention. Bien souvent, c’est pour éviter la désorganisation, une rechute ou encore les crises qui ramènent le client à l’hôpital où tout est à recommencer. B) L’axe milieu : En ce qui concerne le milieu où se déroule le suivi, nous avons déjà souligné que tous les intervenants s’entendent sur ce point. Ils soulignent tous l’importance du soutien au logement. Le répondant #1 rappelle que le logement est le premier ancrage à toute réinsertion sociale. Ainsi tous s’entendent sur l’importance d’agir dans le milieu de vie de la personne. La plupart mentionnent des activités comme la localisation ou la relocalisation. La plupart des intervenants vont accompagner leur clientèle dans le milieu pour aller chercher les ressources dont ils ont besoin. Donc, l’axe milieu fait l’objet de consensus. C) L’axe personne : Tous les intervenants concentrent leurs interventions sur la personne, sur ses conditions de vie. Les répondants affirment que leur suivi apporte du bon aux personnes 69 clientes sauf le répondant #3 qui hésite à dire que le suivi les rend heureuses. Il se demande si ses clients vivent le parfait bonheur dans la communauté. Les répondants se montrent sensibles face à leurs clients et ils s’organisent pour que les services qu’ils offrent répondent à leurs besoins. Chacun travaille donc en fonction du client et de ses besoins. D) L’axe intervention : Les intervenants tentent tous de favoriser les apprentissages chez leurs clients, ceci va de pair avec leur rôle d’intervenant. Ils leur donnent des modèles à suivre, leur donnent un enseignement pour se débrouiller en communauté. Certains vont même appliquer des techniques d’interventions précises dans certains cas; c’est le cas des répondants #4, #5 et #7. En conclusion, nous avons trouvé plusieurs ressemblances, des points communs entre les intervenants. 70 CHAPITRE VII- Les différences entre les représentations Dans le chapitre précédent, nous avons déjà relevé certaines différences en ce qui a trait à la durée du suivi qui dépend du type d’organisme et à la représentation de ce en quoi consiste un suivi intensif, représentation qui ne dépend pas du type d’organisme où oeuvrent les intervenants. Pour comprendre d’où viennent les différences, il est essentiel de regrouper les intervenants afin de tenter de trouver les points communs qui expliquent les différences de représentation. Nous allons donc reprendre les points du chapitre 6 un à un mais cette fois-ci, nous allons regrouper les intervenants selon les différences. A) Les valeurs Parmi les différentes valeurs qui ont été mentionnées dans les entrevues, certaines ne sont pas partagées par tous les intervenants; c’est le cas de la nécessité de posséder des techniques d’intervention, la qualité d’être capable de donner de l’espoir, de l’importance de jouer francjeu, de la nécessité d’être patient, d’avoir de l’écoute et de l’empathie, le principe d’être disponible, le principe de la proaction et la nécessité de respecter la volonté de la personne. Regroupons les intervenants selon qu’ils font appel ou non à ces valeurs : Tableau 3- les valeurs 71 Valeur présentes (# de répondants) Absentes (# de répondants) Technique d’intervention #2 #3 #4 #5 #7 #1 #6 Espoir #1 #7 #2 #3 #4 #5 #6 Franc-jeu #4 #7 #1 #2 #3 #5 #6 Écoute, patience, empathie #3 #4 #5 #6 #7 #1 #2 Disponibilité #2 #3 #4 #6 #7 #1 #5 Proaction prévention #1 #2 #3 #4 #5 #6 #7 Volonté de la personne #2 #4 #6 #7 #1 insiste #3 #5 En ce qui concerne les techniques d’intervention, on voit que les répondants qui se préoccupent le plus des conditions de vie de leurs clients n’abordent pas vraiment le côté technique des interventions, ils se concentrent plus sur la réalité vécue par leurs clients, leur avenir (répondant #1) et leurs conditions de logement (répondant #6). L’intervenant #5 aborde le sujet des techniques de psychothérapie corporelle intégrée. Cette technique apprend aux intervenants à respecter une certaine frontière lors de l’intervention afin de ne pas « embarquer » dans les problèmes du client. Le répondant #2 affirme : « il faut…faut maîtriser beaucoup de techniques d’entrevues, d’approche, des choses de même. Faut avoir de l’expérience au bout de la ligne, faut rapprocher une personne qui est en état psychotique, une personne qui a d’autres difficultés, je pense qui faut avoir une panoplie de techniques, il y a pas d’approche spécifique… » (Entrevue #2, p.7) Aux yeux de cet intervenant, la technique s’apprend sur le terrain. Pour le répondant #3, la maîtrise de la technique se traduit par les compétences professionnelles et la connaissance de la maladie mentale. Pour le répondant #4, la technique consiste en des comportements à adopter sur le terrain, par exemple, savoir comment entrer en contact avec le client sans entrer dans son délire, négocier le fait que