Voir le document
Transcription
Voir le document
UNIVERSITÉ PARIS III- SORBONNE NOUVELLE Institut des Hautes Études de l’Amérique latine UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL Faculté de science politique et de droit N° attribué par la bibliothèque __________________ Doctorat en co-tutelle ÉTUDE DES SOCIÉTÉS LATINOAMÉRICAINES/ SCIENCE POLITIQUE Jean-Gérald CADET L’INTERNATIONALISATION DE L’INDUSTRIE BRASSICOLE MEXICAINE (THE INTERNATIONALIZATION OF THE MEXICAN BEER INDUSTRY) Thèse dirigée par : M. Olivier DABÈNE/M. Christian DEBLOCK Soutenue le 10 juin 2006 iii REMERCIEMENTS Cette thèse n’aurait pas été possible sans le concours et le soutien de plusieurs individus et institutions. Je voudrais profiter de cette occasion pour leur témoigner ma reconnaissance et ma gratitude. Mes premiers remerciements sont dirigés à mes deux codirecteurs, Christian Deblock et Olivier Dabène. La réalisation d’une thèse en cotutelle demande un très fort appui, à la fois intellectuel et institutionnel. Les nombreuses discussions que j’ai eues avec les professeurs Deblock et Dabène, lors de voyages éclairs ou de réunions plus poussées m’ont guidé tout au long de ce cheminement. Les conseils qu’ils m’ont généreusement prodigués en chaque occasion suffisaient généralement à calmer les angoisses liées à une telle entreprise. La codirection requiert par ailleurs des compromis de chaque codirecteur; messieurs Dabène et Deblock ont su m’apporter le meilleur d’eux-mêmes et je les en remercie profondément. Cette recherche sur un thème comme la globalisation de l’industrie brassicole mexicaine a requis plusieurs séjours au Mexique. Lors d’un premier voyage exploratoire à l’été 2000, je fus accueilli par la professeure Maria-Teresa Gutiérrez Haces de l’Instituto de Investigaciones Económicas de la UNAM. Par la suite, j’ai bénéficié de l’appui financier du Ministère des affaires extérieures du Mexique, de l’Organisation des États américains ainsi que d’une bourse à la mobilité de l’UQAM afin de réaliser des séjours plus prolongés. Le Centro de Estudios Internacionales de El Colegio de México, et plus particulièrement le professeur Carlos Alba, m’ont accueilli lors de ces missions de recherche. J’ai pu profiter de l’ensemble des ressources de l’institution et de son personnel. Grâce au soutien du professeur Alba, qui a grandement facilité mon travail de terrain, j’ai pu surmonter plusieurs obstacles qui se dressaient devant un chercheur dont la connaissance de l’espagnol et du marché brassicole mexicain ne constituaient pas les plus grandes forces à l’origine. Je tiens à lui témoigner ici de ma gratitude. Durant mes séjours au Mexique, j’ai eu l’opportunité de réaliser de nombreuses entrevues avec plusieurs dirigeants actuels et passés de l’industrie brassicole, ainsi que des spécialistes de l’économie politique mexicaine contemporaine. Leurs iv perspectives et commentaires ont grandement enrichi cette recherche. J’ai également bénéficié de l’appui de l’Association des brasseurs du Canada qui, à travers son spécialiste de l’information, Edwin Gregory, m’a ouvert les portes à son centre de documentation. Je suis particulièrement reconnaissant à M. Gregory qui a accepté de partager ses connaissances avec un chercheur qui ne possédait encore pas une vision globale de l’industrie brassicole. Bien que certains considèrent la thèse comme un cheminement individuel, de nombreuses personnes ont directement contribué à ce parcours. La famille Sánchez Ramirez (Carmen, Pedro, Carmen et Pedro) a été ma famille adoptive au Mexique. Elle m’a non seulement permis d’améliorer ma connaissance de la langue espagnole et du Mexique, mais surtout de partager une quantité inoubliable d’expériences, de joies et de peines. Tant au Mexique (Edith Olivares, María del Carmen Caño, Luis Gabriel Ortega, Daniel et Johana Carrasco), qu’en France (Ali et Anne-Lise Hakimi et Cédric Brunet) et à Montréal (les membres du Groupe de recherche en intégration continentale, Mathieu Arès, Éric Jasmin, Marie-France Loranger et Alexis Beauchamp), nombreux sont ceux qui ont ponctuellement ou continuellement participé à ma réflexion et/ou au maintien de mon moral durant les moments les plus difficiles. Qu’ils trouvent ici l’expression de toute mon amitié. Christine Champagne, Élodie Le Grand et Stéphanie Massé ont lu et relu plusieurs versions de cette thèse. Grâce à leurs commentaires et corrections, le texte a gagné en clarté. Caroline Le Grand a assuré la mise en forme pour la France. À vous quatre, un très grand merci. Naturellement, toute omission ou erreur demeure sous mon entière responsabilité. Finalement, je tiens à témoigner mon amour et ma gratitude aux membres de ma famille pour leur appui et leur constante présence dans ma vie. Bien qu’elle soit partie prématurément, j’ai une pensée particulière pour ma mère, Mymose Cadet. Où que tu sois, merci pour avoir cru en moi et pour m’avoir tant inspiré. v RÉSUMÉ Cette thèse approfondit le débat sur la complémentarité entre la globalisation et la régionalisation, à partir de l’étude de l’évolution récente de l’industrie brassicole mexicaine. Elle confronte trois des principales idées reçues de la globalisation et du rôle de ses deux acteurs principaux, les États et les entreprises, à savoir qu’elle entraîne un changement de perspective des firmes et l’adoption d’une structure organisationnelle et des stratégies globales. Ensuite, que les stratégies des firmes prennent généralement deux formes différentes et complémentaires, la concurrence et la coopération. Enfin, que l’État se trouve dans une situation de diplomatie commerciale depuis le début des années 1980, au même titre que les firmes. Cette recherche poursuit trois objectifs : pallier l’absence d’études sur le rôle des entreprises en économie politique internationale ; évaluer l’influence respective de la globalisation et de la régionalisation sur les stratégies des entreprises ; élargir le débat entre régionalisation et globalisation afin d’y intégrer le niveau national. En combinant une étude de cas à une approche sectorielle, nous montrons que les brasseries mexicaines ont du s’internationaliser à partir des années 1980 afin de faire face à la consolidation rapide de l’industrie brassicole internationale, mais surtout en réponse à la détérioration de la situation économique interne. Les politiques économiques d’ouverture adoptées par l’État mexicain n’exerceront pas d’influence sur l’internationalisation de Grupo Modelo et de Cervecería Cuauhtémoc-Moctezuma, celles-ci développant des stratégies concurrentielles et/ou coopératives autonomes. Mots clés : globalisation, régionalisation, concurrence, réseaux, co-opétition, bière, Cervecería Cuauhtémoc-Moctezuma, Grupo Modelo vi ABSTRACT This study extends the debate on the complementarity of globalization and regionalization by analysing the recent developments of the Mexican beer industry. It confronts three of the most important theses about globalization and the impact of two of its main drivers, firms and States. Firstly, that it involves a transformation in firms’ scope and strategies towards a global structure and global operations. Secondly, that firms strategies include a mix of competition and cooperation; thirdly, that States, as well as firms, are increasingly involved in trade diplomacy since the beginning of the 1980’s. The goals of this research are threefold: offset the limited number of studies on the impact of firms in international political economy; assess the respective influence of globalization and regionalization on the strategies of firms; broaden the debate between the two processes, in order to include the national level. By combining the case study and sectoral level approaches, we show that, starting in the 1980’s, both Mexican breweries had to internationalize in order to adapt to an ever-globalized beer industry, but most importantly, to overcome the deterioration of the Mexican economy. Moreover, both Grupo Modelo and Cervecería Cuauhtémoc-Moctezuma have developed international strategies autonomous from the Mexican government’s foreign economic policies. Keywords: globalization, regionalization, competition, cooperation, networks, coopetition, beer, Cervecería Cuauhtémoc-Moctezuma, Grupo Modelo vii TABLE DES MATIERES REMERCIEMENTS………………………………………………………………….iii RÉSUMÉ ……………………………………………………………………………..v TABLE DES MATIÈRES…………………………………………………………...vii LISTE DES TABLEAUX……………………………………………………………xii LISTE DES FIGURES………………………………………………………………xiii LISTE DES SYMBOLE ET ÉQUIVALENCES…………………………….……...xiv LISTE DES ABRÉVIATIONS………………………………………………………xv INTRODUCTION GÉNÉRALE………………………………………………...1 PREMIÈRE PARTIE : L’ENTREPRISE, ACTEUR MAJEUR DE L’ECONOMIE POLITIQUE INTERNATIONALE………………………..13 CHAPITRE I LA CONCURRENCE ET LA COOPÉRATION, LES DEUX FACES DE L’INTÉGRATION INTERNATIONALE…………….14 1.1 Les firmes : de la naissance à la globalisation, l’influence de la concurrence.15 1.1.1 La firme comme unité d’analyse……………………………………………..15 1.1.2 La concurrence, un mode de relation interentreprise………………………...20 1.1.3 De l’internationalisation à la globalisation de la firme………………………24 1.2 Au-delà de la concurrence internationale : l’impact des réseaux dans la coopération interfirmes………………………………………………………36 1.2.1 Les réseaux, un type de relation ou un mode d’organisation ?……………...37 1.2.2 Les conditions d’émergence du réseau……………………………………...40 1.2.3 Pourquoi les firmes s’organisent-elles en réseau ?………………………….42 CHAPITRE II LA CO-OPÉTITION DANS LE SCHÉMA NATIONAL RÉGIONAL-GLOBAL : VERS UN NOUVEAU CADRE THÉORIQUE……………………………………………………………………….45 2.1 La co-opétition, le complément de la théorie de la diplomatie triangulaire….46 2.1.1 La diplomatie triangulaire ou les relations entre les États et les entreprises....46 2.1.2 La co-opétition : la synthèse de la concurrence et de la coopération………...50 2.1.3 La co-opétition dans le triptyque national/régional/global…………………...52 2.2 Problématique…………………………………….…………………………..56 2.2.1 Problématique générale : les BMN, des firmes globales ?…………………...56 2.2.2 Problématique de l’industrie brassicole mexicaine……………………….….57 2.3 Questions de recherche et hypothèses………………………………………..58 2.3.1 Questions de recherche……………………………………………………….58 2.3.2 Hypothèses…………………………………………………………………...61 viii 2.4 Variables, périodicité et méthode…………………………………………….62 2.4.1 Variables…………………………………………………………………… ..63 2.4.2 Période étudiée……………………………………………………………….65 2.4.3 Méthodologie et éléments de recherche……………………………………...66 DEUXIÈME PARTIE: L’ENVIRONNEMENT INSTITUTIONNEL…...70 CHAPITRE III L’ÉTAT ET L’INDUSTRIE BRASSICOLE MEXICAINE …………………………………………………………………….71 3.1 L’État mexicain : l’influence indirecte……………………………………….73 3.1.1 La consolidation de l’ouverture du Mexique…………………………………74 3.1.2 Les nouveaux rapports entre le secteur privé et l’État……………………….77 3.1.3 La transformation du secteur privé mexicain………………………………...80 3.2 3.2.1 3.2.2 3.2.3 3.2.4 3.2.5 L’influence directe de l’État mexicain……………………………………….83 La réglementation gouvernementale…………………………………………84 L’IEPS, les impôts et les taxes……………………………………………….85 Le FICORCA………………………………………………………………...89 Politique de la concurrence : une réponse de long terme…………………….91 L’opposition constante des brasseries mexicaines…………………………...95 3.3 L’impact des États étrangers sur les brasseries mexicaines………………….99 Conclusion…………………………………………………………………………..100 CHAPITRE IV L’INDUSTRIE BRASSICOLE MEXICAINE………103 4.1 Le développement historique de l’industrie brassicole mexicaine : 1860-1982…………………………………………………………………...105 4.1.1 Première période : la naissance (1860-1925)……………………………….105 4.1.2 Deuxième période : le développement (1925-1982)………………………..106 4.2 Crise et consolidation : 1982-1988………………………………………….111 4.2.1 La crise de 1982 et ses conséquences……………………………………….111 4.2.2 De l’oligopole au duopole…………………………………………………..116 4.3 L’industrie brassicole mexicaine contemporaine..………………………….122 4.3.1 Caractéristiques générales de l’industrie…………………………………....123 4.3.1.1 Changements démographiques, revenu et consommation……………….123 4.3.1.2 La contribution de l’industrie à l’économie nationale…………………...126 4.3.2 Une industrie duopolistique…………………………………………………128 4.3.2.1 Grupo Modelo, centrée uniquement sur la production, la distribution et la vente de bière……………………………………………………...128 4.3.2.2 CCM, division d’une multinationale des boissons………………………130 4.3.2.3 Intégration verticale et régionalisation des marchés…………………….133 4.3.2.4 Grupo Modelo et CCM, deux entreprises très différentes…………….....136 ix 4.3.3 La croissance de l’industrie depuis 1988……………………………………139 4.3.3.1 Leadership du marché par Modelo……..……………………………….139 4.3.3.2 CCM : une lente croissance…………………………………….……….142 4.3.3.3 Le rôle marginal des importations……………………………………....145 Conclusion…………………………………………………………………………..149 CHAPITRE V LE MARCHÉ INTERNATIONAL DE LA BIÈRE……151 5.1 Globalisation et concentration des marchés………………….……………..153 5.1.1 Globalisation accélérée de l’industrie………………………………………153 5.1.1.1 De la fragmentation à la concentration………………………………….153 5.1.1.2 L’internationalisation des brasseries : la formation des brasseries multinationales…………………………………………...…..158 5.1.2 Concentration nationale et internationale accrue…………………………...166 5.1.2.1 Réduction des brasseries………………………………………………..166 5.1.2.2 …mais le rythme n’est pas le même selon les régions et pays du monde………………………………………………………………..170 5.2 Le marché nord-américain de la bière…………………..…………………..177 5.2.1 Concentration et fragmentation du marché…………………………………178 5.2.2 Le marché canadien…………………………………………………………183 5.2.2.1 L’organisation de l’industrie……..……………………………………183 5.2.2.2 L’internationalisation des brasseries canadiennes……………………..188 5.2.3 Le marché américain…………………………………………………. ……192 5.2.3.1 L’organisation de l’industrie……………………………………………192 5.2.3.2 L’évolution de l’industrie brassicole américaine depuis 1990…….……200 Conclusion…………………………………………………………………………..209 TROISIÈME PARTIE : LA RÉGIONALISATION ET LA GLOBALISATION DE L’INDUSTRIE BRASSICOLE MEXICAINE……………………………………………………………………212 CHAPITRE VI L’INTERNATIONALISATION DES BRASSERIES MEXICAINES……………………………………………………………………213 6.1 Les deux phases du développement international de l’industrie brassicole mexicaine………………………………………………………...215 6.1.1 La première phase : la régionalisation………………………………………215 6.1.1.1 L’Amérique du Nord, objectif central des brasseries mexicaines……....216 6.1.1.2 L’ALENA ou la consolidation de la régionalisation des brasseries mexicaines………………………………………………………………220 6.1.2 La seconde phase : de la régionalisation à la globalisation…………………223 x 6.1.2.1 6.1.2.2 La globalisation des brasseries mexicaines………………..……………224 Entre le discours et la réalité……………………………..….………….229 6.2 Grupo Modelo : l’expansion internationale………………………….............234 6.2.1 Les débuts de l’aventure exportatrice……………………………………….234 6.2.2 Une structure organisationnelle couvrant le monde………………………. .236 6.2.3 Concentration des exportations sur l’Amérique du Nord…………………...242 6.3 Cerveceria Cuauhtémoc-Moctezuma : de l’internationalisation au recentrage sur les États-Unis……………………………………………………………246 6.3.1 L’organisation du secteur international de CCM…………………………...246 6.3.2 Un développement international en trois phases……………………………248 6.3.2.1 L’expansion internationale initiale……………………………………...248 6.3.2.2 Le recentrage sur les marchés-clés……………………………………...249 6.3.2.3 Le sud des États-Unis, la nouvelle priorité de l’entreprise……………...251 Conclusion…………………………………………………………………………..253 CHAPITRE VII LA CONCURRENCE INTERNATIONALE : LA DIVERSITÉ DES STRATÉGIES……………………………………………..255 7.1 Situation de la concurrence internationale………………………………….257 7.1.1 Formation d’une industrie internationale oligopolistique……………….….257 7.1.2 Les stratégies de pénétration de marché……………………………………261 7.1.2.1 Exportation versus IDE………………………………………………....261 7.1.2.2 Les fusions-acquisitions dans l’industrie brassicole internationale……..265 7.1.3 Les stratégies concurrentielles dans l’industrie brassicole internationale…..271 7.1.3.1 Prédominance des stratégies globales…………………………………..272 7.1.3.2 Prédominance des stratégies régionales et nationales…………………..280 7.1.3.3 Stratégies de niche et de promotion d’image…………………………...282 7.1.3.4 Développement de marques globales…………………………………...286 7.2 Stratégie concurrentielle de Grupo Modelo………………………………...290 7.2.1 Les déterminants de la pénétration d’un nouveau marché………………….290 7.2.2 Stratégie de marques et de niche……………………………………………292 7.2.3 Stratégie de prix……………………………………………………………..295 7.3 Stratégies concurrentielles de Cervecería CuauhtémocMoctezuma……………………………………..…………………………...296 7.3.1 Les déterminants de la pénétration d’un nouveau marché………………….297 7.3.2 Stratégie de marques et de niche……………………………………………299 Conclusion………………………………………………………………………….301 xi CHAPITRE VIII COOPÉRATION ET RÉSEAUX : L’AUTRE VERSANT DE LA MONTAGNE……………………………………………..303 8.1 Les réseaux dans l’industrie brassicole internationale……………………...304 8.1.1 Réseaux et firmes multinationales…………………………………………..305 8.1.2 Les accords interfirmes dans l’industrie brassicole internationale………….313 8.2 Les brasseries mexicaines : alliances offensives versus alliances défensives…………………………………………………………………….320 8.2.1 CCM : alliances offensives…………………………………………….……320 8.2.1.1 Heineken : une alliance en deux temps…………………………………321 8.2.1.2 L’alliance CCM-Labatt/Interbrew………………………………………322 8.2.1.3 L’extension du réseau de CCM : Kaiser et Coors………………………324 8.2.2 Modelo : la protection du marché interne…………………………………….325 Conclusion…………………………………………………………………………..329 CONCLUSION GÉNÉRALE……………………………………………….…332 ANNEXES………………………………………………………………………...342 ANNEXE 1……………………………………………………………………..343 ANNEXE 2……………………………………………………………………..344 ANNEXE 3……………………………………………………………………..345 ANNEXE 4……………………………………………………………………..348 ANNEXE 5……………………………………………………………………..350 BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE……………………………………………...356 xii LISTE DES TABLEAUX Tableau 2.1 Indicateurs d’internationalisation dans l’industrie brassicole internationale………………………………………………………………64 Tableau 3.1 Taxes et impôts payés par les brasseries mexicaines, 1999, 2001 et 2003………………………………………………………………………..86 Tableau 4.1 Acquisitions des brasseries dans l’industrie brassicole mexicaine, 1935-1970………………………………………………………………...108 Tableau 4.2 Production totale de l’industrie brassicole mexicaine 1980-1992………..112 Tableau 4.3 Personnel occupé, Cuauhtémoc et Moctezuma, 1978-1993……………...119 Tableau 4.4 Parts de marché au Mexique de Modelo et FEMSA, 1992-2004 (en %)...140 Tableau 4.5 Production totale de l’industrie brassicole mexicaine, 1991-2004 (en millions d’hl)…………………………………………………………144 Tableau 5.1 Parts du marché international des 10 plus grandes brasseries en 1986, 1995 et 2003……………………………………………………………...154 Tableau 5.2 Production mondiale de bière par région, 1980-2004 (en millions d’hl)………………………………………………………………………156 Tableau 5.3 Principales caractéristiques des marchés matures et émergents………….157 Tableau 5.4 Consommation per capita de certains pays, 1986-2003 (en litres)……….158 Tableau 5.5 Classement des principales BMN par volume (millions d’hl)…………...165 Tableau 5.6 Principaux pays producteurs de bière, 1980-2004 (en % de la production mondiale)……………………………………………………..177 Tableau 5.7 Production totale de bière, 1960-1990 (en millions d’hl.)………………..179 Tableau 5.8 Consommation per capita, 1960-1990 (en litres/an)……………………..180 Tableau 5.9 Production, consommation et exportation au Canada 1990-2003 (en millions d’hl)………………………………………………………....186 Tableau 5.10 Évolution des parts de marché des brasseries américaines, 1970-2004 (en %)………………………………………………………...195 Tableau 5.11 Revenu, coût d’opération et profit d’opération par litre de certaines brasseries, 1999 et 2003 (en dollars/litre)……………………...198 Tableau 5.12 Production, exportations, importations, consommation et part des Bières importées 1975-2002 (en millions d’hl)……………………….….205 Tableau 5.13 Évolution des importations de bières aux États-Unis par pays d’origine, 1980-2003 (en millions d’hl)………………………………….207 Tableau 6.1 Exportations de l’industrie brassicole mexicaine 1980-1992, (en hl)……216 Tableau 6.2 Importations et exportations de bières en Amérique du Nord, 1980-1995 (en milliers d’hl)……………………………………………...218 Tableau 6.3 Production mondiale de houblon, 1990-2004 (en tonnes)………………..222 Tableau 6.4 Exportations de bières mexicaines 1992-2004, (en millions d’hl)……….226 Tableau 6.5 Dépenses publicitaires des bières étrangères aux États-Unis, par pays d’origine, 1980-2004……………………………………………………..240 Tableau 6.6 Revenus d’exportations de CCM, 1994-2000 (en millions de dollars).….251 Tableau 7.1 Principales acquisitions des BMN, 1988-2004…………………………...265 Tableau 7.2 Distribution géographique des ventes de certaines BMN en 2003…….275 Tableau 7.3 Indice de transnationalisation de certaines brasseries, plusieurs années…277 Tableau 7.4 Principales marques internationales de bière par volume, 1990-2003 (en millions d’hl)……………………………………………………………..287 Tableau 7.5 Volume de vente des marques hors du territoire national, 2001 (en millions d’hl)…………………………………………………………288 Tableau 8.1 Les accords de coopération et leur application à l’IBI…………………..312 Tableau 8.2 Accords de coopération des principales BMN…………………………...314 xiii LISTE DES FIGURES Figure 2.1 Figure 2.2 Figure 3.1 Figure 3.2 Figure 4.1 Figure 4.2 Figure 4.3 Figure 4.4 Figure 4.5 Figure 4.6 Figure 4.7 Figure 4.8 Figure 5.1 Figure 5.2 Figure 6.1 Figure 6.2 Figure 6.3 Figure 6.4 Figure 7.1 Le réseau de valeur………………………………………………………51 La co-opétition dans l’industrie brassicole internationale……….………54 Évolution de l’IEPS 1978-2004…………………………………………87 Contribution des brasseries mexicaines à l’IEPS, 1988-2003…………...88 Production annuelle de l’industrie brassicole mexicaine, 1975-1982….110 Parts de marché des brasseries mexicaines, 1980-1992………………..121 Évolution du revenu disponible, 1989-2002 (en %)……………………124 Consommation per capita, 1982-2003 (litres/an)………………………126 Structure opérationnelle de Grupo Modelo…………………………….130 Évolution de la structure financière et organisationnelle de FEMSA, 1998 et 2004……………………………………………………………132 Structure des coûts de l’industrie brassicole mexicaine, 1999 (en %)…135 Le réseau de valeur national des brasseries mexicaines………………..149 Part des bières importées sur les marchés canadien et américain 1975-2003 (en %)……………………………………….……………...190 Consommation per capita, 1990-2002………………………………….201 Part des exportations mexicaines à destinations à des États-Unis, 1982-1989………………………………………………………………217 Part des exportations des brasseries mexicaines sur la production totale, 1981-2003 (en %)……………………………………………….228 L’organisation internationale de Grupo Modelo………………………237 Croissance des exportations de Modelo aux États-Unis, 1995-2000 (en %)………………………………………………………243 Structure générale des marges et des coûts des BMN………………….284 xiv LISTE DES SYMBOLES ET ÉQUIVALENCES Cl Ga Hl Ml Centilitre Gallon Hectolitre Millilitre Baril = 1,1734 hl ou 31 gallons Caisse = 8,18 litres ou 24 bouteilles de 341 ml Gallon US = 3,8 litres Hectolitre = 100 litres, 0,85 baril ou 12,2 caisses Pinte = 0,57 litre Litre = 1,76 pinte Centilitre xv ABRÉVIATIONS ADR ALE ALENA ANAFACER BAC BMN BIT American Deposit Receipts Accord de libre-échange Accord de libre-échange nord-américain Asociación nacional de fabricantes de cerveza/Association mexicaine des producteurs de bières Brewers Association of Canada/ Association des brasseurs du Canada Brasserie multinationale Bureau international du travail CANACINTRA Cámara Nacional de la Industria de Transformación CCE CCM CFC Consejo Coordinador Empresarial/ Conseil du patronat mexicain Cerveceria Cuauhtémoc-Moctezuma Comisión Federal de Competencia/Commission fédérale de la concurrence CNSF Comisión Nacional de Seguros y Fianzas/Commission nationale des assurances et des valeurs mobilières COECE Coordinadora de Organismos Empresariales de Comercio Exterior Coordination des organismes patronaux pour le commerce extérieur COFETEL Comisión Federal de Comunicaciones Commission fédérale des télécommunications CONCANACO Confederación de Cámaras Nacionales de Comercio/ Confédération nationale des chambres de commerce CONSAR Comisión Nacional del Sistema de Ahorro para el Retiro/Commission nationale des pensions et retraites CRE Comisión Reguladora de Energía/Commission régulatrice de l’énergie ECO Europe centrale et orientale FEMSA Fomento Económico S.A de C.V. FICORCA Fideicomiso para la Cobertura de Riesgos Cambiarios/ Fidéicommis pour la couverture des risques de change FMN Firme multinationale GATT General Agreement on Tariffs and Trade GM Grupo Modelo Hl Hectolitre IBI Industrie brassicole internationale IDE Investissement direct étranger IEPS Impuesto Especial sobre Producción y Servicios/Impôt spécial sur la production et les services INEGI Instituto Nacional de Estadística Geografía e Informática de México/ Institut mexicain de la statistique ISI Industrialisation par substitution aux importations LFCE Loi fédérale sur la concurrence économique OCDE Organisation pour la coopération et le développement économique PED Pays en développement PME Petites et moyennes entreprises RA Rapport annuel R&D Recherche et développement SAB South African Breweries S.A de C.V Société anonyme à capital variable xvi SECOFI commerce SGP TIC TVA VISA WIR Secretaria de Comercio y de Fomento Industrial /Ministère du Système généralisé de préférences Technologies de l’information et de la communication Taxe sur la valeur ajoutée Valores Industriales S.A. de C.V. World Investment Report Journaux et revues AFP AP BA BD BI BM BUW BW EN EXP FDW IN IS LCEO LT PD PR SABI SLPD TNS TS Agence France Presse Associated Press Worldstream Beverage Aisle Brandweek Beverage Industry Business Mexico Business Wire Beverage World El Norte Expansión Food & Drink Weekly Infolatina Internet Securities Latin CEO Latin Trade Packaging Digest PR Newswire South American Business Information St-Louis Post Dispatch Tribune News Service Toronto Star INTRODUCTION GÉNÉRALE “Comme elle semble longue, la première gorgée! On la boit avec une avidité faussement instinctive. En fait, tout est écrit : la quantité, ce ni trop ni trop peu qui fait l’amorce idéale ; le bien-être immédiat ponctué par un soupir, un claquement de langue, ou un silence qui les vaut ; la sensation trompeuse d’un plaisir qui s’ouvre à l’infini…” (Philippe Delerm, La première gorgée de bière, Paris, Gallimard, 1997) La globalisation et la régionalisation sont généralement considérées comme les deux facettes d’une même problématique, à savoir la réorganisation à l’échelle régionale et internationale des activités des entreprises et les réponses qu’y apportent les gouvernements nationaux (Nicolas, 1997). Si les relations économiques internationales ne naissent pas avec la globalisation, celle-ci se distingue des autres phases d’internationalisation précédentes.1 Le développement des technologies de l’information et de la communication (TIC) et la révolution du transport sont généralement considérés comme les deux principaux facteurs permettant à la production d’être détachée de la conception (le design) (Levitt, 1983; Lipsey, 1997; WIR, 1993), facilitant ainsi ce bond quantitatif et qualitatif vers la globalisation. Cependant, aux déterminants économico-financiers s’ajoutent deux causes politiques afin de comprendre cette évolution récente, à savoir la chute du mur de Berlin et des États communistes dans son sillage, ainsi que le changement de stratégie des pays en développement (PED) à partir des années 1980, 1 Selon Gélinas (2000), la globalisation constitue la quatrième phase de la mondialisation. La première phase (1498-1763) se caractérise par la “découverte” de nouveaux territoires et l’impulsion du rôle des commerçants européens. Lors de la seconde phase (1763-1883), on assiste à la première révolution industrielle, au développement de la production mécanisée et à l’approfondissement des rapports métropole-colonies. La troisième phase (1883-1980) se démarque par le succès de la seconde révolution industrielle, portée par les entreprises multinationales, l’organisation scientifique du travail et l’innovation. La phase globalisante actuelle (1980- ) se distingue par la transformation des entreprises multinationales en firmes transnationales et la révolution informationnelle. La principale distinction entre cette dernière et les phases précédentes, selon Gélinas, a trait au rôle de l’État. Alors que dans les trois premières phases l’État jouait un rôle prédominant dans la mise en place de ce système économique, la phase globalisante se construirait en dépit de l’État. alors que ceux-ci adoptent des politiques de libéralisation destinées à attirer et favoriser les investissements directs étrangers (IDE) (Lipsey, 1997). La définition de la globalisation qu’en donne la Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation de l’Organisation internationale du travail intègre l’ensemble des éléments : “ (…) on s’accorde largement à reconnaître dans la libéralisation du commerce international, l’expansion des IDE et l’émergence de mouvements financiers transfrontières massifs les principales caractéristiques de la mondialisation. Ces évolutions ont entraîné une exacerbation de la concurrence sur les marchés mondiaux. De même, on admet généralement que le phénomène s’est produit sous l’effet combiné de deux facteurs, à savoir les politiques visant à réduire les barrières nationales aux transactions économiques internationales et l’impact des nouvelles technologies, notamment dans la sphère de l’information et des communications. Ces développements ont créé les conditions qui ont permis à la mondialisation de démarrer.”2 Analysée en tant que phénomène multiforme, la globalisation se conçoit donc principalement à travers ses composantes économiques et financières. Dans cette acception, l’étude de la globalisation implique l’analyse de la structure de production internationale, de la structure des firmes et de la structure des investissements internationaux (Milward, 2003; WIR, 1992). À cette vision centrée autour de l’activité des firmes s’ajoute le phénomène complémentaire de l’intégration de plus en plus poussée des économies nationales ; ces dernières s’intégreraient au point de ne former qu’une seule économie globale (Georgakopoulos, Paraskevopoulos et Smithin, 2002; WIR, 1992). Toutefois, à cette conception économique se greffe des composantes spatio-géographique (Gwynne, Klak et Shaw, 2003), sociale (Robertson, 1992 [dans Milward, 2003]) et historique (Gélinas, 2000), rendant le concept multidimensionnel (Milward, 2003). L’impact et les conséquences de la globalisation ont également fait l’objet d’un nombre important d’études. Généralement, on évalue l’influence de la globalisation selon trois positions différentes : les hyperglobalistes, les sceptiques et les transformationalistes (Gwynne, Klak et Shaw, 2003). Pour les premiers, la 2 http://www.ilo.org/public/french/wcsdg/docs/report.pdf (p.27). Dans la langue française, deux termes, mondialisation et globalisation, sont généralement utilisés afin d’identifier le phénomène décrit par l’OIT. Dans le cadre de cette recherche, nous privilégierons globalisation, tout en reconnaissant l’équivalence de mondialisation. 2 globalisation apparaît comme l’élément structurant des relations humaines contemporaines ; l’importance de l’État-nation se voit soit réduit à une simple fonction de régulateur (Strange, 1996), ou perd tout simplement son sens (Ohmae, 1995). La perspective sceptique argue que la globalisation ne représente pas une rupture fondamentale d’avec les périodes passées, que les niveaux d’intégration internationale actuels sont à peine plus élevés qu’à la veille de la première guerre mondiale (Hirst et Thompson, 1999). On soutient également qu’une véritable globalisation impliquerait l’intégration de l’ensemble de la planète et non seulement de certaines parties de celle-ci.3 En outre, et contrairement aux hyperglobalistes, les sceptiques soulignent que les États conservent encore la capacité de réguler l’économie internationale. Les transformationalistes voient plutôt la globalisation comme une force transformative des sociétés (Giddens, 1990), des économies, des institutions et de l’ordre international (Gwynne, Klak et Shaw 2003). Ces auteurs conçoivent ainsi la globalisation comme un processus historique. En science politique, la globalisation a longtemps été analysée à partir des préoccupations de l’État, plus particulièrement sous l’angle de ses conséquences sur l’action des États (voir par exemple Gilpin, 1987; Higgott, 1997 ; Laïdi, 1992, Strange, 1996). Ainsi, il en ressort que les capacités de l’État se réduisent ou, au contraire, qu’on assisterait à une transformation de celui-ci, ses fonctions évoluant afin de s’adapter à cette nouvelle donne. Si la globalisation est amplement étudiée donc, il n’en est pas de même pour la régionalisation. Alors que le concept politique de régionalisme est bien connu4, celui de régionalisation est moins traité par la littérature. Cela s’expliquerait par le 3 Milward (2003), par exemple, refuse le concept de globalisation, car il soutient que l’étude de ces trois structures conduit l’analyste à la conclusion que certaines régions du monde sont généralement exclues de ces structures, notamment l’Afrique et l’Amérique du Sud. Dans cette optique, il serait plus approprié de parler de triadisation de l’économie mondiale (Milward, 2003; voir également WIR, 1992). 4 Le régionalisme est généralement défini comme un processus politique caractérisé par la coordination et la coopération en matière de politiques économiques à l’échelle régionale (Fishlow et Haggard, 1992; Mansfield et Milner, 1999). Il apparaît non seulement comme une option commerciale, au même titre que le multilatéralisme et le bilatéralisme, mais également comme un moyen de faciliter la coopération économique et un type d’alliance permettant de promouvoir des intérêts communs et certains intérêts stratégiques sur la scène internationale (Deblock et Constantin, 2000). Les définitions du régionalisme sont éminemment stato-centrées, les États étant considérés comme les principaux moteurs de l’intégration régionale (Baldwin, 1997; Hurrell, 1995). 3 cantonnement de ce concept à la sphère économique et des affaires, plutôt qu’à la sphère politique. En effet, la régionalisation “renvoie à la concentration et à l'intensification des échanges, commerciaux ou financiers, de même qu'à l'élargissement et à l'approfondissement des réseaux financiers, de production, de communication et de mise en marché des produits dans une région donnée. (Deblock et Constantin, 2000: 14)” Bien qu’essentiellement économique, la régionalisation comporte également une composante géographique, car les échanges commerciaux, l’investissement et la convergence des stratégies d’entreprise se déroulent principalement au sein de la région et non globalement (Fishlow et Haggard, 1992).56 Deux causes expliquent pourquoi les entreprises en sont venues à développer des stratégies régionales, l’une historique et économique, l’autre plus technique. Après la deuxième Guerre mondiale, mais surtout à partir des années 1960, la compétition économique s’est déplacée du cadre national au cadre régional et international. Les entreprises, américaines dans un premier temps, puis japonaises et européennes, élargirent leur champ d'action. Si les firmes désiraient maintenir des niveaux de croissance acceptables, elles se devaient d’être présentes à l’étranger. Cette présence passait avant tout par l’investissement international. Mais l’investissement direct à l’étranger (IDE), qui est principalement l’apanage des FMN 5 En somme, ce qui distingue le régionalisme de la régionalisation est la nature des acteurs impliqués dans le processus en question. Dans le premier cas, le régionalisme, il s’agit pour les autorités politiques nationales de mettre en place un cadre dans lequel évoluent leurs sociétés respectives, alors que dans le second, la régionalisation, on parle d’un phénomène sur lequel ces autorités ont peu d’emprise. S’il existe deux manières d’analyser l’intégration régionale, soit par les flux économiques, soit par la coordination et la coopération politique, il est également possible d’analyser ce phénomène à partir des acteurs. Et là aussi, deux options nous sont offertes : l’intégration par les États ou par les entreprises. D’un côté, l’autonomie des États est réaffirmée, de l’autre, on met surtout l’accent sur le rôle des acteurs privés et la possibilité de coopération. 6 Toutefois, l’argument selon lequel la proximité géographique constituerait le principal élément explicatif de l’intégration régionale des États et/ou des entreprises, tel que présenté par la littérature (voir notamment Lafay et Unal-Kesenci, 1991; Gerbier, 1995; Michalak, 1994) n’explique pas à lui seul pourquoi les États et les entreprises s’intègrent. En effet, la dimension géographique à elle seule ne peut fournir une réponse globale à un processus qui dépasse le cadre économique. Trois dimensions déterminent tout mouvement de régionalisme : une dimension géographique, une dimension socioculturelle et politique ainsi qu’une dimension organisationnelle. (Stubbs et Underhill, 1994). La première dimension a trait aux expériences historiques communes de groupes de pays d’un espace géographique délimité ; la seconde dimension renvoie aux liens socioculturels, politiques et économiques existant entre ces groupes de pays, liens qui les distinguent des autres parties du monde ; la troisième dimension concerne les organisations que mettent en place ces groupes afin de gérer leurs activités. 4 durant toute la période de l’après-guerre, ne constitue pas vraiment un sujet d’études important jusqu’au début des années 1980. Outre Vernon (1971), Hymer ([1960]1976), Kindleberger (1966) et Knickerbocker (1973), très peu d’auteurs traitaient du rôle et des stratégies des multinationales, encore moins le thème de l’IDE et de son impact sur la régionalisation des activités des FMN. Malgré l’impression que les activités des FMN transformaient rapidement la nature des relations économiques internationales, il faut attendre les travaux de Dunning (1981, 1988 entre autres) avant qu’une véritable théorie liant investissement et régionalisation ne soit proposée. Selon Dunning, trois variables permettent d’expliquer pourquoi l’entreprise a avantage à investir sur place : les avantages compétitifs que possède l’entreprise, les avantages compétitifs que possède le pays dans lequel souhaite investir l’entreprise et les avantages que tire l’entreprise de la réduction des coûts de transaction en investissant sur place.7 Par ailleurs, le mouvement intégrationniste qui caractérise les relations économiques internationales contemporaines n’épargne pas les Amériques. Les transformations secouant l'économie internationale, où la globalisation constitue l’élément structurant, expliquent en grande partie cette tendance vers le régionalisme et la régionalisation. Dans ce contexte, les États cherchent avant tout à protéger leurs avantages, tout en augmentant leur compétitivité internationale afin que les acteurs nationaux puissent bénéficier de la globalisation économique.8 C’est dans cette situation que s’est retrouvé l’État mexicain, suite à l’ouverture extérieure à partir de 1985, résultat de la crise de la dette, et à l’essoufflement du modèle de substitution aux importations. Cette ouverture a été marquée par l’abandon graduel des contrôles gouvernementaux, l’entrée à l’OCDE et l’annonce de négociations avec les États-Unis et le Canada puis la signature de l’ALENA. 7 C’est le modèle dit de OLI (Ownership-Location-Internalization), que Dunning baptise d’éclectique. Voir Dunning (1981). 8 Les États, dans cette nouvelle configuration, adoptent une stratégie de soutien aux entreprises nationales dans la mesure où ils encouragent le développement global de ces dernières (même si cela implique parfois une réorganisation de la structure productive de l’entreprise nationale, les bénéfices escomptés étant jugés supérieurs). D’où l’importance du régionalisme : il s’agit pour les firmes et les États de créer les conditions nécessaires, tant institutionnellement qu’économiquement, et cela dans un cadre régional, au développement des économies de cette région afin de faire face à la constitution d’autres blocs du même type. 5 Bien que considérées comme l’un des principaux moteurs de l’intégration régionale et internationale, relativement peu d’attention a été portée à l’autre acteur majeur de ces processus intégratifs, les entreprises. Par leurs décisions, leurs activités et leurs stratégies, les entreprises représentent l’un des catalyseurs de l’intégration régionale et internationale (Michalet, 1994; WIR, 1993, 1994). Dans le cas de la régionalisation des firmes, par exemple, la perception d’avantages spécifiques liés à l’organisation de leurs activités sur une base régionale plutôt que nationale les pousse à intégrer leurs opérations de production, distribution et de vente régionalement ; une telle régionalisation entraînant du même coup une hausse de la demande de régionalisme (WIR, 1992). Cependant, ce débat entre les activités régionales et internationales des entreprises occulte la dimension nationale de leurs stratégies. En effet, si on doit analyser le rôle des entreprises dans le façonnement de la globalisation et de la régionalisation à travers l’étude de leur développement international, il apparaît également impératif de jeter un regard sur leur base, là d’où origine leur expansion, c'est-à-dire l’espace national. Si les firmes adoptent des stratégies régionales et globales, il n’en demeure pas moins que leur principal marché demeure avant tout le marché national. Cette importance du niveau national dans le débat entre le régional et le global constitue une faiblesse des analyses récentes, car elles ne permettent pas de comprendre pourquoi les entreprises réorganisent leurs activités à travers une chaîne de valeur flexible, prenant en compte les trois espaces géographiques que sont le national, le régional et le global. Ainsi, cette thèse cherche à confronter trois des principales idées reçues concernant la globalisation et le rôle de ses deux principaux acteurs, les États et les entreprises : premièrement, qu’elle force les firmes à modifier leurs stratégies et à adopter une structure organisationnelle et des stratégies globales. Ensuite, que dans le cadre de la globalisation et de la régionalisation, les stratégies des firmes prennent généralement deux formes différentes : la concurrence et la coopération. Ces deux types de relations apparaissent comme deux stratégies complémentaires, les entreprises devant évaluer jusqu’où se concurrencer et comment établir des réseaux coopératifs. Finalement, que la place de l’État en économie politique internationale a évolué depuis le début des années 1980. Celui-ci se trouve impliqué dans une diplomatie commerciale, au même 6 titre que les firmes. Cette nouvelle diplomatie conduit l’État à lutter pour les parts de marchés internationaux et à soutenir les firmes nationales dans la concurrence internationale. Elle pousserait également l’État à mettre en place un cadre normatif et institutionnel à l’échelle régionale, permettant ainsi à ses firmes de bénéficier d’un espace plus avantageux au développement de leurs activités. L’analyse du rôle et de l’influence des firmes dans les relations économiques internationales, plus spécifiquement le développement de leurs stratégies globales et régionales, ne représente pas un champ développé de l’économie politique internationale.9 À travers cette étude, notre objectif sera, dans un premier temps, de palier cette absence relative en montrant comment, en s’internationalisant, les entreprises jouent un rôle de premier ordre en économie politique internationale. Le second objectif de cette recherche concernera l’impact de la globalisation et de la régionalisation sur l’internationalisation d’une industrie nationale. Il s’agira d’évaluer l’influence respective de chacun de ces processus sur les stratégies des firmes ou vice versa. Ainsi, nous serons en mesure de contribuer au débat sur la complémentarité entre globalisation et régionalisation, non pas à partir du point de vue des États, mais plutôt des entreprises. Le troisième objectif majeur de la recherche, complémentaire au précédent, sera d’élargir le débat entre régionalisation et globalisation afin d’y intégrer le niveau national. Dans cette perspective, nous étudierons l’influence respective de ces trois niveaux sur le développement des entreprises. Les débats entourant le rôle de la firme, tant les firmes nationales que les multinationales, aident à comprendre la croissance des brasseries mexicaines, de même que leur processus d’internationalisation. En outre, les stratégies des entreprises ne peuvent être saisies sans faire référence au cadre concurrentiel dans lequel ces dernières évoluent. Les diverses approches de la concurrence complètent l’analyse théorique de la firme. Par ailleurs, les relations entre les firmes ne sont pas uniquement marquées par la concurrence : les entreprises, surtout les firmes transnationales, évoluent dans un contexte à la fois de concurrence et de coopération. 9 Dans le champ de la stratégie ou des affaires internationales, les stratégies des entreprises sont amplement étudiées. Voir notamment Bartlett et Ghoshal (1989) et Porter (1990) pour des études traitant du thème. Récemment, Rugman a analysé plus en détail les stratégies régionales et globales des entreprises (Rugman et Girod, 2003; Rugman et Verbeke, 2004; Rugman et Hodgetts, 2003). 7 Dans cette optique, les débats sur les réseaux aident à mieux cerner la nature des rapports coopératifs entre les entreprises. Les réseaux, en tant que mode d’organisation, permettraient ainsi aux firmes de faire face aux défis de la globalisation et de la régionalisation d’une part et contribueraient à une meilleure compréhension du développement des firmes dans un cadre national/régional/global d’autre part. En nous concentrant sur les stratégies des entreprises, nous nous interrogeons en fait sur les théories économiques de la FMN, sur les formes d’organisation des entreprises et sur leurs relations avec leur environnement. En plaçant la firme au cœur de l’analyse, au même titre que les États, nous sommes mieux en mesure de comprendre la nature des forces structurant les relations internationales (Strange, 1992). Ainsi, à travers cette approche, nous sommes amenés à analyser l’influence qu’exercent les entreprises sur les marchés et les États et vice versa. L’importance du rôle des firmes s’explique alors par les rapports qu’elles entretiennent avec ces deux institutions que sont les États et les marchés. Cette importance se traduit également dans la capacité des entreprises à modeler l’actuel système économique international émergent (WIR, 1992). Dans la recherche suivante, l’application de cette démarche nous permettra de répondre à une question centrale en intégration régionale et internationale : dans le cas d’un processus d’ouverture économique nationale, est-ce que les stratégies d’internationalisation des firmes nationales précèdent, accompagnent ou suivent les décisions de l’État national ? En adoptant une telle perspective, nous serons mieux en mesure de saisir les réponses de l’État, notamment en ce qui concerne la mise en place de cadres destinés à établir les règles de fonctionnement de l’économie internationale. Dans le dessein d’étudier les stratégies internationales des firmes, l’utilisation du concept d’internationalisation nous apparaît tout indiqué. Ce concept nous permettra de joindre à la fois les aspects régionaux et internationaux du développement des firmes. Définie comme “le processus par lequel une entreprise augmente son implication internationale, et les moyens ou modes d’entrée qu’elle utilise pour y arriver” (Richelieu, 2002: 2)10, l’internationalisation permet tout aussi bien de rendre 10 Le World Investment Report de 1995 fournit environ la même définition que Richelieu. Le rapport met aussi l’emphase sur la conséquence directe de l’internationalisation, à savoir un accroissement de la concurrence internationale (WIR, 1995). 8 compte des stratégies de globalisation et de régionalisation des firmes. En outre, elle renvoie à la nécessité pour les firmes d’être compétitives, tant sur les marchés régionaux qu’internationaux (Sachwald, 1998). Afin de distinguer les formes d’internationalisation qu’adoptent les entreprises, nous avons choisi d’analyser le processus de développement international des brasseries mexicaines Grupo Modelo et Cerveceria Cuauhtémoc-Moctezuma (CCM), les deux firmes composant l’industrie brassicole nationale. Dans cette optique, et en s’appuyant sur les théories de la firme et des réseaux, cette thèse étudiera le processus d’internationalisation de l’industrie brassicole mexicaine à la lumière de la concurrence et de la coopération entre les interentreprises. En amont de la stratégie régionale qu’adopte l’État mexicain, Grupo Modelo et CCM développent leurs propres stratégies, qui, même si elles vont dans deux directions différentes, sont complémentaires. D’une part, elles initient une internationalisation axée sur la recherche d’une présence sur le plus grand nombre de marchés possibles. D’autre part, elles organisent leurs unités de production, de distribution et de commercialisation de manière à accroître leur efficacité. Cette réorganisation se fait le plus souvent sur une base régionale, le but étant de pénétrer les États-Unis dans un premier temps et les autres régions du monde par la suite. À partir de la seconde moitié des années 1980, l’industrie brassicole mexicaine s’est retrouvée dans un double contexte d’ouverture économique accélérée et de réorganisation des industries et des entreprises à la fois à l’échelle globale et à l’échelle régionale. Durement touchée par la crise économique et financière de 1982, une des trois entreprises allant même jusqu’à disparaître, la nécessité d’une réorientation s’est imposée à l’industrie, tout comme elle s’avérait obligatoire pour l’État mexicain. Bien que les brasseries mexicaines aient commencé à exporter depuis plusieurs décennies, les marchés extérieurs n’étaient pas vus comme une priorité pour celles-ci au début des années 1980, la concurrence interne étant l’élément déterminant de la stratégie des brasseries. Toutefois, cette vision change radicalement au cours de la décennie, les revenus en provenance des exportations représentant une source de plus en plus grande de profit. 9 Bien que les brasseries mexicaines exportent vers les États-Unis depuis les années 1930, les marchés extérieurs n’étaient pas considérés comme une priorité pour cellesci avant la fin des années 1970, la concurrence interne constituant l’élément déterminant de la stratégie des brasseries. Toutefois, avec la crise survient un changement radical. Les brasseries mexicaines accéléreront leur internationalisation. Les revenus en provenance des exportations représentent depuis lors une source de plus en plus importante de devises et de profits. Le cas du développement international des brasseries mexicaines nous permettra de combiner l’analyse des trois niveaux d’activité des firmes à l’étude de leurs stratégies d’internationalisation. C’est en somme une réflexion sur la nature et les déterminants de la globalisation à laquelle nous nous livrerons. Cette réflexion nous conduira également à replacer le rôle et l’importance de l’État dans le développement international d’une industrie d’un pays en développement. Les brasseries mexicaines sont influencées à la fois par les niveaux national, régional et global de l’industrie brassicole, et cela à des degrés divers. Au niveau national, la structure duopolistique de l’industrie semble exercer la plus grande influence sur la trajectoire respective de Grupo Modelo et CCM ; au niveau régional, l’importance du marché américain détermine en grande partie les résultats financiers et les stratégies internationales des brasseries mexicaines ; au niveau international, les tendances à la concentration des firmes et à la globalisation des marques obligent les brasseries mexicaines à adopter des stratégies globales au même titre que leurs concurrentes. La première phase de l’internationalisation de l’industrie brassicole mexicaine repose exclusivement sur la régionalisation, ce qui est en lien avec l’évolution de l’économie mexicaine. Durant la seconde phase, à partir de la fin des années 1980, la globalisation constitue la force structurante des stratégies des brasseurs mexicains, du moins dans le discours. En fait, un double processus se développe au sein de l’industrie à partir de la présidence de Salinas de Gortari et l’ouverture de l’économie mexicaine. D’une part, le discours général fait de la globalisation des activités de l’entreprise l’axe majeur de son développement international. D’autre part, à ce 10 discours soulignant la volonté de globaliser l’activité de l’entreprise, se confronte la réalité de la proximité géographique du principal marché d’exportation des brasseries mexicaines. Cette proximité a pour effet d’accélérer la régionalisation de CCM et Modelo. C’est donc le processus de globalisation et de régionalisation de l’industrie brassicole mexicaine qui fait principalement l’objet de cette thèse. Comment l'industrie brassicole mexicaine a-t-elle fait face au triple changement survenu depuis le début des années 80, à savoir l’ouverture de l’économie mexicaine, la globalisation de l’économie internationale et l’intégration de plus en plus poussée de l’économie mexicaine à l’économie américaine? Cette étude est divisée en trois parties. La première est consacrée aux assises théoriques de la recherche. Ces fondations permettront de comprendre le rôle que joue la firme au sein des relations économiques internationales. Ainsi les théories de la firme et des réseaux nous éclairent-elles sur les relations qu’entretiennent les entreprises avec leur environnement, tant à l’échelle nationale que régionale ou globale. À partir de cette littérature, nous développerons le cadre théorique, l’utilisation du concept de co-opétition (Nalebuff et Brandenburger, 1996; Lado et al., 1997; Dagnino et Padoua, 2002) nous permet de rendre compte de la nature à la fois concurrentielle et coopérative des relations interentreprises. La deuxième partie traitera de l’environnement institutionnel de l’industrie brassicole mexicaine, et ce aux trois niveaux mentionnés précédemment : national, régional et global. Par environnement institutionnel, on entend les acteurs influençant le développement de cette industrie : les États, les brasseries mexicaines et l’industrie brassicole internationale. La troisième partie analyse plus spécifiquement le processus d’internationalisation de l’industrie brassicole mexicaine. En étudiant la croissance internationale des brasseries mexicaines, nous nous questionnerons sur l’évolution de leurs stratégies de croissance externe, tant au niveau régional que global. Bien que la globalisation influence fondamentalement les stratégies des brasseries mexicaines, du moins dans le 11 discours, le marché nord-américain demeure la principale destination des exportations des brasseries. Alors que Grupo Modelo poursuit une expansion globale, Cerveceria Cuauhtémoc-Moctezuma n’a d’autre choix que de se replier sur le marché régional. 12 PREMIÈRE PARTIE : L’ENTREPRISE, ACTEUR MAJEUR DE L’ECONOMIE POLITIQUE INTERNATIONALE 13 CHAPITRE I LA CONCURRENCE ET LA COOPÉRATION, LES DEUX FACES DE L’INTÉGRATION INTERNATIONALE L’intégration de la production internationale constitue l’une des caractéristiques centrales de la globalisation. Elle découle non seulement de l’intégration croissante des économies nationales, mais aussi et surtout de l’activité des firmes multinationales (FMN) (WIR, 1993). Cette internationalisation passe non seulement par la production sur place (l’IDE ou l’investissement de portefeuille entre autres) mais également par l’exportation et les ventes internationales. Il en résulte un accroissement de la concurrence pour les parts de marché internationales, alors que les firmes cherchent de nouveaux débouchés pour leurs produits ou de nouvelles localisations permettant de produire à des coûts réduits. Toutefois, les rapports interentreprises ne sont pas limités à la simple concurrence, qu’elle soit nationale ou internationale. La globalisation, en provoquant des mutations dans la projection et les stratégies internationales des firmes, force ces dernières à repenser la nature de leurs relations. Dans leur recherche de rentabilité et de réduction des coûts, les entreprises sont également conduites à collaborer. Cette nouvelle configuration des relations économiques internationales, l’accélération de la concurrence et la nécessité de coopérer, posent la question des causes ayant entraîné de telles décisions et stratégies de la part des entreprises. Au niveau théorique, deux littératures distinctes, les théories de la firme et des réseaux, reflètent les activités des firmes dans leur processus de développement international. Compte tenu de la nature à la fois concurrentielle et coopérative qu’implique l’internationalisation des entreprises (Culpan, 2002), et ce, tant aux niveaux national, régional et global, ces théories nous aident à mieux saisir les logiques et les stratégies employées par les brasseries mexicaines d’une part, et les brasseries multinationales d’autre part. 14 Les théories de la firme ont évolué au cours des décennies, parallèlement au développement international des entreprises. Elles sont passées de l’analyse de la firme et de ses conditions d’émergence sur le marché local et national aux stratégies d’internationalisation et de globalisation de celle-ci. Néanmoins, un élément d’analyse est demeuré constant au fil des ans : l’aspect concurrentiel de la firme. Les théories des réseaux complèteront les analyses de la firme en insistant sur les causes et les effets de la coopération interentreprises. En élargissant le champ des activités de l’entreprise, ces théories se posent en fait la question de la frontière de la firme. 1.1 Les firmes : de la naissance à la globalisation, l’influence de la concurrence 1.1.1 La firme comme unité d’analyse Bien qu’une riche littérature traite de la théorie de la firme, la quasi totalité des approches reconnaissent que la firme possède au moins trois caractéristiques de base (Chandler, 1992).11 Là où les divergences se manifestent concerne l’unité d’analyse. On distingue deux grands courants : ceux pour qui la firme constitue l’unité d’analyse de base et ceux pour qui ce sont les fonctions de la firme qui représentent le principal objet d’étude.12 Selon la théorie néo-classique, l’équilibre général représente l’état optimal de l’économie de marché. Dans cette situation, les relations entre les agents économiques se déroulent à l’intérieur du marché et les prix jouent le rôle de régulateur, assurant l’allocation efficace des ressources. Dans cette conception, l’existence de la firme n’apparaît pas comme une nécessité. Toutefois, étant donné l’existence de celle-ci, la théorie doit en tenir compte. 11 Selon Chandler, quatre grands courants se démarquent : la théorie néo-classique, la théorie de l’agence, la théorie des coûts de transaction et la théorie évolutionniste. Il avance qu’une firme, quelle que soit l’approche théorique adoptée, possède trois caractéristiques fondamentales : elle est à la fois une entité légale et administrative ; elle réunit un ensemble d’actifs physiques, de compétences apprises et de capitaux; finalement, elle constitue la principale source de production et de distribution de biens et services au sein de l’économie de marché (Chandler, 1992). 12 Cependant, l’ensemble de ces théories conçoit l’entreprise comme un rouage ou une dimension de l’économie de marché (De Brandt, 1995). 15 Selon les néoclassiques, les firmes se caractérisent par quatre éléments centraux. Premièrement, elles sont composées de décideurs indépendants les uns des autres. Ensuite, ces décideurs, se basant sur les prix et les coûts affichés sur des marchés anonymes, les utilisent pour l’achat de l’ensemble de leurs intrants (capital, travail et matières premières). Troisièmement, elles transforment ces inputs en produits en utilisant les technologies disponibles. Finalement, elles vendent leur production sur d’autres marchés anonymes (Milgrom et Roberts, 1997). Cependant, malgré la théorisation de celle-ci, la firme demeure une entité somme toute négligeable, sans réel pouvoir de marché. Sa particularité tient au fait qu’elle représente “une fonction de production à travers laquelle se combinent des relations efficaces entre les produits et les recettes dans la perspective de maximiser la rentabilité, opérant sous la base de prix formés à partir des coûts de production.” (Garrido, 2000: 89) La vision néoclassique est toutefois fortement contestée. D’une part, elle ne touche aucunement aux questions liées à la frontière de la firme, aux facteurs influençant sa taille, à son mode de financement (quand et pourquoi faire appel à l’endettement ou aux fonds propres), à la gouvernance corporative, à l’organisation du travail ou la décision de “produire” ou d’acheter (Williamson, 1990). Outre cette vision abstraite, la théorie néoclassique minimise le rôle de l’État, réduisant celui-ci à ses fonctions régaliennes (Garrido, 2000). De plus, l’existence de relations à long terme entre les firmes remet en cause le caractère d’anonymat du marché. Granovetter (1985) soutient que l’idée d’un marché anonyme apparaît comme une fantaisie dans le cadre de l’activité économique moderne. Les transactions au sein de ce marché apparemment anonyme sont en fait généralement accompagnées de relations sociales entre les acteurs. La seconde grande théorie de la firme, l’évolutionnisme (Nelson et Winter, 1982; Winter, 1993) trouve son origine dans les travaux de l’école autrichienne, particulièrement Schumpeter, pour qui l’innovation13 joue un rôle central. À travers la critique de l’approche purement théorique des néo-classiques, l’évolutionnisme explique le développement de la firme par un processus de changement continu. 13 Si l’innovation, définie comme l’introduction de nouvelles fonctions de production, constitue la base de la théorie de l’évolutionnisme, son fondement épistémologique se trouve dans la biologie évolutionniste. À cet effet, on consultera Nelson et Winter (1982). 16 L’entreprise est ainsi conçue comme un ensemble de capacités technologiques différenciées ainsi que d’actifs spécifiques et de routines. C’est à travers un processus d’évolution endogène que la firme acquiert les connaissances et l’expérience nécessaires à son développement et sa croissance. Ce processus de transformation peut être lent et par étapes ou bien rapide et par ruptures (Garrido, 2000). Ce qui intéresse donc les théoriciens de l’évolution, ce sont les comportements de la firme dans le temps. Il s’agit ici de comprendre les dynamiques à l’œuvre afin d’expliquer la situation actuelle de l’entreprise à partir de ses antécédents. On soulignera ainsi que la répétition et l’expérimentation constituent les fondements de l’apprentissage et à ce titre, différencient une firme de l’autre. En somme, la théorie évolutionniste unit une approche du changement technologique à une approche behaviorale de la firme dans un contexte de concurrence schumpetérienne. Les théories « partielles » se distinguent des théories générales dans la mesure où elles ne prennent pas la firme comme un tout. Ces théories étudient la firme de l’intérieur. Les théories basées sur les contrats émergeront ainsi en analysant les relations à l’intérieur de la firme. La théorie de l’agence se concentrera sur les relations entre les dirigeants de la firme. Elle soutient que dans la mesure où la propriété et la gestion sont généralement séparées dans les entreprises de grande taille, il convient de comprendre leur rôle respectif. Bien qu’elle accepte la prémisse néoclassique de la firme en tant que fonction de production, la théorie accorde davantage d’importance au rôle des gestionnaires, de même qu’aux relations entre ceux-ci (l’agent) et les propriétaires de l’entreprise (le principal).14 Dans la perspective de l’agence, la firme est conceptualisée comme un nœud de contrats entre divers facteurs de production et un agent central, l’entrepreneur15. Ces contrats concernent l’ensemble des propriétaires des facteurs de production (employés, sous-traitants, fournisseurs, etc.) (Alchian et Demsetz, 1972). 14 Fama (1980) établit une distinction entre ceux qui gèrent la firme et ceux qui assument les risques (financiers). Les problèmes d’agencement seront alors étudiés à la lumière de la relation entre les gestionnaires et les entrepreneurs. 15 Pour Alchian et Demsetz (1972), l’agent central de la firme est son propriétaire. En tant que tel, il possède les droits de propriété de la firme et peut vendre ce droit résiduel. L’agent central est impliqué dans l’ensemble des contrats liant la firme aux propriétaires des facteurs de production. En outre, il possède la capacité de renégocier n’importe quel contrat de manière indépendante. 17 C’est à partir des années 1970 que prend forme la seconde théorie basée sur les contrats, la théorie des coûts de transaction, grâce surtout aux travaux de Williamson (1975, 1981 et 1985). Dans son acception la plus simple, la théorie affirme que dans les conditions de concurrence pure et parfaite, les coûts reliés à la coordination et à l’allocation des ressources sont équivalents à zéro. Les relations passent alors exclusivement par les marchés puisque ceux-ci, à travers les prix, fournissent la totalité des informations nécessaires à la prise de décision. Dans de telles circonstances, l’incertitude n’existe pas. Coase ([1937] 1988) est le premier à avoir analysé la firme de manière systématique à partir de ses fonctions. Il s’attarde à définir l’entreprise, ses conditions d’émergence, de même que ses frontières.16 Selon lui, la firme est une organisation qui transforme les intrants en extrants ; elle est également un système de relations qui émergent lorsque la gestion des ressources (productives) dépend d’un entrepreneur.17 L’entreprise naît lorsque les coûts de transaction engendrés par les relations de marché deviennent plus élevés que s’ils étaient pris en charge par une entité unique ; il s’avère alors nécessaire de créer une institution afin de prendre en charge ces coûts.18 La firme croîtra jusqu’à ce que ses coûts de transaction soient équivalents à ceux du marché; au-delà de cet équilibre, il devient plus avantageux de passer directement par le marché.19 L’approche transactionnelle étudie les coûts liés à la planification, l’adaptation et la surveillance des diverses tâches à l’intérieur de la firme (Williamson, 1981). L’unité d’analyse de base est la transaction, soit le transfert de biens et services entre deux individus (Milgrom et Roberts, 1997; Williamson, 1981). Les coûts liés aux diverses 16 Dans son étude fondatrice, Coase soutient que les marchés ne constituent pas l’unique mode de coordination de l’activité économique. Bien que la production puisse être totalement organisée par le marché, en se basant sur des relations contractuelles entre les individus, les coûts de transaction qu’entraînent de telles relations favoriseront l’émergence de la firme (Coase, [1937] 1988). 17 Coase, contrairement aux néoclassiques, avance que la firme et le marché, qu’il définit comme une institution permettant la facilitation de l’échange afin de réduire les coûts de transaction, représentent les deux éléments constitutifs de la structure institutionnelle du système économique (Coase, 1988). 18 Coase identifie deux types de coûts : ceux associés à la découverte des prix sur les marchés et ceux reliés à l’établissement d'un contrat pour chaque échange (Coase, 1988). 19 Coase n’utilise pas le terme de coûts de transaction; il emploie plutôt l’expression de “coûts de transaction de marché” (Coase, 1998). 18 transactions nécessaires à la réalisation des activités de la firme détermineront le mode de coordination privilégiée. Si les coûts sont nuls, on a intérêt à passer par les relations de marché. Toutefois, en présence de coûts de transaction, il devient préférable pour la firme de les internaliser. Bien que l’approche transactionnelle ait connu un développement rapide depuis les travaux de Williamson, elle souffre néanmoins de certaines faiblesses. Les théoriciens de l’encastrement20 ont souligné que la vision d’un marché anonyme apparaît comme une fantaisie dans le cadre de l’activité économique moderne. Les transactions au sein de ce marché supposé anonyme se déroulent en fait dans le cadre de relations sociales pré-existantes (Granovetter, 1985)21. Moran et Ghoshal (1996) soutiennent que la théorie des coûts de transaction conçoit les marchés et les hiérarchies comme des institutions interchangeables, alors qu’ils possèdent chacun des logiques internes propres. En ignorant une telle distinction, la théorie ne peut parvenir à des conclusions normatives satisfaisantes, à même de développer les capacités organisationnelles des entreprises. Si les théories économiques permettent de comprendre la logique de l’existence de la firme, les théories stratégique et managériale de la firme facilitent la compréhension de son organisation interne. Chandler (1962, 1977, 1990), en étudiant l’évolution de l’entreprise industrielle, a montré l’importance des innovations organisationnelles au sein de l’entreprise. Dans un premier temps, la firme se caractérise par une structure hiérarchisée, la forme “U”, où les fonctions sont divisées verticalement entre les diverses unités de l’entreprise. Par la suite, l’entreprise évolue et adopte une forme multidivisionnelle, la forme “M”, où les divisions sont autonomes les unes des autres et fonctionnent de manière quasi indépendante. L’adoption d’une telle structure permet à la firme de développer des stratégies plus efficaces, caractérisées par une plus grande flexibilité, des économies d’échelle et une meilleure coordination de la production. 20 Voir surtout Granovetter (1985). Cet argument est également utilisé par Gulati, Nohria et Zaheer (2000). Dans une approche davantage managériale, les auteurs notent que la théorie des coûts de transaction renferme un biais implicite quant à la fréquence des transactions. Ainsi, la transaction est traitée comme un événement unique, alors que la régularité des relations sociales grâce auxquelles elle a lieu implique une forte probabilité de répétition. 21 19 1.1.2 La concurrence, un mode de relation interentreprise Les débats autour de la concurrence concernent non seulement les firmes, mais également les États. On parle ainsi de concurrence dans le cas des premières et de compétitivité dans le cas des seconds. Dans le cadre de cette recherche, nous aborderons principalement la concurrence entre les firmes.22 Dans les économies de marché, la concurrence joue un rôle fondamental puisqu’elle “permettrait la détermination non-arbitraire des prix et des quantités échangées et une allocation optimale des ressources.” (Rioux, 2000b: 4) Traditionnellement, les théories de la concurrence se positionnent vis-à-vis de la théorie néo-classique et du modèle de concurrence pure et parfaite car celle-ci s’est imposée au cours des années 1920-30 comme le cadre de référence de l’analyse économique. Alors que les premières théories adoptaient une vision statique de la concurrence (la concurrence pure et parfaite, la concurrence monopolistique ou imparfaite et la théorie structuraliste) et que le courant autrichien voyait plutôt en la concurrence un processus dynamique sans cesse à la recherche de l’équilibre, les nouvelles théories de la concurrence (l’école de Chicago et la théorie des marchés contestables entre autres), quoique rattachées au courant néo-classique cherchent à dynamiser les anciens modèles statiques. La théorie néo-classique de l’équilibre général cherche à expliquer la nature des structures de marché dans une économie basée sur les prix. C’est avec Risk, uncertainty and profit de Knight ([1921]1964), que la théorie de la concurrence pure et parfaite sera formalisée. Knight identifie cinq conditions de fonctionnement d’un marché en situation de concurrence parfaite : l’atomicité du marché, l’homogénéité du produit, la libre entrée et sortie, la transparence et la mobilité des facteurs de production (Knight, [1921]1964).23 La concurrence pure et parfaite, dans ces 22 Pour une revue de la littérature sur la compétitivité de l’État, voir Rioux (2000a). L’atomicité renvoie à la présence d’un grand nombre de vendeurs et d’acheteurs sur le marché; l’homogénéité du produit signifie que celui-ci est identique d’un producteur à l’autre, permettant ainsi au consommateur de substituer les vendeurs; la libre entrée et sortie fait référence au fait qu’il n’existe pas de barrière à l’entrée ou à la sortie; la transparence suppose que les individus possèdent une connaissance parfaite de l’état du marché et que l’information est gratuite ; la mobilité des facteurs de 23 20 conditions, représente l’état idéal de l’économie car elle correspond à une allocation optimale des ressources de type Pareto. Dit autrement, en situation de concurrence pure et parfaite, il y a concordance exacte entre l’offre et la demande. Toutefois, cette situation apparaît rarement dans la réalité ; les théoriciens de la concurrence pure et parfaite reconnaissent d’ailleurs que celle-ci représente avant tout un idéal-type, ce vers quoi devrait tendre l’économie. L’existence d’oligopoles conduira les théoriciens de la concurrence à contredire les postulats de la théorie de la concurrence pure et parfaite. Selon Robinson (1933) et Chamberlin ([1931] 1948), notamment, les entreprises, grâce aux économies d’échelle qu’elles réalisent et aux capacités excédentaires qui en découlent, influencent la fixation des prix. Dans une telle situation, les ressources sont utilisées de manière sous-optimale ; se pose alors la nécessité d’une coordination entre les firmes afin de fixer les prix. Celle-ci permet aux entreprises de limiter la concurrence, s’assurant ainsi de maximiser leurs profits.24 La théorie structuraliste – que d’aucuns appellent l’école de Harvard – se montre méfiante vis-à-vis du pouvoir de marché des firmes dominantes et des oligopoles. Adoptant une approche behavioraliste, les tenants de cette théorie s’intéresseront à l’environnement dans lequel opère la firme et la manière dont elle se comporte en tant que productrice, vendeuse et consommatrice. Selon Bain, le représentant le plus important de cette école, c’est à partir de l’étude du comportement concurrentiel des firmes que l’on peut mieux percevoir les structures de marché existant (Bain, 1950: 38). Bain explique comment, dans un marché oligopolistique caractérisé par de fortes barrières à l’entrée,25 les entreprises peuvent profiter des imperfections de marché afin de modifier le jeu concurrentiel à leur avantage alors que les prix sont supérieurs aux production implique que ceux-ci puissent se déplacer d’un marché à l’autre au sein de l’économie nationale. Dans le cas où il y a absence de transparence, on parlera alors de concurrence pure au lieu de pure et parfaite (Burke, Genn-Bash et Haines, 1988). 24 On souligne toutefois que la capacité prédictive de la théorie n’est pas sensiblement supérieure à la théorie de la concurrence pure et parfaite (Archibald, 1961 ; Auerbach, 1988). Par ailleurs, Devine et al. (1985) remarquent qu’ironiquement, la théorie monopolistique trouve son aboutissement dans l’analyse de la concurrence pure et parfaite, alors qu’elle partait d’une critique de celle-ci. La difficulté qu’éprouve la théorie à intégrer le concept d’industrie, de même que la possibilité de généralisation de la théorie de la concurrence pure et parfaite expliquent ce paradoxe. 25 Il existe trois types de barrières à l’entrée selon Bain : les économies d’échelle, les avantages de coûts absolus ainsi que les avantages découlant de la différenciation des produits (Bain, 1956). 21 coûts moyens de production.26 La principale conséquence de ces barrières à l’entrée est la concentration des entreprises, ce qui entraîne une réduction du bien-être des consommateurs. En réponse à la théorie structuraliste et de sa méfiance vis-à-vis du pouvoir de marché des firmes, une approche s’est développée mettant l’emphase sur l’efficacité des entreprises. L’école de Chicago-UCLA, voit en la concurrence le moteur de l’activité économique. S’inscrivant dans la tradition de l’analyse de la concurrence imparfaite et s’inspirant du laisser-faire schumpétérien, elle lie concentration et efficacité. Selon cette conception, les structures de marché, telles qu’elles se présentent dans l’économie réelle, représentent la meilleure forme d’allocation des ressources qui soit (Baumol et Fischer, 1978). La concurrence, même si elle conduit à une forte concentration au sein de l’industrie, ne doit donc pas être réglementée par les autorités politiques. L’existence de firmes dominantes ou de monopoles résulte d’une performance supérieure de leur part, ainsi que d’une plus grande efficacité. Se distanciant de l’école de Chicago, la théorie des marchés contestables tentera une synthèse des principaux courants théoriques de la concurrence. Certains y voient la généralisation de la théorie de la concurrence pure et parfaite (Appelbaum et Lim, 1985), d’autres une révision de la théorie des structures de marché (Hirschey, 1985) ou une théorie générale de l’organisation industrielle (Baumol, 1982). Un marché est contestable lorsque trois conditions sont réunies : l’entrée sur le marché est complètement libre et la sortie n’entraîne aucun coût ; il n’existe pas de coûts irréversibles (sunk costs) pour les firmes entrantes. (Baumol, 1982) ; finalement, les firmes dominant le marché ne peuvent répondre assez rapidement par une réduction de prix afin de contrer le nouvel arrivant (Cairns et Mahabir, 1987). L’ancrage central de la théorie est la possibilité d’une stratégie d’entrée et de sortie rapide (hit and run) par un nouvel arrivant, ce qui doit suffire à discipliner les entreprises présentes sur le marché.27 26 Dans de telles situations, la théorie de la concurrence pure et parfaite avance que de nouvelles firmes entreront sur le marché afin de bénéficier des profits élevés disponibles. 27 Dixit (dans Brock, 1983) a précisé les quatre conditions économiques nécessaires afin qu’il existe un parfait état de contestabilité : 1) toutes les entreprises doivent avoir accès à la même technologie ; 2) cette technologie peut engendrer des économies d’échelle, mais ne doit pas entraîner de coûts irréversibles ; 3) les firmes déjà présentes sur le marché peuvent modifier les prix uniquement dans le 22 Malgré un accueil généralement favorable, la théorie des marchés contestables demeure critiquée. Alors qu’elle se veut une théorie de la possibilité d’entrée sur un marché, elle ne traite pas des conditions d’entrée, mais plutôt des confrontations postentrées. D’autre part, elle implique des degrés et variations d’entrée logiquement impossibles (Shepherd, 1984). Parmi les autres réserves soulevées, notons l’inquiétude de Schwartz (1986) quant à la possibilité logique de la parfaite contestabilité. De plus, il note que la théorie ne peut répondre à la question suivante : que se passe-t-il lorsqu’une industrie est caractérisée par de l’incertitude ? Cependant, sa critique la plus forte concerne le cœur de la théorie, soit la possibilité pour une firme entrante d’adopter une stratégie de hit and run. Schwartz souligne qu’une telle stratégie est impossible dans un marché dominé par des économies d’échelle. En outre, la capacité de réponse rapide de la firme dominante réduit la facilité d’entrée et de sortie pour une firme concurrente. En somme, les théories néo-classiques, au fil de leur développement, en sont arrivées à concevoir la concurrence comme un état de fait, le résultat des processus économiques, plutôt que le processus de concurrence en lui-même (Kirzner, 2000).28 Si les théories précédentes ont comme point commun leur caractère statique, l’école autrichienne prône un retour à une conception plus dynamique de la concurrence. La critique centrale de la théorie de la concurrence pure et parfaite est que celle-ci traite d’un état de fait et non d’un processus. Les économistes de l’école autrichienne cherchent à expliquer comment se déroule la concurrence dans le monde réel, par opposition à l’idéal-type du marché concurrentiel des tenants de la concurrence pure et parfaite. Dans cette conception, l’économie est constamment en mouvement, ce qui crée sans cesse des opportunités pour les entrepreneurs, dont l’esprit innovateur représente le véritable moteur du capitalisme (Schumpeter, 1954).29 cas d’un retard (time lag) non nul ; 4) les consommateurs doivent répondre aux différences de prix avec un faible retard. 28 Hayek réserve sa critique la plus sévère pour l’assomption de transparence, argumentant qu’il est logiquement impossible pour tous les individus d’avoir une connaissance parfaite de l’ensemble des éléments influençant le marché sur lequel ils évoluent (Hayek, 1948). 29 Bien qu’il ne soit pas strictement rattaché à l’École autrichienne, Schumpeter partage certaines de ses croyances. En particulier, il soutient que l’action des marchés libres, si elle crée des firmes 23 En fait, Schumpeter considère l’innovation comme la réponse aux pratiques monopolistiques et anticoncurrentielles des firmes dans la mesure où elle “réduit grandement, en durée et en importance, l’influence des pratiques qui visent, en restreignant la production, à maintenir des situations acquises et à maximiser les profits qu’elles procurent” (Schumpeter, 1954) Cette innovation permanente entraîne un processus de destruction créatrice30, dont la conséquence est l’émergence perpétuelle de nouveaux concurrents. Dans la conception schumpetérienne, la grande entreprise joue un rôle fondamental, car elle est en mesure d’utiliser les capitaux à sa disposition afin de profiter des innovations (à travers la R&D). Contrairement aux théories néo-classiques, l’approche autrichienne ne voit pas d’un mauvais œil l’existence de monopoles ou d’oligopoles.31 Hayek, pour sa part, est davantage préoccupé par l’absence de concurrence que par les notions de concurrence parfaite ou imparfaite. Selon lui, la concurrence est un processus impliquant des changements constants dans les données disponibles aux individus (Hayek, 1948). Hayek se montre préoccupé par la dérive que prend la théorie de la concurrence sous l’impulsion des néo-classiques. Il considère qu’un retour à une conception classique de la concurrence, en terme dynamique, permet de mieux saisir les relations entre les agents économiques. 1.1.3 De l’internationalisation à la globalisation de la firme Si les théories de la firme ont permis d’entrer à l’intérieur de la boîte noire qu’est l’entreprise, et si les diverses approches de la concurrence ont analysé les motivations des entreprises, elles sont principalement restées à l’échelle nationale. Afin de comprendre pourquoi les entreprises se sont internationalisées durant le XXè siècle, un détour sur les théories de la firme multinationale s’impose. monopolistiques, demeure préférable à toute intervention étatique. En outre, le monopole n’est pas destructeur de bien-être si le monopoleur continue d’innover. 30 Schumpeter définit la destruction créatrice comme un “processus de mutation industrielle qui révolutionne incessamment de l’intérieur la structure économique, en détruisant continuellement ses éléments vieillis et en créant continuellement des éléments neufs” (1954: 164). 31 Il faut d’ailleurs souligner que sur ce point, l’école de Chicago est fortement influencée par les “Autrichiens” : le concept d’efficacité, à la base de la théorie du laisser-faire de Chicago équivaut à celui d’innovation qu’utilise Schumpeter. 24 Les premières théories de l’internationalisation de la firme, à travers la recherche des causes du développement international des entreprises américaines, se veulent des théories générales de la FMN. Elles représentent en quelque sorte une réponse à l’insatisfaction provoquée par l’incapacité de la théorie orthodoxe de l’échange international à expliquer pourquoi les firmes américaines se multinationalisent.32 Deux versions sont ainsi offertes. Une première approche explique l’expansion internationale des entreprises par leur pouvoir de marché. Ainsi la firme possèderait des avantages spécifiques sur ses concurrentes (Hymer, [1960] 1976; Kindleberger, 1969, Caves, 1971). Les théories rattachées à ce premier courant constituent une extension de la théorie de la firme au niveau international. La seconde approche sera celle du cycle de vie du produit. Hymer part d’une double critique de la théorie des échanges internationaux et de la multinationalisation des firmes.33 Étant donné que la théorie de l’investissement international ne peut expliquer comment et pourquoi les entreprises réalisent des investissements à l’étranger, Hymer tente alors de répondre à la question suivante : pourquoi la firme entreprend-t-elle des opérations à l’étranger à travers l’IDE 34 ? Deux réponses émergent : d’une part, afin de limiter, voire éliminer la concurrence sur des marchés aux conditions de concurrence imparfaite ; d’autre part, afin de profiter de certains avantages qu’elle possède vis-à-vis ses concurrentes, tant dans son pays 32 La théorie classique de l’échange international affirme que deux pays ont intérêt à se spécialiser dans leurs échanges selon leurs avantages comparatifs. Le théorème Hecksher-Ohlin-Samuelson remet cette approche en question en indiquant que les échanges entre les pays s’expliquent principalement par la différence dans les dotations en facteurs de production (capital, travail). Ces théories ne concernant donc pas la firme en tant que telle, elles sont incapables d’expliquer pourquoi une firme choisira d’établir une partie de sa production à l’extérieur de son pays d’origine. 33 La théorie acceptée jusqu'à Hymer soutient que les firmes se multinationalisent en raison d’une différenciation des taux d’intérêt : un investissement a lieu lorsque les retours attendus sont élevés. Outre le fait que la théorie se préoccupe uniquement des investissements de portefeuille et non des investissements directs à l’étranger, Hymer note qu’elle ne prend aucunement en compte l’incertitude, les risques possibles ou les barrières au mouvement des capitaux (Hymer, [1960] 1976). 34 Andreff définit l’IDE comme “un capital investi dans la propriété d’actifs réels pour implanter une filiale à l’étranger ou pour prendre le contrôle d’une entreprise étrangère existante ; il vise à établir des relations économiques durables avec une entité établie à l’étranger.” (Andreff, 1996: 7) L’IDE diffère de l’investissement de portefeuille en raison des objectifs de chacun : alors que l’objectif de l’IDE est d’acquérir le contrôle d’une entreprise, l’investissement de portefeuille vise principalement à générer un revenu de ce placement. Une autre distinction possible est la volatilité des investissements : l’investissement de portefeuille serait de plus courte durée que l’IDE. Mais dans tous les cas de figure, il n’est pas aisé de distinguer l’une de l’autre. Le fait que les réglementations nationales varient en ce qui concerne le seuil de contrôle d’une entreprise ajoute à cette complexité. 25 d’origine qu’à l’étranger. Bien que plusieurs stratégies d’internationalisation s’offrent à la firme (licence, joint-venture ou exportation par exemple), Hymer soutient que la firme a avantage à produire à l’étranger car seulement ainsi peut-elle prendre avantage des imperfections de marché.35 La théorie de Hymer doit être considérée comme l’extension de la théorie de la firme coasienne à l’échelle internationale.36 On retrouve les mêmes caractéristiques expliquant le développement de la firme à l’interne dans la théorie de la firme multinationale de Hymer. Kindleberger et Caves complèteront l’approche des avantages monopolistiques de la firme d’Hymer. Alors que Kindleberger (1973) souligne que les firmes utilisent leurs avantages spécifiques afin de produire des biens différenciés et ainsi servir plusieurs marchés, Caves (1971) montre comment l’IDE se concentre principalement au sein des industries caractérisées par une structure de marché oligopolistique, tant dans le pays d’origine que dans les pays hôtes.37 Contrairement à la théorie du pouvoir de marché, Vernon affirmera que les firmes américaines peuvent bénéficier d’un avantage absolu, mais temporaire, sur leurs concurrentes (Vernon, 1971). À travers le concept du cycle du produit, Vernon note que l’avantage technologique de la firme pousse cette dernière à passer d’une production nationale à l’exportation, puis à la localisation à l’étranger. Selon cette approche, l’internationalisation des entreprises, américaines d’abord, européennes et japonaises ensuite, passe par cinq étapes distinctes : l’innovation, le lancement, la standardisation, la maturité et le déclin. Dans un premier temps, elles créent de nouveaux produits afin de répondre à une demande croissante sur le territoire national. Étant donné les avantages spécifiques qu’elles possèdent, elles exportent leurs produits à l’étranger par la suite, s’assurant ainsi une position dominante. Lorsque leurs positions sont menacées, les firmes établissent des filiales à l’étranger afin de 35 Cette situation pousse d’ailleurs Hymer à prédire que l’internationalisation concernera certaines industries à travers le monde plutôt que l’internationalisation de toutes les industries dans quelques pays. 36 D’ailleurs, le titre de sa thèse reflète très bien cette idée : “The international operations of national firms”. 37 Caves affirme que l’oligopole constitue la structure se prêtant le mieux à l’internationalisation des firmes nationales. En outre, cette structure de marché repose en grande partie à la fois sur la différenciation du produit et les économies d’échelle découlant de la production internationale de la firme. 26 maintenir leur avantage. Celui-ci ne dure qu’un temps, car les firmes imitatrices rattrapent leur retard, éliminant du coup l’avantage de l’entreprise innovatrice (Vernon, 1971). Selon Vernon, au-delà des attributions de l’entreprise, ce sont les origines nationales de celle-ci qui expliquent leurs avantages. Le modèle de Vernon, en intégrant les facteurs technologiques à l’investissement international et à la localisation, permet d’expliquer le développement commercial international de la firme. Cependant, le rattrapage de l’Europe et du Japon durant les années 1970 limitera sensiblement le pouvoir explicatif du modèle. En effet, la capacité d’innovation des pays “imitateurs” permet une production apte à l’exportation, invalidant du même coup la thèse de Vernon. Celui-ci intégrera les critiques vis-à-vis le cycle du produit en introduisant le modèle du cycle oligopolistique (Vernon, 1979). Les avantages nationaux sont mis de côté au profit des caractéristiques propres des FMN. Vernon soutient qu’elles maintiennent leurs avantages en ayant recours à des barrières à l’entrée, principalement au niveau de la commercialisation et de la distribution. En se concentrant exclusivement sur les attributs de la firme, Vernon délaisse le monde des États pour se centrer sur les entreprises. Alors que les premières approches de l’internationalisation de la firme se concentrent sur l’IDE versus l’exportation, à partir du milieu des années 1970, on assiste au développement de la théorie de l’internalisation, l’équivalent à l’échelle internationale de la théorie des coûts de transaction. Bien que s’inspirant du courant du pouvoir monopolistique (Hymer, [1960]; Kindleberger, 1973; Caves, 1982), les internalistes reprochent à celui-ci de ne pas accorder assez d’importance aux “imperfections naturelles (de marché) qui limitent la performance des marchés internationaux et, par conséquent, de négliger les effets positifs de l’intégration corporative multinationale” (Rioux, 2000a: 62).38 La théorie de l’internalisation peut être considérée comme le 38 Buckley et Casson (2000) soulignent que le modèle basé sur le pouvoir de marché des firmes n’est pas adapté aux conditions de concurrence des années 1990, car il demeure statique et ne prend pas en compte la volatilité des marchés. Selon ces auteurs, la constante recherche d’innovation et l’entrée sans cesse de nouveaux concurrents entraînent un accroissement de l’incertitude et de la volatilité des marchés internationaux. Ceci implique que les entreprises doivent absolument être flexibles, qu’elles doivent avoir la capacité de réallouer efficacement et rapidement les ressources dans un contexte de changement. 