Interprétation du champ visuel Professeur Jean-Paul
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Interprétation du champ visuel Professeur Jean-Paul
Interprétation du champ visuel Professeur Jean-Paul Renard Chef de service d'Ophtalmologie, Hôpital Val-de-Grâce, Paris Patient Bonjour Monsieur Renard. Nous nous retrouvons comme depuis dix neuf ans, bien entendu, que je suis suivi dans vos services. Je suis arrivé ici en consultation suite à des problèmes de vue, pour voir de près et vous m’avez annoncé, à cette époque là, que j’avais un glaucome. Et depuis cette date, tous les six mois c’est le champ visuel, la pression oculaire et autres examens. Et au cours des nombreuses années, Monsieur Renard s’est aperçu que du coté gauche la pression oculaire était trop élevée et il fallait intervenir du point de vue chirurgical. J’ai donc subi une opération du glaucome en 2004, opération qui s’est très bien passée. Le suivi a été normal et depuis cette date je repasse régulièrement, tous les six mois, au contrôle, absolument tous les six mois : c’est nécessaire. En dehors de ça, bien sûr, vous avez des contraintes personnelles qui vous obligent à prendre des gouttes : en ce qui me concerne c’est toutes les douze heures, matin et soir. Et, si vous êtes suivi pour d’autres raisons médicales, il ne faut pas oublier de signaler que vous avez un glaucome car de nombreux traitements sont interdits au glaucome. Et depuis cette date, ça continue normalement, pour l’instant la pression est stable et je continue régulièrement les visites. Professeur Renard Bien. Dans le cadre du bilan d’aujourd’hui, Monsieur, vous allez pratiquer un examen du champ visuel. Comme vous le voyez, l’examen, que nous avons pratiqué également au niveau des nerfs optiques, montre pour nous un état stationnaire par rapport à la dernière fois. L’analyse du champ visuel, comme vous le voyez ici pour votre œil droit comme pour votre œil gauche, est un examen qui nécessite une interprétation très rigoureuse et ce, à chaque contrôle de l’évolution et de la progression de votre glaucome. Alors, est-ce que cela vous intéresse que l’on regarde, ensemble, l’interprétation de ce champ visuel ? Patient Ah, oui ! Bien sûr. Professeur Renard Alors, je vais vous expliquer. Vous pratiquez des champs visuels automatisés qui présentent deux grands intérêts. Le premier c’est qu’il va permettre, comme vous le voyez ici, une quantification de tout l’ensemble des points qui sont mesurés au niveau du champ visuel. Le deuxième avantage, c’est que cet examen automatisé est totalement reproductible d’un centre à l’autre. Ce qui vous permet d’être suivi dans n’importe quel établissement qui possède ce type d’appareil et d’avoir ainsi un examen reproductible et de suivre l’évolution sans difficulté. Alors, comment s’interprète ce relevé qui, comme vous le voyez, présente de nombreuses données ? En fait, la lecture et l’interprétation vont se faire de haut en bas, de gauche à droite comme la lecture de la page d’un livre. La première partie, à la partie supérieure, va nous donner un certain nombre d’informations qui vous concernent, vous le patient, et qui concernent également le type de test que nous avons pratiqué chez ce patient. Il est important de toujours comparer, pour le suivi de l’évolution, des tests qui ont été faits avec le même programme et la même stratégie, qui devra être vérifié à la partie supérieure du test, ainsi que la taille du stimulus qui est en général un stimulus de taille 3. La date de naissance du patient doit être rentrée de façon systématique et on le comprend aisément car l’ensemble des résultats vont être comparés par rapport aux données obtenues chez un sujet du même âge que vous Monsieur, mais non glaucomateux, sujet normal. Et on va comparer les différentes mesures de sensibilités de points de votre champ visuel, à ce patient normal du même âge. De même, il faudra comparer le diamètre pupillaire, qui doit toujours être supérieur à trois millimètres, pour éviter un effet myosis qui serait à l’origine d’une dépression diffuse du relevé du champ visuel. La réfraction doit être une bonne réfraction en vision de près pour avoir la meilleure correction optique pour la vision de près et un résultat optimal. Elle devra faire partie des éléments qui devront être comparés par rapport aux examens précédents, pour être certain que le test est réalisé dans les mêmes conditions chez tous nos patients. Alors, la lecture se poursuit à la seconde ligne, sur la partie gauche ou comme vous le voyez se situe un certain nombre de critères, que l’on appelle des indices de fiabilité de l’examen. Certains