l’intervenant ne vit pas les troubles, amener le client à reconnaître son problème, chercher des solutions et le cas échéant, lui apprendre à vivre avec ce problème. « C’est des techniques qu’on a, on est habitué » (Entrevue #4) 72 Les techniques semblent avoir été acquises dans l’action, « sur le tas ». Cet intervenant rejoint donc le répondant #2. Ces deux intervenants oeuvrent dans le même CLSC. Les répondants #3 et #5 font appel à des techniques semble-t-il plus « formelles »; ils travaillent respectivement pour le CLSC Haute-Ville et pour l’organisme communautaire PECH. Enfin, le répondant #7 ne fait pas allusion directement au terme « technique » mais discute avec le client de ses troubles, ce qui fait appel à des techniques d’intervention énumérées par le répondant #4. Le fait de jouer franc jeu pourrait être rangé dans les techniques d’intervention, c’est un comportement encouragé par les répondants #4 et #7. Il est à noter que tous deux jouent le rôle d’éducateur. L’espoir est une valeur partagée par deux intervenants communautaires, soit les répondant #1 et #7. Peut-être est-ce une valeur propre aux organismes communautaires? Certains répondants mentionnent des qualités telles que l’écoute, la patience et l’empathie, ce sont les intervenants # 3, #4, #5, #6 et #7. Ils sont soit éducateur, soit psychologue, ils jouent donc un rôle plus « social » auprès du client. Ceux qui ne font pas allusion à ces qualités s’occupent du volet médical du suivi. La disponibilité est importante pour les intervenant #2, #3, #4, #6 et #7. On remarque ici que ces intervenants sont surtout ceux qui pratiquent dans un CLSC. Le répondant #7, de PECH travaille dans une maison d’hébergement transitoire, il est donc normal pour lui d’être auprès de ses clients, d’être disponible. Pour lui la disponibilité se résume à ne pas fonctionner par boîte vocale. Les intervenants de CLSC sont ceux qui fonctionnent avec plusieurs clients et qui déclarent manquer de ressources. Donc, pour eux, la disponibilité est importante. La plupart des répondants insistent sur la prévention, la proaction et la conservation des acquis. Le répondant #7 mentionne la prévention des rechutes mais il laisse entendre que si la personne veut pas s’en sortir, elle va chuter de toute manière. Cet élément du suivi qu’est la prévention est donc partagé par tous d’une certaine manière. Certains parlent du repérage actif 73 qui est déjà fait par l’organisme PECH. Il semble que ce soit le seul organisme qui le fasse présentement. La volonté de la personne est généralement respectée par les intervenants. Si la personne ne veut pas de suivi, ça ne sert à rien de lui en offrir un selon le répondant #7. Les autres intervenants vont tenter de la convaincre pendant un certain temps mais si la personne ne change pas d’avis, ils la laissent s’en aller (tout en gardant un œil sur elle). Enfin, seul l’intervenant #1 affirme qu’il insiste auprès de la clientèle pour que celle-ci participe au suivi. Ces différences ne dépendent pas du type d’organisme puisque deux intervenants communautaires se contredisent complètement (#1 et #7). Donc, les différences dans les représentations des valeurs ne peuvent être expliquées à la lumière de la dichotomie organismes communautaires / organismes publics. Certaines différences s’expliquent par la personnalité des intervenants, par leurs profession, leur formation et par leur expérience. Ainsi, les répondants #3 et #5 qui sont très axés sur le professionnalisme, font appel à des techniques qui vont développer ce professionnalisme; c’est ce qui leur a été inculqué dans leur formation de psychologue et de sociologue. Les deux intervenants du CLSC Orléans assoient leurs interventions sur l’expérience et la technique. Ici, il semble que ce soit l’organisme qui soit en cause. Le métier influence aussi certains comportements, les qualités que sont l’écoute, l’empathie et la patience semblent plus caractéristiques des intervenants qui s’occupent du volet social que de ceux qui s’occupent du volet médical. Ce qui émane peut-être du type d’organisme, c’est le rôle que se donnent certains intervenants d’organismes communautaires à devenir la lueur d’espoir de leurs clients. B) La perception du client Avant d’aller plus loin, il serait temps d’effectuer un tour d’horizon pour voir les spécificités quant à la perception des clients. Le répondant #1 se questionne sur leur avenir et sur leurs conditions de vie futures. Le répondant #2 fait allusion à la souffrance que vivent ses clients. Ceci renvoie à la dimension de la souffrance qui doit être comprise dans la définition des 74 troubles mentaux graves et persistants. Le répondant #3 se questionne sur le bonheur de ses clients; ceux-ci ont été « chassés » d’un milieu où les services sont « mur-à-mur » pour tomber dans la communauté où