27 prolongement et la sophistication des théories d’organisation industrielle, dans la mesure où l’internalisation est une stratégie par laquelle la firme maintient le contrôle de ses opérations et suspend le fonctionnement des marchés en organisant un marché interne, remplaçant du même coup le marché externe (Buckey et Casson, 2000; Rugman, 1982). À l’origine, l’objectif de la théorie est d’expliquer la croissance de la firme (Buckley et Casson, 1976). Deux prémisses en constituent la base : d’une part, les firmes choisissent toujours la location la moins coûteuse pour chacune de leurs activités économiques ; d’autre part, elles croissent en internalisant les marchés jusqu’au point où les coûts de l’internalisation dépassent les bénéfices (Buckley, 1988). On retrouve ici la frontière de la firme, telle que la conçoit la théorie des coûts de transaction. Pour les internalistes, la firme, possédant des avantages spécifiques, a intérêt à internaliser ses opérations à l’échelle internationale. Jones (1996), Cantwell (1991) et Dunning (1988) soulignent que l’objectif premier de la théorie est d’analyser les imperfections de marché pour les produits intermédiaires. L’existence de la FMN s’explique alors par la nécessité de réduire les coûts de transaction reliés à ces marchés. Les défaillances de marché dans les marchés de produits intermédiaires et la nécessité pour les firmes d’exploiter les économies dérivant d’activités interdépendantes conduisent ces dernières à remplacer les mécanismes de marché de transactions transfrontalières par des hiérarchies internalisées. Ainsi, la FMN est vue comme une organisation (Rugman, 1982) ou une institution (Jones, 1996) possédant la capacité de coordonner ses activités à l’échelle internationale. La théorie ne cherche pas à étudier les rapports entre la FMN et ses concurrentes, mais plutôt à comprendre comment les transactions sont menées à l’intérieur de l’entreprise multinationale. L’analyse de l’internalisation des produits intermédiaires permet à Casson ([1985] 2000) de montrer comment la théorie aide à comprendre tant l’intégration verticale qu’horizontale des firmes. Bien que certains affirment que l’internalisation constitue une théorie générale de la multinationalisation des firmes, car elle permettrait d’expliquer tout type d’IDE (Rugman, 1982), la théorie est contestée sur plusieurs points. Jones (1996) remarque 28 que la théorie se concentre trop sur les coûts de transaction et ne prête pas assez d’attention aux coûts reliés à l’organisation et à la gestion de l’entreprise. En outre, l’internalisation ne touche pas à la complexité de la gestion réelle des affaires puisqu’elle ne touche qu’aux cas extrêmes que sont les marchés et les hiérarchies. Par ailleurs, certains soulignent que la théorie devrait accorder davantage d’importance aux facteurs liés à la localisation : la capacité d’internalisation des firmes ne suffit pas à expliquer les raisons pour lesquelles des entreprises de pays différents possèdent des avantages spécifiques alors qu’elles évoluent dans la même industrie (Porter, 1990 ; Dunning, 1988, 1993, 1997a). Alors qu’il reconnaît l’apport et l’importance de la théorie de l’internalisation, Dunning (1988, 1993) considère que celle-ci ne permet pas d’expliquer, seule, l’internationalisation de la firme.39 Selon lui, les théoriciens de l’internalisation considèrent que les imperfections des marchés internationaux de produits intermédiaires sont une condition nécessaire et suffisante pour expliquer l’existence des FMN. Alors que les internalistes soutiennent que les imperfections de marché sont exogènes aux FMN, Dunning les considère comme étant endogènes. La FMN doit être vue comme un producteur de biens et services de même qu’un organisateur de transactions à l’échelle internationale : la firme est donc à la fois complémentaire au marché et remplace celui-ci (Dunning, 1988). Dunning est non seulement insatisfait de la théorie de l’internalisation, mais également de l’ensemble des théories de la FMN. Il avance que ces théories, d’une façon ou d’une autre, omettent une variable touchant à la multinationalisation de la firme. Sa préoccupation centrale est donc de fournir un cadre d’analyse général, une vision globale des déterminants de la production internationale. Le paradigme éclectique pallierait les lacunes des théories précédentes, car il permettrait d’expliquer tous les types d’IDE, et par extension, de la production internationale. 39 Selon Dunning, la théorie de l’internalisation comporte trois faiblesses majeures : elle ne peut expliquer certains avantages compétitifs que détient la firme; elle fonctionne par un raisonnement tautologique : pour les théoriciens de cette tendance, les firmes rempliraient les mêmes fonctions que les marchés, alors que Dunning soutient qu’on doit reconnaître que les firmes ne remplissent pas les mêmes fonctions que les marchés ; enfin, et contrairement à ce qu’affirment les théoriciens de l’internalisation, la firme ne s’internationalise pas uniquement pour réduire les coûts de transaction internationaux, mais également pour accroître ses capacités de production à valeur ajoutée et/ou pour exploiter une position monopolistique (Dunning, 1988). 29 Dans sa forme originale (Dunning, 1981, 1988), la théorie éclectique soutient que le mode, le champ et la forme de la production internationale de la firme sont déterminés par la configuration de trois types d’avantages : les avantages compétitifs et oligopolistiques que possède l’entreprise (O)40, les avantages compétitifs que possède le pays d’accueil (L)41 et les avantages que tire la firme de la réduction des coûts de transaction en investissant sur place (I)42. La théorie est éclectique car elle rassemble les éléments explicatifs des principales théories de la FMN depuis les années 1960 ; elle peut être utilisée afin d’expliquer tous les types d’IDE ; finalement, elle fait référence aux principaux modes d’implication des entreprises à l’étranger, soit l’IDE, le commerce (à travers l’exportation principalement) ou le transfert de ressources (à travers une relation contractuelle). Bien qu’elle n’incorpore pas une analyse directe de la concurrence (Cantwell, 1991), la théorie éclectique permet de comprendre trois des facettes les plus importantes des rapports interentreprises, à savoir les structures de marché (O), l’environnement économique (L) et les imperfections de marché (I). Ce modèle permet d’expliquer pourquoi, depuis les années 1970, le commerce intra-branche (l’aspect internalisation) croît plus rapidement que le commerce inter-branche. Si l’approche de Dunning intègre une multiplicité de variables non-économiques et reflète davantage la diversité et la complexité du commerce international (Jones, 1996), elle permet également de comprendre pourquoi les entreprises les plus compétitives sur les marchés étrangers 40 Il existerait trois types d’avantages spécifiques de la firme : 1) les avantages découlant de la propriété ou de l’accès à certains biens ou ressources générant des revenus particuliers ; 2) les avantages provenant de l’existence même d’une usine versus la construction d’une nouvelle usine ; 3) les avantages résultant de la diversification géographique de la firme ou son caractère multinational (Dunning, 1988). 41 Les avantages de la localisation sont de trois ordres : 1) la disponibilité et le coût réel des ressources disponibles ; 2) les coûts et les bénéfices non-transférables tels que les taxes, subventions, lois, obligations laborales, etc. ; 3) les coûts de transports du pays d’origine au pays de destination. 42 Deux raisons expliquent pourquoi les firmes internalisent à l’échelle internationale selon Dunning (1988): les défaillances de marché et les interventions politiques. Les défaillances de marché sont de deux ordres, structurels ou cognitifs. Elles sont structurelles lorsqu’il existe des barrières à la concurrences et qu’une situation de rente économique se développe ; lorsque les coûts de transactions sont élevés ; et lorsqu’il n’est pas possible de pleinement s’accaparer des économies découlant d’activités interdépendantes. Ces défaillances sont cognitives lorsque l’information concernant le produit ou le service vendu ou publicisé n’est pas disponible ou est dispendieux à acquérir. D’autre part, par leurs interventions, les gouvernements influencent positivement ou négativement la décision des firmes d’internaliser leurs activités. Les gouvernements recourent généralement à deux instruments : la production de biens publics ou les politiques économiques. 30 sont celles qui peuvent internaliser leurs activités (Dunning, 1988). Cette approche souffre en revanche de certaines lacunes. D’une part, on remarque qu’elle possède un faible pouvoir explicatif (Dunning, 1988, Jasmin, 2003) et un faible pouvoir prédictif (Jones, 1996). D’autre part, le paradigme ne serait pas réellement différent de la théorie de l’internalisation.43 En outre, il ne concernerait que l’investissement direct, négligeant d’autres stratégies à la disposition des firmes, tels que les licences, les joint-ventures ou l’exportation (Markusen, 1995). La théorie éclectique a évolué au fil des ans pour se transformer en paradigme afin de prendre en compte certaines critiques.44 Dans la mesure où nous serions passés d’un capitalisme hiérarchisé à un capitalisme d’alliance45, chaque variable du paradigme doit être revue. Le concept des avantages spécifiques de la firme doit être modifié afin d’y intégrer la notion de réseaux ou d’alliance stratégique. Cela permettrait de refléter les nouvelles relations que tissent les firmes entre elles. Le concept de localisation doit être approfondi, et ce dans quatre directions distinctes.46 Quant au concept d’internalisation, il doit dépasser l’étude de l’imperfection des marchés de produits intermédiaires afin d’y inclure les objectifs de compétitivité des entreprises. Dunning avance que l’évolution du paradigme doit tendre vers trois directions : l’étude de l’influence de l’innovation sur la compétitivité des firmes ; la reconnaissance de l’importance et de la pertinence des stratégies de “voix”47 ; une révision des frontières de la firme (Dunning, 1997a). 43 Rugman (1982) note que la théorie éclectique est sensiblement similaire à la théorie de l’internalisation si on accepte la prémisse de l’exogénéité des imperfections de marché. Même si l’on admet que la firme puisse développer des avantages de type O, donc endogénéiser les avantages, cela ne suffirait pas à distinguer les deux théories. 44 Si une vision hiérarchisée du paradigme pousse certains à soutenir que l’internalisation représente la variable la plus importante de celui-ci (Rioux, 2000a; Ethier dans Dunning, 1998), Dunning affirme que ce n’est pas le cas. Alors que les premières versions du paradigme mettent davantage l’emphase sur les avantages spécifiques de la firme et l’internalisation (Dunning, 1981, 1988), Dunning rappelle dans ses écrits plus récents (1998) l’importance de la variable “localisation”. Selon lui, les trois variables ont la même importance : ce sont les situations spécifiques qui détermineront laquelle sera davantage mise de l’avant. Ainsi il souligne : “The OLI triad of variables (…) determining foreign direct investment and MNE (multinational enterprise) activity may be likened to a three-legged stool; each leg is supportive of the other, and the stool is only functional if the three legs are evenly balanced” (Dunning, 1998: 45). 45 Sur le capitalisme d’alliance, voir la section suivante (cf. les réseaux). 46 L’encastrement territorial de certains avantages non-transférables ; l’intégration spatiale des activités économiques des entreprises ; les conditions favorisant le développement d’alliances interentreprises ; le rôle des autorités nationales et régionales dans l’essor et la structuration de centres d’excellence. 47 Alors que le capitalisme de hiérarchies privilégiait les stratégies de “sortie”, i.e où la réponse de la firme à la présence d’imperfections de marché était de les internaliser, le capitalisme d’alliance 31 Bien que le paradigme éclectique tenta une synthèse des diverses théories de la FMN, ses multiples versions témoignent plutôt de la grande difficulté que rencontrent les théoriciens de la FMN à l’aborder dans son ensemble. La rapidité de l’expansion des FMN, tant dans les pays développés que dans les pays en développement amène sans cesse de nouvelles questions aux penseurs de la firme multinationale. Cette progression des FMN à l’échelle internationale s’est traduite par une évolution parallèle des théories de la FMN à partir de la seconde moitié des années 1980. Cette évolution reflète le caractère de plus en plus global des stratégies de l’entreprise. On passe alors de la firme multinationale à la firme multidomestique, à la firme transnationale puis à la firme globale.48 Les distinctions entre la firme globale et la FMN ont attiré l’attention des spécialistes. On soulignera ainsi la dimension stratégique (Ghoshal, 1987; Andreff, 1996; Dunning, 1997a; Harzing, 2000; Segal-Horn, 2002) ou structurelle (Levitt, 1983; Andreff, 1996; Bartlett et Ghosal, 1993) de l’entreprise afin d’expliquer sa globalisation. Selon Dunning (1997a), la principale différence entre les types de firme n’est pas liée au contrôle de filiales, mais plutôt à la conclusion d’alliances et à la création de réseaux sur chaque continent (à la concurrence s’ajoute aujourd’hui la coopération) ; l’utilisation de facteurs de production selon le critère d’efficacité et de rendement ; la réalisation de transactions financières sans contraintes de temps et d’espace ; la vente de ses biens et services sur les principaux marchés du monde.49 favoriserait un mélange de stratégies de sortie et de stratégies de “voix”, i.e de travailler à l’intérieur du marché afin de réduire, voire éliminer les imperfections de marché. 48 Harzing (2000) distingue ainsi entre la firme globale, la firme multidomestique et la firme transnationale selon le niveau d’autonomie des filiales, les stratégies qu’emploient les entreprises à l’échelle internationale et leur structure organisationnelle. Ainsi la firme multidomestique se caractérise par une structure organisationnelle décentralisée, elle possède des filiales plutôt autonomes et adopte un comportement stratégique visant à répondre aux différences nationales. La firme globale est centralisée ; les filiales ne bénéficient pas d’une grande autonomie, étant généralement chargées d’implanter les stratégies de la maison mère ; en terme de stratégie, l’entreprise cherche avant tout à profiter des avantages que lui procurent ses économies d’échelle en standardisant sa production. La firme transnationale apparaît plutôt comme un réseau interorganisationnel ; ses filiales jouent un rôle plutôt actif et sur le plan stratégique, elle adopte un comportement entre celui de la firme multidomestique et la firme globale. En ce qui concerne le quatrième type de firme, la firme internationale, Harzing souligne la difficulté conceptuelle de la classer. Pour une présentation basée sur les industries, on consultera Porter (1990). 49 Levitt (1983), l’inventeur du concept de globalisation, soutient que la principale différence entre la FMN et la firme globale concerne la perception des marchés de l’entreprise. Alors que la FMN opère dans un certain nombre de pays et adapte ses produits pour chacun des marchés à des coûts relatifs 32 Ghoshal (1987) lie la dimension stratégique de la firme à sa capacité à optimiser trois objectifs à l’échelle globale : l’efficacité, la gestion des risques et la capacité d’apprentissage. De son côté, Porter (1990) accentue la capacité de l’entreprise à vendre ses produits sur les marchés. Dans une perspective évolutionniste, Andreff (1996) conçoit l’aspect stratégique comme la synthèse de stratégies antérieures. À l’origine, ce sont les stratégies d’approvisionnement qui prédominent, suivies par les stratégies de marché ; dans un troisième temps émergent les stratégies de rationalisation de la production ; finalement, apparaissent les stratégies de globalisation.50 Andreff souligne ainsi que le passage d’une stratégie internationale à une stratégie globale a lieu lorsque les conditions suivantes sont réunies : “ la firme a une vision mondiale des marchés et de la concurrence ; [elle] connaît bien ses rivaux, la mondialisation de la concurrence n’étant pas anonyme et créant une interdépendance entre toutes les [FMN] de l’oligopole ; [elle] a le pouvoir de contrôler ses opérations dans l’espace de la Triade ; [elle] se comporte comme un « joueur global » et change radicalement sa façon de travailler, sa survie étant mise en jeu par une concurrence aiguë dans l’oligopole mondial ; [elle] opère dans des industries à haute technologie et y recherche des actifs porteurs d’innovation sur une échelle globale ; [elle] localise ses activités là où elles sont les plus rentables, suivant les avantages comparés offerts par les pays ; [elle] a des activités coordonnées à l’aide des technologies d’information et de production flexible, créant de la valeur ajoutée dans de nombreux pays, et intégrées en une « chaîne de valeur » internationale, sur une base régionale ou mondiale ; [elle] organise ses usines et filiales spécialisées en un réseau internationalement intégré et s’intègre dans un réseau d’alliances avec d’autres FMN.” (Andreff, 1996: 53-54) Le caractère global des stratégies est également associé au développement d’industries globales (Porter, 1990; Segal-Horn, 2002; Ghoshal, 1987; Harzing, 2000).51 Lorsqu’une firme se globalise, la pression qu’elle exerce sur ses concurrentes oblige celles-ci à se globaliser également, entraînant ainsi la globalisation de élevés, la firme globale, au contraire, considère l’ensemble des marchés comme une seule entité ; elle vend donc le même produit de la même manière partout, et cela, à un coût relatif plus faible (Levitt, 1983). 50 Dans une stratégie d’approvisionnement, la firme établit des filiales afin d’approvisionner la société mère; lorsque l’entreprise adopte une stratégie de marché, elle installe des filiales-relais lui permettant de produire sur place les produits qui sont ensuite vendus sur le marché local ; à l’étape de la rationalisation de la production, la FMN utilise des filiales-ateliers produisant certaines composantes des produits qui seront ensuite assemblés dans le pays d’origine de la FMN ou par d’autres filiales localisées dans des pays tiers (Andreff, 1996: 45-47). 51 Ghoshal (1987) et Porter (1990) définissent une industrie globale comme une industrie où la position d’une entreprise sur un marché donné est fortement influencée par sa compétitivité sur d’autres marchés. Segal-Horn (2002) accorde davantage d’importance à la nature d’un produit afin de déterminer le caractère global d’une industrie : lorsqu’un produit n’est pas limité par les frontières nationales, qu’il est homogène, qu’il entraîne de fortes économies d’échelle et est accepté à travers le monde, l’industrie dont il découle est globale ou se globalise. 33 l’industrie. L’accès à d’importantes ressources (financières, humaines, technologiques, entre autres), la pression constante sur la réduction des coûts et l’augmentation des marges bénéficiaires ainsi que la concurrence internationale pour les ressources et les parts de marché engendrent une concentration de plus en plus forte au sein des industries, se traduisant par l’augmentation des fusions et acquisitions. La gestion de ces ressources et défis implique que les entreprises organisent leurs unités globalement afin de profiter des économies d’échelle et de champ (Ghoshal, 1987). Une seconde approche de la firme globale voit plutôt celle-ci comme le résultat de changements organisationnels. L’entreprise apparaît alors comme la conséquence d’un processus de transformation graduelle au cours de sa croissance : elle passe successivement de la forme simple à la forme “U” à la forme multidomestique “M”, puis à la forme matricielle, la forme la plus globalisée.52 Bartlett et Ghoshal (1993) remettent en cause l’approche évolutionniste d’Andreff et conçoivent plutôt la firme globale en terme de gestion de processus et de réorganisation interne de l’entreprise à plus grande échelle. Pour Segal-Horn (2002), la nature des activités de l’entreprise, de même que sa portée - à la fois nationale, régionale et globale - forcent les entreprises à adopter une structure globalisée. Dunning (1997a) élargit la perspective en soulignant que le développement de la firme globale n’est pas uniquement dû à la transformation de celle-ci, mais également à la transformation du système économique : le capitalisme d’alliance qui remplace graduellement le capitalisme hiérarchique contraint les entreprises à réorganiser leur mode de fonctionnement ainsi que leur structure organisationnelle. Une observation mérite d’être soulignée à cette étape : bien que les théories de la firme globale se soient développées à partir de la seconde moitié des années 1980, leurs antécédents remontent aux années 1960. Perlmutter (1969) avait construit une 52 La forme U signifie l’existence de multiples filiales étrangères sous le contrôle d’une division internationale ; sous la forme M (matricielle), il existe des divisions opérationnelles réparties soit géographiquement ou par produits ; lorsque la firme adopte la forme matricielle, l’unité de commandement disparaît, les filiales dépendant à la fois de la division de produits et de l’unité régionale (Andreff, 1996: 35-36). 34 typologie des stratégies de la firme en distinguant entre les firmes géocentriques, polycentriques et ethnocentriques. Pour sa part, Modelski (1972) établissait une distinction entre les firmes globales et les FMN à partir de leurs fonctions. Ainsi, la taille de la firme importait peu dans la mesure où l’emphase était mise sur ses capacités, entres autres la R&D, la connaissance, les possibilités de contacts transculturels et la mobilité. En outre, les liens entre stratégie et structure avaient d’ailleurs été soulignés pour la première fois par Chandler (1962). En se globalisant donc, l’objectif majeur de la firme serait de profiter de ses avantages comparatifs afin de développer des avantages compétitifs (Porter, 1990; Segal-Horn, 2002). Toutefois, certains ne croient pas au phénomène général des firmes globales (Rugman et Verbeke, 2004 ; Rugman et Verbeke, 2002; Rugman et Hodgetts, 2001). Se basant principalement sur des études empiriques, ces auteurs affirment que les théories de la firme globale surestiment le champ des activités et les stratégies des entreprises. Selon Rugman et Verbeke (2004), une firme globale pénètre les marchés de la nouvelle Triade de manière équilibrée.53 Une firme est globale si elle remplit les deux conditions suivantes : 1) elle a des ventes de plus de 20% dans chacune des régions de la Triade, mais 2) moins de 50% de ses ventes s’effectuent dans une seule région de la Triade. Se basant sur cette définition, Rugman et Verbeke (2004) concluent que très peu d’entreprises peuvent être qualifiées de globales. Les entreprises adopteraient plutôt des stratégies régionales de Triade, i.e. s’établissant dans une des régions de la nouvelle Triade et opérant principalement dans cette zone. 54 Selon cette interprétation, les firmes adoptant des stratégies régionales seraient les plus performantes, alors que les firmes éprouvant davantage de difficultés adoptent des stratégies globales (Rugman et Hodgetts, 2001).55 53 Alors que dans sa formulation initiale, la Triade est associée à l’Europe de l’Ouest, les États-Unis et le Japon (Ohmae, 1985), Rugman et Verbeke (2004) préconisent l’extension du concept en soulignant la nécessité d’intégrer les changements survenus depuis l’élaboration du concept, notamment l’intégration par les membres de la Triade originale de pays ou régions périphériques. Ainsi, la nouvelle triade serait composée de la zone ALENA, de l’Europe élargie et de l’Asie. 54 Étudiant 380 des 500 plus grandes entreprises du monde, Rugman et Verbeke (2004) concluent que 320 sont principalement concentrées sur leur région d’origine (plus de 50% des ventes dans une seule région) ; 25 sont bi-régionales (plus de 20% des ventes dans deux régions, mais moins de 50% dans n’importe quelle région) ; 11 entreprises sont orientées sur leur région d’adoption (plus de 50% des ventes dans une région autre que leur région d’origine) ; seulement 9 entreprises sont véritablement globales selon les critères retenus. 55 En fait, Rugman et Verbeke (2004) identifient 4 niveaux de projection internationale des firmes : global, bi-régional, régional local et régional d’accueil. Une firme est bi-régionale lorsqu’elle réalise au 35 L’évolution des théories de la firme multinationale montre comment les options de la FMN ne se limitent plus uniquement à la concurrence sur l’ensemble des marchés sur lesquels elle opère. De plus en plus d’entreprises choisissent de coopérer afin de faire face à certains coûts et risques. Cette nouvelle forme de relation, qui n’est pas étudiée par les théories de la concurrence, se manifeste par le développement de la théorie des réseaux. 1.2 Au-delà de la concurrence internationale : l’impact des réseaux dans la coopération interfirmes La littérature traditionnelle sur le rôle et l’impact des entreprises et de la concurrence ne traite pas, ou peu, de la nature des liens unissant les firmes entre elles. Si les rapports concurrentiels sont bien connus, les possibilités de coopération elles, sont plutôt méconnues. Les réseaux, par leur mode d’organisation et de fonctionnement, représentent une alternative à la firme et au marché ; dans certains cas, ils les complètent. En outre, l’augmentation d’accords interentreprises brouille la frontière de la firme et entraîne la nécessité d’une redéfinition de celle-ci. L’étude des réseaux permet d’aller au-delà de ce flou apparent. Les théories des réseaux peuvent être abordées comme le complément des théories de la concurrence, car elles soulignent que les stratégies à la portée des entreprises ne se limitent pas uniquement aux stratégies de concurrence. Ces théories nous permettent également de traiter une question à laquelle les théories de la concurrence n’accordent pas assez d’importance, celle de la frontière de la firme. Depuis le milieu des années 1980, une plus grande place a été faite à l’étude des réseaux dans l’explication du développement des firmes à l’échelle internationale. Cet intérêt s’est traduit par une multiplication des études sur leurs conditions d’émergence, leur impact sur la globalisation et/ou la régionalisation des activités des entreprises et leur influence sur moins 20% de ses ventes dans deux régions de la Triade, mais jamais plus de 50% dans une région ; elle est régionale locale lorsque plus de 50% de ses ventes se réalisent dans sa région d’origine, mais qu’elle ne vend pas 20% dans les deux autres régions de la Triade ; elle est régionale d’accueil lorsque plus de 50% de ses ventes s’effectuent dans une région autre que sa région d’origine et qu’elle ne vende pas au moins 20% dans une autre région de la Triade. 36 l’organisation des activités des FMN. Au niveau théorique, les réseaux sont abordés selon deux approches distinctes mais complémentaires : comme un type de relation sociale ou un mode d’organisation et de coordination de la firme (Borrus, Ernst et Haggard, 2000). 1.2.1 Les réseaux, un type de relation ou un mode d’organisation ? La première approche des réseaux met l’emphase sur le caractère relationnel de ceuxci. De tradition sociologique, cette approche conçoit les réseaux comme une forme d’organisation sociale qui serait hors du continuum hiérarchies – marchés (Powell, 1990). Casson définit les réseaux comme une série de relations de haut niveau de confiance qui lient directement ou indirectement l’ensemble des membres d’un groupe social donné. (Casson, 1998).56 Les réseaux jouent un rôle important dans la synthétisation de l’information en diffusant les compétences; en standardisant les langages et les cultures, ce qui conduit à une réduction des coûts pour les membres (Casson, 1998).57 Dans cette analyse, l’unité de base du réseau n’est plus la firme, mais l’individu, plus précisément les liens unissant ces individus. Dans cette acception, le réseau se décline en trois paliers : le local, le national et l’international.58 Bien qu’il soit davantage reconnu pour son analyse de l’internationalisation de la firme, Dunning accorde une place importante aux réseaux. Selon lui, le réseau représente une alternative intéressante à la firme seule, car une importante gamme des activités de l’entreprise ne peut être expliquée par le continuum marché-hiérarchies. En outre, le type de réseau dans lequel s’insère une entreprise peut influencer sa position compétitive de manière décisive (Dunning, 1988). Étant donné que la multinationale contemporaine est façonnée par la conjoncture des avancées technologiques, par la révolution télématique ainsi que par la transformation de la nature et des formes des alliances entre les entreprises (Dunning, 1988: 334-336), il s’ensuit une reconfiguration constante du modèle OLI puisque ces facteurs 56 En outre, les réseaux, dans certains cas, peuvent être des alternatifs aux firmes puisque leur mode de prise de décision est plus démocratique, que les résultats de la collaboration semblent plus équitables, qu’ils impliquent davantage de contacts sociaux et qu’ils encouragent le partage d’informations (Casson, 1998). 57 Casson, adoptant une approche plus économique, ne s’identifie pas à cette tendance. Selon lui, le réseau se trouverait plutôt à mi-chemin entre la firme et le marché. 58 L’appartenance aux différents paliers du réseau est possible, mais toujours du plus haut au plus bas, dans ce cas-ci de l’international vers le local. 37 influencent inégalement chaque élément du triptyque. Il apparaît donc plus sensé pour Dunning (1988) de considérer la FMN comme le centre nerveux d’un réseau d’activités pouvant être réalisées en collaboration avec d’autres firmes, mais sur lesquelles la FMN maintient le contrôle ou l’influence. Cette vision des réseaux est néanmoins remise en question car elle ne tiendrait pas compte de l’évolution constante des industries à l’échelle internationale (Borrus, Ernst et Haggard, 2000). Une telle analyse s’appliquerait davantage aux relations locales ou nationales qu’aux relations globales que nouent les entreprises. Les réseaux comme mode d’organisation Bien que les auteurs mentionnés précédemment analysent le réseau du point de vue relationnel, ils reconnaissent aussi la fonction de coordination et d’organisation de celui-ci. En fait, la littérature sur les réseaux s’accorde généralement pour reconnaître que la fonction de coordination et le type d’organisation constituent les deux principales caractéristiques des réseaux. Le caractère formel ou informel des réseaux constitue généralement le point de départ de l’analyse. Jones, Hesterly et Borgatti (1997) soulignent la nature informelle des réseaux. Ceux-ci peuvent être inter-firmes ou intra-firmes ; ils naissent de systèmes sociaux informels et facilitent les flux de ressources et d’information entre les membres. En outre, l’informalité permet aux firmes de s’adapter plus rapidement aux changements de circonstances à l’intérieur du réseau (Powell, 1990). Borrus, Ernst et Haggard (2000) soutiennent au contraire que leur caractère formel représente le trait central des réseaux. Ceux-ci résultent de l’évolution de la firme de la forme légale à la forme contractuelle, notamment en ce qui concerne les accords inter-firmes. Au-delà du caractère formel ou informel du réseau, Castells note que c’est plutôt l’émergence de l’économie informationnelle qui expliquerait cette forme d’organisation des entreprises. Il met ainsi l’accent sur l’autonomie et la dépendance de la firme vis-à-vis du réseau, sur sa connectivité (connectedness) et sa permanence. Le réseau est ainsi formé “d’un type spécifique d’entreprises dont les moyens sont 38 constitués par l’intersection de segments de systèmes de buts autonomes ” (Castells, 1996: 171). Jarillo (1988) conçoit les réseaux comme un mode d’organisation pouvant être utilisé par les gestionnaires d’entreprise afin de mieux positionner stratégiquement leur firme. Selon Lorenzoni (dans Jarillo, 1988), les réseaux seraient plutôt des constellations de firmes unies qui découlent de trois phases successives : la phase de réaction (la constellation réalisée), la phase d’efficacité (constellation rationalisée) et la phase d’effectivité (constellation planifiée). Plus précis quant à sa nomenclature, Baker (1992) identifie plutôt l’organisation en réseau (network organization) par rapport au simple réseau. Ce modèle diffère des précédents dans la mesure où il s’agit principalement “d’un mécanisme de marché permettant d’allouer les ressources et le personnel nécessaires afin de résoudre des problèmes ou de mener à bien des projets et ce, de manière décentralisée” (Baker, 1992: 398). Dans une perspective spatio-géographique, Kobrin soutient que les réseaux, à travers les alliances stratégiques transnationales, constituent le fer de lance de la nouvelle économie globale.59 Ils représenteraient l’aboutissement de l’évolution de l’économie mondiale au cours du XXè siècle, celle-ci passant des marchés (le commerce) aux hiérarchies (les FMN) puis aux réseaux (Kobrin, 1997). Une telle approche permet de comprendre l’explosion des réseaux de production transfontaliers, notamment en Asie. C’est ainsi que Borrus, Ernst et Haggard (2000) expliquent en grande partie le développement des firmes asiatiques et leur compétitivité. Dans cette conception, les réseaux, en plus de favoriser le développement de la firme autour de ses compétences de base (core competence), apparaissent comme des stratégies de concurrence lui permettant d’être plus compétitif sur les marchés ou elle évolue. Les réseaux peuvent donc être considérés à la fois comme un type d’organisation sociale et/ou un mode d’organisation de l’activité économique. Nohria (1992) a 59 Kobrin distingue entre l’économie globale contemporaine, caractérisée par l’impact grandissant des transformations technologiques, le remplacement des marchés nationaux par les marchés globaux en tant qu’épicentres des stratégies des firmes et la préséance des réseaux électroniques sur les hiérarchies, de l’économie internationale. Cette économie globale réseautée est vue comme une série de transactions complexes et non plus comme des arrangements coopératifs dyadiques ou triadiques entre les firmes (Kobrin, 1997) 39 synthétisé les principales raisons pour lesquelles la théorie des réseaux contribuerait à une meilleure compréhension des relations entre les entreprises ou toute autre organisation : 1) les organisations constituent des réseaux sociaux et doivent donc être analysées comme tels ; 2) l’environnement d’une organisation représente le réseau dans lequel évoluent d’autres organisations ; 3) les actions des acteurs situés dans quelque organisation que ce soit s’expliquent principalement par leur position dans leurs réseaux de relation ; 4) les réseaux limitent les possibilités d’action des acteurs et sont modelés par ces mêmes actions ; finalement, 5) l’analyse comparative des organisations doit prendre en compte leurs caractéristiques en tant que réseau. En somme, les théories des réseaux soulignent leur capacité à faciliter la coopération entre les membres face à des situations où prévalait surtout la concurrence. Basés sur le savoir-faire, la rapidité et la confiance, les réseaux permettraient à leurs membres de mieux faire face aux changements que les autres formes d’organisation (Powell, 1990). Cette collaboration serait en fait un type d’action collective qui permettrait de réduire les problèmes de passager clandestin (free rider). Elle se situerait à l’extérieur du continuum marchés-hiérarchies, tout en facilitant la coopération entre les membres (Kobrin, 1997; Powell, 1990). 1.2.2 Les conditions d’émergence du réseau Selon Jarillo, deux caractéristiques doivent être remplies afin qu’un réseau puisse voir le jour et perdurer : l’effectivité et l’efficacité. La première condition renvoie à la capacité du réseau d’atteindre les objectifs fixés par ses membres ; la seconde, à sa capacité à offrir à ses membres plus d’avantages que les efforts qu’ils doivent y déployer afin d’assurer le fonctionnement (du réseau) (Jarillo, 1988). Pour leur part, Jones, Hesterly et Borgatti (1997) identifient quatre conditions nécessaires à l’émergence d’un réseau : 1) l’incertitude de la demande associée à la stabilité de l’offre ; 2) les échanges doivent être adaptés aux besoins des parties et contenir un haut degré de spécificité des actifs humains ; 3) l’existence de tâches complexes sous la pression du temps ; 4) l’existence d’échanges fréquents entre les membres du réseau. L’approche de Jones, Hesterly et Borgatti s’inscrit dans la lignée de 40 la théorie des coûts de transaction en intégrant la complexité des tâches et l’encastrement des structures du réseau. Powell élargit la perspective en affirmant qu’il n’existe pas de stricts critères favorisant l’émergence des réseaux. Cependant, il souligne la régularité de deux éléments : les considérations stratégiques et l’exigence de réduction des coûts de transaction. Dans le premier cas, la firme veut s’assurer l’accès à certaines ressources, alors que dans le second, l’objectif central est la réduction des coûts auxquels fait face l’entreprise (Powell, 1990).60 Il conclut que la naissance d’un réseau correspond à l’une des trois situations suivantes : soit elle précède la nécessité du réseau ; soit elle résulte d’un lent processus de développement, justifiant ainsi sa création ; soit elle constitue une solution à une demande pour un type d’échange auquel les autres formes d’organisation ne peuvent répondre. Une partie importante de la littérature considère que ce sont avant tout les transformations du système économique international qui constituent la principale cause du développement des réseaux. L’accent est alors mis sur la métamorphose du capitalisme (Dunning, 1997a), l’importance des technologies de l’information (Nohria et Eccles, 1992), la naissance d’une économie informationnelle (Castells, 1996) ou l’adaptation des institutions et marchés aux changements économiques (Ronfeldt, 1993). Selon Nohria et Eccles (1992), la globalisation de l’économie mondiale, l’accroissement de la concurrence internationale, la rapidité de l’émergence et de l’obsolescence des technologies, l’homogénéisation de la demande, l’augmentation de la flexibilité de la production sont quelques-uns des facteurs ayant provoqué ces changements. Afin de s’adapter à ces nouvelles conditions, les firmes augmenteraient leur rapidité d’exécution, leur flexibilité et leur capacité d’apprentissage, le tout étant facilité par une organisation en réseau.61 En somme, ce seraient avant tout les 60 Powell note tout de même que seulement dans une minorité de cas peut-on affirmer que la naissance d’un réseau répond à l’exigence de réduction des coûts de transaction. 61 Nohria et Eccles (1992) spécifient comment les réseaux, à travers les technologies de l’information, transforment les hiérarchies : ils permettent de réduire le nombre de niveaux de gestion au sein de la hiérarchie ; ils facilitent la communication directe entre les personnes dans le temps et l’espace ; ils 41 avancées en matière de technologie de l’information qui ont permis l’émergence des réseaux. Kobrin voit plutôt l’émergence des réseaux comme le résultat de la transition de l’organisation des transactions économiques des marchés et/ou institutions à une économie globale post-moderne caractérisée par des liens de coopération entre les unités économiques. L’accent mis sur la coopération pousse Kobrin (1997) à affirmer que les réseaux représenteraient une rupture avec les formes d’organisation économique internationale des époques passées. Dans une perspective historico-institutionnelle, Woolsey Biggart et Hamilton (1992) montrent comment les réseaux n’émergent pas d’un vide quelconque, mais constituent plutôt une caractéristique fondamentale de certaines sociétés asiatiques.62 Ainsi, ils existent depuis les temps immémoriaux, mais ne sont “découverts” en Occident qu’à la suite de la remise en question du dogme néo-classique de la régulation automatique des marchés. Cette vision met de l’avant une conception de la concurrence et de la collaboration entre des unités liées entre elles, non pas entre des agents économiques indépendants les uns des autres. 1.2.3 Pourquoi les firmes s’organisent-elles en réseau ? Si la transformation de l’économie internationale ainsi que les évolutions technologiques représentent les principales causes de l’émergence des réseaux, cela ne suffit pas à expliquer les raisons pour lesquelles les firmes adoptent cette forme d’organisation. De plus, quelles sont les configurations que prennent les réseaux? Jones, Hesterly et Borgatti (1997) soulignent que le réseau ne s’applique pas à n’importe quelle entreprise ou industrie. Ce sont surtout dans les industries à haut niveau d’incertitude de la demande, mais avec une stabilité de l’offre de travail, qu’on retrouve principalement l’organisation en réseau (par exemple, l’industrie de la mode, améliorent l’habilité des organisations à communiquer entre elles ; finalement, ils contribuent à une flexibilité accrue des organisations. 62 Les structures sociales de l’Occident, basées sur l’autonomie des individus et des firmes, ne peuvent comprendre l’existence des réseaux. Ceux-ci, accordant la primauté au groupe sur l’individu, existent de tout temps dans les sociétés asiatiques, particulièrement en Chine et au Japon. 42 du cinéma, de la musique, etc.). Ce type d’industrie dépend à la fois des préférences changeantes des consommateurs, de l’évolution rapide de la technologie ou d’un travail saisonnier. Les réseaux favorisent la création de produits et services complexes en intégrant des unités autonomes et possédant des talents variés capables de produire sous pression. Dans cette perspective donc, ce sont les petites et moyennes entreprises qui ont avantage à adopter ce mode de fonctionnement. Les réseaux permettent aux entreprises de se spécialiser dans les activités de la chaîne de valeur essentielles à leurs avantages compétitifs. En outre, un fonctionnement de type réseau accroît la flexibilité de la firme dans la mesure où cette dernière n’est pas obligée de s’engager dans des activités non indispensables (Jarillo, 1988). On soulignera ainsi que les firmes s’organisent en réseau afin d’accéder plus rapidement à certaines technologies, de bénéficier d’économies d’échelle en terme de recherche et production, d’avoir accès aux connaissances situées à l’extérieur de ses frontières et finalement, afin de partager les risques liés à des activités hors du champ ou des capacités d’une seule organisation (Powell, 1990; Castells, 1996; Kobrin, 1997). En s’associant de la sorte, les firmes réduisent les coûts associés à la concurrence. Dans une perspective évolutionniste, Malnight (1996) note que les nécessités d’adaptation aux changements survenant dans leur environnement forcent les FMN à adopter des stratégies de réseau. Dans un monde caractérisé par la globalisation non seulement des marchés, mais aussi des stratégies d’entreprise, il s’avère utile et avantageux pour la firme de pouvoir répartir ses activités à travers plusieurs marchés. Cela lui permet de mieux organiser ses ressources afin de faire face à la concurrence globale. Ce cadre ne présente pas le passage d’une structure décentralisée à une structure en réseau comme le résultat d’une rupture violente. Il s’agirait plutôt de la somme des changements marginaux que vit l’entreprise au fil des ans. Moins évolutionnistes que Malnight, Gulati et Gargiulo (1999) soutiennent plutôt que les réseaux fournissent les informations nécessaires dont requiert la firme lorsque celle-ci désire nouer de nouvelles alliances. Dans cette optique, les réseaux réduiraient l’incertitude, les ambiguïtés et les risques (Nohria et Eccles, 1992). La décomposition de la chaîne de valeur d’un bien, d’un service ou d’une technologie représente 43 également un autre avantage important souligné par cette littérature (Gulati, Nohria et Zaheer, 2000; Porter, 1990) Alors qu’ils se complètent lorsqu’ils abordent les conditions d’émergence des réseaux, Dunning et Castells s’opposent sur les raisons poussant les entreprises à choisir le réseau comme forme d’organisation. Si l’on peut qualifier la vision de Dunning de positive, Castells adopte une approche par la négative vis-à-vis des grandes entreprises. Ce dernier (Castells, 1996) note que l’émergence des réseaux traduit la flexibilité croissante des entreprises. Cette caractéristique n’est pas l’apanage des grandes firmes, mais plutôt des petites et moyennes entreprises. Les capacités de réponse de celles-ci vis-à-vis la nécessité croissante de flexibilité seront donc plus appropriées que celles des FMN. Castells soutient que la grande entreprise intégrée verticalement serait plutôt en crise et qu’elle cèderait peu à peu la place aux réseaux d’entreprises. Dunning n’adopte pas le même point de vue vis-à-vis des capacités d’adaptation des grandes entreprises. En révisant le paradigme éclectique afin d’y intégrer la montée en force des réseaux et les nouvelles formes de relations qu’elles impliquent, Dunning soutient que les grandes entreprises s’adaptent en nouant des alliances stratégiques améliorant la coopération inter-firme (Dunning, 1997b) Dans le cas des FMN en particulier, la décision d’adopter le réseau comme forme d’organisation dépend de certaines variables. Ghoshal et Bartlett (1990) suggèrent que les FMN adoptent le réseau car elles n’auraient pas d’autre choix. Étant encastrées au sein d’un groupe d’entreprises, ces firmes sont intimement liées à ce réseau externe. Andreff (1996) rejoint Ghoshal et Bartlett en soulignant que les réseaux sont à la fois internes et externes aux FMN. En outre, à travers les alliances stratégiques, les réseaux permettent de renforcer la coopération et les relations de travail entre les partenaires. Le réseau peut alors être complémenté par des prises de participation croisées entre les firmes impliquées. Kobrin (1997) note que les réseaux globaux dominant l’économie mondiale actuelle forcent les FMN à nouer des alliances, favorisant ainsi une plus grande collaboration au sein des entreprises. Le caractère oligopolistique des ces industries globales, bien qu’exacerbant la concurrence, facilite également la collaboration. 44 CHAPITRE II LA CO-OPÉTITION DANS LE SCHÉMA NATIONALRÉGIONAL-GLOBAL : VERS UN NOUVEAU CADRE THÉORIQUE La principale question que soulève la revue de littérature du chapitre précédent est la suivante : les théories de la firme, plus particulièrement celles s’attardant sur la concurrence et des réseaux, nous permettent-elles de comprendre les relations que tissent les entreprises à l’échelle nationale, régionale et internationale ? Prise séparément, chacune des théories montre certaines faiblesses. Alors que les théories de la concurrence ne peuvent traiter du développement de projets coopératifs entre des firmes, les théories des réseaux éprouvent de la difficulté à expliquer la nature de plus en plus oligopolistique d’une majorité d’industries internationales. En outre, ces théories n’abordent pas la contribution des États dans la concurrence que se livrent les firmes, bien qu’ils jouent un rôle de plus en plus central dans l’établissement de nouvelles dynamiques concurrentielles. (Deblock, 2002). Ces dynamiques impliquent non seulement une logique compétitive, mais aussi des stratégies de collaboration. C’est dans ce cadre qu’évoluent à la fois les firmes et les États, chacun se positionnant afin de mieux tirer partie des rivalités commerciales et politiques (Stopford et Strange, 1991). La triple relation découlant des activités des firmes et des États est examinée par Stopford et Strange à travers la théorie de la diplomatie triangulaire (Stopford et Strange, 1991). Toutefois, si les auteurs poussent à fond le rôle des États, en analysant les rapports État-État et État-firme, ils n’abordent pas en détail l’apport des entreprises. Il nous apparaît donc nécessaire de faire appel à une approche permettant de combler cette insuffisance en étudiant plus particulièrement les rapports de concurrence et de coopération que développent les firmes. La théorie de la coopétition, en mettant l’accent sur la simultanéité de la concurrence et de la coopération d’une part et en facilitant l’étude de l’ensemble des acteurs influençant 45 les décisions des firmes d’autre part, nous permet d’appréhender la globalisation de l’industrie brassicole mexicaine. Dans les sections suivantes, nous présenterons le cadre théorique sur lequel s’appuie cette étude. Nous exposerons tout d’abord les travaux de Strange, qui nous permettra de mieux saisir les relations entre les acteurs principaux de l’économie politique internationale que sont les États et les entreprises. Ensuite, en nous appuyant sur la théorie de la co-opétition, nous développerons le modèle de la co-opétition applicable à l’industrie brassicole internationale, ainsi que le rôle qu’y jouent les brasseries et les États. Nous développerons par suite la problématique liée à l’évolution de l’industrie brassicole internationale en générale et l’industrie brassicole mexicaine en particulier. Cette problématique nous permettra ainsi de tirer trois propositions centrales, à partir desquelles nous énoncerons notre question de recherche ainsi que la question secondaire. De ces questions, nous tirerons nos hypothèses de travail. 2.1 La co-opétition, le complément de la théorie de la diplomatie triangulaire 2.1.1 La diplomatie triangulaire ou les relations entre les États et les entreprises Selon Strange, l’économie politique internationale, bien que composée d’une multitude de protagonistes, n’en demeure pas moins l’apanage de deux acteurs centraux : les États et les firmes, particulièrement les FMN (Strange, 1970, 1988, 1992, 1996; Stopford et Strange, 1991). Toutefois, Strange remarque que le rôle et l’importance des entreprises sont largement sous-estimés en science politique et en économie politique internationale. Les écrits de Strange s’articulent autour de quatre thèmes majeurs : une vision structurelle de l’économie politique internationale, une attention particulière aux relations de pouvoir entre les diverses autorités composant cette économie politique internationale, le rejet de la théorie des régimes ainsi qu’un scepticisme vis-à-vis un supposé déclin de la puissance des États-Unis. Le premier grand thème de l’œuvre de Strange a trait aux structures : pour qui veut comprendre l’économie politique 46 internationale, il est essentiel de mettre à jour les structures y opérant. C’est à travers le contrôle de ces structures que s’exerce le pouvoir. Traditionnellement, le pouvoir est conçu en termes relationnels.63 À cette conception, Strange propose une approche structurelle.64 Ainsi, le pouvoir s’exerce à travers quatre grandes structures : la structure de sécurité, la structure de production, la structure financière et la structure des savoirs (Strange, 1988).65 Selon Strange, les transformations dans les quatre structures de pouvoir de l’économie politique internationale entraînent des bouleversements importants non seulement au sein des firmes, mais également des États. Ces changements structurels, caractérisés par les progrès technologiques, une plus grande mobilité du capital ainsi que les avancées dans la structure des savoirs, accélèrent l’internationalisation de la production (Strange, 1992). Si les changements structurels provoquent des mutations politiques et économiques, ils entraînent également une hausse de la concurrence entre les États pour les parts de marché internationaux.66 Cette nouvelle concurrence influence non seulement les États, mais également les firmes. L’État, dans l’objectif d’accroître sa compétitivité, est obligé d’entrer en négociation avec les entreprises afin d’attirer les investissements que réalisent celles-ci.67 63 Le pouvoir relationnel est défini comme la capacité de l’acteur A à forcer l’acteur B à entreprendre une action que celui-ci n’aurait pas entreprise autrement (Strange, 1988). 64 Le pouvoir structurel est la capacité d’orienter et de contrôler les structures de l’économie politique globale à l’intérieur de laquelle les institutions politiques, les entreprises et autres acteurs évoluent (Strange, 1988). 65 La structure de sécurité est le cadre créé par une institution afin d’assurer la sécurité des individus; ce cadre est généralement fourni par l’État. La structure de production représente l’ensemble des décisions relatives à ce qui doit être produit, par qui, pour qui, par quelles méthodes et selon quels arrangements. C’est à travers cette structure que se créé la richesse. La structure financière réfère à l’ensemble des accords dictant la disponibilité du crédit ainsi qu’à tous les mécanismes de création et d’échange des monnaies. Cette structure est la plus globalisée des quatre. La dernière structure, celle des savoirs, renvoie à trois niveaux distincts : les croyances, la connaissance (ou la perception de celle-ci), de même que les canaux de transmission des idées, croyances et connaissances. Des quatre structures, cette dernière apparaît comme la plus diffuse et la moins bien comprise, car elle repose à la fois sur la capacité à nier l’accès aux savoirs ou à l’autoriser (Strange, 1988: chapitres 3, 4, 5 et 6). 66 Cette concurrence internationale, combinée à une globalisation de plus en plus poussée de l’économie internationale, exerce également une profonde influence à l’interne puisque les États doivent adapter leurs stratégies économiques nationales afin de faire face aux chocs externes (Stopford, 1993). On retrouve en quelque sorte l’argumentation de Porter sur la relation entre l’international et le national dans la détermination de la compétitivité nationale (Porter, 1990). 67 Strange souligne que la firme, dans cette négociation, se trouverait dans une position avantageuse dans la mesure où elle dispose d’une série de ressources nécessaires à l’État dans sa quête de parts de marché : le contrôle des technologies de pointe, l’accès aux capitaux internationaux et l’accès aux marchés de la Triade (Strange, 1992). 47 Dans cette optique, Stopford et Strange avancent six propositions supportant l’idée d’une interdépendance croissante entre les États et les firmes : 1) Dans les relations économiques internationales contemporaines, les États sont davantage en concurrence pour l’accès aux moyens de création de la richesse sur leur territoire que pour l’augmentation de leur pouvoir sur des territoires additionnels; 2) l’émergence de nouvelles formes de concurrence entre les firmes affecte également la manière dont les États luttent pour l’accès aux richesses; 3) les petits États pauvres font face à des barrières à l’entrée de plus en plus grandes dans les industries soumises aux forces globales de la concurrence internationale ; 4) ces transformations introduisent deux nouvelles facettes à la diplomatie traditionnelle : la diplomatie État-firme et la diplomatie firme-firme ; 5) ces nouvelles dimensions multiplient le nombre d’options possibles pour les États et les firmes ; 6) ces mutations entraînent un accroissement de la volatilité et du rythme de changements des résultats de cette nouvelle diplomatie (Stopford et Strange, 1991: 1-2) À partir du constat de l’impact des changements structurels et des propositions de Strange, deux points doivent être soulevés. D’une part, la pression engendrée par l’impératif de la concurrence apparaît comme la caractéristique fondamentale des relations économiques internationales. Car, non seulement les firmes sont-elles soumises à cette concurrence globale, mais les États doivent également faire face à cette nouvelle dynamique. D’autre part, les États tout comme les firmes font face à l’impératif de la négociation, une négociation permanente dans un contexte d’incertitude. Dans ce contexte, trois forces se conjuguent afin de transformer la conception traditionnelle de la diplomatie. La portée de plus en plus grande des FMN, à travers l’IDE principalement, entraîne des rapprochements toujours plus importants entre les économies les plus avancées, favorisant ainsi une intégration croissante de l’économie internationale. Toutefois, cette importance grandissante des FMN limite la capacité de l’État à contrôler l’économie nationale. Par ailleurs, on assiste à une intensification de la concurrence transfrontalière tant pour les États que pour les firmes. Les stratégies de ces dernières sont influencées par les choix qu’elles effectuent sur les différents marchés où elles sont présentes alors que les États doivent rivaliser d’adresse afin 48 d’attirer les investissements les plus productifs. Finalement, l’émergence d’une civilisation transnationale d’affaires, avec comme centre les États-Unis (en particulier New York, Los Angeles et Chicago), joue le rôle d’agent du changement social et économique (Stopford et Strange, 1991).68 Si on accepte cette prémisse, il s’ensuit que les États doivent non seulement prendre en compte les stratégies des firmes, mais doivent également négocier avec celles-ci, leur compétitivité internationale dépendant en partie de leurs relations avec les grandes entreprises. Ce nouveau type de négociation entre l’État et la firme s’ajoute à la négociation traditionnelle entre les États. À ces deux formes de négociation se mêle une troisième relation, à savoir les rapports entre les firmes afin de gagner des parts de marché internationaux. (Stopford et Strange, 1991; Strange, 1992). La diplomatie triangulaire, découlant de ces trois relations, permet de rendre compte de la complexité de plus en plus grande des relations économiques internationales, car elle intègre à la fois les logiques des États et celles des firmes. Les implications de cette nouvelle configuration pour l’étude des affaires internationales sont doubles : premièrement, les États apparaissent davantage concernés par l’acquisition des moyens de création de richesse que par l’acquisition de nouveaux territoires. Ensuite, les stratégies des firmes exercent une influence fondamentale sur l’économie politique des États, car ceux-ci doivent prendre en considération cette donnée dans l’élaboration de leurs politiques, tant économiques que sectorielles. Ensemble, ces transformations entraînent non seulement des changements qualitatifs dans les relations entre les États et les firmes, mais également une réévaluation de la concurrence et de la coopération. Celles-ci ne sont désormais plus limitées au territoire national, mais revêtent un caractère régional et/ou global (Stopford et Strange, 1991). 68 Les auteurs s’appuient sur le concept de “société transnationale” de Kaiser. Cependant, dans le contexte d’une économie mondiale globalisée, ce concept apparaît trop vaste. Étant donné que le monde des affaires partage des valeurs, des coutumes et tabous communs, le resserrement du concept de société transnationale à un groupe plus restreint comme la civilisation transnationale d’affaires fournit davantage de précision (Stopford et Strange, 1991). 49 2.1.2 La co-opétition : la synthèse de la concurrence et de la coopération Les deux approches théoriques, et encore plus les théories de la concurrence, saisissent difficilement qu’il existe deux stratégies possibles pour les firmes dans leurs relations : coopérer ou se concurrencer. Alors qu’on a longtemps cru que la concurrence constituait le mode de relation par excellence des rapports inter-firmes, il n’en va pas ainsi dans l’environnement des affaires actuel (Nalebuff et Brandenburger, 1996; Jolly, 2001; Culpan, 2002). Comme le souligne Jolly (2001: 2), “dans un espace marqué par le paradigme concurrentiel, la pratique des affaires s’est orientée depuis les années 1980 (…) vers des stratégies de coopération interentreprises.” Afin de mieux saisir ces relations de concurrence et de coopération, il apparaît essentiel de les concevoir dans un rapport de simultanéité et de complémentarité. Le concept de co-opétition (Nalebuff et Brandenburger, 1996 ; Lado, Boyd et Hanlon, 1997 ; Dagnino et Padula, 2002) rendrait ainsi compte de ces dynamiques entre les entreprises, ainsi qu’avec leur environnement en général.69 Se basant sur la théorie des jeux, Nalebuff et Brandenburger soutiennent que les firmes adoptent une multitude de rôles dans leurs activités. Au lieu de se dérouler dans une séquence linéaire, ces rôles se chevauchent simultanément. Les firmes peuvent être à la fois concurrentes et/ou complémenteurs.70 Ces rapports de concurrence et de coopération se déroulent au sein d’un réseau de valeur (value net) où l’on retrouve également les clients et les fournisseurs. 69 Le terme de co-opétition a été forgé par Ray Noorda, ancien président- directeur général (PDG) d’une firme de logiciels, au début des années 1990. Il faudra attendre 1996 pour que le terme soit conceptualisé par Nalebuff et Brandenburger (Co-opétition. A revolutionary mindset that redefines competition and cooperation in the marketplace, New York: Doubleday). 70 Un complémenteur est “tout joueur dont le produit confère une valeur plus grande, aux yeux des clients, au produit de votre entreprise que celle qu’il aurait tout seul”, alors qu’un concurrent est “tout joueur dont le produit fait baisser, aux yeux des clients, la valeur du produit de votre entreprise par rapport à celle qu’il aurait eue autrement” (Nalebuff et Brandenburger, 1996: 20). 50 Figure 2.1 Le réseau de valeur Clients Concurrents Entreprise Complémenteurs Fournisseurs Source : Barry Nalebuff et Brandenburger, Adam, La co-opétition : une révolution dans la manière de jouer concurrence et coopération, Paris : Village mondial, 1996. L’objectif central de l’entreprise se trouvant au centre du réseau n’est pas de maximiser ses gains à tout prix au détriment de ses concurrents et de favoriser systématiquement ses complémenteurs, mais plutôt de tirer avantage de chaque situation, sachant qu’un complémenteur peut devenir concurrent ou, à l’inverse, qu’un concurrent peut devenir complémenteur, afin de créer de la valeur (Nalebuff et Brandenburger, 1996; Dagnino et Padoua, 2002). Bien que l’idée de conjointement collaborer et concurrencer une autre firme puisse paraître paradoxale, la firme choisira cette option car elle adopte un comportement de recherche de rente équilibrée (syncretic rent seeking) (Lado, Boyd et Hanlon, 1997).71 Dans la théorie de la co-opétition, l’État apparaît comme un acteur incontournable (Nalebuff et Brandenburger, 1996). Il remplit deux fonctions distinctes. D’une part, il peut être l’un des joueurs au sein du réseau de valeur. À ce titre, il peut se retrouver 71 “Syncretic rent-seeking behavior describes a firm’s strategic orientation to achieve a dynamic balance (or syncretism) between competitive and cooperative strategies” (Lado, Boyd et Hanlon, 1997: 122). 51 sur n’importe quelle pointe du réseau.72 D’autre part, l’État assure la bonne marche de l’ensemble des réseaux de valeur de l’économie à travers ses fonctions régaliennes. La co-opétition intègre deux logiques d’interaction distinctes (Quintana García et Benavides Velasco, 2002). La première, la concurrence, implique une certaine hostilité envers l’autre ; la seconde, la collaboration, requiert un certain niveau de confiance afin d’atteindre des objectifs communs. La co-opétition entraîne donc de nouvelles formes d’interdépendance stratégiques entre les acteurs, principalement les firmes (Dagnino et Padoua, 2002). Une ultime remarque s’impose toutefois. Si la théorie de la co-opétition s’applique au premier chef à l’activité des firmes, et si quelques études ont cherché à l’appliquer à l’échelle nationale (Dagnino et Padoua, 2002), régionale (Quintana García et Benavides Velasco, 2002) ou internationale (Van de Gevel, 2000; Kretschmer et Muehlfeld, 2004), elle n’a pas encore été appliquée à l’ensemble d’une industrie aux trois niveaux. La théorie de la co-opétition, en s’attardant aux relations que tissent les entreprises, permet de mieux comprendre le rôle et l’influence de celles-ci dans les relations économiques internationales. La prise en compte de cet aspect de l’économie politique internationale facilite ainsi la compréhension des rapports entre les firmes d’une part, et entre les firmes et les États d’autre part. Conceptualisée ainsi, la coopétition représente la pièce manquante d’une des théories les plus importantes en ce qui concerne les relations entre les firmes et les États : la théorie de la diplomatie triangulaire. 2.1.3 La co-opétition dans le triptyque national/régional/global Dans le cadre de leur processus d’internationalisation, les entreprises disposent de deux stratégies à la fois contradictoires et complémentaires faces à leurs concurrentes et aux États : elles peuvent se concurrencer ou collaborer. Le choix de la stratégie à adopter dépendra des objectifs qu’établit la firme vis-à-vis du marché ou de l’État en question. 72 Selon Nalebuff et Brandenburger (1996: 37), l’État, ou plutôt les divers niveaux de pouvoirs publics, représentent l’exemple type du joueur occupant plusieurs positions à la fois dans le réseau de valeur 52 En situation de co-opétition, trois options s’offrent aux firmes : 1) coopérer, puis se concurrencer ; 2) coopérer tout en se concurrençant ; 3) coopérer entre elles, mais être en concurrence avec d’autres firmes (Culpan, 2002). Les firmes choisissent la première option afin de renforcer leurs capacités compétitives et/ou d’accroître la taille du marché ; elles optent pour la deuxième stratégie lorsqu’elles veulent réduire leurs coûts, notamment en R&D ; la troisième option renvoie à la concurrence entre des réseaux d’entreprise, non pas entre des firmes individuelles.73 Le modèle de la co-opétition que nous proposons repose sur la prémisse que les rapports de concurrence et de coopération se déroulent aux trois niveaux d’activité des firmes, le national, le régional et le global. Ainsi donc, il existe un marché mondial de la bière dans lequel interviennent principalement les brasseries (multinationales, nationales, régionales et locales)74, mais également les importateurs, les distributeurs et les États.75 Il existe également un niveau régional. Celui-ci ne constitue pas un marché intégré, mais la densité des rapports qu’y nouent les brasseries implique que nous reconnaissions sa pertinence. En outre, bien que les brasseries multinationales (BMN) désirent développer des stratégies globales, un certain nombre d’entre elles adoptent avant tout une perspective régionale. Au troisième niveau, on retrouve les industries brassicoles nationales. 73 Culpan (2002) souligne que cette option est particulièrement populaire au Japon, alors que les Keiretsu, des conglomérats d’entreprises, assurent la cohésion interne des entreprises membres. Il note que les ressources et les compétences que possède la firme ainsi que les conditions de marché déterminent l’option que retiendra l’entreprise. 74 Bien que nous reconnaissions l’apport des brasseries régionales et locales dans la promotion et l’accès à une plus grande variété de bières, le modèle traite uniquement des brasseries de caractère national ou multinational. À travers leurs stratégies et leur développement, celles-ci jouent un rôle actif dans les relations de concurrence et de coopération internationales que nous étudions ici. 75 Les importateurs et distributeurs ne sont pas directement inclus dans le modèle car, bien que l’on retrouve des importateurs et distributeurs indépendants dans certains marchés, ce sont généralement les brasseries qui remplissent ces fonctions à l’échelle nationale. Ces deux fonctions, l’importation et la distribution sont donc assimilées aux complémenteurs. 53 Figure 2.2 La co-opétition dans l’industrie brassicole internationale Global Région 1 2 3 A F B G C H J G K I 5 1 D 4 E B N L P 6 L Région 2 B P Q U 7 A J L P 8 C G P 9 10 Région 3 Dans le modèle que nous proposons, on remarque l’emboîtement des trois niveaux Dans le modèle que nous proposons, on remarque l’emboîtement des trois niveaux. Le premier niveau, le global, recouvre l’industrie à l’échelle internationale. Toutes les entreprises y sont présentes et la totalité des relations s’y déroulent. Au second niveau, le régional, on note une plus grande densité de la coopération compte tenu des formes que prend celle-ci (licences, accords de co-entreprise ou de distribution, alliances 54 stratégiques) et des impératifs stratégiques des firmes. Le troisième niveau, le national, apparaît comme l’échelon de base de la concurrence inter-firme. À cette échelle, la coopération entre les firmes nationales est plus faible, se situant surtout au niveau du lobbying auprès des autorités gouvernementales. Toutefois, c’est à ce palier qu’on retrouve la coopération entre les BMN et les brasseries nationales. Cette coopération facilite l’accès du marché local à la BMN. Nous remarquons aussi que la concurrence est davantage nationale et globale (les cadres verts), alors que la coopération est à la fois nationale (à travers les licences de production et de distribution) et régionale (au niveau de la distribution et à une moindre mesure la production) (les flèches orangées). Cela signifie que deux firmes peuvent coopérer sur un marché particulier et se concurrencer sur un autre, et ce, dans la même région. C’est dans ce cadre de coopération et de concurrence que s’inscrit l’évolution de l’industrie brassicole internationale, les BMN établissant des réseaux internes (flèches bleues) ou externes (flèches orangées) couvrant la totalité ou la majorité des régions de la planète. Ce que souligne également ce modèle, c’est qu’aucun pays n’échappe à cette tendance co-opétitive. La quasi-totalité des pays se caractérisent par une structure de marché quasi oligopolistique. Les options de pénétration de marché s’offrant aux BMN se limitent à l’investissement de portefeuille (l’achat d’actions de la firme dominante ou d’une concurrente mineure) ou l’exportation de faible niveau de bières sur le marché en question. Dans les cas de l’exportation, la BMN devra collaborer avec l’une des brasseries dominantes sur le marché national si elle désire pénétrer le marché. Par ailleurs, l’importance du niveau national se traduit également par le fait que les résultats et les stratégies qu’adopte une brasserie vis-à-vis un pays influencent et sont influencés par sa position sur d’autres marchés nationaux et sur le marché international. Ainsi la firme décidera-t-elle d’investir sur place, d’exporter ou de s’allier à une brasserie autochtone afin de pénétrer ce marché. En outre, c’est à ce niveau que le rôle et l’impact des États se remarquent avec le plus d’acuité. En effet, c’est à l’échelon national que l’on retrouve une autorité politique établissant les cadres institutionnels dans lesquels évoluent l’industrie. En établissant les règles du jeu, 55 l’État intervient directement sur les rapports concurrentiels et coopératifs à l’œuvre au sein de cette industrie (Rioux, 2000b). 2.2 Problématique 2.2.1 Problématique générale : les BMN, des firmes globales ? Depuis la fin des années 1980 et le début des années 1990, cette industrie se caractérise par un double processus de globalisation et de régionalisation. Alors que la concurrence s’intensifie à l’échelle internationale, les entreprises développent également des réseaux internationaux, favorisant par là leur internationalisation. Les brasseries multinationales, cherchant à accroître leurs parts de marchés internationales ont ainsi transformé cette industrie d’une industrie à dominante nationale en une industrie globale. Ce cas de globalisation industrielle permet à l’analyste d’adopter une approche à la fois générale et particulière. Il nous est donc possible d’étudier le passage d’une industrie nationale à une industrie globale. Par la même occasion, nous pouvons affiner l’analyse en examinant un cas particulier, celui des brasseries mexicaines. Il s’agirait pour les brasseries de se transformer en brasseries globales, produisant et vendant leurs bières dans l’ensemble des régions de la planète, et ce, avec une répartition équilibrée. La fragmentation, qui constituait l’une des principales caractéristiques de l’industrie brassicole internationale, cède donc le pas à la formation de brasseries de plus en plus imposantes, tant en terme de production et de vente que de pénétration de marché (Business Week, 08/09/2003). Cette concentration est provoquée par la globalisation de l’industrie, les barrières traditionnelles à la propriété ou à l’accès aux nouveaux marchés disparaissant graduellement. Toutefois, la globalisation d’une industrie signifie-t-elle une transformation correspondante des firmes ? Cette industrie se caractérise par une double tendance. On assiste d’une part à une concurrence généralisée pour la domination de l’industrie à l’échelle internationale. Cette concurrence prend la forme d’une lutte pour les parts de marché. Cette concurrence globale, résultant de la concentration et des économies d’échelle que 56 réalisent les BMN, entraîne la concentration des entreprises en un nombre toujours plus réduit de brasseries, accentuant ainsi la structure oligopolistique de l’industrie. Cependant, et bien qu’il existe une concurrence globale, les principaux rapports concurrentiels ont surtout lieu sur les marchés nationaux. Cette situation entraîne la nécessité pour les BMN de collaborer avec les brasseries nationales dominant les pays en question afin d’assurer la disponibilité de leurs produits. Cette collaboration/coopération s’effectue généralement à travers des accords de licence, de co-entreprises ou de distribution. Pour les firmes donc, la question est de savoir quelle stratégie adopter lorsqu’il y a transformation des structures du marché international. Dans la mesure où les rapports de concurrence se transposent du niveau national au niveau global, la formation d’une industrie internationale de plus en plus oligopolistique traduisant cette évolution, un choix se pose pour les firmes : ou attendre que les concurrentes agissent et alors la firme se trouve en situation de réaction ; ou pénétrer les marchés de ses concurrentes, soit par exportation ou l’IDE, l’entreprise étant en situation d’action, de leadership. En d’autres mots, avec la globalisation, la firme doit-elle agir ou attendre ? Afin de mieux comprendre la globalisation, et par extension la régionalisation, il faut à la fois se concentrer sur l’analyse macroéconomique et macropolitique du rôle des entreprises et saisir les diverses stratégies à leur disposition, les différentes formes que prend leur internationalisation (Michalet, 1991). Une telle approche doit permettre de resserrer la compréhension des phénomènes d’intégration en replaçant l’activité des firmes au cœur de ces processus. 2.2.2 Problématique de l’industrie brassicole mexicaine Dans un contexte international où les BMN poursuivent inlassablement la consolidation de l’industrie par des fusions-acquisitions et où la concurrence pour les parts de marché internationaux apparaît comme l’élément structurant de l’évolution des principales brasseries internationales, les brasseries mexicaines sont confrontées à deux stratégies internationales possibles. Elles peuvent, d’une part, adopter une stratégie globale où l’objectif serait de concurrencer les principales BMN sur tous les 57 marchés internationaux. Étant donné qu’elles sont comparativement plus petites que les principales BMN et qu’elles disposent de ressources financières moindres, cette stratégie ne semble pas être optimale. Conscientes de cette faiblesse relative, les brasseries mexicaines peuvent, d’autre part, se replier sur le marché régional. Ainsi, leur connaissance du marché américain, de même que la présence d’un bassin de population d’origine mexicaine important garantirait une croissance soutenue de la production et des revenus. Cependant, ce niveau de croissance n’est pas suffisant dans une industrie caractérisée par des économies d’échelle de plus en plus prononcées et des capacités de surproduction en augmentation. Face à ce dilemme entre une stratégie purement globale et une stratégie strictement régionale, les brasseries doivent déterminer quelles formes doit prendre leur internationalisation afin de ne pas se retrouver dans une situation critique : si elles investissent trop dans la globalisation de leurs activités, cela risque d’entraîner des coûts beaucoup plus onéreux que les bénéfices qu’elles peuvent en tirer. Si elles choissent plutôt la seule régionalisation, elles courent le danger de dépendre d’un seul ou deux grands marchés d’exportation, s’exposant aux fluctuations de ceux-ci. Dans cette optique, il s’agit pour les deux brasseries mexicaines d’évaluer le niveau de globalisation et de régionalisation qu’elles désirent afin d’assurer un équilibre entre une présence internationale étendue et la concentration de leurs ressources financières sur le marché nord-américain. 2.3 Questions de recherche et hypothèses 2.3.1 Questions de recherche La globalisation et la régionalisation d’une industrie signifient que les entreprises composant cette industrie coopèrent et se concurrencent simultanément. La stratégie utilisée découlera des objectifs visés par les dirigeants de chaque firme et du marché sur lequel les compagnies désirent être présentes. L’industrie brassicole internationale représente un exemple de cette double dynamique. Le cas de l’industrie brassicole mexicaine en sera l’illustration. 58 La tendance à la concentration dans l’industrie brassicole internationale conduit à une structure oligopolistique de celle-ci. Prenant acte de cette évolution, les dirigeants de l’industrie brassicole mexicaine concluent à la nécessité pour cette dernière de s’internationaliser. Les brasseries mexicaines, conscientes des avantages et des inconvénients d’une internationalisation purement globale ou strictement régionale, adopteront des stratégies d’internationalisation mêlant à la fois la globalisation et la régionalisation, afin de minimiser les risques et de renforcer leur présence sur leurs principaux marchés d’exportation. Étant donné que nous nous proposons d’étudier le rôle des firmes dans les relations économiques internationales, il nous apparaît important de prendre en compte le contexte historique et politique dans lequel celles-ci évoluent. Dans le cas de l’industrie brassicole mexicaine par exemple, cela implique l’analyse des transformations des stratégies des entreprises alors qu’on assiste à un changement de modèle économique au Mexique. Ainsi, nous sommes conduits à replacer le rôle et l’importance de l’État dans le développement international d’une industrie d’un pays en développement. En outre, l’analyse du développement international des brasseries mexicaines nous permet de combiner l’analyse des trois niveaux d’activité des firmes à l’étude de leurs stratégies d’internationalisation. C’est en somme une réflexion sur la nature et les déterminants de la globalisation et de la régionalisation à laquelle nous nous livrerons. Il découle de ce qui précède la question de recherche suivante : Comment l'industrie brassicole mexicaine a-t-elle fait face au triple changement survenu depuis le début des années 80, à savoir l’ouverture de l’économie mexicaine, la globalisation de l’économie internationale et l’intégration de plus en plus poussée de l’économie mexicaine à l’économie américaine ? Telle qu’abordée ici, l’internationalisation s’articule à deux niveaux, la portée et les stratégies de pénétration de marché. Vue sous l’angle de la portée, l’internationalisation se joue sur deux échelons, l’un global et l’autre régional 59 (Sachwald, 1998). Par ailleurs, l’internationalisation renvoie également aux modalités d’entrée sur les marchés étrangers. On reconnaîtra ainsi qu’un certain nombre de stratégies de pénétration des marchés internationaux sont à la disposition des firmes. Toutefois, on note qu’il existe des différences quant au nombre de stratégies possibles.76 Bien que nous nous intéressions ici à l’internationalisation d’une industrie nationale, on ne peut comprendre ce processus sans le replacer dans le cadre plus large des transformations de l’économie mexicaine. En effet, si l’internationalisation de l’industrie brassicole mexicaine prend son essor à partir des années 1980, nous assistons durant la même période à un changement de modèle économique au Mexique, l’intégration à l’économie mondiale constituant l’élément clé de la stratégie des dirigeants mexicains (Macouzet , 1994; Vega Canovas, 1994; Bensabat, 1995; Pastor et Wise, 1996). La nécessité de prendre en compte le rôle de l’État mexicain et les stratégies d’internationalisation des brasseries mexicaines nous conduit à formuler une question complémentaire à la précédente : Les politiques économiques impulsées par l’État, tant à l’interne qu’à l’échelle internationale, ont-elles exercé une influence prépondérante sur l’internationalisation de l’industrie brassicole mexicaine ? Ensemble, ces questions nous forcent à nous interroger sur la nature de la concurrence entre les brasseries et les fondements de la coopération interentreprises. Elles nous permettent également de replacer le processus d’internationalisation d’une industrie nationale dans un contexte plus large : celui de la de transformation de l’économie d’un pays en développement. 76 Ainsi, Richelieu (2002) considère qu’il existe quatre modes d’entrée sur un marché étranger : l’exportation, la cession de licence, les joint-ventures et les IDE ; Hill (2001) reconnaît ces modalités d’entrées, mais ajoute également la franchise et les projets clé-en-main. Culpan (2002), décrivant l’environnement contemporain des FMN, rassemble les modes d’entrée selon deux types, les alliances financières et non financières. L’exportation apparaît donc comme une stratégie obsolète. 60 2.3.2 Hypothèses Avant la crise financière de 1982, les dirigeants de l’industrie brassicole mexicaine ne considéraient pas l’internationalisation comme une priorité pour leurs firmes, se concentrant sur la concurrence interne et l’augmentation des parts de marché au Mexique. Cependant, les difficultés financières résultant de la crise oblige les brasseries mexicaines à rechercher de nouvelles sources de revenus afin de faire face à leurs dettes (Expansión, 21/12/1983). Cette situation touche non seulement l’industrie brassicole mexicaine, mais plus généralement, l’économie et l’État mexicains. La solution, tant pour l’État mexicain que les brasseries nationales, passe par l’internationalisation. Dans le cas de l’État, cela se traduit par l’ouverture unilatérale et l’intégration progressive à l’économie mondiale et culmine avec l’ALENA. Bien que l’on assiste à la globalisation de l’industrie brassicole internationale, ce processus est relativement tardif comparativement à d’autres industries (Business Week, 08/09/2003). La nature du produit, la bière, a passablement retardé ce mouvement. Alors que certaines brasseries se sont internationalisées très tôt, c’est le cas notamment de Heineken et Guinness, la bière est longtemps demeurée un produit local (limitée à la ville, à la région ou au pays). Les bières importées étaient soit absentes ou faiblement présentes. Avec la globalisation de l’industrie, on assiste à une certaine standardisation des goûts des consommateurs (Segal-Horn, 2002). Dans le cas de la bière, cela signifie la popularité de plus en plus grandissante des bières de type lager, au détriment d’autres bières confinées à des niches spécialisées. L’une des conséquences les plus importantes de ces développements concerne l’apparition de marques globales, connues et présentes sur la quasi-totalité des marchés de la planète. Au-delà du discours de ses dirigeants voulant que la globalisation représente le facteur déterminant dans leur décision de s’internationaliser (Abasolo, 14/05/02; Diez Morodo, 01/03; Astaburuaga Senjines, 23/06/2004), l’industrie brassicole mexicaine développe à la fois une stratégie régionale et une stratégie globale. Étant donné que son principal marché d’exportation se situe aux États-Unis, la proximité géographique joue un rôle fondamental. En outre, la présence d’une forte minorité latino-américaine aux États-Unis fournit aux brasseries latino-américaines un marché potentiel difficilement reproductible ailleurs dans le monde (Beverage Aisle, 15/04/2004). Cela 61 s’avère particulièrement favorable pour les brasseries mexicaines puisque les Mexicains d’origine constituent le plus important sous-groupe de latino-américains et qu’il existe une grande familiarité aux bières mexicaines (BW, 01/02/1996). D’après ce qui précède, et en prolongement des deux questions que nous posions précédemment, nous émettons les trois hypothèses suivantes, en lien avec la problématique développée plus haut : H.1 : La globalisation, ainsi que la concurrence internationale qu’elle a entraînée, auraient transformé la firme multinationale en une firme globale. Celle-ci privilégierait une stratégie et une organisation globales, étendant ses activités à tous les marchés. H.2 : Les transformations de l’économie internationale obligent les firmes à la fois à se concurrencer et à coopérer. La co-opétion résultant de cette dynamique conduit les entreprises à développer leurs activités à trois niveaux : national, régional et global. H.3 : L’État mexicain, dans le modèle de la diplomatie commerciale et triangulaire, aurait joué un rôle central dans l’internationalisation des brasseries mexicaines. En facilitant la mise en place d’un cadre favorable à la concurrence régionale et globale, il aurait contribué à l’intégration du Mexique à l’économie internationale et permis aux brasseries mexicaines d’assurer leur présence sur les marchés mondiaux. 2.4 Variables, périodicité et méthode Si la question centrale de la thèse concerne les déterminants de l’internationalisation d’une industrie nationale, la seconde interrogation d’importance traitée dans le cadre de cette recherche a trait à la relation entre les trois niveaux d’activité de la firme (national, régional et global), ainsi que des interactions et l’influence respective de chacun sur les autres et sur les stratégies respectives des firmes (par exemple comment le niveau global obligea les brasseries mexicaines à adopter des stratégies globales). Dans la mesure où la concurrence et la coopération constituent les deux facettes les plus importantes de l’industrie brassicole internationale en général et de l’industrie brassicole mexicaine en particulier, les variables guidant notre recherche doivent refléter cette double dynamique. 62 2.4.1 Variables Le développement international de l’industrie brassicole mexicaine implique l’étude du processus d’internationalisation ainsi que des rapports qu’entretiennent les brasseries mexicaines avec les BMN et autres acteurs intervenant dans l’industrie. Afin d’élucider l’internationalisation des brasseries mexicaines, nous l’aborderons selon les stratégies de pénétration de marché à la disposition de Grupo Modelo et de CCM. Nous avons mentionné qu’au moins quatre modalités d’internationalisation pouvaient être retenues par les firmes : l’exportation77, l’IDE, la cession de licence et les co-entreprises. Dans l’étude de l’internationalisation, nous nous concentrerons ici sur l’IDE et les exportations. À ces deux critères, nous joignons la structure internationale des brasseries. Ainsi, un accroissement ou une réduction au niveau d’un ou plusieurs de ces éléments traduirait une progression ou une réduction de l’internationalisation des brasseries mexicaines. Par ailleurs, nous avons souligné que l’internationalisation devait également se concevoir au niveau de sa portée. Si nous admettons que cette portée est double, régionale et globale, les critères d’analyse doivent refléter cette dualité. Les stratégies de concurrences et de coopération des BMN et des brasseries mexicaines nous aideront à mieux comprendre cette évolution. En matière de concurrence, nous retiendrons les critères suivants : l’évolution des parts de marché national et international), le degré de concentration de la production et des ventes des principales BMN ainsi que l’évolution des fusions/acquisitions. En ce qui concerne les critères de coopération, nous privilégierons les accords interentreprises (licence et distribution), les alliances stratégiques et les co-entreprises. Ces critères nous permettront ainsi de tracer le développement des réseaux au sein de l’industrie brassicole internationale. Si la description de ces stratégies constitue une partie importante de l’analyse, elle ne nous permettra pas de conclure à une régionalisation et/ou globalisation de l’industrie brassicole mexicaine. À l’analyse qualitative, nous devons donc joindre des mesures quantitatives afin de juger de la progression de la concurrence et de la coopération sur 77 Dans le cas des exportations, nous nous référons au ratio exportations/production totale. 63 les deux échelles retenues (régionale et globale). Le tableau suivant présente les diverses options à la disposition des firmes dans leur processus d’internationalisation. Tableau 2.1 Indicateurs d’internationalisation dans l’industrie brassicole internationale Internationalisation Concurrence Coopération Structure internationale : - brasseries implantées à l’étranger - bureaux à l’étranger IDE Parts de marché - progression des parts de marché des BMN Réseau interne de l’entreprise Licence de production Concentration de la production - achat de brasseries étrangères Concentration des ventes - pourcentage des ventes mondiales des dix premières brasseries Fusions/acquisitions -progression/ régression des fusions/acquisitions Co-entreprises Alliances stratégiques Exportations Exportations/ventes nationales - évolution des ratios entre exportations et ventes nationales Accords de distribution Alliances stratégiques Multiplication des alliances stratégiques Afin de déterminer le niveau d’internationalisation des brasseries mexicaines, à savoir la prééminence de la régionalisation ou de la globalisation, nous nous référerons aux critères énoncés par Rugman et Verbeke (2004). La principale variable retenue sera donc le niveau des ventes de la firme dans les trois régions de la Triade. Rappelons qu’une firme est globale lorsqu’elle a des ventes de plus de 20% dans les trois pointes de la Triade, mais qu’aucune région ne concentre plus de 50% des ventes. Ainsi, audelà du discours des dirigeants et des stratégies d’entreprises, le niveau des ventes à l’étranger nous informe sur la prépondérance d’une région particulière ou d’une projection globale de la firme. Cependant, et bien que les ventes dans la Triade représentent un bon indicateur d’internationalisation des firmes, elle n’est pas entièrement satisfaisante. En ne prenant pas en compte les aspects stratégique et productif, deux éléments clés dans le développement international de la firme, cette variable présente une certaine faiblesse. 64 La composante stratégique nous paraît particulièrement importante. Harzing a caractérisé la firme globale comme une entreprise cherchant principalement à profiter des économies d’échelle en standardisant la production (Harzing, 2000). L’industrie brassicole se dépeint comme une industrie où les économies d’échelle représentent un avantage compétitif important. Si une brasserie internationale met en place des stratégies, soit de concurrence ou de collaboration, visant à maximiser ses économies d’échelle, et ce dans l’ensemble des régions de la planète, cela contribue positivement à la qualifier de firme globale. 2.4.2 Période étudiée L’industrie brassicole mexicaine est plus que centenaire, sa véritable naissance datant des années 1860. Bien que nous accordions une certaine importance à son développement historique, la période qui nous intéresse particulièrement ici sera de 1982 à 2004. En effet, le développement de l’industrie durant le XXè siècle s’est caractérisé par une croissance continue. La protection qu’accorda l’État à travers l’ISI avait soustrait l’industrie à la concurrence internationale. De plus, malgré les crises financières périodiques qu’a connu le pays, la croissance économique continue de la période d’après-guerre a favorisé la concentration des entreprises, les trois principales brasseries bénéficiant d’un contrôle de plus en plus poussé de l’industrie. La crise de 1982 marque un tournant pour l’industrie et une rupture avec le modèle antérieur. Les difficultés financières que connaît l’État mexicain se répercutent directement sur les brasseries. Deux des trois brasseries s’étaient fortement endettées auprès des banques étrangères afin de poursuivre leurs programmes d’expansion. La dévaluation décrétée par le gouvernement provoqua l’explosion de la dette de ces brasseries, les conduisant au bord de la faillite. La crise financière de 1982 constitue également un élément central dans la compréhension de l’évolution de l’industrie brassicole mexicaine depuis le début des années 1980, tant au niveau national qu’à l’échelle internationale. Elle entraîna la restructuration de l’industrie à l’échelle nationale. On assistera ainsi au déclin relatif de Cuauhtémoc, à la disparition de Moctezuma en tant qu’entreprise indépendante et à la domination graduelle de Modelo. Par ailleurs, à l’échelle internationale, les 65 brasseries mexicaines constatèrent qu’elles ne pouvaient se fier uniquement sur le marché intérieur afin de garantir leurs revenus et les profits concordants. Si elles voulaient maintenir les mêmes niveaux de production et de ventes, cela passait par l’exportation à l’étranger. Les marchés étrangers, surtout les États-Unis, deviennent ainsi un élément majeur de la stratégie des brasseurs mexicains. D’une certaine façon, on peut avancer l’hypothèse que la crise de 1982 et les réponses qu’y apporteront les brasseries marquent la naissance de l’industrie brassicole mexicaine contemporaine. En effet, à partir de 1985 s’amorce le processus d’ouverture économique du Mexique de même que la fusion entre Cuauhtémoc et Moctezuma, ce qui conduira à la duopolisation de l’industrie. La fusion sera complétée en 1988 avec la naissance de FEMSA-Cerveza. 