Fiche pédagogique
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Fiche pédagogique
THEATRE Assoiffés de Wajdi Mouawad Dans Assoiffés, trois personnages nous racontent, ensemble, leur histoire. C’est l’histoire de deux adolescents, un gars et une fille, Murdoch et Norvège, un qui décide de tout dire et l’autre qui se tait, un qui se fait entendre et l’autre qui se cache. C’est aussi l’histoire de Boon, anthropologue judiciaire, qui adolescent, rêvait d’être auteur… Assoiffés mêle réalité et fiction, humour et drame dans un univers empruntant au fantastique. Le spectacle aborde des thèmes riches : le sens de la vie, l’inquiétude par rapport à l’avenir, mais surtout la soif de vivre. Il rend compte avec justesse de la révolte et la colère salutaires des adolescents face à la perspective d’une vie insipide et abrutissante. Un appel à la vigilance contre la médiocrité et la résignation ! Un spectacle percutant et touchant ! Une œuvre très, très forte ! tendre encore. Je veux dire ! Tsé. Comme si rien ne s’était passé. Comme si on tournait en rond. Tsé. Comme si on revenait toujours au même carrefour alors qu’on est déjà en retard, qu’on a plus ben ben le temps de niaiser »… Dans cette recherche éperdue de vérité, Murdoch va croiser le destin de Norvège, une jeune fille terrorisée par la laideur du monde, qui, malgré les supplications de ses parents, reste enfermée dans sa chambre. Elle se cache car elle ne veut pas montrer au monde que la laideur s'est nichée en elle… Norvège saura toutefois braver sa peur et faire surgir la beauté et la lumière… En racontant l’histoire de leur étrange rencontre, Boon, un anthropologue judiciaire, replonge dans sa propre adolescence d’où ressurgit le fantôme d’un rêve abandonné… Assoiffés aborde l’adolescence sous un regard différent, celui de ceux qui la vivent, ceux-là mêmes qui sont ivres de questions, d’envies, d’espoirs et de désillusions. L’auteur y traite avec justesse de la souffrance, du manque de repères, du trouble de la vision de soi et de la nécessité de croire en quelque chose pour continuer à vivre. Il nous invite à une réflexion sur cet âge ingrat et ses préoccupations. Avec Assoiffés, Wajdi Mouawad nous donne à entendre une parole singulière, lucide et engagée. Ses personnages – trois portraits et trois caractères différents – ont en commun une quête légitime qui nous concerne tous, celle de trouver un sens à sa vie en restant soi-même, en restant libre. Et la mise en scène de Benoît Vermeulen nous propose une forme étonnante où la barrière entre la réalité et la fiction se dissout, les frontières du temps explosent, la force de vivre triomphe de l’inertie. Un peu comme une tentative de redevenir un héros grec © Simon Ménard Trois personnages en quête de sens 18 Un matin, Sylvain Murdoch se lève subitement incapable d'arrêter de parler. Il parle sans arrêt, effrayé et paniqué face à ce que la vie lui réserve : conformisme, routine, consommation… Il cherche à tout prix un moyen pour voir la vie autrement. « Comment ça se fait que plus je grandis, moins j’ai l’impression d’être vivant ? ». Toute la journée, il ne cessera de provoquer son entourage en le questionnant, avec fougue, sur le sens de la vie. « Moi, là, je le sais plus pourquoi tous les matins je dois me lever pour aller attendre l’autobus si c’est pour monter dedans, aller à l’école, revenir de l’école, m’endormir, me réveiller pour revenir icitte et l’at- Il arrive quelques fois au réveil d'étranges choses. Nous ouvrons les yeux et parce que cette nuit-là on a dormi un peu plus profondément que d'habitude, on ne se reconnaît plus dans le miroir, on se sent habité par une soif nouvelle, quelque chose d'absolument impossible à étancher. Parfois, la digue ne peut plus supporter la pression qui vient du large et tout craque dans nos vies, tout déborde, tout s'inonde comme si la planète que nous étions chacun ne supportait plus le trop plein de quiétude et d'endormissement. Parfois, c'est la beauté dans ce qu'elle a d'évident qui nous saute au visage et marchant dans la rue, on ne cesse d'y voir, partout, son cadavre, comme si la ville au complet était ensanglantée par le massacre de ce qui est beau. D'où vient que, d'un jour à l'autre, on ne supporte plus le préfabriqué ? Le laminé ? Le tout fait ? Les maisons en carton ? D'où vient que, tout à coup, attendre l'autobus prend des proportions insoupçonnées et, sans trop savoir pourquoi, on se met à