ils sont isolés. Il ne parle pas beaucoup les problèmes sociaux de ses clients par rapport aux autres répondants, ce qui tient peut-être à son rôle de psychologue. Le répondant #4 voit chez les clients une force qu’il trouve extraordinaire : la capacité d’accepter les situations et les échecs. Il affirme qu’ils ne sont pas plus résistants pour autant mais qu’ils sont « capables d’en prendre ». Le répondant #5 nous a beaucoup parlé de la dépendance affective de ses clients et est conscient qu’ils vivent des deuils. Il y a un lien ici avec les situations d’échec dont parle le répondant #4. Le répondant #6 affirme que la plupart des clients n’ont pas le téléphone, c’est le seul qui souligne ce problème. Il propose des solutions pour améliorer les conditions de vie de ses clients; le fait qu’ils vivent en H.L.M. nuit à leur développement puisque, selon lui, ces résidences sont comme des ghettos. Le répondant #7 fait remarquer que les clients du suivi communautaire sont souvent issus des orphelinats et des centres d’accueil, que ce sont des gens qui souvent ont été battus. Le tableau suivant regroupe les intervenants en fonction de la perception qu’ils ont de leurs clients: Tableau 4 – Les perceptions du client Perception du client Présents Absents Désorganisation #1 #2 #4 #5 #3 #6 #7 Crise #1 #4 #5 #6 #2 #3 #7 Stigmatisés #2 #6 #7 #1 #3 #4 #5 « Coûts sociaux » #1 #6 #2 #3 #4 #5 #7 Reprenons ces points un à un. Les répondants qui disent que leurs clients sont désorganisés sont les répondants #1, #2, #4 et #5. Cette opinion ne dépend pas du type d’organisme puisque nous avons ici deux intervenants de CLSC et deux intervenants d’organismes 75 communautaires. Elle ne dépend pas non plus du métier pratiqué puisque nous retrouvons deux intervenants qui s’occupent du volet médical des clients et deux intervenants éducateurs. Quatre intervenants de différents organismes reconnaissent que leurs clients sont sujets à des crises (répondants #1, #4, #5 et #6) Ici, le type d’organisme n’est pas en cause ni le métier mais nous remarquons que ceux qui reconnaissent les indices de crise chez leurs clients sont majoritairement des éducateurs. Les répondants #2, #6 et #7 affirment que leurs clients sont catégorisés et en butte à des préjugés. C’est ce qui explique que les répondants #2 et #6 voient à protéger leurs clients de la communauté qui en abuse. L’intervenant de PECH avoue que ses clients sont stigmatisés par certains membres de la communauté. Enfin, les répondants #1 et #6 disent que les clients représentent des coûts sociaux mais ajoutent que le suivi communautaire contribue à réduire ces coûts. Le point commun entre ces deux intervenants est l’attention qu’ils accordent aux conditions de vie de leur clientèle lors des entrevues. Un dernier élément sujet à la comparaison est celui des caractéristiques des gens choisis pour le suivi communautaire. Il est important de souligner que les intervenants #1, #2, #4 et #5 font mention d’une caractéristique qui détermine l’urgence du suivi ou l’hospitalisation de la personne; à savoir si la personne est dangereuse pour elle ou pour les autres. Cette caractéristique détermine l’état d’urgence. Les intervenants du CLSC Haute-Ville n’y font pas allusion. Ces deux derniers répondants posent les mêmes critères de base en ce qui a trait à la répartition des dossiers entre les intervenants; le tout est déterminé par l’évaluation psychosociale. Le client est suivi s’il est aux prises avec des troubles mentaux graves et persistants et le dossier est attribué aux intervenants les plus qualifiés selon la demande ou les besoins. Ceci est la façon de faire du CLSC Haute-Ville. Vérifions si les choses se passent ainsi au CLSC Orléans. L’intervenant #4 accepte les clients selon le diagnostic ou lorsque la demande est faite par un 76 médecin tandis que l’infirmier du CLSC, le répondant #2, donne un exemple où c’est un organisme communautaire qui appelle et caractérise ses clients aux prises avec des troubles mentaux graves et persistants. Donc, le CLSC Orléans accepte des clients à partir des références qui parviennent à l’infirmière de liaison. Le répondant #4 affirme que, par la suite, les dossiers sont évalués et distribués selon la demande et les besoins. Cependant, l’éducateur se fie au diagnostic et l’infirmier détermine le statut du client selon la gravité des troubles éprouvés par celui-ci. Le répondant #4 est en désaccord avec l’intervenant #3 qui affirme : « On peut parler de diagnostic mais c’est pas toujours vrai parce qu’il y a des gens qui ont un diagnostic de schizophrénie pis qui réussissent à être fonctionnels » (Entrevue #3). Le répondant #1 parle de cas lourds et de troubles sévères et persistants tout comme le répondant #7. Donc, ce critère de troubles graves et persistant n’est pas spécifique aux CLSC. Ce