2.4.3 Méthodologie et éléments de recherche Cette recherche procède à la fois sur un plan théorique et factuel. Au niveau théorique, il s’agira d’aller au fond des théories de la firme et des réseaux. En soulignant les faiblesses et les apports de ces théories, nous sommes mieux en mesure de développer le modèle de la co-opétition dans l’industrie brassicole internationale et la place qu’y occupe l’industrie brassicole mexicaine. Au niveau factuel, une utilisation rigoureuse des données devrait nous permettre de mettre en lumière l’organisation de l’industrie brassicole tant au niveau national qu’aux niveaux régional et global. Nous nous appuierons donc à la fois sur des entrevues avec des dirigeants de l’industrie brassicole mexicaine, ainsi que sur la consultation des rapports des compagnies étudiées. Cette recherche adopte la méthode de l’étude de cas. Une telle méthode permet au chercheur de répondre aux questions du pourquoi et du comment d’une série d’événements. En mettant en relation ces événements dans un contexte contemporain, et dans la mesure où des entrevues avec certains des individus ayant joué un rôle important peuvent être réalisées, l’étude de cas facilite le dépassement de la littérature existante et permet d’accéder à une compréhension particulière (Yin, 1994). En outre, elle permet également de confronter les hypothèses au réel (Nalebuff et Brandenburger, 1996). En ce sens, l’étude de cas peut être caractérisée comme 66 l’histoire d’un phénomène passé ou actuel résultant de plusieurs sources (LeonardBarton, 1995). Toutefois, il existe des limites à l’utilisation d’un seul cas : l’impossibilité de généraliser et les biais découlant du particularisme du cas retenu (Leonard-Barton, 1995: 41). Afin de dépasser ces limites, l’utilisation de plusieurs cas accroît la validité externe et prévient des biais du chercheur (Oliveira Vera-Cruz, 2000). Les critères de sélection de cas étudiés se sont basés sur le principe de duplication littérale (Yin, 1994) et la richesse d’information disponible (Patton, 1990 ).78 Dans le cas présent, l’étude d’une seule brasserie mexicaine ne fournit pas une somme d’informations suffisamment riche afin d’y appliquer le principe de duplication littérale. Une pluralité de cas limite les erreurs et accroît les possibilités de généralisation de nos hypothèses. Il nous paraît également intéressant de nous référer aux travaux et propositions méthodologiques de Strange (1982, 1996), pour qui l'économie politique internationale doit développer ses propres outils d’analyse, d’où la nécessité d’intégrer les aspects politique et économique du système international. Dans cette optique, la méthode de l'économie politique internationale s’articulerait en cinq propositions : l’identification des réseaux complexes d’autorités entrecroisées à l’œuvre ; la mise en évidence des accords qu’ont passés entre elles ces autorités et les conséquences de ces coopérations ; la révélation des valeurs prioritaires de ces autorités (prospérité et richesse; justice et équité; sécurité, ordre et stabilité; liberté et autonomie de décision) et comment elles se répartissent, qui gagne quoi, qui perd quoi ? ; l’identification des points de fragilité des accords en cours; finalement, la mise en évidence des accords alternatifs possibles (Strange, 1996; Chavagneux, 1998). Ces cinq propositions doivent permettre à l’analyste d’opérationnaliser ses recherches selon trois méthodes distinctes : la méthode sectorielle : l’organisation des travaux sur la base des marchés étudiés (pétrole, charbon, agroalimentaire, etc.) ; 78 Pour Yin (1994), les raisons conduisant au choix d’une étude de cas multiple en sciences sociales sont identiques aux sciences dites dures. Les cas doivent être reproductibles, i.e qu’ils permettent de la prédictibilité, ou ils doivent produire des résultats distincts, mais théoriquement prévisibles. Quant à Patton, il souligne que le choix des cas à étudier doit reposer sur la richesse des informations que chacun peut fournir afin de renforcer l’assise théorique de la recherche. 67 la méthode institutionnelle : l’étude des interventions d’institutions nationales, internationales, d’associations, de fondations, etc. sur la scène internationale ; la méthode “fonctionnaliste”: l’analyse des diverses fonctions d’autorité dans une économie politique questionne les sources et les effets de ces fonctions d’autorité. Nous privilégierons ici l’approche sectorielle.79 Dans la mesure où elle prend en compte à la fois les aspects politiques et économiques du secteur étudié, cette approche possède quatre grands avantages : elle permet de faire ressortir les asymétries structurelles dans les différentes étapes de la négociation entre des acteurs de taille différente80 ; elle met en évidence l’importance du facteur technologique81 ; elle montre comment l’équilibre des pouvoirs entre les divers acteurs est affecté par l’état du marché ou du secteur ; finalement, d’un point de vue académique, une telle approche facilite l’accumulation des données, et par extension, de la connaissance (Strange, 1976). Puisque nous étudierons un marché en particulier, celui de la bière, la méthode sectorielle paraît toute indiquée. Toutefois, et contrairement à Strange, l’objet de notre recherche ne portera pas sur le marché international de la bière, mais plutôt sur l’industrie brassicole mexicaine à partir d’une triple perspective, à savoir nationale, régionale et internationale. Concrètement, la combinaison des cinq niveaux proposés par Strange ainsi que de la méthode sectorielle nous permettra d’atteindre les objectifs de recherches suivants : premièrement, l’identification des acteurs impliqués dans le processus d’internationalisation de l’industrie brassicole mexicaine (les brasseries mexicaines et internationales ainsi que l’État mexicain), de même que les objectifs poursuivis par chacun d’entre eux. Afin de cerner ces objectifs, nous devrons mettre en lumière les liens existant entre ces acteurs, que ce soit en terme de coopération ou de conflit. Par exemple, quels sont les points d’accord entre les brasseries et l’État en matière de 79 Pour Strange, toute approche d’économie politique internationale prétendant utiliser la méthode sectorielle doit se poser trois questions : où se localise et comment se distribue le pouvoir sur les processus économiques ? Quelle est la nature politique des interventions des autorités en place dans ces processus économiques ? Finalement, quelles sont les conséquences à long terme de ces interventions sur le marché ou secteur économique étudié ? (Strange, 1976) 80 En outre, elle permet de souligner l’impact de la réglementation nationale sur les FMN dans les différents marchés mondiaux. 81 Des changements dans l’accès et/ou la possession de technologies novatrices entraînent des mutations dans la localisation et la distribution du pouvoir au sein du secteur. 68 concurrence, de protection du marché vis-à-vis des BMN, de fardeau fiscal ? Quelles sont les demandes des brasseries mexicaines et quelles sont les réponses de l’État ? Ainsi, dans le cas de l’industrie brassicole mexicaine, il y aurait quatre niveaux à l’œuvre : 1er niveau : l’industrie brassicole mexicaine elle-même, i.e CCM, Grupo Modelo et l’association nationale des producteurs de bière (ANAFACER); 2è niveau : la relation entre les brasseries et l’État mexicain, car l'industrie brassicole mexicaine se trouve dans un processus de négociations perpétuelles avec l’État mexicain (surtout sur la question de la fiscalité) ; 3è niveau : Le marché nord-américain de la bière, car il représente le principal point d’attention des dirigeants de l’industrie à l’extérieur du Mexique. C’est à ce niveau qu’est principalement déterminée la stratégie des brasseries mexicaines à l’échelle internationale ; 4è niveau : le marché mondial, car 1) on assiste depuis le milieu des années 1980 à un mouvement de concentration à l’échelle planétaire des brasseries, et 2) les brasseries mexicaines sont présentes sur la plupart des marchés nationaux de la planète et qu’elles ont chacune adopté une stratégie internationale en fonction du marché mondial. Trois phases ont marqué cette recherche. Dans un premier temps, il s’agissait pour nous de procéder à une recension de la littérature disponible, principalement au niveau théorique. Cette phase devait permettre de construire les assises théoriques de l’étude. Par la suite, un séjour au Mexique s’est imposé. L’objectif consistait à effectuer une première approche de l’industrie à travers des acteurs périphériques (chercheurs, analystes de l’industrie et des personnes ayant œuvré de manière ponctuelle auprès des brasseries). Cette deuxième étape a facilité la compréhension de l’environnement politique, économique et social dans lequel l’industrie s’est développée au cours des dernières décennies. La troisième phase de notre démarche consistait en des allersretours entre, d’une part, la littérature spécialisée sur les questions brassicoles, et d’autre part, des entrevues avec des dirigeants de l’industrie. Cette méthode nous permettait d’étudier l’évolution historique et stratégique des brasseries mexicaines à la fois de l’intérieur et de l’extérieur des firmes. Elle nous permettait également de comparer et de valider l’information recueillie provenant de diverses sources. 69 DEUXIÈME PARTIE L’ENVIRONNEMENT INSTITUTIONNEL 70 CHAPITRE III L’ÉTAT ET L’INDUSTRIE BRASSICOLE MEXICAINE L’analyse économique fait généralement abstraction de l’État lorsqu’elle aborde les stratégies et le développement des firmes. Toutefois, on observe une préoccupation de plus en plus importante envers la variable étatique dans la performance des firmes. L’intervention de l’État se justifie alors par la nécessité de pallier les imperfections de marché, d’altérer la structure distributive des revenus et de la richesse ou de favoriser la compétitivité des firmes nationales (Porter, 1986; Dunning, 1997b; Lipsey, 1997). Cependant, cette intervention entraîne des coûts à la fois directs et indirects sur l’économie nationale. Par ailleurs, l’influence de l’État, surtout dans les pays en développement (PED), sur les industries nationales, est transformée par trois événements : la réémergence de l’économie de marché comme mode d’organisation socio-institutionnelle dominante, la montée de nouvelles puissances économiques ainsi que la globalisation de la production et des marchés (Dunning, 1997b). Dans l’économie de marché, l’État remplit deux fonctions : l’une, systémique et l’autre opérationnelle. En tant qu’élément systémique, l’État apparaît comme un initiateur et un gestionnaire du système économique ainsi que le juge ultime des disputes émanant de ce système. En tant qu’unité opérationnelle, l’État devient une entité organisationnelle participant et opérant au sein du système (Dunning, 1997b: 3). Appliqués à la théorie de la co-opétion, il s’agit de se demander comment transposer les aspects systémiques et opérationnels de l’État au sein du réseau de valeur des entreprises. La fonction systémique, elle, s’assimile au rôle de gardien de l’ordre, d’initiateur des lois et de l’élaboration des politiques macroéconomiques. Quant à la fonction opérationnelle, elle concernerait les interventions directes de l’État en tant que client, fournisseur, complémenteur ou concurrent. Dans le premier cas, l’État se retrouverait à l’extérieur du réseau de valeur, alors que dans le second, il se situerait sur le réseau de valeur. 71 Dans le cas de cette étude, nous nous questionnerons, au cours de ce chapitre, sur l’existence de cette double influence de l’État sur le réseau de valeur des brasseries mexicaines. Nous analyserons donc l’État en tant que joueur dans le réseau, mais également en tant qu’organisateur de celui-ci. A travers l’étude de la transformation de l’État mexicain à partir de la crise de 1982, nous montrerons que c’est principalement la fonction systémique de ce nouvel État qui influence le réseau de valeur. Pendant la majeure partie du XXe siècle, l’économie mexicaine est dirigée par l’État central. Sous l’impulsion du modèle de substitution aux importations, l’État constitue le moteur du développement économique de la nation. La période de forte croissance des années 1970, alors que les taux de croissance annuels surpassent régulièrement les 7% et que le boom pétrolier favorise l’essor d’un secteur industriel en pleine expansion, permet de croire que le Mexique pourra se trouver bientôt dans le “club” des pays développés. Au tournant des années 1980, cependant, ce modèle économique s’essouffle rapidement avant d’entrer dans une crise profonde dont les éléments les plus spectaculaires sont la suspension des paiements de la dette en août 1982 et la nationalisation des banques quelques semaines plus tard. Prenant acte de la crise, le gouvernement de la Madrid abandonne le modèle de substitution aux importations et initie l’intégration de l’économie mexicaine à l’économie mondiale. Ce processus s’amorce à partir de 1985. La libéralisation qui s’ensuit est d’une très grande rapidité ; l’arrivée au pouvoir de Carlos Salinas de Gortari accélère davantage la mutation économique. Celle-ci culmine par l’annonce de l’ouverture de négociations en vue d’un accord de libre-échange avec les ÉtatsUnis en juin 1990. Cet accord doit permettre à l’économie mexicaine d’accélérer sa modernisation tout en bénéficiant d’un accès privilégié au plus grand marché du monde. Il en résulte une transformation de la relation entre l’État et le secteur privé, sévèrement affectée par la nationalisation bancaire. La réforme du système économique entraîne également une évolution du secteur privé mexicain, confronté à une concurrence de plus en plus globale. 72 Outre cet impact indirect, la mutation de l’État entraîne certaines conséquences plus directes sur l’industrie brassicole mexicaine. Cela se reflète tant par la législation, notamment le régime fiscal auquel sont soumises les brasseries que par les programmes que met en place le gouvernement fédéral lors des crises économiques. La plus importante de ces mesures étant le FICORCA. Par ailleurs, l’articulation des réformes internes, avec l’espace international, passe par la négociation d’un traité de libre-échange nord-américain devant assurer aux entreprises mexicaines un accès sécuritaire au marché américain. En somme, l’État mexicain joue un rôle mineur dans le développement du réseau de valeur global des brasseries mexicaines. Bien qu’il exerce une certaine autorité sur celles-ci, cette influence demeure avant tout indirecte. L’impact de l’État provient des politiques macro-organisationnelles qu’il adopte.82 La politique de la concurrence, promulguée en 1993, apparaît comme l’une des principales contributions de l’État mexicain. Par contre, deux États étrangers, les États-Unis et le Brésil, participent à la transformation du réseau de valeur international des brasseries mexicaines dans la période 1982-2004. 3.1 L’État mexicain : l’influence indirecte Jusqu’à la crise de 1982, l’État mexicain joue un rôle d’encadrement dans le développement des industries mexicaines en les protégeant de la concurrence extérieure. Alors que le Mexique subit une crise économique et financière à partir de 1982, le gouvernement se voit forcé d’adopter des réformes en profondeur. Les déséquilibres macro-économiques mis en lumière par la crise conduisent le gouvernement mexicain à élaborer une nouvelle politique économique, dont les principaux traits seront la préoccupation constance face à l’inflation et la libéralisation de l’économie nationale, jusque-là fermée à la concurrence externe. Ce revirement de la politique économique de l’État touche indirectement l’industrie brassicole mexicaine. 82 Les politiques macro-organisationnelles sont des politiques articulées afin d’influencer la structure de l’activité économique, au lieu du niveau d’activité, sur son territoire. Les politiques de la concurrence, technologique, industrielle représentent trois des principales politiques macro-organisationnelles à la disposition des États (Dunning, 1997b). 73 3.1.1 La consolidation de l’ouverture du Mexique L’ouverture graduelle du Mexique à partir de la seconde moitié des années 1980, puis sa consolidation par la négociation et la signature de l’ALENA résultent des pressions extérieures et les dynamiques internes qui s’unissent pour réduire l’influence de certains groupes de pression protectionnistes dans l’élaboration de la politique commerciale du pays et favoriser l’émergence de nouveaux groupes. Parmi ces facteurs, notons la crise de la dette de 1982 et la nécessité de négocier avec les banques et organisations internationales les conditions de son remboursement ; l’impossibilité de plus en plus grandissante pour le gouvernement de diriger l’économie comme par le passé ; l’importance croissante des groupes pro-exportation et l’augmentation du commerce intra-firme.83 Les dirigeants mexicains, à partir de 1985, prennent alors une série de mesures destinées à ouvrir l’économie nationale et ainsi abandonner le modèle de substitutions aux importations. L’État élimine certaines subventions directes, abandonne graduellement la politique industrielle basée sur le contrôle des prix, des licences et des quotas d’importation. Entre mai 1986 et octobre 1988, le gouvernement réduit les tarifs sur plusieurs produits (le tarif le plus élevé passant de 100% à 50%) ; élimine les quotas d’importation sur certains biens intermédiaires et de consommation ; annule les fonds de financement des exportations, amorce la privatisation de certaines entreprises publiques et parapubliques84 ; réduit les dépenses publiques de plus de 40% comparativement à 1981 ; modernise l’appareil administratif ; finalement, ouvre la participation étrangère dans certaines industries jusqu’à 100% (dans la mesure où de nouvelles technologies sont introduites) (Bensabat, 1995). Outre ces mesures, le Mexique accède au GATT en 1986 et adopte une politique économique hétérodoxe incluant l’austérité fiscale et une politique monétaire de rigueur afin de réduire l’inflation et montrer le sérieux du gouvernement (Pastor et Wise, 1996). L’adhésion au GATT constitue avant tout un signal symbolique et 83 Pastor et Wise soulignent qu’entre 1970 et 1990, le commerce intra-firme est passé de 30 à 51,3%. Voir Pastor et Wise (1996). 84 Des 1155 entreprises publiques et parapubliques, 261 font l’objet de mesures de privatisation (Bensabat, 1995). 74 psychologique vers l’extérieur puisque les principales sources de devises étrangères du Mexique (le pétrole, l’industrie maquiladora, le tourisme et les travailleurs saisonniers) ne sont pas touchées par cet accord (Bensabat, 1995). L’arrivée au pouvoir de Carlos Salinas de Gortari accélère le processus d’ouverture de l’économie mexicaine. Tout en poursuivant l’œuvre de libéralisation de son prédécesseur, le gouvernement Salinas propose un plan de modernisation, le Programme national de modernisation industrielle et de commerce extérieur (199094). Ce programme compte quatre objectifs : favoriser le développement de l’industrie nationale en renforçant les secteurs exportateurs ; promouvoir les intérêts commerciaux du Mexique sur la scène internationale ; favoriser un développement industriel plus équilibré ; créer des emplois de plus grande qualité tout en accroissant le bien-être des consommateurs (Luna, 1994). Afin de compléter ce programme, l’administration Salinas lance l’année suivante le Programme de modernisation et de développement de la micro, petite et moyenne industrie (1991-94) dont on peut mentionner ici quelques-uns des objectifs : renforcer la présence de ces industries sur les marchés interne et d’exportation ; élever leur niveau technologique ; simplifier les procédures administratives ; accroître l’efficacité de ces industries afin de faire face à la nouvelle concurrence qui ne manquera pas d’apparaître suite au libre-échange avec le Canada et les États-Unis (Luna, 1994). À ces mesures internes s’ajoute la décision de Salinas de Gortari de proposer un accord de libre-échange aux États-Unis en juin 1990, auquel s’ajoutera le Canada quelques mois plus tard. La proposition d’un accord de libre-échange peut être vue comme la volonté politique de l’État mexicain de construire une politique économique extérieure qui serait congruente avec la stratégie interne développée depuis 1985 (Macouzet, 1994). Bien que l’administration Salinas passe sous silence l’idée d’un accord commercial avec les États-Unis durant la première année de son mandat, ce projet demeure tout de même à l’esprit. En fait, la proposition de juin 1990 représente le dernier pas d’un processus ayant débuté en octobre 1989 lors de la visite de Salinas de Gortari au président George H. Bush. Lors de cette rencontre, les deux parties s’entendent pour initier des discussions portant sur la facilitation du commerce et des investissements (Trade and Investment Facilitation Talks, TIFTS) (Bensabat, 1995). 75 Ces discussions conduisent à plusieurs accords sectoriels, notamment en matière de facilitation du tourisme ou de libéralisation de l’industrie de l’acier (Bensabat, 1995). Selon les autorités mexicaines, la perspective d’un accord de libre-échange avec les États-Unis fournit non seulement les conditions nécessaires à la poursuite du programme de modernisation amorcé en 1985, mais assure la permanence des réformes. L’objectif du gouvernement mexicain est triple : assurer et accroître l’accès des exportations mexicaines au marché américain ; créer un climat d’affaires plus ouvert et sécuritaire afin de réduire les incertitudes auxquelles sont confrontées les exportateurs et investisseurs des deux pays ; favoriser une augmentation de l’efficacité et de la productivité du secteur manufacturier mexicain (Vega Canovas, 1994). Afin de montrer son sérieux, l’administration Salinas de Gortari poursuit la réduction des tarifs douaniers durant les années 1990 : alors que 19% des produits entrant au Mexique sont exemptés de droits de douane les autres 81% sont soumis à des tarifs variant de 5% à 20%, une nette diminution par rapport aux tarifs du début des années 1980 (Bensabat, 1995). L’ouverture vers les États-Unis et la négociation d’un accord de libre-échange avec son plus important partenaire commercial montre également que les dirigeants mexicains abandonnent définitivement les positions idéologiques des périodes précédentes. Le pragmatisme devient ainsi le mot d’ordre ; l’objectif primordial est d’obtenir des résultats concrets qui bénéficient au pays. Ainsi, dans les discours officiels, Salinas de Gortari ne cesse de répéter que l’ouverture vers l’extérieur, loin de remettre en question la souveraineté du Mexique, renforce celle-ci puisqu’elle favorise le développement de l’économie nationale (Macouzet, 1994). Le même type d’argumentation est articulé dans le débat entourant l’ALENA : l’accent est mis sur les bénéfices que ne manquera d’apporter l’accord (augmentation de l’investissement étranger au pays, amélioration des relations avec le voisin du Nord, etc.) alors que les coûts d’une telle intégration sont minimisés. Ainsi, l’extérieur, principalement les États-Unis, au lieu d’être considéré comme une menace, devient une opportunité dont doit profiter le Mexique (Macouzet, 1994). 76 L’ALENA ne doit pas seulement être considéré comme la concrétisation de l’ouverture du Mexique, mais doit aussi être vu comme un élément clé dans la transformation des rapports entre l'État et le secteur privé. 3.1.2 Les nouveaux rapports entre le secteur privé et l’État L’un des aspects les plus importants de la politique économique de de la Madrid, que développe plus à fond Salinas de Gortari, est le retour de la collaboration entre le gouvernement et le secteur privé, relation qui avait subi un dur coup suite à la nationalisation des banques en 1982. La transformation des rapports entre l’État et le secteur privé constitue donc l’un des principaux éléments du projet modernisateur du gouvernement Salinas.85 Toutefois, la main que tend le gouvernement mexicain au secteur privé à partir du milieu des années 1980 est surtout dirigée vers les grands groupes industriels du pays, ceux-là même qui sont en mesure d’appuyer sa stratégie d’ouverture. Ces groupes, au moment de l’entrée en fonction de l’administration Salinas, ont un poids disproportionné dans l’économie mexicaine : alors qu’ils ne représentent que 0,18% de l’ensemble des entreprises au Mexique, ils emploient 24,7% de la main-d’œuvre et génèrent 37,3% du revenu national (Luna, 1994). Le gouvernement Salinas réalise la nécessité de dialoguer avec le secteur privé, de mieux prendre en compte ses intérêts s’il veut faire passer l’élément clé de son programme de modernisation, la négociation d’un traité de libre-échange avec les États-Unis. L’un des effets les plus marquants de cette collaboration entre le secteur privé et le gouvernement, que Pastor et Wise qualifient de concertación (Pastor et Wise, 1996), est la série de pactes anti-inflationnistes qui contribuent à améliorer la situation économique du pays. Non seulement ces pactes visent-ils à contrôler l’inflation et les coûts de la main d’œuvre, ils constituent une preuve supplémentaire de la bonne foi du gouvernement envers le secteur privé (Bensabat, 1995). 85 Puga note que dans son discours inaugural, Salinas de Gortari fait explicitement référence à la nouvelle alliance qui émerge entre l’État mexicain et le secteur privé et réitère son désir de créer un environnement propice au développement de celui-ci (Puga, 1993a: 181). 77 L’un des moyens de retrouver pleinement la confiance du secteur privé est la privatisation des banques. Bien que celle-ci soit entreprise sous de la Madrid,86 c’est le gouvernement Salinas qui prend les mesures nécessaires à la privatisation totale des banques à partir de 1989-90.87 En privatisant les banques, le gouvernement espère retrouver l’appui et la confiance du grand patronat, et ainsi aller de l’avant avec l’accélération de la libéralisation. Il ne se trompe pas : après les privatisations, les grandes entreprises apparaissent comme les interlocuteurs privilégiés de l’administration Salinas. En somme, comme le soutient Concheiro Bórquez, la décision de Salinas de Gortari d’accélérer la privatisation du secteur bancaire a permis de consolider et de solidifier les relations entre le gouvernement et le patronat (Concheiro Bórquez, 1996). Par ailleurs, l’une des conséquences du projet modernisateur du gouvernement Salinas a été de renforcer l’action des organisations patronales. Et là aussi, les principaux bénéficiaires sont les grandes entreprises. L’une des raisons de cela a trait à la performance de celles-ci : alors que la croissance ralentit au pays entre 1990 et 1993 (de 4,5% à 0,4%), ces firmes voient leurs ventes augmenter de 8% (Luna, 1994). Sous l’administration Salinas, le secteur privé en vient à ne plus se percevoir comme un adversaire du gouvernement, mais plutôt comme un partenaire. Les compagnies réalisent également qu’elles doivent être bien organisées afin de peser davantage sur les décisions gouvernementales. La négociation de l’ALENA met clairement en lumière cette nécessité. Bien que des organisations patronales existent avant la négociation de l’ALENA (voir l’annexe 1 sur les organisations patronales), et bien qu’elles jouent déjà un rôle important auprès du gouvernement, ce sont véritablement les négociations entourant l’accord de libre-échange qui montreront l’importance de posséder une structure 86 Le gouvernement de la Madrid avait initié le processus de privatisation des banques en vendant jusqu’à 34% des actions de chaque institution de crédit ; toutefois, le contrôle des institutions financières demeurait aux mains du gouvernement. En plus de l’abandon de ce contrôle, les dirigeants patronaux demandaient le retour des banques aux mains de leurs anciens propriétaires, ce qui s’avérait quasi impossible puisque de nombreuses banques avaient été fusionnées, les autres ayant été liquidées (Conceheiro Bohórquez, 1996). 87 Afin de réaliser la privatisation, deux articles de la Constitution mexicaine, les articles 28 et 123, de même que la loi du service public des banques et du crédit devaient être modifiés, ce qui fut fait en mai et juillet 1990 respectivement. 78 organisationnelle compétente, professionnelle et efficace. En fait, le gouvernement mexicain réalise lui aussi très rapidement que le patronat doit prendre une part active aux négociations, bien qu’il ne puisse être à la table de négociation. Dès le mois de juin 1990, quelques jours après l’annonce par Salinas de l’intention de son gouvernement de négocier un accord de libre-échange avec les États-Unis, la SECOFI demande au CCE (Consejo Coordinador Empresarial) de former une équipe de négociateurs qui participerait officieusement aux négociations (Puga, 1993b). L’une des causes de l’ouverture du gouvernement mexicain vis-à-vis le patronat tient au fait que l’État mexicain ne possède pas une réelle vue d’ensemble du secteur privé et que les seules aptes à fournir une évaluation totale et concrète de la situation sont les organisations patronales. En vue des négociations, le secteur privé mexicain s’organise donc de telle manière à pouvoir fournir le meilleur appui possible aux négociateurs mexicains. Étant donné l’existence de nombreuses organisations dédiées à la promotion du commerce extérieur,88 il convient de réunir sous une même organisation toutes les ressources afin d’unifier les positions et le discours du secteur privé. Cela donne naissance à la COECE (Coordinadora de Organismos Empresariales de Comercio Exterior). Celleci est placée sous le contrôle de la puissante CCE. Deux objectifs lui sont assignés à l’origine : participer pleinement au processus de négociation à venir ; parvenir à une meilleure connaissance des différents secteurs de l’économie qui seront affectés par l’ALENA.89 Divisée en secteurs et en sous-secteurs à ses débuts, la structure de la COECE se transforme rapidement lorsqu’il devient évident que les petites et moyennes entreprises ne possèdent pas les compétences requises pour faire face à la complexité croissante des discussions. Elles sont donc peu à peu marginalisées au sein de la coordination au profit des grandes entreprises, celles-ci possédant l’expérience, les ressources et connaissances nécessaires à de telles négociations (Puga, 1993b). 88 Au moment de l’annonce du projet de libre-échange, il existait trois grandes organisations patronales vouées à la promotion du commerce extérieur : l’ANIERM (Asociación Nacional de Importadores y Exportadores de la República Mexicana) , le CONACEX (Consejo Nacional de Comercio Exterior) et le CEMAI (Centro Empresarial Mexicano par Asuntos Internacionales). 89 Pour une vue d’ensemble de la structure de la COECE, voir l’annexe 2. 79 La COECE aura été, durant les négociations menant à l’ALENA, un partenaire clé du gouvernement mexicain puisque c’est à travers elle que non seulement s’expriment les dirigeants des grandes entreprises mexicaines, mais c’est également cette organisation qui fournit des études et rapports actualisés permettant aux négociateurs d’avoir une meilleure vue d’ensemble du secteur privé mexicain (Puga, 1993b). L’une des grandes leçons que tirent les grandes entreprises de la négociation de l’ALENA est la nécessité pour elles d’avoir une voix permanente auprès du gouvernement. Par ailleurs, elles réalisent que la manière traditionnelle de faire des affaires doit être abandonnée si elles veulent survivre dans un environnement international en constante mutation. 3.1.3 La transformation du secteur privé mexicain Pour les dirigeants d’entreprises, un Mexique fermé à la concurrence internationale est chose du passé. Le Mexique moderne doit chercher à s’intégrer au monde s’il ne veut pas se retrouver marginalisé. Les entreprises mexicaines doivent abandonner l’attitude nationaliste qui les caractérisait auparavant et réaliser que le lieu principal de la concurrence est le monde, et non plus seulement le Mexique. Ainsi, les dirigeants ne doivent pas craindre de faire appel à l’investissement étranger puisqu’il favorisera indubitablement les secteurs possédant les plus grands potentiels de croissance (Concheiro Bórquez, 1996). Cette nouvelle perspective requiert une modernisation en profondeur du secteur privé : s’ils veulent demeurer compétitifs face aux concurrents étrangers sur le marché national et les marchés étrangers, les entrepreneurs doivent acquérir certaines des caractéristiques des grandes entreprises des pays développés : flexibilité organisationnelle, accélération de la prise de décision, amélioration de la qualité des produits et une relation toujours plus renforcée avec les clients (Alba Vega, 2001). De plus, l’emphase ne doit plus uniquement être mise sur le marché mexicain, mais le monde (en premier lieu duquel les États-Unis) ; la transnationalisation des activités devient donc une obligation (Solas-Porras, 1998: 134). L’internationalisation, qui permet de dépasser certaines limites traditionnelles de l’économie mexicaine (l’inefficacité de la bourgeoisie nationale et la trop grande dépendance vis-à-vis l’État), est vue ni plus ni moins comme une nécessité si les entreprises mexicaines veulent survivre dans un environnement ultra compétitif (Solas-Porras, 1998). Cette 80 emphase vers l’extérieur signifie que les exportations et l’investissement à l’étranger doivent occuper une place de plus en plus grande dans la stratégie de développement des entreprises. En s’associant avec des capitaux étrangers et des FMN, les compagnies mexicaines s’assurent d’un meilleur accès aux capitaux internationaux et aux technologies les plus performantes, ce qui devrait leur permettre d’améliorer leur compétitivité. Les exportations, en plus d’accroître les revenus, représentent une importante source de devises étrangères, principalement de dollars. Mais comme le remarque Concheiro Bórquez, peu d’industries possèdent la capacité d’exporter : les exportations sont concentrées sur trois branches et onze produits : aliments, boissons et tabac, industrie chimique et produits métalliques, machinerie et équipement.90 La privatisation des banques apparaît comme un élément clé de cette nouvelle stratégie car elle donne naissance à de grands groupes industrialo-financiers, capables d’évoluer sur plusieurs fronts en même temps. Toutefois, cela n’est pas suffisant ; de nouvelles stratégies s’avèrent impératives. L’alliance avec des FMN étrangères et le recours à l’exportation ne constituent pas les seules stratégies employées par les compagnies mexicaines. Voici quelquesunes des stratégies les plus utilisées par les celles-ci :91 - L’alliance stratégique. Pour les entreprises mexicaines, cette stratégie a l’avantage de permettre l’acquisition de technologies qui seraient difficiles à acquérir par ailleurs ; elle permet aux compagnies impliquées de graduellement développer leurs relations, facilitant du même coup le processus d’apprentissage.92 - L’établissement de filiales à l’étranger. C’est une stratégie défensive des entreprises mexicaines destinée à protéger leurs marchés d’exportation, à les soulager des effets de la contraction de la demande interne et à diversifier les sources de revenus et de devises. 90 Dans la catégorie aliments, boissons et tabac, les principales exportations sont : crevettes congelées, bière et fruits et légumes ; dans la catégorie produits chimiques : acides policarboxiliques, matériels plastiques et résines de synthèse, engrais chimiques de même que couleurs et vernis ; dans la catégorie produits métalliques, machinerie et équipement : voitures d’usage personnel, moteurs, appareils électriques et électroniques (Conceheiro Bórquez, 1996). 91 Pour une plus ample explication de ces stratégies et des résultats qu’ont obtenus certaines entreprises mexicaines, voir Salas-Porras (1998). 92 Alba Vega souligne de plus que les alliances stratégiques permettent aux entreprises mexicaines d’acquérir les technologies qui leur font défaut et de pénétrer de nouveaux marchés (Alba Vega, 2001). 81 - Le recours aux marchés financiers étrangers. Bien que peu d’actions des grandes entreprises mexicaines circulent publiquement au début des années 90 (généralement entre 10% et 20%), celles-ci ont de plus en plus recours aux marchés financiers internationaux. L’accès à de nouvelles sources de financement, la nécessité d’apprendre comment fonctionnent les circuits financiers internationaux expliquent en grande partie pourquoi les compagnies mexicaines intègrent les marchés financiers internationaux. En outre, la majorité de ces entreprises est lourdement endettée : cette solution permettait de renégocier ces dettes tout en bénéficiant de nouveaux capitaux. - L’établissement de réseaux de distribution internationaux. Probablement l’aspect le plus important pour les entreprises mexicaines du fait de l’emphase mis sur les exportations. Le défi pour les compagnies est de combiner la production, la promotion, la commercialisation et la distribution des produits. En terme de distribution, plusieurs variables doivent être maîtrisées si l’entreprise veut connaître du succès : le transport, l’entreposage, la commercialisation, des agents de promotion et des conseillers juridiques compétents. La difficulté de réunir tous ces éléments explique pourquoi peu d’entreprises mexicaines aient réussi à établir un réseau de distribution international. Comme il a amplement été souligné jusqu’à maintenant, ce sont principalement les grandes entreprises mexicaines qui ont impulsé et bénéficié de ces changements. Les PME, bien qu’elles constituent la très grande majorité des entreprises, ont vu leurs positions, tant au sein des organisations patronales que dans l’économie nationale, se détériorer au fil des ans. Il existe bien une fracture entre les grands groupes mexicains et les PME. Ces dernières sont doublement désavantagées puisqu’elles ne participent que faiblement aux exportations mais subissent de plus en plus durement la concurrence extérieure suite à l’ouverture rapide du pays (Alba Vega, 2001). De plus, la politique de hauts taux d’intérêt pratiquée sous l’administration Salinas a grandement réduit le crédit disponible pour les PME, ce qui a limité leurs possibilités d’investissement et provoqué une détérioration de leur compétitivité. La négociation de l’ALENA aura été un exemple parfait des divergences de vues et de moyens au sein du patronat mexicain. Bien que la majorité des entreprises et organisations patronales soit en faveur d’un accord de libre-échange avec les ÉtatsUnis et le Canada, certaines expriment de sérieuses réserves. Alors que les organisations représentant les secteurs exportateurs et les grandes entreprises utilisent toutes les ressources à leur disposition afin de convaincre l’opinion publique de l’importance de poursuivre l’ouverture du pays, quelques-unes des organisations 82 représentant les PME, notamment la CANACINTRA et la CONCANACO, se retrouvent sur la défensive. Selon ces organisations, les PME mexicaines ne sont pas prêtes à affronter la nouvelle concurrence qui résultera de l’ALENA ; elles soutiennent qu’une certaine forme de protection doit demeurer afin de permettre aux PME de s’adapter aux nouvelles conditions économiques. En outre, elles avancent que l’ouverture unilatérale du pays a laissé le Mexique sans armes face à ses voisins du Nord et que la négociation de l’ALENA, quoi qu’en dise le gouvernement, ne permettra pas un retour du balancier (Concheiro Bórquez, 1996). Comme le montre le panorama que nous avons succinctement brossé, les rapports entre le secteur privé et l’État mexicain connaissent de profondes transformations à partir de la seconde moitié des années 1980. Les gouvernements de la Madrid et Salinas de Gortari ont mis en branle un vaste programme de libéralisation économique dont l’élément centrale aura été la négociation puis la signature de l’ALENA. L’accord de libre-échange, en plus de consolider et d’approfondir les changements impulsés par l’État, signale également aux diverses industries mexicaines la nécessité de modifier leurs comportements si elles veulent survivre dans la nouvelle configuration régionale qui émerge. Comment se sont préparées ces industries ? Quelle a été l’influence du processus d’ouverture des trois marchés nord-américains sur leurs décisions ? Les deux sections suivantes s’attarderont à ces questions en analysant de plus près l’évolution de l’industrie brassicole mexicaine. 3.2 L’influence directe de l’État mexicain Si l’État mexicain, à partir de la crise de 1982, exerce une influence indirecte sur l’industrie brassicole mexicaine, il intervient parfois directement sur les destinées de l’industrie. Durant la période qui nous intéresse, cette intervention s’effectue à travers les taxes, les impôts et la réglementation sociale (impact à long terme) ou par des mesures temporaires destinées à aider ou freiner l’industrie (impact à court et/ou moyen terme). 83 3.2.1 La réglementation gouvernementale L’intervention gouvernementale se manifeste principalement à travers le cadre réglementaire qu’établissent l’administration centrale et les états. Ce cadre touche à la fois les taxes et impôts, les aspects liés à la consommation (âge légal, lieux de vente, contenu des produits, etc.) et peuvent différer selon les juridictions. La réglementation gouvernementale s’effectue par des lois, des décrets, des règlements ou des normes. On note trois périodes distinctes dans l’évolution réglementation gouvernementale: 1917-1949, 1950-1972 et 1973-2004 (ANAFACER, 2004b). Durant la première phase, la législation touche principalement les thèmes des tarifs douaniers, des impôts et des quote-parts auxquels sont soumises les brasseries. Ces montants s’appliquent tant à la production qu’à la commercialisation ou l’exportation des bières. Étant donné l’adoption graduelle de la politique de substitution aux importations, les tarifs douaniers jouent un rôle particulièrement important. Afin de protéger l’industrie brassicole, le gouvernement fédéral impose un tarif extérieur de 20%. Des trois formes de réglementation utilisées durant cette première phase, les lois, les normes et les décrets, ces derniers constituent le principal outil employé par le gouvernement fédéral.93 À cette étape, on note l’implication à la fois du gouvernement fédéral et des états. Malgré cette implication des divers paliers gouvernementaux, Oliveira Vera-Cruz (2000) note qu’aucune politique sectorielle n’est développée pour l’industrie brassicole. Toutefois, la loi fiscale de 1949 exerce une profonde influence sur la structure future de l’industrie.94 La participation des états à la collecte des impôts et des taxes sur la production et la consommation est complètement éliminée.95 93 Des quarante-quatre mesures touchant l’industrie que répertorie l’ANAFACER (2004b) entre 1917 et 1949, on retrouve une nette prédominance des décrets : 32 décrets, 9 règlements et 3 lois. 94 La loi, résultat de la Troisième convention fiscale de 1947 (Tercera convención fiscal), élimine les barrières entre les états. Surtout, elle établit un impôt unique, remplaçant les impôts généraux sur le commerce et l’industrie, ainsi que les impôts spéciaux sur l’industrie et le commerce (dont les boissons alcoolisées et la bière font partie), ces derniers ayant été jusque-là de la compétence des états. Qui plus est, Oliveira Vera-Cruz (2000) avance que cette loi permet la création d’un marché national de la bière en facilitant l’expansion des trois principales brasseries de l’époque à l’ensemble du pays. 95 En 1949, un addenda à la Constitution mexicaine, l’article 73 paragraphe XXIX-5g, attribue explicitement au Congrès mexicain le droit exclusif d’établir les niveaux d’imposition sur la production et la consommation de bière. 84 Lors de la seconde phase, l’influence des états diminue au profit de l’État fédéral. C’est lors de cette période qu’apparaissent les premières normes officielles de qualité sur les produits connexes à la bière (verres, levure, etc). Durant les années 1950, le gouvernement fédéral initie également les premières normes sanitaires et médicales en matière de consommation abusive d’alcool.96 La troisième phase voit la consolidation des normes par l’apparition des Normes officielles mexicaines. Celles-ci s’appliquent surtout aux contenus en métal et aux polluants possibles des contenants individuels ou des conteneurs industriels. Le gouvernement régule également l’importation de levure tout en s’abstenant, dans la majorité des cas, d’intervenir sur les aspects de la production et de la consommation. Cette période marque également une évolution de la taxation alors que les quotesparts sont progressivement remplacées par les taxes et impôts ad valorem, l’IEPS.97 3.2.2 L’IEPS, les impôts et les taxes Le régime fiscal applicable aux brasseries constitue sans contredit l’impact le plus important de l’État sur l’industrie brassicole mexicaine. Les brasseries sont soumises à cinq impôts et taxes différents : la taxe sur la valeur ajoutée (Impuesto al valor agregado, TVA), l’impôt sur le revenu (impuesto sobre la renta), un impôt sur les actifs (impuesto al activo), l’impôt spécial sur la production et la commercialisation de la bière (Impuesto Especial sobre Producción y Servicios, IEPS Cerveza) et les impôts qu’établissent les entités fédératives. Les quatre premières mesures fiscales touchent l’ensemble des personnes morales et physiques. Le gouvernement établit la taxe sur la valeur ajoutée en 1980 afin de remplacer la taxe sur les revenus marchands (Impuesto Sobre Ingresos Mercantiles) et les autres taxes fédérales spéciales. Elle s’applique aux personnes morales et physiques présentes sur le territoire mexicain et concerne la production de biens, 96 En 1951, le gouvernement instaure la première classification des boissons alcoolisées : toute boisson possédant un volume d’alcool supérieur à 5% est considérée comme une boisson forte en alcool; les boissons contentant entre 2% et 5% sont qualifiées de boissons alcoolisées. En 1963, une nouvelle classification permet la vente libre de toute boisson de moins de 6% d’alcool par volume. Cette décision provoque le déplacement de la vente de boissons à forte teneur en alcool, ce qui entraîne une diminution de la consommation de bière au début des années 1960. 97 Sur l’ensemble de la législation touchant l’industrie brassicole mexicaine, voir ANAFACER (2004b). 85 services ou toute autre activité économique.98 L’impôt sur le revenu s’applique aux revenus du travail ou du capital affectant le patrimoine des personnes morales et physiques vivant au Mexique. L’impôt sur les actifs touche les individus exerçant une activité d’affaires et les personnes morales résidantes au Mexique ; il se calcule sur la base des actifs de ces personnes. Les impôts des entités fédératives influencent les brasseries mexicaines dans la mesure où elles possèdent des usines ou d’autres unités de production sur le territoire donné. Tableau 3.1 Taxes et impôts payés par l’industrie brassicole mexicaine en 1999 et 2001 (en millions de pesos) Impôts/taxes 1999 IBM TVA Impôt sur le revenu Impôt sur les actifs Impôt des états IEPS Total 6 683 4 092 62 1 500 7 608 19 946 (18 446c) Revenu fédéral a 151 183,5 216 123,4 b N/A 106 703,7 474 010,6 (3,9%) 2001 Revenu fédéral a 9 938 208 408,1 5 416 285 523,1 b 62 1 500 N/A 10 278 110 688,8 27 194 604 620,0 (25 694c) (4,2%) IBM a : revenu fiscal, n’inclut pas les revenus des hydrocarbures et autres revenus non-fiscaux b : inclut l’impôt sur les actifs c : montant sans les impôts aux états Sources : ANAFACER, Contexto integral de la cerveza, México: ANAFACER, 2004; Presidencia de la República, Tercer Informe de Gobierno, México: Presidencia de la República, 2003. Entre 1999 et 2001, on note la stabilité des impôts sur les actifs et des états (tableau 3.1). Quant à la TVA et à l’impôt sur le revenu, ils progressent à un rythme de 48,7% et 32,3% respectivement. Concernant ces deux mesures fiscales, les montants que doivent débourser les brasseries, surtout dans le cas de la TVA, dépendent en grande partie de l’évolution de l’activité économique, ce qui n’est pas nécessairement le cas pour les impôts sur les actifs et ceux des entités fédératives. En 2001, l’ensemble des impôts et taxes payés par l’industrie représente 4,2% des entrées fiscales du gouvernement mexicain, comparativement à 3,9% en 1999. Sur l’ensemble des 98 Dans le cas mexicain, la TVA ne se paie pas à chacune des étapes de la production d’un bien ou d’un service ; ce sont plutôt les consommateurs du bien ou du service qui déboursent la valeur de la taxe, calculée selon la valeur ajoutée à chaque étape de la production. 86 recettes gouvernementales, la contribution de l’industrie s’élève à 1,8% en 1999 et à 1,6% en 2001 (ANAFACER, 2004a).99 La taxe spéciale sur la production, la fabrication, la commercialisation (IEPS) constitue la plus importante mesure fiscale touchant l’industrie brassicole mexicaine. Cette taxe s’applique aux boissons alcoolisées, au tabac (cigarettes), à l’essence (super et diesel), ainsi qu’aux boissons gazeuses. Comme l’indique son nom, cette taxe concerne la production et la commercialisation de la bière. À ce titre, elle ne s’applique pas aux bières étrangères.100 Figure 3.1 Évolution du taux d’imposition de l’IEPS 1978-2004 (en %) (%) 30 25 20 15 10 5 19 78 19 79 19 80 19 81 19 82 19 86 19 93 19 94 19 95 19 96 19 98 0 Source : ANAFACER, Condiciones de competitividad y tratamiento fiscal de la industria cervecera mexicana, Propuesta de la Asociación Nacional de Fabricantes de Cerveza y de la Cámara Nacional de la Industria de la Cerveza y de la Malta para la Convención nacional Hacendaria, 2004. 99 La différence s’explique surtout par l’apport financier des hydrocarbures aux revenus du gouvernement fédéral. La para-étatique du pétrole, Pemex, est nationalisée et contribue très fortement aux revenus de l’État. En 1999 et 2001, la contribution directe du poste “hydrocarbures” s’élevait à 13,4% et 20% respectivement. Ces montants ne tiennent pas compte de l’apport de ce secteur au niveau fiscal, notamment au titre de l’IEPS (pour ces deux années, la contribution du secteur des hydrocarbures surpasse les 75%) (ANAFACER, 2004a; Presidencia, 2003). Entre 1988 et 2003, la participation de l’industrie brassicole mexicaine aux recettes fiscales totales du gouvernement varie entre 1,4% et 1,9% (ANAFACER, 2004a). 100 Jusqu’à la négociation de l’ALENA, l’État mexicain appliquait un tarif douanier de 20% aux bières étrangères. Suite à l’entrée en vigueur de l’accord, ce tarif est progressivement éliminé pour les bières canadiennes et américaines. 87 En 1977, les brasseries mexicaines doivent payer une quote-part sur la production de bière.101 En 1978, l’État introduit une taxe ad valorem de 6% s’additionnant à la quote-part. Graduellement, le taux de cette taxe augmente pour se stabiliser à 21,5% en 1982 (figure 3.1).102 En 1986, suite au tremblement de terre de Mexico, le gouvernement annonce une augmentation temporaire de l’IEPS à 25%. Cette hausse de la taxe devait permettre de couvrir une partie des coûts de reconstruction. En 1991, l’administration de Salinas de Gortari officialise la permanence du taux de 25%. En 1992, le gouvernement fédéral annonce une réduction graduelle de l’IEPS sur quatre ans, celle-ci passant de 25% en 1993 à 19% en 1996. Cependant, en 1997, le gouvernement revient sur sa décision et ré-instaure le taux de 25% à partir de 1998, arguant la nécessité de soutenir les municipalités (ANAFACER, 2004a). Figure 3.2 Contribution des brasseries mexicaines à l’IEPS, 1988-2003 (en milliards de pesos constants, 2003) 14 Milliards de pesos 12 10 8 6 4 2 3 2 20 0 1 20 0 0 20 0 9 20 0 8 19 9 7 19 9 6 19 9 5 19 9 4 19 9 3 19 9 2 19 9 1 19 9 0 19 9 9 19 9 19 8 19 8 8 0 Source : ANAFACER, Condiciones de competitividad y tratamiento fiscal de la industria cervecera mexicana, Propuesta de la Asociación Nacional de Fabricantes de Cerveza y de la Cámara Nacional de la Industria de la Cerveza y de la Malta para la Convención nacional Hacendaria, 2004. En termes réels (figure 3.2), la contribution fiscale des brasseries mexicaines à l’IEPS double quasiment entre 1988 et 2003 : elle passe de 6,1 milliards de pesos à 11,5 milliards de pesos, une augmentation de 89% (ANAFACER, 2004a). 101 102 Ce montant s’élevait à 1,75 peso sur chaque litre de bière. Cette année-là, le gouvernement élimine la quote-part qui était descendue à 0,23 peso le litre. 88 L’une des causes de ces changements constants du taux de l’IEPS a trait à sa fonction de soupape financière du gouvernement mexicain et ce, à deux niveaux : conjoncturel et structurel. En effet, les deux plus fortes hausses de cette taxe sont justifiées soit par des événements extraordinaires, le tremblement de terre de Mexico ou par la situation financière de l’État (Expansión, 25/02/1998). Par ailleurs, le Ministère des Finances du Mexique et le Parlement mexicain semblent considérer l’IEPS comme un mécanisme d’ajustement du budget de l’État. Dans la mesure où les finances du gouvernement mexicain dépendent en grande partie des revenus pétroliers, et étant donné l’incertitude liée aux prix internationaux du pétrole, l’IEPS permet à l’État de boucler son budget. Entre 1998 et 2002 par exemple, la fluctuation des recettes provenant des hydrocarbures force le gouvernement fédéral à hausser la contribution de l’IEPS, de 78,5 milliards de pesos à 136,3 milliards de pesos (Presidencia de México, 2003).103 La part de l’industrie brassicole dans cette augmentation est importante : en 1997, elle s’élève à 6,5 milliards de pesos à l’IEPS non pétrolier ; en 1998, elle s’établit à 8,9 milliards de pesos, puis à 11,5 milliards de pesos en 2002 (figure 3.2). 3.2.3 Le FICORCA La crise de 1982, alors que le Mexique se déclare en cessation de paiement, touche à la fois l’État et le secteur privé. Les grandes entreprises privées mexicaines, qui avaient adopté une stratégie d’endettement international afin de financer leur croissance, se trouvent en difficulté financière, la dévaluation ayant provoqué l’explosion de leur dette.104 En mars 1983, le gouvernement fédéral et la Banque du Mexique mettent en place le Fidéicommis pour la couverture des risques de change (Fideicomiso para la Cobertura de Riesgos Cambiarios, FICORCA) (Banque du Mexique, 1983). Ce programme vise principalement à permettre aux entreprises mexicaines de restructurer leurs dettes vis-à-vis des créditeurs étrangers (Banque du Mexique, 1983: 103 Il est bon de rappeler tout de même que la contribution du secteur pétrolier demeure, de loin, la plus importante composante de l’IEPS. Elle représente généralement au moins les 2/3 de l’IEPS selon les données de Présidencia de México (2003) et ANAFACER (2004a). 104 Alors que la dette externe s’élevait à $1,8 milliard $US en 1970, elle passa à $6,4 milliards de dollars en 1977, puis à $8,5 milliards de dollars en 1981 (Expansión, 13/05/1987). 89 38). Accessoirement, il cherche également à prémunir les entreprises de futures dévaluations (Mendoza Hernández, 2001). Afin de couvrir les différents risques de change, le FICORCA offre quatre systèmes distincts à travers lesquels les entreprises peuvent acquérir des dollars destinés au remboursement de leurs dettes. Les entreprises s’engagent à rembourser les montants empruntés à un taux de change préétabli. Dans tous les cas, toutefois, les firmes doivent avoir conclu une renégociation de leurs dettes.105 Entré en opération en mai 1983, le FICORCA disparaît en 1992, alors que les autorités financières mexicaines soulignent que l’ensemble des dettes étrangères des entreprises mexicaines est liquidé (Banque du Mexique, 1993). Bien que le programme dure une dizaine d’années, son impact se fait surtout sentir à ses débuts. Entre mai et novembre 1983, c’est environ 12 milliards de dollars106 de dettes que les entreprises privées placent dans le fidéicommis (Banque du Mexique, 1984; Boughton, 2001).107 La quasi-totalité des opérations réalisées par les entreprises, soit 97,4%, l’est à travers les systèmes 2 et 4 car ceux-ci offrent davantage de flexibilité aux firmes (Banque du Mexique, 1984). L’impact le plus important du FICORCA est de réduire les montants que doivent rembourser les entreprises mexicaines à court terme. En échelonnant les remboursements, le fidéicommis permet aux firmes de restructurer leurs dettes et de revoir leurs stratégies de croissance et financière. Ce programme, s’il vise l’ensemble du secteur privé mexicain, bénéficie avant tout aux grandes entreprises. Sur la totalité du financement du FICORCA, vingt firmes ou groupes industriels accaparent 80% des ressources mises à la disposition des entreprises (Thacker, 2000). En outre, ces firmes deviennent également les principales promotrices du nouveau modèle 105 Le système 1 couvrait le capital uniquement. L’entreprise remboursait sa dette au comptant, en monnaie nationale et non pas en dollars ; le système 2 couvrait lui aussi seulement le capital, mais offrait la possibilité aux firmes d’obtenir un crédit équivalent au montant de l’achat en dollars. Dans ces deux premiers systèmes, le délai de remboursement accordé était de trois ans. Les systèmes 3 et 4 couvraient le capital et d’une certaine façon les intérêts. Dans le système 3, les entreprises remboursaient les devises au comptant, alors que dans le système 4, le fidéicommis pouvait accorder un crédit en pesos. Dans les deux cas, le délai de remboursement était fixé à huit ans, dont les quatre premières années étaient de grâce (Banque du Mexique, 1983). 106 Les dollars réfèrent à la monnaie américaine, à moins d’indication contraire. 107 Boughton (2001) soutient par ailleurs que l’influence du FICORCA s’étendit au-delà du Mexique puisqu’il servit de modèle pour les programmes de restructuration ultérieurs dans le monde, particulièrement en Asie du Sud-Est lors de la crise de 1997-98. 90 exportateur du Mexique à partir des années 1980 (Thacker, 2000). Les brasseries mexicaines, parmi les plus importantes entreprises privées du pays108, profitent elles aussi de ce programme.109 Dans le cas de Moctezuma, son inscription au FICORCA lui permet de couvrir 365 millions $US de sa dette.110 3.2.4 Politique de la concurrence : une réponse de long terme Si le FICORCA représente l’une des principales réponses de l’État mexicain à la crise du secteur privé durant les années 1980, la transformation de ce dernier et du modèle économique requièrent des solutions plus en profondeur. Les réformes économiques des gouvernements de la Madrid et Salinas à partir de 1985 seront ainsi complétées en 1993 par l’adoption de la première politique explicite de la concurrence du Mexique. La difficulté de la mise en place d’une réelle politique de la concurrence tient non seulement à l’ancien modèle économique en vigueur, mais aussi en l’absence d’une culture de la concurrence (OCDE, 2004a).111 Cette nouvelle politique repose sur deux éléments centraux : la Loi fédérale sur la concurrence économique (LFCE) et la Commission fédérale de la concurrence (CFC) dont la mission est d’appliquer cette loi. L’origine d’un droit de la concurrence au Mexique trouve ses racines dans l’article 28 de la Constitution mexicaine.112 Le droit de la concurrence n’est promulguée qu’en 1993, après les grandes réformes économiques, car elle représente l’aboutissement de l’ouverture du Mexique. Dans la même lignée que les réformes précédentes, et suivant la lettre de l’article 28, la LFCE 108 Dans son étude annuelle sur les 500 plus importantes entreprises du Mexique, en terme de ventes, la revue Expansión classa les brasseries Cuauhtémoc et Moctezuma aux dix-neuvième et trentième rangs respectivement en 1983 (Expansión, 21/08/1985). 109 Bien que les documents ne soient pas disponibles pour les trois brasseries mexicaines, il appert que toutes s’inscrivent au FICORCA dès 1983. Cette information nous fut communiquée lors d’un séminaire tenu au Colmex le 6 juillet 2004 alors que nous présentions les résultats préliminaires de notre étude. 110 Cette dette s’élèvera par la suite à 43,7 milliards de pesos, dont 556 millions $US pour ses seules filiales (Expansión, 28/03/1984). 111 Le gouvernement central, durant la période de l’ISI, a principalement utilisé le contrôle des prix et l’octroi de monopoles effectifs à certains intérêts privés (OCDE, 2004a). 112 L’article 28 de la Constitution mexicaine interdit explicitement les monopoles et les pratiques monopolistiques. Cependant, les secteurs stratégiques sous le contrôle de l’État (le courrier, le pétrole et les hydrocarbures ainsi que l’électricité entre autres), ne sont pas considérés comme des monopoles. Toutefois, les gouvernements successifs n’ont jamais édicté les lois nécessaires au respect de cet article : la stratégie de substitution aux importations, sur laquelle fut fondé le développement du pays pendant une quarantaine d’années, limitait le jeu concurrentiel interne. 91 a pour objectifs centraux de protéger à la fois le bon fonctionnement du libre marché et le processus concurrentiel (CFC, 2004).113 Bien que la LFCE interdise explicitement les monopoles et les pratiques anticoncurrentielles (article 2), dans les faits, elle n’intervient pas sur l’existence des monopoles (OCDE, 2004a). La loi vise plutôt à éliminer les pratiques anticoncurrentielles, qui sont de deux ordres : les pratiques absolues et les pratiques relatives.114 Les premières sont interdites d’office, étant donné qu’elles sont présumées inefficientes par la loi. Les secondes ne sont considérées illégales que dans la mesure où une société exerce un pouvoir de marché substantiel. Il revient à la CFC d’interpréter et d’appliquer les articles de la LFCE.115 Tant dans l’esprit que dans l’application, la politique de la concurrence mexicaine repose sur l’efficacité et l’efficience (OCDE, 2004a et b). Au niveau conceptuel, par ailleurs, elle s’appuie sur la contestabilité des marchés. Les interventions des autorités de la concurrence n’ont pas pour but de contrer des pratiques néfastes au bien-être des consommateurs, mais de limiter les activités affectant le jeu concurrentiel. Cependant, on postule également que la potentialité d’entrée de nouveaux concurrents éliminera 113 Bien que la CFC et la LFCE soient les deux pièces maîtresses de la politique de la concurrence mexicaine, il s’est avéré nécessaire de créer d’autres agences régulatrices afin de surveiller des secteurs économiques spécifiques. C’est ainsi que sont nées la Commission fédérale des télécommunications (COFETEL), la Commission régulatrice de l’énergie (CRE), la Commission nationale des assurances et des valeurs mobilières (CNSF), la Commission nationale des pensions et retraites (CONSAR). Chacune travaille de concert avec la CFC, mais possède son autonomie propre. 114 Les pratiques anticoncurrentielles absolues comprennent quatre types d’accords, de contrats ou d’arrangements horizontaux : la fixation des prix, les restrictions à la production, la division des marchés et la manipulation des soumissions lors d’appels d’offres (article 9 de la LCFE). Les pratiques anticoncurrentielles relatives, ou verticales, ont pour buts principaux d’évincer d’autres firmes du marché, de réduire substantiellement l’accès au marché ou d’établir des avantages prohibitifs à la (ou les) firmes(s) en collusion. Elles sont plus nombreuses que les pratiques absolues. Elles incluent, entre autres, les divisions verticales des marchés, les ventes liées, les contrats d’exclusivité, les refus de vendre et les boycotts collusoires. Une autre série d’accords peut également tomber sous le parapluie des pratiques relatives : les prix de prédation, l’exclusivité en contrepartie de rabais, les subventions croisées, la discrimination par les prix ou les conditions de vente et l’augmentation des coûts des concurrents (OCDE, 2004b: 2) 115 Ramsey identifie trois types d’intervention de la CFC : les interventions de soutien, de prévention et de punition. Dans le premier cas, la Commission participe à l’élaboration des politiques gouvernementales en y rappelant les aspects concurrentiels. Les opérations de soutien se manifestent également par le travail d’éducation qu’effectue l’organisme auprès de la communauté des affaires, des politiciens et du public en général. Son rôle préventif se remarque dans sa capacité à réguler les concentrations ; dans ses prises de positions sur les questions d’abus de positions dominantes et l’influence qu’elle exerce dans la détermination des firmes recevant des concessions gouvernementales. Son rôle punitif apparaît lorsqu’elle impose des amendes ou suggère des mesures correctrices afin d’éliminer des pratiques monopolistiques absolues ou relatives (Ramsey, 2003: 9-10). 92 la capacité d’une firme de profiter de son pouvoir de marché. Telle que le rappelle l’OCDE : “l’utilisation de son pouvoir de marché [par une entreprise] par des prix supraconcurrentiels est présumée auto-correctrice, dans la mesure où un tel comportement attirera normalement de nouvelles firmes sur le marché” (OCDE, 2004a: 24, notre traduction). Bien que la politique de la concurrence mexicaine soit édictée afin d’asseoir les transformations internes, elle s’insère dans un triple aspect international. D’une part, elle survient alors que les débats sur la concurrence se transposent de l’échelle nationale au niveau international (Rioux, 2000b). Ce changement spatial s’explique autant par la globalisation, qui remet en cause l’autonomie de la politique nationale de la concurrence (Rioux, 2000b; Clougherty, 2001)116 que par la multiplication des lois nationales sur la concurrence.117 D’autre part, la politique de la concurrence est de plus en plus liée à la politique commerciale (OCDE, 1999, 2001 et 2003 ; Hoekman, 1997)118 et aux politiques de promotion des investissements (WIR, 2003). On soulignera alors la complémentarité entre les trois : alors que la politique commerciale concerne l’extérieur et que la politique de la concurrence traite de l’intérieur, les deux se renforceraient mutuellement. Dans les deux cas, il s’agirait d’éliminer les obstacles et distorsions au bon fonctionnement des marchés (OCDE, 1999 et 2001).119 Cela a pour effet d’encourager l’investissement étranger, dans la mesure où les standards 116 Clougherty souligne, paradoxalement, que les politiques de la concurrence nationales et plus généralement les institutions gouvernementales, limitent l’impact de la globalisation (Clougherty, 2001). 117 Singh (2004) montre le caractère tout à fait récent du droit de la concurrence à l’échelle internationale. Dans une recension de 124 États possédant ou en processus d’adoption d’une loi sur la concurrence en 2000, il note que seulement 20 d’entre eux disposaient d’une loi sur la concurrence avant 1980. 118 Le GATT avait déjà pris en compte l’étroite relation qui existait entre ces trois aspects. Il prévoyait l’établissement de règles en matière d’investissement et de concurrence en complément d’un accord sur le commerce ; toutefois, ce n’est qu’avec la naissance de l’OMC puis de la première conférence ministérielle de Singapour (1996) que les travaux reprennent. Du point de vue des pays en développement, Hoekman (1997) fait ressortir le rôle possible que peut jouer l’OMC dans l’élaboration d’un cadre multilatéral sur les règles anti-trusts. Le choix entre les différentes options s’offrant aux PED devrait reposer sur trois critères : leur capacité à accroître la contestabilité des marchés pour les firmes étrangères, l’impact d’autres alternatives sur le bien-être économique national et leurs conséquences sur le fonctionnement du système commercial actuel. 119 L’OCDE note que la frontière entre interne et externe n’est pas aussi claire. Les principes du traitement national enchâssés à l’article III du GATT obligent les États à maintenir un terrain de jeu équitable (level playing field), éliminant les mesures discriminatoires basées sur la “nationalité” des produits. 93 s’appliquent à tous et que les entreprises nationales ne puissent mettre en place des barrières anticoncurrentielles (WIR, 1993). Finalement, il faut souligner la triple importance du niveau international dans la mise sur pied d’une politique de la concurrence officielle. Premièrement, l’ALENA, par les dispositions du chapitre 15, stipule que chaque État “adoptera ou maintiendra des mesures prohibant les comportements anticoncurrentiels et exercera toute action appropriée à cet égard, reconnaissant que de telles mesures favoriseront l'atteinte des objectifs du présent accord” (article 1501).120 Ensuite, la législation en matière de concurrence qu’adopte le Mexique s’inspire de multiples expériences internationales. En outre, parmi les attributions de la CFC, notons la coopération et la coordination avec d’autres autorités nationales de la concurrence, de même que l’étude des fusions internationales ayant des conséquences au Mexique. Finalement, la régulation de la concurrence interne passe par la nouvelle loi sur le commerce extérieur de juillet 1993 complète la LFCE. C’est à ce niveau que l’on retrouve l’articulation des politiques commerciale et de la concurrence.121 La mise en place d’une véritable politique de la concurrence introduit deux transformations majeures : la création d’un réel droit de la concurrence et la mise sur pied d’une institution de régulation des rapports concurrentiels (la CFC). L’officialisation d’un droit de la concurrence marque la consécration du nouveau modèle économique mexicain, basé sur les relations marchandes. Toutefois, si on reconnaît finalement l’importance d’un droit de la concurrence en tant qu’instrument de régulation, celui-ci ne s’applique pas à l’ensemble de l’activité économique. L’existence de monopoles stratégiques, sous le contrôle de l’État, ainsi que des privatisations dont la transparence est questionnée, limitent la portée de cette politique (Ramsey, 2003). 120 Le Canada et les États-Unis disposaient déjà d’une politique de la concurrence lors de la négociation du traité de libre-échange. Il est donc permis de croire que cet article visait spécifiquement le Mexique. 121 L’un des principaux objectifs de la Loi sur le commerce extérieur de 1993 est la régulation des pratiques commerciales déloyales. Sont considérées comme pratiques déloyales toute introduction de marchandise à un prix inférieur à son coût de production (dumping) ou bénéficiant de subventions du gouvernement d’origine, subventions qui auraient pour effet de réduire la compétitivité prix des produits mexicains (Titre V de la Loi). Afin de corriger ces distorsions à la concurrence, l’État mexicain se réserve le droit d’imposer des droits compensatoires. 94 Les effets de la nouvelle politique de la concurrence ne touchent directement les brasseries mexicaines qu’à partir de 1999. La CFC amorce une enquête sur les politiques d’exclusivité en cours dans l’industrie (cf. chapitre 4). Ce qui est visé plus spécifiquement, ce sont les contrats d’exclusivité avec des autorités municipales ou étatiques assurant la distribution des marques de chaque entreprise. En 2001, les brasseries parviennent à un accord avec la CFC par lequel elles mettent fin à ces contrats (OCDE, 2004a). Cette première enquête ne concernait pas les contrats d’exclusivité que nouaient les brasseries avec les détaillants. À partir de mai 2003, la CFC tente de pallier cette lacune en initiant un nouvel examen des contrats d’exclusivité dans la vente au détail.122 Alors que l’implication de l’État mexicain touche principalement les pratiques monopolistiques relatives de l’industrie brassicole, il est un cas où son intervention demeure absente : les accusations de concurrence déloyale des brasseries mexicaines vis-à-vis certaines brasseries américaines. Dès le début des années 1990, l’industrie accuse des brasseries américaines de pratiquer du dumping sur le marché mexicain (Expansión, 24/07/1991). Malgré l’entrée en vigueur de la Loi sur le commerce extérieur, aucune enquête n’a pu montrer l’existence d’un dumping des brasseries américaines. 3.2.5 L’opposition constante des brasseries mexicaines Pour l’industrie brassicole, outre l’argumentation de la perte de compétitivité vis-à-vis des concurrentes internationales (VISA, ADR 1998), l’impact des impôts se fait surtout sentir lors des périodes de crise. Les années1981-1984 constituent un bon exemple de cette situation. Outre l’ensemble des taxes et impôts auquel est soumise l’industrie durant cette période, l’augmentation de l’IEPS entre 1979 et 1982, le taux passe de 12% à 21,5%, combinée à la dépréciation du peso provoquent l’explosion des sommes dues. Entre 1981 et 1983, celles-ci quadruplent, passant de 11,6 milliards de pesos en 1981 à 19,5 milliards de pesos en 1982 puis à 45 milliards de pesos en 1983 (Expansión, 12/10/1983). 122 Dans ce cas, un autre groupe d’entreprises, les fabricants étrangers de boissons gazeuses, interviennent dans le débat. Selon ces firmes, les contrats de distribution exclusifs des brasseries mexicaines sont traités différemment que leurs contrats d’exclusivité, ce qui contrevient à la LFCE. 95 En plus du quadruplement des impôts, la nationalisation des banques frappe également durement les brasseries. C’est la relation particulière entre celles-ci et les banques qui se rompt, particulièrement dans le cas de Cuauhtémoc et de Moctezuma.123 Au-delà de la nationalisation, l’État mexicain influence grandement l’industrie par la gestion de la situation macroéconomique du pays. Il faut se souvenir que l’État mexicain, en 1982, exerce encore un fort contrôle sur la vie économique du pays.124 Pour les dirigeants de l’industrie brassicole, l’IEPS représente l’un des plus grands freins de l’industrie vis-à-vis les brasseries étrangères, notamment les brasseries américaines (ANAFACER, 2004a; FEMSA, RA 2002). Outre les questions sociales liées à la consommation d’alcool, le principal enjeu des pressions de l’industrie auprès de l’État depuis le début des années 1980 tourne autour de la taxation à laquelle sont soumises les brasseries. Ces efforts se concentrent plus spécifiquement sur l’IEPS. Le lobbying de l’industrie, qui s’effectue principalement à travers l’Association nationale des producteurs de bière (Asociación Nacional de Fabricantes de Cerveza, ANAFACER), cherche depuis cette période à infléchir le niveau des taxes applicables à la bière. 123 Les propriétaires de ces brasseries étaient également impliqués dans le système bancaire mexicain. La nationalisation provoqua non seulement la rupture du lien les unissant, mais signifiait aussi un durcissement de l’accès aux capitaux étrangers. 124 Ainsi, lorsque des rumeurs coururent à l’effet que la brasserie américaine Anheuseur-Busch était intéressée à acquérir Moctezuma, le gouvernement mexicain souligna qu’il ne permettrait pas d’investissements étrangers dans ce secteur (Expansión, 28/03/1984). 96 Encadré : L’ANAFACER L’Asociación nacional de fabricantes de cerveza (Association mexicaine des brasseries, ANAFACER) constitue l’organe de représentation de l’industrie brassicole mexicaine tant auprès de l’État mexicain que de gouvernements étrangers ou d’instances internationales. L’organisation naît en 1924 à Mexico et regroupe l’ensemble des entreprises constitutives de l’industrie. Au niveau domestique, la fonction de l’association est triple. Premièrement, elle facilite le dialogue entre les brasseries et constitue l’institution à l’intérieur de laquelle s’établissent les accords sur le fonctionnement de l’industrie, notamment en matière de concurrence (Garcia Sordo, 08/05/2002). Deuxièmement, elle représente l’industrie auprès du gouvernement fédéral. Cette représentation s’exprime principalement en matière fiscale. Bien que les patrons des brasseries présentent individuellement leurs doléances aux autorités gouvernementales quant aux taxes et impôts auxquels leurs entreprises sont soumises, il en revient à l’ANAFACER de formuler les propositions générales de l’industrie. Ainsi, lors du débat sur la réforme fiscale de 2004, l’association proposa que le taux de l’IEPS soit ramené au niveau de 1996, soit 19%. Troisièmement, l’association publie des études et fait la promotion de l’industrie auprès du public. À l’échelle internationale, l’association constitue l’aréna où s’élaborent les stratégies des brasseries vis-à-vis les autorités gouvernementales étrangères et défend les intérêts commerciaux de ses membres auprès des instances juridiques internationales. C’est l’ANAFACER qui intervient auprès des autorités américaines en 1982, au nom de l’industrie brassicole mexicaine, afin de plaider la cause de cette dernière alors que le gouvernement envisageait des mesures de représailles contre les brasseries mexicaines. C’est au nom de la brasserie Modelo que l’association poursuivit la brasserie française Fischer devant la Cour internationale d’arbitrage à Paris en 1999 (Expansión, 22/08/2001). Jusqu’en 1992, les représentants des brasseries ne peuvent convaincre le gouvernement de réduire le taux de l’IEPS. Cependant, en 1992, ils obtiennent gain de cause alors que le gouvernement annonce une réduction graduelle de l’IEPS. Pour les brasseries mexicaines, la perspective d’un accord de libre-échange avec les États-Unis entraîne de nouvelles règles du jeu. Étant donné que les entreprises américaines paient une taxe beaucoup plus basse que leurs concurrentes mexicaines125, les brasseries mexicaines soutiennent que le maintient d’un IEPS à 25% menace leur compétitivité. De plus, la nature de cette taxe ad valorem126, alors qu’il s’agit d’une quote-part aux 125 Sur l’évolution de la taxe sur la bière aux États-Unis, voir le chapitre 5 de notre étude. Un impôt ou une taxe ad valorem s’applique selon la valeur du produit, contrairement à une quotepart dont le montant est fixe. 126 97 États-Unis, affecterait là aussi la capacité des brasseries mexicaines à (Expansión, 25/02/1998). Suite à la hausse de l’IEPS à 25% en 1998, l’ANAFACER et les brasseries tentent à nouveau de convaincre le gouvernement de revenir sur sa décision. Toutefois, elles ne réussissent pas à persuader les autorités gouvernementales.127 Les brasseries transfèrent alors ces taxes aux consommateurs à travers les augmentations successives des prix des bières. L’évolution du prix de la bière au Mexique est soumise à deux contraintes importantes : la structure du marché national et le rôle du gouvernement fédéral. De 1981 à 1996, le prix réel de la bière au détail baisse de plus de 40%. Après une diminution constante jusqu’en 1996, Modelo et FEMSA recommencent à hausser les prix. Une première hausse de 22% a lieu en 1997 ; en 1998, une deuxième hausse de 23% vient s’ajouter à la première, suite à la décision des deux entreprises de refiler aux consommateurs l’augmentation de l’impôt spécial sur la bière décrété par le gouvernement fédéral (VISA, ADR 1998). En avril 2000, les deux entreprises augmentent encore une fois leurs prix, et ce, à quelques semaines d’intervalle. On retrouve ainsi les prix de 1994, ce qui est tout de même inférieur de 25% aux prix de 1981 (Zepeda Mauleon, 27/11 /2001; FEMSA, RA 2000). Après une augmentation moyenne des prix de 10% en 2001, l’industrie doit toutefois modifier ses pratiques : suite à une série de plaintes pour pratiques monopolistiques, les augmentations futures pourraient être différenciées par zones et prendre effet à des moments distincts, entre le premier et le second trimestre (Bital, FEMSA, 2001a). 127 En fait en 1998, le Ministère des Finances reconnaît l’erreur du gouvernement d’avoir fixé le taux de l’IEPS à 25%. Il accorde alors un sursis de 60 jours aux brasseries pour le paiement de la taxe. L’État désirait augmenter ses revenus de 1309 milliards de pesos ; afin de parvenir à cette somme, l’IEPS devait être fixée à 22% et non 25%. Le Ministère s’engagea à proposer la réduction de la taxe pour l’exercice budgétaire de 1999, ce qu’il fit. Toutefois, le Congrès (Parlement mexicain) refusa la proposition, soutenant que l’insuffisance des revenus pétroliers justifiait le maintient de l’IEPS à 25% (ANAFACER, 2004a). 98 3.3 L’impact des États étrangers sur les brasseries mexicaines Durant l’internationalisation des brasseries mexicaines, les États étrangers n’exercent généralement pas une influence déterminante. Toutefois, deux interventions de gouvernements étrangers touchent directement l’industrie durant la période 19822004 : le retrait des bières mexicaines du système général de préférence américain en 1982-83 et l’autorisation par les autorités de la concurrence brésilienne de l’accord CCM- Kaiser. En 1982, l’association des brasseurs américains, la United States Brewers Association (USBA), demande aux autorités américaines de retirer ce produit du système généralisé de préférences (SGP). Suite au refus du gouvernement mexicain d’accorder la réciprocité aux bières américaines, la USBA soutient que les bières américaines font face à une concurrence déloyale de la part des brasseries mexicaines, puisqu’elles ne sont pas soumises à un tarif douanier aux États-Unis.128 Pour les représentants des brasseries mexicaines, le différentiel de développement entre les deux pays justifie l’absence de réciprocité en la matière. Cependant, le gouvernement américain accepte l’argumentation de l’USBA et retire la bière mexicaine du SGP en 1983. Par ailleurs, la signature de l’ALENA met fin à la participation du Mexique au SGP américain, ce qui élimine de facto les bières mexicaines du système. Dans le cas de l’intervention des autorités brésiliennes, celle-ci s’est limitée au domaine de la concurrence interne. L’implication du Conseil administratif d’accompagnement économique (CADE) est requise suite à l’accord entre CCM et la brasserie Kaiser, alors que la brasserie brésilienne obtient la licence de production d’une marque de bière de la brasserie mexicaine. Au début de 2004, le Ministère de la Justice brésilien et le CADE déterminent que l’accord ne saurait affecter la concurrence sur le marché brésilien. Sur cette base, le CADE autorise la transaction. Cette décision est par la suite confirmée par le Secrétariat de l’accompagnement économique, une dépendance du Ministère des Finances.129 128 En 1982, les brasseries américaines devaient payer un tarif douanier de 100% de la valeur des bières et devaient obtenir l’autorisation préalable du Ministère du Commerce afin de commercialiser leurs produits au Mexique (Expansión, 10/11/1982). 129 <http://www.cade.gov.br/atas/atadis334.htm> et 99 Conclusion La théorie de la co-opétiton accorde une place importante au rôle de l’État sans toutefois développer cet aspect à fond. Selon Nalebuff et Brandenburger, l’État possède deux fonctions déterminantes dans le réseau de valeur d’une entreprise : il est un joueur impliqué dans le réseau de valeur de la firme et selon les circonstances il se trouve sur l’une des pointes du losange du réseau : compétiteur, complémenteur, fournisseur ou client. Par ailleurs, de par ses fonctions régaliennes, l’État se perçoit comme le régulateur de l’ensemble des réseaux de valeur d’une économie. Malgré l’importance accordée à l’État, Nalebuff et Brandenburger ne détaillent pas comment la participation de cet acteur influence le développement du réseau de valeur des entreprises. Ce chapitre a cherché à combler cette lacune en étudiant le rôle de l’État dans le développement du réseau de valeur des brasseries mexicaines à partir de la crise de 1982. En analysant particulièrement les fonctions systémique et organisationnelle de l’État mexicain, nous avons montré le faible impact qu’exerce cet acteur sur l’internationalisation de l’industrie brassicole. Si l’influence de l’État sur le développement international des firmes est minime, à l’interne il intervient directement et indirectement sur la croissance des brasseries. À partir de la crise de 1982, les gouvernements mexicains successifs ont mis en place une série de politiques visant à ouvrir l’économie nationale et à l’intégrer davantage à l’économie mondiale, plus particulièrement à l’économie américaine. Outre l’ouverture commerciale, il s’agissait également de transformer les rapports avec le secteur privé, durement affectés par la décision de López Portillo de privatiser les banques en 1982. La concertation qui caractérise les administrations de la Madrid et Salinas de Gortari favoriseront le dialogue entre l’État et les représentants du secteur privé. Par ailleurs, compte tenu de la nature de l’industrie abordée, l’implication directe de l’État demeure limitée durant toute la période couverte par cette recherche. Bien que <http://www.fazenda.gov.br/Seae/documentos/pareceres/Ind.%20Processo/pcr063092004RJ_ac080120 00116200453.pdf> accès le 12 mai 2004 100 l’État mexicain, le recteur de l’économie nationale jusqu’à l’abandon du modèle de substitution aux importations, son contrôle ne s’est pas étendu sur les brasseries mexicaines, celles-ci demeurant au sein du secteur privé durant la totalité du XXè siècle. L’influence de l’État mexicain sur le réseau de valeur des brasseries mexicaines peut donc être qualifiée d’indirecte. À travers la taxation et la législation que promulgue l’État, il est en mesure d’affecter la compétitivité de l’industrie. L’État mexicain n’agit ni comme un complémenteur, ni comme un compétiteur ni comme un client des brasseries mexicaines. En ce sens, il ne se trouve pas dans le réseau de valeur des brasseries, mais assure tout de même un rôle d’importance. Dans le cas des brasseries mexicaines, les fonctions systémiques de l’État, notamment son rôle législatif et fiscal, priment sur ses fonctions organisationnelles. Le rôle systémique de l’État se révèle également par la mise sur pied d’une véritable politique de la concurrence. Bien que l’État mexicain apparaisse comme le principal acteur étatique dans le développement de l’industrie brassicole mexicaine, d’autres États ont également exercé une influence directe sur les brasseries mexicaines, mais sur une base ponctuelle. Tel est le cas des États-Unis durant les années 1982-1983 et le Brésil en 2004. Dans le cas américain, il s’agit d’une réponse à la non réciprocité du Mexique : ce dernier est accusé de ne pas accorder les mêmes conditions d’accès au marché mexicain aux brasseries américaines que le gouvernement américain octroie aux bières mexicaines. Dans le cas brésilien, il s’agit surtout de s’assurer que le brassage d’une bière mexicaine sur le territoire national ne perturbe l’équilibre concurrentiel existant. Quels enseignements tire-t-on pour le modèle de la co-opétition dans l’industrie brassicole internationale ? À travers ses politiques, particulièrement les politiques de la concurrence, il régule l’entrée sur le marché national de firmes étrangères en abaissant ou en haussant les barrières concurrentielles. C’est ce qu’on observe dans le cas de la nouvelle politique de la concurrence mexicaine, de la décision des ÉtatsUnis de sortir les bières mexicaines du SGP ou l’accord du CADE d’autoriser la licence de production au Brésil. Le rôle de l’État se limiterait donc au territoire 101 national. Les chapitres suivants permettront d’élaborer quelque peu sur le rôle de l’État. 102 CHAPITRE IV L’INDUSTRIE BRASSICOLE MEXICAINE L’une des assertions centrales de cette thèse est à l’effet que la globalisation doit être analysée à trois niveaux distincts : le national, le régional et le global. Les stratégies des entreprises, acteurs fondamentaux de la globalisation, s’articulent à la fois à ces trois niveaux, que ce soit en termes productif ou commercial. Tel qu’il a été suggéré en introduction de notre étude, les firmes s’appuient d’abord sur le marché national avant d’amorcer leur internationalisation. L’examen de l’évolution et de l’organisation du marché national permet de mieux comprendre les déterminants de l’internationalisation des firmes, ainsi que les stratégies qu’elles privilégient lors de ce processus. La prise en compte de l’échelon national contribue d’une autre façon à une meilleure compréhension de la globalisation. En effet, si on accepte que celle-ci se caractérise, entre autre, par une exacerbation de la concurrence sur les marchés mondiaux et la transformation des politiques nationales en faveur d’une diminution des barrières au commerce international, la globalisation implique qu’on s’attarde à cet échelon. D’une part, les marchés mondiaux se subdivisent en marchés régionaux et nationaux, ce qui nous oblige à aborder la concurrence à ces niveaux. D’autre part, les politiques gouvernementales favorisant l’intégration des marchés sont principalement le fait d’États nationaux. Le chapitre précédent a traité du rôle de l’État sur les firmes, en particulier comment l’État mexicain participe indirectement au développement du réseau de valeur des brasseries mexicaines. Il s’agit maintenant de se pencher sur l’industrie brassicole mexicaine et les entreprises la composant. Pour qui veut comprendre le processus d’internationalisation de l’industrie brassicole mexicaine, un arrêt préalable s’impose sur son développement historique, ainsi que sur l’organisation de celle-ci. N’étant pas une industrie nouvelle, ses origines datant du XIXè siècle, elle s’est surtout développée dans les grandes villes du pays avant d’étendre sa présence à l’ensemble du territoire mexicain. Ce n’est qu’une fois cette couverture assurée et la concurrence nationale bien établie que le processus 103 d’internationalisation débute réellement. Ce chapitre a pour but d’étudier le développement historique et organisationnel de l’industrie brassicole mexicaine à l’échelle nationale. De la naissance des premières brasseries à la crise économique de 1982, la croissance de l’industrie connaît deux phases distinctes. Une première qui va de 1860 aux années 1920 : elle se caractérise par l’apparition et la disparition d’une multitude de brasseries. C’est la phase de la naissance. La seconde, qui va des années 1920 à 1982 peut se définir comme la phase de la consolidation, alors que l’industrie se concentre et étend sa couverture à l’ensemble du Mexique. Le développement historique de l’industrie fera l’objet de la première partie de ce chapitre. La réorganisation de l’industrie qui s’amorce avec la crise de 1982 constitue une étape charnière dans l’évolution des brasseries mexicaines. Les difficultés économiques que connaît le Mexique touchent directement les brasseries mexicaines. La crise provoque même la restructuration de l’industrie, celle-ci se transformant d’un oligopole de trois entreprises en un duopole. L’intégration de la brasserie Moctezuma à la brasserie Cuauhtémoc s’étale sur trois années, ce qui permet à leur concurrente, Modelo, de prendre le contrôle de l’industrie. La deuxième partie du chapitre aborde la transformation et la consolidation de l’industrie entre 1982 et 1988. Elle présente les causes ayant mené Cuauhtémoc et Moctezuma au bord de la faillite, analyse les stratégies adoptées par les brasseries afin de surmonter la crise ainsi que les résultats de la restructuration de l’industrie. La dernière partie traite la structure actuelle de l’industrie, celle-ci se composant de deux brasseries, Grupo Modelo et Cerveceria Cuauhtémoc-Moctezuma.. Elle présente les caractéristiques générales de celle-ci et les transformations qu’elle connaît depuis 1988. Nous verrons comment l’histoire, l’organisation et les objectifs de Modelo et CCM façonnent et limitent la concurrence sur le marché mexicain. Ce qui nous intéresse ici est la constitution du réseau de valeur contemporain des brasseries mexicaines. Contrairement au schéma de Nalebuff et Brandenburger (1996), ce réseau ne se présente pas sous la forme d’un diamant, mais d’un triangle. En outre, la 104 structure duopolistique du marché limite la concurrence à deux firmes, les importations y jouant un rôle négligeable. En somme, ce chapitre ne cherche pas à explorer plus à fond les débats théoriques soulevés jusqu’à maintenant. Il vise plutôt à mieux saisir l’environnement institutionnel dans lequel évoluent les deux entreprises. Il fait le lien entre le chapitre précédent et les chapitres subséquents. Il permet, d’une part, de mieux saisir le rôle et l’influence de l’État sur le développement et la croissance des firmes nationales et, d’autre part, de comprendre les choix stratégiques que font CCM et Modelo dans leur internationalisation par la suite. 4.1 Le développement historique de l’industrie brassicole mexicaine : 1860-1982 L’industrie brassicole mexicaine, comme plusieurs industries nationales, passe par plusieurs phases au cours de son histoire. Bien que la bière soit brassée au Mexique depuis 1544 (Medina Mora, 1998), l’émergence d’une véritable industrie date de la fin du XIXè siècle. C’est à partir d’alors qu’on assiste à la naissance des premières brasseries. Cette première période s’étend jusqu’en 1925, soit à la naissance de la brasserie Modelo. À partir des années 1930, la consolidation de l’industrie s’accélère jusqu’à la formation du duopole. 4.1.1 Première période : la naissance (1860-1925) C’est au début des années 1860 qu’apparaissent les entreprises qui constitueront par la suite la colonne vertébrale de l’industrie brassicole mexicaine. Ces entreprises sont géographiquement localisées dans les grands centres urbains (Mexico, Guadalajara, Monterrey, Veracruz) et desservent uniquement le marché local. Elles ne possèdent pas les technologies nécessaires à l’exportation des bières à l’extérieur de leur localité : l’absence de méthodes de refroidissement, de même que le faible niveau de développement ferroviaire du pays représentent les obstacles les plus importants à la croissance des entreprises (Medina Mora, 1998). Bien que la propriété de ces entreprises soit en partie aux mains de l’élite du pays, cette industrie naissante est avant tout artisanale : très peu d’entreprises possèdent la taille et les capacités financières permettant la modernisation. 