penser au chauffeur de l'autobus en question, qui toute sa vie durant la passera derrière un volant ? D'où vient le sentiment que nous sommes aujourd'hui plus que jamais au temps du sacrifice humain, mais un sacrifice pour rien, pas même pour les dieux, juste pour le fun. « Merci Mélanie pour ton courage mais le public n'a pas voté pour toi et c'est toi qui est éliminée, bravo pour les autres et la semaine prochaine nous éliminerons un autre candidat ! ». Catastrophe, catastrophe ! Un vertige effrayant et injuste s'abat sur nous et on se dit : « Calmetoi, il faut bien gagner sa vie… ». D'où vient que notre mesure des choses se soit à ce point amenuisée ? Pourquoi les adolescents que je connais ont pour principale occupation de passer leur temps à massacrer les enfants qu'ils ont été ? Ce sont ces questions qui ont fait émerger à la pointe du jour Murdoch, le faisant rentrer un jour dans ma chambre. Il m'a réveillé. (…) Qui est Murdoch ? Murdoch se lève un matin avec une décision claire et nette : tant qu'à être un mésadapté gâté et précieux, autant de- venir un mésadapté poétique et incompréhensible. Au moins, il aura été lui-même dans toute sa grandeur, un peu comme une tentative de redevenir le héros grec qu'il était lorsque sur les rivages de Troie, Achille se battait contre Hector, tout cela à cause d'une femme qui fut enlevée par une culture à une autre. C'était l'époque où les dieux, sans doute Hermès, dieu messager, était le conducteur de l'autobus. Colère, colère. (Mot de l’auteur, Wajdi Mouawad) © Simon Ménard Unis par une insatiable soif d’infini Pendant un mois, tous les matins, nous nous sommes rencontrés, Wajdi et moi, dans son petit studio du Vieux-Montréal, pour discuter, de tout et de rien, de notre adolescence, du monde dans lequel nous vivons, de beauté. Un jour, il m’a demandé : Pourquoi tu te lèves le matin ? Et c’était parti ! Voilà le genre de question dont la réponse commande automatiquement une autre question qui nous entraîne, inévitablement, dans une zone de plus en plus existentielle : - Pour le travail… - Pourquoi faire ce travail ? - Par passion… - Pourquoi ce besoin de passion ? - Pour se sentir vivant… - Pourquoi ce besoin de se sentir vivant ? Cette spirale nous conduit jusqu’aux confins de nous-mêmes et, à défaut d’apporter une réponse satisfaisante, nous donne la conviction que nous sommes tous unis, en tant qu’êtres humains, par une insatiable soif d’infini. Et que si parfois on oublie cette soif, elle finit toujours par nous rattraper, un jour ou l’autre. (Mot du metteur en scène, Benoit Vermeulen) Une expression vraie de l’adolescence Assoiffés est l'une de ces productions essentielles dont on ne sort pas indemne, une sorte de grand cru grinçant. Pourquoi un grand cru ? Parce qu'on n'oubliera pas de sitôt la vigueur du cri qu'on y entend. Parce que Murdoch, le jeune ado révolté, est un beau personnage de théâtre. Parce que la mise en scène de Benoît Vermeulen est éblouissante (…) Parce que la scénographie est exceptionnelle et que tout l'ensemble parle aux ados dans une langue qui est la leur et qui vient les chercher dans ce qui les révolte. (D’après Michel Bélair, Le Devoir, 21 novembre 2006) Assoiffés a été écrit par Wajdi Mouawad mais la structure éclatée du texte est l’œuvre du metteur en scène Benoît Vermeulen. Le premier provoque des réflexions essentielles avec sa plume, le second crée des atmosphères intrigantes en multipliant les mouvements entre le passé et le présent, le réel et l’imaginaire. Le langage [du personnage] de Murdoch est vraiment celui de l’adolescence ; on y reconnaîtra les expressions, la vitalité, la spontanéité, la force, le ton sans compromis. Et ce langage est très bien exprimé par le comédien Benoît Landry. Si vous avez envie d’une vraie discussion avec les adolescents ou entre adolescents, Assoiffés vous ouvrira grandes les portes du dialogue et de la réflexion. (D’après Valérie Lesage, Le Soleil, 21 mars 2007) Assoiffés, c’est une œuvre dans laquelle il n’y a pas de compromis, autant dans la symbolique qu’on vous sert que dans les réflexions qu’on vous propose et dans l’histoire. On n’est pas dans la caricature. On ne tente pas de faire du langage « ado ». C’est redoutablement efficace, c’est du grand théâtre ! C’est une œuvre très, très forte ! » (D’après Martine Côté, Retour sur le monde, Première chaîne de Radio-Canada, 21 mars 2007) Assoiffés a recours à la transposition poétique, pour