dernier répondant ajoute un autre critère : il faut que la personne croit en l’intervention et qu’elle la désire. Il dit que les intervenants sont très sélectifs sur ce point : « si ça vient juste du médecin, moi j’embarque pas là dedans. » (Entrevue 7) D’autres intervenants font allusion à ce critère, c’est le cas des répondants #2 et #4 qui tentent de convaincre la personne, cependant, avant de laisser tomber le dossier. Les répondants #5 et #6 sont aussi fermes en ce qui a trait à la volonté de la personne, il faut que celle-ci accepte le suivi qui lui est offert. L’intervenant #5 de PECH n’a pas les mêmes critères que les autres. Ses critères sont ceux de son organisme, il s’occupe donc en priorité des clients adultes qui ont des problèmes de santé mentale et/ou de judiciarisation. Ce qui explique que l’autre intervenant de PECH n’ait pas mentionné les mêmes caractéristiques de la clientèle-type, c’est le fait qu’il travaille dans la maison d’hébergement transitoire. Donc, la prise de contact révèle des façons de faire propres au type d’organisme où travaille l’intervenant. Dans les CLSC, une demande est faite, une évaluation suit et le dossier est distribué selon la demande; le déroulement de la prise de contact est donc commun ici. La 77 distinction d’avec les organismes communautaires se situe au niveau de l’infirmière de liaison, seuls les CLSC offrent ce type de service. Pour conclure la section concernant la perception des clients, nous pouvons dire que la manière dont se déroulent les prises de contacts dépend du type d’organisme où l’intervenant travaille. Les CLSC ont leur manière de faire. C’est le seul élément de la représentation des clients qui varie selon le type d’organisme. Les organismes CLSC Orléans et PECH se rejoignent en ce sens que les intervenants qui y oeuvrent affirment que leurs clients sont tous différents les uns des autres. Ici, on voit peut être poindre une philosophie propre à ces deux organismes. La majorité des intervenants qui reconnaissent que leurs clients sont aux prises à des crises sont des éducateurs et ceux qui mentionnent que leurs clients représentent un coût social sont les deux intervenants les plus visionnaires, soit les répondants #1 et #6. Seules ces différences s’avèrent significatives. Nous passerons outre la section du temps puisque les différences significatives ont déjà été mentionnées, soit la durée du suivi qui dépend du type d’organisme ainsi que la représentation de l’intensivité du suivi qui n’est pas influencée par le type d’organisme mais plutôt par quelque chose de personnel aux intervenants. Il est à noter que le répondant #1 est médecin, le répondant #3 est psychologue, les répondants #6 et #8 sont éducateurs. La différence est peut-être attribuable au rôle ou au métier de l’intervenant puisque le médecin et le psychologue s’entendent sur le fait qu’ils pratiquent un suivi intensif. Les deux éducateurs ont un discours à peu près semblable. Donc, la différence de représentation de ce qu’est un suivi intensif dépend plus du rôle dans l’intervention que du type d’organisme où les intervenants pratiquent. En ce qui concerne la perception du suivi, un des buts du suivi partagés par les répondants #1, #2 et #4 et mentionné par le répondant #8 est celui de rendre la communauté plus réceptive 78 aux personnes atteintes de maladies mentales. Ces intervenants appartiennent à deux organismes : le CLSC Orléans et l’Archipel d’Entraide. Nous savons déjà que l’Archipel a pour but le changement social, le but du suivi entre donc directement dans son mandat. En ce qui concerne le CLSC Orléans, il faut se demander s’il est le seul organisme public dont les intervenants ont pour but de supporter la communauté. Au CLSC Haute-Ville, l’intervenant #6 affirme qu’un des buts est l’organisation de la communauté mais n’insiste pas sur le sujet. Peut-être que ceci dépend du milieu où se situe l’organisme. On sait que le CLSC Orléans couvre un territoire où se concentrent des clientèles anciennement de Robert-Giffard et qu’il faut adapter la communauté à la présence de ces personnes. En conclusion, les différences entre les intervenants ne dépendent pas que du type d’organisme auxquels ils appartiennent. Nous y reviendrons dans la conclusion générale. 