105 Deux des caractéristiques les plus importantes des brasseries de cette époque touchent à la propriété et à l’expertise. La quasi-totalité des brasseries qui apparaissent à cette époque sont des partenariats entre Mexicains et immigrants européens ou investisseurs américains. Les immigrants apportent non seulement un capital important, mais surtout une expertise permettant de fabriquer une bière de grande qualité. La propriété des brasseries reflète sorte la hiérarchisation de la société mexicaine de la deuxième partie du XIXè siècle : plusieurs familles de l’élite politique, économique, financière et militaire du pays sont également impliquées dans la naissance et le développement de cette industrie. De la fin du XIXè siècle jusqu’à la Révolution de 1910-1917, l’industrie se caractérise par un double mouvement de naissance et de concentration d’entreprises ainsi que par des innovations techniques permettant la conservation (pasteurisation) et le transport de la bière. Durant la dernière décennie du XIXè siècle, plusieurs brasseries apparaissent, de sorte qu’en 1900 le Mexique compte 29 brasseries. Cependant, seulement quatre d’entre elles (Moctezuma, Cuauhtémoc, Chihuahua et Toluca y México) exportent à l’extérieur de leur région respective (Medina Mora, 1998). En 1908, la brasserie Chihuahua disparaît suite à un incendie ; il ne reste plus que trois grandes brasseries et une multitude de brasseries artisanales. La Révolution marque une étape importante de cette première période. Les brasseries sont durement touchées : réquisitions et/ou saisies des installations, expropriations, difficultés d’approvisionnement, baisse de la production, raréfaction de la main d’œuvre et baisse des profits. Toutefois, après la Révolution, l’industrie récupère rapidement le terrain perdu : en 1918, le Mexique compte 36 brasseries, mais la très grande majorité demeure artisanale et sans importance (Medina Mora, 1998). 4.1.2 Deuxième période : le développement (1925-1982) Rétrospectivement, on peut avancer que la deuxième phase du développement de l’industrie brassicole mexicaine, qui va de l’apparition de la brasserie Modelo à la crise de 1982, débute en 1925. Grâce à l’apport de capitaux mexicains et espagnols ainsi que d’appuis gouvernementaux, Modelo ouvre officiellement ses portes en 106 octobre 1925.130 Au fil des ans, deux brasseries accaparent le marché de la vallée de Mexico et s’y affrontent : Modelo et Cervecería Toluca y México. La Grande dépression des années 1930, qui frappe plus durement l’industrie entre 1931 et 1933, de même que la concurrence de plus en plus forte de Modelo, ont éventuellement raison de Cervecería Toluca y México : en 1935 Modelo achète tout d’abord les droits de la principale marque de sa concurrente, puis absorbe celle-ci quelques mois plus tard (Grupo Modelo, 2000). C’est au cours des années 1950 que l’industrie atteint sa véritable vitesse de croisière. Le développement des principales brasseries prend deux formes : l’acquisition de brasseries stratégiquement situées à travers le pays et la modernisation de leurs propres installations.131 C’est également durant cette décennie que Modelo passe au premier rang des brasseries mexicaines devant ses principales concurrentes, Cuauhtémoc et Moctezuma. Les petites brasseries demeurent encore relativement importantes, car elles possèdent 14,2% des parts de marchés. Toutefois, la concentration se poursuit rapidement alors que les brasseries augmentent sensiblement leurs capacités de production.132 Durant cette période, Cuauhtémoc et Modelo acquièrent plusieurs brasseries de petite taille et construisent quelques usines supplémentaires afin d’accroître leur présence nationale. Celles-ci sont stratégiquement implantées à travers le pays afin d’offrir une couverture maximale du territoire, car la segmentation du marché mexicain se poursuit : Modelo domine toujours le centre du pays, alors que Cuauhtémoc maintient son avance au nord et que Moctezuma domine le marché dans la région du Golfe du Mexique. Durant ces deux décennies, les brasseries mexicaines s’efforcent non seulement de produire à l’échelle régionale, mais aussi d’offrir aux consommateurs des marques nationales. C’est ainsi que les marques Corona Extra (Modelo) et Tecate (Cuauhtémoc) deviennent les emblèmes des deux principales brasseries mexicaines. À 130 La brasserie a ouvert ses portes en octobre 1925, mais c’est le 8 mars 1922 que s’est constituée la raison sociale Cervecería Modelo S.A. Voir Grupo Modelo, (2000). 131 Modelo acquiert les brasseries Cerveceria Estrella et Cerveceria del Pacífico en 1954, Cerveceria del Noroeste en 1960 et Cerveceria del Torreón en 1964. En 1952, la brasserie investit 52 millions de pesos afin de moderniser les usines existantes (Herrero, Massaro et Deshpandé, 2001). 132 Cette concentration aura été favorisée par la promulgation de la loi fédérale sur l’élimination des barrières entre les états en 1949, permettant ainsi la formation d’un véritable marché national (Oliveira Vera-Cruz, 2000). 107 travers la couverture de l’ensemble du territoire mexicain, ce que recherchent les brasseries est la pénétration des marchés jusque-là exclusivement “réservés” aux concurrentes. Tableau 4.1 Acquisitions des brasseries dans l’industrie brassicole mexicaine, 1935-1970 Compagnie Cuauhtémoc Année 1929 1945 1953 1954 1954 1957 1935 1954 Acquisition Localisation Brasserie à México Mexico Cervecería Nogales Nogales, Sonora Cervecería de Humaya Culiacán, Sinaloa Cervecería Tecate Tecate, Basse Cal. du Sud Cervecería de Guadalajara Guadalajara, Jalisco Moctezuma Cervecería del Norte Monterrey, Nuevo León Modelo Cervecería Toluca y México Toluca, état de Mexico Cerveceria Estrella Guadalajara, Jalisco Cerveceria del Pacífico Mazatlán, Sinaloa 1960 Cerveceria del Noroeste Ciudad Obregón, Sonora 1964 Cerveceria del Torreón Torreón, Coahuila Source: Taeko Hoshino, “Firms in Developing Countries and Globalization”, dans I. Yamazawa et N. Amakawa (dirs.), The Experiences and Perspectives of Developing Economies under Globalization, International Symposium on Developing Economies in the 21st Century, IDE-JETRO symposium no.20, Makuhari, Japon: Institute of Developing Economies, 2000. Pour les brasseries, la concentration permet de réaliser des économies d’échelle, condition nécessaire à la croissance.133 La concentration passe non seulement par l’achat de brasseries concurrentes et la hausse de la production, mais également par l’établissement de politiques d’exclusivité. La brasserie se lie par contrat avec un détaillant, alors que ce dernier s’engage à ne vendre que les bières de celle-ci en échange d’avantages de toutes sortes (un réfrigérateur, la peinte d’un magasin, etc.). Outre l’allégeance des détaillants, les brasseries s’assurent également du soutien des notables des villes et des campagnes afin d’y accroître leur présence (Garcia Sordo, 08/05/2002). 133 La concentration est une caractéristique importante de la majorité des marchés brassicoles internationaux à partir de l’après-guerre. Les changements technologiques et la hausse de la demande entraînent la nécessité pour les brasseries industrielles de réaliser des économies d’échelles, réduisant ainsi leurs coûts de production (Wilson et Gourvish, 1998). Il y a économie d’échelle lorsque le coût unitaire diminue alors qu’il y a une augmentation de la production et de la taille de chaque unité de production (brasserie) (Irvine et Sims, 1993). Les économies d’échelle s’accompagnent généralement d’une rationalisation de la production, i.e. la fermeture de certaines usines alors que la production des plus importantes croît. Dans le cas de la concentration des années 1950 toutefois, les économies d’échelle ne sont pas accompagnées d’une rationalisation. 108 Durant cette phase de consolidation, l’une des principales différences entre les brasseries concerne le mode de gestion des entreprises. Modelo adopte un fonctionnement de type pyramidal, les décisions sont prises directement par les hauts dirigeants et les relations avec les agences de distribution sont directes. Cuauhtémoc et Moctezuma se caractérisent par un fonctionnement de type bureaucratique.134 Si pour certains cette forme d’organisation provoque un alourdissement du processus décisionnel (Garcia Sordo, 08/05/2002), pour d’autres, elle signifie plutôt une gestion plus professionnelle de l’entreprise (Rodríguez Garza, 03/05/2002).135 Si la gestion des entreprises diffère, leurs stratégies de ventes se distinguent également. Pour Cuauhtémoc et Moctezuma, l’objectif central est de générer des profits alors que Modelo cherche avant tout à accroître ses volumes de vente. Dans cette optique, Cuauhtémoc et Moctezuma adoptent une politique de prix élevés comparativement à Modelo. Durant les années 1970, la production augmente à un taux moyen de 6,5% par an (Expansion, 10/11/82). De 1975 à 1982, la production totale passe de 19,9 millions d’hectolitres à 28,5 millions d’hectolitres (figure 4.1). Cependant, la croissance de cette production n’est pas constante. On observe ainsi deux années de baisse, soit 1976 et 1982 ; toutefois, celles-ci sont compensées par une de hausse globale de 28,5% entre 1978 et 1981. 134 Expression utilisée par Garcia Sordo lors de l’entrevue du 8 mai 2002. Cette distinction entre les trois firmes renvoie à l’organisation davantage structurée et hiérarchisée que l’on retrouvait au sein de Cuauhtémoc et de Moctezuma. Les deux entreprises comptaient plus de niveaux décisionnels que Modelo, ce qui ralentissait parfois la prise de décision. 135 Garza reconnaît le caractère bureaucratique de Cuauhtémoc et de Moctezuma. Mais contrairement à García Sordo, il considère que cela représentait un avantage. 109 Figure 4.1 Production annuelle de l’industrie brassicole mexicaine, 1975-1982 (en millions d’hl.) Millions hl 35 30 25 20 15 10 5 0 1975 1976 1977 1978 1979 1980 1981 1982 Source : Brewers Association of Canada, Alcoholic Beverage Taxation and Control Policies, International Survey, Ottawa: BAC, 1997. Deux autres éléments d’importance de cette période doivent encore être soulignés : la double stratégie de marques nationales et régionales d’une part, et le début de l’effort exportateur de l’industrie d’autre part. En ce qui concerne la couverture du marché mexicain, les brasseries font usage d’une double stratégie, soit celle d’offrir des marques régionales en complément de marques nationales. Cette stratégie ne résulte pas d’une longue étude de marché de la part des compagnies ; en fait, elle s’impose dans la mesure où les brasseries, Modelo et Cuauhtémoc en particulier, acquièrent des brasseries régionales. Ces brasseries se substituent simplement aux anciens propriétaires tout en poursuivant la distribution de ces marques dans les régions où elles sont maintenant implantées. À partir de la fin des années 1970, l’industrie brassicole mexicaine connaît un nouveau tournant avec le début de l’aventure exportatrice de Modelo. Cuauhtémoc et Moctezuma exportaient déjà vers les États-Unis, mais en quantités négligeables (cf. chapitre 6). Le succès est rapide, le cas de Modelo servant ici d’illustration. Voulant bénéficier de la proximité des États-Unis, de la présence d’une très forte communauté 110 mexicaine dans les états du Sud et d’un public étudiant potentiellement très réceptif, l’entreprise introduit la Corona Extra en Californie et au Texas.136 Au début des années 1980, alors que l’industrie brassicole mexicaine semble prête à bénéficier de la croissance économique du pays, la situation de l’une des trois grandes brasseries, Moctezuma, se détériore rapidement. La crise de la dette, qui débute en 1982, conduit l’entreprise au bord du gouffre et provoque une restructuration fondamentale de l’industrie. 4.2 Crise et consolidation : 1982-1988 La crise de 1982 marque profondément l’industrie brassicole mexicaine. Profitant de la croissance qui touche le pays suite aux grandes découvertes pétrolières de 1976, et suivant en cela de nombreuses entreprises mexicaines, Moctezuma et Cuauhtémoc s’endettent lourdement. Lorsque surviennent les dévaluations, ces brasseries se trouvent au bord de la faillite. Les conséquences de la crise exacerbent les différences quant à la philosophie des affaires des dirigeants de l’industrie. Il ne serait pas faux d’affirmer que cet événement constitue l’élément le plus important dans la compréhension de l’évolution de l’industrie brassicole mexicaine depuis le début des années 1980, tant au niveau national qu’à l’échelle internationale. La crise de 1982 produit deux conséquences majeures sur l’industrie : d’une part, elle entraîne une profonde restructuration, alors qu’on assiste à la fusion de Cuauhtémoc et de Moctezuma ; d’autre part, elle pave la voie à la domination de Modelo à partir de la seconde moitié des années 1980. 4.2.1 La crise de 1982 et ses conséquences Les crises économiques et financières au Mexique, depuis le début des années 1980, représentent des moments-clés dans le développement de l’industrie brassicole nationale. Si la crise de 1994 a provoqué l’explosion de la production brassicole et l’accélération des exportations, la crise de 1982 engendre des conséquences beaucoup plus importantes. 136 Vivian Cohen Borenstein, El caso de Grupo Modelo : un exportador por excelencia in <http://www.soyentrepreneur.com/pagina.hts?N=9476&Ad=S> accès le 12 février 2002. 111 La première conséquence est l’importante chute de la demande et de la production. Alors que la production totale s’établit à 28,1 millions d’hectolitres en 1981, elle chute de 1,7% en 1982, puis de 14,4% en 1983 pour s’établir à 23,6 millions d’hectolitres (tableau 4.2). Il faut attendre 1987 avant que l’industrie ne retrouve le niveau de production antérieur à 1982. Malgré une augmentation des ventes et des exportations entre 1982 et 1983, les revenus et la situation financière des entreprises se détériorent : VISA, le holding propriétaire de Cuauhtémoc enregistre des profits de 2,354 milliards de pesos lors du premier trimestre de 1982, mais termine l’année avec des pertes de 6,345 milliards de pesos (Expansión, 21/12/1983). Tableau 4.2 Production totale de l’industrie brassicole mexicaine 1980-1992 (en hl.) Année Cuauhtémoc Moctezuma Total Modelo Total Cua/Moc 8 686 121 7 134 525 15 820 646 10 221 506 26 042 152 1980 9 512 523 7 106 303 16 618 826 11 448 388 28 067 214 1981 9 146 650 6 755 320 15 901 970 11 681 444 27 583 414 1982 7 782 680 5 622 201 13 404 881 10 203 812 23 608 693 1983 8 308 188 5 878 328 14 186 516 10 898 844 25 085 360 1984 9 068 208 6 038 300 15 106 608 12 286 996 27 393 604 1985 9 225 197 5 699 160 14 924 357 12 567 045 27 491 402 1986 9 210 611 5 828 595 15 039 206 13 667 841 28 707 047 1987 9 735 624 6 304 128 16 039 752 15 301 478 31 341 230 1988 11 161 865 7 189 734 18 351 599 18 112 231 36 463 830 1989 11 375 783 7 398 036 18 773 819 18 197 918 36 971 737 1990 11 399 352 7 593 028 18 992 380 19 708 951 38 701 331 1991 11 702 857 7 798 084 19 500 941 20 310 440 39 811 381 1992 Source: ANAFACER dans Bear Stearns, The Mexican Beer Industry, Special Report, Emerging Markets Equity Research, New York, 1994. Si les stratégies des brasseries s’influencent profondément mutuellement, il faut également souligner le rôle du gouvernement mexicain. L’impact de l’État se fait sentir à quatre niveaux : l’intervention afin de sauver Moctezuma, la forte hausse des taxes et impôts durant l’ensemble de la période, la nationalisation de la banque et l’établissement du FICORCA (cf. chapitre 3). Les trois brasseries mexicaines affrontent chacune la crise différemment. Des trois, Moctezuma sera la grande perdante. À la fin des années 1970, l’entreprise s’endette lourdement afin de financer ses projets de développement. Les dévaluations de 1982 surprennent la firme : en quelques mois, la dette de Moctezuma sextuple, passant de 6 112 milliards de pesos à 35,280 milliards de pesos (Expansión, 28/03/1984). La firme cesse de payer les intérêts sur sa dette dès septembre 1982 et se déclare en cessation de paiement en 1984 (Expansión, 05/02/1986).137 Moctezuma doit rationnaliser sa production et revoir complètement l’organisation de l’entreprise. Plus de la moitié des travailleurs perdent ainsi leur emploi entre 1980 et 1983 (tableau 4.3). Outre l’endettement, trois autres causes contribuent à la banqueroute de Moctezuma : la mauvaise gestion des dirigeants, les défaillances des distributeurs et les pertes de parts de marché. L’euphorie des années 1970 conduit les dirigeants de l’entreprise à prendre des décisions douteuses, alors que la situation concurrentielle de celle-ci ne concorde pas avec la stratégie : salaires élevés des administrateurs, disparitions inexplicables de sommes d’argent ou de matériel et dépenses injustifiables (Expansión, 28/03/1984). Par ailleurs, la compagnie acquiert plusieurs distributeurs techniquement en faillite. L’objectif des rachats est de renforcer le système de distribution de l’entreprise et ainsi de récupérer les parts de marché perdus depuis la fin des années 1970. Toutefois, les résultats sont contraires puisque non seulement les parts de marché de Moctezuma poursuivent-elles leur chute, mais ces acquisitions grèvent davantage les finances de la compagnie. Les problèmes de l’entreprise, bien qu’ils ne datent pas uniquement de la crise, sont accentués par celle-ci. Soulignons qu’au début de 1982, Moctezuma doit fermer la brasserie de Monterrey. L’entreprise est en surcapacité de production, bien qu’officiellement la brasserie soit fermée pour cause de manque d’eau. La situation de Moctezuma se détériore sensiblement entre 1980 et 1985. En 1980, Moctezuma possédait 27,4% de la production nationale et 27,1% du marché national. En 1984, ces pourcentages baissent à 23,4% de la production nationale et 23% du marché national (tableau 4.2). L’une des raisons ayant le plus aggravé la situation financière de Moctezuma est l’attitude de ses dirigeants vis-à-vis des créditeurs et du gouvernement fédéral. Dès 1982, la firme se retrouve en cessation de paiement, une situation officialisée en 1984. Cette année-là, la compagnie se retrouve toujours avec une dette de 51 milliards de 137 L’un des problèmes de Moctezuma résidait dans le fait que sa dette était libellée à la fois en pesos mexicains et en dollars. Suite à la dévaluation, sa position devenait intenable puisque les exportations ne fournissaient pas suffisamment de dollars afin de couvrir la portion de la dette libellée en dollars. 113 pesos (300 millions de dollars) qu’elle refuse de payer (Expansión, 10/10/1984). L’entreprise fait face à deux procès pour non-paiement de sa dette durant la seule année 1984.138 La situation de l’entreprise se dégrade à un point tel que seule l’intervention des principaux actionnaires de Cuauhtémoc sauve Moctezuma de la faillite.139 La situation de Cuauhtémoc ressemble quelque peu à celle de Moctezuma. Tout comme sa concurrente, Cuauhtémoc voit sa production diminuer drastiquement entre 1981 et 1983. En deux ans, celle-ci baisse de 18% (tableau 4.2). Ce n’est qu’en 1988 que la brasserie retrouve un niveau de production supérieur à celui de 1981. Malgré cette similitude entre les deux brasseries, il existe une différence majeure quant à la structure des deux entreprises. Alors que Moctezuma était une brasserie indépendante, Cuauhtémoc fait partie d’un holding, FEMSA, elle-même la principale subsidiaire d’un autre holding VISA140, ce qui lui permet de surmonter la crise. En fait, la crise touche plus durement VISA dans son ensemble que sa division brassicole.141 Lorsque le gouvernement Lopez Portillo procède à deux dévaluations puis à la nationalisation des banques en août 1982, Cuauhtémoc, comme l’ensemble du secteur privé mexicain, est prise par surprise. Afin de surmonter son surendettement, la 138 En mars 1984, la Northwestern Bank of Minneapolis poursuivit Moctezuma pour non-paiement de sa dette. Cependant, n’ayant pas obtenu l’appui d’autres créditeurs, la requête ne progressa pas. Quelques mois plus tard, en octobre, plus de trente institutions financières poursuivirent Moctezuma pour le même motif. 139 Les autorités gouvernementales avaient multiplié les interventions afin de trouver une solution aux problèmes de Moctezuma. Parmi les différentes options envisagées, il n’était nullement question qu’une firme étrangère fasse l’acquisition de la brasserie en difficulté. Les représentants du Ministère des Finances proposèrent à Cuauhtémoc et Modelo de racheter la compagnie, ce que refusèrent les deux entreprises dans un premier temps (Expansión, 28/03/1984). 140 Valores Industriales S.A. de C.V. (VISA) est née en 1974, résultat de la séparation de plusieurs entreprises de Monterrey. Ce groupe d’entreprises, baptisé Grupo Monterrey, fut divisé en deux suite au meurtre de son président, Eugenio Garza Sada. Deux compagnies émergèrent de cette division : VISA et ALFA. Quant à FEMSA, l’entreprise s’est incorporée en 1974; en 1978, ses actions s’échangèrent à la bourse de Mexico, mais ce n’est qu’à partir de la fusion avec Moctezuma que FEMSA prendra toute son importance. Dans les faits, Moctezuma faisait aussi partie d’un conglomérat, le Grupo Cremi, mais contrairement à sa concurrente de Monterrey, la brasserie fonctionnait de manière totalement indépendante des autres unités du groupe dont elle faisait partie. D’ailleurs, les hauts dirigeants de Grupo Cremi refusèrent systématiquement d’utiliser les ressources du groupe afin de venir en aide à Moctezuma. 141 Suite au boom pétrolier et au développement du crédit facile, VISA avait adopté une stratégie de diversification à la fin des années 1970. Ainsi la firme s’était aventurée dans le commerce au détail, l’hôtellerie, la construction, les pièces d’auto et l’industrie de la transformation alimentaire, entre autres. Cette stratégie était fondée sur l’endettement du groupe : entre 1978 et 1981, la dette de l’entreprise exprimée en pesos augmenta de 64% alors que la dette en monnaie étrangère crût de 562% (Expansión, 21/12/1983). 114 compagnie-mère, VISA, se voit forcer de renégocier et de restructurer sa dette, car elle ne peut l’honorer ; de vendre certains actifs et revenir à ses activités de base (core competence) ; de limiter ses investissements au strict minimum et de revoir l’organisation générale du groupe (Expansión, 21/12/1983). En 1983, VISA procède à la première de deux restructurations qui ont lieu durant la période 1982-1988. Assumant que la situation économique générale du pays s’améliorerait à court et moyen termes, ce réaménagement se formalise en 1984.142 Les bases sur lesquelles se fonde la première restructuration ne s’étant pas matérialisées, celle-ci est suivie, en 1986, d’un second rééchelonnement de la dette.143 Afin de respecter les termes du nouvel accord, VISA doit vendre plusieurs filiales ne faisant pas partie de ses activités de base, soit les boissons, les magasins au détail (OXXO) et l’empaquetage. C’est ainsi que l’entreprise se défait, entre autres, de la division tourisme, de la division pièces d’auto et de ses hôtels. Par ailleurs, VISA revoit également ses plans d’investissement et l’organisation du holding. L’entreprise limite ses investissements au maintient des usines en existence, l’objectif n’étant plus de croître, mais d’éviter la détérioration de sa situation financière. Si Cuauhtémoc et Moctezuma passent péniblement à travers la crise, ce n’est pas le cas de Modelo. L’entreprise, s’appuyant sur sa structure familiale et sa politique de non-endettement et de réinvestissement des profits, évite les conséquences financières de la crise. Malgré une situation économique générale plutôt défavorable, Modelo construit sa septième brasserie durant cette période, la brasserie de Tuxpectec (Sud). Celle-ci entre en opération en 1984, avec une capacité initiale de production de 3 millions d’hectolitres (Bear Stearns, 1994). Bien que la production de Modelo baisse de 12,6% entre 1982 et 1983, cela est davantage fonction de la situation générale de l’économie mexicaine que de la stratégie générale de l’entreprise. Dans le cas de Cuauhtémoc et de Moctezuma, les baisses de production s’avèrent nettement plus fortes durant la même période : 18% de baisse pour Cuauhtémoc et 20,9% pour 142 Selon les termes de la restructuration, qui s’étalait sur 14 ans, VISA obtenait une période de grâce de 6 ans puis 8 années d’amortissement (Expansión, 26/10/1988). 143 Le problème auquel devait faire le holding était double : d’une part, la dette du celui-ci, qui s’élevait à $350 millions US, et d’autre part, la dette de Fomento Proa, la principale filiale du groupe, qui se montait à $780 millions US, et qui comprenait les dettes de Cuauhtémoc et de Moctezuma. Suite à la restructuration de 1986, VISA acceptait de rembourser 0,45$ pour chaque dollar de dette du holding. Ce remboursement ne comprenait pas les actifs au sein de Fomento Proa (Expansión, 26/10/1988). 115 Moctezuma. Alors que Modelo investit afin d’augmenter ses capacités productives et de distribution, Cuauhtémoc et Moctezuma doivent rationaliser leurs activités afin de réduire leurs dettes respectives. D’une certaine façon, la crise de 1982-1985 représente une période d’expansion pour Modelo, alors qu’elle en est une de restructuration pour ses concurrentes. En somme, Moctezuma aura été la grande perdante de la crise. Elle perd sur trois plans : la perte de contrôle de son système de distribution, la perte de contact avec le marché brassicole (au vu de la lenteur des réactions des dirigeants face à la situation de l’entreprise et de l’économie mexicaine en général) et la perte de parts de marché (Expansión, 28/03/1984). Entre 1981 et 1985, la part de marché de Moctezuma passe de 25,3% à 22% de la production nationale. Par contre, Modelo sort gagnante de la crise. Non seulement ne connaît-elle pas d’ennuis majeurs sur le plan financier, l’entreprise profite de l’extrême faiblesse de Moctezuma et de la faiblesse relative de Cuauhtémoc en gagnant 4,2% de parts de marché entre 1981 et 1985, passant de 40,7% à 44,9%. Modelo récupère toutes les parts de marché perdues par Moctezuma et certaines de celles de Cuauhtémoc. C’est dans ce contexte de montée en force de Modelo et de faiblesse de ses deux concurrentes qu’a lieu la vente de Moctezuma à VISA et la dernière consolidation en date de l’industrie brassicole mexicaine. 4.2.2 De l’oligopole au duopole : 1985-1988 La fusion entre Cuauhtémoc et Moctezuma ne va pas sans heurts : due à la dette des deux entreprises, la constitution d’une entité unique, Cerveceria CuauhtémocMoctezuma (CCM), ne se réalise qu’en 1988. Toutefois, à partir de 1988, la question de la dette étant finalement réglée, la nouvelle compagnie peut enfin voir le jour. Cela met officiellement fin à l’existence de Moctezuma en tant que brasserie indépendante. Moctezuma se trouve en banqueroute depuis 1982. En décembre 1985, alors que la situation concurrentielle et financière de la compagnie s’était rapidement détériorée, les dirigeants de l’entreprise n’ont d’autre choix que de céder le contrôle de la 116 compagnie à VISA.144 L’actionnaire majoritaire de VISA, la famille Garza Lagüera, acquiert Moctezuma grâce à un échange d’actions et la prise en charge de la dette de la brasserie.145 VISA crée alors un holding, Fomento Proa, au sein duquel sont versées les actions de Cuauhtémoc et de Moctezuma. Durant la première phase de la fusion, chaque entreprise conserve son autonomie administrative et sa structure financière (Expansión, 05/02/1986).146 Selon l’accord entre les deux brasseries, Cuauhtémoc se limite à conseiller Moctezuma en matière de productivité et d’efficience. Par la suite, Moctezuma signe un contrat d’une durée indéfinie avec Cuauhtémoc par lequel la gestion des deux brasseries s’effectue de manière coordonnée. Pour la nouvelle entité, les deux premières priorités sont de remettre sur pied le système de distribution de Moctezuma, durement affaibli par la crise ; ensuite, il faut revoir certaines pratiques productives afin d’accroître l’efficacité de la firme (Expansión, 05/02/1986). En complément de l’accord entre les brasseries, un unique réseau de distribution s’établit ; la rationalisation qui s’ensuit entraîne la disparition de plusieurs distributeurs.147 Ce n’est qu’en 1988, après trois ans de collaboration de plus en plus serrée, que le holding Proa s’intégre à FEMSA afin de créer une nouvelle entité : Cervecería Cuauhtémoc-Moctezuma.148 Si les propriétaires de Cuauhtémoc acceptent de racheter Cuauhtémoc, ce n’est pas uniquement pour répondre aux appels répétés du gouvernement fédéral. Selon l’entreprise, l’acquisition de Moctezuma a pour conséquence non seulement de freiner la chute des deux brasseries vis-à-vis Modelo, mais également de renforcer la 144 Ce sont les actionnaires majoritaires de VISA, le holding propriétaire de Cuauhtémoc, qui acquirent la majorité des actions de Moctezuma. Cuauhtémoc se trouvant elle aussi en difficulté financière, l’entreprise ne pouvait investir dans Moctezuma (VISA, ADR 1998). 145 Grâce à cet accord, 307 millions $US et 900 millions de pesos furent pris en charge par VISA (Expansión, 05/02/1986). 146 Il doit être rappelé ici qu’en 1985 Cuauhtémoc et Moctezuma rejetèrent l’idée qu’il s’agissait de l’amorce d’une fusion des deux brasseries. 147 Étant donné que certains territoires étaient desservis par deux distributeurs, le choix s’effectuait par l’entreprise possédant les coûts les moins élevés ou celle dont le volume de ventes était le plus élevé (Expansión, 05/02/1986). 148 Comme condition de la fusion, Grupo Cermoc (la brasserie Moctezuma et ses filiales) fut intégrée à FEMSA afin de former Cerveceria Cuauhtémoc-Moctezuma. Les parts de Cuauhtémoc représentaient 75% de la nouvelle entité, alors que celles de Grupo Cermoc équivalaient à 25%. L’ensemble des dettes de Cuauhtémoc et de Grupo Cermoc, de l’ordre de 1,3 milliard $US, fut consolidé au sein de FEMSA (FEMSA, ADR 1998). 117 présence régionale de chacune. Dans cette optique, Cuauhtémoc pourrait consolider sa position dominante dans le Nord du Mexique, alors que Moctezuma ferait de même dans le Sud. Ainsi, l’union des deux brasseries permettrait de regagner les parts de marché perdues à Modelo. Toutefois, les prévisions des dirigeants de Cuauhtémoc ne se matérialisent pas. Plusieurs facteurs contribuent à contredire ces prédictions, au premier rang desquels l’intégration des deux entreprises. En effet, suite au rapprochement de 1985, les deux brasseries passent relativement rapidement à l’étape de l’intégration de leurs marques, de leur système de distribution et des employés. Ces trois éléments, de même que la guerre des prix initiée par Modelo à partir de 1985, contribuent au recul progressif de la nouvelle compagnie. La première difficulté que connaît la future CCM est la gestion d’un trop vaste portefeuille de marques.149 L’entreprise se trouve forcée de réduire cette surabondance de marques en supprimant certaines d’entre elles. Les marques éliminées sont avant tout des marques régionales : elles ne représentent que 6% du marché en 1980 (Bear Stearns, 1994). Si cette décision s’impose du point de vue financier et de la rationalisation des actifs de l’entreprise, au niveau commercial, ces retraits signifient la perte de consommateurs loyaux et, conséquemment, la perte de parts de marché.150 Malheureusement pour la firme, lorsqu’un consommateur délaisse une marque, très rarement y retourne-t-il. Étant donné que l’abandon des marques se produit surtout dans les régions où domine Moctezuma, Modelo profite du vide afin d’accroître sa présence. La fusion et l’abandon des marques provoquent une autre série de difficultés pour l’entreprise : l’intégration des employés et de la distribution. Pour les dirigeants de la nouvelle firme, qui proviennent des deux entreprises fusionnées, l’intégration de deux compagnies différentes, tant au niveau des valeurs, de la culture d’entreprise, des stratégies de développement et des systèmes de distribution, s’avère plus difficile que prévue. De plus, le processus décisionnel conduisant au rapprochement, à la coopération, puis à l’harmonisation des pratiques et politiques entre les deux 149 À la suite de la fusion, CCM se retrouvait avec 25 marques de bières (Bear Stearns, 1994). Compte tenu de la nature de la fusion, la majorité des marques éliminées furent celles de Moctezuma (Domínguez, 03/05/2002). 150 118 brasseries, nécessite du temps, un luxe que ne possèdent pas les dirigeants de CCM (Garcia Sordo, 08/05/2002).151 Par ailleurs, la gestion d’employés et de cultures d’entreprises distinctes contribue également au déclin relatif de CCM. Les deux firmes réduisent sensiblement le nombre d’employés entre 1983 et 1989, Cuauhtémoc et Moctezuma diminuent leur nombre d’employés de 52,7% et 36,7% respectivement (Tableau 4.3). 152 Le nombre d’employés se stabilise autour de 5000 personnes à Cuauhtémoc alors que la baisse se poursuit à Moctezuma, traduisant la plus mauvaise posture de cette dernière. Tableau 4.3 Personnel occupé et productivité des brasseries Cuauhtémoc et Moctezuma, 1978-1993 Année 1978 1979 1980 1981 1982 1983 1984 1988 1989 1990 1991 1992 1993 Cuauhtémoc ND ND ND ND ND 10 740 (724,6) 10 957 (758,3) 4 075 (2 389,1) 5 070 (2 201,6) 4 599 (2 473,5) 5 944 (1 917,8) 4 801 (2 437,6) 5 001 (ND) Moctezuma 8 016 (nd) 11 900 (nd) 14 180 (503,1) 9 000 (789,6) 7 500 (900,7) 6 500 (865,0) ND 4765 (1 323,0) 4 116 (1 746,8) 3 658 (2 022,4) 3 569 (2 127,5) 3 442 (2 265,6) 2 972 (ND) Source: Expansión, divers numéros * : les données entre parenthèses sont en litres/employé Les difficultés des deux firmes se reflètent également dans la productivité des employés. Grâce aux réductions successives d’employés au début des années 1980, la productivité des employés de Moctezuma augmente jusqu’à 900 litres par employé en 1982, puis diminue l’année suivante. Cuauhtémoc connaît une situation quelque peu différente : la productivité augmente alors que le nombre d’employés croît également 151 Garcia Sordo (08/05/2002) donne comme exemple le cas de la gestion des marques et des distributeurs indépendants dans le sud du Mexique. Il souligne qu’il fallut un an afin de parvenir à une décision sur le maintien ou l’abandon de certaines marques et certains distributeurs. Ces délais conduisirent plusieurs distributeurs à changer de compagnie et à s’affilier à Modelo, aidant ainsi cette dernière dans sa lutte contre Cuauhtémoc/Moctezuma. 152 Moctezuma avait réduit le nombre d’employés de 51,2% entre 1980 et 1983. C’est donc à une réduction totale de 70,1% d’employés que procéda Moctezuma entre 1980 et 1989. 119 durant cette période. La fin des années 1980 voit une explosion de la productivité au sein des deux entreprises, résultat de la forte réduction de la main-d’œuvre et du retour aux niveaux de production précédant la crise. Entre 1983 et 1992, la hausse de la productivité s’établit à 236,4% pour Cuauhtémoc et 161,9% pour Moctezuma. La fusion se réalise autant pour des raisons financières que pour les bonnes relations existant entre les propriétaires de Cuauhtémoc et Moctezuma. Dans la mesure où les deux firmes possédaient un style de gestion similaire et considéraient l’autre comme son concurrent le plus dangereux, et non pas Modelo153, la fusion devenait logique.154 Toutefois, il était difficile, voire impossible, qu’il ne se produise pas de conflits internes au sein de la nouvelle entreprise (Garza, 03/05/2002, Lozano, 02/05/2002). Par ailleurs, l’attention presque obsessive de l’entreprise sur la réduction des coûts contribue également à la perte de compétitivité (Garza, 03/05/2002). CCM, voulant absolument réduire ses coûts, néglige les autres aspects de cette industrie, notamment le marketing, la distribution et la production. Résultat, elle perd le leadership général au profit de Modelo. Désireuse de profiter de la faiblesse de sa nouvelle concurrente, Modelo initie une guerre des prix à partir de 1986, avec pour objectif de gagner des parts de marché. Cette stratégie a une double conséquence sur l’industrie : d’une part, elle permet à Modelo d’accaparer une part plus importante du marché national. Toutefois, en avril 1987, les deux brasseries décident de hausser les prix (Bear Stearns, 1994). C’est la reconnaissance de la victoire de Modelo. En analysant l’évolution des parts de marché des trois entreprises, on constate en effet que la stratégie de Modelo fonctionne. Lorsque s’amorce la fusion entre Cuauhtémoc et Moctezuma à la fin de 1985, les deux brasseries possèdent 55,1% du marché de la bière. Toutefois, la première année suivant la fin du processus de fusion, en 1989, elles avaient perdu 4,8% de parts de marché (Figure 4.2). 153 Moctezuma et Cuauhtémoc se considéraient plus professionnelles que Modelo, pour qui l’objectif central était la croissance du volume de vente, alors que pour les deux autres, la rentabilité représentait le paramètre le plus important (Garza, 03/05/2002, Lozano, 30/04/2002). 154 Elle était d’autant plus probable que Modelo, répondant aux demandes des autorités financières mexicaines, avait fait connaître son refus d’acquérir Moctezuma. 120 Figure 4.2 Parts de marché des brasseries mexicaines, 1980-1992 (en %) 60 50 (%) 40 Cuau 30 Moct. Modelo 20 10 0 1980 1982 1984 1985 1986 1988 1989 1990 1992 Année Source: Bear Stearns, The Mexican Beer Industry, Special Report, Emerging Markets Equity Research, New York, 1994. D’autre part, la guerre des prix de 1986-1987 produit une seconde conséquence, néfaste celle-là pour l’industrie dans son ensemble. En décembre 1987, le gouvernement mexicain décrète le contrôle généralisé des prix à travers le Pacte de solidarité économique (Pacto de solidaridad económica). Cette mesure, combinée à l’augmentation de l’IEPS en 1986, contribue à la stagnation du prix de la bière après 1987.155 Ce n’est qu’en 1991 que le gouvernement mexicain abandonne cette politique. En somme, l’incapacité de CCM à faire la différence entre sa restructuration interne et l’évolution du marché brassicole national accélère la perte de position concurrentielle 155 En 1986, le gouvernement mexicain haussa l’IEPS de 21,5% à 25% afin de financer la reconstruction de Mexico. Le Pacto constituait la réponse du gouvernement de la Madrid à la dégradation de la situation macroéconomique du pays. Le krach boursier d’octobre 1987 avait détérioré les finances du gouvernement à un point tel que les paiements de la dette et le marché des changes s’en trouvaient durement affectés. En outre, les pressions inflationnistes (en 1987, l’inflation s’établit à 159,2%) menaçaient de réduire à néant la récupération économique (Banque du Mexique, 1988). Au vu de ces conditions, le gouvernement de la Madrid conclut un accord avec les syndicats et le secteur privé afin d’imposer des mesures anti-inflationnistes, dont le contrôle des prix. Bensabat (1995) soutiendra que le Pacto s’alignait parfaitement avec la politique de libéralisation adoptée de la Madrid depuis son accession au pouvoir. 121 de la firme (Garza Gonzalez, 03/05/2002). Autrement dit, durant le processus d’intégration, les dirigeants de l’entreprise éprouvent beaucoup de difficultés à trouver un équilibre dans la composition de la nouvelle firme. Ils doivent choisir entre les marques des deux entreprises, des styles de gestion distincts, des interlocuteurs (propriétaires d’agence) distincts. Étant donné qu’il s’agit davantage d’une opération d’achat de Moctezuma par Cuauhtémoc, ce sont généralement les besoins ou intérêts de cette dernière qui sont satisfaits, au détriment d’une analyse complète de l’ensemble de la situation. Il appert que les hauts dirigeants de Cuauhtémoc pensent que la fusion représente uniquement l’addition de deux entreprises, et non pas la naissance d’une nouvelle entité (Garcia Sordo, 08/05/2002). Durant la période de transition, entre 1982 et 1988, Modelo accapare 76,4% de la croissance de l’industrie brassicole mexicaine (tableau 4.2). L’entreprise sort renforcée, en route vers une position majoritaire sur le marché mexicain. En ce qui concerne CCM, la gestation de la nouvelle entreprise provoque une perte de parts de marché. Toutefois, la consolidation organisationnelle et financière de la firme permet de surmonter la crise. D’ailleurs, la croissance de 16,3% de l’industrie entre 1988 et 1989156 témoigne de la fin de la crise. 4.3 L’industrie brassicole mexicaine contemporaine Suite à la consolidation de la période 1985-1988, l’industrie brassicole mexicaine émerge transformée de la crise. Se caractérisant par une structure duopolistique, cette industrie occupe une place importante dans la vie économique, sociale et culturelle du Mexique. Alors qu’elle est fermée à la concurrence des brasseries étrangères, l’industrie brassicole mexicaine, dans son ensemble, croît sans cesse depuis 1988. La section suivante traite de ses caractéristiques générales ainsi que de son évolution depuis 1988. 156 La croissance de Modelo fut de 18,4% et celle de CCM de 14,4%. 122 4.3.1 Caractéristiques générales de l’industrie 4.3.1.1 Changements démographiques, revenu et consommation Les changements démographiques affectent profondément les industries brassicoles nationales. En effet, la consommation de bières est fortement reliée à la structure et à la croissance de la population. Plus celle-ci est jeune et en croissance, plus l’industrie brassicole nationale est susceptible de connaître des taux de croissance importants. La variable démographique constitue un élément important dans la distinction entre un marché mature et un marché émergent (Heijbroek, Schutter et Boon, 1996). L’importance de la croissance de la population absolue doit cependant être tempérée : dans les faits, les changements au sein du groupe d’âge des 18 à 45 ans représentent une mesure plus fiable, car il constitue le principal groupe de consommateurs de bière. 157 Contrairement aux marchés matures du Canada, des États-Unis ou de l’Europe de l’Ouest158, l’industrie brassicole mexicaine profite d’une structure démographie favorable. Durant la période 1990-2000, la population totale augmente de 20%, passant de 81,2 millions à 97,5 millions d’habitants (INEGI, 2003). Par ailleurs, la pyramide des âges du Mexique, bien qu’elle ait quelque peu évolué depuis 1988, témoigne d’un pays caractérisé par une population jeune. En 1988, 46,2% de la population mexicaine a moins de 14 ans, alors qu’en 1995, ce pourcentage baisse à 36,1% (OCDE, 1992, 1996) puis à 33,4% (INEGI, 2003). Cette chute entraîne une augmentation relative de la population des 15-44 ans, la clientèle cible des brasseries. Entre 1990 et 2000, l’augmentation de cette catégorie surpasse celle de la population totale : 22,9% contre 20%, une hausse de 8,5 millions de personnes (INEGI, 2003). Le nombre d’hommes de 15-44 ans augmente lui aussi comparativement à la population totale durant la période : ils représentent 22,3% de la population mexicaine en 1990 contre 22,9% en 2000 (INEGI, 2002a). La croissance démographique mexicaine en général, et des 15-44 ans en particulier, apparaît donc comme un facteur positif pour l’industrie brassicole mexicaine. 157 Pour être plus précis, nous devrions écrire l’évolution démographique des hommes de 18 à 45 ans. Dans le cas du Mexique, cependant, l’information statistique nous oblige à étudier les 15-44 ans. 158 Sur la définition et les caractéristiques des marchés matures, voir le chapitre 5 de cette thèse. 123 La progression démographique, bien qu’elle affecte positivement l’industrie, doit être mise en relation avec le revenu disponible des individus. Heijbroek, Schutter et Boon (1996) soulignent que la consommation de bière croît lorsque les revenus augmentent. Dans les pays en développement, cette relation est renforcée, car la bière est souvent considérée comme un produit de luxe. Une hausse du revenu disponible entraîne normalement une hausse de la consommation de bières (Heijbroek, Schutter et Boon, 1996). En corollaire, une diminution du revenu disponible, surtout dans un pays en développement, devrait conduire à une réduction de la consommation, du moins, à un ralentissement de sa progression. Qu’en est-il du Mexique ? Figure 4.3 Évolution du revenu disponible, 1989-2002 (en %) 10 5 (%) 0 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 -5 -10 -15 Source : Presidencia de la Republica, Quarto informe de gobierno del C. Presidente Vicente Fox Quesada, Mexico: Presidencia de la Republica, 2004. Tout d’abord, le revenu disponible par habitant suit d’importantes variations entre 1988 et 2002 (figure 4.3). Il progresse jusqu’en 1990, puis ralentit par la suite. En quatre occasions (1993, 1995, 2001 et 2002), on assiste même à une diminution du revenu disponible. Ensuite, en comparant le niveau de revenu disponible à la croissance de la consommation totale de bière (figure 4.3 et tableau 4.5), on constate une étroite relation entre les deux variables. En effet, les périodes de hausse ou de forte hausse du revenu disponible correspondent aux plus fortes hausses de la 124 consommation nationale. Les périodes de baisse du revenu disponible correspondent aux années où la consommation diminue ou progresse le plus lentement. Parallèlement à la croissance démographique, une autre variable importante pour l’industrie est la consommation per capita. En comparaison des principaux pays à forte consommation,159 le Mexique apparaît comme un pays à consommation modérée.160 L’une des raisons expliquant la faiblesse de la consommation par habitant est liée à la structure démographique du pays : étant donné la pyramide des âges du Mexique, un fort pourcentage de la population mexicaine n’est pas en âge de consommer. On remarque toutefois que, malgré une population relativement jeune, la consommation suit deux tendances durant la période : dans un premier temps, entre 1982 et 1988, la consommation diminue de 39 litres/an à 38 litres/an, le plancher étant atteint en 1984 avec 33 litres/an. Dans un deuxième temps, à partir de 1988, la consommation augmente rapidement, passant de 38 litres/an à 47 litres/an en 1992, puis elle se stabilise ensuite autour de 50 litres/an (figure 4.4). Cette hausse s’explique également par la pyramide des âges, en particulier la croissance des hommes de 18 à 45 ans. La progression de la population en âge de consommer et de la consommation par habitant assure aux brasseries mexicaines un marché en expansion. 159 Voir le tableau 5.4 sur l’évolution de la consommation per capita de certains pays. Koster (2004) souligne que les statistiques mexicaines sur la consommation per capita seraient encore plus faibles si ce n’était de la forte consommation des touristes. 160 125 Figure 4.4 Consommation per capita, 1982-2003 (litres/année) 60 litres/année 50 40 30 20 10 19 82 19 84 19 86 19 88 19 90 19 92 19 94 19 96 19 98 20 00 20 02 20 03 0 Sources : 1982 à 1994 : Brewers Association of Canada, Alcoholic Beverage Taxation and Control Policies, International Survey, Ottawa: BAC, 1997; 1996 à 2003: Impact Databank, The Global Drinks Market. Impact Databank Review and Forecast, 2004 Edition, New York: M. Shanken, 2005. Il ressort de cette analyse de la relation entre le revenu disponible et la consommation par habitant l’influence déterminante de la situation économique. Lorsque le Mexique connaît des périodes de croissance économique, la consommation s’accroît ; toutefois, les crises économiques réduisent la propension des habitants à consommer. 4.3.1.2 La contribution de l’industrie à l’économie nationale L’industrie brassicole représente un des grands secteurs économiques de l’Amérique latine, constituant la troisième industrie en importance dans la région (Expansión, 19/11/1997). En terme d’apport à l’économie nationale, celui de l’industrie brassicole mexicaine se mesure à trois niveaux : sa contribution au PIB et aux caisses de l’État, le rôle des brasseries dans l’économie des états fédérés ainsi que leur impact en terme d’emplois et de salaires. En 2000, la participation des brasseries à l’économie mexicaine s’élève à 0,5% du PIB, et à 1,6% en prenant en compte l’ensemble des activités liées à l’industrie (ANAFACER, 2004b). Bien que ne représentant que 0,4% de la production manufacturière mexicaine en 2000, l’industrie brassicole compte pour 1,1% des 126 salaires, une tendance qui se maintient durant l’ensemble des années 1990 (INEGI, 2002c).161 En outre, la croissance de la productivité des ouvriers des brasseries, durant la décennie des années 1990, est supérieure à celle de ce secteur (INEGI, 2002c). L’industrie, par la portée de ses activités exportatrices, est également un important générateur de devises étrangères. Alors qu’en 1998, les exportations mexicaines de bières se chiffrent à 616 millions $US, en 2001, elles s’élèvent à 920 millions $US, puis à 1,312 milliards de dollars (ANAFACER, 2004b ; Modelo, RA 2004 ; FEMSA, RA 2004). Outre les devises qu’elle engendre, l’industrie brassicole mexicaine contribue fortement aux revenus fiscaux du gouvernement mexicain et des états. En 1999, l’ensemble des impôts et taxes payés par les brasseries se monte à 19,9 milliards de pesos ; en 2001, ce montant passe à 27,2 milliards de pesos. L’industrie contribue ainsi à 4,2% de l’ensemble des recettes fiscales fédérales et à 6% des recettes fiscales des états (ANAFACER, 2004b). La bière brassicole constitue l’élément le plus important de l’industrie des boissons du Mexique. En 2003, elle représente le tiers de la production du secteur, mais la moitié des revenus (ANAFACER, 2004b). En outre, la contribution de l’industrie à l’activité économique mexicaine se retrouve dans les secteurs primaire, secondaire et tertiaire. Par exemple, au niveau agricole, l’industrie achète la totalité de la production mexicaine d’orge. Elle demeure parmi les principales clients des fabricants de vitres et de verres. Outre son apport aux caisses de l’État, l’impact de l’industrie s’exprime également à travers le rôle qu’elle joue dans le développement économique des états.162 En termes d’emplois et de salaires, l’influence de l’industrie semble moins important qu’au niveau tributaire. En 2001, 260 000 emplois directs et indirects proviennent de l’industrie, dont environ 66 000 sont des emplois directs (ANAFACER, 2004b).163 161 Alors que les salaires dans l’industrie représentent 1,1% du secteur manufacturier, les brasseries n’emploient que 0,006% de la main d’œuvre du secteur. En moyenne, les salaires des ouvriers des brasseries sont le double du secteur manufacturier (INEGI, 2002c). 162 Sur l’importance de l’industrie sur l’économie des états mexicains, voir ANAFACER (2004b). 163 Basé sur les chiffres du quatrième trimestre 2001 de l’enquête trimestrielle de l’INEGI. Voir ANAFACER (2004b) et Presidencia (2004). 127 4.3.2 Une industrie duopolistique Deux éléments majeurs caractérisent l’industrie brassicole mexicaine contemporaine : d’une part, sa structure duopolistique. L’industrie brassicole et le marché mexicain sont fortement concentrés : alors qu’au Canada et aux États-Unis de nombreuses brasseries se concurrencent (avec dans les deux cas peu d’entreprises dominantes : Labatt et Molson au Canada et Anheuser-Busch, Miller et Coors aux États-Unis), l’industrie brassicole mexicaine est aujourd'hui l’affaire de deux entreprises, Grupo Modelo et Cervecería Cuauhtémoc-Moctezuma (CCM).164 4.3.2.1 Grupo Modelo, centrée uniquement sur la production, la distribution et la vente de bière Grupo Modelo est avant tout une entreprise brassicole. La compagnie est intégrée verticalement : la propriété d’entreprises spécialisées dans les services connexes à la fabrication et à la distribution de la bière lui permet d’assurer sa production à plus faible coût. Modelo possède en effet non seulement des brasseries, mais aussi plusieurs compagnies de distribution, de transformation de l’orge, de machinerie, etc. L’entreprise compte sept usines de production de bière. Au fil des ans, plusieurs travaux ont été entrepris afin d’accroître la capacité de production de la firme (Modelo, RA 2003). L’ensemble des activités brassicoles de l’entreprise incombe à Diblo S.A. de C.V., la principale filiale de Modelo. Jusqu’au début des années 1990, Modelo demeure une société anonyme privée (Modelo S.A). C’est à la fin des années 1970 que la firme initie le processus de transformation qui conduit l’entreprise à sa structure actuelle. Dans un premier temps, Modelo S.A crée trois holdings chargés de l’administration de l’ensemble des opérations brassicoles. Ainsi, Diblo S.A. de C.V. assume la gestion des brasseries, Consorcio Distributivo gère les agences de distribution, alors qu’Expansíon Integral administre les immeubles de la compagnie (Grupo Modelo, 2000). 164 Deux autres entreprises, acteurs mineurs, sont présentes sur le marché mexicain : Especialidades Cerveceras, fabricante de la bière Casta et Beer Factory, une chaîne de restaurants fabriquant sa propre bière. Toutefois, leur niveau de production s’apparente davantage à celui de micro-brasseries et représente une quantité négligeable de l’industrie. 128 Dans un second temps, entre 1991 et 1994, la structure et l’actionnariat de l’entreprise se transforment. En 1991, Modelo cesse d’être une société anonyme (S.A) et devient une société anonyme à responsabilité limitée.165 Toutefois, le contrôle de la firme reste complètement aux mains des actionnaires mexicains. En 1993, un accord avec la brasserie américaine Anheuser-Busch permet l’entrée de cette dernière au capital de Modelo.166 Finalement, en février 1994, les actions de l’entreprise sont cotées en bourse.167 L’entrée en bourse vise deux objectifs. Premièrement, elle permet à l’entreprise de bénéficier d’une nouvelle source de capital, le marché boursier. Ensuite, elle souligne la volonté de Modelo de s’aligner sur les tendances de l’industrie brassicole internationale, qui voit la disparition graduelle des brasseries sous contrôle familial, remplacées par des brasseries cotées en bourse (Fernández Sanchez-Navarro, 2000). 165 SARL ou Sociedad anónima de capital variable (S.A. de C.V. en espagnol). La firme change également son nom: Modelo devient Grupo Modelo. 166 Sur le détail de la relation entre Grupo Modelo et Anheuseur-Busch, voir le chapitre 8. 167 Lors de la première émission d’actions, Modelo offrit 13% des actions de l’entreprise au public, pourcentage qui sera par la suite porté à 20%. 129 Figure 4.5 Structure opérationnelle de Grupo Modelo Modelo S.A de C.V. Diblo S.A. de C.V. Opérations Brasseries Ventes Service nationales Internationales Agences de distribution National Appui aux opérations International Bureaux internationaux - Espagne - SEGINSA - Ingénierie Source: Grupo Modelo, Rapport annuel 2001. Dans un troisième temps, entre 1998 et 2001, l’entreprise modifie sa structure opérationnelle. En 1998, Diblo est composée de quatre grandes divisions : Opérations, Entreprises et services associés, Ventes et Immobilier.168 En 2001, l’entreprise procède à une réorganisation de sa structure corporative, les quatre divisions de Diblo se fondant en deux divisions, Opérations et Ventes (Modelo, RA 2001). 4.3.2.2 CCM, division d’une multinationale des boissons Deux éléments expliquent les stratégies de développement de FEMSA depuis sa naissance en 1988 : la dette qu’avait héritée l’entreprise, de même que sa structure (Astaburuaga Senjines, 23/06/2004). FEMSA n’est pas uniquement une brasserie, 168 La division Opérations gérait les brasseries et, à ce titre, s’occupait de la production de la bière ; la division Ventes était en charge du marketing, de la distribution, de la vente et des exportations ; la division Immobilier gérait les immeubles que possédait la firme; finalement, la division Entreprises et services associés fournissait tous les services connexes nécessaires à l’organisation de l’entreprise (Grupo Modelo, RA 1998). 130 mais une entreprise de boissons (bière et boissons gazeuses) et d’autres secteurs périphériques.169 En ce sens, la firme ressemble davantage aux entreprises de boissons d’Amérique latine que Grupo Modelo. Le fait d’être une division d’un conglomérat plus grand permet à l’entreprise de bénéficier des innovations qu’introduisent d’autres divisions du groupe. Jusqu’en 2000, la structure financière et opérationnelle de FEMSA se décompose de la manière suivante : deux subholdings, Emprex et FEMSA Logistica constituent les unités opérationnelles de l’entreprise (figure 4.6). À son tour, Emprex est subdivisée en six filiales : CCM, Coca-Cola FEMSA, FEMSA Empaques (qui produit et distribue du matériel d’empaquetage), FEMSA Comercio (en charge de la gestion de magasins de détail OXXO) et Desarollo Comercial FEMSA (développement commercial), en charge des stations services et dépanneurs AXXO (FEMSA, 20F 1999).170 En janvier 2000, l’entreprise regroupe ses activités commerciales, d’empaquetage et de logistique au sein d’une seule division, la division des commerces stratégiques (División de Negocios Estratégicos), afin d’encourager les transferts de connaissances entre les entités et surtout de favoriser une meilleure pénétration des marchés (FEMSA, RA 2000). Par la suite, en 2002, FEMSA scinde Emprex et établit un nouveau subholding, Compañía Internacional de Bebidas S.A. de C.V. (CIBSA), chargé de gérer la division boissons gazeuses (Coca-Cola FEMSA).171 Finalement, suite au rachat des actions que possédait la brasserie belge Interbrew dans CCM, une dernière restructuration de l’entreprise eut lieu au milieu de 2004 (figure 4.6). 169 FEMSA possède les droits de production, commercialisation et de distribution des produits CocaCola dans la vallée de Mexico, le Sud-Est du pays (les états de Tabasco, Chiapas et des parties des États de Veracruz et Oaxaca), ainsi que dans la région de Buenos Aires en Argentine. (VISA, ADR 1998: 77). 170 La sixième filiale, CCM Logistica, s’occupait de la logistique de CCM, mais était distincte de la brasserie. 171 Cette restructuration s’avérait nécessaire car FEMSA avait débuté l’acquisition d’une filiale de Coca-Cola ayant des opérations à travers l’Amérique latine. Cette acquisition marque d’ailleurs un tournant dans l’histoire de l’entreprise, car pour la première fois depuis la fondation de la brasserie Cuauhtémoc en 1890, la bière ne représente plus le secteur le plus important du conglomérat, mais plutôt les boissons gazeuses. 131 Figure 4.6 Évolution de la structure financière et organisationnelle de FEMSA, 1998 et 2004 1998 FEMSA Femsa Logistica (100%) Emprex (99.8%) CCM (70%) Coca-Cola FEMSA (51%) FEMSA Empaques (100%) FEMSA Comercio (100%) DCF (100%) Logistique CCM (70%) 2004 FEMSA Emprex (100%) CIBSA (100%) Coca-Cola FEMSA (51%) CCM (100%) FEMSA Comercio (100%) FEMSA Empaques (100%) Entre parenthèses, le niveau de propriété de FEMSA au sein des filiales Source : FEMSA, 20-F, 2000 et 2004 CCM possède six usines172 réparties à travers le pays. Tout comme Modelo, l’entreprise a procédé à de multiples travaux afin d’accroître ses capacités productives Cette capacité de production lui permet d’offrir quinze marques en huit présentations différentes.173 Cinq de ces marques (Tecate, Carta Blanca, Superior, Sol, XX Lager) sont des marques nationales et constituent la quasi-totalité des ventes de CCM.174 Tecate, Carta Blanca et Superior se classent respectivement deuxième, troisième et quatrième en terme de popularité au Mexique, derrière Corona Extra. 172 Jusqu’en 1996, CCM opérait sept brasseries à travers le Mexique, dont deux à Guadalajara (Centrenord), résultat de la fusion entre Cuauhtémoc et Moctezuma. CCM ferma l’une des deux usines de Guadalajara puisqu’il n’était pas rentable d’opérer deux brasseries dans la même ville. 173 Les plus connues étant Tecate, Carta Blanca, Superior, Sol, Dos Equis, Bohemia et Indio. 174 En 1997, ces 5 marques représentaient 96,7% des ventes totales de la compagnie (VISA, ADR 1998). 132 4.3.2.3 Intégration verticale et régionalisation des marchés Une des grandes différences entre l’industrie brassicole mexicaine et sa voisine américaine concerne le niveau d’intégration. Alors que l’industrie brassicole américaine est fragmentée, la situation est diamétralement opposée au Mexique. Modelo et FEMSA sont intégrées verticalement, les deux brasseries contrôlent l’ensemble de la chaîne de production, de la récolte de l’orge aux magasins de détail. Résultat du développement historique de l’industrie, ce contrôle se manifeste par la possession d’une importante flotte de véhicules, la propriété ou la gestion indirecte d’agences ou subagences de distribution, la propriété de chaînes de magasins au détail et des accords d’exclusivité. En termes de distribution, les deux entreprises possèdent un réseau à l’échelle nationale. Afin de livrer leurs produits, les brasseries gèrent chacune un important parc de véhicules. Dans le cas de Modelo, la croissance de sa flotte de véhicules suit celle de l’entreprise : de 9910 unités en 1996, elle passe à 11328 unités en 2000 puis à 12035 unités en 2002 (Modelo, RA 1997, 2000 et 2002). Durant la même période, la compagnie réorganise son service de distribution passant de 695 agences en 1996 (492 en contrôle direct et 203 en concession) à 453 agences en 2002, dont 85 en contrôle direct (Modelo, RA 1996 et 2003). Quant à FEMSA, l’entreprise pousse encore plus loin le contrôle de la distribution de ses produits puisqu’une filiale est chargée de tout ce qui concerne la distribution (Zepeda Mauleon, 27/11/2001). C’est un changement de l’approche de la compagnie : jusqu’alors la distribution s’effectuait à travers des centres de distribution internes (146 centres en 1997) et des distributeurs indépendants (187 distributeurs indépendants en 1997) (VISA, ADR 1998). La réorganisation du système de distribution de FEMSA fait partie d’une stratégie plus vaste visant à rejoindre directement le consommateur. À cette fin, l’entreprise implante un système de prévente en 2000 qui lui permettra, selon elle, de profiter d’une plus grande segmentation des marchés par les marques et surtout de mieux diviser la fonction de distribution en ses quatre composantes : la pré-vente, le marketing, la distribution et la collecte des bouteilles (FEMSA, RA 2000). 133 Tout au long de leur histoire, les brasseries adoptent des politiques d’exclusivité avec les magasins au détail.175 En plus de ces magasins, les brasseries possèdent leurs propres chaînes de magasins de détail : Modelorama et Extra dans le cas de Modelo, OXXO dans le cas de FEMSA. Bien qu’elles soient intégrées verticalement, Modelo et CCM continuent de dépenser d’énormes sommes d’argent en coûts indirects, notamment dans le financement des détaillants. Les deux entreprises engagent d’importants sommes auprès des détaillants afin d’assurer l’exclusivité de la vente de leurs produits. L’intégration verticale se répercute sur la structure des coûts de production de l’industrie (figure 4.7). Les coûts primaires, les matières premières et les coûts manufacturiers accaparent un faible pourcentage des coûts totaux, soit 21%. Les coûts secondaires (administration, distribution et commercialisation) représentent la majorité relative des dépenses à 45%. Quant aux coûts tertiaires, les impôts et le marketing, ils comptent pour 34% des charges des entreprises. La principale distinction entre la structure des coûts des brasseries mexicaines et celle généralement en vigueur dans l’industrie brassicole internationale concernent le niveau des impôts (Heijbroek, de Schutter et Boon, 1996).176 175 Cependant, la montée des magasins à grande surface diminue quelque peu l’impact de cette politique. 176 Contrairement à leurs concurrentes américaines, plus de la moitié des coûts des brasseries mexicaines sont absorbés par deux dépenses externes, la commercialisation et les impôts. Les coûts de commercialisation concernent l’appui aux détaillants (argent, réfrigérateurs, tables et chaises, peinture, etc.), les marges de profits et les rabais ; les impôts comprennent la taxe sur la valeur ajoutée, l’IEPS, l’impôt sur le revenu ainsi que les impôts et taxes aux états et municipalités (ANAFACER, 2004b). 134 Figure 4.7 Structure des coûts de l’industrie brassicole mexicaine, 1999 (en %) 3% 28% 18% 3% 14% 28% Matières premières Manufacturier Administratif Distribution Marketing Impôts Commercialisation 6% Source : ANAFACER, Contexto integral de la cerveza, México: ANAFACER, 2004. Une autre des caractéristiques façonnant l’industrie brassicole mexicaine tient à la division du marché national selon des lignes régionales. Pour des raisons aussi bien historiques que logistiques,177 chacune des entreprises possède une position dominante dans des régions distinctes du pays. Toutefois, à la lumière des documents consultés, il semble y avoir une confusion au sein de l’industrie : selon les statistiques de FEMSA, l’entreprise posséderait l’avantage dans le Nord et le Sud, alors que Modelo dominerait le Centre du Mexique (VISA, ADR 1998).178 Modelo, pour sa part, affirme détenir la position de tête dans 23 des 32 états du pays. Qu’en est-il réellement de la situation ? Selon l’analyse qu’elle fait du marché et ses statistiques, FEMSA dominerait le Nord et le Sud avec des parts de marché de 59,4% et 56,1% respectivement en 1997 (VISA ADR, 1998). Cependant, la situation de FEMSA se détériore puisqu’en 1992, ses parts de marché dans les mêmes régions s’établissaient à 63,2% et 59% respectivement (VISA, 1998). Par ailleurs, les régions où domine FEMSA sont les 177 Selon les estimations de FEMSA, l’efficacité maximale de la distribution de la bière se situe dans un rayon de 300 à 500 km de l’usine de production ; au-delà de cette distance, les coûts de transports deviennent prohibitifs (VISA, ADR 1998). 178 La classification des États par région est la suivante : Nord : Aguascalientes, Basse Californie, Basse Californie du Sud, Chihuahua, Coahuila, Durango, Nuevo León, San Luis Potosi, Sinaloa, Sonora, Tamaulipas et Zacatecas Centre : Colima, Guanajuato, Guerrero, Hidalgo, Jalisco, l’État de Mexico, la ville de Mexico, Michoacan, Morelos, Nayarit, Oaxaca, et Querétaro Sud : Campeche, Chiapas, Puebla, Quintana Roo, Tabasco, Tlaxcala, Veracruz et Yucatán. 135 zones où il se consomme le plus de bière. Toujours selon les statistiques de 1997, il se consommait 76,4 litres per capita au Nord, 44,1 litres au Sud et 35,3 litres au Centre, pour une moyenne nationale de 48,1 litres (VISA, ADR 1998). Modelo demeure le leader incontesté dans le Centre du pays avec des parts de marché de 77,4%. L’une des raisons d’une telle performance de la firme repose sur la domination des différents segments du marché : sur les cinq présentations possibles (bouteilles d’un litre, de 325 ml., de 190 ml., canette et baril), Modelo en domine quatre, seule la catégorie baril, représentant 0,8% du marché, lui échappant.179 4.3.2.4 Grupo Modelo et CCM, deux entreprises très différentes Tout au long de leur histoire, Modelo et CCM se distinguent l’une de l’autre. Ces différences s’exacerbent lors de la crise de 1982-85 et demeurent présentes durant la période contemporaine. On distingue quatre grandes différences entre les deux entreprises : leur attitude vis-à-vis l’endettement, les politiques d’investissement, la propension à exporter et les relations de travail. Modelo a toujours été reconnue pour son aversion à l’endettement.180 Cette crainte explique, nous l’avons dit, pourquoi l’entreprise ait moins souffert des effets de la crise de 1982 que ses concurrentes. En effet, lorsque surviennent les deux dévaluations,181 la firme n’a aucune dette libellée en dollars ou autres monnaies étrangères. Modelo maintient cette politique d’autosuffisance financière tout au long de la période : en 1992, la compagnie n’avait pas de dette à long terme et sa dette à court terme s’élevait à 6 millions de dollars (Bear Stearns, 1994). En 2003, le passif total de l’entreprise s’élevait à 11,811 milliards de pesos.182 179 Pour l’année 2000, les volumes des différentes présentations dans l’industrie et les parts de marchés de Modelo dans ces cinq catégories s’établissaient comme suit : bouteilles d’un litre 40,8% du volume (54% part de marché), bouteille de 325 ml. 34,9% du volume (58%), canette 17,5% (55%), bouteille de 190 ml. 6% (61%), baril 0,8% (32%) (Modelo, RA 2000: 9-10). 180 Cette caractéristique date de la fondation de l’entreprise, alors que les propriétaires de la firme, d’origine espagnole, établirent une politique de non-endettement et de réinvestissement des profits. 181 Le 18 février 1982, le gouvernement annonce le flottement du peso. Celui-ci se déprécie rapidement, perdant environ 67% de sa valeur et s’établissant à 45 pesos pour un dollar. Le 6 août suivant, un double taux de change entre en vigueur : un taux préférentiel de 49,13 pesos par dollar et un taux de change libre, déterminé par le marché (Banque du Mexique, RA 1982). 182 De ce montant, 4,299 milliards, ou 36%, étaient dus à court terme, 70% étaient les impôts à payer, et seulement 14,6% (1,73 milliard de pesos) est dû aux créditeurs et fournisseurs (Modelo, RA 2003). 136 CCM, mais surtout FEMSA, ont toujours utilisé l’endettement comme une partie intégrante de leur stratégie de croissance et d’investissement. C’est d’ailleurs cet endettement qui conduisit le conglomérat VISA au bord du gouffre et qui mit Moctezuma en banqueroute. La nouvelle compagnie émerge en 1988 suite à la restructuration d’une dette totale de 1,3 milliard de dollars (Bear Stearns, 1994). Prenant 1992 comme point de référence, on note que, comparativement aux 6 millions de dollars de dette de Modelo, la dette totale de FEMSA se montait à 1,09 milliard de dollars. En 2003, le passif total de FEMSA augmenta de plus du double, passant de 28,4 milliards de pesos en 2002 à 58,2 milliards de pesos (Bear Stearns, 1994; FEMSA, RA 2003).183 La seconde distinction concerne la politique d’investissement et découle en grande partie du point précédent. Par la nature des firmes, l’étendue des investissements de Modelo et de FEMSA est très différente. Si les niveaux d’investissement de FEMSA sont plus élevés que ceux de Modelo, lorsqu’on ne consulte que la section bière, la firme investit davantage que CCM. Jusqu’à l’ouverture de son capital, la compagnie observe une politique de réinvestissement de la quasi-totalité des profits. Les investissements de Modelo se limitent exclusivement à la bière, notamment dans la construction de deux nouvelles brasseries,184 dans l’augmentation des capacités productives des autres usines ainsi que dans l’amélioration de son système de distribution. Dans le cas de FEMSA, l’entreprise suit un programme d’investissement beaucoup plus diversifié que Modelo. Tout comme sa concurrente, FEMSA a investi dans la construction d’une brasserie (à Navojoa dans l’état de Sonora) au début des années 1990, dans l’accroissement de la production de ses autres brasseries de même que dans la distribution. Cependant, la firme a également investi dans plusieurs autres secteurs. En 1991-1992, elle participe au rachat d’une banque dans le cadre de la privatisation des banques entrepris par le gouvernement Salinas de Gortari.185 Mais 183 Le gonflement du passif résulte avant tout de l’achat d’une filiale de Coca-Cola. La brasserie de Tuxtepec en 1981-84 et celle de Zacatecas à partir de 1992. 185 C’est en fait la famille Garza Lagüera, principal actionnaire de FEMSA, qui participe à l’acquisition. Cela est toutefois important pour notre propos, car les activités financières étaient au cœur du holding VISA, au même titre que la division brassicole. 184 137 surtout, FEMSA a fortement investi dans sa division boissons gazeuses : en 2003, elle achetait Panamco, une filiale de Coca-Cola, pour un montant de 2,7 milliards de dollars. La troisième distinction renvoie à la dépendance des firmes vis-à-vis des marchés internationaux. Si CCM dépend davantage du marché mexicain, on constate une dépendance de plus en plus grande de Modelo envers les marchés internationaux, plus particulièrement envers les États-Unis. Cette dépendance s’exprime tant au niveau des volumes exportés que des revenus provenant de ceux-ci. Bien que cette dernière débute l’aventure exportatrice beaucoup plus tardivement que Cuauhtémoc ou Moctezuma, elle ne tarde pas à les rattraper, puis à dominer ce segment de l’industrie. Non seulement Modelo exporte-t-elle davantage que sa concurrente, mais elle couvre un nombre de marchés nettement plus important. Quant à CCM, tout en reconnaissant l’importance des exportations, elle préfère se concentrer sur son marché naturel, i.e. le sud des États-Unis et le Mexique. La dernière grande distinction entre les deux brasseries touche les relations de travail. Jusqu’à la fin des années 1980, les relations de travail se révèlent très différentes entre Modelo et CCM. Alors que les relations de travail à Cuauhtémoc, puis à CCM, font montre d’une grande stabilité dans le temps, la situation à Modelo peut être qualifiée de conflictuelle. Entre 1944 et 1994, l’entreprise connaît sept grèves et sept arrêts de travail illégaux (Expansión, 30/03/1994). En 1987, l’entreprise vit sa plus longue grève : les travailleurs de la brasserie del Tropico de Tuxtepec (état de Oaxaca) se mettent en arrêt de travail durant 14 jours.186 Cet arrêt provoque une rupture de stock bien que les exportations augmentent de 80% et la production totale de 9% durant la même année. FEMSA ressemble à la majorité des grands groupes de boissons de l’Amérique latine, mariant à la fois bière et boissons gazeuses. Si cette intégration s’avère avantageuse dans son ensemble, les filiales bénéficiant des innovations ou des profits d’autres composantes du groupe. Néanmoins, les possibles synergies ne semblent pas avoir 186 À l’époque, la brasserie de Tuxtepec était la deuxième en importance de Modelo, derrière la brasserie de Mexico. 138 aidé la division brassicole de FEMSA. Depuis le milieu des années 1990, elle ne cesse de perdre du terrain face à Modelo. L’attention de la maison-mère est divisée, la division des boissons gazeuses occupant une place de plus en plus importante dans les résultats de la firme. Tout se passe comme si l’entreprise a concédé la victoire à Modelo et fait de sa division de boissons gazeuses le centre de ses préoccupations. 4.3.3 La croissance de l’industrie depuis 1988 L’un des faits saillants de l’industrie à partir des années 1990 est un effort soutenu pour valoriser davantage les marques de chaque entreprise. Jusqu’à la fin des années 1980, les brasseries mexicaines, surtout dans le cas de Modelo, se préoccupent avant tout du volume de production, sans accorder une attention correspondante à l’aspect promotionnel. À partir des années 1990, cela change, alors qu’une plus grande attention est portée au marketing et aux attentes des consommateurs.187 Globalement, l’industrie brassicole mexicaine se caractérise par la progression constante des parts de marché de Grupo Modelo. Dans cette optique, cette dernière cherche à pérenniser et à accroître son avantage, alors que CCM se voit contrainte de modifier ses stratégies durant cette période. D’autre part, le marché mexicain est littéralement fermé aux produits étrangers. Les bières importées comptent pour environ 1% de la consommation totale; cela s’explique principalement par les goûts des consommateurs, la maîtrise du système de distribution par les deux brasseries mexicaines et la différence de prix entre les bières nationales et les bières importées. 4.3.3.1 Leadership du marché par Modelo Avec Corona Extra, Modelo est indiscutablement le chef de file du marché mexicain : à elle seule, cette marque détient 32,8% du marché national en 2000 (Modelo, RA 2000). L’entreprise compte dix marques en tout188, mais trois seulement étant réellement des marques nationales : Corona Extra, Negra Modelo et Modelo Especial. Les autres marques de la firme sont considérées comme des marques régionales. Cette 187 À titre d’exemple, le département de marketing de CCM réalise mensuellement plus de 15 000 enquêtes afin de mieux connaître les goûts et préférences de ses consommateurs (Abasolo, 14/05/2002 ; Expansión, 24/07/2002). 188 Corona Extra, Negra Modelo, Pacífico, Modelo Especial, Light Modelo, Victoria, Montejo, León, Corona Light (commercialisée uniquement aux États-Unis) et Estrella. 139 domination du marché mexicain, la part de marché de Modelo est passée de 38,5% en 1977 à 56,1% en 2000, se reflète tant au niveau de la production que des ventes : en 1991, la compagnie produit 21,1 millions d’hectolitres de bières pour des ventes totales de 16,5 milliards de pesos. En 2000, cette production passe à 36,6 millions d’hectolitres (28 millions pour le marché domestique, 8,6 millions à l’exportation) pour des ventes de 29,3 milliards de pesos.189 Tableau 4.4 Parts de marché au Mexique de Modelo et FEMSA, 1992-2000 (en %) Année 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 Modelo 51,5 53,1% 54,3% 55,3% 55,7% 56,8% 58,0% 58,7% 60,1% 61,2% 62,0% 62,4% 61,9% Femsa 47,5% 45,9% 44,7% 43,7% 43,3% 42,2% 41,0% 40,3% 38,9% 37,8% 37,0% 36,6% 37,1% Autres 1% 1% 1% 1% 1% 1% 1% 1% 1% 1% 1% 1% 1% Source : Grupo Modelo, Rapports annuels plusieurs années ; FEMSA, Rapports annuels plusieurs années ; VISA, ADR 1998 (pour les années 1992-95 de FEMSA). Depuis le début des années 1990, les parts de marché de Modelo sur le territoire national ne cessent de croître (tableau 4.4).190 Entre 1992 et 2000, Modelo gagne plus de 5% du marché brassicole national, le tout au détriment de CCM. Lorsqu’on additionne les exportations, la part de Modelo, dans la production nationale, surpasse les 60% dans les années 1990. Modelo a réussi à imposer Corona Extra comme la bière mexicaine par excellence. Bien que CCM tente depuis 1993 de positionner Sol comme une marque nationale, 189 Les ventes sont exprimées en pesos constants de 2000 (Grupo Modelo, RA 1996 et 2000). Les données sur les importations de bières au Mexique ne sont pas facilement accessibles. D’une part, les chiffres que fournissent l’INEGI ne prennent pas en compte les importations illégales à la frontière nord. En outre, les données concernent l’ensemble des boissons, non seulement la bière. Toutefois, l’ANAFACER estime que, généralement, les importations et la production des microbrasseries équivalent environ à 1% de la consommation nationale. 190 140 elle ne possède pas tous les attributs de Corona Extra. Cela confère un fort avantage à Modelo tant en terme d’économies d’échelle, d’image de marque que de reconnaissance de la marque. Dans l’ensemble, la stratégie de Modelo s’inscrit dans la continuité : l’entreprise désire avant tout consolider les acquis des années 1980, ce qui implique un accroissement de ses capacités productives afin de répondre à la demande interne et externe. Cela explique pourquoi une nouvelle brasserie s’avère nécessaire au début des années 1990, d’où la décision de construire la brasserie de Zacatecas. La stratégie de Modelo passe également par une meilleure communication interne et le maintien de ses positions sur les marchés étrangers. La firme entreprend de moderniser ses communications : outre des projets d’infrastructure au niveau des télécommunications, la compagnie met sur pied un système facilitant les opérations quotidiennes de ses différentes unités, favorisant ainsi une prise de décision plus efficace des hauts dirigeants. L’ouverture d’un magasin virtuel (www.coronabeershop.com), destiné à la vente d’articles promotionnels, combiné au site (www.gmodelo.com.mx) renforcent la présence de l’entreprise sur Internet (Modelo, RA 2000). Il s’agit pour Modelo non seulement d’améliorer son processus de prise de décision, mais également de rejoindre davantage de consommateurs potentiels. Par ailleurs, Modelo accroît sa présence sur les marchés étrangers au fil des ans : alors qu’au milieu des années 1980, l’entreprise n’exporte qu’en Amérique du Nord, en 1996, on retrouve les produits Modelo dans 124 pays ; en 2000 ce chiffre est de 150 (Modelo, RA 2000). Cet effort de l’entreprise vers l’extérieur comporte un bénéfice considérable : l’accès à des devises étrangères. Étant donné qu’environ 25% de revenus de la firme proviennent des exportations, cela lui procure une importante couverture du passif libellé en monnaies étrangères (Banque Bital, 2001b). 141 4.3.3.2 CCM : une lente croissance Alors que la stratégie de Modelo en est une de continuité, on assiste à plusieurs modifications de la part de CCM durant les années 1990. La perte continue de parts de marché face à son concurrent conduit CCM à modifier son approche afin de renverser la tendance. Dans le cas de l’industrie brassicole mexicaine, cela signifie rejoindre plus directement encore le consommateur. Au début des années 1990, CCM croit que la hausse de la compétitivité de l’entreprise passe par une plus grande segmentation du marché, i.e, une offre variée de marques distinctes. Cette stratégie s’appuie sur une hausse du prix des bières, sur l’accroissement des investissements dans les infrastructures productives et sur la modernisation des usines existantes. C’est ainsi qu’en 1991, la compagnie débute l’exploitation d’une nouvelle brasserie à Navojoa dans le Sonora (Nord). Trois objectifs sous-tendent cette stratégie : une augmentation soutenue des revenus, une plus grande consommation de bière per capita ainsi qu’un meilleur positionnement et une segmentation accrue de ses marques selon le sexe, l’âge, les revenus et le style de vie des consommateurs (FEMSA, RA 2000: 8). L’entreprise compte atteindre ces objectifs en augmentant la visibilité de ses marques lors d’activités et/ou d’événements spéciaux ; en accroissant la disponibilité de bières froides dans les divers points de vente grâce à l’introduction de congélateurs conçus pour la conservation d’une température optimale ; finalement en renforçant le marketing et la publicité (FEMSA, RA 2000). Bien que la stratégie de segmentation de CCM connaisse un succès relatif, la situation concurrentielle de l’entreprise se détériore progressivement durant les années 1990 (tableau 4.4). Cela conduit la firme à modifier son approche : de la segmentation pure, CCM passe à une combinaison de segmentation et de marque nationale. CCM recourt à une marque mineure de son portefeuille, Sol, et la repositionne en tant que marque nationale en 1993. Cette décision s’inscrit dans l’optique de compter sur une marque capable de mieux concurrencer Modelo dans l’ensemble du pays, mais 142 surtout dans le centre, où se concentre plus de 50% du marché.191 Le choix de Sol s’avère judicieux puisqu’elle constitue l’unique marque du portefeuille de CCM possédant les mêmes caractéristiques que Corona Extra (une bouteille transparente, une bière plus légère au goût). Suite au relancement de Sol, celle-ci se convertit comme la marque nationale de CCM. La croissance de Sol sur le marché mexicain se manifeste par une augmentation de plus de 700% des ventes entre 1993 et 2002. La marque est présente au Mexique, sauf dans le nord-ouest.192 Elle constitue la troisième marque en importance de CCM, derrière Tecate et Carta Blanca (Abasolo, 14/05/2002). Le relancement de Sol peut être interprété comme la reconnaissance par CCM de l’erreur commise lors de la fusion des deux entreprises.193 L’entreprise n’abandonne pas pour autant sa stratégie de segmentation. Il s’agit avant tout de concurrencer Corona Extra sur l’ensemble du territoire mexicain avec une bière possédant les mêmes caractéristiques que celle-ci, tout en maintenant une segmentation assez poussée du marché national (Expansión, 24/07/2002).194 En repositionnant ainsi Sol, l’autre objectif de CCM est d’étudier le comportement de la marque en vue d’un lancement international (Abasolo, 14/05/2002). Il ne faut pas oublier que le renouveau de Sol s’effectue durant la période de forte 191 Jusqu’à cette décision, CCM avait plutôt adopté une stratégie de laisser-faire puisque l’entreprise misait sur deux marques différentes, Carta Blanca et Superior, afin de concurrencer Corona Extra et Victoria, la marque régionale de Modelo dans le centre du pays. Le non-choix entre Carta Blanca et Superior résultait surtout de la fusion de 1985, alors que chaque entreprise s’appuyait sur une marque dans le centre : Cuauhtémoc avec Carta Blanca et Moctezuma s’appuyait sur Superior. 192 En 2002, Sol était présente dans 30 des 32 états du Mexique (Abasolo, 14/05/2002). 193 Selon Dominguez (03/05/2002) la nature même de la fusion entre Cuauhtémoc et Moctezuma provoqua cette erreur. Étant donné que la nouvelle entreprise possédait deux marques aux caractéristiques similaires, Sol et Dos Equis lager, CCM aurait choisi de conserver la mauvaise marque, i.e. Dos Equis. Cela proviendrait du fait que cette dernière, étant une marque de Cuauhtémoc, bénéficiait d’un préjugé favorable, bien que les ventes de Sol étaient plus du double de celles de Dos Equis (880 000 hl contre environ 400 000 hl). 194 Il y aurait les combinaisons suivantes : Carta Blanca/Sol dans le nord-est, Tecate-Sol dans le nordouest et Superior-Sol dans le Sud. Dans le centre, Sol ferait office de marque à la fois nationale et régionale. L’entreprise estime que la totalité des effets escomptés du projet devraient se faire sentir à partir de 2007 (Abasolo, 14/05/2002). Toutefois, cette stratégie comporte un risque de cannibalisation des marques, i.e que la croissance de Sol se produise au détriment d’autres marques de l’entreprise. On soulignera ainsi que CCM connut effectivement une telle situation de cannibalisation avec l’apparition de Sol : entre 1995 et 2003, la production de Sol passe d’un million d’hectolitres à 5,7 millions d’hectolitres (Impact, 2002 et 2005). La marque devient la seconde en importance pour CCM, derrière Tecate. La marque numéro deux, Carta Blanca, connaît une faible diminution de la production durant la période, passant de 5,4 millions d’hectolitres à 5 millions d’hectolitres. La croissance de Sol s’effectue principalement au détriment de Superior alors qu’il y a une baisse prononcée de sa production, de 5 millions d’hectolitres en 1995 à 3,7 millions d’hectolitres en 2003 (Impact, 2002 et 2005; Business Mexico /01/12/2001). 143 internationalisation de CCM (cf. chapitre 6). L’entreprise envisage de promouvoir une marque globale et Sol représente la meilleure option en ce sens. En ce qui concerne l’évolution de la production et des revenus de FEMSA, on note une augmentation totale de la production de 21,4% de 1992 à 2003 (tableau 4.5). En comparaison, la production de Modelo croît de 91,1% durant la même période. Les revenus quant à eux passent de 9,6 milliards de pesos en 1995 à 18,6 milliards de pesos en 2000. Cette augmentation d’environ 90% constitue une très bonne performance compte tenu de la faible progression de la production durant la même période (18,4%) (FEMSA, RA 2000; VISA, ADR 1998). Tableau 4.5 Production totale de l’industrie brassicole mexicaine, 1991-2004 (en millions d’hectolitres) Année Modelo 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 21,1 21,94 23,36 25,22 25,11 27,38 29,95 32,25 34,46 36,57 38.58 39.98 41.92 42.82 FEMSACerveza 20,23 20,19 19,95 19,93 21,30 22,24 22,82 23,71 23,60 23, 86 23 81 24,56 25,68 Total 42,59 43,98 45,60 45,49 49,16 52,71 55,62 58,75 60,77 63,06 64,42 67,14 69,18 % de variation 3,3 3,7 -0,02 8,1 7,2 5,5 5,6 3,4 3,8 2,2 4,2 3,0 Sources : Grupo Modelo et FEMSA, Rapports annuels plusieurs années; VISA, ADR, 1998 Par ailleurs, CCM recentre également sa stratégie en matière d’exportation et de pénétration des marchés étrangers. Elle opère une transformation qui la conduit à se concentrer de plus en plus sur les marchés américain et mexicain afin d’assurer sa croissance, délaissant les marchés moins porteurs qui demanderaient beaucoup d’efforts pour des résultats incertains (VISA, ADR 1998; Salinas Arrumbide, 13/05/2002). 144 4.3.3.3 Le rôle marginal des importations Le marché mexicain demeure extrêmement fermé aux bières importées. Au fil des ans, malgré les efforts des brasseries étrangères, ce segment du marché reste très marginalisé, les importations représentant environ 1% du marché.195 Cependant, si l’importance absolue des bières importées est faible, celles-ci tendent à jouer un rôle notable dans le nord du pays. Deux raisons expliquent pourquoi les bières étrangères rencontrent tant de difficultés à pénétrer le marché mexicain. Certains affirment que c’est principalement une question de goût (Zepeda Mauleon 27/11/2001; Sánchez Navarro, 04/06/2002). Selon cette hypothèse, les Mexicains préféreraient les bières nationales car elles seraient plus faciles à boire que les bières étrangères. Ces bières, moins lourdes et plus fraîches que leurs concurrentes, correspondraient davantage au climat chaud et humide du pays, contrairement aux bières stout ou porter par exemple.196 Cette hypothèse, bien qu’attrayante et comportant une part de vérité,197 apparaît largement incomplète. Une seconde hypothèse, plus complexe que la précédente, nous semble correspondre davantage à l’organisation de l’industrie brassicole mexicaine. La faiblesse des bières importées sur le marché mexicain s’expliquerait plutôt par l’existence d’importantes barrières à l’entrée sur ce marché. Une telle hypothèse rejoindrait l’argument selon lequel une structure oligopolistique implique de fortes barrières à l’entrée. En outre, si on accepte cette hypothèse, il devient plus facile de reconnaître la similarité du marché mexicain avec la majorité des marchés brassicoles nationaux, notamment les marchés émergents (Heijbroek, Schutter et Boon, 1997).198 195 Beverage World rapporte qu’en 1992, les bières américaines ne représentaient que 0,4% du marché national (BW, 01/04/1993). Il est assez difficile de mesurer l’impact réel des bières importées, car les statistiques ne prennent pas en compte les bières importées illégalement des États-Unis et distribuées principalement dans le nord du pays. 196 Voir l’annexe 3 sur les différents types de bières. 197 Abasolo (14/05/2002) souligne que le positionnement des marques de CCM correspond en grande partie aux préférences des consommateurs. Selon les études de marché de la compagnie, les consommateurs montreraient une nette préférence pour les marques nationales, au détriment des bières importées. 198 L’existence de fortes barrières à l’entrée constitue l’une des caractéristiques centrales de l’organisation de l’industrie brassicole internationale à l’échelle nationale (cf. chapitre 5). 145 Une barrière à l’entrée est un coût de production auquel fait face une firme entrant sur un marché, mais absent pour les entreprises déjà présentes. Il existe deux catégories de barrières à l’entrée : les barrières de premier ordre et les barrières de second ordre (Ülgen, 2002). Les premières sont liées à la structure du marché, alors que les secondes sont de nature institutionnelle et réglementaire. L’économie industrielle s’est la première intéressée aux barrières à l’entrée. Selon Bain (1956), une firme cherchant à pénétrer un nouveau marché fait face à trois coûts non supportés par les entreprises déjà présentes : les économies d’échelles, les coûts de réputation ou de différenciation du produit ainsi que les coûts absolus.199 À ces trois barrières s’ajoute une quatrième, le capital, généralement irrécupérable (Heflebower, 1957; Scherer 1970; Rudie Harrigan, 1981). Les barrières de second ordre (Jacobson et Andréosso-O’Callaghan, 1996) proviendraient avant tout des mesures réglementaires limitant l’entrée de nouvelles firmes sur un marché. Les limitations peuvent être physiques (formalités administratives, temps d’attente), techniques (les spécifications techniques, la réglementation nationale) ou fiscales (la différenciation des régimes fiscaux, les secteurs réservés aux entreprises publiques nationales, etc.). Les barrières à l’entrée renvoient à la nécessité pour les firmes d’intégrer des coûts plus importants dans la pénétration d’un nouveau marché, coûts généralement absents pour les firmes existantes. Ces dépenses étant irrécupérables, les industries dont la structure de marché présente de telles caractéristiques ne peuvent être qualifiées de contestables.200 Les firmes déjà établies bénéficient d’avantages substantiels vis-à-vis 199 On ne s’accorde pas sur l’importance relative de chaque élément. Pour Bain (1956) et Ferguson (1974), les économies d’échelle représentent une importante barrière à l’entrée, alors que ce n’est pas le cas pour Stigler (1968) (dans la mesure où la fonction de coût de toutes les firme est la même). Bain reconnaît que le marketing et le capital constituent des barrières ; pour Stigler et Ferguson, ils ne sont pas nécessairement des barrières. Demsetz, reconnaissant que ces définitions s’appuient avant tout sur une distinction entre les firmes présentes versus les potentielles (insiders versus outsiders), remet en question ces conceptions en soulignant les jugements de valeur implicites qu’elles sous-tendent (Demsetz, 1982). Dans la mesure où la firme pratique une stratégie de prix sous-optimaux (predatory pricing), il s’agit là d’une importante barrière à l’entrée. La firme est ainsi en mesure d’éliminer la concurrence d’une nouvelle entreprise sur le marché. À long terme, une telle pratique réduit le bien-être du consommateur (Demsetz, 1982). 200 Dans une telle structure de marché, les trois piliers de la théorie des marchés contestables (une possibilité d’entrée et de sortie libre de coûts, l’absence de coûts irrécupérables ainsi que l’incapacité des firmes présentes sur le marché à répondre rapidement aux actions du nouvel entrant) ne s’appliquent pas. 146 de concurrentes potentielles, car elles ne sont pas soumises aux dépenses reliées aux barrières de premier ordre. En somme, les barrières à l’entrée limitent la concurrence sur le marché en réduisant le nombre de firmes sur le marché. La structure du marché brassicole mexicain, abordée dans les sections précédentes, correspond à la description d’une industrie comportant de fortes barrières à l’entrée. L’industrie est verticalement intégrée ; Grupo Modelo et CCM maîtrisent l’ensemble des réseaux de distribution ; les deux entreprises possèdent une grande réputation, basée sur plusieurs décennies de succès. La combinaison de ces éléments procure un avantage concurrentiel considérable aux deux compagnies sur le territoire national.201 En somme, l’industrie brassicole, tant nationale qu’internationale, comporte de forts coûts irrécupérables.202 Les coûts de réputation, notamment en publicité et en commandite, impliquent une présence à moyen ou long terme. Il apparaît peu plausible pour une firme entrant un nouveau marché national d’adopter une stratégie de hit and run. L’avantage concurrentiel de Grupo Modelo et CCM vis-à-vis des bières importées et des autres bières nationales se manifeste dans les parts de marché des entreprises et dans le prix de vente. Malgré l’absence de statistiques fiables, le tableau 4.4 a montré que la part des bières autres que Modelo et CCM durant les années 1990 demeure stable à environ 1% du marché. Par ailleurs, dans toutes les régions du pays, le prix des bières mexicaines est moins élevé que celui des bières importées.203 Compte tenu du fort pourcentage de Mexicains à faible revenu,204 le prix des bières importées 201 Il faut préciser que l’existence des barrières entraîne une double exclusion. Tant les bières importées que les bières nationales autres que celles de Modelo ou FEMSA sont confrontées à la position de force des deux brasseries dominantes. 