transcender la beauté de l’adolescence des trois personnages… Wajdi Mouawad explique qu’il préfère utiliser les mots pour « mystifier » que pour dénoncer. Avec un brin d’humour, son texte pour les ados tente encore une fois de montrer les multiples dimensions de l’existence. Surtout, sans faire la leçon ou souligner à gros trait un « message ». Voilà une bonne porte d’entrée sur le théâtre et même sur l’art. Ce souci d’accessibilité, Benoît Vermeulen le tient en haute importance. « On doit avoir accès à l’art, pour savoir s’il y a quelque chose là-dedans qui puisse nous aider à vivre », observe-t-il. (D’après Sylvie St-Jacques, Festival Les coups de théâtre, novembre 2006) On n’est pas sérieux, quand on a 17 ans. Détrompez-vous. Parce qu’ici, l’amourette légère de Rimbaud est balayée par une vraie question. Celle dont on ne connaît pas la réponse et cette innocence qui révolte les corps, les plonge dans une colère sans fin. Et cette colère, cette révolte, il faut qu’elle sorte, là, un beau matin, tout envoyer valser, le conformisme, la médiocrité ; en arriver à la conclusion qu’il est grand temps «de se vider de l’intérieur». Pour retrouver un peu de calme. Refuser le moule, refuser tout, en bloc, mais ne rien nier, devenir pourtant incompréhensible, face aux autres. Cette soif, qu’on n’arrive pas à étancher, parce qu’on ne trouve plus rien en quoi arriver à croire. Ce qui reste de la révolte, c’est cette beauté, là, tapie au creux du ventre. Cette éternelle enfance, à préserver, coûte que coûte. Mais qu’est-ce que la beauté ? Pour seule réponse, ce titre de chapitre, au centre de la pièce : c’est « ce qui ne se raconte pas ». (D’après Julie Decarroux-Dougoud, Si n°4, mars-avril-mai 2009) Le Théâtre Le Clou et le public adolescent « L'adolescence est une période extraordinaire. L'adolescence bouillonne de passions, d'idéaux et de liberté. C'est cette énergie qui nous stimule artistiquement. Les créations qui en découlent démontrent aux jeunes à quel point le théâtre peut être ouvert, que le théâtre est un art qui surprend, provoque et permet d'enrichir notre rapport au monde et à nous-mêmes ». Fondé à Montréal en 1989, le Théâtre Le Clou veut créer des spectacles pour le public adolescent dans un langage théâtral qui est le sien. Parce que la représentation théâtrale est un lieu privilégié de rencontre, il est primordial que les jeunes aient accès à des œuvres de création qui s’écrivent et s’inscrivent dans leur présent et leur actualité. L’adolescence est à la fois le triomphe de la liberté et un instant de fragilité extrême. De la volonté d’illustrer cette tension, naissent les spectacles du Théâtre Le Clou. Éclatés, fougueux, audacieux, ils sont à l’image de cette période de la vie, parfois chaotique, parfois révoltée mais toujours à fleur de peau. 19 THEATRE Assoiffés de Wajdi Mouawad L’auteur Homme de théâtre cosmopolite dont les créations sont jouées à travers le monde, Wajdi Mouawad est né (le 16 octobre 1968) et a grandi au Liban, vécu en France et est arrivé au Québec en 1984. Figure marquante du jeune théâtre québécois, il signe des adaptations et des mises en scène pour les plus importants théâtres de Montréal. Au cours des quinze dernières années, il s’est imposé, au Canada comme en Europe, par la vigueur de sa parole et la singulière netteté de son esthétique théâtrale. Il s’est acquis une réputation internationale grâce à un théâtre mu par une très puissante quête humaniste. Il est incontestablement un des plus grands auteurs dramatiques francophones contemporains vivants. Il est aussi metteur en scène, comédien, romancier,… On lui doit notamment la tétralogie Littoral, Incendies, Forêts et Ciels, un cycle dramatique qu’il a présenté au Festival d’Avignon dont il était l’artiste associé pour l’édition 2009. La réforme de l’éducation façon destroy Murdoch (en classe de géographie) : Je le sais que vous avez un programme à respecter et que vous êtes là pour nous enseigner, nous éduquer. Je le sais tout ça, je le sais très bien, mais je peux vous assurer, monsieur, que de tout ce que vous nous dites il ne restera pas grand-chose ! Vous ne contrôlez absolument rien ! Monsieur ! Je suis là à vous dire que vous ne contrôlez rien à ce que vous nous transmettez et ça ne semble pas vous faire un crisse de pli sur la queue ! Bon ! Je dis le mot « queue » et là, ça vous énerve ! Faut-tu absolument dire des gros mots pour se faire entendre dans c’te