79 Chapitre VIII – Les limites de l’étude Comme il s’agit pour nous d’une première expérience, certains problèmes ont été rencontrés tout au long de la recherche, des erreurs ont été commises par notre manque d’expérience et par les circonstances. Un premier problème a été la surprise d’apprendre au mois de janvier que le suivi intensif en équipe dans la communauté n’existait pas dans la ville de Québec. Nous n’étions pas au bout de nos peines puisque la question de recherche fut modifiée plus d’une fois, ce qui nous a fait perdre du temps. Il a donc fallu rattraper le temps perdu. Ce changement de la question principale nous a obligé à changer notre grille d’entrevue. Donc, certaines questions ont été éliminées faute de temps. Ainsi, nous avions une question qui portait sur la formation et l’expérience du métier des intervenants; nous avons dû l’abandonner en cours de route mais cette question aurait été nécessaire pour l’analyse. Heureusement, nous avions prévu le coup en menant des entrevues ouvertes. Il est clair que les informations recueillies diffèrent d’un intervenant à l’autre mais plusieurs renseignements précieux pour l’analyse nous ont été donnés de cette manière. Nous aurions pu ajouter à la grille d’entrevue une question portant sur la durée du suivi mais ces informations nous ont été données tout de même. Enfin, un autre problème qui peut nuire à notre analyse est le fait que les intervenants soient pré-sélectionnés par notre cliente. Ceci est dû au manque de temps. Le manque de temps a été notre problème principal car tout ce qui touche aux représentations est très vaste et il aurait fallu un an pour analyser à la perfection chaque détail important. Nous nous sommes penchés sur les faits les plus significatifs, soit ceux qui nous permettaient de conclure rapidement à l’origine des représentations. Nous avons effectué des regroupements afin de faciliter et d’accélérer l’analyse, mais il est bien certain que quelques-uns sont discutables. Nous nous sommes en outre contentés de couvrir trois foyers des représentations : le type d’organisme où travaillent les intervenants, la philosophie d’intervention des organismes et celle propre à chacun des répondants. Cette dernière catégorie regroupe tout ce qui a trait à leur vie, à leur vision personnelle, à leur rôle dans le champ 80 d’intervention, à leurs expériences antérieures et à leur formation. Enfin, nous n’avons pus compléter le verbatim de l’entrevue #8, nous nous sommes contentés de citer ce qui était le plus significatif faute de temps. C’est pourquoi ce répondant n’a pas formellement été présenté et n’apparaît qu’à certains endroits. Enfin, nous aurions aimé tâter le terrain avant les entrevues mais ceci s’est avéré impossible. Nous avons cependant pu assister à une rencontre du Comité QuébecCentre portant sur la création d’un suivi intensif en équipe dans la communauté. Nous avons beaucoup insisté sur le suivi intensif en équipe dans la communauté pour des raisons pratiques : la question de départ concernait ce type de suivi et il est en voie d’implantation par le comité Québec-Centre dont nous avons déjà parlé. Si le temps l’avait permis, il y aurait eu une section portant sur ce que les intervenants pensent d’un tel comité. 81 Conclusion En conclusion, les différences significatives que nous avons pu relever en ce qui concerne la définition de leur suivi par les intervenants montrent des influences autres que le type d’organisme. Afin de jeter un regard synthèse, construisons un tableau : Tableau 5 : les foyers des représentations représentations Foyers Éléments de représentation Selon l’organisme 1-PECH, la durée du suivi basée sur le changement Selon le territoire 1-CLSC Orléans + Archipel= rendre la communauté réceptive Selon le type d’organisme Selon la personnalité, le l’expérience de l’intervenant. métier 1-les contacts 2-durée du suivi 3-disponibilité ou 1-Les qualités écoute, empathie et patience 2-Coûts sociaux reconnus par les visionnaires 3- représentation suivi intensif A la lumière du tableau ci-dessus, nous voyons que les différences de représentations sont de plusieurs ordres : selon le type d’organismes, selon le territoire de l’organisme, selon l’organisme et selon la personnalité, l’expérience ou le rôle des intervenants. La question de cette recherche était de savoir si les représentations du suivi communautaire changent selon le type d’organisme. Les éléments significatifs influencés par le type d’organisme 82 sont les contacts, la durée du suivi et l’importance accordée à la disponibilité. Les deux organismes publics entrent en contact avec les clients de la même manière. Il est à noter que l’élément « contact » comprend aussi les critères d’admission des clients au suivi communautaire. Donc, les CLSC se distinguent sur ce point des organismes communautaires. La durée du suivi dépend elle aussi du type d’organisme, les CLSC pratiquent ce suivi depuis la désinstitutionnalisation en 1998. Ainsi, la plupart de leurs clients sont suivis depuis deux ou trois ans. L’expérience du suivi des organismes communautaires est un peu plus longue, certains clients sont donc suivis depuis 5 ans. Cependant, PECH se distingue des autres par le critère qui règle la durée du suivi qu’il offre : le changement chez le client. Enfin, l’importance accordée à la disponibilité se retrouve surtout chez les