202 L’industrie brassicole est intensive en capital, les coûts nécessaires en distribution, en réfrigération, en commercialisation et en publicité étant extrêmement élevés. Pour une firme étrangère désireuse de s’établir sur un nouveau marché, ces coûts sont encore plus prohibitifs (BW, 01/04/1993; Expansión, 21/07/1999). 203 Selon une étude que nous avons réalisée dans différents points de vente à Mexico (décembre 2002) et à Monterrey (juin 2004), les deux principaux marchés du Mexique, les marques mexicaines sont systématiquement moins chères que les marques étrangères, sauf pour une marque importée à Monterrey. Il est à noter que les écarts de prix sont moins élevés à Monterrey qu’à Mexico, ce qui expliquerait peut-être que les bières importées détiennent de plus importantes parts de marché au Nord que dans le reste du pays. Voir l’annexe 5 pour une présentation complète du prix de vente au détail sur les deux principaux marchés du pays. 204 En 2000, sur une population active de 33,7 millions de personnes, 51%, soit 17,2 millions de personnes recevaient un revenu de 2 salaires minimum ou moins (la moyenne nationale du salaire 147 classe celles-ci comme un produit de luxe pour la majorité de la population, surtout dans la ville de Mexico. La faiblesse du revenu des individus, de même que le prix des bières importées, obligent les brasseries étrangères à cibler la population à haut revenu, ce qui représente une minorité de personnes (Expansión, 19/11/1997). Si le prix constitue une barrière concurrentielle importante, l’intensité de cette barrière n’est pas la même dans l’ensemble du pays. En effet, les différences de prix sont plus marquées au sud et au centre du Mexique, zones de domination de Modelo, que dans le nord. On retrouve d’ailleurs une plus grande variété de bières américaines dans cette région que dans les deux autres zones du pays. Dans les circonstances, CCM souffre davantage de cette situation que sa concurrente. La proximité géographique des États-Unis, le Nord recevant davantage de bières américaines que les autres régions, accroît les importations légales et illégales (Abasolo, 14/05/2002).205 Bien que l’élimination des barrières tarifaires sur les bières nord-américaines, suite à l’ALENA, ait entraîné une baisse du prix de ces bières,206 la situation ne date pas de la seconde moitié des années 1990. Dès le début des années 1990, les dirigeants de CCM reconnaissent que cette dernière subit une forte concurrence à la frontière nord, notamment en ce qui concerne les bières en canette (Expansión, 24/07/1991).207 En somme, l’existence d’importantes barrières à l’entrée limitent la portée et l’influence des brasseries étrangères et des bières importées sur le marché brassicole mexicain. De par sa structure, celui-ci ne constitue pas un marché contestable : dans la mesure où il existe des coûts irrécupérables, au sens de Baumol (1982). minimum s’élevant à 35,12 pesos/jour). Dans tous les cas, une caisse de six bières représente un pourcentage important du revenu journalier d’un mexicain. Mais dans le cas des bières importées, ce pourcentage peut parfois représenter 100% du revenu journalier. Voir INEGI (2002b) et l’annexe 5. 205 Abasolo soutient qu’en certaines régions du Nord, il est possible de trouver des bières américaines à un coût moindre que les bières mexicaines. Nous avons pu corroborer cette assertion lors de l’étude des prix des bières à Monterrey. Voir l’annexe 6. 206 Sur l’évolution des tarifs applicables aux bières américaines, voir le chapitre 6. 207 L’impact des bières américaines sur CCM serait double. Non seulement celles-ci réduisent-elles les parts de marché de la brasserie mexicaine, mais elles diminuent encore davantage la rentabilité de l’entreprise, car c’est la région du pays d’où Cuauhtémoc-Moctezuma obtient le plus de profit (Abasolo, 14/05/2002). 148 Conclusion Les effets de la crise de 1982 sont plus importants que ne le laisse entrevoir une simple étude des statistiques. En effet, les difficultés que connaissent Cuauhtémoc et Moctezuma durant cette période affectent les options à la disposition de Cerveceria Cuauhtémoc-Moctezuma. L’endettement massif de la firme freine la croissance de l’entreprise, bien que celle-ci inaugure une nouvelle usine en 1991. L’ensemble de la stratégie de CCM est en fait orienté autour de la réduction de la dette de la firme, non autour de sa croissance ou de la concurrence avec Modelo. Cela entraîne une lente mais constante perte de parts de marché. CCM ne sera pas en mesure de suivre le rythme de croissance de Modelo, tant sur le marché national que sur les marchés internationaux. Le développement de l’industrie brassicole mexicaine est marqué depuis le début du 20è siècle par une concentration de plus en plus forte, ce qui conduit au duopole actuel et à une concurrence basée sur les gains de parts de marché. Cette concentration s’accompagne d’une totale intégration des brasseries, alors qu’elles contrôlent l’ensemble de la chaîne de production de la bière, de la récolte de l’orge à la vente. En ce sens, le schéma du réseau de valeur doit être modifié afin de rendre compte de cette réalité. Dans le cas de l’industrie brassicole mexicaine, le réseau de valeur des firmes ne peut être conçu comme un losange mais plutôt comme un triangle, car les fournisseurs sont intégrés aux firmes. Cela nous donne donc le schéma suivant : Figure 4.8 Le réseau de valeur national des brasseries mexicaines Clients (consommateurs/ magasins ) Autre brasserie Brasseries (inclut les fournisseurs) Complémenteurs Par ailleurs, la croissance de l’industrie depuis la fin de la restructuration de Cuauhtémoc et Moctezuma, en 1988, suit deux tendances distinctes : une croissance rapide et soutenue pour Modelo, une progression beaucoup plus lente de CCM. Les 149 causes de cette différence sont surtout à rechercher du côté de la structure des entreprises. Alors que Modelo s’est toujours uniquement centrée sur la production et la distribution de bière, CCM doit composer avec les autres unités du groupe FEMSA, notamment avec Coca-Cola FEMSA qui prend de plus en plus d’importance. L’évolution des firmes depuis la seconde moitié des années 1990 laisse une impression de défaite totale de CCM : tout se passe comme si les dirigeants de FEMSA avaient concédé la victoire à Modelo et ne chercheraient qu’à maintenir un niveau de ventes et de profits acceptables dans un marché de plus en plus difficile pour eux. Les deux entreprises conçoivent la poursuite de la croissance à travers une double perspective interne-externe : interne dans la mesure où elles considèrent que le potentiel du marché mexicain est loin d’être atteint. La consommation par habitant croît depuis quelques années, mais elle est encore loin des niveaux de pays tels que l’Allemagne, les États-Unis ou même le Canada. Externe car les marchés étrangers représentent d’importantes sources de revenus et de devises. Il apparaît essentiel pour ces deux entreprises de bien se positionner au niveau international, l’industrie brassicole mondiale se globalisant de plus en plus rapidement (cf. chapitre 5). Cependant, et bien que les deux compagnies soient présentes sur de nombreux marchés, leurs regards demeurent tournés vers leurs voisins du Nord, là où elles exportent la plus grande partie de leurs bières. Que nous apprend ce chapitre sur la globalisation et le modèle de co-opétition que nous développons dans le cadre de cette thèse ? D’une part, la consolidation de l’industrie, même si elle résulte en grande partie de facteurs internes, constitue une donnée centrale de l’industrie brassicole mexicaine. Cette concentration réduit la concurrence et limite la possibilité pour les brasseries étrangères de pénétrer le marché mexicain. Celles-ci doivent donc considérer des stratégies financières, notamment l’investissement de portefeuille, au détriment de stratégies productives ou commerciales. D’autre part, concernant le modèle co-opétitif, ce chapitre s’est attaché à montrer que l’échelon national demeure un niveau fondamental dans la prise en compte des rapports concurrentiels dans l’industrie brassicole internationale. 150 CHAPITRE V LE MARCHÉ INTERNATIONAL DE LA BIÈRE La globalisation influence un nombre toujours plus grand d’industries. Certaines, considérées jusqu'à récemment comme des industries nationales, sont touchées par ce phénomène. L’homogénéisation culturelle, la poursuite d’économies d’échelle et de champ, l’accélération des innovations technologiques, la déréglementation et l’augmentation de la concurrence internationale forcent les entreprises à intensifier leur projection internationale (Segal-Horn, 2002). C’est le cas notamment de l’industrie brassicole internationale. Cette thèse analyse les transformations qu’induit la globalisation en étudiant tout particulièrement l’internationalisation de l’industrie brassicole mexicaine, c'est-à-dire Grupo Modelo et Cervecería Cuauhtémoc-Moctezuma (CCM). Pour qui désire comprendre le développement international des brasseries mexicaines, il ne suffit pas d’examiner leurs stratégies, qu’elles soient régionales et/ou globales, leurs bilans financiers ou leurs parts de marché. Une étape préalable s’impose : l’étude de l’environnement dans lequel évoluent les deux firmes, du marché international de la bière, de sa structure et de son évolution depuis le début des années 1980. Parallèlement à la globalisation de l’industrie, on assiste également à une accélération de la régionalisation des opérations des brasseries. Elles étendent leurs activités à l’ensemble de leur région d’origine, que ce soit l’Europe, l’Amérique du Nord ou du Sud, l’Afrique ou l’Asie avant de pénétrer les marchés extra-régionaux. Ces deux processus entraînent une transformation des brasseries et donnent naissance aux brasseries multinationales (BMN), opérant à la fois à l’échelle nationale, régionale et globale. Au cours de ce chapitre, il s’agira de s’interroger sur les causes et les effets de la globalisation de plus en plus poussée de l’industrie brassicole internationale. Jusqu’au milieu des années 1980, elle se caractérise par sa très grande fragmentation. Débute alors un processus de concentration qui conduit les brasseries nationales à 151 s’internationaliser afin d’acquérir des parts de marchés à l’échelle planétaire. À cette fin, les BMN adoptent des stratégies globalisantes. Il en résulte une double concentration : nationale et internationale. La réduction du nombre de brasseries à ces deux niveaux se double d’un accroissement de la taille et des capacités productives des “vainqueurs”. Cependant, la rapidité de la concentration n’est pas la même pour toutes les régions du monde. Alors qu’on assiste à une rapide consolidation en Europe de l’Ouest, en Amérique latine et en Amérique du Nord, l’Europe de l’Est et l’Afrique suivent une trajectoire plus lente, la fragmentation y demeurant plus élevée. En Asie, nous remarquons une multitude de situations distinctes. Dans le contexte de la globalisation, il sera soutenu que le développement international des firmes se déroule aux trois niveaux, le national, le régional et le global. Le chapitre précédent a présenté l’organisation et l’évolution de l’industrie brassicole mexicaine à l’échelle nationale. Ce chapitre élargit la perspective et examine la mutation du marché mondial de la bière. Il ne s’agit pas ici d’analyser les stratégies de concurrence ou de collaboration des firmes, ce qui nous occupera lors des chapitres 7 et 8, mais plutôt d’étudier l’intégration de marchés nationaux en un marché de plus en plus mondial, dit autrement, la globalisation de l’industrie. Deux des trois idées reçues de la globalisation traitées dans cette thèse, à savoir la nécessité pour les firmes de transformer leur structure organisationnelle et l’émergence d’une nouvelle diplomatie commerciale, sont concernées par ce chapitre. En effet, le développement de l’industrie, depuis les années 1980, montre que la brasserie nationale cède de plus en plus le pas aux brasseries multinationales, capables d’opérer sur un nombre toujours croissant de marchés. Ce chapitre initie l’exploration de notre première hypothèse, à savoir que la globalisation transforme la structure des firmes (de brasseries nationales à multinationales, puis globales). Par ailleurs, cette consolidation internationale implique en certaines occasions l’intervention de l’État. Cette immixtion, si elle ne s’inscrit pas obligatoirement dans le cadre de la diplomatie commerciale ou triangulaire – on dénote une plus grande implication des autorités nationales de la concurrence – demeure tout de même décisif dans certains cas. L’État, de par son rôle juridique surtout, reste la dernière instance décisionnelle en 152 matière de concentration, notamment lorsqu’il doit approuver une transaction réduisant le niveau de concurrence sur le marché national. Bien que le marché international de la bière soit le principal niveau de la concurrence internationale, il faut également accorder une attention particulière aux marchés régionaux, notamment au marché nord-américain. En effet, l’internationalisation de l’industrie brassicole mexicaine se déroulant principalement sur le continent nordaméricain, l’étude de ses caractéristiques nous permettra, dans les chapitres suivants, de mieux comprendre les stratégies de co-opétition des brasseries mexicaines. Ainsi, si les marchés canadien et américain se ressemblent en terme de concentration, la taille et la diversité des États-Unis en fait l’un des principaux centres de la concurrence internationale. Avec l’émergence d’une véritable industrie brassicole internationale, puis son accélération, il s’agit de se pencher sur la nature de la reconfiguration à laquelle nous assistons. Ce chapitre, en s’attardant à l’architecture du marché mondial de la bière, nous permettra d’expliciter ses transformations aux niveaux national, régional et global. Bien qu’il ne concerne pas directement les brasseries mexicaines, il facilitera la compréhension de l’environnement international et son influence sur les choix que doivent faire Grupo Modelo et CCM. 5.1 Globalisation et concentration des marchés 5.1.1 Globalisation accélérée de l’industrie 5.1.1.1 De la fragmentation à la concentration Jusqu’au milieu des années 1980, l’industrie brassicole internationale demeure fortement fragmentée. Longtemps considérée comme un produit à fort caractère local, du fait des préférences des consommateurs et de leur attachement aux marques locales, régionales ou nationales, la bière apparaît comme l’antithèse d’une marchandise globale (Gourvish, 1998).208 Ce caractère local a pour conséquence la 208 Le caractère local de ce produit se retrouve également dans la variété de l’offre à ce niveau. En effet, plus de 90% des marques de bières à travers le monde est destinée aux marchés locaux (BW, 15/11/2000). 153 fragmentation de l’industrie au niveau international. Alors que dans l’industrie automobile, un faible nombre de constructeurs détient plus de la moitié du marché mondial des autos neuves, l’industrie brassicole internationale apparaît très éclatée. En 1986, les dix plus grandes brasseries ne représentent que 34,8% de la production internationale (tableau 5.1).209 Tableau 5.1 Parts du marché international des 10 plus grandes brasseries en 1986, 1995 et 2003 (en %) 1986 AB Miller Heineken Bond Corp. Kirin Stroh Elders Groupe BSN Coors Brahma Autres Total 1995 8,8 4,8 4,4 3,2 3,1 2,8 2,1 1,9 1,9 1,9 65,2 100 AB SAB Heineken Brahma Scottish Courage Kirin Coors Interbrew Carlsberg Modelo Autres Total 2003 8,8 7,8 6,1 5,1 3,1 3,1 2,8 2,7 2,4 2,1 55,9 100 AB SABMiller Interbrew Heineken Ambev Carlsberg S&N Modelo Coors Kirin Autres Total 10,7 9,3 8,1 7,1 5,3 3,8 3,4 2,9 2,7 2,4 44,1 100 Sources : 1986: Impact Databank The Impact American Beer Market Review and Forecast. 1988 Edition, New York: M. Shanken Communications, 1988.; 1995 et 2003: Impact Databank, The Global Drinks Market. Impact Databank Review and Forecast, 2004 Edition, New York: M. Shanken Communications, 2005. Plusieurs enseignements, outre la part toujours plus grande des principales brasseries, peuvent être tirés du tableau 5.1 : premièrement, la stabilité de la brasserie américaine Anheuser-Busch au sommet du classement. Profitant de son marché interne, la brasserie occupe cette position depuis plusieurs décennies. Ensuite, une minorité de brasseries, dominant l’industrie au milieu des années 1980, maintiennent leur position de tête en 2003. Outre Anheuser-Busch, Heineken, Kirin et Brahma/Ambev, six des brasseries présentes au tableau en 2003 y sont absentes en 1986. Finalement, la consolidation est menée par des firmes de pays développés. En 1986, une seule 209 Notons que l’industrie des boissons en général n’est pas fortement concentrée, l’exception étant les spiritueux et les boissons gazeuses: dans le premier cas, les quatre premières firmes contrôlent plus de la moitié du marché mondial (Business Week, 08/09/2003), alors que dans le second, c’est 79% du marché mondial que possèdent les quatre premières firmes de boissons gazeuses (Toronto Star, 17/09/2003). 154 brasserie, Brahma (Brésil) provient d’un pays en développement ; en 1995 et 2003, le nombre passe à deux, alors que Modelo se joint au groupe.210 L’industrie brassicole est longtemps considérée comme une industrie nationale. À partir de la seconde moitié des années 1980, s’initie le processus de globalisation.211 L’homogénéisation de plus en plus grande de la demande des consommateurs ainsi que les changements technologiques sont reconnus parmi les plus importants facteurs de la concentration de plusieurs industries internationales (Segal-Horn, 2002). En ce qui concerne l’industrie brassicole internationale, la globalisation est poussée par quatre phénomènes additionnels : la saturation/maturité des marchés des pays développés, la nécessité de “faire du volume”, le profit et le développement des marchés émergents à faible niveau de consommation. Les marchés brassicoles des pays développés, après des décennies de croissance soutenue, connaissent un ralentissement depuis le début des années 1980, alors que les taux de croissance n’excèdent pas les 2% annuellement. Non seulement la croissance n’est plus au rendez-vous, mais on assiste également à la stagnation puis à la diminution progressive de la consommation per capita (tableau 5.4), à la segmentation de plus en plus poussée et à la percée des bières importées, celles-ci occupant de 5% à 15% des parts de marché. La saturation des marchés représente un véritable problème pour les brasseries étant donné que la principale source de croissance des brasseries réside en l’augmentation de la production. La nécessité de “faire du volume” constitue l’une des principales sources de profit des brasseries. Étant donné des perspectives internes limitées, l’expansion internationale passe par l’internationalisation, notamment l’établissement de nouvelles unités de production à l’étranger, l’acquisition de brasseries existantes (Birmingham Post, 25/06/1999) ou l’exportation. 210 South African Breweries (SAB) occupe une place tout à fait particulière dans l’industrie : originaire d’Afrique du Sud, l’entreprise a déplacé le contrôle administratif à Londres à la fin des années 1990. 211 Une industrie se globalise lorsque les activités à valeur ajoutée (se croisent) et se produisent dans un nombre important, et croissant, de pays, tant développés qu’en développement. Dans une telle industrie, les FMN intègrent, coordonnent et contrôlent ces activités transfrontalières (WIR, 1992). 155 Tableau 5.2 Region/année Production mondiale de bière par région, 1980-2004 (en million d’hectolitres) 1980 1985 1990 1995 2000 2004 Europe 432,1 439,8 454,0 431,5 477,9 529,7 Asie 64,3 96,0 185,6 281,7 359,4 440,7 Amérique du 276,7 278 301,3 301,0 315,8 324,9 Nord Amérique 64,3 69,6 117,7 158,2 156,8 165,2 centrale, du Sud et Caraïbes Afrique 16,2 23,0 58,7 54,8 61,6 70,7 Océanie 23,3 22,7 24,4 22,3 21,1 20,9 Autres 60,9 55,8 N/A N/A N/A N/A Total 937,8 984,9 1 141,7 1 249,5 1 392,4 1 552,1 * : Les totaux peuvent différer pour cause d’arrondissement Sources : 1980 et 1985: Brewers’ Society, Statistical Handbook. 1991 Edition, Londres: Brewing Publications Ltd., 1991; 1990-2004: Joh Barth & Sons, The Barth Report, Nurembourg: Joh Barth & Sons, plusieurs années. Dans un premier temps, les brasseries multinationales pénètrent les principaux marchés matures de la planète, accentuant du même coup la concurrence nationale. Mais très rapidement, elles réorientent leur stratégie, visant les marchés émergents. En effet, si le taux de croissance moyen de l’industrie brassicole internationale se situe depuis le début des années 1990 aux environs de 3% annuellement, les principales sources de cette croissance se trouvent dans les marchés d’Amérique latine (Mexique et Brésil principalement), d’Europe de l’Est et d’Asie. Tel que le montre le tableau 5.2, ces trois régions montrent les plus forts taux de croissance de l’industrie.212 La Chine, la Russie le Brésil, le Mexique et la Pologne constituent les principaux foyers de croissance de l’industrie brassicole internationale (Impact, 2005). 212 Le cas de l’Europe est intéressant dans la mesure où les marchés d’Europe de l’Ouest sont en perte de vitesse, alors que ceux d’Europe de l’Est croissent continuellement. En fait, la quasi totalité de la croissance de la région provient de l’Est. 156 Tableau 5.3 Principales caractéristiques des marchés matures et émergents Marché mature Marché émergent faible croissance (moins de 3%/année) potentiel de croissance du marché important forte segmentation faible différenciation des produits consommation per capita élevée (plus de 50 faible consommation per capita (- de 50 litres/an) litres/an) stagnation ou réduction de la consommation Augmentation de la consommation per capita faible croissance démographique croissance de la population modérée ou forte croissance des bières de type premium importance des bières de spécialité absence totale ou (microbrasseries) microbrasseries fort réseau de distribution faible réseau de distribution quasi-totale de Parallèlement à cette évolution de la production, on observe également des changements en terme de consommation. D’une part, les marchés matures d’Europe de l’Ouest et d’Amérique du Nord (Canada et États-Unis) subissent une diminution de la consommation per capita depuis les années 1980. D’autre part, les marchés émergents d’Amérique latine et d’Asie connaissent une augmentation de la consommation per capita durant la même période. Le tableau 5.4 montre bien cette double tendance selon que les marchés soient matures ou émergents. Outre l’Irlande et l’Espagne, tous les marchés matures connaissent une baisse de la consommation depuis 1990. Les États considérés comme émergents, la Chine, le Brésil, bien qu’ils soient au bas de la liste, voient une forte augmentation de la consommation per capita depuis 1990. En Chine, la consommation triple durant la période, alors qu’elle progresse de 14,2% au Mexique et de 29,3% au Brésil. Ce double changement conduit les brasseries à modifier leurs stratégies afin de tenir compte de cette nouvelle donnée. 157 Tableau 5.4 Consommation per capita de certains pays, 1986-2003 (en litres/an) Pays République Tchèque Irlande Allemagne Autriche Grande-Bretagne Danemark Belgique Australie États-Unis Pays-Bas Espagne Canada Brésil Mexique France Chine 1986 133,4a 104,5 146,4b 118,5 108,1 125,8 119,8 111,3 90,8 86,0 62,0 81,9 31,6 35,0 40,4 ND 1990 179,5 a 122,8 143,1 121,5 113,2 126,5 121,0 114,0 90,0 89,9 72,0 74,8 36,8 44,4 41,2 6,0 1995 159,1 136,7 135,9 115,6 102,5 124,4 103,7 95,2 80,8 85,8 67,5 67,8 49,8 44,8 39,6 12,7 2000 161,6 146,5 127,5 107,8 97,1 102,4 98,2 89,9 80,7 82,6 71,5 67,3 48,1 50,9 36,1 17,5 2003 162,1 134,4 117,7 110,6 101,8 96,6 96,3 87,2 78,7 79,1 81,5 68,7 47,6 50,7 35,2 19,0 A : données pour la Tchécoslovaquie B : donnée pour la République fédérale allemande Sources: pour 1986 : NTC et Commissie Gedistilleerd, World Drink Trends. International Beverage Alcohol Consumption and Production Trends, Oxfordshire: NTC Publications 1990; 1990 à 2003: Impact Databank, The Global Drinks Market. Impact Databank Review and Forecast, 2004 Edition, New York: M. Shanken Communications, 2005. Nulle part ailleurs retrouve-t-on ces contrastes au niveau de la consommation qu’en Europe. En Europe de l’Ouest, la tendance générale est à la diminution de la consommation, voire une diminution marquée dans certains cas (Allemagne, Autriche, Danemark, Belgique et Pays-Bas). En Europe de l’Est par contre, la tendance est plutôt à l’augmentation de la consommation, au détriment de boissons traditionnelles telle que la vodka. 5.1.1.2 L’internationalisation des brasseries : la formation des brasseries multinationales Parallèlement à la transformation des marchés brassicoles, on assiste à une mutation des brasseries. Jusqu’aux années 1980, peu de brasseries peuvent être considérées comme multinationales au sens de la CNUCED.213 Outre les critères commerciaux et 213 Trois caractéristiques concourent à définir une firme multinationale : la détention d’actifs à l’étranger (au moins un pays étranger), des ventes dans plusieurs pays ainsi qu’une force de travail 158 organisationnels, la définition d’une brasserie multinationale doit également prendre en compte l’aspect stratégique.214 Outre Heineken, les brasseries ne possèdent pas ou peu d’actifs à l’étranger et donc peu d’employés. Au niveau des ventes, elles résultent en partie des exportations, mais également des licences de production octroyées par les brasseries étrangères à une firme nationale. Il y a donc vente de la marque de la firme, mais cette vente est le fait d’un tiers. En nous appuyant sur la définition de la CNUCED et en y intégrant la particularité de l’industrie brassicole internationale, prenant ainsi en compte l’aspect des ventes prévalant dans l’industrie jusqu’aux années 1980, nous définissons une brasserie multinationale comme une entreprise possédant une ou plusieurs filiales à l’étranger, vendant directement et indirectement ses bières (à travers ses filiales ou par des accords de licence et/ou de distribution) et dont un certain pourcentage des employés est domicilié à l’étranger.215 Le processus de multinationalisation des brasseries s’amorce donc durant les années 1980. Il répond aux mêmes critères que la globalisation de l’industrie analysés précédemment. Les perspectives de croissance sur leur marché national étant faibles et les économies d’échelle ayant conduit à la surproduction (Bodens et al., 2004), ces entreprises, provenant majoritairement des pays développés à l’origine, doivent adopter une perspective plus vaste.216 Comme il a été souligné à la section précédente, répartie sur plusieurs pays (UNCTAD, 2004). Ces trois éléments permettent de rendre compte de l’ensemble des activités de la firme. Si on considère que 10% constituent le plancher de propriété des actifs, il n’existe pas un tel critère au niveau des ventes ou des employés. Le critère de globalité de Rugman et Verbeke (2004) pallie en partie cette déficience en matière de ventes, quoiqu’il ne semble pas correspondre à l’esprit de la définition de la CNUCED. 214 Selon le type d’internationalisation qu’elle privilégiera, transnationale, multidomestique ou globale, la firme développera une stratégie d’internationalisation particulière. Dans cette optique, l’entreprise doit, dans un premier temps, identifier les opportunités internationales existantes de même que les forces internes permettant de tirer profit de ces occasions. Une analyse de type SWOT (Strengths [forces], Weaknesses [faiblesses], Opportunities [opportunités] et Threats [menaces]) peut ainsi être conduite pour évaluer les capacités de la firme (voir l’annexe 4 pour une analyse SWOT de l’industrie brassicole internationale). Dans un deuxième temps, la firme établira ses objectifs d’internationalisation (niveau de rentabilité, court terme versus long terme, monoproduit/monoactivité versus multiproduits/multiactivités, croissance interne/développement autonome versus croissance externe/partenariat) et adoptera une stratégie en conséquence. Finalement, vient l’étape de la mise en œuvre, ce qui implique aussi bien les variables financière (IDE) que juridique ou logistique. En somme, il s’agit pour l’entreprise de “renforcer sa position globale dans la compétition, par la recherche d’une répartition de ses localisations et d’une organisation optimales de chacun des stades de sa chaîne de valeur” (Lemaire, 1997: 10). 215 Afin de mesurer le niveau de multinationalisation des firmes à partir de ces critères, la CNUCED a développé l’indice de transnationalisation. Un indice de transnationalisation est développé pour l’industrie brassicole internationale, les résultats étant fournis au chapitre 7. 216 La brasserie sud-africaine South African Breweries (SAB) constitue l’exception la plus manifeste de ce groupe. 159 la nécessité de maintenir les niveaux de profit et d’accroître les volumes de production représentent de puissants facteurs de d’internationalisation. Pour les brasseries, la globalisation passe avant tout par l’internationalisation de la production et des ventes. Cela requiert donc une multiplication des accords de distribution, des licences de production et l’établissement d’unités de production propres ou en joint-venture à l’étranger. Deux autres causes d’internationalisation doivent être soulignées ici : la rapidité d’action et l’accès aux canaux de distribution. Concernant la rapidité d’action, ce facteur joue avant tout dans le domaine des fusions/acquisitions. En effet, les brasseries se trouvent ni plus ni moins dans une course à la croissance. Étant donné que le nombre d’acquisitions potentielles est limité, les firmes qui procéderont aux plus importants achats, tant au niveau stratégique, géographique ou financier compatibles se retrouveront en meilleure position. Cette course aux acquisitions provoque la création d’une industrie oligopolistique à l’échelle internationale, les entreprises qui se démarqueront seront celles qui sauront se positionner rapidement et efficacement. L’accès aux canaux de distribution internationaux apparaît comme l’un des grands objectifs des brasseries. La maîtrise du réseau de distribution international d’une firme permet également d’accéder à ses réseaux nationaux. Les brasseries possédant de tels réseaux globaux de distribution ou bénéficiant d’alliances leur permettant de se positionner sur les marchés les plus importants de la planète posséderont un avantage compétitif déterminant sur leurs concurrentes (Business Week, 10/06/2002). L’acquisition de brasseries étrangères apparaît comme la solution la plus avantageuse pour qui veut construire ce réseau de distribution mondial. Par ailleurs, les brasseries multinationales doivent aussi s’adapter à des divisions de marché différenciées selon les pays. Dans certains cas, le segment des bières premium est le plus important, alors que pour d’autres pays, ce sont plutôt les bières dites populaires qui dominent le marché. Selon les caractéristiques propres d’un pays, la BMN adapte ses stratégies, ce qui a pour conséquence de provoquer des approches différenciées selon les marchés. Une seconde distinction concerne le type de bière 160 dominant le marché. Alors que les bières lagers dominent la majorité des marchés brassicoles, certains voient la pré-éminence des bières plus fortes, telles les ales alors que d’autres sont plus diversifiés. Bien que la globalisation de l’industrie prend son véritable envol durant les années 1980, certaines compagnies précèdent ce mouvement. C’est notamment le cas d’Heineken, Carlsberg, Guinness et Foster’s. Étant donné la petitesse de leur marché national respectif, ces brasseries affrontent la problématique de la croissance de la firme avant les autres grandes BMN. Elles dépendent davantage des marchés internationaux que de leur pays d’origine (Expansión de Madrid, 07/02/98; Canadian Corporate News, 12/10/2000). Ces quatre firmes précèdent donc la globalisation des années 1980-90 et bénéficient ainsi d’une expérience leur permettant d’exploiter la nouvelle configuration internationale.217 Quels sont les autres brasseries appartenant au cercle des brasseries multinationales? Voici un bref survol de certaines compagnies que nous qualifions de BMN. * Interbrew/Inbev Interbrew est une brasserie belge née en 1987 de la fusion de deux brasseries, Artois et Piedboeuf. Lors de sa formation, cette brasserie occupe la 19ème position à l’échelle mondiale. À partir du début des années 1990, l’entreprise entreprend de s’internationaliser. Ce processus débute en Europe centrale et orientale puis s’étend au Canada, où la firme acquiert la brasserie Labatt, la seconde brasserie canadienne en importance. Cette acquisition double le volume de vente d’Interbrew et permet à l’entreprise de se positionner internationalement. En 1997, la firme pénètre en Chine et accélère son expansion dans le pays au cours des années subséquentes. Entre 1991 et 2000, la brasserie belge procède à une trentaine d’acquisitions partout à travers le monde. Afin de profiter au maximum de son expansion internationale et d’avoir accès à davantage de ressources financières, Interbrew devient une compagnie publique en 2000. Jusqu’en 2004, l’entreprise poursuit son internationalisation, ses 217 Toutefois, leur internationalisation ne procède pas de manière identique. Si les quatre brasseries exportent leurs bières sur plusieurs marchés internationaux, seule Heineken avait développé une stratégie intégrée comprenant des IDE, des exportations et des accords de coopération. 161 deux principales opérations étant l’acquisition de la brasserie anglaise Bass en 2001 et la fusion avec la brasserie brésilienne Ambev en 2004. Cette dernière transaction permet à la firme d’occuper le premier rang mondial en terme de volume (tableau 5.5). La fusion entraîne également un changement de nom de l’entreprise, Inbev, reflétant ainsi l’importance des deux unités centrales de celle-ci.218 * Anheuser-Busch (AB) Pendant plusieurs décennies, jusqu’à la fusion Interbrew-Ambev, la brasserie américaine Anheuseur-Busch demeure la plus grande brasserie au monde en terme de volume de production. Sa position s’explique avant tout par sa domination du marché américain. Elle détient environ 50% de ce marché, mais ne connaît pas le même succès sur les marchés étrangers. En comparaison, Heineken, la quatrième brasserie en terme de volume, vend trois fois plus de bières sur les marchés internationaux qu’Anheuseur-Busch, bien que cette dernière soit présente dans plus de 80 pays (SLPD, 19/02/2001). Contrairement aux principales BMN, Anheuseur-Busch réalise la presque totalité de ses ventes aux États-Unis. L’entreprise possède les deux marques les plus vendues au monde, Budweiser et Bud Light, mais jusqu’à maintenant celles-ci ne peuvent être considérées comme des marques globales (cf. 7.1.3.4). Ce n’est qu’au cours des années 1990 toutefois, après quelques accords de licence et l’exportation de Budweiser, que la firme entreprend véritablement son internationalisation. Celle-ci passe avant tout par des prises de participation limitées au sein de plusieurs brasseries à travers le monde, la première étant Grupo Modelo, une augmentation des accords de licence et par la suite, l’exploitation d’usines propres (cette stratégie étant tout de même limitée à deux brasseries). Anheuseur-Busch reste consciente de l’importance de l’internationalisation mais maintient sa stratégie d’un développement international contrôlé pour l’instant. Ses liquidités imposantes, sa domination du marché américain de même que la 218 Dans la suite de cette étude, nous utiliserons principalement le nom d’Interbrew, sauf lorsqu’il s’avèrera nécessaire de référer à Inbev. 162 participation qu’elle conserve au sein de plusieurs des plus importantes brasseries nationales au monde lui permettent d’attendre les meilleures occasions d’achat. * Heineken La majorité des spécialistes de l’industrie brassicole internationale reconnaît qu’Heineken constitue la brasserie la plus globalisée du monde (BW, 01/10/95; Business Week, 08/09/2003; Koster, 2004). La globalisation actuelle de l’industrie n’est donc pas une nouveauté pour l’entreprise. Il s’agirait en fait de la troisième phase dans l’internationalisation de la firme (BW, 01/10/95). La première phase s’étend de 1863 à la fin des années 1960. Au cours de cette période, Heineken débute ses exportations dans les colonies hollandaises puis aux États-Unis après la fin de la Prohibition. L’entreprise noue ses premiers accords de licence en plus de réaliser des investissements mineurs dans certaines brasseries étrangères. La seconde phase va de la fin des années 1960 au début des années 1990. Durant cette période, Heineken accroît sa présence sur les marchés ouest-européens à travers des acquisitions et l’exportation tout en poursuivant son expansion sur les marchés internationaux. Elle double sa production entre 1980 et 1990, celle-ci passant de 14 à 28 millions d’hectolitres (BW, 01/10/95). La troisième phase, amorcée au début des années 1990, se caractérise par l’extension de la présence de la compagnie à l’ensemble de la planète, avec une attention particulière aux marchés émergents d’Europe centrale et orientale, d’Asie et d’Amérique latine. Outre les nombreux accords de distribution et de licence, l’entreprise possède en totalité ou en partie plus de 115 brasseries dans 65 pays (Heineken, RA 2003). * SABMiller (South African Breweries-Miller) SABMiller est une brasserie d’origine sud-africaine, l’unique BMN provenant d’un pays en développement ou d’un marché n’étant pas considéré comme mature. C’est à partir de la fin de l’Apartheid en 1994 que South African Breweries (SAB) initie son internationalisation. Cette première phase se concentrera principalement sur les marchés émergents. L’expérience que possède la firme de tels marchés pousse celle-ci à privilégier l’Afrique, l’Europe de l’Est et l’Asie (SAB, RA 1998). 163 En 1999, la brasserie déménage son centre décisionnel à Londres. Cette décision a pour but de rapprocher l’entreprise des principaux centres financiers et d’ainsi améliorer l’accès aux capitaux internationaux en vue d’acquisitions futures (SAB, RA 1999). La firme poursuit son expansion, toujours dans les marchés émergents, étendant sa présence géographique à l’Amérique centrale. En 2002, SAB pénètre un marché mature pour la première fois et procède à sa plus importante acquisition : la brasserie américaine Miller,219 la seconde brasserie en importance aux États-Unis. La firme change alors de nom et devient SABMiller. L’achat de Miller permet à SAB de diversifier ses sources de revenus et de bénéficier d’une devise forte, le dollar américain. SAB est ainsi passée d’une brasserie sudafricaine, puis africaine à une brasserie globale. Depuis 2002, la compagnie poursuit sa stratégie d’acquisition de brasseries dans des marchés émergents ; elle possède des usines dans plus d’une vingtaine de pays et des accords de licence et/ou de distribution dans plusieurs autres (SABMiller, RA 2003). * Coors et Scottish & Newcastle (S&N) Coors (É-U) et Scottisch & Newcastle (G.B) constituent les deux autres firmes participant activement à la consolidation de l’industrie à l’échelle internationale. Comparativement aux firmes présentées précédemment, ces deux entreprises apparaissent tardivement dans l’arène de la globalisation. Par ailleurs, leurs activités demeurent encore principalement centrées sur des marchés matures, bien que S&N ait davantage diversifié sa présence géographique que Coors. S&N initie sa croissance sur son propre marché. En 1996, la firme acquiert la brasserie Courage, alors que le marché anglais se trouve en pleine restructuration. La fin de la décennie 1990 voit l’expansion de la firme sur le continent européen, premièrement en Europe de l’Ouest, puis en Finlande. Cette dernière acquisition facilite la poussée de S&N en Europe centrale et orientale et en Russie par la suite. Outre l’Europe continentale, la brasserie entreprend de percer le marché indien, où, en compagnie de SABMiller, elle mène la consolidation de l’industrie brassicole indienne. 219 Une transaction évaluée à 4,993 milliards de dollars (SAB, RA 2003). 164 Jusqu’en 2001, Coors reste confinée au marché américain. Outre un accord de licence avec la brasserie canadienne Molson, l’entreprise demeure plutôt absente de l’arène internationale. En février 2002, toutefois, Coors acquiert la brasserie anglaise Carling de la belge Interbrew, doublant du même coup sa taille.220 Deux ans plus tard, en juillet 2004, l’entreprise annonce sa fusion avec la brasserie Molson, une opération qui ne sera complétée qu’en janvier 2005. Ainsi, nous assistons à la constitution d’une industrie à la fois nationale et globale. Les marchés nationaux demeurent importants, alors que se constituent quelques grandes brasseries multinationales: SABMiller, Heineken, Interbrew, Carlsberg, S&N, et dans une moindre mesure, Anheuseur-Busch et Coors. Il est à noter que la majorité des firmes qui émergent de ce processus de consolidation ne dominaient pas l’industrie brassicole internationale au milieu des années 1980. Comme le montre le tableau 5.5, parmi les cinq premières BMN en 2004, seules Anheuseur-Busch et Heineken, faisaient partie des dix premières brasseries au monde en 1986. Tableau 5.5 Classement des principales BMN par volume (millions d’hl) Compagnie Inbev (19) SABMiller (12) Anheuseur-Busch (1) Heineken (3) Carlsberg (13) S&N (36) Coors (9) 1986 13,0 14,3 85,3 42,1 15,8 5,0 18,5 1998 38,6 46,8 117,1 83,1 33,0 17,0 24.9 2000 76 62.1 123.9 97.9 39.8 36.3 27.0 2002 102 111.1 128.8 108.9 78.6 n/a 37.3 2003 120 115.8 130.3 109.0 81.4 48.2 38.4 2004 233.5 137.8 137.1 112.6 92.0 50.4 38.4 Entre parenthèses : la position de la brasserie en 1986 Sources : Impact Databank, The Impact American Beer Market Review and Forecast. 1988 Edition, New York: M. Shanken, 1988; Beer Marketer’s Insight, 2002 Beer Industry Update. A Review of Recent Developments, West Nyack, New York : Beer Marketer’s Insights, 2002; Rapports annuels des compagnies L’une des particularités que fait ressortir ce tableau est l’absence des brasseries japonaise, allemande ou chinoise dans ce mouvement de globalisation des brasseries. Cet état de fait apparaît pour le moins surprenant dans la mesure où il s’agissait des deuxième, troisième et quatrième marchés brassicoles en 1990 (Tableau 5.6) et qu’ils 220 La brasserie belge avait été forcée par les autorités anglaises de la concurrence de vendre une partie de ses actifs en Grande-Bretagne suite à l’acquisition de Bass en 2000. Coors déboursa environ 1,7 milliard de dollars pour cette acquisition (Coors, SEC 2002). 165 demeurent encore parmi les plus importants en 2003. Toutefois, comme nous le verrons dans la section suivante, ces absences s’expliquent soit par les stratégies de diversification des brasseries (au Japon) ou par une industrie extrêmement fragmentée (Chine et Allemagne), d’où l’absence d’une brasserie dominante. 5.1.2 Concentration nationale et internationale accrue 5.1.2.1 Réduction des brasseries… Parallèlement à la globalisation des BMN, on assiste aussi à la consolidation et à la concentration aux niveaux national et international. Paradoxalement, ces deux processus s’inscrivent dans un mouvement d’ouverture des marchés nationaux et de réduction des barrières tarifaires auxquelles font face les brasseries (BW, 01/11/92). Alors que le nombre de brasseries majeures sur les marchés nationaux se réduit, la variété et l’offre de marques croissent de manière importante. Cela s’explique par le fait que les brasseries nouent de plus en plus d’accords de distribution internationaux. La majorité des marchés nationaux se caractérise soit par un monopole ou un oligopole effectif. Généralement, de deux à quatre brasseries contrôlent 80% ou plus de la production nationale. Dans les pays d’Amérique latine, jusqu’au début des années 2000, les marchés nationaux étaient le plus souvent dominés par une grande brasserie ; en Amérique du Nord, c’est plutôt le duopole la forme d’organisation dominante, sauf aux États-Unis où trois brasseries se partagent environ 80% du marché national. En Europe, la situation est moins limpide puisque plusieurs pays présentent une structure concurrentielle plus ouverte, les marchés plus oligopolistiques se trouvant surtout en Europe du Nord. En Asie, malgré deux grands marchés encore marqués par une relative ouverture, l’Inde et la Chine, la plupart des pays correspondent à une structure oligopolistique ou monopolistique. Quatre marchés illustrent l’évolution de la consolidation et de la concentration nationale : l’Australie, le Japon, le Brésil et la Grande-Bretagne. En Australie, le mouvement de consolidation a amené les brasseries Carlton and United Breweries et Lion Nathan (une compagnie néo-zélandaise) à contrôler plus de 95% du marché national (BW, 09/01/1993). Bien que le marché soit un duopole, une intense 166 concurrence se déroule entre les deux entreprises, conduisant à de nombreuses innovations. En outre, la baisse de la consommation per capita (tableau 5.4), combinée à la saturation du marché, force les deux brasseries à rechercher de nouveaux débouchés, la Chine apparaissant comme la cible toute naturelle. Dans le cas du Japon, l’industrie est un véritable oligopole, alors que quatre grandes brasseries, Kirin, Asahi, Sapporo et Suntory, dominent le marché depuis les années 1960. Le marché japonais est divisé en deux produits : la bière et le happoshu, une boisson à plus faible teneur en malt.221 Le Japon représente le meilleur cas où l’innovation entraîne de profonds bouleversements sur un marché national, et par la suite, sur les marchés internationaux. En effet, jusqu’à la fin des années 1980, Kirin domine le marché japonais, avec plus de 50% des ventes totales. Mais en 1987, Ashahi lance la première bière Dry, la Super Dry. Grâce à cette innovation, Ashahi brise la domination de Kirin durant les années 1990, prenant du même coup le leadership de l’industrie. 222-223 Jusqu’en 2003, la bière traditionnelle domine le marché ; mais en 2003, le happoshu surpassa la bière.224 Jusqu’aux années 1990, la concurrence ne se base pas sur les prix, ceux-ci étant fixés par le gouvernement (Craig, 1996). Les brasseries doivent donc se démarquer par la qualité et la variété de leurs produits, la présentation ou des promotions ponctuelles (Forbes, 18/04/1988). Cette particularité explique le caractère extrêmement innovant de l’industrie brassicole japonaise, les brasseries se retrouvant en situation d’hypercompétition (Craig, 1996). Dans cette logique, les brasseries japonaises développent sans cesse de nouveaux produits, augmentant sensiblement le portefeuille 221 Brewers Association of Japan, <http://www.brewers.or.jp/english/05-differ.html>, accès le 13 avril 2004. 222 Kirin, dans une situation qui illustre bien la nature très concurrentielle de l’industrie brassicole, tant à l’échelle nationale qu’internationale, a perdu son leadership car elle n’a pas su s’adapter aux changements socio-culturels du Japon au cours des années 1980 et qu’elle n’a pas su répondre assez rapidement aux innovations qu’introduisaient ses concurrentes, particulièrement Asahi (Forbes, 18/04/1988). 223 En 1998, les parts de marché s’établissaient comme suit : Asahi, 39,5% ; Kirin, 38,4% ; Sapporo, 16%; Suntory, 8,6% (Grocer, 23/01/1999). 224 On explique généralement la hausse de la popularité du happoshu par la plus faible taxation à laquelle était soumise cette boisson : elle se vendait généralement aux 2/3 du prix des bières. Cependant, la réforme de 2003 élimine cet avantage fiscal. On prévoit que la croissance de ce segment devrait ralentir au cours des prochaines années (USDA, 2004). 167 de marques des firmes (Craig, 1996; Chanoki, 2003).225 En outre, les brasseurs japonais sont confrontés à la stagnation de la consommation nationale : jusqu’en 1995, la consommation per capita augmente presque continuellement, atteignant 58 litres. À partir de 1996, on observe une certaine tendance à la baisse, la consommation se stabilisant autour de 56 litres (ABC, 1997; Chanoki, 2003). Le Brésil représente un bon exemple de marché émergent. Jusqu’au milieu des années 1990, ce marché est dominé par un oligopole de trois firmes, les brasseries Brahma, Antartica et Kaiser226, la fin des années 1990 voit la constitution d’un géant national, AmBev. Dans la logique de création d’un champion national, les autorités de la concurrence brésiliennes acceptent la fusion de Brahma et d’Antartica, créant ainsi l’une des plus grandes brasseries à l’échelle internationale.227 La consolidation se poursuit avec l’achat de la brasserie Kaiser puis de la marque Bavaria par la brasserie canadienne Molson. Bien qu’au début des années 2000 l’industrie demeure dominée par trois brasseries (Ambev, Kaiser et Shincariol, représentant plus de 98% du marché national), la concentration s’est accélérée. La firme dominante, AmBev, contrôle bon an mal an environ 70% du marché national, alors que les parts de marché de Brahma, la première brasserie brésilienne à l’époque, ne dépassaient pas 52% au début des années 1990 (Brahma, 20F 1998-2003). Malgré la relative fermeture du marché brésilien aux bières importées, il suscite tout de même un grand intérêt de la part des BMN. La taille de la population brésilienne ainsi que l’augmentation constante de la consommation justifient l’attrait de ce 225 Chanoki souligne d’ailleurs que cette offre constante de nouveaux produits, bien qu’ils aient une courte durée de vie (d’un à trois ans) constitue une forte barrière à l’entrée dans l’industrie étant donné que les brasseries étrangères ne peuvent investir les sommes requises en marketing (Chanoki, 2003). 226 À elles trois, ces brasseries représentaient 98% du marché brésilien de la bière en 1991 (Brahma, 20F 1998). 227 En avril 2000, le Conselho Administrativo de Defesa Econômica (CADE), l’autorité de la concurrence brésilienne, accepta la fusion des deux brasseries. Plusieurs conditions furent imposées à la nouvelle entité, parmi lesquelles: la vente de la marque Bavaria et de brasseries situées dans diverses régions du pays ; le partage de son réseau de distribution avec d’autres brasseries dans cinq régions du pays durant 4 ans; l’obligation de vendre n’importe quelle brasserie aux enchères avant une quelconque fermeture, et ce, durant 4 ans ; le reclassement des employés au sein de l’entreprise au lieu de leur renvoi (pendant une période de 5 ans) et la non-exclusivité de la vente des produits d’AmBev aux points de vente (Brahma, 20F 2000). 168 pays.228 Entre 1993 et 1998, le marché brésilien croît à un taux annuel de 10% avec une consommation per capita de 49,2 litres, ce qui est encore loin des principaux pays consommateurs de bière (Brahma, 20F 1999). La Grande-Bretagne constitue l’une des principales industries brassicoles de la planète. Jusqu'à la fin des années 1980, l’industrie brassicole anglaise est à la fois concentrée et éclatée.229 La Commission des monopoles et fusions (Monopolies and Merger Commission), dans le rapport The Supply of Beer (1989) note la nature hautement intégrée de l’industrie, l’existence d’un “monopole complexe” et les limites que cela pose à la concurrence. Afin de remédier à cette situation, la Commission recommande certains changements structurels majeurs.230 Alors que les Beer Orders de 1989 visent à freiner la concentration verticale de l’industrie, elles contribuent, paradoxalement, à l’augmentation de la concentration des brasseries et de la production.231 Depuis le début des années 1990, deux tendances participent à la consolidation. D’une part, deux des six grandes brasseries disparaissent de l’industrie, Whitbread se concentrant dans la gestion des lieux de consommation et Courage étant acquise par Scottish & Newcastle. D’autre part, on assiste à une plus grande présence des BMN, notamment Interbrew et Coors. En 2000, sur une période de deux mois, Interbrew achète Whitbread et Bass.232 En 2001, la 228 Les deux principales barrières à l’entrée sont les coûts relatifs au marketing et le développement d’un réseau de distribution national. Outre l’entrée directe de Molson, plusieurs BMN ont noué des alliances stratégiques avec les brasseries brésiliennes durant les années 1990 (cf. chap. 8). 229 L’organisation de l’industrie brassicole anglaise, caractérisée par le contrôle des public houses, les bars et autres lieux de consommation sur place par les brasseries et la consommation sur place (85% de la consommation à l’époque) demeurait très majoritairement sous le contrôle des brasseries. Cette intégration verticale de l’industrie était renforcée par le fait que six des 200 brasseries nationales (Allied, Bass, Courage, Grand Metropolitan, Scottish & Newcastle et Whitbread), contrôlaient 75% de la production et 74% des public houses. 230 Parmi les principales recommandations, notons les suivantes : la limitation à 2000 le nombre maximum de public houses qu’une brasserie pouvait contrôler ; l’interdiction pour les brasseries de conditionner la vente des public houses sous leur contrôle à la vente de leurs bières ; l’élimination des prêts aux public houses ; la possibilité pour les tenanciers de bar d’acheter au moins une marque de bière n’appartenant pas à la brasserie propriétaire du bar (Monopolies and Merger Commission, 1989). 231 Les brasseries anglaises s’étaient fortement diversifiées dans d’autres secteurs depuis les années 1960. Suite au rapport de 1989, deux des six grandes firmes quittèrent l’industrie brassicole. Selon l’analyse des entreprises, la gestion des pubs et autres lieux de consommation était plus profitable que le brassage de la bière. En outre, l’un des obstacles majeurs à la concentration de l’industrie avait toujours été l’opposition des autorités de la concurrence à ce qu’une entité puisse avoir une position dominante sur le marché (Lewis, 2001). 232 Dans un premier temps, la Monopolies and Merger Commission refusa l’achat de Bass, arguant que cette transaction mènerait à un duopole Interbrew- Scottish & Newcastle, limitant ainsi la concurrence 169 brasserie américaine Coors acquiert la brasserie Carling d’Interbrew, cette dernière ayant été obligée de fractionner la brasserie Bass. En 2003, les quatre principales brasseries, Interbrew UK, Scottish & Newcastle, Carlsberg UK et Coors UK contrôlent 78,3% du marché anglais (Interbrew, RA 2003; Coors, 10-K 2004; S&N, RA 2003; Koster, 2004). Par ailleurs, l’évolution de la consommation a également contribué à transformer l’industrie brassicole anglaise. En effet, tout comme dans la majorité des pays d’Europe, la consommation per capita a chuté durant les années 1990, bien que les Britanniques demeurent parmi les plus grands consommateurs au monde. Si la consommation diminue, le type de bières consommées change également. Traditionnellement, le marché anglais était dominé par les bières de type ale et stout. Le développement des méga-brasseries, combiné aux stratégies internationales de ces dernières, a favorisé la croissance des bières lager, celles-ci accaparant plus des deuxtiers du marché (Lewis, 2001). 5.1.2.2 …mais le rythme n’est pas le même selon les régions et pays du monde Alors que la concentration des industries brassicoles s’est accélérée dans plusieurs pays, la vitesse de cette consolidation n’est pas la même dans les diverses régions de la planète. Les causes de ces disparités sont à trouver dans les stratégies des entreprises (Larimo, Marinov et Marinova, 2004), dans le potentiel de croissance et la structure des marchés (Heijbroek, de Schutter et Boon, 1996; Koster, 2003), dans l’évolution des goûts des consommateurs, dans les privatisations en Europe centrale et orientale et surtout dans l’ouverture du marché chinois (Lewis, 2001; Chinese Markets for Beer, 01/01/2003). Autrement dit, la consolidation dépend fortement de l’attractivité des marchés (Myers et Sarkar, 2002).233 Alors qu’en Europe de l’Ouest la (Monopolies and Merger Commission, 2001). La décision fut toutefois renversée et l’acquisition fut confirmée avec obligation pour Interbrew de se départir de certaines parties de Bass. 233 Myers et Sarkar définissent l’attractivité des marchés comme la combinaison du potentiel dudit marché, l’environnement des affaires, l’environnement concurrentiel, la disponibilité des ressources et l’existence de synergies avec le marché mondial. Le potentiel du marché renvoie à la taille du marché, son potentiel de croissance et les préférences des consommateurs. L’environnement des affaires touche à tout ce qui concerne les aspects externes à l’entreprise, notamment la stabilité économique et l’activité gouvernementale. Cet aspect influence grandement la capacité de la firme à mener ses projets à bien. Le climat concurrentiel tient non seulement à la présence de firmes nationales, mais aussi et surtout internationales, sur un marché donné. La disponibilité des marchés ne tient pas uniquement aux ressources nécessaires à la production de la bière, mais aussi aux infrastructures (routes, ports, 170 consolidation se poursuit à un rythme soutenu, elle semble plus lente en Europe centrale et orientale et en Asie. En Amérique latine, le processus se poursuit sur une base régionale et est mené par AmBev. En Europe de l’Ouest et du Nord, les principaux marchés de la région se sont rapidement consolidés durant les années 1990. Sous l’impulsion de quatre brasseries européennes, Scottish & Newcastle, Interbrew, Heineken et Carlsberg, ces marchés sont de plus en plus intégrés. De multiples accords croisés de licence, de production et de distribution facilitent cette évolution. Le mouvement s’est d’abord amorcé en Belgique et aux Pays-Bas à partir de la seconde moitié des années 1980, alors que l’étroitesse des marchés locaux pousse les brasseries à accélérer leur internationalisation.234 Si l’Europe de l’Ouest dans son ensemble connaît une rapide intégration de l’industrie brassicole, l’Allemagne demeure une exception majeure. Plus important marché du continent, l’industrie brassicole allemande se caractérise par sa très grande fragmentation, la petite taille des brasseries, la variété de l’offre235 et une très forte consommation per capita. Cette consommation est toutefois en baisse : entre 1990 et 2003, la consommation per capita a diminué de 17,7% (tableau 5.4). Les brasseries allemandes font face à un dilemme : d’une part, la population vieillit et de l’autre, les brasseries ne possèdent ni la taille ni les ressources financières requises afin de pleinement participer à la consolidation internationale et nationale (Time International, 11/08/2003). électricité, etc.) en place dans les marchés cibles. L’existence de synergies avec le marché mondial renvoie à la possibilité pour la firme d’intégrer sa présence dans un nouveau marché avec l’ensemble de ses activités à l’échelle globale. Autrement dit, la firme cherchera à intégrer la nouvelle entité dans une chaîne de valeurs globale (Myers et Sarkar, 2002). 234 Dans le cas belge, cette internationalisation est d’autant plus surprenante car, contrairement aux principaux pays d’Europe de l’Ouest, la quasi-totalité des brasseries étaient de propriété familiale (Cincinnati Post, 20/05/1997). 235 Jusqu’en 1987, l’industrie brassicole allemande était régie par la Reinheitsgebot, la loi sur la pureté de la bière (édictée en 1516). Cette législation stipulait que la bière consommée en Allemagne ne devait contenir que trois ingrédients : le malt d’orge, le houblon et l’eau (un quatrième ingrédient, la levure, fut ajouté après la Deuxième Guerre mondiale). En 1987, la Cour de justice européenne jugea que cette loi constituait un frein à la concurrence ; toutefois, la très grande majorité des brasseries allemandes respecte cette tradition de brassage. En 2001, on dénombrait 1297 brasseries en Allemagne, environ trois fois plus que la Grande-Bretagne. En outre, la taille de ces brasseries, en terme d’employés par brasserie, est largement inférieure aux autres pays d’Europe de l’Ouest (Brewers of Europe, 2002). 171 Le processus de consolidation et d’intégration de l’industrie allemande à l’industrie brassicole européenne débute durant la seconde moitié des années 1990. Contrairement aux brasseries belges et hollandaises, les brasseries allemandes répondent à la crise de croissance par des réductions de prix et une approche nettement localisée. Compte-tenu de la faiblesse financière des brasseries allemandes, ce sont des BMN étrangères, Heineken, Interbrew et Carlsberg notamment, qui profitent de la situation. Elles impulsent les regroupements en procédant aux plus importantes acquisitions.236 L’industrie allemande s’oriente vers une structure avec peu de grandes brasseries (sous contrôle étranger), quelques brasseries de taille moyenne et un grand nombre de microbrasseries.237-238 En Europe centrale et orientale, là aussi, les grandes BMN européennes, de même SABMiller, mènent la consolidation. Contrairement à l’Europe de l’Ouest cependant, les marchés de la région sont en pleine croissance.239 Les niveaux de consommation per capita, à l’exception de la République Tchèque, demeurent relativement faibles, laissant une importante marge de progression. La région renferme les deux pays ayant connu la plus forte croissance depuis le milieu des années 1990 : la Russie et la Pologne (Koster, 2004). En Amérique latine, la consolidation s’effectue en trois phases, deux concernant les brasseries sud-américaines et la troisième impliquant les grandes BMN. Durant la première partie des années 1990, la brasserie brésilienne Brahma entreprend une première incursion en Amérique latine en investissant au Venezuela et en Argentine, les deux plus importants marchés d’Amérique du Sud hors Brésil. La brasserie chilienne CCU pénètre en Argentine ; Quilmes, la principale brasserie argentine, investit également dans la région (BW, 01/03/1996). Après une pause au milieu de la 236 La variété des bières disponibles faisant en sorte que la stratégie de marques globales ne puisse fonctionner en Allemagne, les BMN se trouvent dans l’obligation d’acheter les brasseries allemandes afin de pénétrer ce marché et de s’assurer une position dominante. 237 Les brasseries de taille moyenne, celles produisant entre 5000 et 10 000 hl, sont condamnées à faire les frais de la consolidation, soit en étant rachetées ou en fermant. Elles se trouvent en effet prises dans la position de ne pas être suffisamment grandes pour livrer la bataille du volume, ni d’être des microbrasseries se positionnant dans des niches spécialisées. 238 Ce sont les grandes brasseries européennes, notamment Heineken et Interbrew, et dans une moindre mesure Carlsberg, qui profitent de cette consolidation, un processus qui devrait durer une vingtaine d’années (Koster, 2003). 239 Koster (2004) note que depuis 1991, la croissance de l’industrie brassicole, sur le continent européen, résulte presque exclusivement de la progression en Europe centrale et orientale. 172 décennie, les brasseries de la région renouent avec les acquisitions à partir de la fin des années 1990 : Quilmes poursuit son expansion en Amérique du Sud. Elle est par la suite rachetée par AmBev. Le conglomérat vénézuélien, propriétaire de Cervecería Regional pénètre le marché péruvien, tout comme son concurrent vénézuélien Cervecería Polar.240 Entre ces deux périodes, on observe l’amorce d’une présence des BMN dans la région. Jusqu’au milieu des années 1990, Heineken demeurait l’unique brasserie internationale présente en Amérique du Sud. Par la suite, les brasseries nordaméricaines Anheuseur-Busch et Miller y nouent des alliances stratégiques ou y établissent des unités de production. Vers la fin des années 1990, l’implication des BMN s’accélère. La brasserie canadienne Molson acquiert la brasserie brésilienne Kaiser en 2002.241 Deux autres brasseries jouent également un rôle important en Amérique latine : SABMiller et Interbrew. Si l’implication de cette dernière était mineure dans cette zone durant les années 1990 et au début des années 2000, elle remédia à la situation en 2004 en fusionnant avec Ambev. 242 SABMiller, pour sa part, s’est concentrée sur l’Amérique centrale, acquérant les brasseries Cervecería Hondureña (Honduras) et Industrias La Constancia (El Salvador). Bien que la production brassicole latino-américaine, hors Brésil, demeure faible comparativement aux autres régions (Koster, 2003 et tableau 5.1), les perspectives de croissance attirent un nombre plus important de brasseries qu’en Europe de l’Ouest.243 La participation des brasseries nord-américaines en Amérique latine augmente le nombre de BMN impliquées dans cette concurrence. En outre, le faible niveau de 240 Dans les deux cas, il s’agit d’acquisitions d’actions de la même brasserie, Backus & Johnston, mais à trois années d’intervalle (Latin Finance, décembre 2002). 241 Parmi les causes ayant poussé les brasseries nord-américaines à pénétrer les marchés latinoaméricains, Beverage World note que l’ALENA a joué un rôle majeur. L’Accord montrait les avantages possibles à se positionner dans ces marchés, ce qui ne manquerait pas d’attirer l’attention des BMN (BW, 01/03/1996). 242 Avant la fusion avec Ambev, Interbrew possédait un accord de coentreprises au Venezuela et une participation au sein d’une brasserie cubaine (BW, 15/06/2004). 243 Dans les faits, la production croît plus faiblement en Amérique latine, en ne tenant pas compte du Brésil, que dans les autres régions de la planète. Entre 1998 et 2005, la production a crû de 9,1%, alors qu’elle s’élève à 9,5% en Amérique du Nord, 11,7% pour l’Europe et 15% pour l’Asie. Seule l’Océanie connaît une croissance plus faible, avec un taux de 7,2% (ANAFACER, 2004b). 173 consommation per capita244, conjugué à la jeunesse des populations latinoaméricaines et à la multiplication d’accords commerciaux, laissent croire aux brasseurs que le potentiel de croissance de cette industrie dans la région mérite qu’ils y accordent une attention particulière (BW, 15/06/2004). La consolidation en Amérique latine a la particularité de se dérouler à un double niveau : d’une part, les plus importantes brasseries latino-américaines se positionnent en procédant à des acquisitions afin d’améliorer leur profil. Ainsi, elles espèrent, d’autre part, être assez intéressantes afin de susciter des offres d’achat de la part des BMN (Latin Finance, décembre 2002; BW, 15/06/2004). En Asie, les marchés nationaux se caractérisent principalement par leur structure oligopolistique et la faible consommation per capita. Deux marchés retiendront ici notre attention : l’Inde et la Chine. Bien que les marchés indien et chinois se ressemblent en termes de fragmentation et de croissance, les similitudes s’arrêtent là. En effet, malgré une population avoisinant le milliard d’habitants, le marché brassicole indien demeure minuscule. La production totale de l’Inde s’élève à environ 7 millions d’hl en 2004, alors que la consommation per capita s’établit à environ 0,7 litre/an. Toutefois, on observe une augmentation moyenne de 9% de la consommation entre 1999 et 2004,245 ce qui en fait un marché potentiellement attirant pour les BMN. En outre, deux brasseries d’importance, S&N et SABMiller montrent un intérêt particulier pour ce marché depuis la fin des années 1990. En ce qui concerne la Chine, depuis le milieu des années 1990, elle constitue le principal lieu de la globalisation de l’industrie brassicole internationale. Avec 17,4% de la production mondiale en 2003 (tableau 5.6), la Chine est devenue le premier marché mondial, surpassant les États-Unis.246 La taille du marché chinois, tant en termes de production que de consommateurs, les faibles coûts des matières premières ainsi que de la main d’œuvre représentent les principaux facteurs explicatifs du fort 244 Outre le Venezuela, avec une consommation per capita oscillant autour de 70 litres/an durant les années 1990, aucun autre pays d’Amérique latine ne surpasse les 50 litres/personne. Durant cette période, seul le Brésil présente une consommation per capita s’approchant des 50 litres/an (Impact, 2005). 245 <http://www.scottish-newcastle.com/sn/media/pressreleases/pr2004/2004-12-19/> accès 25 janvier 2005. 246 En 1979, la production chinoise s’élevait à 3,8 millions d’hectolitres. En 2002, la Chine produisait 239 millions d’hectolitres (Chinese Markets for Beer, 01/01/2003; BW, 15/02/2004). 174 intérêt des brasseries multinationales pour ce marché. Jusqu’au début des années 1990, et bien qu’elle représente 6,2% du marché mondial, la Chine constitue un marché mineur. Les BMN y sont largement absentes et le maintien des contrôles gouvernementaux favorisent l’existence de centaines de brasseries déficitaires et inefficaces. À partir du début des années 1990, toutefois, le relâchement des contrôles gouvernementaux et la privatisation totale ou partielle de nombreuses brasseries permet à l’industrie d’entrer dans sa quatrième phase, celle de la consolidation et de l’entrée des BMN.247 Les débuts de cette phase ne sont toutefois pas couronnés de succès pour les BMN.248 Afin de pénétrer le marché chinois, celles-ci utilisent une gamme variée de stratégies (investissements de portefeuille, investissements directs, alliances stratégiques, jointventures ou exportation), bien que l’investissement de portefeuille constitue la forme préférée de prime abord. Malgré de forts investissements et l’allocation d’importantes ressources humaines et technologiques, les BMN ne parviennent pas à s’accaparer d’une part significative du marché national, celui-ci demeurant très fragmenté. La stratégie d’investissement créatif (greenfield investment), de production et de vente de bières de catégorie premium ayant montré ses limites, les BMN modifient leur approche en privilégiant les alliances stratégiques et les acquisitions de brasseries existantes. La structure du marché brassicole chinois demeure marquée par une forte présence des divers niveaux de gouvernement, tant en termes de propriété que de réglementation.249 L’ouverture du capital des brasseries aux firmes étrangères est encouragée par le gouvernement chinois car elle permet l’accès aux technologies de pointe des BMN, réduisant ainsi l’écart technologique avec les pays avancés. Les années 1990, outre l’arrivée massive des BMN, voient une croissance fulgurante de la 247 Lors de la première phase (1900-1949), on assiste à l’introduction de la bière sur l’ensemble du territoire ; la seconde phase (1949-1977) voit le développement continu de cette industrie, sous le contrôle de l’État ; sous l’impulsion des réformes économiques, la troisième phase (1978-1995) voit l’accélération de la production ; la phase actuelle (1995-2004) se caractérise par la consolidation croissante de l’industrie. 248 Si, en 1992, seulement quatre brasseries étrangères possédaient des usines en Chine, au début des années 2000, la quasi-totalité des BMN est physiquement présente dans le pays (Heracleous, 2001). 249 À titre d’exemple, la ville de Qingdao était jusqu’au début de 2000 actionnaire à 44,4% de la brasserie Tsingtao, la plus importante brasserie de Chine (USA Today, 18/01/2000). 175 production et de la consommation : la production augmente de 329% entre 1991 et 2000, passant de 66,9 millions d’hectolitres à 220 millions d’hectolitres (NTC et Commissie Gedistilleerd, 1994 et 2004).250 Toutefois, cette production ne comble pas la demande : la consommation s’accroît de 482% entre 1991 et 2001, passant de 1,21 milliard de dollars en 1991 à 5,83 milliards de dollars. La production nationale ne parvient pas à combler cette consommation avec une production de 5,77 milliard $US en 2001 (Chinese Markets for Beer, 01/01/2003). La production nationale ne suffisant pas à combler la demande interne, la Chine est un importateur net de bière. Malgré les fortes perspectives de croissance qu’il offre, le marché chinois souffre de plusieurs désavantages : le système de distribution reste très faible, obligeant les firmes à construire davantage de brasseries. En outre, l’absence d’infrastructures hors des grands centres urbains accentue les difficultés de la distribution. De plus, et malgré l’accélération de la concentration, le marché chinois demeure assez fragmenté : plus de 500 brasseries, dont la grande majorité sont de petite ou très petite taille. Au niveau des exportations et importations, l’État demeure encore très présent (Chinese Markets for Beer, 01/01/2003; BW, 15/02/2004).251 * ** La globalisation apparaît comme une force structurante de l’évolution récente de l’industrie brassicole internationale depuis la seconde moitié des années 1980. Bien que le caractère national de celle-ci demeure un aspect central, la consolidation amorcée à partir des années 1980, mais surtout depuis les années 1990, modifie considérablement la structure de l’industrie. Les marchés matures connaissent une diminution de la consommation et de la production, alors que les marchés émergents voient leur part de la production mondiale augmenter (tableau 5.6). 250 L’importance de la croissance du marché chinois se mesure également à l’augmentation de la production entre 1980 et 2000, l’ère de la globalisation de l’industrie brassicole internationale. Durant cette période, la hausse de la production en Chine s’élève à 3556,7%. En comparaison, l’élévation de la production en Argentine, la seconde en importance, se monte à 447,7%. Le Brésil montre une augmentation de 208,3%, le Mexique de 126,5%, le Canada de 7% et les États-Unis de 2,6%. L’Allemagne, le Danemark et la Grande-Bretagne voient une baisse de la production nationale, 4,8%, 8,7% et 14,7% respectivement (NTC et Commissie Gedistilleerd, 2004). 251 Les produits doivent transiter par des compagnies possédant les permis de commercer avec l’étranger. En outre, les tarifs applicables aux boissons ont diminué de 16,4% à 10,6% (Chinese Markets for Beer, 01/01/2003). 176 Tableau 5.6 Principaux pays producteurs de bière, 1980-2004 (en % de la production mondiale) Pays Chine États-Unis Allemagne1 Brésil Russie2 Japon GrandeBretagne Mexique Espagne Pologne 1980 0,6 24,3 9,8 3,1 6,5 4,9 6,9 1985 3,2 23,0 9,5 3,1 6,7 4,9 6,1 1990 6,2 20,6 10,2 4,9 3,0* 6,0 5,9 1995 12,8 18,0 9,1 6,6 1,6 5,9 4,9 2000 16,4 16,9 7,3 6,1 3,8 5,2 4,2 2003 17,4 16,2 6,8 6,0 5,2 4,6 4,2 2,9 2,1 1,2 3,0 2,4 1,1 3,3 2,5 1,0 3,4 2,2 1,2 3,7 2,1 1,6 3,7 2,3 1,9 1 : À partir de 1990 les données incluent la RFA et la RDA 2 : Pour 1980 et 1985, les statistiques sont de l’URSS Sources : 1980 et 1985: Brewers’ Society, Statistical Handbook, 1991 Edition, Londres: Brewing Publications Ltd., 1991; 1990 à 2003 : Beer Marketer’s Insights, 2005 Beer Industry Update. A Review of Recent Developments, West Nyack, New York : Beer Marketer’s Insights, 2005 Les États-Unis, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, les trois premiers producteurs de bières au début des années 1980 subissent une diminution substantielle de leur part dans la production mondiale. Inversement, la Chine, le Brésil et le Mexique augmentent leur part dans la production mondiale. La concentration touche l’ensemble des régions, mais à un rythme différent : l’Europe centrale et orientale ainsi que l’Asie apparaissent comme les principaux foyers de ce processus. Enfin, les principaux acteurs de la consolidation sont les grandes brasseries multinationales. Alors que le phénomène des BMN n’était pas très développé avant le début des années 1990, les stratégies des brasseries conduiront à l’émergence de plusieurs entreprises multinationales dans l’industrie brassicole. 5.2 Le marché nord-américain de la bière Malgré la constitution d’un marché brassicole de plus en plus global, la première partie de ce chapitre a montré la persistance des différences nationales. Par ailleurs, si la globalisation va de pair avec le maintien de certaines caractéristiques nationales, il reste que le niveau régional demeure fondamental pour la compréhension de 177 l’internationalisation des brasseries mexicaines. Dans le cadre de cette étude, nous accordons une attention particulière au marché nord-américain de la bière. Outre le Mexique, celui-ci se compose des États-Unis et du Canada, ces deux derniers renfermant plusieurs similitudes tout en conservant des spécificités propres.252 Par ailleurs, ils constituent les deux plus importants marchés d’exportation des brasseries mexicaines. À ce titre, et au vu de l’attention particulière que leur accorde Modelo et CCM, il convient de les étudier parallèlement à l’analyse de l’industrie brassicole internationale. La première section porte sur les similitudes entre les deux marchés, à savoir une concentration de plus en plus forte malgré une segmentation plus poussée depuis les années 1980. La seconde section aborde l’évolution du marché canadien alors que la dernière traite des changements au sein du marché américain. 5.2.1 Concentration et fragmentation du marché Les industries brassicoles canadienne et américaine, bien que de taille différente, évoluent de manière similaire depuis le début des années 1960. Tant du point de vue de la consolidation, de la production, de la consommation, des innovations que du retour des microbrasseries et de la poussée des bières importées, les marchés canadien et américain possèdent sensiblement les mêmes caractéristiques. Depuis le début des années 1960, et ce, jusqu’à la fin des années 80, la consolidation apparaît comme le maître mot-clé dans la description de l’industrie brassicole nordaméricaine. Au Canada, trois brasseries mènent ce mouvement : Molson, Labatt, mais surtout Canadian Breweries. Aux États-Unis, on assiste également à une constante réduction du nombre de brasseries (Swaminathan et Carroll, 1995; Van Munching, 1997).253 En fait, la concentration est un élément permanent des deux industries. Dans les deux pays, l’industrie brassicole se transforme d’une industrie régionale en une industrie nationale. Les brasseries de petite taille, ne pouvant investir aussi fortement que leurs concurrentes, ne peuvent réaliser les économies d’échelle nécessaires à leur 252 Dans cette partie, l’industrie brassicole nord-américaine réfère aux marchés canadien et américain. Ronnenberg (1998) soutient que deux formes de croissance caractérisent l’industrie brassicole américaine depuis l’après-guerre : la croissance interne et la croissance externe. Dans le premier cas, les brasseries construisent de nouvelles usines afin de brasser leurs propres marques. Dans le second cas, elles acquièrent des brasseries dans diverses régions et maintiennent la production des marques régionales. Ces deux formes de croissance s’appliquent également aux brasseries canadiennes. 253 178 croissance ; elles sont donc condamnées à disparaître au profit de firmes plus efficaces.254 Parallèlement à ces réductions, et grâce aux économies d’échelle que réalisent les brasseries, la production totale croît sensiblement jusqu’en 1990, puis ralentit par la suite. Entre 1960 et 1990, la production augmente de 114% aux États-Unis et de 117% au Canada (tableau 5.7). Tableau 5.7 Année 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 Production totale de bière, 1960-1990 (en millions d’hl.) États-Unis 103,1 117,8 143,0 174,4 203,5 205,1 221,3 Canada 10,2 ND ND 20,0 21,6 22,1 22,6 Sources : pour les États-Unis, Impact (1990) et BI (01/04/2001) ; pour le Canada, BAC (1965 et 1997) Par ailleurs, on observe une double tendance au niveau de la consommation. Dans un premier temps, entre 1960 et la fin des années 1970, la consommation per capita progresse à un rythme régulier et ininterrompu ; par la suite, elle diminue graduellement. Aux États-Unis la consommation croît jusqu’en 1981, où elle s’établit à 97,1 litres/an, puis baisse par la suite, sauf en 1986 où l’on constate une faible augmentation (Impact, 1990). Au Canada, la consommation per capita augmente jusqu’en 1975 où elle atteint 87 litres/an. Entre 1975 et 1985, la consommation se maintient aux environs de 80 litres/an. Par la suite, elle diminue pour se stabiliser aux environs de 67 litres/an (tableaux 5.8 et 5.9; BAC, 1997 et 2002). En somme, la hausse de la consommation s’amorce sensiblement au même moment dans les deux pays ; elle est toutefois plus forte aux États-Unis et plus prolongée qu’au Canada. La 254 Les économies d’échelle dans l’industrie résulteraient principalement des améliorations dans les procédés d’empaquetage et de l’automatisation des brasseries. Ces facteurs auraient augmenté la taille optimale des brasseries, la taille permettant la pleine exploitation des économies d’échelle (Swaminathan et Carroll, 1995). 179 diminution subséquente de la consommation touche également les deux pays, mais là c’est le Canada qui connaît une plus grande baisse que les États-Unis. La chute de la consommation oblige les brasseries à accroître leurs efforts afin de préserver leurs parts de marché et si possible, d’en gagner. Il ne s’agit plus seulement de rejoindre de nouveaux consommateurs, mais d’assurer la fidélisation des clients existants tout en captant la clientèle des brasseries concurrentes. Tableau 5.8 Consommation per capita, 1960-1990 (en litres/an) Année 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 États-Unis 60,4 63,9 74,0 86,5 96,3 93,8 91,2 Canada 60,0 64,8 74,0 87,0 86,1 80,7 77,1 Source : Brewers Association of Canada, Alcoholic Beverage Taxation and Control Policies, International Survey, Ottawa: BAC, 1997; Impact, 1990 ; BI (01/04/2001). Si l’industrie brassicole n’est pas reconnue pour ses innovations, i.e. les méthodes de fermentation et les types de bières produites, à partir des années 1970, toutefois, on assiste à une accélération fulgurante d’innovations brassicoles. Celles-ci, de nature technique, entraînent une multiplication de la variété de bières disponibles.255 La principale difficulté à laquelle sont confrontées les brasseries, quant aux nouvelles bières ou boissons, tient à l’incertitude liée de la popularité d’un nouveau produit. Elles font face au dilemme “ mode passagère versus tendance de fond”. Dans le cas d’une mode passagère, une nouvelle boisson apparaît sur le marché ; elle connaît une popularité immédiate. Cependant, les ventes plafonnent rapidement et cette boisson entre en déclin (Van Munching, 1997). Généralement, les modes durent de 3 à 5 ans. Les tendances de fond, à l’origine, ressemblent aux modes passagères, i.e une popularité quasi instantanée confirmée par des ventes en rapide progression. La principale différence tient au fait que dans ce cas, c’est une transformation de 255 Voit l’annexe 4 pour une présentation des types de bières. 180 l’industrie qui se produit, transformation ayant des conséquences à long terme. La position concurrentielle de la brasserie dépendra donc de l’analyse qu’elle effectuera de l’impact possible d’une nouvelle boisson. S’il s’agit de la firme novatrice, elle cherchera à maximiser son innovation. Les autres firmes suivront ainsi le leadership de la firme novatrice ou décideront de ne pas investir des sommes colossales dans un nouveau produit. Deux tendances de fond influencent l’industrie brassicole nord-américaine depuis les années 1970 La première innovation, la bière Light, est introduite par Miller en 1973.256 La popularité des bières light conduit les brasseries à rechercher de nouveaux types de bières ou de boissons à base de malt. Cependant, il faut attendre 1985 avant la percée suivante.257 C’est l’apparition des coolers, une boisson à base de vin blanc carbonisé. La popularité de cette boisson force les brasseries à pénétrer ce segment de marché rapidement afin de ne pas traîner derrière la firme innovante, comme cela fut le cas de la bière light. Toutefois, les coolers, contrairement à la bière light, s’avèrent être une mode passagère. Suite à la déconfiture des coolers, naît la seconde innovation : les bières dry. Introduite au Japon en 1987 par la brasserie Asahi, la bière Dry fait son apparition aux États-Unis et au Canada en 1988 (van Munching, 1997; Sneath, 2001).258 Elles gagnent rapidement en popularité, sans toutefois connaître le succès des bières light. En 1993, les brasseries canadiennes Molson et Labatt lancent la nouvelle bière Ice, un produit plus fort que les lagers traditionnelles.259 256 Les innovations sont généralement à deux niveaux : les procédés de brassage et les types de bières. Les premières permettent d’offrir des bières à divers degrés d’alcool, conduisant aux secondes, des types de bières variés. Dans le cas de Miller, le lancement de la marque Miller Lite permit à l’entreprise de passer du septième au second rang sur le marché américain,et ce, en quelques années seulement (Ronnenberg, 1998). Il fallut plusieurs années avant que les brasseries américaines reconnaissent l’impact des bières lights. Miller put ainsi prendre une avance considérable dans ce segment. 257 Miller a également introduit la bière Draft en 1986. 258 Dans le cas des bières Dry, et contrairement aux idées reçues, c’est la brasserie dominante, Anheuser-Busch, qui prit les devant, alors que ses principales concurrentes, Miller et Coors, adoptaient une stratégie attentiste. Le problème que posait ce nouveau segment sur le marché américain touchait à la cannibalisation des marques existantes des brasseries, car elles profitaient de la notoriété de celles-ci afin de s’accaparer du leadership de ce segment (Impact, 1990). Au Canada, c’est la brasserie Molson qui, la première,se lance dans le segment des bières dry (Sneath, 2001). 259 Les bières Ice contiennent généralement entre 5,5% et 6% d’alcool par volume. Par ailleurs, Sneath note que la paternité des bières ice, bien que revendiquée par les grandes brasseries canadiennes, serait plutôt le fait d’une microbrasserie canadienne, Niagara Falls Brewing Co., qui, en 1989, avait lancé une bière appelée Einsbock (Sneath, 2001). Par la suite, les brasseries américaines initient elles-aussi leur propre production de bières ice. Après un fort début, la production et les ventes diminuent graduellement durant la seconde moitié des années 1990. 181 Parallèlement au développement de nouvelles bières, les années 1980 voient la croissance des bières importées sur les deux marchés nord-américains (figure 5.1). Toutefois, nous observons une certaine différence dans les tendances dans les deux pays. Alors que la progression des bières importées est constante aux États-Unis durant la décennie 80 (sauf pour l’année 1989), la tendance est plutôt incertaine au Canada. Les importations connaissent une forte chute entre 1985 et 1987 ; elles remontent momentanément en 1989, puis baissent de nouveau. Ce n’est qu’à partir de 1996-1997 qu’on retrouve le niveau de 1989. Par la suite, elles augmentent rapidement : elles passent de 0,66 million d’hectolitres en 1995 à plus de 2 millions d’hectolitres en 2003, une croissance de 220% (tableau 5.9). La dernière similitude à relever entre les deux industries brassicoles concerne le retour en force des microbrasseries.260 Alors que la concentration s’accélérait pendant la période 1960-1990, les microbrasseries demeuraient dans l’ombre. À partir de la seconde moitié des années 1980, ce segment de l’industrie se développe à un rythme important, tant au niveau du nombre qu’en terme de production. Les microbrasseries occupent une position tout à fait unique au sein de l’industrie brassicole nordaméricaine. Bien qu’elles évoluent sur le même marché que les grandes brasseries nationales et internationales, elles ne se considèrent pas en concurrence directe avec elles.261 Étant donné qu’elles se trouvent dans une niche particulière, elles disposent d’une plus grande liberté d’action au niveau de l’expérimentation contrairement aux grandes brasseries (Ronnenberg, 1998). 260 Bien que l’ensemble des auteurs et organisations oeuvrant dans le domaine brassicole s’entendent pour reconnaître l’importance des microbrasseries, il n’existe pas une définition claire. La principale distinction tient au niveau de production considérée dans la catégorie “microbrasserie”. Au Canada, Sneath (2001) note qu’à l’époque de l’émergence des microbrasseries canadiennes, vers 1984-85, la limite supérieure de production d’une microbrasserie était de 20 000 hl/an. Plus récemment, Vallée (1997) et la BAC (2002) diffèrent également dans leurs définitions. Pour Vallée, une microbrasserie possède une capacité de production inférieure à 100 000 hl/an ; la BAC de son côté, établit la limite à 60 000 hl. Aux États-Unis, là aussi les définitions divergent. L’Institute for Brewing Studies établit la capacité maximale de production d’une microbrasserie à 15 000 barils (17 600 hl/an) ; la Malt Beverage Research Institute (MBRI) avance plutôt le chiffre de 10 000 barils (11 700 hl/an) (Institute for Brewing Studies [1993], dans Swaminathan et Carroll, 1995 ; MBRI, 1984). 261 Swaminathan et Carroll, ([1992], dans 1995: 233) soutiennent que les microbrasseries constituent une forme organisationnelle tout à fait différente des brasseries à production de masse. Ces dernières sont “caractérisées par de fortes économies d’échelle dans la production, la publicité et des réseaux de distribution extensifs. Les microbrasseries, en comparaison, visent des consommateurs cherchant une bière unique, possédant un goût unique et prêts à payer une prime pour l’obtenir” (traduction libre de l’auteur). 182 L’importance des microbrasseries va bien au-delà des statistiques. En plus de tirer la croissance de l’industrie brassicole nord-américaine durant la seconde partie des années 1980 (Sneath, 2001), les microbrasseries contribuent fortement à l’explosion de l’offre et de la variété de bières. En outre, elles forcent les grandes brasseries industrielles à revoir leur image et leurs stratégies. En offrant un choix de produit plus vaste aux consommateurs, elles facilitent l’acceptation des bières importées (Rocky Mountain News, 03/10/1999). Toutefois, ce segment se consolide lui aussi durant les années 1990 : les difficultés de distribution, l’entrée des brasseries industrielles dans cette niche, de même que l’explosion de l’offre conduisent à une certaine stagnation des microbrasseries (BI, 01/08/1997). Nous assisterions à un phénomène de barbelling, un processus de double concentration, d’une part au sommet (les grandes brasseries) et, d’autre part, à la base (les microbrasseries). Le résultat est donc un marché d’extrêmes, des grandes brasseries et des microbrasseries, avec comme conséquence la lente, mais inexorable, disparition des brasseries de taille moyenne (Supermarket News, 29/05/95). Les multiples innovations soulignées précédemment, de même que le regain de popularité des microbrasseries, montrent la sophistication, la complexité et la maturité des marchés canadien et américain de la bière. Les brasseries doivent s’ajuster à une demande de plus en plus variée, ce qui conduit à une segmentation toujours plus grande des marchés. 5.2.2 5.2.2.1 Le marché canadien L’organisation de l’industrie L’organisation de l’industrie brassicole canadienne, dans son ensemble, varie selon les provinces. Bien que relativement intégrée, la production et la distribution étant généralement le fait des brasseries, l’industrie doit composer avec différentes législations provinciales au niveau de la vente et de la commercialisation. Selon les provinces, la vente s’effectue dans des lieux publics (dépanneurs, supermarchés, hôtels, etc.), les magasins gouvernementaux ou à la Brewers Warehouse Company, sous contrôle des brasseries, en Ontario. 183 Depuis le début des années 1980, deux grands événements ont profondément marqué l’organisation de l’industrie brassicole canadienne : l’achat de la brasserie Carling O’Keefe262 par Molson en 1989 ainsi que l’élimination des barrières au commerce interprovincial de 1992, enchâssé dans l’Accord sur le commerce intérieur de 1994. La phase de concentration que connaît l’industrie brassicole canadienne durant les années 1980 n’est pas nouvelle ; elle constitue en fait la troisième phase de consolidation de l’industrie durant le XXè siècle.263 Au début des années 1980, des quarante brasseries en opération au Canada, 32 sont sous contrôle des trois grandes brasseries. La consolidation atteint son point culminant en 1989 alors que l’oligopole Labatt - Carling O’Keefe - Molson se transforme en duopole, Molson rachetant Carling O’Keefe au conglomérat australien Elders IXL. L’industrie brassicole canadienne se trouve à la fois sous juridiction fédérale et provinciale.264 Cependant, les autorités provinciales exercent la plus grande influence sur l’industrie.265 C’est en 1987 que débutent des négociations en vue d’abolir les restrictions existantes en matière de commerce interprovincial, négociations qui aboutissent à la signature de l’Accord sur le commerce intérieur en juillet 1994. Jusqu’à l’élimination des barrières interprovinciales de 1992, confirmée par la suite par l’Accord, les brasseries canadiennes étaient soumises à une réglementation plutôt contraignante, réduisant leur compétitivité face à leurs concurrentes américaines 262 La brasserie Canadian Breweries changea de raison sociale en 1973 pour s’appeler Carling O’Keefe Ltd. 263 La première phase s’étend de la fin du XIXè siècle aux années 1920 ; la seconde phase couvre les années 1950 et le début des années 1960 (Sneath, 2001). 