jours, les jours de fatigue, difficultés, vous aurez du mal à réaliser ce champ visuel et le test, tout au cours de l’examen, va étudier la possibilité éventuelle d’erreurs ou de perte de fixation. Trois types d’indices de fiabilité : les pertes de fixation Une fois sur dix le stimulus est projeté au niveau de la tache aveugle. En cas de réponse, il témoigne une perte de fixation du patient. On tolère jusqu’à vingt pour cent de perte de fixation. le second indice est ce qu’on appelle les faux positifs C'est-à-dire que de temps en temps vous voulez trop bien faire, ou le patient n’a pas très bien compris et, dans ces cas là, il répondra une perception alors qu’il n’y a pas de stimulus : c’est ce que l’on appelle les faux positifs. C’est le meilleur indice de fiabilité dans l’analyse du champ visuel. On tolère jusqu’à trente trois pour cent de faux positif. le dernier constitue ce que l’on appelle les faux négatifs C'est-à-dire qu’un certain nombre de points vont être retestés avec une intensité lumineuse beaucoup plus forte, qui normalement ne devrait pas vous échapper. Ces faux négatifs existent de temps en temps et, là encore, c’est un indice de fiabilité qui correspondrait à une mauvaise coopération du patient ou une mauvaise attention du patient. Et l’on tolère jusqu’à trente trois pour cent de faux négatifs. Ces faux négatifs vont sous-estimer le champ visuel puisqu’au préalable le point avait reçu une intensité et avait retenu une intensité beaucoup plus faible. La lecture va ensuite considérer la partie centrale. La partie centrale est constituée d’un ensemble de chiffres, comme vous le voyez, qui est la véritable mesure de l’examen. C’est la véritable mesure objective du seuil de sensibilité de l’ensemble des points testés sur les vingt quatre degrés centraux. Je vous rappelle que ces points sont séparés de six degrés, c’est bien qu’il faut être conscient qu’un petit déficit de trois à quatre degrés entre deux points testés peut totalement passer inaperçu. Mais associé à un autre chiffre que l’on appelle le seuil fovéal, la partie centrale de la rétine est la zone la plus sensible dans la perception au niveau de l’intensité lumineuse. Ce seuil fovéal est capital, il est généralement entre trente deux et trente six décibels chez le sujet normal et il faudra bien regarder si ce seuil fovéal se situe dans les limites normales. Ce sont les seuls éléments véritablement mesurés par l’examen. L’ensemble des autres éléments du relevé, qui font partie de l’analyse, sont constitués uniquement à partir d’une analyse statistique par rapport au sujet normal du même âge que vous. C’est avant tout le dernier élément de la deuxième ligne : c‘est la représentation en échelle de gris comme nous l’appelons, Monsieur. En fait, il donne faussement l’impression que l’ensemble du champ visuel a été testé, c’est une reconstruction puisque, comme nous venons de le voir, les points sont séparés de six degrés. Cette échelle de gris est constituée à partir d’une palette : une palette de gris qui va différencier par tranche de cinq décibels la reconstruction de cet ensemble du champ visuel. Si bien qu’on peut avoir une représentation un peu erronée de déficit plus important lorsqu’on se situe à la limite entre deux palettes de gris, deux échelles de la palette de gris ou encore une diminution de petits scotomes qui peuvent passer inaperçus lorsqu’ils se situent en-dessous. L’élément suivant est très important pour notre analyse. C’est ce que nous appelons les cartes de déviation. Alors, deux types de carte de déviation (carte de déviation cela veut dire votre déviation par rapport à votre compère du même âge si je peux m’exprimer ainsi Monsieur). Sur la partie gauche, c’est la carte de déviation totale qui correspond à la différence de sensibilité de chaque point par rapport à celle normalement attendue chez le sujet normal du même âge. La carte de déviation individuelle, quant à elle, représente les variations au sein de ce relevé chez un patient donné, par rapport à la perte globale du champ visuel. C’est le principal reflet des déficits du champ visuel puisqu’il analyse au niveau de chaque point la profondeur de la perte de sensibilité par rapport à la perte moyenne de l’ensemble du champ visuel. C’est, pour nous, la représentation la plus objective des déficits locaux au niveau du champ visuel. Enfin, les indices globaux sur la dernière partie droite de la dernière ligne de cette analyse, reflètent un certain nombre d’informations. Aussi bien avec le périmètre Humphrey qu’avec le périmètre octopus. Le premier indice correspond sur l’ensemble des points à la perte