intervenants de CLSC. Un intervenant de PECH signale l’importance de ne pas fonctionner à boîte vocale, pour lui, la disponibilité c’est d’être présent. Pour le répondant #3, la disponibilité c’est d’avoir du temps. Il fait la remarque d’ailleurs que les intervenants manquent de temps pour réaliser des interventions, il faut dire que cet intervenant est responsable d’une quarantaine de cas. Les intervenants des CLSC manquent de temps et de ressources à cause du nombre de cas desquels ils sont responsables. Ceci dit, il n’y a pas beaucoup d’intervenants qui nous ont donné le nombre de clients qu’ils supervisent mais en les écoutant, il est facile de se faire une idée à cet égard. Certains organismes publics rejoignent des organismes communautaires sur certains traits du suivi. Ainsi, le CLSC Orléans se rapproche plus que le CLSC Haute-Ville des organismes communautaires. Les intervenants du CLSC Orléans partagent un but commun avec les intervenants de l’Archipel qui est de rendre la communauté plus réceptive aux personnes atteintes de maladies mentales. Un intervenant du CLSC Haute-Ville tend à rejoindre cette pensée en voulant bouger les choses et organiser la communauté mais ce n’est pas aussi spécifique que pour les gens de l’Archipel. On peut donc soupçonner que l’origine ici dépend du territoire et des caractéristiques de la population assignée à l’organisme. 83 Enfin, certaines différences de représentations sont de l’ordre de la personnalité des intervenants ou de leur rôle au sein du suivi. Trois éléments significatifs se retrouvent dans cet ordre d’origine : les qualités que sont l’écoute, l’empathie et la patience, la vision des clients qui représentent un coût social et la représentation de ce qu’est un suivi qui se veut intensif. Les qualités d’intervention semblent dépendre du rôle de l’intervenant dans le suivi. Ainsi, ces qualités sont partagées par les intervenants qui jouent un rôle plus psychosocial que médical. Il est à noter que les répondants qui ont associés les clients à un coût social ne le disent pas dans un sens discriminatoire mais bien réaliste. Ces deux répondants ont une vision globale du problème, ils ne s’attardent pas qu’au suivi mais réfléchissent sur les conditions de vie de leurs patients. Ils voient donc les problèmes se refléter au delà du suivi, dans la communauté. La représentation de ce qu’est un suivi intensif est influencée par ce qui est personnel à l’intervenant. Ça ne dépend pas du type d’organismes ni de la philosophie propre à un organisme car la principale différence se situe au sein du CLSC Haute-Ville ou deux intervenants ont des représentations complètement différentes en ce qui a trait à la représentation de l’intensivité d’un suivi. Ainsi, le répondant #6 affirme que le suivi intensif n’existe pas parce que pour lui, un suivi intensif offre des services 24 heures par jours et sept jours par semaine. Le répondant #3, lui aussi du CLSC Haute-Ville affirme qu’il pratique du suivi intensif parce qu’il applique une prise en charge globale de la personne dans toutes les sphères de sa vie. Enfin, le répondant #1, de l’Archipel d’Entraide affirme lui aussi qu’il fait du suivi intensif avec une équipe d’intervenants. Il se base sur les écrits pour fonder sa représentation. Tentons de comprendre d’où viennent ces différences. Il faut aller voir l’expérience de chacun. Le premier intervenant étant un éducateur, il s’y connaît en terrain et s’avère très sensible envers ses clients. Pour lui, il est nécessaire d’obtenir du suivi disponible en dehors des heures de bureau. Le répondant #3 est psychologue et a toujours été en institution publique. Il semble qu’une prise en charge globale de ses clients soit nouvelle pour lui et que le suivi intensif soit la seule réponse possible à la fermeture des départements dans les hôpitaux psychiatriques. Enfin, le répondant #1 semble s’informer beaucoup et suivre la littérature sur le suivi intensif. Donc, la représentation du suivi intensif vient davantage de l’expérience de chaque intervenant en cause que du type d’organisme où il travaille. 84 Des problèmes ont été relevés auprès des éducateurs et de certains intervenants communautaires : il est important de posséder un réseau de médecins et de psychiatres qui connaissent l’intervenant pour éviter d’avoir de la difficultés à hospitaliser les clients en crise. Le pouvoir dans le réseau semble détenu par les médecins et les psychiatres. Ce problème serait réglé si chaque équipe de santé mentale comprenait un psychiatre ou un médecin. Le suivi intensif en équipe dans la communauté est reconnu comme un besoin et un objectif du Ministère de la Santé. Aussi, un conseil s’adresse aux intervenants des milieux institutionnels et semble important pour la mise sur pied d’une équipe de suivi intensif : acquérez de l’expérience