264 Le gouvernement fédéral influence doublement l’industrie : d’une part, à l’échelle internationale et, d’autre part, à travers la législation fiscale. Au niveau international, l’impact du gouvernement canadien est double : il négocie et signe des traités commerciaux touchant de près ou de loin l’industrie ; par ailleurs, il défend les intérêts des brasseries canadiennes lorsque des litiges surviennent avec des autorités gouvernementales étrangères. Ce fut notamment le cas à deux reprises : en 1988, suite à une plainte de la Communauté économique européenne et en 1991 face aux États-Unis. Dans les deux cas, les plaintes avaient été logées auprès du GATT. Des accords interviennent entre les partis à chaque occasion afin de mettre fin aux disputes. Dans le cas du litige avec les Américains, les deux pays signèrent le Mémorandum d’accord États-Unis – Canada sur les pratiques provinciales de commercialisation de la bière en 1993 (BAC, 1997). Au niveau fiscal, l’État fédéral applique une double taxation à la bière au travers de la taxe d’accise et de la taxe sur les produits et services (TPS), une taxe à la valeur ajoutée. 265 Sur l’impact des gouvernements provinciaux sur l’évolution de l’industrie brassicole canadienne, voir Irvine et Sims (1993). 184 (Irvine et Sims, 1993).266 Cet événement marque en somme la création d’un véritable marché national unifié. La transformation de l’industrie en un duopole effectif, combinée à l’abolition des barrières interprovinciales, que d’aucuns qualifient de protectionnisme (Vallée, 1997 ; Irvine et Sims, 1993) entraînent sa rationalisation. En effet, si l’on fait abstraction des microbrasseries, le nombre d’usines diminue à partir de la fusion Molson – Carling O’keefe, alors que le taux d’utilisation des capacités de brassage augmente.267 La rationalisation implique non seulement une réduction du nombre d’usines du duopole, de 32 à 21 brasseries entre 1979 et 1992, mais aussi une diminution du nombre d’employés, des économies d’échelles qu’une augmentation de la productivité (Irvine et Sims, 1993). Les tendances observées en terme de production et de consommation reflètent ainsi l’évolution de l’industrie depuis 1990 (tableau 5.9). Durant cette période, la production stagne, une tendance qui se renverse quelque peu en 1994. L’industrie connaît alors une certaine stabilité en terme de production durant le reste de la décennie, alors qu’elle varie entre 22,5 et 22,9 millions d’hectolitres. En terme de demande, on remarque une tendance à la baisse. Le marché apparent canadien (la catégorie consommation nationale) régresse depuis le début des années 1990 : elle passe de 20,78 millions d’hectolitres à 19,54 millions d’hectolitres entre 1990 et 2003, avec un plancher de 18,83 millions d’hectolitres en 1997. Bien que la production nationale puisse combler cette demande, les importations jouent un rôle de plus en plus important, puisqu’elles représentent plus de 10% de cette demande, alors qu’elles ne comptaient que pour 3,32% de la demande au début des années 1990. 266 Jusqu’à l’Accord sur le commerce intérieur, si les brasseries désiraient vendre leurs produits dans une province, elles étaient obligées de produire la bière dans cette province, ce qui réduisait les économies d’échelle. Toutefois, si cette mesure augmentait la flexibilité dont pouvaient faire preuve les brasseries canadiennes, elle éliminait une barrière à la concurrence dont peuvent profiter les brasseries américaines, ce qui soulève certaines craintes de la part des brasseurs canadiens (Irvine et Sims, 1993). 267 Alors que le taux d’utilisation des capacités de brassage de Molson et de Carling O’keefe se situe respectivement à 68% et 57% avant la fusion, ce pourcentage augmente à 87% après la fusion (Irvine et Sims, 1993). 185 Tableau 5.9 Année Production, consommation et exportation au Canada 1990-2003 (en millions d’hl) 1 Production Exportations Import ations Consomm ation nationale Exportations /MA Importa tions/M A Consomm ation per capita2 22,59 2,50 0,69 20,78 12,03 3,32 77,10 1990 22,14 2,45 0,66 20,35 12,04 3,24 74,90 1991 21,57 2,52 0,60 19,05 13,23 3,15 69,27 1992 22,12 3,04 0,50 19,08 15,94 2,62 68,20 1993 22,99 3,74 0,58 19,25 19,43 3,01 68,30 1994 22,82 3,58 0,66 19,24 18,61 3,43 67,80 1995 22,52 3,60 0,87 18,91 19,04 4,60 66,66 1996 22,36 3,53 1,02 18,83 18,75 5,42 66,17 1997 22,92 3,64 1,17 19,28 18,88 6,07 67,58 1998 22,94 3,61 1,41 19,33 18,68 7,29 68,04 1999 22,07 3,86 1,50 19,22 20,08 7,80 67,35 2000 23,92 4,38 1,68 19,54 22,42 8,60 67,50 2001 23,54 3,96 1,89 19,59 20,21 9,65 68,37 2002 23,44 3,90 2,11 19,54 19,96 10,80 68,38 2003 1 : Les données ayant été arrondies, les résultats de la consommation nationale diffèrent parfois. 2 : En litres/année Sources : Brasseurs du Canada, Annual Statistical Bulletin 2003 Bulletin statistique annuel, Ottawa : BAC, 2004 et Alcoholic Beverage Taxation and Control Policies, International Survey, Ottawa: BAC, 1997. En terme de consommation, on remarque là aussi une réduction durant la période, ce qui concorde avec la diminution du marché apparent. La consommation totale diminue à partir de 1991, puis retrouve la croissance à partir de 1998 pour se stabiliser autour de 19,5 millions d’hectolitres depuis le début des années 2000. La consommation per capita suit la même tendance, alors qu’elle passe de 77 litres/an en 1990 à 69 litres/an en 1992, puis se maintient autour de 67-68 litres/an par la suite. Si la production stagne, les exportations connaissent une tendance opposée. L’industrie brassicole canadienne se trouvant en surplus de production, les exportations constituent le principal débouché pour les brasseries canadiennes. Suite à trois années où elles se situent autour de 2,5 millions d’hectolitres, elles surpassent les 3 millions d’hectolitres à partir de 1993 puis s’accroissent par la suite. À partir de 2000, les exportations canadiennes se maintiennent autour de 4 millions d’hectolitres. L’une des particularités les plus notables de l’industrie brassicole canadienne a trait à la présentation des bouteilles. En effet, il existe une standardisation des bouteilles, résultat d’un accord entre toutes les brasseries canadiennes, incluant les 186 microbrasseries. Étant donné que le taux de retour des bouteilles est extrêmement élevé, 97,1% pour l’ensemble du pays en 2001 (BAC, 2002),268 la standardisation permet aux entreprises d’économiser sur les coûts reliés aux bouteilles car la même bouteille peut être utilisée par toutes les brasseries. Toutefois, l’uniformisation de la bouteille limite la capacité des firmes à se démarquer de leurs concurrentes (BW, 8/15/2003). Si le marché canadien s’apparente à un duopole effectif, Molson et Labatt possédant plus de 90% du marché national, une troisième brasserie émerge au fil des années 1990 : Sleeman. Bien que celle-ci demeure relativement petite en comparaison de ses deux principales concurrentes, elle ne cesse d’augmenter ses parts de marché durant la décennie. La firme combine une stratégie de croissance de la production à une série d’acquisitions lui permettant de se positionner dans l’ensemble du Canada.269 À partir du début des années 80, une nouvelle tendance émerge dans l’industrie : les licences. Au travers ces accords, les brasseries canadiennes acquièrent les droits de production et de commercialisation de marques américaines et étrangères.270 Ces accords touchent généralement trois aspects : la production, la distribution et la vente. Les brasseries étrangères fournissent ainsi la recette d’une bière, que les compagnies canadiennes s’engagent à produire et à distribuer sur un territoire donné. Quant à la vente, elle se déroule dans les mêmes réseaux que les compagnies canadiennes auxquelles elles sont liées. Compte tenu qu’il s’agit ainsi d’une production nationale, ces bières brassées sous licence sont soumises aux mêmes conditions que les bières locales. Tout comme Molson et Labatt, Sleeman détient des licences de production, de distribution ou de marketing de plusieurs marques étrangères. 268 Selon l’ABC, le taux de retour des canettes est également élevé, 85,1% en 2001 (BAC, 2002). En quelques années, cette firme ontarienne a ainsi acquis des brasseries au Québec, en ColombieBritannique, en Alberta, Ontario et dans les provinces des maritimes. 270 Deux accords de licence avaient été signés durant les années 1960 et 1970 (Labatt-Guinness en 1965 et Canadian Breweries-Carlsberg en 1972), mais c’est durant les années 1980 que cette forme de pénétration du marché canadien prendra véritablement de l’ampleur (Sneath, 2001). 269 187 5.2.2.2 L’internationalisation des brasseries canadiennes Bien que l’internationalisation de l’industrie brassicole canadienne se soit amorcée durant les années 1950 et 60,271 la phase initiée à partir de 1980 marque davantage l’industrie. Cette année-là voit le début des accords de licence entre les brasseries canadiennes et leurs homologues américaines. Labatt devient la première à signer une telle entente lorsqu’elle obtient la licence de production et de distribution de la marque Budweiser d’Anheuseur-Busch. Durant les années suivantes, Molson et Carling O’keefe décrochent elles aussi des licences de production de brasseries américaines.272 En contrepartie du paiement d’une redevance sur les profits des ventes, les brasseries canadiennes profitent de la popularité de bières qui seraient, par ailleurs, considérées comme des produits importés (Sneath, 2001). À partir de la seconde moitié des années 1980, on assiste à une plus grande présence des brasseries internationales au Canada. Le coup d’envoi est donné par le conglomérat australien Elders IXL qui fait l’acquisition de Carling O’Keefe en 1987.273 Cette transaction, évaluée à 392 millions $Can. met fin à l’accord de licence entre Carling O’Keefe et la brasserie danoise Carlsberg, dont les marques représentaient une importante part des ventes et du portefeuille de marques de la brasserie (Irvine et Sims, 1993; Sneath, 2001).274 En 1993, quatre ans après à la fusion Carling O’Keefe – Molson, les propriétaires de la nouvelle entité vendent 20% des actions de la compagnie à la brasserie américaine Miller. Cette transaction montre la complexité de l’industrie brassicole internationale. En effet, en 1985, Molson avait obtenu la licence de production et de distribution de 271 La brasserie Canadian Breweries possédait des usines aux États-Unis et en Angleterre durant les années 1950. En 1967, les deux subsidiaires anglaises de Canadian Breweries fusionnèrent afin de donner naissance à la plus grande brasserie anglaise, Bass Charrington. Molson pour sa part, s’était étendue dans le Midwest américain à la fin des années 1950 et au début des années 1960. Par ailleurs, la brasserie américaine Schlitz, en 1964, s’était montrée intéressée à faire l’acquisition de Labatt. Cette dernière, toujours durant les années 1960, noua des alliances avec trois brasseries européennes : Allied Breweries (Grande-Bretagne), Pripp Breweries (Suède) et UNIBRA (Belgique) (Sneath, 2001). 272 En 1985, Molson obtient la licence de la Coors Light alors que Carling O’Keefe s’accorde avec Miller pour la licence de la Miller Lite (Sneath, 2001). 273 Carling O’Keefe apparaissait comme la moins stable parmi les trois grandes brasseries canadiennes, sa position concurrentielle s’étant fortement érodée au fil des ans. Alors qu’elle possédait 49,1% du marché canadien en 1960, ses parts de marché avaient chuté sous la barre des 25% durant les années 1980 (Irvine et Sims, 1993). 274 Elders IXL remplaça cette perte par la bière australienne Foster’s Lager. 188 Coors Light. L’accord Molson – Miller met fin, pour un temps, à l’association avec Coors.275 Mais en 1999, au terme d’un processus de recentrage de ses activités, la famille Molson récupère le contrôle total de la brasserie en rachetant les parts de Miller et d’Elders IXL.276 En 1995, une seconde méga-transaction secoue l’industrie brassicole canadienne, alors que Labatt passe sous le contrôle d’Interbrew. La firme belge débourse 2,7 milliards $Can. pour la totalité des actions de Labatt. Là aussi des conséquences inattendues découlent d’accords croisés : à quelques mois d’intervalle, Interbrew octroie la licence de la marque Stella Artois à la brasserie Sleeman. Deux ans plus tard, Interbrew met fin à l’accord, choisissant plutôt d’importer cette marque et de la distribuer à travers Labatt. Suite aux acquisitions, alliances stratégiques et fusions des années 1980 et 1990, les bières étrangères pénètrent le marché canadien sous trois formes distinctes : les licences (production sur place), les accords de distribution et l’usage interne du réseau de la compagnie (les importations). Le cas de Stella Artois constitue le meilleur exemple de cette dernière stratégie. Molson, outre la licence de Coors Light, obtient également la licence de la bière japonaise Kirin.277 Outre ces deux marques, Molson signe également des accords de distribution avec Grupo Modelo pour Corona Extra et Heineken. Quant à Labatt, elle gagne l’accès au portefeuille de marques d’Interbrew suite à la transaction de 1995. En 1988, elle avait obtenu le droit de produire et de distribuer les marques de Carlsberg. Cet accord se termine en janvier 2004, alors que Carlsberg transfère la licence à la microbrasserie MacAuslan.278 275 Afin de résoudre le conflit, Molson accepta de payer 100 millions $Can à Coors. En outre, les trois parties (incluant la filiale brassicole d’Elders IXL, Foster’s Brewing Group Ltd.) s’accordent pour former une nouvelle entité au Canada, Coors Canada Partnership, chargée de la production et de la distribution de la Coors Light. De plus, Miller a dû accepter de ne pas recevoir les profits découlant de la vente des marques de Coors (Sneath, 2001). 276 Le rachat des actions de Miller s’était effectué en 1997, à un coût de 420 millions $Can alors que la brasserie américaine avait acheté les parts de Molson pour une somme de 370 millions $Can, un profit de 50 millions de dollars en quatre ans (Sneath, 2001). 277 Cet accord avait principalement pour but de permettre à la bière japonaise de pénétrer le marché américain. La brasserie japonaise investit ainsi 10 millions $Can dans la modernisation de deux brasseries de Molson afin de les mettre à niveau (Sneath, 2001). 278 Bien que ses volumes soient moindres, il faut également souligner la forte activité de Sleeman dans le domaine des licences et des accords de distribution. Après l’épisode Stella Artois, la troisième brasserie en importance au Canada conclut un accord de licence avec la brasserie américaine Stroh en 1989. Par la suite elle augmente ses accords de production et/ou de distribution en diversifiant 189 En ce qui concerne les importations, on note une forte progression des bières importées à partir des années 1990. Alors qu’elles sont absentes du marché canadien en 1975, ne représentant que 0,006% de celui-ci, elles progressent rapidement à partir des années 1990 : de 1991 à 2003, les exportations passent de 3,3% à 9,7% du marché canadien (figure 5.1). Contrairement au marché américain, la part des exportations n’est pas en progression constante durant les années 1990 : entre 1991 et 1993, la part des exportations chute, passant de 3,3% à 2,5%. Cette transformation du marché force les brasseries canadiennes, en particulier les micro-brasseries, à s’adapter à une concurrence encore plus forte. En outre, on remarque la montée des bières mexicaines dans les importations canadiennes. En 1991, les bières américaines comptent pour 75,8% des bières importées au Canada, contre 24,2% pour les autres pays. En 2003, ces pourcentages sont inversés car les bières en provenance des États-Unis ne constituent plus que 23,4% des bières importées, alors que celles provenant des autres pays s’élèvent à 76,6% (BAC, 2002 et 2004).279 Figure 5.1 Part des bières importées sur les marchés canadien et américain 1975-2003 (en %) (%) 12 10 8 6 4 2 19 75 19 80 19 85 19 87 19 89 19 91 19 93 19 95 19 97 19 99 20 01 20 03 0 Canada États-Unis Sources : Brewers Association of Canada (1997, 2002 et 2004); Impact (1990); BI 01/04/2001; Beer Marketer’s Insights (2005b) géographiquement ses alliances : Grolsch (Pays-Bas), Samuel Adams (États-Unis ), Scottish & Newcastle (G-B), Pilsner Urquell (SAB, Rép. Tchèque) et Sapporo (Japon) constituent les principales marques distribuées par Sleeman au Canada. 279 La BAC ne ventile pas la catégorie “autres”. Cependant l’ensemble des entrevues réalisées pour notre cette étude, de même que les documents révisés, nous permettent d’avancer que les bières mexicaines occupent la première position des bières importées sur le marché canadien. Voir entre autre Mendoza Núñez (2003). 190 L’internationalisation de l’industrie brassicole canadienne passe également par les exportations et l’investissement direct à l’étranger. Encore une fois, il est bon de rappeler que ces deux phénomènes ne sont pas nouveaux pour les brasseries canadiennes. Dès les années 1950, elles investissent à l’étranger, principalement aux États-Unis et en Grande-Bretagne. En outre, les exportations représentent 2,4% de la production totale en 1975. Dans le cadre d’une industrie internationale qui se globalise, la destination des investissements canadiens évolue, de même que le volume des exportations. Si les IDE canadiens sont exclusivement le fait de Molson et Labatt, un plus grand nombre de brasseries exportent sur les marchés étrangers. En ce qui concerne les investissements canadiens, Labatt acquiert 22% des actions de la brasserie mexicaine CCM en 1994, avec une option supplémentaire sur de 8%, option exercée en 1998.280 Molson, pour sa part, investit principalement au Brésil. Entre 2000 et 2002, la brasserie investit près d’un milliard de dollars américains dans l’achat de la marque Bavaria et de la brasserie Kaiser. Au niveau des exportations, deux remarques s’imposent. D’une part, entre 1990 et 2003, les exportations canadiennes de bière montrent des années de forte croissance (1993, 1994 et 2001), suivies de périodes de stabilité (tableau 5.9). D’autre part, ces exportations se concentrent de plus en plus sur les États-Unis. Le dernier élément agissant sur l’internationalisation de l’industrie brassicole canadienne est l’ALENA. La négociation puis la signature de cet accord influencent les attitudes des brasseurs canadiens : bien qu’il n’y ait qu’une seule mesure explicite concernant cette industrie dans l’accord,281 il soulève néanmoins certaines craintes des dirigeants de l’industrie. Bien avant la signature de l’accord, ceux-ci redoutent le dumping des brasseries américaines de même qu’une perte de parts de marché.282 280 Labatt déboursa 522 millions $US pour l’acquisition des 22% de CCM. En 1998, Interbrew, en tant que propriétaire de Labatt, se porta acquéreur des 8% supplémentaires à un coût de 221,6 millions $US (FEMSA, ADR 1998). 281 Tant l’Accord de libre-échange Canada-États-Unis que l’ALENA prévoient des réductions graduelles des tarifs douaniers touchant la bière. C’est à travers l’ALE Canada – États-Unis, qu’est négociée l’élimination totale des tarifs entre les deux pays. Celle-ci est réalisée en 1999. 282 En mars 1991, les deux principales brasseries canadiennes, Molson et Labatt, poursuivent trois brasseries américaines, Stroh, Pabst et Heileman. Les brasseries canadiennes accusent les trois entreprises américaines de dumping sur le marché de la Colombie-Britannique. Dans un avis de mai 191 En somme, on peut avancer l’hypothèse que l’industrie brassicole canadienne, tout comme l’industrie brassicole mexicaine, sont influencées à la fois par la régionalisation et la globalisation. Les brasseries canadiennes suivent la tendance générale de l’économie nationale, toujours plus intégrée à l’économie canadienne qu’à l’économie américaine. Par ailleurs, elles participent activement à la globalisation de l’industrie, tant par leurs stratégies d’acquisition et/ou d’exportation. 5.2.3 Le marché américain Les États-Unis ont longtemps été le premier marché mondial de la bière en terme de production. Bien que la Chine occupe cette position depuis 2002, le marché américain demeure le plus important pour l’industrie brassicole internationale, tant au niveau des ventes que de l’impact sur les résultats financiers des BMN (Koster, 2004). Cette section analyse l’organisation et l’évolution de ce marché. 5.2.3.1 L’organisation de l’industrie L’industrie brassicole américaine est organisée selon un système des trois tiers : la production, la distribution et la vente au détail. Au niveau de la production, on retrouve les brasseries. Elles élaborent et brassent la bière. Au second niveau se trouvent les grossistes et les distributeurs. Ce sont des compagnies indépendantes chargées de faire le lien entre les brasseries et les différents points de vente. Elles achètent la bière des brasseries, entreposent celle-ci et l’acheminent ensuite aux détaillants. Ceux-ci, qui constituent le dernier niveau, sont responsables de la vente directe aux consommateurs. On retrouve à ce stade les supermarchés, bars, restaurants, hôtels et autres. Étant donné que les entreprises ne peuvent s’intégrer verticalement, les brasseries ne peuvent entrer directement en contact avec les 1991 (Renvoi no : RE-91-001), puis confirmé par une ordonnance d’octobre 1991, le Tribunal canadien du commerce extérieur confirme qu’il existe un dumping sur ce territoire. En 1994, le Tribunal revient sur sa décision en 1994 et annule ses conclusions de préjudice sensible causé par le dumping. Molson et Labatt portèrent alors leur cause devant un groupe spécial binational de l’ALENA, soutenant que le Tribunal avait erré dans son jugement. Toutefois, le groupe spécial confirma la décision du Tribunal. Voir <http://www.sice.oas.org/DISPUTE/nafta/french/C95041bf.asp>, accès le 14 mars 2004. 192 consommateurs. Le travail des brasseries se complique davantage, car elles doivent tout de même rejoindre le consommateur.283 Bien que les états soient les responsables de l’industrie brassicole, l’influence du gouvernement fédéral, au travers la taxation et le système des tiers, est importante. Ce système trouve son origine dans la volonté des autorités américaines qui, à la fin de la prohibition en 1933, ne veulent pas retrouver les pratiques de marketing et de ventes agressives de la période précédente.284 La structure des trois tiers a pour objectif d’organiser efficacement la collecte des taxes ; de faciliter le contrôle de l’industrie par les pouvoirs publics ; d’encourager une consommation modérée ; finalement, de réduire les occasions de corruption (BI, 01/08/1998; BW, 01/12/1993). Si l’organisation de l’industrie n’a pas énormément varié depuis la fin de la Prohibition, il n’en demeure pas moins qu’on observe une certaine évolution depuis le début des années 1980. En effet, l’industrie brassicole américaine se caractérise par la rapidité de la consolidation, et ce, aux trois niveaux. Cela ne signifie pas qu’il n’y avait pas de concentration ni de consolidation au sein de l’industrie auparavant. La principale différence entre la période étudiée et les époques antérieures tient au fait que les trois niveaux de l’industrie vivent la consolidation, alors qu’auparavant ce trait concernait principalement les brasseries. Dans le cadre ce cette étude, nous nous attardons plus particulièrement aux deux premiers niveaux, les brasseries et les réseaux de distribution. En outre, ce processus est clairement mené par les plus importantes brasseries, et ce, même à l’échelle de la distribution. Alors qu’au Canada, il existe un certain équilibre entre Molson et Labatt, aux ÉtatsUnis Anheuseur-Busch, la première brasserie américaine, accroît sans cesse sa position depuis les années 1980, occupant actuellement une position dominante sur le marché domestique (tableau 5.10). En outre, alors que la concentration dans les 283 Cela expliquerait, en partie, l’importance des dépenses de marketing et publicitaires des brasseries américaines. 284 À la fin de la prohibition en 1933, le gouvernement fédéral américain accorda l’autorité aux états de légiférer la vente d’alcool sur leur territoire. La quasi-totalité des états ajouteront un troisième niveau dans le système de distribution d’alcool : le distributeur indépendant. 193 années 1970 est le fait de cinq entreprises, à partir des années 2000, trois entreprises, Anheuseur-Busch, Miller et Coors, dominent le marché.285 Cette concentration entraîne la présence de quatre types de brasseries aux États-Unis : au premier niveau, on retrouve Anheuseur-Busch ; le second niveau est composé de SABMiller et Coors ; au troisième niveau se trouvent d’anciennes grandes brasseries en perte de vitesse (Stroh, Heileman et S&P/Pabst); l’ultime niveau se compose des microbrasseries et des bières importées. Selon leur positionnement, les brasseries se dressent des objectifs distincts : pour Anheuseur-Busch, l’incontestable numéro un, il s’agit avant tout d’accroître ses parts de marché. Durant les années 1980 et 1990, cela se fait principalement au détriment de Pabst, Heileman et Stroh. Pour les brasseries du second niveau, Miller et Coors, le défi est double. D’une part, elles doivent veiller à maintenir leur position respective, i.e ne pas perdre de parts de marché face à Anheuseur-Busch ; d’autre part, elles sont condamnées à innover et à initier les guerres de prix afin de réduire l’écart avec la brasserie dominante. Les brasseries du troisième niveau sont d’anciennes grandes brasseries perdant graduellement des parts de marché. Elles sont condamnées à disparaître (Stroh, Heileman) ou à se positionner dans une niche particulière (S&P/Pabst). Quant au dernier niveau, il sera approfondi à la section suivante. 285 Il est bon de rappeler que durant les années 1990, deux des plus importantes brasseries américaines, Heileman et Stroh, disparurent. Outre l’érosion graduelle de leurs parts de marché, les causes de leur disparition respectives sont complexes et diffèrent quelque peu. En effet, leur chute s’explique soit par une situation financière précaire (G. Heileman) ou par des revenus trop faibles (Stroh). Entre les années 1960 et le milieu des années 1980, ces deux entreprises avaient adopté une stratégie de croissance basée sur l’achat de brasseries et de marques régionales. Lorsqu’il est devenu plus difficile d’acquérir de nouvelles brasseries, les limites de cette stratégie sont clairement apparues. En février 1996, Stroh acquit G. Heileman, consolidant sa quatrième position sur le marché américain. Heileman avait été en faillite à plusieurs reprises depuis 1989. Cet achat permettait à Stroh de maintenir des parts de marché combinées supérieures à 9%. Toutefois, cela ne freinera pas la chute de Stroh, qui disparaît à son tour en 1999, vendant la majeure partie de ses actifs à sa concurrente Pabst ainsi que les marques Henry Weinhard's et Mickeys à Miller. 194 Tableau 5.10 Évolution des parts de marché des brasseries américaines, 19702004 (en %) Compagnie AnheuseurBusch Miller Coors Stroh Heileman S&P/Pabst Autres Total 1970 28,4 1975 38,1 1980 39,7 1985 42,0 1990 44,8 1995 44,0 2000 48,3 2004 49,4 21,1 7,8 13,5 10,1 10,7 8,4 100 20,8 8,3 13,0 10,6 6,1 3,1 100 21,3 8,4 12,3 10,1 5,1 3,1 100 21,6 8,6 11,7 9,0 4,5 2,6 100 22,3 10,0 8,4 6,4 3,4 4,7 100 22,6 10,1 9,6 4,0 3,3 6,4 100 20,7 11,1 N/A NA 5,2 14,7 100 18,5 10,6 N/A N/A 3,6 17,9 100 Sources : Beer Marketer’s Insights, Beer Industry Update. A Review of Recent Developments, West Nyack, New York : Beer Marketer’s Insights, 2005; Impact, The US Beer Market. Impact Databank Review and Forecast, 1990 Edition, New York: M. Shanken Communications, 1990; Coors, SEC Filing 2004. Le tableau 5.10 entraîne deux remarques additionnelles. On constate la disparition progressive des brasseries du troisième niveau, Heileman, Stroh et, dans une moindre mesure, S&P/Pabst. Leurs parts de marché sont accaparées à la fois par AnheuserBusch, les microbrasseries et les bières importées. La montée des bières importées provoque, par ailleurs, la poussée de la catégorie “Autres”. Celle-ci comprend également le segment des microbrasseries, lui aussi en hausse depuis les années 1990. La consolidation frappe également le maillon le plus faible de l’industrie : les distributeurs et grossistes. Depuis le milieu des années 1990, ils subissent la double pression des brasseries et des détaillants. Les brasseries souhaitent une véritable exclusivité de la distribution, cherchant ainsi à contrer la montée des microbrasseries et à resserrer le contrôle sur leur réseau de distribution. En fait, les brasseries tentent de contourner les législations des états : non seulement imposent-elles de plus en plus de restrictions et de contrats d’exclusivité, mais elles possèdent aussi leurs propres entreprises de distribution (BW, 15/09/2001).286 L’un des obstacles majeurs auquel font face les distributeurs concerne la difficulté d’acquérir des compétiteurs qui 286 Anheuser-Busch, par exemple, a développé le programme “100% share of mind ” par lequel la firme octroie des avantages appréciables aux grossistes avec lesquels elle possède une relation d’exclusivité. L’argument des grandes brasseries est à l’effet qu’une relation exclusive force le distributeur à accorder toute l’attention nécessaire à faire croître les marques de la brasserie. Toutefois, si l’exclusivité apparaît bénéfique pour les brasseries, ce n’est pas nécessairement le cas pour les distributeurs. En effet, la disparition de bières importées ou provenant de microbrasseries, qui dégagent généralement les plus grandes marges bénéficiaires, de leur portefeuille de marques, réduit leurs profits. 195 promeuvent des marques concurrentes. Étant donné que les brasseries disposent du dernier mot sur qui distribue leurs produits, si un distributeur acquiert un compétiteur distribuant des marques concurrentes, il doit recevoir l’aval des brasseries touchées. La consolidation entraîne une importante diminution du nombre de grossistes aux États-Unis. Entre 1987 et 2000, le nombre de distributeurs baisse du tiers, passant de 3492 à 2347 (SLPD, 01/05/2001). Les trois phases de la distribution : promotionnelle, opérationnelle et régulatoire, sont influencées par la tendance à la concentration (BW, 01/12/1992 et 15/09/2001). Au niveau promotionnel, les distributeurs doivent faire face à la permanence des rabais, une forte pression sur les prix, les hausses de taxes et l’explosion des marques disponibles. Étant donné qu’ils peuvent difficilement répercuter ces changements dans leurs prix de ventes, les distributeurs doivent internaliser une partie ou la totalité de ces hausses, d’où une réduction de leurs marges bénéficiaires. L’une des causes de cette situation est la pression provenant des deux extrémités de l’industrie, les brasseries et les détaillants (SLPD, 13/05/2001). Ces deux acteurs cherchent à réduire leurs coûts, ce qui implique des demandes accrues des détaillants aux distributeurs, notamment en matière d’entreposage et des marges bénéficiaires. Au niveau réglementaire, les distributeurs et grossistes doivent parfois composer avec les décisions du gouvernement fédéral et des autorités étatiques. Le cas le plus éloquent étant le doublement de la taxe d’accise en 1991.287 Deux des caractéristiques les plus importantes de l’industrie brassicole américaine, qui expliquent pourquoi celle-ci est considérée comme la plus importante du monde, concernent la rapidité avec laquelle les nouvelles bières se retrouvent sur le marché ainsi que les revenus qu’elles procurent. Les nouveaux types de bières sont soit le produit de brasseries américaines, soit l’importation ou l’adaptation de bières étrangères. Toutefois, malgré ce foisonnement d’activité, la plus grande source de profit des brasseries provient de leurs marques traditionnelles (National Petroleum News, 01/11/1992). 287 En janvier 1991, la taxe d’accise fédérale doubla, passant de 9$ à 18$ le baril. 196 Par ailleurs, le niveau de profitabilité de l’industrie brassicole américaine, constitue une force d’attraction importante. Il explique pourquoi plusieurs brasseries internationales tentent de pénétrer ce marché. Selon les données du tableau 5.11, trois des quatre compagnies les plus profitables (basé sur le profit d’opération et le profit d’opération sur le revenu net), Anheuser-Busch, Heineken et Modelo, dépendent à des degrés assez élevés du marché américain. Dans le cas d’Anheuser-Busch, la compagnie tire l’essentiel de ses revenus des ÉtatsUnis, exportant un faible pourcentage de ses bières.288 En ce qui concerne Heineken et Modelo, bien que des statistiques ne soient pas disponibles en ce sens, une part importante de leurs profits provient également des États-Unis.289 288 Des entreprises présentes au tableau 5.11, Anheuser-Busch est avant dernière, derrière CCM, pour le pourcentage de la production exporté avec 21% en 2003 (Impact, 2005: 380). Toutefois, selon le rapport annuel de la compagnie, ce pourcentage se situerait plutôt à 7,56%, en deçà de CCM. 289 Au début des années 2000, il est estimé que les États-Unis et l’Europe représentent les 2/3 des profits d’Heineken (Business Week; 08/09/2003). Pour ce qui est de Modelo, étant donné que les ÉtatsUnis reçoivent près de 90% de ses exportations et que les ventes internationales sont à la hausse depuis la seconde moitié des années 1990, on en déduit que le marché américain représente une part de plus en plus importante des profits de la firme. 197 Tableau 5.11 Revenu, Coût d’opération et Profit d’opération par litre de certaines brasseries, 1999 et 2003 (en dollars/litre) Firme Pays d’origine Revenu net Coût d’opération Profit d’opération Profit d’opération/ Revenu net (%) 1999 2003 23 % 20% 1999 2003 1999 2003 1999 2003 0,70 0,76 0,54 0,61 0,16 0,15 (9711) (11 621) (2231) (2335) 0,84 1,04 0,74 0,92 0,09 0,14 11 % 13% (7615) (10 478) (852) (1383) Asahi 3,81 3,18 3,51 2,81 0,29 0,21 8% 7% (9823) (9631) (757) (625) Grupo Mexi0,75 0,82 0,57 0,58 0,17 0,24 23 % 29% Modelo que (2573) (3406) (594) (1007) SAB1 Afr. du 0,55 0,80 0,44 0,68 0,11 0,09 20 % 11% Sud (2877) (10 557) (582) (1256) Kirin Japon 1,35 1,54 1,20 1,37 0,15 0,17 11 % (4607) (5290) (511) (587) 11% Miller États0,79 NA 0,69 NA 0,09 12 % Unis (4342) (511) NA NA Interbrew Belgi0,71 0,69 0,64 0,65 0,07 0,08 10 % que (4543) (7975) (446) (950) 12% Foster’s Austra0,64 1,32 0,53 0,95 0,11 0,26 17 % lie (2046) (2354) (352) (471) 20% FEMSA/ Mexi0,71 0,83 0,59 0,68 0,12 0,13 16 % CCM que (1679) (2031) (275) (332) 16% Ambev Brésil 0,26 0,26 0,21 0,18 0,04 0,08 17 % (1516) (1988) (254) (646) 30% Carlsberg Dane0,71 0,85 0,63 0,77 0,07 0,09 10 % mark (2616) (4636) (269) (464) 11% Suntory Japon 4,58 4,44 4,44 2,89 0,14 0,20 3% (5022) (4397) (155) (196) 5% Coors États0,77 1,04 0,72 1,13 0,05 0,08 7% Unis (2057) (4000) (142) (307) 8% Entre parenthèses: revenu net et profit d’opération net, en millions de dollars. 1 : les chiffres de 2003 incluent Miller. Sources : Impact Databank, The Global Drinks Market. Impact Databank Review and Forecast, 2001 Edition, New York: M. Shanken Communications, 2002; The Global Drinks Market. Impact Databank Review and Forecast, 2004 Edition, New York: M. Shanken Communications, 2005. Anheuser -Busch Heineken ÉtatsUnis PaysBas Japon Le tableau précédent nous fournit plusieurs informations au sujet de la rentabilité et de la profitabilité des BMN. Premièrement, il existe de très grandes variations dans l’évolution des revenus, du coût d’opération et du profit des brasseries. Si la majorité des firmes montrent une progression parallèle de leurs revenus et de leurs coûts, cinq d’entre elles (Grupo Modelo, SABMiller, Foster’s, Suntory et Coors) présentent des fluctuations plus importantes. Dans les cas de Grupo Modelo, Foster’s et Suntory, ces 198 changements sont positifs (plus forte augmentation/plus faible diminution des revenus que la hausse/baisse des coûts), alors que dans les cas de SABMiller et de Coors, ces changements sont négatifs (plus faible augmentation des revenus que l’augmentation des dépenses).290 En outre, il est intéressant de noter l’importance de la variable coût d’opération dans les résultats des firmes : les brasseries ayant les plus faibles coûts d’opération présentent également les meilleurs ratios de profit d’opération sur le revenu net. Deuxièmement, les brasseries en provenance de PED, Ambev et Grupo Modelo, connaissent les plus fortes progressions du ratio profit d’opération/revenu net entre 1999 et 2003. Elles sont les deux seules entreprises dont le ratio avoisine 30%. Les brasseries américaines montrent une certaine stagnation (lorsqu’on analyse la performance de SABMiller en 2003, on peut supposer que la branche américaine de la nouvelle compagnie a influencé négativement la performance de la firme). On observe la même tendance dans l’ensemble de l’industrie et plus particulièrement dans le cas des brasseries japonaises. Troisièmement, certains marchés, le Japon et la Grande-Bretagne principalement, ainsi que les États-Unis dans une moindre mesure, de par la force de leur monnaie et le prix de vente des bières, permettent des revenus plus élevés (BMI, 2005a). Les brasseries japonaises (Asahi, Kirin et Suntory) présentent les plus hauts revenus par litre de l’industrie. Toutefois, leurs coûts d’opération sont également les plus onéreux, ce qui réduit leur niveau de profitabilité. Selon le tableau 5.11, elles possèdent certains des taux de profit sur le revenu les plus faibles. Finalement, si les revenus et les profits par litre ne varient pas substantiellement entre 1999 et 2003, les chiffres absolus augmentent considérablement pour plusieurs entreprises. Dans la quasi-totalité des cas (Heineken, SABMiller, Interbrew et Carlsberg), ces augmentations résultent des acquisitions qu’opèrent les firmes. On remarque cependant deux exceptions notables : Ambev et Modelo. Malgré une acquisition majeure, les revenus d’Ambev ne s’élèvent pas notablement ; par contre, 290 Pour les compagnies à solde positif, les écarts entre l’évolution des revenus et des coûts sont de 7,6% (Grupo Modelo), 11,4% (Foster’s) et 31,8% (Suntory). Pour les firmes à solde négatif, ces écarts sont de -9,9% (SABMiller) et –19,1% (Coors). 199 les profits de l’entreprise progressent de 154%. Modelo connaît aussi une forte hausse de ses profits, mais contrairement à ses concurrentes, elle n’a pas procédé à des achats de brasseries étrangères. 5.2.3.2 L’évolution de l’industrie brassicole américaine depuis 1990 Outre la consolidation des deux premiers tiers, à partir des années 1990, trois traits marquants caractérisent l'industrie brassicole américaine : la poursuite de la baisse de la consommation et les changements démographiques participant à cette évolution ; la popularité croissante, quoique relative, des microbrasseries ; finalement, la stagnation de la production nationale, compensée par la montée correspondante des bières importées. La tendance à la baisse de la consommation amorcée durant les années 1980, s’accélère au début des années 1990, puis se stabilise au milieu de la décennie. Comme le montre la figure 5.2, la consommation diminue de 9%, ou 8 litres, entre 1990 et 1995 ; par la suite, elle se stabilise aux environs de 83 litres/an. L’un des facteurs ayant le plus accentué cette chute au début des années 1990 est le doublement de la taxe d’accise en 1991 (BW, 01/02/1996). Celle-ci passe de 9$ le baril à 18$ le baril ; l’augmentation correspondante des prix de vente conduit à la plus forte réduction annuelle de toute la période.291 291 Notons que les représentants de l’industrie réussiront par la suite à contrecarrer les plans de l’administration Clinton pour une seconde hausse de la taxe d’accise (BW, 01/02/1996). 200 Figure 5.2 Consommation per capita, 1990-2002 (en litres/an) (%) 92 90 88 86 84 82 80 2 1 20 0 0 20 0 9 20 0 8 19 9 7 19 9 6 19 9 5 19 9 4 19 9 3 19 9 2 19 9 1 19 9 19 9 19 9 0 78 Sources : Beverage Idustry, 01/04/2001 et 01/05/2003 Si l’aspect fiscal représente une cause conjoncturelle de la diminution de la consommation, les mutations démographiques de la société américaine constituent une cause structurelle, non seulement en terme de quantité, mais également en ce qui concerne les types de bières consommées. Trois éléments fondamentaux doivent être pris en compte en ce qui concerne le marché américain : l’impact de la minorité hispanophone, le vieillissement de la population, notamment les changements au sein de la catégorie des 21-29 ans,292 ainsi que l’évolution des goûts des consommateurs. Depuis les années 1980, on observe une progression constante de la population hispanophone. En 1990, cette minorité représente 9% de la population totale ; en 2000, ce pourcentage passe à 12,5%.293 La montée de cette minorité entraîne de profonds changements dans les ventes et les stratégies des brasseries. L’augmentation de la population hispanophone, dont les Mexicains d’origine constituent la majorité, offre un prolongement quasi naturel aux brasseurs mexicains (FEMSA, RA 2000). En outre, ces consommateurs constituent un plus fort pourcentage de consommateurs de 292 Bien que la détermination de l’âge légal de consommation soit du ressort des états, le Congrès américain adopta une loi proposant l’uniformisation de l’âge minimum de consommation à 21 ans. Les états qui n’adopteraient pas cette mesure se verraient refuser un pourcentage des fonds alloués pour les autoroutes. À partir de juillet 1988, tous les états s’étaient alignés à la proposition du Congrés (BAC, 1997). 293 US Census Bureau, <http://factfinder.census.gov/> accès le 5 septembre 2005. 201 bières light et importées (Daily News Los Angeles, 06/02/1999; Beverage Aisle, 15/04/2004). L’importance croissante des hispanophones est telle que les brasseries adoptent des stratégies particulières destinées à ceux-ci. Par exemple, Heineken a conçu une campagne spécifique destinée aux hispanophones, eux qui représentent 25% des ventes totales de la compagnie aux États-Unis (Business Week, 08/09/2003). Étant donné la grande reconnaissance de leurs bières par cette population, les brasseries mexicaines bénéficient d’un avantage certain vis-à-vis leurs concurrentes. Par ailleurs, si la proportion des hispanophones augmente, on observe un vieillissement de la population américaine. Cela se traduit par une diminution de la catégorie des 21-29 ans, le groupe d’âge ayant la consommation per capita la plus élevée.294 Plus généralement, c’est l’ensemble de la population entre 21 et 49 ans, les principaux consommateurs de bière, qui diminue. Entre 1990 et 2000, la part de cette population baisse de 1,4%, passant de 44,1% à 42,1%. Cette réduction relative est contrebalancée par la hausse des adultes de plus de 50 ans.295 En 2000, ce groupe constitue 27,3% de la population, une progression de 1,6% vis-à-vis 1990.296 Conséquence de la transformation démographique des États-Unis, on assiste à une évolution des goûts des consommateurs. La baisse de la consommation de boissons alcoolisées ne se limite pas uniquement à la bière, mais touche l’ensemble des boissons alcoolisées.297 Parallèlement à la baisse de la consommation d’alcool, les Américains accroissent leur consommation de boissons non-alcoolisées. 294 La consommation de bières est marquée démographiquement. La catégorie des 21-27 ans représente le groupe-clé pour l’industrie. Elle correspond à la fois à l’entrée de nouveaux consommateurs, le moment où la fidélisation débute, ainsi que la catégorie buvant la plus per capita, soit 247 litres/an (BI, 01/07/2002). Au début des années 2000, la consommation de ce groupe représente le double de son poids démographique (Cheers, 01/11/2002). 295 Entre 1990 et 2000, tant la proportion des 0-20 ans (30,3% à 30%) que celle des 21-49 ans diminuent. Seul le groupe des 50 ans et plus augmente. 296 US Census Bureau, <http://factfinder.census.gov/> accès le 5 septembre 2005. 297 Dans le cas des spiritueux, la baisse de la consommation s’amorce dès le milieu des années 1970. En ce qui concerne le vin, après une hausse jusqu’au milieu des années 1980, la diminution débute à partir de 1987 et se poursuit depuis (BAC, 1997). 202 La seconde tendance de fond à souligner durant les années 1990 est la montée des microbrasseries. Cette progression se fait tant au niveau du nombre de microbrasseries que du volume de ventes. En 1980, on ne retrouve que quatre microbrasseries aux États-Unis (US News & World Report, 22/12/1997). À partir de la fin des années 1980, l’augmentation du nombre de microbrasseries est fulgurante : entre 1989 et 1995, l’augmentation du nombre de nouvelles microbrasseries oscille entre 29% et 55% ; par la suite, la progression ralentit (Rocky Mountain News, 20/05/2000).298 La croissance et la diversité des microbrasseries est telle que ce segment, qu’on appelle aussi celui des bières spécialisées, se subdivise en quatre catégories : les microbrasseries, les brasseries régionales, les brasseries à contrat et les brasseriesrestaurant.299 La production et les ventes de ce segment de l’industrie augmentent aussi de manière importante durant la période. De fait, la catégorie des microbrasseries est l’une des seuls segments de l’industrie brassicole américaine à croître de manière soutenue durant les années 1990 : en 1995, la production des microbrasseries s’élève à 4,8 millions d’hl ; en 2004, elle s’établit à 8,2 millions d’hectolitres, une hausse de 71%.300 La forte croissance de la production et des ventes des microbrasseries, au début des années 1990, a entraîné une augmentation parallèle de nouvelles microbrasseries et de l’offre des types de bières. Cela pose un défi aux grandes brasseries. Les marges bénéficiaires des bières microbrassées étant nettement plus élevées que les bières de consommation de masse, les grandes brasseries s’intéressent de près à ce segment durant la seconde moitié des années 1990. La difficulté, toutefois pour celles-ci, devient alors la suivante : comment concurrencer les bières spécialisées dans un segment de marché ne présentant pas d’importantes économies d’échelle, leur principal avantage ? La réponse sera alors l’achat ou l’association à des microbrasseries. Ainsi, Anheuseur-Busch, Miller et Coors, en entrant dans ce segment 298 Il se trouvait 1037 microbrasseries en 1996, 1250 en 1997, 1447 en 1999 et 1409 en 2003 (US News & World Report, 22/12/1997 ; BW, 15/04/2002). 299 Microbrewery, Regional Specialty, Contract et Brewpub en anglais. En 2002, la répartition de ce segment s’établissait comme suit : brasseries à contrat 18,2%, les brasseries régionales 59,8%, les microbrasseries 11,8%, les brasseries-restaurant 10,2% (Association of Brewers dans BW, 15/04/2003). 300 U.S. News & World Report (12/22/1997) et <http://www.beertown.org/pr/pdf/2004_Craft_Beer_Stats.pdf> accès le 1er mars 2005. 203 et en ouvrant leur système de distribution nationale aux microbrasseries, profitent de la croissance de celles-ci.301 Bien que la demande pour les microbrassées croît durant la période, elle ne suit plus l’offre à partir de la fin des années 1990. Ce segment de l’industrie vit lui aussi une consolidation depuis le milieu des années 1990. Depuis la seconde moitié des années 1990, on assiste à une certaine consolidation dans ce segment de l’industrie. La production d’une variété toujours plus grande de bières conduit à une perte d’attention de la part des microbrasseurs sur leurs marques les plus importantes (Cheers, 01/05/2000). De plus, la réticence des distributeurs à gérer une trop grande quantité de marques entraîne des difficultés de distribution pour les microbrasseurs (BI, 01/10/97). Ces complications, bien qu’importantes, ne constituent pas le principal obstacle des microbrasseries. Il faut plutôt regarder du côté des bières importées. Ces dernières, de même que les bières dites “de spécialité” (microbrassées), font partie d’une même sous-catégorie, i.e. les bières à prix élevé, et sont généralement interchangeables aux yeux des consommateurs (BI, 01/08/1998). Les bières importées ne représentent pas uniquement un défi pour les microbrasseries : elles constituent la véritable locomotive de la croissance de l’industrie au cours des années 1990. Alors que la production domestique diminue après 1990 (tableau 5.12), la catégorie des bières importées connaît une croissance beaucoup plus forte, surtout sous l’impulsion de Corona Extra et d’Heineken. En fait, depuis le début des années 1980, nous assistons à un phénomène paradoxal en terme de consommation : alors que la consommation per capita diminue de 14% entre 1980 et 2002 (tableau 5.8 et figure 5.2), la part des bières importées dans la consommation nationale augmente de 857%, passant de 0,13% à 11,27% (tableau 5.9).302 301 Anheuseur-Busch procéda à l’acquisition de la brasserie Redhook Ale de Seattle (Nord-ouest) ; Miller acheta ou s’associa entre autres avec Celis (Texas), Shipyard, (Maine) et possède des marques avec une forte présence régionale telles que Leinenkugel's (Midwest) et Henry Weinhard's (Côte ouest). Par contre Coors n’a pas procédé à l’achat de microbrasseries, se contentant de produire une bière avec une présentation semblable aux bières microbrassées (Tribune Business News, 01/07/2002; BI, 01/08/1997). 302 Au cours des années 1980, les bières importées connaissent une forte croissance jusqu’en 1987; de 1988 à 1991 toutefois, les importations se réduisent, notamment en raison de la récession qui frappe les États-Unis (BW, 01/02/1989). 204 Tableau 5.12 Production, exportations, importations, consommation et part des bières importées 1975-2002 (en millions d’hl) Année Production nationale Export ations Importat ions Consom Marché Exportati Importat mation apparent ons / MA ions /MA nationale (MA) (%) (%) 1975 174,65 0,22 1,97 174,08 176,40 0,12 1,12 1980 204,77 1,33 5,36 208,66 208,80 0,64 2,57 1985 206,34 0,82 9,29 214,06 214,81 0,38 4,32 1990 218,80 2,33 10,31 226,01 226,78 1,03 4,55 1991 215,70 2,78 9,30 220,93 222,22 1,25 4,19 1992 215,27 3,07 9,77 220,32 221,97 1,38 4,40 1993 215,58 3,30 10,85 220,76 223,13 1,48 4,86 1994 216,30 5,30 12,31 222,00 223,31 2,37 5,51 1995 214,18 6,52 13,22 219,35 220,88 2,95 5,99 1996 218,25 9,39 14,55 223,42 223,41 4,20 6,51 1997 215,67 7,39 16,54 224,82 224,82 3,29 7,36 1998 216,49 8,33 19,13 227,29 227,29 3,66 8,42 1999 218,60 6,81 20,89 232,68 232,68 2,93 8,98 2000 217,90 5,51 23,47 233,98 235,86 2,34 9,95 2001 217,43 5,28 25,58 235,85 237,73 2,22 10,76 2002 218,49 5,05 27,11 238,78 240,55 2,10 11,27 Sources : 1975 à 1995, Brewers Association of Canada, Alcoholic Beverage Taxation and Control Policies, International Survey, Ottawa: BAC, 1997; 1996 à 2002: BI 01/04/2001 et 01/05/2003.303 En comparant les marchés canadien et américain, une différence importante ressort : la part des exportations sur le marché apparent est nettement plus élevée au Canada qu’aux États-Unis. Elle oscille entre 12% et 20% pour le Canada, alors qu’elle n’atteint jamais les 5% dans le cas des États-Unis. Les brasseries canadiennes dépendraient moins de la demande interne que les brasseries américaines. Toutefois, une précision s’impose à cette étape. Contrairement aux brasseries canadiennes, les brasseries américaines ont accordé plusieurs licences de production à l’étranger, ce qui réduit la nécessité d’exporter. C’est notamment le cas pour plusieurs bières américaines vendues au Canada. Si la croissance relative des importations est très forte depuis 1990, sa croissance absolue est également exceptionnelle. Entre 1990 et 2002, la progression des importations compense la stagnation de la production nationale : celle-ci baisse de 303 Les statistiques concernant les marchés apparents canadien et américain diffèrent pour cause de méthode de calcul.. Au Canada, la consommation nationale équivaut au marché apparent. Dans le cas des États-Unis, le calcul de la production s’effectue en distinguant les bières taxées et les bières nontaxées. Le marché apparent américain est supérieur à la consommation nationale, car il prend en compte une partie de la production non-taxée. 205 0,31 million d’hectolitres durant la période, alors que le marché apparent (la consommation ou demande nationale) croît de 13,77 millions d’hectolitres. Par ailleurs, ces données montrent la très faible importance que représentent les exportations de bières pour l’industrie brassicole américaine. Entre 1993 et 1998, les exportations connaissent une augmentation appréciable, compte tenu des niveaux précédents : elles progressent de 5 millions d’hectolitres. Toutefois, elles régressent depuis lors. La faiblesse des exportations se perçoit également lorsque comparée à la demande interne. Malgré l’élévation des exportations entre 1993 et 1998, elles ne surpassent jamais la barrière des 5% du marché apparent, alors que les importations atteignent ce pourcentage en 1994. Jusqu’au début des années 1990, il était avancé que la popularité des bières importées était plus cyclique que celle des bières des grandes brasseries américaines. De 1980 à 1985, elles croissent à un taux moyen de 11,5%. De 1985 à 1990, le taux de croissance est réduit à 2,1% par année (BW, 01/02/1992). En 1991, les importations diminuent, résultat en grande partie du doublement de la taxe d’accise. Toutefois, l’hypothèse de la cyclicité de ce segment semble inadéquat depuis 1991, car on observe une progression ininterrompue, contrastant fortement avec la stagnation de la production domestique et les cycles économiques de croissance et de récession. 206 Tableau 5.13 Évolution des importations de bières aux États-Unis par pays d’origine, 1980-2003 (en millions d’hl) Pays Mexique Pays-Bas Canada Allemagne1 G-B Irlande Belgique Rép. Tchèque2 Rép. Do minicaine Jamaïque Autres Total 1980 0,39 2,11 1,81 1985 0,97 3,38 2,27 1990 1,89 3,13 2,48 1992 1,8 2,87 2,51 1994 2,29 3,52 3,74 1996 3,74 4,09 3,62 1998 6,75 4,64 3,64 2000 8,92 5,86 3,9 2002 11,56 6,93 4,01 2004 12,52 7,05 3,66 0,56 1,52 1,28 0,96 1,05 1,1 1,3 1,49 1,53 1,49 0,12 0,08 ND 0,25 0,14 ND 0,38 0,28 ND 0,42 0,34 0,01 0,62 0,38 0,02 0,8 0,49 0,02 1,05 0,94 0,03 1,26 1,11 0,07 1,18 0,71 0,16 1,21 0,74 0,31 ND ND ND 0,02 0,05 0,06 0,08 0,1 0,17 0,17 ND ND ND 0,02 0,02 0,08 0,11 0,11 0,14 0,15 ND ND ND 0,04 0,06 0,07 0,1 0,13 0,13 0,17 0,4 0,94 1,19 0,7 0,52 0,46 0,51 0,65 0,72 0,69 5,38 9,33 10,35 9,69 12,25 14,52 19,15 23,60 27,24 28,16 1 : Jusqu’en 1990, n’inclut pas la République démocratique allemande 2 : Jusqu’en 1992, inclut la Slovaquie Sources : 1980-1990: The US Beer Market. Impact Databank Review and Forecast, 1991 Edition, New York: M. Shanken Communications, 1991; 1992-1998: données du Beer Institute; 2000-2004: Beer Marketer’s Insights, 2005 Import Specialty Insights. A comprehensive Review of the Import and Specialty Beer Market, West Nyack, New York : Beer Marketer’s Insights, 2005b. S’il y a augmentation des importations depuis le début des années 1980, on remarque que les principaux pays exportateurs demeurent sensiblement les mêmes (tableau 5.13). De 1980 à 2004, six pays, les Pays-Bas, le Mexique, le Canada, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et l’Irlande concentrent la presque totalité des exportations brassicoles vers les États-Unis. En 1980, ce groupe représente 94,2% des importations américaines ; en 2004, il constitue 94,7% des importations. Le Mexique connaît la plus forte augmentation de la période, avec une nette accélération à partir de 1996. Cette poussée permet au pays de dépasser les Pays-Bas en tant que premier exportateur de bières aux États-Unis. Par ailleurs, si les six premiers pays exportateurs restent identiques, on observe un changement parmi les quatre autres membres du groupe d’exportateurs. En 1980, l’Australie, la Chine, le Japon et le Danemark occupent les autres positions de tête. À partir des années 1990, leurs exportations diminuent, fortement dans le cas du Japon et du Danemark. Toutefois, comme le montre le tableau 5.12, leur importance apparaît plutôt négligeable. 207 L’impact des bières importées ne se mesure pas uniquement à leur rôle de moteur de la croissance de l’industrie aux États-Unis ; on doit également prendre en compte l’importance du marché américain pour les firmes exportant leurs bières aux ÉtatsUnis. En effet, ce marché représente bien souvent la principale source de profit des BMN hors de leur marché d’origine. Dans le cas de Heineken par exemple, les ÉtatsUnis comptent pour plus du quart des profits de la firme (Business Week, 08/09/2003). En fait, le marché américain demeure l’un des rares où la part des bières importées surpasse les 10%. 208 Conclusion Au cours de ce chapitre, nous avons étudié l’évolution de l’industrie brassicole internationale et sa constitution en un marché de plus en plus mondial. L’industrie vit un processus de consolidation depuis les années 1980. Il résulte à la fois de la globalisation et de la régionalisation des activités des entreprises. Si ces dernières constituent les moteurs de ces deux processus, elles en subissent paradoxalement les effets, car elles doivent se transformer, passant de brasseries nationales à multinationales. Les mutations ne concernent pas uniquement les firmes, mais touchent aussi les attitudes et habitudes des consommateurs. Si les marchés nationaux demeurent le premier terrain d’affrontement des BMN, la concurrence n’est plus limitée à ces marchés, mais devient régionale et globale. Pour les brasseries, cela implique une présence de plus en plus importante sur tous les marchés. Cette obligation d’internationalisation doit intégrer l’existence de deux types de marchés à l’échelle internationale : les marchés matures et les marchés émergents, chacun possédant ses caractéristiques propres et présentant des défis uniques. Seule la prise en compte de ces distinctions et l’élaboration de stratégies différenciées, correspondant à chacun de ces marchés, permettra à certaines firmes d’émerger au terme du processus de globalisation de l’industrie. Il n’est pas insensé de croire qu’à moyen ou long terme, quatre ou cinq brasseries domineront l’industrie brassicole internationale et qu’un second groupe de BMN continuera de jouer un rôle important dans l’industrie. Dans cette optique, il nous apparaît que le premier groupe sera composé d’Heineken, d’Inbev, d’Anheuseur-Busch, de SABMiller et de Carlsberg. Quatre de ces cinq firmes peuvent être considérées comme des entreprises globales, alors que la cinquième, Anheuseur-Busch, domine le plus important marché au monde et a entrepris de rattraper son retard international. Par ailleurs, la constitution d’un marché mondial, quel qu’il soit, ne peut se réaliser sans un accord tacite des États. Dans le cas de l’industrie brassicole internationale, le rôle de l’État est double. D’une part, les autorités de la concurrence nationales, à travers leurs consentements ou refus, affectent directement la consolidation de l’industrie. Les cas Interbrew-Bass (refus initial de la Monopolies and Mergers 209 Commission de la Grande-Bretagne,) et de Brahma-Antartica (acceptation du CADE brésilien) montrent que les décisions des États peuvent affecter positivement ou négativement les stratégies des firmes. D’autre part, la concentration du marché chinois a dévoilé une application concrète de la théorie de la diplomatie triangulaire. Les brasseries chinoises, jusqu’à récemment, demeuraient sous propriété étatique. Leur privatisation, de même que l’attrait du marché pour les brasseries étrangères, pousse les différents paliers gouvernementaux chinois et les BMN à négocier leur entrée sur le marché et au capital de certaines brasseries. En ce qui concerne le marché nord-américain plus spécifiquement, entendu ici comme le Canada et les États-Unis, son évolution peut être caractérisée par la double tendance à la concentration d’une part, et à la diversification, à la spécialisation et à l’éclatement d’autre part. Concentration, car au fil des ans, un nombre de plus en plus réduit de brasseries contrôle une part toujours plus grande du marché national. Alors qu’au Canada, Labatt et Molson contrôlent environ 90% du marché, le niveau de concentration est un peu plus faible au États-Unis, où trois firmes possèdent plus de 80% du marché. Si l’on assiste à la concentration de l’industrie, on observe également un retour en force des microbrasseries. Bien que ce segment ne représente qu’une modeste portion de la production, son influence aura été marquante durant la décennie des années 1990, forçant les grandes brasseries à s’adapter aux goûts des consommateurs et pavant la voie à la popularité croissante des bières importées. En somme, le développement des microbrasseries, bien qu’il ait attiré l’attention des grandes brasseries au Canada et aux États-Unis, ne constitue pas un défi pour ces dernières, mais plutôt pour les bières importées. Par le public visé et les prix pratiqués, ces deux segments sont directement en concurrence. Au début des années 1990, un spécialiste américain, Robert S. Weinberg, identifia trois défis qui se poseraient à l’industrie brassicole américaine durant la décennie. Premièrement, elle aurait à ravir des parts de marché aux autres boissons alcoolisées ; ensuite, elle aurait à élargir sa base de consommateurs, i.e. rejoindre les non buveurs de bières en leur présentant des alternatives susceptibles de les convertir à cette 210 boisson ; finalement, elle aurait à retenir les consommateurs plus âgés, eux qui réduisent généralement leur consommation avec l’âge (Weinberg dans BW, 01/12/1991). Ces enjeux se posaient également au marché canadien. La progression des marques étrangères, principalement de Corona Extra et d’Heineken, peut être considérée comme une des principales réponses à ces défis. L’apparition de boissons à base de malt, les malternatives, en collaboration avec les principales compagnies de spiritueux, représente l’autre grande réponse des brasseries. * ** Trois enseignements majeurs peuvent être tirés de ce chapitre. Premièrement, la formation d’un marché mondial, dans une ère de globalisation, passe par une double concentration, nationale et internationale. Le développement des BMN constituerait l’expression de cette double consolidation. Ensuite, mis à part le cas chinois, on ne retrouve pas d’autre application concrète de la théorie de la diplomatie triangulaire dans l’industrie brassicole internationale. La spécificité de ce marché, alors que l’État est propriétaire d’un nombre important de brasseries, facilite son intervention et sa accroît sa capacité de négociation vis-à-vis des firmes étrangères. Ces remarques nous conduisent au constat suivant : dans le cas d’une industrie de consommation de masse et à faible apport technologique, les États, à moins d’une présence directe dans l’industrie, ne s’engageront pas dans des négociations État-firme. Finalement, au niveau national, l’évolution des industries brassicoles semble être une application concrète de l’approche de l’école de Chicago en théorie de la concurrence : tant les brasseries que les grossistes moins efficaces tendent à disparaître, alors que les firmes bénéficiant des économies d’échelle croissent et augmentent leurs parts de marché. Si l’approche de l’École de Chicago de la concurrence s’applique très bien à l’industrie brassicole, celle-ci ne constitue pas un bon exemple pour la théorie des marchés contestables. L’existence de très forts coûts irréversibles (sunk costs) limite la possibilité d’entrée de nouvelles brasseries sur les marchés nationaux. 211 TROISIÈME PARTIE LA RÉGIONALISATION ET LA GLOBALISATION DE L’INDUSTRIE BRASSICOLE MEXICAINE 212 CHAPITRE VI L’INTERNATIONALISATION DES BRASSERIES MEXICAINES L’industrie brassicole mexicaine est devenue, depuis les années 1980, l’une des grandes industries exportatrices du Mexique. Bien que Modelo ait initié son internationalisation à la fin des années 1970 et que CCM exporte déjà à l’étranger depuis les années 1930, ce n’est qu’à partir du milieu des années 1980 que les exportations jouent un rôle fondamental dans la stratégie des brasseries mexicaines. Ce chapitre a pour objectif d’étudier le processus d’internationalisation des brasseries mexicaines depuis les années 1980. Il complète le chapitre précédent en se penchant exclusivement et en détail sur le développement international des brasseries mexicaines. Pour ce faire, nous tenterons de répondre aux questions suivantes : Quelles sont les causes de l’internationalisation de Grupo Modelo et de CCM ? Quelles sont les stratégies des brasseries mexicaines au niveau régional et global ? Est-ce compatible avec ce que nous disent les théories de la firme et de la FMN ? Observe-t-on une plus grande influence de la globalisation ou de la régionalisation dans les stratégies utilisées par les brasseries mexicaines ? Quelles sont les similitudes et les différences entre les stratégies des brasseries mexicaines ? De par la concentration de plus en plus poussée qu’elle provoque, la globalisation représente l’élément structurant de la transformation de l’industrie brassicole internationale depuis les années 1980. Toutefois, dans le cas du Mexique, elle cède le pas à la régionalisation. La proximité géographique de ses plus importants marchés d’exportation, les États-Unis et le Canada, conduit les brasseries mexicaines à privilégier ces marchés au détriment du reste du monde. Toutefois, si CCM et Modelo accordent davantage d’importance à l’Amérique du Nord, elles ne sont pas pour autant absentes des marchés internationaux. Dans l’analyse du marché mondial de la bière, il a été montré que la globalisation transformait la structure des brasseries. Ces dernières sont passées de brasseries 213 nationales à multinationales : elles utilisent une combinaison de production nationale/exportation et de production internationale (filiales à l’étranger). Toutefois, cela n’est pas le cas des brasseries mexicaines, qui privilégient exclusivement la production nationale. Cela conduit les deux entreprises à favoriser l’exportation comme mode d’internationalisation. Modelo et CCM s’internationalisent en deux phases, une première marquée par la régionalisation et une seconde où dominerait la globalisation. Si les deux processus influencent l’expansion des brasseries, la proximité géographique du plus important marché d’exportation, les États-Unis, contribue à renforcer la prééminence de la régionalisation. Par ailleurs, bien que l’internationalisation de l’industrie précède tout juste l’ouverture du Mexique à l’économie mondiale, elle ne sera pas influencée par les décisions de l’État mexicain. Tant l’adhésion au GATT que l’ALENA, qui fortifient la création indirecte d’une industrie brassicole nord-américaine, n’exerceront pas d’influence directe importante sur les stratégies des brasseurs mexicains. Afin de répondre aux exigences de sa croissance internationale, Modelo transforme en partie sa structure organisationnelle tandis que CCM développe un partenariat stratégique. Durant les années 1990, alors que l’internationalisation de Modelo peut être vue comme un processus linéaire et continu, le développement international de CCM est marqué par des ruptures majeures : Modelo maintient l’objectif de globaliser ses exportations pendant que CCM procède à deux replis stratégiques. Dans les deux cas, cependant, les résultats montrent une dépendance grandissante vis-à-vis l’Amérique du Nord. L’internationalisation de Modelo et de CCM constitue un exemple représentatif de l’ouverture internationale de l’économie mexicaine depuis les années 1980. Une première phase de régionalisation est suivie par une tentative de globalisation des ventes. Cette stratégie montrant ses limites, les entreprises se rabattent par la suite sur leur région d’origine. Dans le débat sur l’impact de la globalisation, l’internationalisation de CCM et de Modelo va à l’encontre des idées reçues. Non seulement les deux entreprises ne modifient-elles pas leur structure organisationnelle, la production demeurant entièrement nationale, mais elles voient une diminution de leur projection 214 internationale au profit d’une croissance basée sur la régionalisation des exportations. Les différents choix d’internationalisation des brasseries mexicaines et des BMN montrent la complémentarité entre la globalisation et la régionalisation. Selon leurs objectifs et ressources, les firmes choisiront l’une des deux options : globaliser ou régionaliser leurs activités (production et/ou ventes). 6.1 Les deux phases du développement international de l’industrie brassicole mexicaine 6.1.1 La première phase : la régionalisation Pour les firmes mexicaines, la décennie des années 1980 marque l’entrée dans l’arène de la concurrence internationale. La crise de 1982 signale non seulement la fin de la croissance basée sur le marché interne, mais aussi l’hallali de la stratégie d’industrialisation par substitution aux importations.304 L’ouverture de l’économie nationale, combinée au programme de libéralisation qu’initie l’administration de la Madrid constituent les réponses de l’État à la crise. Ces transformations impliquent par ailleurs que les grandes entreprises mexicaines doivent s’internationaliser si elles ne veulent pas disparaître. En outre, le développement de marchés internationaux répond à la nécessité de pallier la contraction du marché interne suite à la crise économique de 1982. Cette internationalisation passe avant tout par une intégration de plus en plus poussée aux États-Unis. Bien que plusieurs formes d’internationalisation s’offrent aux firmes, l’option que retiennent les compagnies mexicaines durant cette première phase est l’exportation. Les brasseries mexicaines ne dérogent pas à la tendance. Pour les entreprises mexicaines, la plus grande ouverture du marché nord-américain signifie des opportunités d’exportation additionnelles. Les années 1990, particulièrement l’ALENA, marquent la seconde étape de la régionalisation de l’industrie brassicole mexicaine. Celle-ci se caractérise par une plus grande intégration à l’industrie brassicole nord-américaine. 304 Durant les années 1980, la croissance du Mexique est quasi nulle. Après une croissance de 8,8% entre 1980 et 1981, le PIB s’établissant à 4862 milliards de pesos de 1980, la production stagne durant le reste de la décennie. Ce n’est qu’à partir de 1987 que la croissance repart et qu’à partir de 1988 que le PIB à prix constant surpasse le niveau de 1981 (Banque du Mexique, 1991). 215 6.1.1.1 L’Amérique du Nord, objectif central des brasseries mexicaines Pour les brasseries mexicaines, la nécessité de s’internationaliser apparaît au tournant des années 1980, alors qu’elles se trouvent confrontées à un marché interne en contraction, résultat de la crise de 1982. Avant cette période, la stratégie de croissance des brasseries mexicaines se centre avant tout sur le marché national (Oliveira VeraCruz, 2000: 114). Alors que la production totale de l’industrie s’élève à un peu plus de 28 millions d’hectolitres en 1981, elle chute de 15,8% les deux années suivantes (tableau 6.1). Il faut attendre 1987 avant que l’industrie ne retrouve les niveaux de production d’avant la crise. L’une des conséquences de cette situation est la diminution des revenus des brasseries.305 En effet, entre 1981 et 1983, les ventes de bières sur le territoire national baissent de 16,3%, provoquant une diminution correspondante des revenus. Afin de pallier cette baisse des revenus, les brasseries chercheront des débouchés à l’étranger, avant tout aux États-Unis. Tableau 6.1 Année Exportations de l’industrie brassicole mexicaine 1980-1992, (en hectolitres) Cuauhtémoc Moctezuma Total Cua/Moc Modelo Total Production totale 204 649 171 902 376 551 8 494 385 045 26 042 152 1980 198 415 175 584 373 999 13 766 387 765 28 067 214 1981 167 948 205 492 373 440 29 264 402 704 27 583 414 1982 181 444 196 125 377 569 67 545 445 114 23 608 693 1983 235 771 249 603 485 374 137 877 623 251 25 085 360 1984 273 466 262 668 536 134 458 611 994 745 27 393 604 1985 316 294 274 599 590 893 1 205 274 1 796 167 27 491 402 1986 402 353 378 501 780 854 2 164 038 2 944 892 28 707 047 1987 406 347 298 675 705 022 1 918 182 2 623 204 31 341 230 1988 378 064 227 975 606 039 1 469 450 2 075 489 36 463 830 1989 396 594 303 398 699 992 1 421 553 2 121 545 36 971 737 1990 338 706 335 876 674 582 1 376 051 2 050 633 38 701 331 1991 367 430 355 226 722 656 1 629 468 2 352 124 39 811 381 1992 Source : Bear Stearns, The Mexican Beer Industry, Special Report, emerging Markets Equity Research, New York, 1994. 305 À titre d’exemple, VISA, propriétaire de Cuauhtémoc, perdit 6,345 milliards de pesos en 1982, malgré des profits lors des premiers trimestres de l’année ; dans le cas de Moctezuma, sur des ventes de 23,4 milliards de pesos durant les neuf premiers mois de 1983, l’entreprise perdit 2,244 milliards de pesos (Expansión, 28/03/1984, 21/12/1983). 216 Dans un premier temps donc, les brasseries mexicaines s’appuient sur le marché américain. Bien que Cuauhtémoc et Moctezuma exportent aux États-Unis depuis la première moitié du XXè siècle, l’internationalisation de l’industrie prend véritablement son essor à partir des années 1980, alors que Cuauhtémoc et Moctezuma augmentent leurs niveaux d’exportation au nord et que Modelo entreprend d’exporter ses bières. Durant cette première phase qui va jusqu’à la fin des années 1980, les brasseries adoptent une stratégie internationale centrée sur les ÉtatsUnis puis le Canada. Au début des années 1980, les exportations mexicaines s’avèrent plutôt faibles, ne constituant qu’environ 1,5% de la production totale (tableau 6.1). Après une faible hausse de 10,5% en 1983, les exportations augmentent très rapidement par la suite : de 0,44 million d’hectolitre en 1983, elles passent à 1 million d’hl en 1985 puis à 2,94 millions d’hectolitres en 1987, un bond de 568%. Deux éléments ressortent de cette progression des exportations. D’une part, elle reflète la rapide ascension de Modelo en tant que principale exportatrice de bières mexicaines. La brasserie débute ses exportations à la fin des années 1970. En 1980, ses exportations n’atteignent même pas les 10 000 hectolitres, mais elles croissent à des taux supérieurs à 100% annuellement jusqu’en 1987 alors qu’elles atteignent 2,2 millions d’hectolitres. Figure 6.1 Part des exportations mexicaines de bières à destination à des États-Unis, 1982-1989 (en %) (%) 99 98 97 96 95 94 93 92 91 90 89 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 Sources : 1982-1986 : Beer Marketer’s Insights, 1987 Beer Industry Update. A Review of Recent Developments; 1987-1989 : Impact Databank, The US Beer Market. Impact Databank Review and Forecast, 1990 Edition, New York: M. Shanken Communications, 1990. 217 S’il y a une très forte hausse des exportations à partir de 1984, les États-Unis apparaissent comme la destination de la quasi totalité de celles-ci (figure 6.1). Cette tendance s’observe avant l’éclatement de la crise de 1982 et se poursuit durant l’ensemble de la décennie. La part des exportations des brasseries vers les États-Unis surpasse 95%, sauf en 1984, où elle se situe en deçà de ce seuil.306 La proximité géographique, la présence d’une forte minorité d’origine mexicaine, de la compétitivité-prix des bières mexicaines vis-à-vis des autres bières étrangères expliquent en grande partie le succès des trois brasseries mexicaines. D’autre part, la progression des exportations brassicoles mexicaines n’est pas suivie d’une augmentation correspondante des importations. La balance internationale du Mexique en matière de commerce international de la bière est nettement positive durant cette période. Elle suit en cela l’exemple du Canada. Tableau 6.2 Année 1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1995 Importations et exportations de bières en Amérique du Nord, 1980-1995 (en milliers d’hl) Canada Imp. Exp. 591 1878 223 2188 296 2380 337 2482 545 2602 686 2497 605 2518 579 3739 659 3581 États-Unis Imp. Exp. 5361 1332 6755 638 8456 432 10 375 657 11 032 1194 10 310 2328 9767 3073 12 310 5298 13 216 6516 Mexique Imp. Exp. 385 403 623 1796 25 2623 160 2122 217 2352 370 2917 225 3908 Source : Brewers Association of Canada, Alcoholic Beverage Taxation and Control Policies, International Survey, Ottawa: BAC, 1997. Entre 1980 et 1995, les exportations de bières mexicaines passent de 385 000 à presque 4 millions d’hectolitres, alors que les importations, quasi nulles avant 1986, atteignent seulement 225 000 hectolitres en 1995. Les statistiques disponibles montrent que les importations croissent à un rythme accéléré entre 1988 et 1994, puis diminuent par la suite (tableau 6.2 et Walden et White, 1999). En termes 306 Cette baisse soudaine et temporaire s’expliquerait par le retrait des bières mexicaines du système généralisé des préférences américaines en 1983 et de la décision subséquente de Cuauhtémoc de diversifier ses exportations. 218 d’exportations et d’importations, l’industrie brassicole mexicaine ressemble à l’industrie brassicole canadienne. Dans les deux cas, les exportations surpassent largement les importations. La principale destination des exportations est également la même, les États-Unis, ce qui contribue par ailleurs à la balance négative de ces derniers. En ce qui concerne les importations, bien qu’elles soient similaires pour le Mexique et le Canada, une donnée importante doit être prise en compte. La multiplication des licences de production (cf. chapitre 4) augmente la présence des marques étrangères au Canada, ce qui a pour effet de réduire les importations, mais d’augmenter la consommation des bières américaines. Pour les brasseries mexicaines, la méconnaissance des marchés internationaux, de même que la proximité du plus important marché brassicole du monde — ce qui réduit considérablement les coûts de transport — facilitent le choix des États-Unis comme destination des exportations. De plus, la présence d’une très forte minorité d’origine mexicaine dans les états frontaliers fournit une base de consommateurs déjà habitués aux produits de ces firmes. Par ailleurs, durant cette phase et tout au long de la période que couvre cette étude, les bières mexicaines jouissent d’un avantage au niveau du prix vis-à-vis des bières importées en provenance d’Europe ou du Canada (Daily News Los Angeles, 06/02/1999). En un peu plus de 20 ans, les bières mexicaines augmentent considérablement leurs parts aux États-Unis : alors qu’elles ne représentent que 6% des bières importées en 1979, elles constituent 41% des bières importées en 2001 (BI, 01/05/2002). Si les années 1980 sont surtout marquées par l’augmentation des exportations mexicaines à destination des États-Unis, les années 1990 voient la consolidation de la régionalisation de l’industrie. La négociation puis l’entrée en vigueur de l’ALENA jouent un rôle déterminant dans ces développements. 219 6.1.1.2 L’ALENA ou la consolidation de la régionalisation des brasseries mexicaines L’impact de l’ALENA touche différemment les trois industries brassicoles d’Amérique du Nord. Bien qu’il n’y ait qu’une seule mesure explicite concernant cette industrie,307 les effets de l’accord n’en sont pas moins importants puisqu’ils provoquent des réactions différentes de la part des acteurs concernés et, d’une certaine façon, la création d’une véritable industrie régionale. Aux États-Unis, deux positions distinctes s’affrontent : d’une part, les grandes brasseries telles qu’Anheuser-Busch et Miller considèrent qu’un tel accord n’aurait que peu d’impact sur leurs parts de marché et qu’une plus grande ouverture de leurs deux voisins ne pourrait qu’être bénéfique. De par leur taille, ces entreprises n’éprouvent pas beaucoup de craintes et voient dans cette situation de nouvelles opportunités de croissance (Walden et White, 2001). D’autre part, les microbrasseries se retrouvent sur la défensive. Une plus grande présence des bières importées risque d’affaiblir leurs positions. Afin de contrer cette possibilité, les microbrasseries doivent miser sur une stratégie de marketing mettant l’emphase sur la qualité de leurs produits et la fierté des gens qui les produisent (Walden et White, 1999). Dans leur ensemble, les brasseries canadiennes apparaissent comme les plus inquiètes des trois pays. Selon Walden et White (1999), l’industrie canadienne, dans sa grande majorité, craint deux conséquences possibles de l’ALENA : le dumping des entreprises américaines et la perte de leurs parts de marché. Cette crainte est davantage exprimée par les microbrasseries, étant donné que les bières importées concurrenceraient leurs produits sur le même segment de marché. De par sa structure et son histoire, l’industrie brassicole mexicaine semble être la moins craintive des trois. La très faible présence étrangère au Mexique et l’existence d’un marché duopolistique rendent plus difficile l’entrée de nouvelles concurrentes. Ajoutez à cela le goût très prononcé des Mexicains pour les produits nationaux et l’assurance des brasseries mexicaines. Mais cela ne signifie pas pour autant que les 307 Selon l’article 312 de l’accord, portant sur les vins et boissons alcoolisées, il devait y avoir une élimination graduelle des droits tarifaires mexicains entre 1994 et 2001, ceux-ci passant de 20% à 0%. Le Canada et les États-Unis avaient déjà éliminé les droits tarifaires sur la bière. 220 dirigeants mexicains n’ont aucune appréhension d’une plus grande ouverture : la source de leurs craintes se situe ailleurs, plutôt dans la possibilité que des brasseries américaines se portent acquéreuses de leurs compagnies. Alors que l’accord ne modifie pas les tendances exportatrices des brasseries mexicaines, il exerce une triple influence sur le développement de l’industrie brassicole mexicaine au cours des années 1990 : il provoque une plus grande ouverture du marché nord-américain de la bière ; il offre un meilleur accès et une réduction des prix des matières premières ; finalement, il accroît la nécessité de créer des alliances avec des partenaires du Nord. La première conséquence de l’ALENA sur l’industrie brassicole nord-américaine est donc son intégration au niveau régional. Cette ouverture résulte avant tout d’un meilleur accès du marché mexicain aux bières canadiennes et américaines. Puisque ces deux dernières sont passablement intégrées (cf. chapitre 5, 2è partie).308 Bien que les tarifs existants ne disparaissent pas immédiatement, le Mexique s’engage à éliminer les droits tarifaires sur une période d’une dizaine d’années. Les autorités mexicaines réduisent immédiatement les droits de douane de 20% à 16% en 1994 et de 2% par année par la suite jusqu’à l’élimination complète en 2001.309 Cette mesure devait signifier pour les brasseries nord-américaines une diminution du prix de leurs bières. Par contre, pour les exportations mexicaines, il n’y a pas de changement majeur puisque leurs produits pénètrent déjà les deux marchés libres de droits de douane. Par ailleurs, l’accord permet à l’industrie brassicole mexicaine de combler deux de ses déficiences majeures : un meilleur accès aux matières premières et une réduction des prix de celles-ci. L’une des grandes faiblesses de l’industrie tient au fait qu’elle ne 308 Lors de la négociation de l’Accord de libre-échange Canada-États-Unis, l’article 1204 excluait la bière du traitement national (chapitre 5) ; toutefois, l’Accord prévoyait l’élimination progressive des tarifs douaniers sur un période de dix ans, se terminant en 1999. Au Canada, l’accord sur commerce intérieur de 1991 éliminait les barrières commerciales interprovinciales, tandis qu’en avril 1992 les provinces canadiennes s’engageaient à éliminer certaines barrières commerciales vis-à-vis des bières importées. Le Mémorandum d’accord États-Unis – Canada sur les pratiques provinciales de commercialisation de la bière de 1993 complétait la libéralisation de l’industrie brassicole canadienne (BAC, 1997). 309 <http://ffas.usda.gov/itp/policy/nafta/alcoholi.html> accès le 12 mars 2002. 221 peut se procurer toutes les matières premières nécessaires à la fabrication de la bière localement.310 Bien que le Mexique produise de l’orge, la production s’avère parfois insuffisante pour les besoins des brasseries.311 Tableau 6.3 Production mondiale de houblon, 1990-2004 (en tonnes) 1990 1995 2000 2004 Canada 348,9 165 ND ND États-Unis 25 843 35 767,5 30 653,2 25 040,1 Allemagne 27 622 34 120,9 29 286,4 33 208 114 415, 6 127 653,2 96 611,6 92 656,6 Monde Source : Joh Barth & Sons, The Barth Report, plusieurs années Quant au houblon, le Mexique n’en produit pas. Les brasseries doivent l’importer dans sa totalité et se trouvent donc soumises aux fluctuations internationales (Zepedo Mauleon, 27/11/2001; FEMSA, ADR 2003). Modelo et CCM achètent généralement le houblon soit par arrangements contractuels ou sur le marché libre. Comme le montre le tableau 6.3, les États-Unis et l’Allemagne représentent les principaux producteurs de cet ingrédient. Par ailleurs, la production de houblon, contrairement à la production de bière, diminue depuis le milieu des années 1990 et la tendance devrait se poursuivre pendant plusieurs années (Barth Report, 2005). L’une des conséquences de cette situation est la propension à un plus faible dosage de houblon par hectolitre de bière produit (Barth Report, 2002). Le principal avantage que l’industrie retire de l’ALENA du point de vue de l’accès aux matières premières tient surtout à la baisse du prix de celles-ci, en particulier celui de l’orge. Avant l’entrée en vigueur de l’accord, le prix interne de l’orge est de beaucoup supérieur aux prix internationaux ; cependant, après la mise en place de 310 L’orge, le houblon, la levure et l’eau sont les principales composantes de la bière. L’ALENA fixe un quota d’importation de l’orge (ou de son produit transformé, le malt) libre de droits que peut importer l’industrie brassicole. Le quota a été fixé à 150 000 tonnes en 1994 avec une hausse annuelle de 5% par la suite. L’accord permet également à l’industrie d’importer davantage que le quota sans qu’un tarif ne soit imposé si celle-ci peut faire la preuve que la demande ne peut être satisfaite. Bon an mal an, la consommation d’orge de l’industrie s’élève à environ 600 000 tonnes. En 1997, par exemple, l’industrie a dû importer 95 619 tonnes d’orge de plus que les 173 644 tonnes que permettait l’ALENA (VISA, ADR 1998). À partir de 2003 cependant, les quotas d’importation d’orge ont été éliminés. 311 222 l’accord, le prix de l’orge diminue au Mexique, de sorte qu’il n’existe pratiquement plus de différence entre les prix internationaux et les prix internes (VISA, ADR 1998). La conséquence la plus importante de l’ALENA sur l’industrie brassicole mexicaine aura sans doute été la nécessité de nouer des alliances avec des brasseries américaines et canadiennes (Bratu Hernandez, 1996; Fernández Sánchez-Navarro, 2000; Rodríguez Garza, 02/05/2002). Comme nous l’avons souligné précédemment, les dirigeants de l’industrie ne redoutent pas l’arrivée de nouveaux concurrents sur le marché mexicain, celui-ci étant fermé. Ils craignaient davantage que des brasseries canadiennes, mais surtout américaines, n’en profitent pour lancer des offres publiques d’achat (OPA) non-sollicitées. De telles offres limiteraient la liberté décisionnelle des dirigeants des entreprises, réduisant du même coup leur capacité à formuler les stratégies de développement et/ou de croissance à moyen ou long terme (Bratu Hernandez, 1996; Reyes Salcido, 09/05/2002). Outre cette appréhension d’OPA, Grupo Modelo et CCM considèrent que l’accord créerait une concurrence à l’échelle régionale et non plus à l’échelle nationale. Elles devaient donc se préparer à cette nouvelle donne. Les alliances que nouèrent les brasseries, surtout Modelo, s’apparentent ainsi à une stratégie défensive, destinée à préserver leur indépendance, à protéger leurs positions sur le marché national et à participer au mouvement de concentration régionale (Fernandez Sánchez-Navarro, 2000; Rodríguez Garza, 02/05/2002). 6.1.2 La seconde phase : de la régionalisation à la globalisation Si la première phase est celle de l’apprentissage, la deuxième phase peut être caractérisée comme celle de la maturité. En effet, non seulement les brasseries mexicaines apprennent-elles à évoluer sur les marchés internationaux, mais elles adoptent également des stratégies leur permettant de se positionner très favorablement sur ces marchés. Dans un premier temps, elles se concentrent principalement sur les États-Unis. À partir de la fin des années 1980, elles développent une véritable stratégie internationale, stratégie là aussi basée sur l’exportation. Ainsi, Modelo et CCM, plus que la régionalisation, seraient influencées par la globalisation de l’industrie brassicole internationale. Pourquoi ce processus, la globalisation, se développe-t-il à partir des années 1990 comme l’élément structurant de 223 l’internationalisation de l’industrie brassicole mexicaine ? Deux explications sont possibles. Premièrement, la globalisation apparaît comme le prisme dominant pour les dirigeants des deux compagnies. La globalisation des activités étant la stratégie que poursuivent les principales BMN, il devient fondamental que les brasseries mexicaines y participent (Diez Morodo, 23/01/2003). Ainsi, en plus d’être un processus marquant de l’évolution des industries à l’échelle internationale, la globalisation participerait du discours général des brasseurs mexicains. Deuxièmement, et au-delà du discours des dirigeants des deux firmes, les BMN refaçonnent, depuis la fin des années 1980, mais surtout à partir des années 1990, l’industrie brassicole internationale sur une base globale. La concurrence, bien qu’elle se déroule sur des marchés nationaux, intègre maintenant une composante globale. Il devient donc impératif pour qui veut demeurer un acteur majeur dans l’industrie de s’adapter à ce processus. 6.1.2.1 La globalisation des brasseries mexicaines Si la globalisation de l’industrie brassicole mexicaine prend son envol à partir de la fin des années 1980, elle s’amorce, bien que timidement, suite au retrait des bières mexicaines du système général des préférences américain en 1983.312 Afin de combler une perte potentielle de revenus en provenance des États-Unis, les brasseries doivent trouver de nouveaux débouchés pour leurs bières. C’est ainsi que Cuauhtémoc annonce son intention de diversifier ses exportations, notamment vers l’Europe (PaysBas), l’Asie (Japon) et certains pays d’Afrique (Expansión, 21/12/1983). Cela se traduit immédiatement par une baisse de la part des États-Unis dans les exportations brassicoles mexicaines en 1984 ; la situation se stabilisant par la suite (figure 6.1). C’est principalement suite au ralentissement des exportations vers les États-Unis à la fin des années 1980 que les brasseries mexicaines tournent leurs regards vers le reste 312 Alessio Robles (1968) souligne que les brasseries mexicaines exportaient déjà en Amérique du Sud durant les années 1960, mais que ces exportations étaient plutôt symboliques : sur 31 856 251 litres de bières exportées en 1967, seulement 17 999 litres le furent vers le Cône Sud, soit environ 0,05% des exportations mexicaines. 224 du monde (BW, 01/04/1993). On assiste donc, à partir de la fin des années 1980, au processus de globalisation des brasseries mexicaines et cela à un rythme très rapide.313 Les exportations se dirigent principalement vers l’Europe de l’Ouest, le Japon et l’Océanie. Cependant, compte tenu de la stratégie d’exportation des brasseries mexicaines, le rythme de l’expansion internationale est ralenti par leur niveau de production. En effet, Grupo Modelo et CCM ne produisent pas suffisamment afin d’approvisionner à la fois le marché national, les États-Unis et les autres marchés internationaux (BW, 01/04/1993). Après ces premières incursions à la fin des années 1980, le rythme de pénétration de nouveaux marchés augmente rapidement au début des années 1990. Dans le cas de CCM, la firme triple sa présence internationale en cinq ans : en 1990, elle est présente dans vingt et un pays; en 1995, ce nombre passe à une soixantaine de pays (VISA/FEMSA, RA 1990; VISA, ADR 1998). Quant à Modelo, l’entreprise se montre beaucoup plus agressive que sa concurrente. Jusqu’en 1985, Modelo n’exporte qu’aux États-Unis; à partir de 1985, la firme exporte au Canada et au Japon, puis viendront l’Europe de l’Ouest, l’Australie et la Nouvelle-Zélande en 1989. C’est réellement à partir des années 1990 que Modelo accélère son internationalisation : entre 1993 et 1999, le nombre de pays où l’on retrouve les produits de Modelo passe de cinquante-six à cent cinquante.314 Afin d’organiser une telle couverture, Modelo établit six bureaux à travers le monde. Afin de pénétrer ces nouveaux marchés, les brasseries doivent être au courant des stratégies de leurs concurrentes ainsi que de plusieurs aspects du marché ciblé : l’utilisation des moyens de communication internationaux, une bonne compréhension des politiques fiscale et monétaire du pays en question, son système tarifaire et de commercialisation, de même que les grandes tendances politiques et sociales traversant le pays (Expansión, 16/08/1995). 313 Par exemple, lors d’un voyage en Europe au début de 1993, Valentin Diez Morodo, le vice-président chargé des exportations de Modelo “ouvre” sept nouveaux marchés, tout en découvrant de nouveaux marchés potentiels (BW, 01/04/1993). 314 Femsa, RA plusieurs années; Modelo, (2000) et RA plusieurs années. 