crisse de pays de peureux de marde ? Faut-tu absolument dire les mots « trou de pet » pour qu’on s’intéresse à vous ? Je suis là, debout, à éveiller mes camarades devant l’absurdité de notre existence et vous, là, tout ce qui vous intéresse, vous, notre professeur, c’est quand on dit le mot « queue » ou « bite » ! Ben justement, laissez-moi vous affirmer que vous nous enseignez l’indifférence dans l’indifférence des mots ! Monsieur, essayez de me regarder un instant non pas comme un crisse d’ado qui veut rien savoir, mais comme quelqu’un qui doute autant que vous ! Ecoutez-moi, monsieur ! Quand je me suis levé ce matin, j’ai compris que les choses, toutes les choses qui avaient un sens pour moi, étaient mortes. Je ne sais pas, monsieur, si c’est quelque chose que vous pouvez comprendre, je ne sais pas si c’est quelque chose que vous avez déjà éprouvé, mais c’est freakant de voir, du jour au lendemain, la mécanique d’un monde, qui pendant longtemps était magique ! Je le sais plus ce qui se passe. Je le sais plus ! Est-ce que ça sert à quelque chose de « savoir » ? OK, oui. Bon, c’est le fun de savoir que la capitale de l’Islande, c’est Reykjavik, Lomé la capitale du Togo et Ouagadougou la capitale du Burkina Faso, et quand il pleut à Montréal, il fait beau à Bornéo. C’est sûr : c’est utile ! Mais à quoi ça sert si je ne parviens pas à calmer ma colère ? Qu’est-ce que je peux connaître ? Qu’est-ce que je peux faire pour avoir le sentiment que je suis vivant et pas une machine ? Comment ça se fait que ce matin, en regardant mon sac d’école, j’ai eu l’impression que mon sac d’école avait plus d’espoir que moi ? Comment ça se fait que plus je grandis, moins j’ai l’impression d’être vivant ? Monsieur, qu’est-ce que ça veut dire, être vivant ? 20 Par le Théâtre Le Clou (Montréal) Mise en scène et collaboration au texte : Benoît Vermeulen Avec : Marie-Eve Huot, Benoit Landry et un autre comédien (distribution en cours) Avec le soutien du Conseil des Arts et des Lettres du Québec, du Conseil des Arts et du Canada et du Conseil des Arts de Montréal Une programmation en partenariat avec le CDWEJ et Promotion Théâtre Propositions pédagogiques / Partenariat - Lundi 22 novembre à 13h30 à l’Eden : rencontre pédagogique préalable avec Benoît Vermeulen (metteur en scène) et/ou Marie-Eve Huot et Benoit Landry (comédiens) – Inscription indispensable - Mercredi 24 novembre de 14h à 18h à l'Eden : Wajdi Mouawad, un auteur hors du commun, table ronde animée par Vincent Romain – Une initiative de Promotion Théâtre – Entrée libre – Renseignements : 064/237 840 A l'occasion des représentations d'Assoiffés, le Centre des Ecritures Dramatiques Wallonie-Bruxelles réunit des auteurs de notre Communauté et des metteurs en scène proches de l'univers de Wajdi Mouawad pour confronter leurs visions, interprétations et questionnements de l'œuvre de cet artiste unique qui laisse rarement indifférent. Avec notamment Jasmina Douieb (metteur en scène), Georges Lini (metteur en scène) et David Strosberg (Les Tanneurs). - Mercredi 24 novembre, après la représentation de 20h30 à l'Eden : discussion philosophique animée par Gilles Abel, avec la participation de l’équipe artistique – Une initiative du Centre Dramatique de Wallonie pour l’Enfance et la Jeunesse (CDWEJ) – Renseignements : 064/66 57 07 Après avoir glané quelques questions émises par l’assemblée suite à la découverte du spectacle, Gilles Abel guidera les spectateurs à travers le chemin du questionnement et du dialogue philosophiques. Rien de sibyllin… Juste la redécouverte du plaisir de l’étonnement et de l’errance. Juste le bonheur de la recherche collective du sens. (Détail : voir la rubrique Philosophie et arts du spectacle, page 21) - Jeudi 25 novembre, après la représentation de 20h30 à l'Eden : rencontre-débat sur L’adolescence, recherche d’absolu et quête d’identité, animée par Bernard Demuysère, directeur de l’Ecole des Parents et des Educateurs - Animations envisageables en classe ou dans les associations (selon les disponibilités de l’équipe artistique) - Dossier pédagogique réalisé par la compagnie - Site : www.leclou.qc.ca - Références bibliographiques : Assoiffés, Leméac / Actes Sud – Papiers, 2007 ; Visage retrouvé (roman), Babel, 2010 ; etc. EDEN 24 au 26 novembre 2010 à 20h30 Représentations supplémentaires possibles le mardi 23 à 13h30 et/ou 20h30 (selon la demande) Tarif : 12 € - Abonnement : 8 € Groupes : 9 € Durée : 1h15