de terrain. Le répondant #3 va dans ce sens lorsqu’il indique : « J’ai l’impression qu’il n’y a pas une longue culture de suivi dans la communauté. On est en train de forger le tout. Il faut que les organismes travaillent ensembles et que l’on trouve une façon de faire adaptée à notre réalité. » (Entrevue #3, p.8) Enfin, il est essentiel d’en venir à un consensus entre les intervenants pour réaliser un suivi qui respectera les clients. Bibliographie - Répertoire des avis terminologiques et linguistiques, septembre 1999 Erreur! Signet non défini., 85 - La Sociologie, éd..Les idées et les hommes, 1970 Conseil d’Évaluation des Technologies de la Santé du Québec; Suivi intensif en équipe dans la communauté pour personnes atteintes de troubles mentaux graves, (CETS 99-1 RF). Montréal : CETS, 1999, xvi-88 pages. Rocher, Guy; Sociologie générale, Tome I, éd. HMH, Montréal, 1968 Gauthier,Alexandre; Quelques mots sur la notion de représentation, 2 pages. Comité Régional sur la première ligne des services de santé et des services sociaux; Promouvoir la première ligne des services de santé et des services sociaux dans la région de Québec, 30 octobre 1997, 32 pages Partenariat pour la recherche sur l’insertion sociale et la marginalisation, Le programme de recherche du CLSC-Haute-Ville, 8 pages. Commission d’enquête sur les services de santé et les services sociaux, Les services de santé et les services sociaux, problèmes et enjeux,1er trimestre 1987, 221 pages. Groupes de professionnels en santé mentale, Actes du symposium interactif sur le case management au Québec, Septembre 1988, 33 pages. Couillard Marie-Andrée et autres, Les rapports du CHRS, La dynamique communautaire dans les années 1990, perspectives et implications pour Centraide, Juin 1999, 75 pages. Godbout Jacques T. et autres, le communautaire public le cas d’un CLSC, Juin 1989, 90 pages. Bibeau G., et autres, La santé mentale et ses visages, un Québec pluriethnique au quotidien, CSMQ, 1992, 289 pages. Petit Robert, 1993. Le Larousse, 1992. 86 Ministère de la Santé et des Services Sociaux, Plan d’action pour la transformation des services de santé mentale Ministère de la Santé et des Services Sociaux, Orientation pour la transformation des services de santé mentale. Sainsaulieu, Renaud; L’identité au travail, seconde édition, Presses de la Fondation Nationale des sciences politiques, collection Références, Paris, 1985, 464 pages Moscovichi, Serge ; La psychanalyse, son image et son public, Paris, Presses Universitaires de France, 1961. 87 ANNEXE A La grille d’entrevue Section I- présentation des chercheurs Section II- présentation de la recherche Section III- L’entrevue 1-Si je vous parle de suivi communautaire, à quoi cela réfère-t-il pour vous ? (idée générale, la première idée, la première image) 2-En quoi le suivi communautaire se distingue des autres formes de suivi possibles ? (En quoi il est différent ? Selon vous, qu’est-ce qui est spécifique à ce type de suivi?) 3-Pouvez-vous me donner dans vos propres mots une définition du suivi communautaire ? 4-Pouvez-vous me décrire comment se passe concrètement une intervention de suivi communautaire ? (Pouvez-vous me raconter une histoire de cas où vous avez réalisé du suivi communautaire) - Comportements, interactions avec la personne, contacts ; - L’intervention : où, durée, organisation différente du temps, activités et actions entreprises, combien de fois en communauté, combien de fois dans le bureau, quand ; Êtes-vous le seul à intervenir auprès de cette personne, à quel moment les autres interviennent-ils ; - Quels motifs vous poussent à aller dans la communauté ? 88 - Habiletés spéciales demandées (portrait type) 5-Quelle clientèle bénéficie du suivi communautaire dans votre organisme ? (Les grandes caractéristiques, quelles personnes prenez-vous et pourquoi ? Qui sont les gens automatiquement exclus ? Qu’est-ce que le suivi communautaire apporte aux gens ?) 6-Personnellement, que pensez-vous du suivi communautaire ? (Croyez-vous en ce type de suivi et pourquoi ? Est-ce qu’il y a des valeurs, des façons de faire propre à ce suivi ? Quels grands principes structurent ce suivi ?) 7-Sur un plan général, croyez-vous que l‘on doit encourager ce type de suivi ? Pourquoi ? (Qui devrait faire ce type de suivi ? Quelles qualités cette personne doit posséder ?) 8-Y a-t-il des choses, des idées, des commentaires que vous n’avez pas pu dire et que vous auriez aimé dire ? 9-Avez-vous des questions à nous poser ? 