225 Tableau 6.4 Année 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 Exportations de bières mexicaines 1992-2004, en millions d’hectolitres (% du total des exportations entre parenthèses) Modelo (%) 1,63 (69,3) 1,70 (67,2) 2,08 (71,2) 2,89 (73,9) 3,72 (78,3) 4,99 (80,2) 6,46 (83,0) 7,55 (83,3) 8,55 (83,2) 9,99 (84.4) 11,12 (85.0) 11,82 (85.7) 12,23 (84,5) FEMSA-Cerveza (%) 0,72 (30,7) 0,83 (32,8) 0,84 (28,8) 1,02 (26,1) 1,03 (21,7) 1,24 (19,8) 1,32 (17,0) 1,51 (16,7) 1,73 (16,8) 1,84 (15.6) 1,96 (15.0) 1,98 (14.3) 2,24 (15,5) Total 2,35 2,53 2,92 3,91 4,75 6,23 7,78 9,06 10,28 11,83 13,08 13,80 14,47 Sources : Grupo Modelo, Rapport annuel 2001 (pour 1992 à 2000) et 2004; FEMSA, Rapport annuel 2000 (pour les chiffres de 1995 à 2000) et 2004; VISA, ADR 1998 pour les années 1992-1994. En observant le tableau 6.4 et la figure 6.2, nous remarquons plusieurs tendances intéressantes : 1) non seulement les exportations de Modelo sont-elles plus importantes que celles de CCM, mais leur croissance est plus rapide celles de CCM ; 2) depuis 1992, la part des exportations dans la production totale croît sans cesse pour Modelo alors qu’elle fluctue dans le cas de CCM ; 3) les exportations occupent une place de plus en plus importante dans la production totale des deux entreprises, en particulier pour Modelo qui voit sa part des exportations sur la production totale quadrupler, alors que la part des exportations sur la production totale de CCM double à peine ; 4) la part de marché de Modelo en matière d’exportation croît alors que celle de CCM décroît ; 5) le boom des exportations débute en 1995,315 ce qui laisse croire que les alliances stratégiques avec les partenaires du Nord commencent à porter fruits. Quels sont les résultats de l’internationalisation des brasseries mexicaines ? De prime abord, le développement international de Modelo et de CCM est exclusivement basé sur les exportations, aucune des deux entreprises n’établissant de filiale à l’étranger ou accordant de licences à des brasseries étrangères. La production internationale cède le 315 Compte tenu de ses chiffres plus que modestes, on peut penser que FEMSA connaît une bonne année en matière d’exportations en 1995. Toutefois, les chiffres diminuent en 1996. Le point 5 ne s’applique donc pas totalement à FEMSA. 226 pas à l’exportation, car les brasseries semblent posséder des avantages marqués à produire localement puis à exporter par la suite. La totale intégration verticale des brasseries facilite la production nationale, tandis que le manque de ressources financières, comparativement aux autres BMN, constitue un handicap quant à l’établissement ou à l’achat d’unités productives à l’étranger.316 À l’aube des années 1980, les exportations du Mexique n’atteignent pas le demimillion d’hectolitres, ce qui ne permet même pas au pays de se classer parmi les dix premiers pays exportateurs de bières. La situation est radicalement opposée à la fin des années 1990, alors que le pays se trouve en troisième position des pays exportateurs, avec 9 millions d’hectolitres, derrière les Pays-Bas (12 millions d’hectolitres) et l’Allemagne (9,2 millions d’hectolitres) (Toronto Star, 02/01/2001). En 2003, le Mexique est devenu le premier exportateur de bières au monde, surpassant les Pays-bas. Du point de vue des brasseries elles-mêmes, Modelo occupe une part sans cesse croissante des exportations mexicaines (tableau 6.2). Entre 1992 et 2003, les parts de Modelo passent de 69,3% à 85,7%. En chiffres absolus, c’est presque 12 millions d’hectolitres qu’exporte l’entreprise, la quasi-totalité des exportations des Pays-Bas. 316 La politique de non-endettement de la firme limite sa marge de manœuvre. La quasi-totalité des profits étant réinvestis dans l’amélioration des installations au Mexique, Modelo ne chercherait pas à produire à l’étranger. 227 Figure 6.2 Part des exportations des brasseries mexicaines dans la production totale, 1981-2003 (en %) 30 25 (%) 20 15 10 Modelo CCM 5 19 81 19 83 19 85 19 87 19 89 19 91 19 93 19 95 19 97 19 99 20 01 20 03 0 Année Sources : 1980-1992: Bear Stearns, The Mexican Beer Industry, Special Report, Emerging Markets Equity Research, New York, 1994; 19932003: Modelo et CCM, Rapports annuels, plusieurs années. L’année 1987 semble constituer une anomalie, mais ce n’est pas le cas. Elle s’explique par la très forte hausse des exportations de Grupo Modelo et sa position de plus en plus dominante sur le marché national. Les exportations mexicaines triplent entre 1985 et 1987, alors que la production totale n’augmente que de 4,8%. Les exportations absorbent non seulement la hausse de la production totale, mais pallient la diminution de la consommation interne (de 26,4 à 25,8 millions d’hectolitres). À partir de 1988, la consommation nationale croît de nouveau (28,7 millions d’hectolitres) ce qui réduit la part des exportations. Par ailleurs, les exportations jouent un rôle de plus en plus important pour l’industrie brassicole mexicaine. Cela s’avère encore plus vrai pour Modelo qui connaît deux périodes distinctes de hausse de la part des exportations. Entre 1981 et 1987, les exportations passent de 0,1% à 15,8% de la production totale de l’entreprise (figure 6.2). Après une baisse entre 1988 et 1991, la part des exportations augmente de nouveau, passant de 7,4% à 28,2% entre 1991 et 2003 (figure 6.2). En ce qui concerne CCM, durant la même période, les exportations représentent 3,6% et 8,1% des ventes totales de l’entreprise. 228 Pour les deux entreprises, les marchés extérieurs prennent une importance croissante vis-à-vis du marché national. Tant pour CCM que Modelo, la part des exportations sur la production nationale augmente fortement jusqu’en 1987 puis diminue pendant les quatre années suivantes. À partir de 1991, elle augmente de nouveau, et ce, jusqu’à 2003. Cependant, cette tendance est nettement plus marquée pour Modelo que pour CCM. En outre, et comme il sera montré par la suite (cf. chapitre 7), cette projection internationale augmente davantage les revenus des deux firmes puisque les bières vendues à l’étranger le sont à un prix beaucoup plus élevé qu’au Mexique. En somme, l’augmentation de la part des exportations sur la production nationale apparaît comme une stratégie de maximisation des revenus des brasseries. 6.1.2.2 Entre le discours et la réalité Alors que les dirigeants de CCM et Modelo considèrent que la globalisation joue un rôle fondamental dans leurs stratégies d’internationalisation, cela ne semble pas être le cas lorsqu’on analyse les résultats au cours des années 1990. On peut même affirmer que l’importance relative des marchés hors Amérique du Nord diminue au fil de la décennie. En effet, si Modelo et CCM exportent de plus en plus vers les marchés internationaux, la part des exportations vers l’Amérique du Nord croît plus rapidement. Bien que les exportations vers les États-Unis reculent par rapport au reste du monde à la fin des années 1980 et au début des années 1990, elles reprennent une tangente ascendante dans la seconde moitié des années 1990. Ainsi, pendant que la tendance à la hausse des exportations mexicaines reprend au début des années 1990, la part destinée aux États-Unis diminue assez rapidement. D’un sommet de 97,2% en 1987, les États-Unis ne représentent plus que 77,7% des exportations mexicaines en 1993 ; le Royaume-Uni (6,8%), la Belgique (3,7%), le Canada (2,2%), et le Japon (2,1%) deviennent des marchés importants pour CCM et Modelo (Expansión, 12/10/1994). Toutefois, moins de dix ans plus tard, la tendance s’est inversée. Les exportations à destination de l’Amérique du Nord passent de 80% à 89,1% au début des années 2000 (ANAFACER, 2004b). Le cas de l’Europe est particulièrement intéressant pour l’étude de l’internationalisation des brasseries mexicaines. CCM, Cuauhtémoc avant elle, 229 exportent sur le continent avant la poussée des années 1990. Suite à la diversification de ses exportations, la firme augmente sa présence en Europe, avec une attention particulière à la Grande-Bretagne (cela explique pourquoi ce pays reçoit 6,8% des exportations mexicaines en 1993). En 1997, alors que s’amorce le recentrage de la stratégie de la firme autour des États-Unis, l’entreprise abandonne sa politique d’expansion au profit d’une stratégie centrée autour des marchés-clés. Modelo adopte une approche différente. Contrairement à CCM toutefois, les activités de la firme en Europe sont coordonnées par deux bureaux, l’un en Espagne l’autre en Belgique. En 1992, Modelo double ses exportations vers l’Europe, celles-ci passant de 1,5 à 3 millions de caisses (BW, 01/04/1993).317 Deux des grandes difficultés auxquelles sont confrontées les brasseries concernent le coût des bières mexicaines de même que les préférences des consommateurs européens. Compte tenu de la stratégie de production nationale qu’adoptent Modelo et CCM, cela entraîne des coûts de transport supérieurs aux brasseries européennes et autres BMN, ce qui se reflète sur les prix de vente. Par ailleurs, la nature des marchés européens, où l’on retrouve une plus grande variété de bières, et les habitudes de consommation qui en découlent, produit une plus grande segmentation des marchés (Business Mexico 01/12/2001). Tout comme pour le marché mexicain, les marchés nationaux, tant en Europe qu’en Asie ou en Amérique du Sud, possèdent de fortes barrières à l’entrée. Ces barrières sont soient conjoncturelles318 ou structurelles (des infrastructures nationales, un réseau de distribution tant national que régional, les coûts de transport, etc.). C’est en partie pour limiter les effets de ces barrières que Modelo établit plusieurs bureaux à l’étranger. En somme, deux régions, l’Amérique du Nord et l’Europe, concentrent la quasitotalité des exportations mexicaines, ce qui laisse un rôle plutôt marginal aux autres 317 D’environ 120 000 à 245 000 hl. L’Autriche, la Suisse et l’Allemagne ont notamment fermé l’accès de leur marché à Corona Extra, alléguant que la bière contenait un trop fort niveau de nitrosamines, une substance cancérigène. De plus, la compagnie dut faire face à de nombreuses plaintes de concurrence déloyale logées par des brasseries allemandes (BW, 01/04/1993). 318 230 régions de la planète. Et même la part des exportations destinée au marché européen baisse durant la seconde moitié des années 1990. La perte d’importance des marchés internationaux durant cette période résulte surtout du retour de la croissance des exportations vers les États-Unis et l’attention particulière qu’y accordent les brasseries mexicaines. En outre, l’accès au marché américain, en plus d’être plus profitable que les autres, y est beaucoup plus facile, tout en étant moins coûteux, tant en terme de temps, d’argent que d’apprentissage des divers marchés nationaux (Expansión, 22/08/2001). Le triple mouvement de régionalisation, de globalisation puis de retour sur la régionalisation que suivent les brasseries mexicaines pose la question de l’impact de la géographie et de la distance sur les exportations des brasseries mexicaines. Une récente littérature s’est développée étudiant l’importance de la distance (Coughlin, 2004 ; Carrère et Schiff, 2004 ; Wall, 2003 ; Cairncross, 1997; Berthelon et Freund, 2004; Brun et al., 2005; Hummels, 1999) sur les échanges. Le concept de distance des échanges (DDE) s’est ainsi développé afin de rendre compte de l’impact de la géographie sur les échanges commerciaux.319 Malgré la diminution des coûts de transports et d’accès à l’information, ce qui aurait pu laisser croire à la perte d’importance de la proximité géographique (Cairncross, 1997; Berthelon et Freund, 2004), “the death of distance” dans la littérature, et donc une augmentation des échanges avec des pays de plus en plus éloignés, on remarque qu’en fait la DDE entre les nations s’est réduite depuis les années 1960 (Carrère et Schiff, 2004). Bien que la fragmentation de la production s’accroisse depuis les années 1980, résultat des transformations des modes de gestion des entreprises, ces dernières maximiseront leurs gains de productivité en s’établissant ou en réalisant une partie de la production à proximité des marchés finaux (Coughlin, 2004). 319 La distance des échanges renvoie à la distance moyenne que parcourt le commerce international d’un État à un autre. Il permet d’appréhender la distribution géographique et l’intensité des échanges d’une nation : plus la distance des échanges est faible, plus le pays commerce avec des partenaires géographiquement rapprochés ; plus la distance est grande, plus les marchés sont éloignés (Coughlin, 2004). 231 La réduction de la DDE, que Cook et Kirkpatrick (1997) qualifient de distance économique entre les nations, résulte de plusieurs facteurs. Les coûts de transport, les accords commerciaux régionaux,320 le différentiel de croissance du revenu national, la fragmentation de la production internationale ainsi que le commerce contre-saisonnier constituent les principales variables explicatives de cette baisse de la DDE (Coughlin, 2004 ; Carrère et Schiff, 2004).321 Par ailleurs, une autre partie de la littérature s’intéresse davantage au contenu de ce qui est échangé (Berthelon et Freund, 2004), aux coûts des échanges (Hummels, 1999 et 2001) ainsi qu’au facteur temporel (Evans et Harrigan, 2003) dans l’étude de la DDE. Dans le premier cas, on étudie avant tout la sensibilité (sensitivity) des biens à la distance ainsi que les industries les plus affectées par une variation de la DDE. Les variations dans la DDE des États résulteraient avant tout de l’évolution de certaines industries et non pas de l’ensemble de l’économie nationale.322 En outre, les biens homogènes, tels que la bière, seraient deux fois plus influencés par la sensibilité de la distance que les biens différenciés. Dans le second cas, on explique les variations des échanges en étudiant l’évolution du coût des transports de marchandises ainsi que les transformations des modes de transport.323 En ce qui concerne le facteur temps, il 320 La prise en compte des accords d’intégration régionale influence négativement la distance des échanges. En altérant la distribution spatiale des clients et fournisseurs des firmes, ainsi qu’en multipliant les possibilités de localisation de ces dernières à l’intérieur de la zone, ces accords transforment la direction des échanges en faveur des pays membres (Wall, 2003). On rejoint ici l’argument traditionnel du détournement de commerce qu’induisent les accords. 321 Les auteurs n’accordent pas la même importance à chacun des facteurs explicatifs. Si on reconnaît que la diminution des coûts de transport, résultat du développement de la containerisation, de l’assouplissement des réglementations nationales et de la baisse des prix de l’énergie, explique en partie la baisse de la DDE, les autres facteurs ne donnent pas lieu à un tel consensus. Coughlin (2004) et Wall (2004), par exemple, soulignent le rôle-moteur des accords d’intégration régionaux. L’élimination des barrières tarifaires entre les pays membres pousserait ceux-ci à accroître leurs échanges commerciaux, réduisant ainsi leur DDE. Toutefois, Carrère et Schiff (2004) montrent que la DDE des pays participant à des accords d’intégration régionale diminue plus lentement que pour les pays ne participant à aucun accord. 322 Berthelon et Freund (2004) notent que malgré un accroissement de la sensibilité à la distance d’un faible pourcentage des industries, environ 25% d’entre elles, l’importance de la distance des échanges n’a pas évolué significativement depuis les années 1980. 323 Les coûts de transport constituent un aspect fondamental du commerce international, bien que la littérature ne soit pas très développée à ce sujet. Si des études ont été réalisées sur les coûts par avion et par bateau, les coûts reliés au transport terrestre sont plus difficiles. Malgré de multiples innovations technologiques (particulièrement la containerisation), les tarifs du fret maritime n’ont pas décru depuis la Deuxième Guerre mondiale ; ils fluctuent selon les périodes. Alors que le fret aérien a considérablement progressé durant la période, les tarifs diminuent fortement (Hummels, 1999). En ce qui concerne les coûts du transport terrestre, peu d’études permettent d’évaluer leur évolution durant la même période ; toutefois, Hummels estime qu’ils ont passablement baissé, notamment aux États-Unis. 232 affecte non seulement la distance des échanges, mais plus généralement le mode d’organisation des entreprises. Le remplacement d’une gestion taylorienne par le “juste à temps” implique une plus grande proximité des sous-traitants, réduisant ainsi la distance que parcourent les marchandises. La production, de même que la distribution/livraison, sont ainsi affectées par la variable temporelle. Ces transformations permettent également aux détaillants de maintenir des stocks moins élevés tout en répondant rapidement à la demande (Evans et Harrigan, 2003; Coughlin, 2004). L’utilisation du concept de distance des échanges dans le cas des brasseries mexicaines nous aide à mieux saisir l’évolution des exportations de bières mexicaines. Bien que Modelo et CCM soutiennent que la globalisation représente le facteur le plus important de leur internationalisation (Salinas Arrumbide, 13/05/2002; Abasolo, 14/05/2002; Sánchez Navarro, 04/06/2002; Díez Morodo, 22/01/2003), une analyse plus approfondie de leur organisation et des statistiques disponibles montre une dépendance grandissante vis-à-vis l’Amérique du Nord. Bien que les quantités et les montants soient minimes, au début des années 1980, la distance des échanges des bières mexicaines tend à s’accroître (tableau 6.1 et figure 6.1). La fin des années 1980 et le début des années 1990 voient une plus grande diversification des exportations et, par conséquent, une augmentation de la DDE. Toutefois, à partir de la seconde moitié des années 1990, la tendance se renverse. L’Amérique du Nord accapare une part de plus en plus importante des exportations mexicaines de bière, réduisant la DDE (tableau 6.4 et ANAFACER, 2004b).324 Comme le remarque l’ANAFACER (2004b), malgré la multiplication des accords de libre-échange que signe le Mexique, les exportations des brasseries demeurent concentrées sur l’Amérique du Nord. Les deux sections suivantes nous permettront de comprendre cette évolution en analysant comment chaque firme initie et organise son internationalisation. 324 Dans le cas de CCM, par exemple, 72% de ses exportations étaient à destination des États-Unis en 1996 ; en 1998, ce sont 84,5% des exportations qui vont aux États-Unis, alors qu’en 2001 l’Amérique du Nord accapare 90,3% des exportations de la firme (FEMSA, RA plusieurs années). 233 6.2 Grupo Modelo : l’expansion internationale 6.2.1 Les débuts de l’aventure exportatrice Bien que les premières exportations de Modelo vers les États-Unis datent des années 1940, ce n’est qu’à la fin des années 1970 que celles-ci se convertissent en un élément central de la stratégie de développement de l’entreprise. Les dirigeants de Modelo notent que de nombreux vacanciers retournent vers le Nord en y emportant des bouteilles. Ils remarquent également que de nombreux détaillants américains achètent de grandes quantités de Corona et les revendent par la suite aux États-Unis (Expansión, 21/07/1999; BI, 01/02/2001). C’est afin de profiter de ce marché potentiel que Modelo crée le département des exportations en 1979.325 Au cours des premières années, les exportations s’élevèrent à environ 20 000 caisses (BI, 01/02/2001). Lors de cette phase initiale, Modelo doit faire face à plusieurs problèmes, certains commerciaux, d’autres politiques. L’entreprise ne possède aucune expérience des marchés internationaux ni des stratégies habituellement utilisées par les brasseries afin de pénétrer un marché étranger. De plus, en corollaire à cette méconnaissance de l’aspect international de cette industrie, les bières de la compagnie sont totalement méconnues internationalement, sauf pour les gens ayant visité le Mexique. Par ailleurs, la compagnie doit également faire face à des barrières tarifaires et nontarifaires (Expansión, 21/07/1999). Afin de surmonter ces problèmes, l’entreprise débute par des tests de goût en Californie, un état ayant un fort pourcentage de Mexicains d’origine, donc habitués à Corona Extra. Suite à cette expérience concluante, Modelo lance officiellement Corona Extra à Austin, au Texas, en 1981.326 Durant cette première phase aux ÉtatsUnis, la firme se concentre sur les états de l’Ouest, là où la population d’origine mexicaine est forte. Ainsi, outre le Texas, la firme introduit sa bière en Californie, au Nouveau-Mexique et en Arizona (Expansión, 21/07/1999; BI, 01/02/2001). 325 Avant cette date, les exportations de Modelo ne résultaient pas d’une stratégie clairement définie par l’entreprise. Il s’agissait avant tout de quantités négligeables résultant d’importations individuelles de distributeurs américains sans aucun lien avec la compagnie. 326 Bien que Modelo exporte cinq des dix marques qu’elle produit, Corona Extra représente plus de 90% de ses exportations. En fait, il existe une telle identification de Corona Extra à l’entreprise que nous utiliserons parfois la marque dans la description des activités de la firme. 234 Après des débuts plutôt modestes, les ventes de Corona Extra explosent entre 1985 et 1987 : en 1985, Modelo exporte un peu moins de 0,5 million d’hectolitres ; deux ans plus tard, c’est 2,1 millions d’hectolitres qui sont exportées, la quasi-totalité vers les États-Unis (tableau 6.1). Les ventes sont telles que Corona Extra se retrouve en deuxième position des bières importées en 1986, position qu’elle conservera jusqu’en 1997, alors qu’elle dépassera Heineken pour se convertir en la bière importée la plus populaire aux États-Unis. Toutefois, le succès de Modelo, qui apparaît inexplicable aux yeux des experts, entraîne une conséquence non prévue. Des rumeurs surgissent à partir de 1986 à l’effet que l’eau mexicaine n’est pas pure (BI, 01/02/2001) et que Corona Extra contient un produit cancérigène (Solas-Porras, 1998). Bien que Modelo prenne les moyens afin de contrecarrer ces rumeurs, le mal est fait. À partir de 1988, les exportations de Modelo vers les États-Unis diminuent, résultat des rumeurs et du ralentissement économique que connaît ce pays, et ce jusqu’en 1991. Il faut toutefois remarquer que si les exportations de Corona Extra baissent durant ces années, ce n’est pas uniquement dû aux rumeurs concernant la qualité du produit. En effet, c’est l’ensemble du segment des bières importées qui perd de la popularité durant cette période (cf. chapitre 5). En outre, en ce qui concerne Corona Extra, la loyauté des consommateurs envers la marque, l’une des clés du succès de l’industrie brassicole à travers le monde, n’était pas aussi forte qu’il n’en paraissait (BI, 01/02/2001). D’une certaine façon, le développement fulgurant de Modelo aux États-Unis entre 1985 et 1987 prend tous les observateurs par surprise, car la croissance de Corona Extra est allée à contre-courant des stratégies traditionnelles de lancement de nouvelles marques. Au lieu de miser sur une forte campagne publicitaire, Modelo préfère s’appuyer sur le bouche à oreille, la forte base de Mexicains d’origine et la présentation directe de sa bière. Durant sa première phase d’expansion internationale, la régionalisation joue un rôle fondamental dans la stratégie de Modelo. En effet, de 1979 à 1987, l’entreprise ne pénètre que les marchés américain et canadien. La stratégie de Modelo peut être qualifiée de consolidation offensive dans la mesure où l’entreprise cherche avant tout 235 à généraliser sa présence aux États-Unis et à trouver de nouveaux débouchés pour ses bières. En outre, la crise que connaît le Mexique à cette époque facilite ce choix. Il permet à la compagnie de réduire sa dépendance vis-à-vis d’un marché national en perte de vitesse, où les revenus, malgré des niveaux de ventes élevés, ne correspondent pas aux attentes, résultat des dévaluations des années 1980. Le processus de globalisation de la brasserie s’amorce à partir de la seconde moitié des années 1980. Entre 1987 et 1996, Modelo pénètre 122 marchés (Herrero, Massaro et Deshpandé, 2001). L’expansion débute par l’Asie, alors que l’entreprise pénètre en Australie, au Japon et en Nouvelle-Zélande en 1987. En 1989, ce sera au tour de la France, de la Grande-Bretagne et de l’Italie, notamment. Au total, Modelo exporte dans plus de 150 pays à travers le monde, et ce, sur les cinq continents. Le développement international de Modelo l’oblige à une surveillance constante de ses intérêts légaux à l’étranger. Si dans certains cas elle agit à travers l’ANAFACER, en d’autres occasions, l’entreprise se charge de régler les conflits elle-même. À titre d’exemple, la firme poursuit la brasserie russe Rosar en 1999 pour une utilisation frauduleuse de la marque Corona (Infolatina, 26/08/1999). L’une des raisons majeures expliquant le succès international de Modelo est la structure organisationnelle qu’a mise en place l’entreprise. Étant donné qu’elle ne produit pas à l’étranger, mais qu’elle exporte la totalité des bières qu’elle vend hors du Mexique, il s’avère nécessaire pour la compagnie d’avoir une présence physique hors de ses frontières. 6.2.2 Une structure organisationnelle couvrant le monde L’organisation internationale de Modelo couvre plusieurs facettes. Il y a tout d’abord le département international.327 Celui-ci dirige l’ensemble des activités internationales de la firme, de l’exportation à la relation avec les distributeurs. Afin de soutenir le 327 Jusqu’à sa retraite en mai 2004, le département international était lié au département des ventes à travers Valentin Diez Morodo, vice-président ventes et marketing et PDG du secteur international. 236 travail du département international, six bureaux sont établis à l’étranger.328 Outre les bureaux, on retrouve les importateurs, les distributeurs/grossistes et les détaillants. Figure 6.3 L’organisation internationale de Grupo Modelo Modelo Bureaux à l’étranger Importateur/ distributeur Détaillant Depuis le milieu des années 1980 et au fil de son expansion internationale, Modelo a établi six filiales à l’étranger et une filiale au Mexique afin de faciliter l’exportation et la distribution de ses bières.329 Procermex est le premier bureau établi à l’étranger (San Antonio, Texas) et le modèle sur lequel se base Modelo afin de construire son réseau international (Latin Trade, octobre 1998). Modelo initie les opérations de ce bureau en 1985 avec comme objectifs d’assurer la coordination des ventes, des licences et du marketing des marques de la firme en liaison avec les importateurs, les grossistes et les détaillants d’une part, et d’unifier l’image et le message de la compagnie, d’autre part. L’expérience de Procermex ayant été très concluante, Modelo établit cinq autres bureaux à travers le monde : Eurocermex (Bruxelles, 1989) pour l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient, Iberocermex (Madrid) pour l’Espagne, Asiacermex (Singapour et 328 Nous établissons une distinction entre les bureaux et les filiales à l’étranger. Dans le premier cas, il s’agit simplement d’une représentation de la firme, sans activité de production. Dans le second cas, une filiale implique le contrôle d’au moins 10% d’une entité juridique étrangère par l’entreprise d’origine (WIR, 2003). Qu’il s’agisse d’un subsidiaire, d’une branche ou d’un associé, un deuxième élément doit être présent : l’existence une activité productive. 329 Modelo a mis sur pied Patentes y marcas para promoción de exportaciones y Ca, S. en C. de C.V. (Pamapromex) au Mexique afin de veiller à la bonne utilisation des marques et logotypes de la compagnie auprès des distributeurs autorisés. 237 Corée du Sud) pour l’Asie et l’Océanie, Latincermex (Costa Rica et Buenos Aires) pour l’Amérique latine et Canacermex (Montréal, 1999) pour le Canada.330 En ce qui concerne les importateurs et distributeurs, Modelo choisit généralement un importateur exclusif par pays. Celui-ci fait aussi office de distributeur sur son territoire dans la majorité des cas. En plus d’importer les bières depuis le Mexique, l’importateur distribue ces produits ou sert de liaison avec les grossistes selon les marchés. De plus, il participe conjointement avec Modelo et la filiale à laquelle il se rapporte à l’élaboration de la publicité et du marketing des bières de Modelo. À l'inverse du modèle présenté plus haut, l’organisation diffère dans le cas du Canada et des États-Unis. En effet, Modelo fait affaire avec deux importateurs dans les deux pays. Aux États-Unis, il s’agit des compagnies Barton et Gambrinus, alors qu’au Canada, Molson et The Mark Anthony Group se partagent le territoire. Contrairement aux autres grandes BMN présentes sur le marché américain, Modelo décide très rapidement de faire appel à deux importateurs. Alors que Barton est importateur des bières de Modelo depuis 1979, l’explosion des exportations aux États-Unis à partir de 1985 entraîne la nécessité d’un second importateur. C’est ainsi qu’en 1986, un haut dirigeant de Modelo, Carlos Alvarez, quitte l’entreprise et fonde Gambrinus, une compagnie chargée de l’importation et de la distribution des bières de Modelo. Les deux importateurs se divisent géographiquement les États-Unis, Barton étant en charge des états de l’Ouest, alors que Gambrinus s’occupe du Texas et des états de l’Est.331 Dans l’ensemble, les importateurs font affaire avec plus de 800 distributeurs répartis à travers les ÉtatsUnis. Les avantages d’une telle stratégie sont multiples pour la brasserie : l’exclusivité territoriale permet à chaque distributeur de concentrer ses efforts sur son territoire. 330 Il n’existe pas de justificatif économique ou commercial expliquant la création d’Iberocermex sinon le lien historique unissant les fondateurs et les principaux actionnaires actuels de Modelo à l’Espagne. 331 Il est à souligner qu’en 1996, Modelo a renouvelé son entente avec chacun des importateurs pour une période de dix ans, deux fois plus longtemps que les normes habituelles de l’industrie. Cette décision mettait un terme aux rumeurs voulant qu’Anheuser-Busch devienne l’importateur des produits Modelo. 238 Les États-Unis étant trop grands pour qu’un seul importateur soit suffisamment efficace, il devient plus avantageux pour la brasserie de faire appel à deux entreprises (BI, 01/02/2001).332 Durant les deux périodes d’expansion de Modelo aux ÉtatsUnis,333 cette stratégie a permis à la fois de consolider les marchés régionaux acquis aux bières de Modelo, notamment la Californe et le Texas, et de pénétrer de nouveaux marchés. En plus de leur relation avec Procermex, Barton et Gambrinus maintiennent un lien direct avec les 8 usines de Modelo. Cela leur permet de s’assurer un approvisionnement constant et varié de bières en provenance du Mexique. Les importateurs soulignent que le système de distribution de Modelo fonctionne de la même manière que celui des grandes brasseries domestiques américaines : ils s’assurent que les territoires de chaque grossiste possède soient exclusifs ; ils recueillent les commandes des grossistes ; ils transmettent leurs commandes aux brasseries ; finalement, ils reçoivent la bière en provenance du Mexique (BI, 01/02/2001). Bien qu’ils soient indépendants l’un de l’autre, Barton et Gambrinus parlent d’une voix unifiée lorsqu’il s’agit d’établir la stratégie de Modelo aux ÉtatsUnis.334 Alors que les dépenses de publicité, qui sont assumées conjointement par Modelo et ses importateurs, sont très faibles entre 1985 et 1987, elles augmentent sensiblement au fil des années 1990 et se chiffrent à environ 35 millions de dollars en 2002 (AP Worldstream, 21/07/2003 et tableau 6.5). 332 Les importateurs jouent un rôle fondamental dans le développement des produits de Modelo. Cependant, ils ne sont pas limités aux seules marques de la brasserie mexicaine. Ainsi, Gambrinus s’est-elle développée en acquérant des microbrasseries et en important d’autres bières étrangères telles que la canadienne Moosehead. Du côté de l’importateur de CCM aux États-Unis et au Canada, Labatt, celui-ci possède l’un des plus grands portefeuilles de marques en Amérique du Nord grâce à son association avec Interbrew. 333 Sur la deuxième période d’expansion de Modelo aux États-Unis, cf. 6.2.3. 334 Il existe un certain niveau de coordination entre les deux firmes, notamment en ce qui concerne le message que désire véhiculer Modelo et les campagnes publicitaires qu’ils produisent (AP Worldstream, 21/07/2003). 239 240 388,6 États-Unis 2,25 5,27 4,96 11,16 7,44 666,3 1985 46,7 38,8 7,3 3,4 3,81 16,12 20,15 5,58 4,03 613,3 1990 14,3 10,5 9,1 2,9 3,26 5,27 4,96 8,37 1,86 ND 20021 69,4 25,0 2,6 36,7 20041 70,5 35,8 11,3 51,4 ND 13,15 5,72 3,63 4,34 ND3 ND3 12.77 6.98 16.24 5.75 ------ Compagnie Heineken Labatt USA Beck’s Modelo 1: Pour les années 2002 et 2004, les données concernent les compagnies à droite. 2 : Entre 1980 et 1990, l’Allemagne réfère à l’Allemagne de l’Ouest. 3 : Les données globales ne sont pas disponibles pour l’ensemble des brasseries américaines mais nous disposons des coûts publicitaires pour les trois principales brasseries, Anheuser-Busch, Miller et Coors : 4,15$ et 4,44$ pour Anheuser-Busch; 7,05$ et 7,41$ pour Miller; 9,19$ et 7,35$ pour Coors. Sources : 1980-1990 : Impact Databank, The US Beer Market. Impact Databank Review and Forecast, 1991 Edition, New York: M. Shanken Communications, 1991; 2002 et 2004 : BMI, 2005 Beer Industry Update. A Review of Recent Developments, West Nyack, New York : Beer Marketer’s Insights, 2005a 1980 9,2 7,5 5,3 2,4 Dépenses publicitaires des bières étrangères aux États-Unis, par pays d’origine, 1980-2004 (en millions de dollars et en dollars par baril) Pays Pays-Bas Canada Allemagne2 Mexique Tableau 6.5 Si, au début des années 1980, les dépenses publicitaires des brasseries mexicaines sont dans la moyenne des dépenses publicitaires des brasseries étrangères, à partir du milieu de la décennie, elles sont moindres que leurs principales concurrentes. Les dépenses publicitaires par baril diminuent de 7,44$/baril en 1980 à 4,03$/baril en 1985, puis à 1,86$/baril en 1990 (tableau 6.5). Cette tendance résulte de la forte augmentation des exportations mexicaines vers les États-Unis (cf. tableau 6.1), ce qui réduit les dépenses par baril. On constate également que les brasseries mexicaines dépensent moins que les brasseries américaines en 1990. Lorsque l’on consulte les données désagrégées, soit en 2002 et 2004, la comparaison entre les dépenses publicitaires des brasseries mexicaines et leurs concurrentes étrangères et américaines montre deux tendances. D’une part, les dépenses de Modelo demeurent relativement faibles vis-à-vis ses concurrentes étrangères.335 D’autre part, comparativement aux dépenses des brasseries américaines, les dépenses de Modelo sont un peu plus faibles qu’Anheuser-Busch, mais nettement inférieures à celles de Miller et Coors. L’effet de taille jouerait en faveur d’Anheuser-Busch vis-à-vis de Miller et Coors.336 Étant donné qu’elles ne bénéficient pas des avantages de tailles que possèdent leurs concurrentes américaines, les brasseries mexicaines ne sont pas obligées de dépenser d’importantes sommes publicitaires, ce qui limite les coûts par baril. Dans le cas du Canada, The Mark Anthony Group est le premier importateur de Modelo en 1986, couvrant la Colombie-Britannique et l’Ouest du pays. En avril de la même année, l’entreprise s’associe avec Molson afin de former une joint-venture, Santa Fe Beverage Co., pour la distribution de Corona Extra dans l’Est du Canada (Canadian Business, 01/08/1989). Suite à la séparation de Molson et The Mark 335 Labatt USA est un cas particulier puisque la firme importe à la fois les produits de Labatt (Canada) et de CCM. Les données ne permettent pas de déterminer les dépenses spécifiques pour chaque brasserie. 336 L’effet de taille dans ce cas-ci résulte de l’avantage d’Anheuser-Busch au niveau de ses coûts par baril, tant en matière de production que de distribution ou de dépenses publicitaires. L’entreprise, de par une domination du marché américain, bénéficie de plus grandes économies d’échelles que ses concurrentes. Cela est particulièrement vrai vis-à-vis Coors étant donné que cette dernière ne faisait pas partie d’un conglomérat comme Miller (Philip-Moris) (BW, 15/02/2002). 241 Anthony Group,337 les deux entreprises se partagent l’importation et la distribution des bières de la brasserie mexicaine. Tout comme dans le cas des importateurs américains, les importateurs canadiens participent à l’élaboration de la communication et du marketing de Modelo au Canada à travers les diverses campagnes publicitaires qu’elles mènent. 6.2.3 Concentration des exportations sur l’Amérique du Nord Depuis le début des années 1990, Modelo adopte une vision globale, ce qui a provoqué l’établissement d’une structure organisationnelle couvrant la planète. En ce sens, les exportations jouent un rôle de plus en plus important depuis que l’entreprise choisit d’accorder une attention particulière à cet aspect des affaires. Cependant, et bien que la globalisation constitue l’influence la plus importante sur la firme depuis ce virage “global”, l’Amérique du Nord demeure le cœur de l’activité internationale de la firme. En fait, lorsque l’on observe l’évolution des statistiques de la compagnie depuis 1990, on remarque que le Canada, mais encore davantage les États-Unis, concentrent une part de plus en plus importante de l’activité de Modelo. Si la décennie marque la globalisation de la marque Corona Extra, elle représente également une période où s’accroît la dépendance de Modelo par rapport au marché nord-américain, surtout les États-Unis. En fait, Modelo se trouve dans une situation à la fois avantageuse et problématique. Alors que la croissance de l’entreprise dépend de plus en plus des marchés d’exportation, le marché domestique demeure largement fermé, ce qui confère un avantage appréciable à la firme. Néanmoins, l’internationalisation de la firme repose avant tout sur un marché important, les États-Unis, ce qui provoque une grande dépendance de la firme aux événements et tendances traversant ce pays. Les exportations de Modelo aux États-Unis connaissent d’importantes variations entre 1985 et 2003. Dans un premier temps, la firme, qui profite de la mode yuppie, voit ses exportations croître très rapidement, alors qu’elles atteignent 23 millions de caisses en 1987 (Brandweek, 20/11/1995). 337 En mars 1989, The Mark Anthony Group mettait fin à son association avec Molson au sein de la joint-venture, laissant à cette dernière l’exclusivité de l’Est du Canada. 242 Cette hausse prend d’ailleurs les experts complètement par surprise, car Modelo ne suit pas le modèle de développement traditionnel de l’industrie, soit de forts investissements en publicité. Pour plusieurs donc, la popularité de la Corona Extra ne devait être que passagère. Pendant quelques années, les experts semblent avoir raison puisque les exportations de Modelo chutent de 52% pour ne s’établir qu’à 11,8 millions de caisses en 1991 (Brandweek, 20/11/1995). Toutefois, le rattrapage s’avère spectaculaire : en 1994, soit trois ans après le plancher de 11,8 millions de caisses, les exportations augmentent de 25% ; de 1995 à 2000, la croissance des exportations de Modelo vers les États-Unis connaissent des taux de croissance annuelle variant entre 13 et 39% (Figure 6.4). Figure 6.4 Croissance des exportations de Modelo aux États-Unis, 1995-2000 (en %) 45 40 35 (%) 30 25 20 15 10 5 0 1995 1996 1997 1998 1999 2000 Source : Beverage World, 15/01/2002. Durant la seconde partie des années 1990 donc, l’Amérique du Nord concentre la quasi-totalité de l’accroissement des exportations de Modelo. Entre 1994 et 1998, la région reçoit 91,6% de la hausse des exportations de Modelo, comparativement à 4,5% pour l’Europe, 2,3% pour l’Asie et 1,6% pour l’Amérique latine (Latin CEO, 01/01/2000). Une des principales causes du retour en force de Corona Extra aux États-Unis est la décision de Modelo et des importateurs de ne pas répercuter le doublement de la taxe d’accises sur le prix de vente des bières de la firme. Cette décision s’avère coûteuse à court terme, puisqu’en 1991 Modelo voit ses ventes 243 diminuer (cf. tableau 6.1). À moyen et long terme toutefois, cette stratégie se révèle profitable puisque les ventes augmentent à partir de 1992. Ainsi, à partir de la seconde moitié des années 1990, le principal objectif de Modelo sur le marché américain est de dépasser sa principale concurrente, Heineken (Herrero Massaro et Deshpandé, 2001: 1). La régionalisation de Modelo passe également par la protection de son marché interne. Les dirigeants de la brasserie, craignant que l’ALENA puisse accroître la présence des bières américaines sur le marché mexicain, nouent une alliance avec Anheuser-Busch, le plus grand brasseur américain. La firme américaine acquiert 17,7% des actions de Modelo avec une option sur l’achat d’un bloc d’actions supplémentaires. Toutefois, cette alliance, si elle permet à la brasserie mexicaine de maintenir sa domination du marché mexicain constitue une erreur et ce, à un double niveau. D’une part, le prix auquel la brasserie américaine achète les parts de Modelo est nettement sous-évalué. Alors que l’alliance devait permettre l’acquisition de nouvelles technologies et faciliter les activités de la firme mexicaine aux États-Unis, cela ne se produit pas (Ortiz Rivera, 1997, Sanchez-Navarro, 04/06/2002).338 En ce qui concerne le Canada, les résultats semblent tout aussi impressionnants que pour les États-Unis, mais à une échelle réduite. Là aussi les exportations augmentent à un rythme très soutenu. Lancée en 1986 dans une seule province canadienne, Corona Extra double ses ventes en 1987, passant de 60 000 à 125 000 caisses (Canadian Business, 01/08/1989). En 1988, la marque pénètre en Ontario où elle connaît là aussi un succès immédiat, atteignant 230 000 caisses. Après le ralentissement de la fin des années 1980, les exportations connaissent une deuxième phase de croissance. En 1995, pour la première fois de son histoire, Corona Extra surpasse le million de caisses vendues au Canada. La croissance s’accélère par la suite : après une hausse de 40% des exportations entre 1996 et 1997, Corona Extra atteint les deux millions de caisses vendues en 1997. En 1998, profitant des assouplissements des politiques de distribution interprovinciales, 338 Moins d’un an après la vente des actions à Anheuser-Busch, les propriétaires de Modelo admettaient que cette transaction avait été une erreur. Compte tenu de la capitalisation de Diblo, Anheuser-Busch acquit ses actions à un prix de 17% inférieur à la valeur boursière (Infolatina, 14/09/1998). 244 les ventes progressent de plus de 30% (Grupo Modelo, RA 2000 à 2003). En 2001, c’est 4,1 millions de caisses de bières que Modelo exporte au Canada (Mendoza Núñez, 2003). D’une certaine façon, on peut avancer l’hypothèse que la croissance des exportations de Modelo vers les États-Unis au cours des années 1990 marque l’institutionnalisation de la Corona Extra dans ce pays. Bien que cette marque demeure fermement identifiée comme une marque étrangère, sa popularité, sa couverture géographique et son attrait à l’ensemble des consommateurs sont tels qu’elle va au-delà d’une bière importée. À partir de 1998, l’année suivant son accession au titre de bière importée la plus vendue, Corona Extra apparaît dans la liste des 10 bières les plus vendues aux États-Unis. Tout comme Budweiser au Canada, mais contrairement à la marque américaine qui est brassée par une brasserie canadienne, Corona Extra s’apparente de plus en plus à une marque nationale. Si cette tendance se maintient, la marque court le risque de perdre une partie de l’avantage que lui procure son statut de bière importée.339 Le parcours de Corona Extra aura surpris la quasi-totalité des experts. Lors de la première phase de croissance (1985-1988), personne ne s’attendait à ce qu’une bière en provenance du Mexique puisse se hisser parmi les premières bières importées en si peu de temps. On explique donc la forte chute des ventes entre 1989 et 1991 par ce qui avait fait la force de la marque : l’atmosphère des années 1980, la montée des modes passagères et l’absence d’une base de consommateurs loyaux à la marque.340 C’est pourquoi la montée de Corona Extra après 1991 demeure tout aussi surprenante : contrairement à presque toutes les bières importées aux États-Unis, Corona Extra, au lieu de poursuivre la tendance à la baisse, retrouve un second souffle et croît à des taux supérieurs à 20% jusqu’à la fin des années 1990. 339 Selon Abasolo (14/05/2002), la difficulté pour Corona Extra suite à son succès aux États-Unis et son statut de joueur important sur le marché domestique américain est que la marque cesse de concurrencer les bières importées et qu’elle doive entrer en concurrence contre les marques américaines afin de maintenir sa croissance. Si tel devait être le cas, la marque mexicaine ne disposerait ni du système de distribution, mais surtout de la capacité financière, afin de faire face à un tel défi. 340 Ainsi, la firme Impact Databank, dans ses prédictions pour les années 1990, en se basant sur les résultats de 1989 et 1990, prévoyait que les ventes de Corona Extra diminueraient de 13,1 millions de gallons en 1990 à 11,5 millions de gallons en 1991 pour ensuite se stabiliser autour de 12 millions de gallons jusqu’en 2000, très loin des chiffres réels (Impact, 1992). 245 6.3 Cerveceria Cuauhtémoc-Moctezuma : de l’internationalisation au recentrage sur les États-Unis Alors que Modelo voyait dans l’exportation de ses produits un moyen d’accroître ses ventes, ses profits et sa visibilité à travers l’Amérique puis le reste du monde, FEMSA se porte son attention principalement sur le marché mexicain. Il ne faut pas oublier que, jusqu’en 1985, ce sont deux entreprises indépendantes qui font face à Modelo; par la suite, la nécessité d’intégrer les deux compagnies force la nouvelle entreprise à se concentrer sur le marché intérieur. Ce n’est qu’après la fusion que CCM accorde une importance stratégique à l’internationalisation, mais cette projection internationale demeure nettement plus faible que sa concurrente. 6.3.1 L’organisation du secteur international de CCM Cuauhtémoc et Moctezuma exportent aux États-Unis dès les années 1930. Les deux firmes exportent également vers d’autres marchés étrangers, mais les quantités demeurent négligeables (Alessio Robles, 1968). Après la période de repli sur soi des années 1980, l’internationalisation de la firme s’amorce à la fin de cette décennie et connaît son apogée au milieu des années 1990. Les difficultés que connaît la firme sur les marchés internationaux l’entraînent à revoir sa stratégie et à se concentrer sur son principal marché d’exportation, les États-Unis. Durant les années 1960-1970, Cuauhtémoc et Moctezuma possèdent chacune un département des exportations, mais leur rôle demeure marginal. Dans le cas du département de Cuauhtémoc, celui-ci se contente de recevoir les demandes de l’importateur Wisdom et d’exporter les quantités demandées vers les États-Unis. Le reste du monde n’existe presque pas (Garza, 03/05/2002; Domínguez, 03/05/2002; Robles, 1968). Jusqu’au début des années 1980, et bien que les exportations représentent un plus fort pourcentage de leurs ventes que dans le cas de Modelo, Cuauhtémoc et Moctezuma n’accordent pas une très grande importance à cet aspect des affaires. Durant la période de transition, entre 1985 et 1988, les exportations ne constituent toujours pas une priorité pour la firme en gestation. Il s’agit avant tout de survivre à la crise de 1982 dans un premier temps, puis de consolider la nouvelle entreprise résultant de la fusion de Cuauhtémoc et Moctezuma (Garza, 03/05/2002, Astaburuaga Senjines 23/06/2004). 246 Cette préséance du marché intérieur se reflète sur l’organisation du secteur international de CCM. Outre l’importateur américain Wisdom, acquis par Cuauhtémoc durant les années 1930, CCM ne possède pas de présence physique à l’échelle internationale.341 Ce n’est qu’au début des années 1980, alors que l’entreprise connaît une forte hausse de ses exportations en direction de l’Europe, que la firme ouvre un bureau de vente en Grande-Bretagne (FEMSA, RA 1992: 18). Autrement, la gestion des activités internationales de CCM se déroule au sein de la division internationale de la firme (Astaburuaga Senjines, 23/06/2004). Celle-ci est structurée en régions géographiques et départements opérationnels. On retrouve ainsi le département États-Unis, le département Europe/Canada, le département Amérique latine, le département Asie et le département opérations.342 Avec l’entrée de la brasserie canadienne Labatt au capital de CCM en 1994, le secteur international de l’entreprise vit une importante transformation. Au-delà d’un simple accord financier, la relation Labatt-CCM comporte une composante organisationnelle. En effet, les deux entreprises mettent sur pied une co-entreprise, Labatt-USA, chargée de l’importation des bières des deux compagnies aux États-Unis. Labatt-USA vient ainsi s’ajouter à l’importateur Wisdom afin de couvrir l’ensemble du territoire américain. La participation de CCM au sein la co-entreprise s’élève à 30%. 341 La firme Wisdom Import Sales Co. LLP est la filiale américaine de CCM. Acquise durant les années 1930 par Cuauhtémoc, elle possède les droits sur les marques de la firme mexicaine aux États-Unis et est en charge de l’importation et de la distribution des produits de CCM. Selon García Sordo (03/05/2002), si Cuauhtémoc exporta en Amérique centrale durant les années 1970, ce n’était pas le résultat d’une stratégie clairement définie par la firme, mais plutôt suite aux efforts des distributeurs du sud du Mexique qui remarquèrent la possibilité d’“ouvrir” ces nouveaux marchés, très similaires à leurs territoires d’opération. Ce sont surtout les relations personnelles entre les distributeurs mexicains et les clients qui favorisèrent l’expansion dans la région, d’où l’absence d’une réelle coordination régionale en Amérique centrale. 342 Le regroupement du Canada avec l’Europe s’est réalisé car il devenait nécessaire de dissocier le Canada des États-Unis. La structure interne du marché canadien étant très différente du marché américain, le maintien d’un département nord-américain combinant le Canada et les États-Unis risquerait de nuire aux activités de la firme sur le marché américain, le marché le plus lucratif pour CCM. De par sa complexité, le marché canadien ressemble davantage au marché européen, d’où la décision de les unir (Astaburuaga Senjines, 23/06/2004). 247 6.3.2 Un développement international en trois phases Suite à la fusion, l’internationalisation de CCM prend son envol à la fin des années 1980. Néanmoins, ce n’est que durant la première moitié des années 1990 que l’entreprise développe une véritable stratégie internationale. Toutefois, celle-ci se modifie en deux occasions ; la firme, constatant l’erreur d’une expansion internationale non productive et coûteuse, recentre ses activités sur un nombre limité d’états du Sud des États-Unis. Par la suite, CCM décide de privilégier le marché américain, notamment les états frontaliers. Les faibles quantités exportées par l’entreprise justifient un tel choix. 6.3.2.1 L’expansion internationale initiale Au début des années 1980, Cuauhtémoc et Moctezuma dominent les exportations de bières mexicaines, alors que Modelo y est absente. Tecate, l’une des marques phares de Cuauhtémoc, constitue la marque d’exportation la plus importante de la compagnie. Outre cette marque, Cuauhtémoc exporte également Bohemia, Carta Blanca et Brisa aux États-Unis. En 1982, les ventes de l’entreprise à l’étranger ne représentent que 1,8% de ses ventes totales. Quant à Moctezuma, durant cette période, elle se classe au premier rang des brasseries exportatrices mexicaines en terme de volume. Toutefois, les exportations ne comptent que pour 3% des ventes totales. Bien que Cuauhtémoc et Moctezuma soient présentes sur les marchés internationaux, cette présence s'explique principalement par les exportations aux États-Unis. C’est à partir de 1983, suite à la décision des autorités américaines de retirer les bières mexicaines du système général des préférences que Cuauhtémoc amorce ses exportations vers l’Europe et le Japon (Expansión, 21/12/1983). Celles-ci demeurent néanmoins faibles. La crise des années 1980, de même que la période de transition que constitue la fusion des deux entreprises, forcent la nouvelle entité à délaisser quelque peu son programme d’internationalisation et à concentrer ses efforts sur la consolidation de la nouvelle firme. Si les États-Unis demeurent le principal marché d’exportation de CCM durant l’ensemble de la période, l’entreprise procède à une internationalisation très rapide à partir de la fin des années 1980. Selon la firme, les exportations permettent 248 d’augmenter l’entrée de devises étrangères, accroissant ainsi davantage les revenus de la firme tout en la protégeant des risques de ralentissement économique au Mexique (FEMSA, RA 1998). En moins de cinq ans, l’entreprise triple sa présence internationale : en 1990, CCM exporte dans vingt et un pays ; en 1995, c’est dans plus d’une soixantaine de pays qu’exporte la compagnie (VISA, ADR 1998). Durant cette première phase d’internationalisation de CCM, le développement international de la firme s’articule d’abord autour de l’Amérique du Nord, puis se poursuit en Europe, en Amérique du Sud et en Asie. Outre les États-Unis, c’est en Europe, plus particulièrement en Grande-Bretagne, que la croissance de l’entreprise est la plus marquante. L’ouverture du bureau de Londres montre l’importance de ce marché pour CCM. Entre 1989 et 1991, les ventes sur le marché anglais triplent (FEMSA, RA 1992). Si la régionalisation avait été la stratégie dominante de la firme durant les années 1980, la globalisation de l’entreprise marque la seconde partie de cette première phase, de 1990 à 1997. La progression de l’entreprise sur les marchés internationaux est à la fois rapide et vaste : entre 1990 et 1993, le nombre de pays où l’on retrouve les bières de CCM passe de 21 à 55. Au terme de la croissance internationale de la firme, c’est à une soixantaine de pays que sont exportées les marques de la compagnie (FEMSA, RA 1990, 1992 et 1996; VISA, ADR 1998). L’un des principaux résultats de cette stratégie est la diminution de l’importance relative du marché américain pour les bières de CCM. Entre 1992 et 1996, la part des exportations de l’entreprise à destination des États-Unis passe de 86% à 72% des exportations totales (FEMSA, RA 1993 et 1996). La stratégie globale semble avoir porté fruits pour CCM. Néanmoins, si tel était réellement le cas, pourquoi l’entreprise décide-t-elle de modifier sa stratégie telle qu’elle le fait en 1997 ? 6.3.2.2 Le recentrage sur les marchés-clés Jusqu’à la fin des années 1990, la stratégie globale d’exportation de FEMSA se développe autour de quatre axes : se concentrer sur les marchés les plus importants (core markets) ; un positionnement par pays en ce qui a trait aux marques, à la présentation et au prix ; le renforcement de ces marques (build brand equity) ; 249 finalement, profiter des alliances stratégiques afin de pénétrer les marchés (VISA, ADR 1998). Si cette stratégie se poursuit toujours, son ampleur géographique a été toutefois considérablement réduite à partir de 1997. Suite à un changement stratégique en 1997, CCM décide d’abandonner l’internationalisation basée sur l’ouverture de nouveaux marchés et de se concentrer sur une douzaine d’entre eux, les marchés-clés.343 Cette décision est provoquée non seulement par la non-rentabilité de plusieurs marchés et la nécessité d’accorder davantage de ressources aux marchés les plus importants, mais également par une modification des priorités de la firme. Jusqu’à la crise financière de 1994-1995, les buts centraux de l’internationalisation de CCM sont d’accroître les volumes exportés et le nombre de pays pénétrés (Salinas Arrambide, 13/05/2002; Astaburuaga Senjines, 23/06/2004). Après la crise, les objectifs de l’entreprise évoluent. Il s’agit d’assurer une plus grande profitabilité, ce qui passe par une gestion plus serrée de tous les secteurs, y compris la division internationale. Les conséquences de cette décision sont multiples : l’arrêt de l’ouverture de nouveaux marchés, le maintien d’une présence minimale dans les marchés où se trouve déjà l’entreprise et le transfert de ressources humaines et financières aux marchés les plus importants. Cette décision doit permettre de mieux développer et de commercialiser les marques de la compagnie, d’améliorer la couverture des marchés, de parfaire la présentation et la stratégie de prix dans chaque pays ainsi que de bénéficier davantage de son alliance stratégique avec Labatt. En étoffant la force de vente dans ces marchés, CCM espère se positionner plus favorablement et ainsi accroître la pénétration de ses marques et ses profits (Salinas Arrambide, 13/05/2002; FEMSA, 20-F 2000: 16). 343 États-Unis, Canada, Guatemala, Brésil, Argentine, Allemagne, Grande-Bretagne, Espagne, France, Hong Kong, Chine et Taïwan. 250 Tableau 6.6 Revenus d’exportations de CCM, 1994-2000 (en millions de dollars) Année 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 Revenus 61 70 76 80 88 100.6 114.5 Croissance du revenu (%) N/A 14,7 8,6 5,9 10 14,3 13,8 Source : FEMSA, 20-F 1998 et 2000 En consultant le tableau 6.6, il semble que cette stratégie ait porté fruits. Pour l’année du changement stratégique, 1997, la croissance des revenus de l’exportation est de 5,9%, la plus faible de toute la période. Entre 1997 et 2000, les revenus d’exportation augmentent plus rapidement que durant la période 1994-1997.344 6.3.2.3 Le sud des États-Unis, nouvelle priorité de l’entreprise À partir de 2000, cependant, et bien que l’approche des marchés-clés demeure en place, CCM précise davantage sa stratégie internationale en portant l’essentiel de son attention sur les États-Unis, en particulier les marchés du sud-ouest du pays. Tout comme Modelo, le principal marché d’exportation de CCM demeure l’Amérique du Nord, même si le groupe exporte vers plus de 60 pays, en particulier le sud des États-Unis. En 1997, l’Amérique du Nord reçoit 75,6% des exportations de l’entreprise, l’Amérique latine 13,6% et l’Europe 7,8% (VISA, ADR 1998). C’est à travers la filiale Labatt USA que CCM exporte ses produits aux États-Unis. Répétant en quelque sorte sa stratégie interne, l’entreprise concentre ses exportations autour de ses trois principales marques : Tecate, Dos Equis et Sol.345 Dans l’optique de CCM, le marché américain est considéré comme une extension du marché interne : “Les états frontaliers comptent une grande concentration d’hispanoaméricains qui préfèrent les marques de FEMSA. Nous considérons que la région représente une extension naturelle des marchés de la compagnie” (FEMSA, RA 2000: 8, notre traduction). 344 L’exception étant 1995, alors que la crise financière et économique avait poussé CCM à accroître notablement ses exportations. 345 En 1997, ces trois marques représentaient 89,1% des exportations de FEMSA. Les trois marques sont exportées aux États-Unis, Dos Equis et Sol sont exportées au Brésil et Sol est la principale marque exportée dans les autres marchés (VISA, ADR 1998: 73). 251 En 2000, la stratégie des marchés-clés est ajustée : CCM annonce qu’elle concentrera ses efforts principalement au marché du sud des États-Unis, surtout la Californie, le Texas, l’Arizona et le Nouveau-Mexique. Un recentrage sur ces états frontaliers s’avère profitable selon la firme : ils possèdent une forte population hispanophone ; on y observe une hausse appréciable du revenu par habitant ; finalement, ils présentaient les plus importantes croissances en bières importées (FEMSA, 20-F 2000). En outre, ce recentrage sur les États-Unis est marqué par la hausse de la part des États-Unis dans les exportations de la firme : alors que ceux-ci absorbent 72% des exportations de CCM en 1996, ce pourcentage avoisine 90% en 2004.346 346 Selon les chiffres de l’entreprise, l’Amérique du Nord représentait 92,2% des exportations de CCM en 2004 (FEMSA, 20-F 2004: 48), les États-Unis constituant la quasi-totalité de ces exportations. 252 Conclusion L’industrie brassicole mexicaine s’est grandement intégrée à l’industrie brassicole régionale et internationale depuis les années 1980. Suite à la crise de 1982, la contraction du marché interne pousse les brasseries mexicaines à chercher des débouchés extérieurs. Durant les années 1980, tant l’internationalisation de Modelo que de CCM passe par la pénétration et la couverture totale du marché américain. Vers la fin de la décennie, les deux entreprises élargissent leur champ d’activité en pénétrant plusieurs marchés internationaux. La première moitié des années 1990 voit l’accélération de cette stratégie. Modelo augmente le rythme de son développement international durant les années 1990. La firme amplifie son secteur exportateur afin de d’assurer le contrôle sur son internationalisation, ce qui lui permet d’ouvrir de nouveaux marchés à une fréquence soutenue. CCM, pour sa part, développe également son secteur exportateur de manière rapide, ouvrant elle aussi un nombre conséquent de nouveaux marchés. Toutefois, elle revoit sa stratégie à partir de 1997 et se replie sur ses marchés-clés, abandonnant l’ouverture de nouveaux marchés. Malgré l’augmentation de la présence internationale des deux entreprises durant les années 1990, la dernière partie de la décennie voit un recentrage des exportations vers les États-Unis. La théorie de la distance des échanges nous aide à mieux saisir le repli des brasseries mexicaines. La réduction de la distance des échanges entre les nations depuis les années 1960 irait dans le sens opposé de la globalisation, mais renforcerait la régionalisation des activités des entreprises. Alors que la globalisation supposerait un accroissement du commerce mondial et une augmentation de la distance, la proximité géographique représenterait une variable encore plus importante que par le passé. Cela est dû en grande partie aux transformations des modes de gestion, mais surtout, dans le cas des brasseries mexicaines, de l’évolution des coûts de transports (la diminution du coût terrestre vis-à-vis le fret maritime). Étant donné que les exportations constituent l’unique forme d’internationalisation de CCM et de Modelo, les deux firmes dépendent plus fortement que leurs concurrentes de la variation des coûts de transport. 253 Dans l’environnement international et global dans lequel elles évoluent, les deux entreprises ont choisi une stratégie d’internationalisation allant à l’encontre des théories des firmes multinationales. En effet, ces théories nous apprennent que dans le processus d’internationalisation de la firme, celle-ci se transformera de simple firme exportatrice en une entreprise possédant des unités de production à l’étranger. Grupo Modelo et CCM ne suivent pas ce “modèle”. Bien qu’elles élaborent des stratégies de FMN (cf. chapitres 7 et 8), elles demeurent exclusivement mexicaines en terme de production. Cela s’explique non seulement par les avantages compétitifs qu’elles possèdent (cf. tableau 5.11), mais peut être davantage encore par la réticence des dirigeants des brasseries à délocaliser une partie de la production. Malgré des différences de stratégie à partir de la seconde moitié des années 1990, les deux entreprises montrent une similarité importante : une dépendance grandissante vis-à-vis du marché américain comme destination des exportations. En effet, bien que Modelo ait adopté une stratégie de pénétration de marchés agressive, la part des ÉtatsUnis dans les exportations totales augmente durant la seconde moitié des années 1990. En ce qui concerne CCM, le recentrage sur le sud des États-Unis à partir de l’an 2000 témoigne de l’importance de ce marché pour l’entreprise. L’internationalisation de Modelo et de CCM transforme le réseau de valeur des deux entreprises. En élargissant leurs activités aux marchés internationaux, les brasseries touchent de nouveaux clients, font affaire avec de nouveaux fournisseurs (pas tant au niveau manufacturier que sur le plan des services) et doivent concurrencer les BMN sur des territoires où celles-ci possèdent généralement des avantages compétitifs. Les résultats internationaux des deux entreprises signifient-ils que Modelo et CCM constituent des acteurs majeurs de l’industrie brassicole internationale, au même titre que des BMN telles que Heineken, SABMiller ou Inbev ? Les deux chapitres suivants fourniront quelques éléments de réponse à cette question. 254 CHAPITRE VII LA CONCURRENCE INTERNATIONALE : LA DIVERSITÉ DES STRATÉGIES La concurrence internationale constitue un phénomène relativement nouveau dans l’industrie brassicole internationale. Longtemps une industrie caractérisée par des rapports concurrentiels principalement nationaux, la consolidation ayant cours depuis le début des années 1980 a diffusé le noyau de la concurrence des marchés nationaux vers les marchés régionaux puis au marché global. De plus, la concentration que connaissent les autres industries de breuvages alcoolisés entraîne une pression concurrentielle additionnelle pour les brasseries multinationales (BMN). Ces éléments provoquent des transformations importantes des stratégies des BMN. Ce chapitre cherche à comprendre et à expliquer les stratégies concurrentielles internationales des brasseries mexicaines à la lumière des transformations soulignées au cours des chapitres précédents. La structure des différents niveaux de marché (national, régional et global) explique-t-elle les différentes stratégies concurrentielles des brasseries? Quelles sont les similitudes et les différences entre les stratégies de concurrence des brasseries mexicaines et des brasseries internationales ? Le développement de brasseries globales freine-t-il ou accélère-t-il la concurrence internationale ? Un survol de la situation de la concurrence internationale permettra de dégager trois niveaux de stratégies développées par les firmes : global (la nouvelle triade), régional et national. À la suite des perspectives stratégique et managériale, il sera argumenté que ces stratégies ne sont pas contradictoires mais plutôt complémentaires. Elles résultent avant tout de l’évolution, de la taille et des contraintes auxquelles font face les firmes. L’étude des stratégies concurrentielles des BMN et des brasseries mexicaines constitue un élément central de cette thèse. D’une part, au niveau de l’industrie, il est soutenu que la concurrence globale caractérisant l’industrie brassicole internationale résulte et renforce la globalisation de celle-ci. En fait, la concurrence, en combinaison avec la constitution de réseaux de collaboration internationale, façonnent la 255 globalisation des industries. D’autre part, au niveau des brasseries, chacune doit déterminer le type de stratégie approprié en tenant compte de son marché d’origine, de ses ressources et de sa projection internationale. Il existe deux manières d’appréhender l’évolution de la concurrence dans l’industrie brassicole internationale. La première est d’étudier la consolidation aux différentes échelles d’activité, nationale, régionale et globale. La seconde approche consiste à analyser les stratégies concurrentielles des BMN et d’identifier les tendances dominantes. La première partie de ce chapitre étudiera la transformation de l’industrie à la lumière de ces deux méthodes. On observera alors un degré de concentration oligopolistique au niveau international ainsi que des stratégies de pénétration de marché centrées autour des exportations et de l’investissement direct étranger (IDE). Si la concurrence internationale prend des formes diversifiées et implique un nombre d’acteurs réduit, quelles en sont les conséquences pour les brasseries mexicaines ? Adoptent-elles des stratégies similaires à celles des BMN ou choisissent-elles plutôt une approche distincte ? Nous consacrerons les seconde et troisième partie de ce chapitre aux stratégies concurrentielles internationales des brasseries mexicaines. Nous verrons comment et pourquoi les Grupo Modelo et CCM ne participent pas, ou très peu, à la consolidation internationale. Les deux brasseries “subissent” cette concentration en étant la cible d’investissement de la part de BMN, mais n’investissent pas à l’étranger. Par ailleurs, en terme de stratégies de pénétration de marché, les firmes mexicaines, Modelo en particulier, peuvent être considérées comme des innovatrices. À l’origine, et contrairement aux approches traditionnelles de marketing international en vigueur dans l’industrie, Modelo et CCM ont employé une stratégie de bouche à oreille. Outre cette innovation, les firmes mexicaines n’ont pas toutes deux suivi la tendance des marques mondiales qui se développe depuis le milieu des années 1990. Si Modelo, de par sa stratégie nationale de promotion d’une marque phare, n’a aucune difficulté à s’adapter à cette tendance, CCM choisira une autre voie. 256 L’étude des stratégies concurrentielles internationales de Modelo et de CCM constitue le troisième pas dans la construction du réseau de valeur international des deux entreprises et la compréhension de la co-opétition dans l’industrie. Après avoir identifié le rôle joué par les principaux États (Mexique, États-Unis et Brésil, cf. chapitre 3), nous avons présenté les autres acteurs affectant ce réseau (BMN, les consommateurs [surtout américains], les distributeurs, etc, cf. chapitres 5 et 6). Il s’agit ici d’analyser comment se déroulent les rapports concurrentiels à partir du point de vue des brasseries mexicaines. 7.1 Situation de la concurrence internationale La globalisation de l’industrie brassicole internationale est marquée par une augmentation de la concurrence depuis le milieu des années 1980. Cette concurrence se déroule aux échelons national, régional et global. Toutefois, ce n’est qu’à partir de la seconde moitié des années 1990 que s’accélère la consolidation de l’industrie, celleci se transformant de plus en plus en une industrie oligopolistique. La réduction graduelle du nombre de brasseries de taille internationale implique que les BMN doivent prendre deux décisions majeures quant à leur stratégie internationale, l’une concernant la forme et l’autre la portée. D’une part, elles doivent déterminer la forme que prendra leur croissance internationale : l’exportation, l’IDE ou une combinaison des deux. D’autre part, les brasseries doivent également décider de la portée de leur internationalisation : compte tenu de leurs avantages compétitifs et de leurs ressources, adopteront-elles une stratégie globale ou plutôt une stratégie régionale ? 7.1.1 Formation d’une industrie internationale oligopolistique Depuis le début des années 1990, mais surtout à partir des années 2000, on assiste à une course aux acquisitions, aux co-entreprises et à l’investissement créatif (greenfield investment) dans les marchés émergents.347 La hausse de la production, ainsi que les perspectives de croissance de la consommation per capita ont attiré 347 Larimo, Marinov et Marinova (2004) soulignent que ces trois formes d’IDE constituent les modes d’entrée prisés par les BMN au détriment des licences et de l’exportation, car les préférences des consommateurs vont aux bières locales. En outre, les coûts de production en Europe centrale et orientale étant moindres qu’en Europe de l’Ouest, il devient avantageux de produire sur place. 257 l’intérêt des BMN. Cependant, dues à cette frénésie acquisitive, les possibilités de nouvelles acquisitions s’amenuisent rapidement (Leijh et al., 2004). L’Europe de l’Est représente l’un des terrains majeurs de la globalisation de l’industrie brassicole. Suite à la chute du mur de Berlin et de l’ouverture subséquente des économies de la région, les privatisations et les acquisitions se sont accélérées. De plus, la stagnation des marchés d’Europe de l’Ouest et de l’Amérique du Nord pousse les BMN à rechercher de nouvelles opportunités à l’Est (Larimo, Marinov et Marinova, 2004). Si la consolidation est principalement due aux BMN, celles-ci usent de multiples stratégies afin de pénétrer ces marchés, notamment par le biais d’acquisitions, de coentreprises ou de nouvelles installations (Larimo, Marinov et Marinova, 2004). La Russie représente bien l’importance croissante de l’Europe centrale et orientale dans la globalisation de l’industrie brassicole internationale. En effet, les Russes ont longtemps préféré la vodka à toute autre boisson alcoolisée. Cependant, depuis la seconde moitié des années 1990, la consommation de bière croît continuellement. Entre 1997 et 2003, la consommation per capita est passée de 28 à 51 litres, une augmentation de 82% (Koster, 2004). Parallèlement à cette hausse de la consommation, on assiste également à l’augmentation de la production : après une hausse annuelle moyenne de 23%, la production russe passe de 21 millions d’hectolitres en 1996 à 70 millions d’hectolitres en 2003 (Koster, 2004). Alors que l’on remarque une consolidation à plusieurs vitesses et une vive concurrence entre cinq BMN en Europe (S&N, Carlsberg, SABMiller, Heineken et Interbrew), le panorama est sensiblement différent en Amérique latine. Bien que l’on retrouve des joueurs majeurs à l’échelle régionale, ceux-ci demeurent des acteurs mineurs sur l’échiquier international, étant des cibles potentielles d’acquisition des BMN. En fait, la concentration nationale constitue une caractéristique encore plus forte en Amérique latine que dans les marchés d’Europe et d’Amérique du Nord. Dans une majorité de pays, une brasserie domine le marché national, tandis que les autres brasseries jouent un rôle mineur. La consolidation au niveau régional sera conduite par les brasseries latino-américaines dans un premier temps (BW, 258 01/03/1996), puis suivie par l’implication massive des brasseries nord-américaines et européennes par la suite. Bien que l’Europe centrale et orientale demeure un important enjeu dans la consolidation de l’industrie brassicole internationale, l’Asie constitue le principal foyer de concurrence de l’industrie, plus particulièrement la Chine. Les marchés brassicoles asiatiques se divisent en deux groupes distincts : les marchés à très forte concentration et les marchés fragmentés. Dans le premier cas, on retrouve généralement la majorité des marchés de la région ; dans le second cas, deux pays montrent une industrie extrêmement fragmentée : l’Inde et la Chine.348 Nous ne nous attarderons pas longuement aux États du premier groupe étant donné leurs similitudes. Soulignons tout de même que ces marchés ont longtemps été sous le contrôle effectif des États et qu’ils demeurent relativement fermés aux bières étrangères. L’action gouvernementale se manifeste soit par le contrôle des matières premières, des prix de vente ou des tarifs douaniers. En outre, les réseaux de distribution bien souvent inadéquats limitaient les possibilités de croissance (Heijbroek, de Schutter et Boon, 1997). Malgré les déboires initiaux des BMN, SAB constituant l’une des rares exceptions, la consolidation de l’industrie brassicole chinoise s’accélère rapidement, suivant en cela la tendance internationale.349 Au début des années 1990, la Chine comptait plus de 800 brasseries ; dix ans plus tard, ce nombre est réduit à environ 500 (Chinese Markets for Beer, 01/01/2003; Heracleous, 2001). Bien que les niveaux de concentration demeurent loin des principaux marchés internationaux, on observe tout de même une tendance en ce sens : en 1999, les parts de marché des trois premières brasseries s’élèvent à 9%, en 2001, ce chiffre passe à 19% (Chinese Markets for Beer, 01/01/2003; Heracleous, 2001). 348 En comparaison de la taille de leurs populations, les marchés asiatiques montrent une très faible production et consommation de bière (Heijbroek, de Schutter et Boon, 1997). 349 L’une des raisons poussant à la consolidation de l’industrie brassicole chinoise réside dans la structure de propriété des brasseries. La majorité de celles-ci sont sous le contrôle du gouvernement chinois et se trouvent en situation déficitaire (Chinese Markets for Beer, 01/01/2003). 259 Si la concurrence a évolué, et bien que chaque BMN adopte sa propre stratégie, certains traits “nationaux” émergent de cette consolidation : les brasseries américaines privilégient tout de même le marché interne aux marchés internationaux, et ce jusqu’à la fin des années 1990. Les brasseries européennes optent pour l’expansion sur le continent européen puis vers les marchés émergents, réorganisant leurs structures organisationnelles autour de leurs activités brassicoles. Les brasseries japonaises diversifient leurs activités dans l’agroalimentaire (Larimo, Marinov et Marinova, 2004). Finalement, les brasseries latino-américaines procèdent à une vague d’acquisitions tout en se transformant en entreprises multi-breuvages (bières, boissons gazeuses et eau principalement). Par ailleurs, la consolidation ne touche pas uniquement les brasseries, mais concerne également les fournisseurs de service. Les BMN requièrent des services extrêmement spécialisés, tant dans la construction que dans les appareils liés au brassage de la bière, et ce, pour l’ensemble de leurs usines. Étant donné l’expansion internationale des brasseries, les entreprises complémentaires doivent suivre le même cheminement afin de répondre à la demande (BW, 01/11/92). En outre, la spécialisation croissante des fournisseurs de service et les avancées technologiques favorisent l’automatisation de plus en plus poussée des brasseries. Les fournisseurs de services, tout comme les BMN, peuvent aussi bénéficier des économies d’échelle qui découlent de cette croissance. En somme, la formation d’une industrie oligopole à l’échelle internationale n’élimine pas l’importance de l’aspect national. Toutefois, la nature de la concurrence se transforme : de purement nationale, elle devient régionale et globale. La consolidation internationale réduit sans cesse le nombre de brasseries évoluant à l’échelle globale, alors que la taille des firmes existantes s’accroît. Afin de poursuivre leur croissance internationale, les BMN sont confrontées à deux choix, exporter et/ou investir à l’étranger. 260 7.1.2 Les stratégies de pénétration de marché En matière de concurrence internationale, les BMN adoptent généralement l’une des deux stratégies suivantes : l’exportation ou la production internationale. Dans ce dernier cas, on parle d’investissement direct étranger (IDE), celui-ci pouvant être créatif ou de portefeuille (fusion-acquisition). Toutes les BMN utilisent un mélange de production internationale et d’exportation. Les différences se retrouvent avant tout dans le degré et l'intensité de la production internationale de la firme.350 7.1.2.1 Exportation versus IDE L’exportation constitue généralement la première forme que prend l’expansion internationale de l’entreprise (Vernon, 1971). Dans le cas de la production internationale, l’entreprise peut procéder par des investissements créatifs ou par fusion-acquisition. Plusieurs raisons poussent la firme à privilégier l’exportation : elle élimine les coûts reliés à l’établissement d’opérations manufacturières, ce qui, dans le cas de l’industrie brassicole internationale, permet d’éviter les coûts irréversibles (sunk costs) liés à la construction d’une brasserie (Monopolies and Mergers Commission, 2001). De plus, elle facilite le processus d’apprentissage de la firme et entraîne des économies locationnelles.351 Finalement, la centralisation de la production permet à la firme de réaliser de fortes économies d’échelle (Hill, 2001). Toutefois, dans un contexte de concurrence globale, le seul recours à l’exportation présente plusieurs désavantages : premièrement, les coûts de transport s’avèrent généralement plus élevés, ce qui a pour effet de renchérir les prix. Ensuite, les barrières tarifaires et non tarifaires alourdissent les charges auxquelles est soumise la 350 Dans le cadre de ce chapitre, nous nous limiterons à la production propre de la BMN. Cela comprend ses installations propres et les brasseries sous son contrôle effectif. Il existe plusieurs autres formes de production dans l'industrie brassicole internationale, notamment la licence et la co-entreprise. Ces modes de production seront abordés plus en détail dans le chapitre 8. 351 Hill (2001: 383) définit les économies locationnelles comme “les économies que réalise la firme en situant les activités créatrices de valeur dans la localisation assurant leur développement optimal (notre traduction).” Par exemple, les brasseries mexicaines, ayant de faibles coûts de main d’œuvre et de matière première, en comparaison de leurs concurrentes BMN, ont intérêt à produire les bières directement au Mexique. 261 firme. Finalement, l’absence d’une présence nationale physique entraîne une perte de contrôle sur le marketing au profit des agents locaux (Hill, 2001; WIR, 1991). Étant donné ces limites, l’IDE apparaît comme une solution permettant à la firme de s’implanter plus facilement dans un nouveau marché. Selon le FMI, l’IDE “est effectué dans le but d'acquérir un intérêt durable dans une entreprise exerçant ses activités sur le territoire d'une économie autre que celle de l'investisseur, le but de ce dernier étant d'avoir un pouvoir effectif dans la gestion de l'entreprise” (FMI, dans Sachwald, 1998). La littérature reconnaît deux principales formes d’IDE productif, selon qu’il crée une nouvelle unité productive, l’investissement créatif ou qu’il permette l’obtention ou la gestion d’actifs d’une entreprise étrangère, les fusionsacquisitions (WIR, 2000 ; Sachwald, 1998 ; Ferrett, 2004 ; Calderón, Loayza et Servén, 2004 ; Hill, 2001 ; Culpan, 2002). L’investissement créatif implique l’établissement de nouveaux actifs ou tout transfert financier de la maison-mère à l’une de ses filiales (Calderón, Loayza et Servén, 2004; Andreff, 1996).352 Cette forme de pénétration est envisageable lorsque la législation du pays d’accueil limite ou interdit les prises de contrôle ou lorsqu’il existe peu d’entreprises à acquérir (WIR, 2000). L’IDE est également envisagé lorsque le ou les pays d’accueil possèdent certains avantages comparatifs.353 D’un point de vue stratégique et managériale, la firme choisit l’investissement créatif lorsqu’elle désire profiter pleinement de ses avantages compétitifs. Elle est ainsi en mesure de contrôler l’ensemble des activités de la nouvelle unité à travers l’établissement de ses pratiques de gestion (Hennart et Park, 1993). Si l’investissement créatif garantit l’entière maîtrise de la nouvelle opération, il s’avère moins avantageux en ce qui concerne la connaissance du marché ou si l’investisseur requiert des inputs complémentaires (Hennart et Park, 1993). 352 Görg a montré qu’en situation de duopole, une firme étrangère a plutôt intérêt à acquérir l’une des deux entreprises existantes. L’acquisition peut entraîner une perte de bien-être pour la population, ce qui serait le contraire dans le cas d’un investissement créatif (Görg, 1998). Cet état caractérise plusieurs marchés nationaux dans l’industrie brassicole internationale. 353 Andreff (1996) souligne que le rapport productivité-coût salarial, les disparités de taux de profit, la demande sur le marché intérieur, de même que la diminution des coûts de transport constituent certains des avantages comparatifs. 262 Les fusions-acquisitions transfrontalières constituent la seconde forme d’IDE dont se prévalent les FMN afin de pénétrer un marché étranger.354 Comme le souligne Sachwald, elles permettent “d’avoir un accès instantané non seulement à des capacités de production, mais aussi à un réseau de distribution et à une image de marque connue sur le marché convoité” (Sachwald, 1998: 207). Les acquisitions doivent aussi permettre aux firmes d’atteindre la taille critique, celle qui lui permettra d’être présente sur l’ensemble des marchés (Sachwald, 1998). Toutefois, l’étude des fusionsacquisitions montre que peu de transactions se déroulent entre égaux et qu’il s’agit généralement d’une acquisition de l’une des deux entreprises par l’autre.355 Du point de vue du pays d’accueil toutefois, la fusion-acquisition est moins avantageuse que l’investissement créatif, car elle n’entraîne pas la création de nouvelles unités productives tout en s’accompagnant de multiples mises à pied (WIR, 2000). Dans les pires des cas, les fusions-acquisitions réduisent la concurrence sur le marché domestique. En ce qui concerne les pays en développement en particulier, les fusions-acquisitions ont acquis une importance prépondérante en tant forme d’investissement privilégié par les entreprises durant les années 1990. Cette primauté des fusions-acquisitions sur l’investissement créatif résulterait en partie des programmes de privatisation et de libéralisation mis en place par les États. Cependant, la hausse des fusions-acquisitions est généralement suivie d’une certaine hausse des investissements créatifs (Calderón, Loayza et Servén, 2004). En somme, le choix entre l’investissement créatif ou la fusion-acquisition dépendra de la structure du marché national en question (Buckley et Casson, 1998 ; Görg, 1998), des coûts auxquels est soumise la firme (Buckley et Casson, 1998 ; Ferrett, 2004), de 354 Lors d’une fusion, les actifs de deux ou plusieurs entreprises sont unies au sein d’une nouvelle entité légale. L’acquisition transfrontalière survient alors qu’une firme transnationale acquiert le contrôle des actifs et les opérations d’une firme locale, celle-ci se transformant en filiale de la FMN. Le World Invesment Report reconnaît deux types de fusions, entre égaux (fusion de consolidation) et statutaire (alors qu’une firme fusionnée survit, avec une nouvelle identité juridique), de même que deux types d’acquisitions, l’acquisition d’une filiale étrangère et l’acquisition d’une firme locale. Les fusionsacquisitions peuvent être horizontales, entre des firmes concurrentes évoluant au sein de la même industrie, verticales, entre des firmes entretenant des relations de type client-fournisseur ou de conglomérat, c'est-à-dire entre des firmes n’ayant pas de relations entre elles (WIR, 2000). 355 Le WIR (2000) relève d’ailleurs que moins de 3% des fusions-acquisitions transfrontalières peuvent être considérées comme des fusions. Il s’agit avant tout de l’achat d’une firme par une entreprise étrangère. 263 l’histoire et des avantages compétitifs de la firme (Vermeulen, 2001)356 de la stratégie (globale ou multidomestique), des objectifs que se fixe la firme, du coût de l’acquisition d’une firme existante ou du coût des intrants (capital, travail et savoir) (Hennart et Park, 1993). Pour la CNUCED par contre, la distinction entre l’investissement créatif et la fusion-acquisition est plutôt ténue dans la mesure où dans les deux cas, il s’agit d’un transfert de contrôle des actifs du pays hôte à la FMN étrangère (WIR, 2000). Un troisième type d’investissement doit être considéré ici : l’investissement de portefeuille. Bien qu’il ne soit pas considéré comme un IDE (WIR, 2000), l’investissement de portefeuille constitue un élément important de la stratégie internationale des entreprises. On qualifie d’investissement de portefeuille l’acquisition d’une minorité d’actions d’une firme, généralement moins de 10% des actifs (WIR, 2000), dans le but d’en tirer un revenu de placement (Andreff, 1996). L’objectif de la firme n’est pas d’obtenir le contrôle d’une entreprise à l’étranger, mais de réaliser une opération financière lui permettant d’accroître ses revenus. Cette forme d’investissement est avant tout financière, elle n’est pas productif (WIR, 2000). L’investissement de portefeuille est plus volatile que l’investissement productif, dans la mesure où l’investisseur peut se retirer très rapidement (WIR, 1995; Andreff, 1996). Il demande moins d’implication directe de l’investisseur ; par contre, il n’accorde pas autant de pouvoir décisionnel que l’investissement productif. 357 356 Sleuwaegen, De Voldere et Pennings (2001) soulignent d’ailleurs qu’une firme devrait presque toujours privilégier l’investissement créatif au lieu de l’acquisition. Bien que cette option soit de prime abord plus laborieuse, elle comporte deux avantages déterminants : d’une part, elle force l’entreprise à identifier exactement les facteurs lui conférant un avantage compétitif et d’autre part, elle permet une meilleure exploitation de cet avantage que ne le ferait l’acquisition. Toutefois, dans le cas de l’industrie brassicole, la Commission de la concurrence anglaise (Monopolies and Merger Commission, 2001) a souligné qu’une telle stratégie d’investissement créatif poserait problème dans la mesure où cela impliquerait une lente croissance interne et un très fort investissement en marketing, alors que l’acquisition permettrait à une firme étrangère d’acquérir d’importantes parts de marché immédiatement. 357 Andreff souligne par ailleurs le caractère arbitraire du niveau de participation de l’investisseur lui permettant de contrôler une entreprise étrangère. Le seuil de contrôle et la volatilité de l’investissement constitueraient les principales distinctions entre un investissement de portefeuille et un IDE (Andreff, 1996) 264 7.1.2.2 Les fusions-acquisitions dans l’industrie brassicole internationale Depuis le début des années 1990, mais surtout à partir de la seconde moitié de la décennie, on assiste à une flambée de fusions et d’acquisitions dans l’industrie brassicole internationale. Deux causes expliquent cette tendance à la croissance par acquisition. D’une part, pour les brasseries des marchés matures, il s’agit de pallier la diminution de la consommation sur leurs marchés nationaux respectifs. D’autre part, une telle stratégie permet de profiter des marchés à plus forte croissance. L’ensemble des BMN utilise cette stratégie, mais à des degrés divers. Les brasseries européennes, confrontées aux limitations de marchés de plus petite taille, procèdent à davantage d’achats et de fusions que leurs concurrentes nord-américaines. Les deux principales BMN d’Afrique et d’Amérique latine, SAB et Ambev, participent elles aussi activement à ce processus. Le tableau 7.1 présente les principales acquisitions dans l’industrie brassicole internationale depuis la seconde moitié des années 1980. Tableau 7.1 Principales acquisitions des BMN, 1988-2004 BMN Interbrew Année Compagnie cible 1995 Labatt 1998 Nanjing Brewery Rosar Brewery 1999 Cass Pleven Brewery Jinling Brewery Nanjing province 2000 Whitbread PLC Bass 2001 Brauerei Beck GmbH & Co. Diebels 2002 Gilde Brauerei KK Group et Zhuijiang 2004 Ambev Type d’acquisition 1 Acquisition Canada AP (80%) Chine Région géographique Amérique du Nord Asie AP Russie ECO Acquisition AP (82.5%) Corée du Sud Bulgarie Asie ECO AP Chine Asie Acquisition Europe Europe Acquisition GrandeBretagne GrandeBretagne Allemagne AP (80%) AP AP Allemagne Allemagne Chine Europe Europe Asie Fusion Belgique-Brésil Amériques- Acquisition Pays Europe 265 Ambev AP (70%) Acquisition Acquisition Russie Chine Allemagne Embodom C.por A. Acquisition République Dominicaine Caraïbes Cervecera Nacional 2001 Cympay Acquisition Venezuela Acquisition Uruguay 2001 Cervecería Internacional 2003 Quilmes Acquisition Paraguay AP (40.5%) Argentine Acquisition Chili AP (80%) Équateur Amérique du Sud Amérique du Sud Amérique du Sud Amérique du Sud Amérique du Sud Amérique du Sud Acquisition Acquisition Hongrie Rép. Tchèque ECO ECO Acquisition Honduras Amérique centrale 2002 Miller Acquisition États-Unis 2003 Birra Peroni Harbin Breweries AP (60%) AP (29.3%) Italie Chine Amérique du Nord Europe Asie 1986 El Aguila 1991 Van Munching a & Co. 1994 Zywiec S.A 1996 St-Arnould et Fischer 1999 Cruzcampo 2001 BrauHolding Acquisition Acquisition Espagne États-Unis Europe Amériques AP (24.9%) Acquisition Pologne France ECO Europe AP (88%) JV Espagne Acquisition Egypte Europe EuropeAmériques Afrique AP (45%) Acqusition AP (25%) AP (74.5%) Allemagne Russie Costa Rica Panama Europe ECO Amériques Amériques Acquisition Autriche Europe 1994 Cervecería Chile S.A. Cerveceria Suramericana SABMiller Heineken Europe-Asie ECO Asie Europe Sun Brewery Lion Nathan2 SpatenFranziskaner Bräu KGaA 1993 Dreher 1999/2 Plzenvský 001 Prazdroj et Radegast 200 Cerveceria 1 Hondureña 2002 Al Ahram Beverages Company Karlsberg Bravo FIFCO Cervecerías Barú Panama 2003 BBAG 266 CCU Carlsberg AP (50%) Chili Karlovacka Pivovara 2004 Guangdong Brewery Fürstlich Fürstenbergis che Brauerei Hoepfner Brauerei AP (68.8%) Croatie Amérique du Sud ECO AP (21%) Chine Asie Acquisition Allemagne Europe Acquisition Allemagne Europe 1988 Hannen Brauerei 1997 CarlsbergTetley Ltd. 2000 Orkla Feldschloessch en, Cardinal et Moussy Türk Tuborg Acquisition Allemagne Europe Acquisition4 GrandeBretagne Norvège Suisse Europe 2001 Brasseries Kasztelan, Piast et Bosman 2002 Hite Brewery Shumensko 2003 Kunming Huashi Brewery Co. Fusion Acquisition Europe Europe AP Acquisition Acquisitions Turquie ECO Pologne ECO AP (25%) AP (59.4%) Acquisition Corée du Sud Bulgarie Chine Asie ECO Asie Acquisition AP (51%) Acquisition Chine SerbieMontenegro Asie ECO Acquisition Allemagne Europe AP (33%) Tibet Asie AP (30%) Chine Asie AP (34.5%) Chine Asie AP (5% => 27%) AP (17.7% => 50.2%) AP (80%) Chine Asie Mexique Amérique du Nord Asie Ltd./ Dali Beer Pivara Celarevo A.D. 2004 Holsten Brauerei AG. Lhasa Brewery Lanzhou Brewery Wusu Brewery AB 1993 Tsingtao 1993 Modelo 1995 Brasserie Zhongde 1997 Budweiser Stag Acquisition2 Chine GrandeBretagne Europe 267 Brewing Co. Ltd. (Scottish Courage) Compañhia Antártica Paulista 2001 Compania Cervecerias Unidas (CCU) 2004 Harbin Brewery Group AP (5%) Brésil Amérique du Sud AP (20%) Chili Amérique du Sud Acquisition Chine Asie Coors 2001 Carling Acqusition GrandeBretagne Europe S&N 2000 Brasserie Kronenbourg Aiken Maes 2002 Hartwall Brasserie Mythos 2003 Central de Cervejas 2004 Chongqing Beer Group United Breweries Acqusition France Europe Acquisition Acquisition AP (46%) Belgique Finlande Grèce Europe Europe Europe Acquisition Portugal Europe AP (19.5%) Chine Asie AP (37.5%) Inde Asie AP: achat d’un pourcentage de la brasserie, mais non la totalité JV: joint-venture (co-entreprise) 1 : Cette acquisition comprend les 30% de participation que détenait Labatt au sein de FEMSACerveza 2 : Interbrew possédait 50% de Lion Nathan. La transaction de 2004 concerne les autres 50%. 