totale de sensibilité globale mais il sera influencé aussi bien par un trouble des milieux, comme une cataracte, que par un déficit diffus. Le deuxième indice (PSD pour le Humphrey ou LV pour l’octopus) correspond en fait à la profondeur de chaque point par rapport à la perte globale. C’est donc le reflet le plus précis de la perte des déficits et, sur les tests de seuil plus complet, moins utilisés actuellement, nous trouvons la fluctuation à cours terme qui correspond à la variation de sensibilité de points testés plusieurs fois au cours du même examen et à la perte localisée, corrigée en fonction de cette fluctuation à cours terme mais qui a montrée avec le temps un intérêt plus limité. Ce qu’il faut principalement retenir dans notre pratique quotidienne ce sont ces deux premiers indices : l’indice de déviation moyenne et l’indice de déviation localisée, qui sont les indices MD et LV de l’octopus, qui reflètent le plus précisément l’existence et l’importance de ces déficits. Lorsque ces indices globaux ne s’accompagnent pas d’indices de probabilité, il faut les considérer comme normaux, et ne retenir leur intérêt seulement lorsqu’il existe un indice de probabilité par rapport à la normale associée. Un tel indice de probabilité, lorsqu’il est inférieur à un pour cent, veut dire qu’il y a moins de un pour cent de chance que le résultat soit normal. Enfin, nos techniques évoluent et nous avons de meilleurs moyens pour surveiller si l’examen a été réalisé dans d’excellentes conditions par rapport aux indices de fiabilité initialement décrits à la partie supérieure. Et c’est ce que nous appelons dans notre jargon Monsieur l’« eyetracking » ; c'est-à-dire que l’on va contrôler le reflet cornéen de votre œil qui doit fixer droit devant au fond de la coupole, par l’intermédiaire d’un petit faisceau laser. Et le moindre mouvement oculaire, pendant tout l’examen, va être enregistré, avec une déflection vers le haut qui va signer un mouvement oculaire de dix degrés ou un mouvement vers le bas qui va signer à chaque fois un clignement de paupières. Ceci permet au périmétriste, à l’orthoptiste ou à celui qui va réaliser le champ visuel de voir si vous avez une fatigue qui augmente pendant la durée de l’examen et, à ce moment là, de l’interrompre pour vous donner un moment de pause qui sera bénéfique pour une meilleure qualité du résultat du relevé à l’issu. Alors, vous voyez, Monsieur, que les images de votre nerf optique, que nous avons ici enregistrées, avec le relevé de votre champ visuel, comme vous l’avez très bien décrit tout à l’heure, vous avez un glaucome qui est beaucoup plus évolué au niveau de l’œil gauche et que nous pouvons maintenant suivre cette progression. Au niveau de l’œil droit, nous sommes dans une stabilité remarquable et au niveau de l’œil gauche, depuis votre intervention, nous avons quand même amélioré la pente d’évolution qui, si elle s’était prolongée, aurait été beaucoup plus aiguë, comme on peut le voir ici. C’est tout l’intérêt de nos techniques du champ visuel qui deviennent de plus en plus performantes, aussi bien dans l’évaluation à un moment précis, que dans le suivi de cette progression. Et lorsque nous les associons à l’analyse des fibres nerveuses rétiniennes, on peut voir que les fibres ganglionnaires sont également atteintes et suivre le degré de leurs atteintes puisqu’il y a toujours un décalage entre l’atteinte structurale et l’atteinte fonctionnelle ; de même que par l’analyse avec les nouvelles techniques d’examens des fibres nerveuses rétiniennes. En conclusion, on peut retenir cinq grands points capitaux dans l’analyse du champ visuel qui doit être minutieuse. il faut bien connaitre les critères d’interprétations et de l’existence d’un déficit dans cette analyse Le second point : en cas de scotome para-central, il faudra toujours, dans tous les cas, compléter l’examen par une analyse du champ visuel central des dix degrés centraux qui permettront une étude plus précise en analysant des points séparés de deux degrés des différents déficits. Il faut par ailleurs, dès que l’on va dépister un déficit, le confirmer par un nouvel examen du champ visuel étant donné la variabilité de sensibilité chez les patients glaucomateux au cours du même test et d’un test à l’autre Enfin, on pourra confronter les résultats avec d’autres techniques d’examens comme la périmétrie matrix ou la périmétrie bleu-jaune Mais surtout, dans tous les cas, aucune décision thérapeutique, ni modification du suivi d’un patient ne doit être prise sans une confrontation avec les autres données des résultats de l’examen clinique. 12.12 UVD 10 F 2359 IN - Ja