89 ANNEXE B Les dires des intervenants Certaines paroles des intervenants révèlent des éléments que nous n’avons pas pu explorer à notre guise, faute de temps. Les voici : « On fait beaucoup attention au logement aussi, le logement… On se rend compte que le premier ancrage de réinsertion sociale, c’est le logement, c’est l’hébergement. » (Entrevue #1) « Il faut essayer d’avoir une adéquation entre les besoins pis l’intensivité du suivi […] dans la littérature de suivi intensif, on parle en général de quatre rencontres par semaine, ce qui est très exigent… » (Entrevue #1) « Il y a des combats à faire qui sont de nature plus politique […] parce qu’il y a des enjeux qui sont totalement en dehors du secteur de la santé. […] Alors moi je pense qu’il faut conserver la force communautaire dans le sens du développement social » (Entrevue #1) « Autrefois, quand une personne vivait quelque chose de psychiatrique, on l’internait et il y vivait des années. J’ai vu des personnes de vingt ans se faire interner pis pas ressortir. Ils nous feront pas accroire qu’après 32 ans, que la personne aurait pas pu sortir avant. Il y a peut-être un maque quelque part. » (Entrevue #2) « On a vu des gens qui avaient des services mur-à-mur à l’intérieur de l’hôpital qui se retrouvent isolés dans la communauté. Est-ce qu’ils sont plus heureux ? » (Entrevue #3) « [Le suivi], c’est très bien, encore faut-il avoir les moyens et les ressources pour le faire. Présentement, je considère qu’on est pas assez outillé. [Il nous manque] du temps ou des intervenants ou les deux en même temps. Le suivi en communauté, ça prend beaucoup de temps. […] On a à faire ces interventions là, et je pense qu’on les fait bien, mais on a pas assez de temps. » (Entrevue #3) 90 « Ça fait trois ans que je travaille pour le CLSC et j’ai l’impression qu’il n’y a pas une longue culture de suivi dans la communauté. On est en train de forger le tout. Il faut que les organismes travaillent ensemble et qu’on trouve une façon de faire adaptée à notre réalité. » (Entrevue #3) « Ça changé au niveau politique la santé mentale; on peut demander aux policiers d’intervenir si on considère que c’est dangereux pour lui ou pour autrui. Avant, il y a un an, ça prenait un mandat, fallait aller chercher le mandat pis… Ça faisait que c’était assez compliqué. Aujourd’hui, c’est plus facile. » (Entrevue #4) Une des choses qui est importante […]c’est le réseau. Ça fait quand t’arrive, le jeune éducateur qui débarque dans un travail comme le nôtre, qui appelle, mettons, à Robert-Giffard, il y a 46 psychiatres, à l’Enfant-Jésus, à l’Hotel-Dieu, il y en a d’autres. Quand t’appelle : « Je m’appelle un tel du CLSC Orléans », il te connais pas. Les organismes communautaires, quand t’appelle, ils te connaissent pas. Tout le réseau privé, certains locateurs, quand t’es connu partout, t’appelle, c’est pas long qu’on te rappelle. Tout le lien de confiance, c’est ça qui est le plus important, pis c’est ça qui faut jamais perdre. […] Les psychiatres, des fois, on leur dit, pis ils sont pas tout à fait corrects eux autres non plus. […] Faut pas perdre le lien de confiance. » (Entrevue #4) « Mais il y a beaucoup une dépendance affective [dans le suivi] un lien affectif qui est là pis faudrait faire une enquête savoir qu’est-ce que ça représente… » (Entrevue #5) « Ça ressemble à quoi les besoins de la communauté par rapport à un suivi milieu intensif ? On pouvait pas les voir là parce qu’en général, les suivis intensifs dans le milieu on les connaît pas toutes… Pis on peut pas tous les rejoindre… Pis ils ont pas tous le téléphone… Ça prendrait du monde sur le terrain pour aller voir… » (Entrevue #6) « Il y a une réalité régionale, c’est qu’il y a plusieurs organismes communautaires. Si on arrive nous autres avec notre intervention d’intervenants de CLSC pis tout le kit, il y a des ressources communautaires qui vont nous en vouloir avec raison » (Entrevue #6) « On est toujours pogné avec ça, un moment donné, la personne est en crise, on doit l’hospitaliser. Là, c’est le fuckaillage d’aller à l’hôpital ou d’avoir une évaluation ou un ordre de Cour ou…Tsé, on est dans… On est pas mal mal pris… C’est le médecin dans le réseau de la santé qui a pas mal les pouvoirs » (Entrevue #6) « Un suivi idéal? Ce serait une équipe d’intervenants […] de plusieurs champs professionnels, des aidants naturels… […] Ce serait pour moi l’idéal si on était capable d’avoir ça parce que premièrement, on aurait pas besoin, tout le monde individuellement, dans nos bureaux, à s’astiner pour que la personne soit hospitalisée ou rencontrer le médecin ou tout ça. Il y aurait une personne qui serait référent. Ça, ce serait l’idéal mais ça va peut-être se faire… Dans combien de temps à cause de cette fameuse politique là pis le tirage de couverte… » (Entrevue #6) 91 « D’après moi, ce que l’on doit favoriser, c’est la communication entre intervenants, qu’on arrête de vivre dans un créneau d’intervention. Parce que là, tu vas avoir les big teams du communautaire, les big teams des CLSC pis les big teams de Giffard, du modèle PAC qui vont donner des pilules à tous les matins. » (Entrevue #7)