3 : Anheuser-Busch possédait 50% de la brasserie, résultat d’une joint-venture en 1995 4 : Carlsberg possédait 50% de la brasserie. Le refus de la fusion Bass/Carlsberg-Titley par les autorités de la concurrence anglaise entraîna la vente des 50% des parts de Bass à Carlsberg a : Acquisition du distributeur américain de la firme. Elle devient Heineken USA par la suite Deux constats majeurs se dégagent du tableau précédent. Premièrement, si nous datons la globalisation de l’industrie brassicole internationale à partir de la seconde moitié des années 1980, c’est seulement à partir de la seconde moitié des années 1990 que l’on assiste à une accélération d’acquisitions par les BMN. Deuxièmement, les acquisitions de contrôle (achat de la totalité d’une brasserie étrangère ou d’un fort pourcentage de la firme) dominent largement les fusions ou investissements de portefeuille. Sur l’ensemble de la période étudiée, nous ne relevons que trois fusions (Ambev-Interbrew, Carlsberg-Orkla et Molson-Coors). En ce qui concerne les acquisitions partielles, seulement trois d’entre elles, Anheuser-Busch-Modelo et Anheuser-Busch- Compañhia Antártica Paulista et S&N- Chongqing Beer Group 268 touchent moins de 20% des actions de la brasserie visée.358 Ces constats confirment l’hypothèse de la CNUCED selon laquelle les acquisitions surpassent généralement nettement les fusions dans la stratégie internationale des FMN. * Heineken, Interbrew et SABMiller Ces trois entreprises poursuivent une stratégie d’acquisition similaire, basée sur une expansion géographique globale. Chacune réalise des investissements dans les Amériques, en Europe et en Asie, cherchant surtout à profiter de la croissance des marchés émergents, mais aussi parfois de la stabilité des marchés matures. Heineken et SABMiller ont même procédé à plusieurs acquisitions en Afrique. Dans le cas d’Interbrew, la stratégie d'acquisitions internationales de la firme se décline généralement en deux temps : dans un premier temps, l’entreprise effectue un investissement dans un nouveau pays sous forme d’entrée partielle au capital d’une brasserie nationale. Dans un second temps, elle accroît sa participation au sein de la brasserie totale et/ou achète d’une seconde brasserie afin de complémenter la première. SABMiller, pour sa part, a surtout privilégié les marchés émergents. S’appuyant sur une vaste expérience des marchés africains et des pays en développement, l’entreprise a procédé à de multiples acquisitions en Europe centrale et orientale puis en Asie (Heracleous, 2001). Par la suite, en 2002, elle fait l’acquisition de la brasserie américaine Miller, son premier investissement majeur dans un marché mature. Après ses achats en Europe de l’Est durant la première moitié des années 1990, la stratégie acquisitive d’Heineken a surtout porté sur les marchés émergents d’Asie et d’Amérique latine, avec un regard non désintéressé à l’Afrique (Food Engineering & Ingredients, 01/09/2001). 358 Dans le cas Anheuser-Busch, la compagnie américaine augmenta par la suite sa participation à 50,2% dans Modelo et se départit de ses actions de Compañhia Antártica Paulista. En ce qui a trait à l’investissement de S&N au sein de Chongqing Beer Group, la firme anglaise n’a pas procédé à une augmentation de sa participation au sein de la brasserie chinoise. Toutefois, ses acquisitions précédentes laissent croire qu’une telle action se produira à court ou moyen terme (1 à 5 ans). 269 * Carlsberg et Scottish & Newcastle Bien que ces deux BMN participent activement à la globalisation de l’industrie, leur expansion s’est surtout réalisée en Europe. Les deux entreprises ont tout d’abord privilégié l’Europe de l’Ouest pour ensuite continuer leur expansion en Europe de l’Est. À la fin des années 1990, tant Carlsberg que S&N ont pénétré les marchés asiatiques : Carlsberg investit en Asie du Sud-est et en Chine, alors que S&N choisit l’Inde et la Chine afin d’assurer sa présence sur ce continent. * Anheuser-Busch et Coors Les brasseries américaines, contrairement à leurs concurrentes européennes, ont été beaucoup plus réticentes à réaliser des IDE, concentrant leurs activités presqu’exclusivement sur le marché américain (Larimo, Marinov et Marinova, 2004). De par sa position dominante sur le marché américain et les avantages comparatifs dont elle dispose, Anheuser-Busch, contrairement à la quasi-totalité des BMN, n’a pas été obligée de suivre le même rythme d’acquisitions internationales. Elle peut donc se permettre d’attendre que la consolidation internationale de l’industrie soit assez avancée avant de procéder à des acquisitions majeures.359 La stratégie internationale d’Anheuseur-Busch se développe à deux niveaux : d’abord, la promotion de Budweiser comme marque globale de la firme sur les marchés internationaux360 ; ensuite, des partenariats avec une firme occupant une position privilégiée sur le marché national. Généralement, lorsqu’Anheuser-Busch désire pénétrer un marché par l’investissement, elle choisit une brasserie occupant le premier 359 La stratégie de croissance de la firme s’est principalement basée sur l’augmentation de ses parts de marché aux États-Unis, les marchés étrangers étant vus comme une source de profit complémentaire. Cela explique la stratégie d’investissement partiel dans des entreprises nationales dominantes. Étant donné la profitabilité du marché américain, l’entreprise considère plus avantageux de renforcer sa position sur celui-ci, sans négliger les marchés émergents. Ainsi aux États-Unis, la firme a concentré ses efforts sur la réduction des coûts et l’augmentation de la production. Le revenu par baril représente la moyenne du prix de vente obtenu des grossistes. Plus le revenu net par baril augmente, plus les bénéfices de la firme croissent. En outre, la contribution de la hausse du revenu par baril aux profits est environ le double de la contribution de la hausse du volume de production (Anheuser-Busch, 10K 2002).Cela se traduit par une plus forte contribution du revenu par baril aux profits de l’entreprise. En 2003, sur une hausse de 410 millions $US des ventes nationales, la part du revenu par baril y était de 324 millions $ et celle de l’augmentation du volume de 86 millions $US. En 2001, sur une hausse de 429 millions $US des ventes nationales, la part du revenu par baril s’est élevé à 298 millions $US et celle de la hausse de la production à 131 millions $US (Anheuser-Busch, 10K 2003). 360 Sur le développement des marques globales, voir la section 7.1.3.4. 270 ou second rang de l’industrie brassicole nationale. L’association s’effectue en deux temps : initialement, la firme réalise un faible investissement, entre 5% et 18% selon le cas ; par la suite, elle augmente sa participation au sein de l’entreprise en question. Cela peut aller de 20% dans le cas de CCU à plus de 50% dans le cas de Modelo.361 En ce qui concerne Coors, sa position de faiblesse sur le marché américain a longtemps constitué un frein à une expansion internationale. Outre quelques accords internationaux de licence et de distribution (cf. chapitre 8), la firme n’avait pas de présence internationale. À partir des années 2000 toutefois, la stratégie internationale de la firme se transforme alors qu’elle procède à deux transactions majeures. Privilégiant les marchés matures, Coors acquiert la brasserie anglaise Carling en 2001, puis quelques années plus tard, en 2004, annonce sa fusion avec la brasserie canadienne Molson. 7.1.3 Les stratégies concurrentielles dans l’industrie brassicole internationale La globalisation de l’industrie brassicole internationale durant les années 1990 favorise le développement de stratégies concurrentielles diversifiées. Deux approches particulières retiennent notre attention : les stratégies globale et régionale/nationale. Malgré la diversité des tactiques, toutes les firmes doivent identifier les niches susceptibles d’assurer leur croissance à l’échelle internationale. Cela passe notamment par la promotion de l’image de leurs bières et le développement de marques globales, une tendance lourde de cette période. Trois aspects doivent être considérés dans la détermination du degré d'internationalisation des BMN : l'aspect stratégique, l'aspect productif et les ventes. Il existerait deux stratégies de concurrence dans l'industrie brassicole internationale : les brasseries à stratégie globale et les brasseries à stratégie régionale et nationale.362 361 La stratégie d’achat est surtout dirigée vers les marchés émergents, délaissant grandement les marchés matures d’Europe où la firme noue plutôt des partenariats ou des alliances (cf. chapitre 8). Si l’entreprise a, dans un premier temps, privilégié des acquisitions en Amérique latine, c’est en Chine où elle a poussé le plus à fond son implication directe. Au début des années 1990, Anheuser-Busch acquiert plus de 90% de la brasserie chinoise Budweiser Wuhan International Brewing Co., part qui passera ensuite à 98% (SLPD, 28/04/2002, Business Wire, 21/10/2002). Par ailleurs, en novembre 2004, Anheuser-Busch a vendu sa participation dans CCU à une banque chilienne. 362 Il existerait un troisième niveau stratégique, le niveau national. Celui-ci constitue en fait le terrain effectif de la concurrence inter-firmes. Les stratégies des brasseries obéissent au principe des poupées russes, chaque niveau supérieur incluant l'ensemble des niveaux inférieurs. Ainsi, une brasserie à 271 7.1.3.1 Prédominance des stratégies globales Si les BMN adoptent à la fois l’exportation et la production internationale, cela se déroule dans le cadre d’une stratégie globale ou régionale. Une firme adoptant une stratégie globale “vend ses produits dans plusieurs pays et, afin d’y parvenir, emploie une approche globale intégrée” (Porter, 1990: 54).363 Alors que Porter met l’accent sur les aspects stratégiques et commerciaux, Andreff accorde, quant à lui, davantage d’importance à la structure interne de la firme et à son environnement.364 La stratégie globale implique à la fois un aspect stratégique, un aspect productif et un aspect commercial. Au niveau stratégique, l’entreprise adopte une perspective globale. Cette attitude implique des activités globales, régionales et nationales, de même qu’une structure de ressources humaines correspondante. Au niveau productif, la firme divise ses activités en plusieurs unités géographiquement distinctes. En outre, la fragmentation et la diversité des produits remplacent la standardisation en tant que norme de production.365 La capacité d’adaptation devient la norme à suivre. En développant ces aspects stratégiques et productifs, l’entreprise cherche à transformer ses avantages comparatifs en avantages compétitifs (Segal Horn, 2002).366 Au niveau des ventes, suivant en cela Rugman et Verbeke (2002 et 2004), les ventes de la firme se répartissent géographiquement au sein des trois régions de la nouvelle Triade. stratégie globale développe également des stratégies régionale et nationale, alors que la brasserie à stratégie régionale possède aussi des stratégies nationales. De son côté, la firme à stratégie dominante nationale, lorsqu’elle s’internationalisera, développera des stratégies régionales puis globales. De même, Rugman et Verbeke (2004) soulignent que les stratégies globales doivent aller de pair avec une capacité d’adaptation nationale (national responsiveness) afin que les firmes puissent bénéficier de leurs avantages spécifiques. 363 Selon Porter, la firme tire deux avantages fondamentaux de la stratégie globale, un avantage de configuration et un avantage de coordination. Dans le premier cas, l’entreprise est en mesure de répartir les activités de sa chaîne de valeur entre un nombre important de pays afin de servir le marché mondial. Dans le second cas, la compagnie possède la capacité de coordonner l’ensemble de ses activités et de choisir les modes de pénétration de chaque marché ou région (Porter, 1990). 364 Selon Andreff, les stratégies globales des firmes résultent de la combinaison de trois facteurs : les mutations technologiques, l’adaptation à l’après décomposition internationale du processus productif (DIPP) et la réaction vis-à-vis des risques encourus dans les pays hôtes. Cinq indices permettraient de conclure à une stratégie globale de la part d’une firme : la centralisation internationale du capital ; la structure de groupe prise par les FMN ; leur traitement de la R&D et de la technologie ; les alliances avec d’autres FMN ; l’intégration mondiale de leur production (Andreff, 1996). 365 Compte tenu de la non-disponibilité de la ventilation régionale de la production brassicole par compagnie, la répartition des unités productives à travers le monde constitue la mesure de globalité de cette variable. 366 Sur l’analyse de l’avantage compétitif, mais appliqué aux nations, on consultera aussi Porter (1990). 272 Dans le cas des BMN, l’existence de stratégies globales touche ces trois aspects, mais à des degrés divers. Bien que ces brasseries possèdent des unités productives propres, établies dans plusieurs pays du globe, c’est principalement à l’échelle stratégique qu’on différencie entre les firmes où prédominent les stratégies globales des autres entreprises. En effet, les activités de vente, de distribution, mais surtout de marketing et des brasseries constituent les domaines où se révèlent le plus solidement l’existence de brasseries globales. Trois firmes en particulier ont poussé plus à fond l’approche globale, Interbrew/Inbev, Heineken et Carlsberg. Mais l’existence de stratégies globales signifie-t-elle pour autant que ces firmes soient globales ? * Interbrew/Inbev Suite à l’intégration de la brasserie canadienne Labatt et jusqu’en 1999, Interbrew avait adopté un fonctionnement dual, c'est-à-dire une gestion séparée entre les activités nord-américaines et européennes (Interbrew, RA 1999). À partir de 1999, toutefois, le développement international de la firme l’oblige à modifier sa structure organisationnelle : elle est divisée en cinq zones géographiques. Cette division permet à l’entreprise d’asseoir sa stratégie globale. Compte-tenu des nombreuses acquisitions qu’elle réalise durant les années 1990, Interbrew dispose d’un portefeuille de marques extrêmement varié. Afin de mettre à profit cet avantage, la réorganisation de l’entreprise s’est accompagnée du lancement de marques mondiales (Beamish et Goerzen, 2000; Interbrew, RA 1998 à 2004). Dans un premier temps, Interbrew choisit une marque, Stella Artois, qui sera promue sur l’ensemble des marchés où opèrent la firme ou ses filiales.367 L’entreprise combine alors cette marque globale avec des marques multi-pays et nationales afin d’offrir aux consommateurs un triple choix : premièrement, les bières locales, connues, touchant généralement les premiers segments du marché et donc moins dispendieuses ; deuxièmement, des marques “de spécialité” ou multi-pays, présentes sur des marchés régionaux et positionnées entre les deux extrémités ; troisièmement, 367 En 1998, Interbrew dut décider entre ses deux principales marques, Stella Artois et Labatt Blue, laquelle constituerait la marque centrale de la firme. Il fut considéré que le potentiel de croissance de Labatt Blue se limitait aux États-Unis, alors que les ventes de Stella Artois montraient de meilleures progressions sur les marchés d’Europe centrale et orientale, d’Asie et d’Océanie (Beamish et Goerzen, 2000). 273 une marque globale, représentant la firme sur tous les marchés et positionnée dans le segment premium.368 * Heineken La stratégie de Heineken ressemble quelque peu à l’approche qu’a adoptée Interbrew. Tout comme sa concurrente, Heineken possède deux marques globales, Heineken et Amstel, ainsi que plusieurs marques nationales et de spécialité. Cependant, contrairement à Interbrew, qui ne dépend pas d’une marque en particulier, la firme hollandaise dépend de sa principale marque, Heineken, pour une large part de son volume et de ses ventes. Bien que les distributeurs nationaux disposent d’une plus grande liberté sur les opérations locales, la maison-mère centralise les décisions en matière de vente, de marketing et de communication (Heineken, RA 2003). Les deux marques mondiales de la compagnie sont distribuées à travers le monde, Heineken étant disponible dans plus de pays qu’Amstel, et sont positionnées dans le segment premium et populaire respectivement. Comme le souligne l’entreprise, “la présence de la marque (Heineken) est renforcée lorsqu’elle est ajoutée à un portefeuille contenant des marques locales ou régionales” (Heineken, RA 2000: 17). * Carlsberg Tout comme Heineken, la brasserie Carlsberg développe une stratégie globale centrée autour de deux marques phares, Carlsberg et Tuborg, ainsi que plusieurs marques régionales et les nationales. La firme a fortement internationalisé ses activités, tant en matière de production que de ventes. En 2002, plus de 95% des ventes sonnt réalisées hors du Danemark alors que l’entreprise contrôlait 49 brasseries à travers le monde, appuie la stratégie globale de la firme (Carlsberg, RA 2002). Outre la propriété de ses propres brasseries, la firme développe une politique de prise de participation minoritaire au sein des brasseries nationales avec lesquelles elle fait affaire. Cela lui permet d’assurer un plus grand contrôle sur la gestion de ses marques Carlsberg et Tuborg. 368 Résultat de l’intégration des grandes acquisitions de la firme, Interbrew/Inbev a ajouté deux autres marques globales à son portefeuille, Beck’s (Allemagne) et Brahma (Brésil) (Inbev, RA 2004). 274 Tableau 7.2 Distribution géographique des ventes de certaines BMN en 20031 Interbrew Heineken Carlsberg SABMiller Coors Europe 4,5 (66%) 7,1 (71%) 4,5 (97%) 1,6 (20,3%) Amériques 1,8 (26,8%) 1,5 (15%) -- 4,0 (49,1%) Asie/Afrique Total 0,5 (7,2%) 6,9 1,4 (14%) 10 0,2 (4%) 4,7 2,5 (30,6%) 8,1 1,6 (40%) 2,4 (60%) 4,0 AnheuserBusch 0, 636 (5,4%)2 ND ND 11,6 1 : Pour Interbrew, Heineken et Carlsberg, les chiffres sont en milliards d’euros ; pour SABMiller, Coors et Anheuser-Busch, en milliards de dollars. 2 : totalité des ventes internationales d’Anheuser-Busch ; la compagnie ne ventile pas géographiquement ses ventes. Ce montant inclut également les licences accordées à des brasseries étrangères. Sources : Rapport annuel 2003 de chaque entreprise. Alors qu’Interbrew, Heineken et Carlsberg peuvent être considérées comme des firmes à stratégie globale, constituent-elles des firmes globales en termes de ventes ? Selon le critère de globalité de Rugman et Verbeke (2002 et 2004), lorsque l’on étudie les ventes internationales des trois brasseries (tableau 7.2), aucune d’entre elles n’est globale : Interbrew est bi-régionale (Europe et Amériques), alors qu’Heineken et Carlsberg apparaissent comme des firmes uni-régionales (Europe). On constate par ailleurs une distinction entre les deux brasseries américaines, Coors et AnheuserBusch. La première est devenue, depuis 2001, une firme bi-régionale, suite à l’acquisition de Carling en Grande-Bretagne. Anheuser-Busch est demeurée une firme uni-régionale. Selon ce tableau, seule SABMiller est globale en termes de ventes : les Amériques représentent 49,1%, l’Europe 20,3% et l’Afrique/Asie 30,6%. SABMiller constitue un cas particulier dans l’industrie brassicole internationale. Elle reste l’une des deux seules BMN ne provenant pas d’un marché mature, l’autre étant Ambev. De plus, sa région d’origine, l’Afrique australe, ne montre pas un niveau de consommation per capita élevé.369 Lorsque l’on se réfère à la variable stratégique, on ne peut identifier une stratégie globale de SABMiller au même titre que ses trois concurrentes. Jusqu'à l’acquisition de Miller en 2002, la firme avait surtout privilégié les marchés émergents, ce qui la confinait surtout, outre sa base d’opération africaine, à l’Europe de l’Est et à l’Asie. Au niveau productif, là aussi, la structure de la firme n’était pas globale avant l’achat de Miller. Cette transaction fait de la firme une 369 La consommation per capita de l’Afrique du sud a baissé de 14,1% entre 1990 et 2003, passant de 65,2 litres/an à 56 litres/an (Impact, 2005). 275 entreprise à stratégie régionale, au sens de Rugman et Hodgetts (2001). Toutefois, en termes de ventes, la compagnie constitue une firme globale. La distribution géographique des ventes ne constitue toutefois pas la seule mesure du caractère global des entreprises. Elle ne peut rendre compte de l’ensemble des activités internationales de la firme car elle se limite à la répartition géographique des ventes. La CNUCED a développé un indice de transnationalité basé sur trois ratios distincts : les actifs internationaux sur les actifs totaux, les ventes internationales sur les ventes totales et l’emploi international sur l’emploi total. L’indice de transnationalité est la moyenne des trois ratios. L’union de ces trois éléments permettrait de prendre en compte à la fois les ventes, l’emploi et les avoirs internationaux de la firme : plus l’indice de transnationalité est élevé, plus la firme est internationale (WIR, 2000: 78).370 370 Ce que fait ressortir l’indice de transnationalisation est la prévalence des firmes provenant de marchés nationaux à taille réduite. La taille du marché national constituerait une variable-clé dans l’internationalisation des firmes (WIR, 2000). Cela pourrait expliquer la tendance que l’on observe dans l’industrie brassicole internationale, alors que les BMN en provenance de petites économies s’internationalisent davantage que leurs concurrentes des économies plus importantes. 276 Tableau 7.3 Indice de transnationalisation de certaines brasseries, plusieurs années AI 13 Inter brew Hein eken Carl sber gde SAB M Coor s Anhe userBusc h Mod AT 13 AI/A T (%) CAI1 CAT 1 2003 ND 8537 ND ND 7044 CAI/ CAT (%) ND 2000 1998 a ND ND ND 3352,5 ND ND 5657 3403,6 2003a ND 10 897 ND ND 2 719,1 NDb 1999a 6 793 7853 86,5 1996 ND 2927 2003 ND 2000 1996/ 97 2003 EI 2 ET 2 EI/ET (%) ND ND ND ND 79,9 ND ND 34 203 16 727 ND ND 7700 ND 61 271 91,4 5965b 7028 84,9 56 015 31086 ND 4496 5506 81,7 46 712 ND ND 34 626 ND 20 695 ND ND ND 12 641 ND 8124f 8480f 2000 882 f 1998 36 733 84,6 31 682 81,8 ND 25 916 ND 31 375 ND 25 712 ND ND 23 641 ND ND 14 918 ND ND 18 081 ND 95,8 6362g 7632g 83,4 36 096 90,0 1391f 63,4 1249 2857 43,7 23 253 67,8 482f 972 f 49,6 1081 2885 37,5 19 395 57,9 1997i 2003 2000 1996 2003 2354 2828 0 0 250,1 5476 4486 1629 1363 8054,8 43,0 63,0 0 0 0,03 3101 2410 0 0 636,6 11 055 4000 2414 1732 11 621h 28,1 60,3 0 0 0,5 30 672 15 763 11 222 ND 3100 100c 100 ND ND 8500 5850 5800 23 316 ND 36,5 0,02 0,02 ND 2000 213,1 7705,4 0,03 528,3 10 103,5h 0,5 ND 23 725 ND 1996 0 8458,6 0 ND ND 0 25 123 0 2003 0 64 055 0 10 143,9 25 961 h h 10 41,6 0 47 593 0 803 elo 2000 0 45 301 0 6643 26 943 24,7 0 46 890 0 1997 0 23 338 0 3961 14 451 27,4 0 38 757 0 CC 2003 0 28 936 0 1535 21 924 7,1 0 16 461 0 2000 0 24 291 0 1177 19 248 6,1 0 17 213 0 Mj 1996 0 22 548 0 886 16 195 5,5 0 13 910 0 A.I. : Actifs internationaux A.T. : Actif total C.A.I. : Chiffre d’affaires international C.A.T. : Chiffre d’affaires total net E.I. : Emploi International E.T. : Emploi total 1 : les données sont en millions de dollars, sauf lorsqu’indiqué. 2 : En milliers d’employés 3 : actifs fixes. Comprennent les actifs tangibles et financiers fixes A : montants en euros. Pour 1996, les montants sont en écus B : à partir de 2000, Heineken ne fournit plus le chiffre des ventes aux Pays-Bas, mais ventile par région du monde. j 277 C : en 2000, Coors ferma son unité en Espagne, acquise en 1994 (environ 100 employés et une production inférieure à 500 000 hl.). La participation de la brasserie espagnole dans les résultats de Coors était comme négligeable par la compagnie (Coors, 10K 2000). D : les données pour Carlsberg comprennent également les opérations de breuvages autres que la bière. L’entreprise ne fournit pas d’information spécifique sur ses activités au Danemark. Les montants sont exprimés en Couronnes danoises E : couvre une période de 15 mois F : actifs opérationnels de la division brassicole de SAB G : ventes totales H : inclut les licences qu’accorde Anheuser-Busch aux brasseries étrangères (Anheuser-Busch, RA 2002 et 2003) I : les montants sont exprimés en Rands sud-africains J : les montants sont exprimés en pesos mexicains Sources : Rapports annuels des compagnies, diverses années ; documents soumis à l’autorité des marchés financiers américaine (Securities and Exchange Commission, SEC). Le tableau 7.3 montre la difficulté d’analyser le degré d’internationalisation des BMN selon le critère de la transnationalité. Pour plusieurs entreprises, la ventilation des données n’est pas fournie. Un autre problème se pose dans l’établissement de notre indice : l’absence de référence spécifiquement au pays d’origine dans la présentation des résultats de la firme. Un indice de transnationalisation a pu être calculé pour une seule BMN pour les années retenues : SABMiller. Il est toutefois possible de formuler un certain nombre de commentaires à partir du tableau et d’autres statistiques disponibles. En ce qui concerne Interbrew et Carlsberg, malgré la rareté de l’information, on peut supposer que la transnationalisation des deux entreprises progresse entre 1996 et 2003. Le seul indice disponible, le chiffre d’affaires d’Interbrew en 1998, montre un taux de transnationalisation de 79,9%.371 L’emploi et les actifs totaux suivent une croissance similaire, ce qui laisse croire à une augmentation de la transnationalisation de l’entreprise. Quant à Carlsberg, on peut pallier l’insuffisance des données par le recours au pourcentage du volume international sur le volume total de ventes de l’entreprise. Là aussi on observe une croissance de l’importance des marchés internationaux : en 1996/97, le volume international représente 85,2% du volume total de la firme ; en 2000, ce pourcentage augmente à 90,5%. Finalement, il s’établit à 95,3% en 2003.372 Parallèlement à la hausse des volumes internationaux, soulignons 371 Ce taux passe à 83,4% en 1999 (Interbrew, RA 1999). En outre, l’acquisition de la brasserie canadienne Labatt en 1995 a fortement accru la transnationalisation de la brasserie. 372 Dans le cas de Carlsberg, deux forces se combinent : une diminution constante de la consommation au Danemark et la multiplication des acquisitions de la firme, ce qui entraîne une forte poussée des 278 une progression correspondante du chiffre d’affaires de la firme : de 19,4 milliards de couronnes danoises en 1996/97, il passe à 25,6 milliards de couronnes en 2000 puis à 34,6 milliards en 2003 (Carslberg, RA 2001 et 2004). Dans le cas d’Heineken, trois remarques s’imposent. D’une part, l’indice de transnationalisation de l’emploi croît sur les trois années retenues. Il passe de 81,8% en 1996 à 85,2% en 2000 puis à 91,4% en 2003. Ensuite, et même si nous ne disposons pas des trois indices de l’actif international, on peut supposer que lui aussi augmente durant la période. En observant l’emploi et le chiffre d’affaires pour 1996 et 1999, on note une progression de l’indice de transnationalisation, ce qui permet de croire à une tendance similaire pour l’actif.373 Finalement, en se basant sur les deux remarques précédentes, on note que Heineken était la brasserie la plus transnationale jusqu’au milieu des années 1990. Les autres BMN, en augmentant leurs niveaux d’internationalisation, réduisent l’écart avec la brasserie hollandaise. C’est le cas notamment de SABMiller. La firme montre une transnationalisation de plus en plus poussée de ses activités. L’indice de transnationalisation augmente régulièrement entre 1998 et 2000, passant de 48,3% à 58,3% puis très fortement durant les trois années suivantes, s’établissant à 89,7% en 2003. Notons tout de même que l’internationalisation du chiffre d’affaires demeure un peu en retrait des deux autres. Les compagnies américaines sont très faiblement transnationalisées. Jusqu’à la seconde moitié des années 1990, elles n’étaient pas du tout transnationalisées, préférant l’investissement de portefeuille (Anheuser-Busch) et le développement du marché national (Coors). Il faut souligner, dans le cas d’Anheuser-Busch, que les licences internationales remplacent la nécessité de transnationaliser les activités de la firme. Les brasseries mexicaines sont les moins transnationalisées. Sauf pour les ventes internationales, les entreprises mexicaines ne développent pas d’activité productive internationale. Et même cette variable montre un plus faible degré ventes à l’étranger. C’est en 2001 que l’écart se creuse le plus, alors que les ventes à l’étranger s’établissent à 64 millions d’hl. contre 38 millions d’hl. en 2000 (Carlsberg, RA 2001). 373 L’entreprise a présenté ses résultats en écus en 1997, puis en euros par la suite. La conversion de la Guilde néerlandaise à l’écu puis à l’euro est demeurée sensiblement identique : 1 euro = 2,2037 guildes (1998) et 1 écu= 2,2275 guildes (1997) (Heineken, RA 1997 et 1998). 279 d’internationalisation des brasseries mexicaines vis-à-vis des autres brasseries multinationales. En se basant sur l’indice de transnationalisation, on peut avancer que les brasseries mexicaines dépendent davantage de leur marché national que les BMN. Il ressort de cette analyse que les BMN autres que nord-américaines suivent la tendance identifiée par la CNUCED : durant les années 1990, nous aurions assisté à une transnationalisation de plus en plus poussée des activités des industries manufacturières, celles-ci surpassant l’indice de transnationalité de 50% (WIR, 2000).374 En croisant les critères de transnationalisation de la CNUCED et le tableau 7.1, on parvient à la conclusion que la SABMiller n’est pas l’unique brasserie globale dans l’industrie brassicole internationale. Interbrew, Carlsberg et Heineken peuvent également être considérées comme des brasseries globales.375 7.1.3.2 Prédominance des stratégies régionales et nationales Jusqu’au milieu des années 1990, les stratégies régionales constituaient l’apanage de la majorité des BMN. Par la suite, la consolidation de l’industrie renforce la domination des firmes à stratégie globale. Tout comme l’approche précédente, l'approche régionale comporte un aspect stratégique, un aspect productif et un aspect commercial. La firme articule l’ensemble de sa stratégie (domestique et internationale) autour de sa région d’origine.376 Bien qu’elle vende ses produits sur des marchés extra-régionaux, ses acquisitions et investissements créatifs s’effectueront principalement dans sa région d’opération, lui permettant ainsi d’assurer une présence plus importante sur ces marchés. En ce qui concerne les ventes, celles-ci seront là aussi concentrées sur la région. 374 Des six industries qu’analyse le WIR de 2000 (pétrolière, automobile, électronique/appareils électroniques, pharmaceutique, chimique et aliments/breuvages), seule l’industrie automobile montre un indice de transnationalisation inférieur à 50% durant l’ensemble des années 1990. 375 Le cas de la brasserie Coors montre cependant les limites de cet indice. Jusqu’en 2000, la firme n’était aucunement transnationalisée. En 2003, son indice de transnationalisation surpasse les 50%, s’établissant à 53,3%. Toutefois, la totalité de ce changement résulte de l’acquisition de la brasserie Carling en Grande-Bretagne en 2001. 376 Les causes d’une telle approche sont multiples : la firme ne possède pas suffisamment d’expérience des marchés internationaux ; elle désire réaliser des économies d’échelle, toutefois, compte tenu de sa taille, cela ne peut se produire au niveau global, mais au niveau régional ; elle se positionne régionalement afin de protéger son marché national ; finalement, les dirigeants veulent accroître la valeur de l’entreprise et ainsi la rendre plus attractive auprès d’acquéreurs potentiels. 280 En ce qui concerne la firme à stratégie nationale, la quasi-totalité de ses activités et de ses ventes demeurent centrées autour du marché national. Pour les brasseries développant des stratégies régionales ou globales, la composante nationale sera également présente. Les BMN doivent alors décider si elles veulent produire pour le marché national ou plutôt assurer leur présence par l’exportation. Dans ce dernier cas, elles doivent également identifier la firme nationale avec laquelle elles s’associeront afin de promouvoir leurs marques (cf. chapitre 8). Dans le cas de l’industrie brassicole internationale, outre les éléments soulignés précédemment, l’approche régionale passe également par la promotion de marques régionales, des bières présentes sur plusieurs ou la totalité des marchés de la région, mais absentes des autres régions où évolue l’entreprise. Deux entreprises, Ambev en Amérique du Sud et Scottish & Newcastle en Europe, ont développé de telles stratégies régionales. * Ambev en Amérique du Sud À partir de 1994, Brahma amorce le processus qui conduit à l’internationalisation d’Ambev.377 L’objectif de la firme est de pénétrer plusieurs marchés sud-américains, à la fois par acquisition et par investissement créatif, ce qui la positionnerait comme la brasserie majeure dans la région (Brahma/Ambev, 20-F 1998). L’expansion vers les marchés sud-américains doit permettre à la firme de profiter d’économies d’échelle et de développer certaines de ses marques. Bien que la firme acquière la brasserie vénézuélienne Cervecera Nacional et procède à la construction d’une brasserie en Argentine en 1994, et même si elle développe ses propres capacités productives dans la région durant la seconde partie des années 1990, c’est à partir de 2001 que la stratégie régionale de la firme se concrétise. Ambev achète des brasseries en Uruguay, et au Paraguay (tableau 7.1). L’entrée au capital de 377 Ambev est née en 1999 de la fusion des deux principales brasseries brésiliennes, Brahma et Antartica Paulista (cf. chapitre 5). 281 la brasserie argentine Quilmes en 2002378 permet à Ambev d’assumer une position dominante en Amérique du Sud. 379 * Scottish & Newcastle en Europe et en Asie La firme anglaise, tout comme ses principales concurrentes européennes, désire atteindre le niveau de brasserie globale, mais son internationalisation demeure avant tout régionale.380 Toutefois, contrairement à Ambev qui s’est limitée à l’Amérique du Sud, la stratégie internationale de S&N est bi-régionale puisque la firme est présente en Europe et en Asie (tableau 7.1). Au niveau productif, la firme n’a pas procédé à des investissements créatifs, préférant une stratégie d’acquisition afin d’accroître ses volumes. Sur les deux continents, S&N a privilégié une stratégie basée sur des marques nationales fortes et la distribution d’une marque, Kronenbourg, dans plusieurs marchés d’Europe de l’Ouest.381 7.1.3.3 Stratégies de niche et de promotion d’image On entend deux choses par les stratégies de niche : d’une part, le développement de nouveaux types de bières afin d’occuper de nouveaux segments de marché ; d’autre part, l’occupation de segments spécifiques de marchés nationaux (Monopolies and Mergers Commission, 2001). Une entreprise peut développer une telle stratégie en réponse à une limitation de ses ressources financières (Morrison et Roth, 1992) ou 378 Opération qui s’officialisera en janvier 2003. Quilmes dominait les marchés argentin, bolivien, uruguayen et paraguayen ; la brasserie possédait également une unité de production au Chili (Ambev, 20-F 2002). 380 Une des hypothèses pouvant expliquer le retard d’internationalisation de la firme vis-à-vis ses principales concurrentes européennes serait la consolidation du marché anglais à partir des Beer Orders de 1989 (cf. chapitre 5). Suite à ces recommandations des autorités de la concurrence anglaise, on assista à une réorganisation de l’industrie. Ce n’est qu’au début des années 2000 que ce processus est complété. Les compagnies britanniques se sont donc préoccupées de leur marché interne avant de procéder à des acquisitions internationales, ce qui limitait leurs options par la suite. 381 C’est d’ailleurs cette caractéristique qui distingue S&N de Carlsberg et Heineken. Si en termes de ventes ces deux brasseries sont régionales (de leur région d’origine), la stratégie de promotion d’une ou plusieurs marques internationales/globales les distingue de S&N. Dans le cas des marchés indien et chinois, les transactions étant plutôt récentes, la firme n’a pas encore développé une stratégie de marques de ses propres produits à destination de ces marchés. Il convient de souligner, par ailleurs, une particularité importante touchant S&N : l’une des marques les plus importantes de son portefeuille en terme de volume, Foster’s (qui constitue sa marque la plus vendue en Grande-Bretagne) découle en fait d’un accord de licence avec la brasserie australienne Foster’s. 379 282 lorsqu’apparaissent des discontinuités dans l’environnement d’une industrie (Swaminathan, 1998).382 Une entreprise peut s'accaparer d'une niche en développant un nouveau produit ou en s'adressant à une clientèle particulière. Dans le cas de l'industrie brassicole, cela signifie la création de nouveaux types de bières. Les bières Ice ou Dry représentent des exemples de création de niche. Toutefois, cette niche tendra à disparaître lorsque les concurrentes pénètreront le même segment du marché. Lorsque la firme s'adresse à un public particulier, elle se positionne généralement en marge des entreprises dominant le marché. Dans le cas des marchés matures d’Amérique du Nord et d’Europe de l’Ouest, par exemple, la stratégie de niche touchera le segment des bières importées et surtout celui des microbrasseries. Une telle approche, en se situant dans des segments de marché avec de plus fortes marges bénéficiaires, accroît la compétitivité des firmes (Heijbroek et al., 1996). Dans le cas des BMN, la stratégie de niche s’inscrit dans une perspective de complémentarité des marques : il s’agit de positionner les marques locales dans les divers segments inférieurs de l’industrie brassicole nationale, de positionner Amstel dans la catégorie sub-premium par exemple et Heineken en complément de ces marques dans la catégorie des bières premiums. Outre l’accès aux réseaux de distribution international et national, le marketing et la publicité représentent le principal lieu de la concurrence dans l’industrie brassicole internationale et l’un des principaux coûts irrécupérables auxquels font face les brasseries (Monopolies and Mergers Commission, 2001). Compte tenu de la nature du produit, la bière, les dépenses publicitaires et promotionnelles constituent l'un des principaux postes budgétaires des brasseries (figure 7.1). 382 Les discontinuités intra-industrie résultent soit des innovations technologiques ou d’une évolution du comportement des consommateurs. La création de niches, tant nationales qu’internationales, reflète avant tout une segmentation plus poussée de ladite industrie. 283 Figure 7.1 Structure générale des marges et des coûts des BMN Ventes 100% Marges 10% Taxes/impôts 4% Profits 6% Coûts 90% Coûts fixes 58% Coûts variables 32% Administration Marketing/prom otion des ventes Matières premières 24% Autres Énergie Rémunération/ Employés 24% Eau Transport 4% Intérêts 2% Dépréciation 28% Empaquatege 8% Maintenance Source : Arend M.A. Heijbroek, E.M.L. de Schutter et M.J. Boon, The World Beer Market. A Conglomerate of National Markets, Utrecht: Rabobank, 1996. En analysant la structure des coûts des BMN, on remarque que les coûts fixes, notamment les dépenses publicitaires, constituent la plus importante partie des dépenses des brasseries. Cela est dû en grande partie à la structure de l’industrie. Nous avons noté précédemment la nature oligopolistique de celle-ci et l’existence de fortes barrières à l’entrée. Les coûts de réputation, dont font partie les dépenses publicitaires, constituent l’une des principales barrières (Bain, 1956). Il s’ensuit que les brasseries doivent investir fortement afin de maintenir ou de gagner des parts de marché. En comparant la structure des coûts des BMN à la structure des coûts des brasseries mexicaines (cf. figure 4.7), on constate certaines différences importantes. D’une part, les impôts et les taxes constituent un part beaucoup plus importante des coûts de Modelo et CCM que la norme de l’industrie. Les BMN consacrent 4% de leurs ventes aux taxes et impôts, alors que les brasseries mexicaines y allouent 28%. Par ailleurs, les coûts de la main-d’œuvre apparaissent nettement plus élevés pour les BMN que pour Modelo et CCM. Les salaires représentent moins de 21% des dépenses des brasseries mexicaines,383 alors qu’ils constituent 24% des dépenses des BMN. La dernière distinction d’importance a trait aux coûts de commercialisation. Compte tenu de l’histoire et de la nature de l’industrie brassicole mexicaine, les dépenses de commercialisation et de marketing sont très élevées, représentant 34% du total. Dans l’industrie brassicole internationale, les dépenses de marketing et de promotion des ventes accaparent un pourcentage beaucoup moins élevé. Selon la figure 7.1, en y associant les dépenses administratives et la catégorie “autres”, les coûts “d’image” ne dépassent pas 24%. Les brasseries font face à quatre attentes des consommateurs vis-à-vis des produits qu’ils achètent : une image psychologique positive, des bénéfices identifiables, de la qualité (et de la valeur) ainsi qu’un sentiment de découverte (Brandweek, 22/08/1994). Ce défi est d’autant plus grand pour les brasseries, car deux des objectifs les plus importants de toute brasserie est de maintenir la loyauté des consommateurs et d’innover (dans les recettes et les méthodes de production), tout en maintenant le caractère traditionnel d’une bière (Modelo, 2000; Oliveira Vera-Cruz, 2000). L’objectif des brasseries est donc de s'adapter aux goûts et aux caractéristiques de leurs publics afin d'accroître l'efficacité de leur message et l'augmentation des ventes. C'est ainsi qu’Heineken a par exemple adopté une double approche de marketing et de croissance aux États-Unis. D’une part, la segmentation du marketing vers les hispanophones et les noirs, ces deux groupes constituant un pourcentage plus important de consommateurs des bières de la firme en proportion de leur poids démographique. D'autre part, la couverture totale du territoire américain grâce à un réseau de distribution centrée autour de son importateur/distributeur (BI, 01/07/2002; Van Munching, 1997). 383 Les salaires font partie des coûts administratifs et manufacturiers des brasseries mexicaines , ceux-ci totalisant 21%. Toutefois, ces deux coûts comprennent, outre les salaires, l’eau, les bouteilles, l’énergie, l’empaquetage, les installations, la communication, l’informatique, les services administratifs, les services financiers et les dépenses de voyage (ANAFACER, 2004b). Si on prend l’année 2003 comme exemple, les salaires représentèrent 2,5% des coûts de Modelo, alors que l’empaquetage et les contenants représentèrent 4,4% des dépenses (Grupo Modelo, RA 2003). 285 Un des outils privilégiés par les BMN afin d’assurer la permanence de leurs marques est la commandite, tant d’événements culturels, académiques que sportifs.384 Ces derniers représentent d’ailleurs le véhicule promotionnel préféré des brasseries, car ils rejoignent généralement leur public cible, les hommes âgés de 18 à 40 ans. 7.1.3.4 Développement de marques globales Les stratégies de marketing globales et de niche qui se développent depuis le début des années 1990 accompagnent une nouvelle tendance : l’émergence de marques globales. Toutes les BMN affirment détenir une marque globale, mais est-ce le cas ? Quels sont les critères permettant d’identifier une marque comme étant globale ? Il existe très peu d’études sur les bières globales. Dans une analyse du développement des marques internationales, Koster (2002) soutient qu’une bière est globale lorsque le niveau des ventes hors du territoire national représente un fort pourcentage des ventes totales de la marque. Dans cette optique, Koster identifie uniquement six marques globales : Heineken, Corona Extra, Amstel, Carlsberg, Guinness et Stella Artois. Bien qu’elle soit intéressante, cette classification souffre d’un manque de clarté.385 Outre le niveau de ventes internationales sur les ventes totales, deux autres variables doivent être prises en considération lorsque l’on considère la portée globale d’une marque : le nombre de pays où l’on retrouve la marque ainsi que la ventilation 384 Heineken par exemple, énonce clairement sa politique de commandite: “Our sponsorship strategy for the Heineken brand is to build brand equity through relevant associations with high-impact, highprofile sports and music events, films and the world of Hollywood.” (Heineken, RA 2004: 30). 385 Koster ne définit pas le pourcentage de vente hors du territoire national permettant de qualifier une bière de globale. Ainsi, des six marques globales qu’il identifie en 2001, toutes sauf une, Corona Extra, présentent un taux de vente hors du territoire national supérieur à 80%. Toutefois, Corona Extra, avec 35% des ventes hors du Mexique, constitue également une marque globale, alors que Budweiser avec moins de 20% de ventes hors territoire national, n’est pas considérée comme telle. Par ailleurs, en consultant les chiffres de 1999 (tableau 7.5), on remarque une nette tendance à la hausse des ventes hors territoire national pour l’ensemble des marques. Le critère du pourcentage de vente hors territoire national doit tenir compte de la grande taille du marché national de plusieurs BMN. À cette fin, nous proposons un taux de 20%, puisque ce pourcentage tient compte des brasseries qui, tout en ayant un niveau d’exportation nominale important, ne détiennent pas un rapport aussi fort que des marques ayant un taux plus élevé. En outre, ce taux permet de d’éliminer le déséquilibre résultant d’une marque ayant un haut volume de vente, mais provenant d’un marché d’origine où la consommation totale est nettement moins élevée qu’un marché plus important. 286 géographique des ventes.386 La présence dans un nombre important de pays, au moins une centaine, répartis sur tous les continents, témoigne d’une stratégie globale et non seulement régionale ou multinationale. En combinant les deux variables, on obtient un nombre de marques globales plus important que Koster, soit sept (tableau 7.5).387-388 Tableau 7.4 Principales marques internationales de bière par volume, 1990-2003 (en millions d’hl) Marque Compagnie Bud Light AnheuserBusch,Inc AnheuserBusch,Inc Inbev Grupo Modelo Heineken NV Coors Brewing Co. Asahi Breweries Ltd SABMiller Inbev Budweiser Skol Corona Extra Heineken Coors Light Asahi Super Dry Miller Lite Brahma Chopp Polar Pays d’origine États-Unis 1990 1995 2000 2003 14,0 21,7 37,7 44,7 États-Unis 59,3 49,3 46,2 43,5 Brésil Mexique Pays-Bas États-Unis 6,0 10,6 15,5 14,4 11,8 15,5 17,1 16,7 28,9 24,1 21,6 19,6 31,9 27,0 22,1 19,5 Japon 14,3 15,5 24,6 18,8 États-Unis Brésil 23,4 18,4 18,7 24,3 18,9 19,6 18,6 16,3 Cervecería Polar Venezuela 10,2 14,4 15,0 CA Source: Impact Databank, The Global Drinks Market. Impact Databank Review and Forecast, 2004 Edition, New York: M. Shanken Communications, 2005. 14,4 Les tableaux 7.4 et 7.5, pris ensembles, nous permettent d’émettre une hypothèse quant au développement des marques globales. Cette tendance résulterait de la nécessité pour les brasseries de pays à faible population d’accroître l’internationalisation de leur produit. Seule une telle stratégie permet de poursuivre la croissance de la marque, et par extension, de la firme. En procédant ainsi, les brasseries diminuent leur dépendance vis-à-vis du marché national. Inversement, les 386 Avant les années 1990, l’existence de marques globales s’expliquait principalement par la petitesse du marché national de certaines brasseries. Pour les BMN provenant de pays à faible population, la croissance passait donc par l’internationalisation de certaines de leurs marques. 387 Heineken, Amstel, Corona Extra, Carlsberg, Guinness, Foster’s et Stella Artois. 388 Le cas de Budweiser constitue une exception dans cette liste. Depuis le début des années 1990, on assiste à une diminution constante des ventes de Budweiser sur le marché américain. Il devient donc important pour Anheuseur-Busch d’assurer de nouveaux marchés pour son produit. À partir de 1994, Anheuseur-Busch augmente donc la promotion de la Budweiser afin de la positionner internationalement. Due à la forte chute dans la consommation aux États-Unis, cette bière s’apparente aujourd'hui à une marque globale, bien qu’elle ne remplisse pas notre critère de distribution internationale. 287 brasseries profitant d’un vaste marché national ne développeraient pas de marques globales dans la mesure où le marché national comblerait, dans l’ensemble, l’offre de leurs produits. En consultant la liste des principales marques de bières au monde (tableau 7.3), on remarque que seules trois d’entre elles, Budweiser, Corona Extra et Heineken se retrouvent également parmi les plus importantes marques de bières vendues hors du territoire national (tableau 7.4). De ces trois marques, Heineken est de loin la plus internationale avec un volume de ventes hors territoire national de 79,4% en 1999 et de 83% en 2001. D’autre part, des huit marques les plus vendues internationalement, seules deux, Corona Extra et Budweiser, ne proviennent pas de pays à faible population. En outre, l’influence des ventes internationales augmente pour l’ensemble des marques, celles provenant des petits marchés surpassant toutes les 80% de ventes à l’étranger en 2001.389 En revanche, des dix premières marques mondiales, deux seules, Heineken et Polar, n’originent pas d’un pays à forte population. Tableau 7.5 Marque Volume de vente des marques hors du territoire national 1999 et 2001 (en millions d’hl) Compagnie Heineken Heineken Pays d’origine Pays-Bas Corona Extra Amstel Carlsberg Budweiser Guinness Foster’s Stella Artois Modelo Mexique Ventes 1999 16,2 (79,4) 6,6 (29,3) Pays-Bas Danemark États-Unis Irlande Australie Belgique 5,8 (73,4) 7,9 (79) 7,5 (16) 7,4 (77,9) 6,9 (78,4) ND Amstel Carlsberg Anheuseur-Busch Guinness (Diageo) Foster’s Interbrew Ventes 2001 18,6 (83,0) 8,9 (82,4) 8,8 (83,0) 8,4 (18,6) 8,2 (81,2) 7,5 (87,2) 6,8 (84,0) 8,9 (34,9) Entre parenthèse, le pourcentage des ventes réalisé hors du marché national Sources : Impact Databank, The Global Drinks Market. Impact Databank Review and Forecast, 2001 Edition, New York: M. Shanken Communications, 2002; Peter Koster, Beer: it’s all about brands, Amsterdam: FBS Bankiers, 2002. 389 Le cas de Budweiser est particulier en ce sens qu’il s’agit de la seule marque de la liste qui connaisse une baisse de la production. Cela contribue en partie à la hausse de la part des ventes internationales sur les ventes totales. 288 Par ailleurs, l’émergence des marques globales pose un problème de propriété de la marque. Étant donné que les brasseries sont de plus en plus présentes sur l’ensemble des marchés, la possibilité que deux bières portant le même nom soient présentes sur les mêmes marchés augmente. Cela est particulièrement vrai pour deux des marques les plus importantes au monde : Budweiser d’Anheuseur-Busch et Corona Extra de Modelo. La croissance des marques globales est telle qu'elle a obligé des BMN à revoir leurs stratégies internationales. Cela est particulièrement le cas d'Interbrew. Avant le lancement de la Stella Artois comme marque globale de la firme en 1998, Interbrew ne possédait pas une telle marque, la firme adoptant plutôt une stratégie reposant sur les marques canadiennes, mexicaines et les bières de spécialité belges (Interbrew, RA 2001: 28). Afin d’asseoir sa stratégie de Brasseur local du monde,390 l’entreprise a donc dû choisir une de ses marques afin d’uniformiser sa présence internationale.391 Alors que des brasseries telles que Carlsberg, Heineken, Foster's ou Guinness (Diageo) n'ont pas eu à s'adapter à cette nouvelle configuration, les autres BMN se trouvent dans l’obligation de développer une marque phare. L’avènement des marques globales désavantage SABMiller. La firme ne possède pas une marque se démarquant de son portefeuille de marques, celle se rapprochant le plus de ce statut étant Pilsner Urquell. S&N se trouve dans une position similaire étant donné qu’elle non plus ne possède pas une marque globale. Ce sont donc surtout les firmes qui avaient au préalable mis l'accent sur une marque phare à l'échelle internationale qui se trouvent avantagées par la nouvelle configuration de l'industrie. 390 Traduction du slogan anglais The World local Brewer. Après l’acquisition de Labatt en 1995, le président d’Interbrew soulignait que l’entreprise devait avant tout promouvoir les marques locales, puisque cela constituait l’une de ses plus grande forces, alors que la promotion d’une marque globale favoriserait ses concurrentes (The European, 21/09/1995). 391 Suite à l’acquisition de la brasserie allemande Brauerei Beck GmbH & Co. en 2001 et de la fusion Interbrew-Ambev en 2004, la nouvelle entreprise, Inbev, a amplifié la stratégie de marques globales. En plus de Stella Artois, deux autres marques, Beck’s et Brahma, deviennent des marques globales. Cette dernière a été préférée à la Skol, première marque de bière brésilienne en volume de ventes, car elle jouissait d’une plus grande reconnaissance internationale, notamment en Amérique latine. 289 7.2 Stratégie concurrentielle de Grupo Modelo Alors que l’industrie brassicole internationale se caractérise par une concurrence globale, Modelo demeure une firme résolument régionale.392 Bien que la firme ait développé des opérations internationales au cours des années 1990, la totalité de la production et environ 90% des ventes internationales ont lieu sur le marché nordaméricain.393 7.2.1 Les déterminants de la pénétration d’un nouveau marché La préoccupation centrale de Modelo, au-delà de toute autre considération commerciale, légale ou économique est la protection et le succès de la marque Corona Extra. S’il est vrai que l’entreprise exporte cinq marques distinctes, Corona Extra représente plus de 95% de ses exportations. Ainsi, l’ensemble de la stratégie concurrentielle de la firme est établi afin d’assurer la meilleure pénétration possible de cette marque. Le second aspect d’importance de la stratégie concurrentielle de Modelo concerne l’exportation. Contrairement à la totalité des BMN, la firme ne possède pas de brasserie à l’étranger ni n’accorde de licence de production aux brasseries étrangères. La totalité des bières de la firme étant produite au Mexique, la pénétration des marchés internationaux se réalise par l’exportation. Il est donc important que les législations concernant l’importation des bières soient les plus ouvertes possibles, que les barrières tarifaires et non tarifaires permettent une entrée sans heurts sur les marchés nationaux.394 Dans sa décision de pénétrer ou non un nouveau marché, l’entreprise se base sur trois facteurs principaux : la consommation totale de bière du pays en question, la part de marché des bières importées et l’existence ou la présence d’un marché de produits 392 Selon les définitions traditionnelles de la firme multinationale, les brasseries mexicaines ne peuvent être considérées comme des FMN étant donné qu’elles ne possèdent pas d’unités productives à l’étranger. Toutefois, Rugman et Verbeke fournissent une définition qui permettrait de considérer les brasseries comme des FMN. Selon ces auteurs (Rugman et Verbeke, 2004), une firme est multinationale si elle produit et/ou distribue des produits et/ou services au-delà de ses frontières nationales. Si l’on accepte cette définition, on reconnaîtra alors le caractère multinational des brasseries mexicaines. Pour notre part, nous nous limiterons à souligner que Grupo Modelo et CCM adoptent des stratégies s’apparentant à celles des BMN. 393 Si l'on combine les ventes internationales et les ventes domestiques de la firme, c'est plus de 95% du total qui est absorbé par l'Amérique du Nord. 394 C’est également cette politique de production strictement nationale et d’exportation à partir de sa base mexicaine qui a conduit Modelo à construire l’usine de Zacatecas au milieu des années 1990. 290 alimentaires mexicains (Herrero, Massaro et Deshpandé, 2001: 7). Le premier pas sera donc la réalisation d’une étude de marché, ce qui permettra de déterminer si la firme doit poursuivre ou non cette stratégie. Une fois la décision prise, l’entreprise doit aussi sélectionner un importateur, un distributeur, collaborer à l’élaboration de la stratégie de marketing, de ventes et plus généralement participer à toutes les étapes jusqu’à la consommation finale (Diez Morodo, 22/01/2003).395 Modelo pratique une stratégie que l’on peut qualifier d’extensive dans la mesure où l’entreprise tente de pénétrer puis d’occuper une position de tête sur tous les marchés (elle est présente dans plus de 150 pays). Même si la compagnie est présente sur tous les continents grâce à la marque Corona Extra, son principal marché d’exportation demeure l’Amérique du Nord (90,7% des exportations en 2000). Depuis 1992, Modelo a plus que septuplé ses exportations, celles-ci passant de 1,63 million d’hectolitres a 12,23 millions d’hectolitres en 2004 (Modelo, RA 2000 et 2005). Lorsque Modelo entreprend son internationalisation, elle adopte une approche totalement contraire aux stratégies habituellement en vigueur dans l'industrie. En effet, il était commun pour les brasseries multinationales, à la fin des années 1970 et durant les années 1980, de dépenser de fortes sommes en publicité lorsqu'elles pénétraient un nouveau marché. On soutenait que seule une campagne de marketing à grande échelle permettrait de faire connaître une marque avant son lancement, ce qui faciliterait les ventes par la suite. Modelo prend le contre-pied en adoptant l’approche de la “bouteille ouverte”. Il s'agit alors d'introduire les bières à travers des canaux de distribution alternatifs : les bars, les discothèques et les événements spéciaux (Expansión, 21/07/1999). Alors que la stratégie internationale de pénétration de marché de Modelo est extensive, elle apparaît plutôt graduelle au niveau des marchés internationaux. La 395 Deux autres éléments, plus généraux, influencent également la décision de pénétrer un nouveau marché : la force de l’économie mexicaine et la situation économique internationale (Latin CEO, 01/01/2000). Lorsque l’économie mexicaine connaît de fortes périodes de croissance, la nécessité d’exporter vers de nouveaux marchés est moins grande puisque les ventes nationales et aux États-Unis permettent à l’entreprise d’engranger des profits satisfaisants. De même, une économie internationale en croissance constitue une incitation vers l’exportation et l’ouverture de nouveaux marchés, car cela indiquerait une meilleure capacité de consommation d’une bière dispendieuse. 291 firme vise tout d’abord les grandes villes avant d’étendre la couverture à l’ensemble du territoire par la suite. En général, lorsque Modelo pénètre un nouveau marché, elle évite les entrées fortement publicisées. L’introduction des bières de la compagnie s’effectue généralement en deux phases : dans un premier temps, les représentants de la firme ciblent les points de consommation sur place (on premise), c'est-à-dire les bars, restaurants et hôtels. Dans un second temps, alors que Corona jouit d’une reconnaissance de marque élevée, la distribution des bières s’élargit aux points de consommation à emporter (off premise), notamment les supermarchés et magasins au détail (BW, 01/04/1993; Latin Trade, 01/10/1999). Au fil des ans, l’établissement de filiales à l’étranger aura également facilité la pénétration de nouveaux marchés par Modelo. Celles-ci, chargées de la coordination des activités internationales de la firme, permettront à la firme d’accroître sa présence en appuyant les distributeurs locaux tout en servant de courroie de transmission de la stratégie de marque et de prix de la brasserie. 7.2.2 Stratégie de marques et de niche En terme de stratégie de marque, bien que Modelo exporte cinq marques, l’entreprise est presque exclusivement reconnue pour sa marque phare, Corona Extra. Celle-ci possède d’ailleurs les caractéristiques d’une marque globale (LT, octobre 1998). Au début des exportations vers les États-Unis, Modelo commet une erreur de marketing en modifiant la présentation de la Corona. La firme, suivant en cela les tendances d’alors, avait décidé d’adopter les bouteilles dites “stubby”.396 Cependant, les dirigeants de la firme constatent que ce changement ne fonctionnait pas, car les consommateurs américains ne reconnaissaient plus le produit auquel ils étaient habitués lors de leurs séjours au Mexique (Expansión, 21/07/1999 ; BI, 01/02/2001). La stratégie de marque de Modelo prend trois formes distinctes selon les marchés : la stratégie multimarques, la stratégie limitée et la stratégie Corona Extra. Dans le premier cas, qui s’applique aux États-Unis, la firme exporte plusieurs marques afin de 396 Les bouteilles stubby sont des bouteilles à forme ronde et de couleur ambrée, alors que la présentation traditionnelle de la Corona était dans une bouteille à cou longue et transparente. 292 combler les différents segments de ce marché.397 Compte tenu de l’importance du marché américain pour Modelo (cf. chapitre 6), les stratégies qu’emploie la firme ont une incidence directe tant sur la production que sur les résultats financiers. Dans le second cas, Modelo exporte Corona Extra ainsi qu’une ou deux marques, celles-ci appuyant l’offre de Corona Extra. Dans le dernier cas, seule Corona Extra est exportée. Il s’agit pour l’entreprise d’assurer sa présence dans ces marchés sans y consacrer trop de ressources, ce qui aurait pour effet de nuire aux marchés plus importants. Si les exportations de Modelo sont destinées à l’ensemble des consommateurs de bières, il n’en fut pas toujours ainsi. Durant la première phase d’internationalisation, c'est-à-dire l’exportation à destination des États-Unis, la firme avait adopté une stratégie de niche. L’objectif de la firme est alors d’attirer les Mexicains d’origine de même que les vacanciers ayant voyagé au Mexique et ses états frontaliers. Mais assez rapidement, Modelo élargit cette stratégie puisque la couverture du territoire américain s’accomplit à une vitesse vertigineuse. Ainsi, dès 1986, Corona Extra passe au deuxième rang des bières importées aux États-Unis, ce qui témoigne de la justesse de l’approche de la firme. Aux États-Unis, à partir du début des années 1990, la stratégie de niche de Modelo est remplacée par une stratégie de segmentation, alors que la firme diversifie son offre de produits.398 Le succès de Corona Extra est tel que l’on pourrait émettre l’hypothèse que la marque a transcendé la catégorie des bières importées et se situerait dans un segment entre bière domestique et bière importée. 397 Cinq des dix marques de Modelo sont exportées aux États-Unis : Corona Extra, Negra Modelo, Pacifico, Modelo Especial et Modelo Light. Cette dernière a d’ailleurs été développée spécifiquement pour le marché américain et n’était pas distribuée sur le marché mexicain jusqu’à très récemment. Le positionnement des marques s’établit comme suit : Corona Extra pour l’ensemble de la population, Modelo Light pour le segment des bières légères, Modelo Especial visant le groupe des personnes d’origine latino-américaine, Pacífico dans l’ouest du pays et la Negra Modelo vers les consommateurs de bières plus fortes. En juin 2000, la firme lance la Corona Extra en canette afin d’accroître ses points de distribution tels que les stades, hôtels, plages, etc., des endroits où les bouteilles en vitre n’ont pas accès. 398 Modelo Especial, Corona Extra Light, Modelo Light, Pacifico et Negra Modelo visent chacune un segment bien spécifique du marché. Cela s’applique particulièrement à Corona Extra Light, disponible uniquement aux États-Unis. Cette version de Corona Extra a été développée par Modelo afin de profiter de la croissance du segment des bières lights à partir de la seconde moitié des années 1980 (BW, 01/04/1993). 293 Au niveau du marketing et de la promotion de l’image des marques, Modelo a reproduit la double approche qu’elle avait adoptée au début des années 1980 en matière de pénétration : un message destiné aux Mexicains et hispanophones et une campagne plus générale. Mais contrairement à la stratégie de pénétration, ce double message est demeuré constant tout au long de la croissance des marques de la compagnie en sol américain. En ce qui concerne les hispanophones, le message de Modelo est demeuré le même depuis son entrée sur le marché américain, à savoir sa mexicanité399 et sa familiarité, i.e. un produit connu et apprécié par les Mexicains depuis des générations. Par contre, on observe une évolution du message concernant les autres groupes de consommateurs : durant les années 1980, Modelo se positionna, surtout à travers la Corona Extra, vers les jeunes et les professionnels, afin de profiter de l’atmosphère de l’époque. Toutefois, les difficultés que rencontre la firme à partir de la fin des années 1980 l’obligent à modifier son approche et à s’adresser au public en général (Food & Drink Weekly, 23/02/1998).400 Le caractère global de la stratégie de Modelo ne se retrouve pas uniquement dans le choix de pénétrer l’ensemble des marchés internationaux, mais également dans l’uniformité du marketing international de la firme. Cela se traduit principalement par la permanence et l’unicité du message que cherche à véhiculer l’entreprise. Que ce soit aux États-Unis, au Canada, en Europe ou en Asie, les campagnes publicitaires de Modelo tournent autour des mêmes thèmes : la chaleur, le plaisir et le Mexique. Si la brasserie appuie l’ensemble de ses marques, Corona Extra accapare tout de même la part du lion des budgets publicitaires et promotionnels. Tout comme sa principale concurrente internationale sur le marché américain, Heineken, Corona Extra est devenue, durant les années 1990, une marque globale. Comme l’indique le tableau 7.5, Corona Extra occupe la seconde place des marques 399 Mexicanité qui renvoie à l’origine de la production de la bière, celle-ci étant produite uniquement au Mexique. 400 Durant les années 1980, la popularité de Corona s’est principalement cantonnée à deux groupes de consommateurs aux États-Unis : les yuppies (Young Urban Professionals) et les Mexicains d’origine. Si ces derniers représentaient un groupe de consommateurs stables, les yuppies apparurent comme un groupe beaucoup moins stable, passant de tendances en tendances. Éventuellement, ils délaissèrent quelque peu la Corona, ce qui explique en partie la chute de la marque aux États-Unis à partir de 1988. C’est l’une des raisons ayant poussé Modelo à repositionner la marque à partir de 1991-1992 (BW, 01/02/1996). 294 de bières exportées avec 8,9 millions d’hectolitres en 2001, derrière Heineken et à égalité avec Amstel. Compte tenu des variables retenues dans la classification des marques globales, une présence géographique importante de même que des exportations supérieures à 20% de la production totale, Corona peut être considérée comme une marque globale. Elle est disponible dans plus de 150 pays et plus de 20% de la production annuelle est exportée.401 7.2.3 Stratégie de prix L’une des questions les plus délicates dans le processus de globalisation des firmes a trait à la détermination du prix de vente des biens et/ou services à l’échelle internationale. La firme doit-elle établir des prix différenciés, selon les caractéristiques particulières de chaque marché, laissant du même coup la décision aux mains des filiales locales (Segal-Horn, 2002) ou doit-elle plutôt adopter une politique générale de prix, laissant peu de marge de manœuvre aux décideurs locaux ? Modelo, grâce à l’existence de ses bureaux régionaux, a choisi une solution mitoyenne. Ces filiales, relayant les décisions de la maison-mère, proposent les prix de vente souhaités par Modelo. Les importateurs et distributeurs, prenant en compte les caractéristiques de chaque marché, adaptent ces propositions aux conditions du marché et aux promotions existantes. La stratégie de prix de Modelo est intimement liée à la stratégie de marque. Il existe en effet une grande différence entre l’approche qu’adopte l’entreprise au Mexique et sur les marchés internationaux quant au positionnement de sa marque phare, Corona Extra. Alors qu’au Mexique, celle-ci constitue la locomotive de la firme et qu’elle s’adresse à l’ensemble des consommateurs, sur les marchés internationaux, la marque est présentée comme une bière premium, ce qui permet à la brasserie mexicaine de la vendre dans une fourchette de prix supérieure. En outre, en tant que bières importées, 401 Si Corona Extra s'est développée en tant que marque globale, Modelo a dû faire face, en deux occasions, au problème que représentait l'existence au préalable d’une bière de marque Corona. Cette barrière s'est présentée en deux occasions, l'une aux États-Unis, l'autre en Espagne. Lorsque Modelo décida d'exporter cette bière aux États-Unis, une brasserie portoricaine possédait déjà les droits de la marque Corona aux États-Unis. Modelo acheta les droits pour quatre états en 1979 (l’Arizona, la Californie, le Nouveau Mexique et le Texas). En 1985, alors que ladite brasserie portoricaine était en faillite, Modelo obtint les droits pour l’usage de la marque à travers les États-Unis. (Herrero, Massaro et Deshpandé, 2001). Dans le cas de l’Espagne, Modelo n’a pu acquérir les droits sur le nom de Corona, ce qui la força à renommer la bière Coronita. 295 Corona Extra et les autres marques de Modelo se vendent “naturellement” plus cher que les marques locales. La politique générale de Modelo sur les marchés internationaux est de positionner ses marques à un prix plus élevé que les marques nationales, mais moins élevé que les autres bières importées (Diez Morodo, 22 /01/2003). Cette stratégie permet à l’entreprise de rejoindre un plus grand nombre de consommateurs. L’une des rares exceptions à cette politique est le Japon, où l’entreprise a positionné ses bières au haut de l’échelle des prix (Expansión, 12/10/1994).402 Un second facteur explique et justifie le choix de l’entreprise de vendre ses bières à un prix nettement plus élevé que sur le marché national. Alors que le marché brassicole mexicain se caractérise par la prévalence des bouteilles retournables, Modelo ne peut récupérer les bouteilles vendues à l’étranger, ce qui implique un coût de production plus élevé. Si la stratégie concurrentielle de Modelo est vaste et complexe, compte tenu de l’importance des exportations pour la firme, la stratégie concurrentielle de CCM, bien que renfermant plusieurs similitudes à celle de Modelo, apparaît moins élaborée. 7.3 Stratégie concurrentielle de Cervecería Cuauhtémoc-Moctezuma Jusqu’au début des années 1990, la stratégie concurrentielle internationale de CCM se limitait principalement aux États-Unis, bien que la firme avait établi une présence physique en Europe (Grande-Bretagne). Par la suite, l’internationalisation de la firme la conduisit à adopter une approche différente de celle qui avait prévalu jusque là aux États-Unis. 402 L’expression la plus achevée de cette politique fut lors du doublement de la taxe d’accise sur la bière aux États-Unis en 1991, celle-ci passant de 0,65$ à 1,30$ par caisse. De concert avec Modelo, les deux importateurs de la firme, Barton et Gambrinus, ne suivirent pas la tendance générale de répercuter l’ensemble de l’augmentation sur le prix de vente. Gambrinus absorba complètement cette hausse pendant deux ans, alors Barton haussa légèrement ses prix, particulièrement en Californie (BI, 01/02/2001). 296 7.3.1 Les déterminants de la pénétration d’un nouveau marché La stratégie de pénétration de marché de CCM ne diffère pas énormément de Modelo. Là aussi, l’entreprise privilégie une entrée en deux temps, débutant par les points de vente on premise et développant les réseaux de distribution et la disponibilité de ses produits dans les points de vente off premise par la suite. Compte tenu de la longue présence de Cuauhtémoc aux États-Unis, la fusion entre cette dernière et Moctezuma ne provoqua pas de changement majeur dans la stratégie de pénétration des marchés internationaux dans un premier temps. La nouvelle firme, aux prises avec un processus de consolidation interne, ne pouvait accorder beaucoup d’attention aux marchés étrangers, se limitant principalement à conforter sa présence aux États-Unis (Salinas Arrambide, 13/05/2002; Astaburuaga Senjines, 23/06/2004). Tout comme sa concurrente Modelo, CCM accorde une importance fondamentale à la situation économique d’un marché potentiel, les goûts des consommateurs, la présence d’un distributeur national et une législation favorable à l’importation et à la distribution de la bière (BW 01/04/1993; Herrero, Massaro et Deshpandé, 2001; Salinas Arrambide, 14/05/2002). Les habitudes de consommation interviennent à deux niveaux. Tout d’abord, elles indiquent le potentiel et l’intérêt que portent les consommateurs à la bière, tant pour les marques locales que pour les bières importées : un marché caractérisé par un segment des bières importées en régression ou absent n’attirera pas une brasserie étrangère. De même, un pays où la consommation est faible et ne montre pas de tendance à la hausse ne suscitera pas l’intérêt de la firme. Toutefois, un pays à forte consommation per capita et dont les bières lagers constituent les principales bières consommées représente un marché potentiel intéressant. Lorsque les études de marché confirment la possibilité d’exporter dans un marché spécifique, la brasserie procède ensuite à l’étude de la législation en vigueur, tant en matière de présentation des contenants que des tarifs douaniers et des taxes et impôts auxquelles sont soumises les bières. Elle identifie également un partenaire national capable d’assurer l’importation et la distribution de ses produits. 297 Durant la seconde moitié des années 1980, Cuauhtémoc, puis CCM suite à la fusion, se sont principalement appuyées sur leurs propres effectifs afin de pénétrer de nouveaux marchés et de gérer les opérations américaines. À cette fin, l’entreprise ouvrit un bureau à Londres afin de gérer les activités européennes et délégua des représentants mexicains auprès des distributeurs américains afin de maintenir un contact direct avec le marché desservi (Domínguez, 03/05/2002 ; Salinas Arrambide, 14/05/2002). Les années 1990 et 2000 voient une transformation de la politique de CCM et un retour à la stratégie décrite précédemment. L’accord avec Labatt permettait alors à l’entreprise de déléguer la gestion des activités américaines à Labatt USA, une filiale des deux entreprises. Dans la foulée du repli sur les marchés-clés, l’entreprise ferma son bureau anglais et s’appuya davantage sur les importateurs et distributeurs locaux. Tout comme pour Modelo, la pénétration d’un nouveau marché par CCM s’effectue en deux temps. L’entreprise débute par les points de consommation sur place avant de développer la distribution aux points de vente pour emporter, notamment les supermarchés et grands magasins au détail. Toutefois, les bières de CCM ne profitent pas d’une aussi vaste distribution que leurs concurrentes de Modelo.403 Bien que la concurrence dans le segment des bières importées implique un nombre toujours croissant d’acteurs, les dirigeants de CCM ont longtemps identifié Modelo, à travers Corona Extra, comme leur principal adversaire. À partir de 1997, l’emphase mise sur la pénétration de nouveaux marchés cède le pas à une stratégie de repli. L’entreprise ne cherche plus à accroître son internationalisation, mais à consolider sa présence aux États-Unis ainsi que sur ses marchés-clés (cf. chapitre 6). La pénétration de nouveaux marchés cesse d’être un élément important dans la stratégie de croissance de CCM. 403 La principale cause de cette situation serait les niveaux d’exportation des deux firmes, Modelo ayant un réseau international plus étendu que CCM. Ses bières seraient donc plus facilement disponibles. 298 7.3.2 Stratégie de marques et de niche Contrairement à Modelo pour qui Corona Extra représente la quasi-totalité des ventes internationales, la stratégie de marques de CCM a beaucoup évolué depuis la fin des années 1970. Trois éléments caractérisent les trois phases de l’évolution de cette stratégie : l’innovation, l’adaptation et la segmentation. Jusqu’à la fusion de 1985, les exportations de Cuauhtémoc et de Moctezuma, bien que supérieures à Modelo, ne représentent qu’une très faible part de la production des deux entreprises. Au début des années 1980, Cuauhtémoc, cherchant à bénéficier de la popularité des bières Light, entreprit d’exporter la Brisa, en complément de la principale marque d’exportation de la firme, Tecate.404 Durant les années 1980, Cuauhtémoc et Moctezuma adoptèrent une présentation de leur bouteille qui diffère de celles normalement utilisées au Mexique. Tout comme Modelo, la nouvelle entreprise tenta de s’adapter au marché en proposant Tecate dans une bouteille similaire à celle en vigueur à cette époque (une bouteille brune au long cou). Cependant, tout comme sa concurrente, cette décision s’avéra plutôt un échec et l’entreprise décida de revenir à la présentation traditionnelle de la marque, en bouteille, mais surtout en canette (Rodriguez Garza, 02/05/2002). Suite à l’intégration de Cuauhtémoc et de Moctezuma, la stratégie de marques de la nouvelle entreprise ne varia pas énormément dans un premier temps, Tecate demeurant la principale offre internationale de la brasserie. La primauté accordée au marché américain, de même que le public cible de la firme, les Mexicains d’origine, justifiait ce choix. Cependant, l’internationalisation de la firme vers les marchés européens à la fin des années 1980 a conduit à une transformation de la stratégie de marques de CCM. Suivant en cela la stratégie développée au Mexique, CCM accorde une importance accrue à la Sol. Cela se traduit par une double approche : une stratégie spécifique pour 404 À l’origine, Brisa n’était destinée qu’au marché mexicain. Toutefois, suite au succès de la bière Miller Light aux États-Unis, l’entreprise décida d’exporter une bière Light vers le nord, une première dans l’industrie brassicole mexicaine (Lozano, 30/04/2002). 299 le marché américain et une stratégie générale pour les autres marchés internationaux. Dans le cas des États-Unis, l’entreprise poursuit sensiblement la même stratégie de segmentation que sur le marché national. CCM promeut quatre marques : Tecate, Sol, XX Amber et XX Lager. La première vise les Mexicains d’origine et autres hispanophones ; Sol est plutôt orientée vers les anglophones et couvre la totalité du territoire américain ; quant aux deux versions de XX, elles sont aussi destinées aux consommateurs non hispaniques du nord-est des Etats-Unis, alors que la seconde est dirigée vers les autres consommateurs.405 En ce qui concerne les autres marchés d’exportation de CCM, la firme adopte, à la suite du relancement de Sol en tant que marque nationale au Mexique en 1993, une stratégie similaire. Sol devient alors la marque internationale de CCM, alors que XX Lager et Tecate servent de marques complémentaires. Le lancement aux États-Unis, bien que la marque était déjà disponible sur de nombreux marchés internationaux, représente le premier pas dans la stratégie de faire de celle-ci la principale marque exportée de l’entreprise vers ses marchés-clés (FEMSA, RA 1998). Cependant, contrairement à Corona Extra, Sol ne peut être considérée comme une marque globale, la présence internationale de CCM étant limitée à une soixantaine de pays.406 405 CCM a profité de son alliance avec Labatt afin de développer le marché du nord-est des États-Unis. En fait, l’existence du réseau de distribution de Labatt constitue l’un des facteurs ayant permis à la brasserie mexicaine de maximiser sa stratégie de marques aux États-Unis. Par ailleurs, cette segmentation du marché américain répond à la nécessité pour CCM de concurrencer Modelo dans les États où la consommation de Corona Extra est la plus forte, la Californie et le Texas, ce qui implique une attention toute particulière à Sol dans ces états (FEMSA, RA 1998 ; Tribune News Service, 08/06/2000 ; Abasolo, 14/05/2002). 406 Il est à noter que la raison ayant poussé CCM à choisir Sol comme marque internationale, sa ressemblance à Corona Extra, est également celle ayant forcé les dirigeants de la firme à réduire les ressources allouées à l’appui de l’image de la marque. Après avoir constaté que la publicité entourant Sol bénéficiait en fait à Corona Extra sur plusieurs marchés internationaux, l’entreprise décida de diminuer l’ampleur de la présence de Sol sur ces marchés secondaires (Abasolo, 14/05/2002 ; BW, 01/04/1993; ). 300 Conclusion En matière de concurrence internationale, deux constatations s’imposent. En ce qui concerne l’organisation de l’industrie brassicole internationale, celle-ci se transforme d’une industrie principalement nationale en une industrie globale et oligopolistique. Les brasseries multinationales, dans la période étudiée, développent trois types de stratégies concurrentielles : des stratégies globales, des stratégies régionales et des stratégies nationales, l’une s’emboîtant dans l’autre. Toutefois, peu de firmes peuvent être définies en tant que brasseries globales. Jusqu’à la fin des années 1980, les principales BMN privilégient, dans une forte proportion, la pénétration du marché américain comme principale stratégie concurrentielle internationale. À partir des années 1990, elles élargissent leur optique : la concurrence ne passe plus uniquement par l’exportation et des accords de licence nationaux. Elle implique désormais également le contrôle direct des unités de production à travers l’IDE, soit créatif (greenfield investment) ou des fusionsacquisitions. La stagnation des marchés matures, combinée à la croissance de la demande dans les marchés émergents et la nécessité d’être présent sur l’ensemble des marchés expliquent ce revirement de stratégie. Si la concurrence a évolué, et bien que chaque BMN adopte sa propre stratégie, certains traits “nationaux” émergent de cette consolidation internationale : les brasseries américaines favorisent le marché interne aux marchés internationaux, et ce jusqu’à la seconde moitié des années 1990. Les brasseries européennes optent pour l’expansion vers l’Europe de l’Ouest puis les marchés émergents, réorganisant leurs structures organisationnelles autour de leurs activités brassicoles. Les brasseries japonaises diversifient leurs activités dans l’agroalimentaire. Finalement, les brasseries latino-américaines procèdent à une vague d’acquisitions tout en se transformant en entreprises multi-breuvages (bières, boissons gazeuses et eau principalement). Dans le cas des brasseries mexicaines, l’internationalisation les conduit à développer des stratégies concurrentielles internationales. Toutefois, contrairement aux BMN, qui 301 procèdent à la fois par exportation et IDE, CCM et Grupo Modelo n’ont privilégié que l’exportation. Les brasseries mexicaines ne constituent pas des firmes multinationales. Toutefois, elles élaborent des stratégies de pénétration de marché, de marque et de niche tout comme les BMN. Les deux entreprises reproduisent, à l’échelle internationale, la stratégie concurrentielle qu’elles adoptent sur leur marché national. Modelo s’appuie fortement sur une marque phare, Corona Extra ; les autres marques exportées n’étant que des compléments marginaux à l’extérieur des États-Unis. CCM choisit plutôt la segmentation, offrant des marques différentes selon les marchés. Si Modelo et CCM ont toutes deux articulé des stratégies concurrentielles internationales, l’importance et l’expansion internationale qu’a connues Modelo depuis son entrée sur les marchés internationaux conduiront l’entreprise à innover en matière de concurrence. Dans le cas de CCM, l’entreprise a modifié sa stratégie concurrentielle internationale suite à une évaluation de ses objectifs. Bien que la stratégie de diversification semblait porter ses fruits, elle coûtait trop cher pour les résultats obtenus. Le marché américain, l’extension du marché national, se trouve à proximité et constitue la plus importante source de profit international de la firme. Un recentrage sur ce marché devenait donc inévitable. Quelles sont les conséquences des remarques précédentes sur le réseau de valeur des brasseries mexicaines et le modèle de la co-opétition ? D’une part, CCM et Grupo Modelo ne sont pas concernées par les fournisseurs au même titre que les BMN. Compte tenu du choix de se limiter à l’exportation, elles ont moins recours aux fournisseurs sur les marchés étrangers qu’une BMN. Toutefois, leurs concurrentes et leurs complémenteurs sont identiques à ceux des BMN. D’autre part, si le réseau de valeur des brasseries mexicaines est moins élaboré que celui des BMN, leur contribution à la co-opétition internationale est également moins poussée que celle des BMN. Selon la figure 2.2 sur la co-opétition dans l’industrie brassicole internationale, les BMN possèdent des unités productives dans plus d’un pays ; dans le cas des brasseries mexicaines, la production se limite à un seul pays, le Mexique. 302 CHAPITRE VIII COOPÉRATION ET RÉSEAUX : L’AUTRE VERSANT DE LA MONTAGNE Bien avant la globalisation de l’industrie brassicole, les brasseries ayant des opérations internationales ont développé des réseaux facilitant la distribution de leurs produits. Si l’existence de ces réseaux ne constitue pas un phénomène nouveau, l’ampleur que prend cette forme de coopération inter-firmes représente un élément novateur. Ce chapitre, dans le prolongement du précédent, analyse plus à fond les rapports coopératifs au sein de l’industrie brassicole internationale en général et les liens qu’ont établis les brasseries mexicaines en particulier. Les réseaux, qu’ils soient formels ou informels, prennent plusieurs formes. Ils peuvent être internes (une restructuration spatiale ou organisationnelle de la firme) ou externes. Dans le cas de relations inter-firmes, plusieurs options s’offrent à l’entreprise : la licence, l’alliance stratégique, l’accord de distribution, la joint-venture et la franchise sont quelques-unes des possibilités envisageables. Nous serons conduits, dans la première partie du chapitre, à analyser l’évolution des rapports coopératifs dans l’industrie brassicole internationale à la lumière de la globalisation de celle-ci. Alors que la concurrence se déroule aux trois niveaux, national, régional et global, les liens que nouent les entreprises se limitent généralement à l’échelle nationale et, en certaines occasions, au palier régional. Les brasseries mexicaines s’internationalisent en privilégiant exclusivement l’exportation durant les années 1980. À partir des années 1990, elles intègrent graduellement les réseaux internationaux et élaborent des stratégies offensives et défensives afin de s’adapter à un environnement international en mutation. Dans cette optique, et suivant le modèle de la co-opétition, nous nous interrogerons sur les modalités de réseautage des brasseries mexicaines : quelles sont les formes d’alliances adoptées par Grupo Modelo et CCM ? Quelles sont les principales différences que l’on observe dans les stratégies des deux entreprises ? Plus généralement, enfin, 303 quelles sont les implications des accords de collaboration des brasseries mexicaines sur leur réseau de valeur et sur le modèle de la co-opétition ? Pour CCM et Grupo Modelo, les alliances offrent de multiples avantages : la possibilité de renforcer leur position internationale ; une plus forte capitalisation, permettant ainsi à celles-ci de disposer de plus importantes ressources financières afin d’assurer le développement de projets ultérieurs. Toutefois, cette stratégie présente deux risques sérieux : une éventuelle diminution de l’autonomie dans la prise de décision des dirigeants ainsi que la possibilité que le partenaire international tire la plus grande part des profits de l’association (Bratu Hernández, 1996). Bien que les brasseries mexicaines nouent des alliances avec des brasseries internationales dès la fin des années 1980 — Grupo Modelo avec Anheuseur-Busch et CCM avec Heineken —, la négociation de l’ALENA marque un point tournant dans l’approche de l’industrie brassicole mexicaine par rapport aux réseaux internationaux (Fernández Sánchez-Navarro, 2000). En effet, l’augmentation de la concurrence qui ne manquerait pas de survenir sur le marché national, surtout de la part des brasseries américaines, entraîna la nécessité pour les brasseries mexicaines de nouer des alliances avec de potentiels concurrents afin de limiter l’impact de l’ouverture totale du marché. 8.1 Les réseaux dans l’industrie brassicole internationale Les réseaux existent au sein de l’industrie brassicole internationale depuis que les premières brasseries ont internationalisé leurs opérations et/ou ont débuté l’exportation. Jusqu’au milieu des années 1980, seules les entreprises ayant fait de l’internationalisation l’élément central de leur croissance, Heineken et Carlsberg entre autres, avaient développé une véritable stratégie basée sur leurs réseaux internationaux. Les autres brasseries n’avaient que quelques accords de distribution ou de licence, mais cela ne constituait pas une stratégie clairement définie. À partir de la seconde moitié des années 1980, avec la globalisation de l’industrie, les BMN multiplieront les collaborations inter-firmes. 304 8.1.1 Réseaux et firmes multinationales Lorsque la firme s’internationalise, deux des décisions les plus importantes auxquelles elle fait face ont trait à la forme que doit prendre l’organisation de ses activités ainsi que les modalités d’adaptation vis-à-vis de marchés et de clients distincts.407 Comme le souligne Culpan : “La firme offre des produits et/ou services à des clients situés dans différents marchés en gérant un certain nombre d’activités de la chaîne de valeur à travers un mode de relation ou la combinaison de plusieurs modes : les contrats basés sur le marché, l’internalisation ou les alliances” (Culpan, 2002: 55). Étant donné la variété d’options à leur disposition en matière de coopération et/ou de concurrence, les firmes ont trois choix : coopérer puis se concurrencer ; coopérer et se concurrencer simultanément ; coopérer entre elles, mais concurrencer les entreprises “étrangères” (Culpan, 2002). La globalisation entraîne des modifications importantes dans les stratégies et les comportements des entreprises. Elle provoque à la fois un accroissement de la concurrence, et paradoxalement, la nécessité pour les firmes de coopérer (Culpan, 2002). Cette coopération s’instituera par la création de réseaux internationaux. Ceuxci peuvent être internes, lorsque les FMN organisent leurs filiales afin d’accroître l’efficacité de leur chaîne de valeur. Plus généralement, les réseaux impliquent des partenariats inter-firmes de diverses natures assurant la production, la vente ou la recherche (Sachwald, 1998). En somme, ils constituent un mode d’organisation et de coordination de la firme (Borrus, Ernst et Haggard, 2000). Pourquoi les firmes choisissent-elle de s’organiser en réseaux ? Tout d’abord, les réseaux permettent aux entreprises de mieux se positionner sur les marchés où elles évoluent en se recentrant sur leurs activités de base (Kobrin, 1997; Jarillo, 1988) ; bien que les entreprises évoluent généralement dans le continuum hiérarchie-marchés, 407 La littérature adopte généralement deux typologies quant à la nature de l’internationalisation des firmes. Une première typologie distinguera quatre types de firmes : internationale, multidomestique, globale et transnationale (Bartlett et Ghoshal, 1989; Harzing, 2002). On consultera la note 48 de cette étude pour une présentation des principales caractéristiques de chacune. Une seconde étudiera plutôt les industries en différenciant les industries globales des industries multidomestiques (Porter, 1990; Culpan, 2002). Une industrie multidomestique se caractérise par l’unicité des marchés, i.e. que les performances de la firme sur un marché particulier n’influence pas ses résultats sur les autres marchés. Par contre, dans une industrie globale, la position de la firme sur un marché est fortement influencée par sa position sur d’autres marchés. 305 la mise sur pied ou la participation à un ou plusieurs réseaux témoigne de la possibilité de fonctionner hors de ce continuum, tout en facilitant la coopération entre les entreprises (Kobrin, 1997; Powell, 1990). Étant donné que la concurrence induit des coûts élevés, tant en terme de R&D, de production, d’apprentissage que d’organisation, les réseaux réduisent les coûts associés à cette concurrence (Powell, 1990; Castells, 1996; Kobrin, 1997). Les firmes développent également des réseaux afin de s’adapter aux changements survenant dans leur environnement (Malnight, 1996) ou dans l’optique d’acquérir des informations préalables en vue d’une future alliance (Gulati et Gargiulo, 1999). La flexibilité que permet cette forme d’organisation témoigne d’une évolution du capitalisme. Les alliances que nouent les firmes constituant la pierre angulaire de la nouvelle économie globale (Kobrin, 1997), surgit alors l’hypothèse que nous assisterions à l’émergence d’un capitalisme d’alliance (Dunning 1997b). Ainsi, les réseaux traduiraient une disparition graduelle de la frontière de la firme, alors que certaines fonctions seraient accomplies par des partenaires hors du contrôle effectif de l’entreprise (Sachwald, 2000). Par ailleurs, l’analyse des facteurs poussant les entreprises à adopter un fonctionnement en réseau doit être complétée par un aperçu des formes que prennent ces réseaux. Les firmes disposent d’une multitude de possibilités à cette fin, celles-ci allant du simple accord de coopération informel à l’alliance stratégique. Le type de collaboration et l’étendue de celle-ci (locale, nationale ou globale) sont généralement déterminés par les objectifs des firmes. Bien qu’ils puissent être informels (Jones, Hesterly et Borgatti, 1997; Powell, 1990), dans l’industrie brassicole internationale, on constate que les réseaux prennent un caractère exclusivement formel. Quatre types d’accords prédominent : la licence internationale, l’accord de distribution, la joint-venture et l’alliance stratégique.408 Au même titre que 408 La franchise constitue un autre type de relation en réseaux. Elle s’apparente à la licence, mais est plus contraignante, car elle implique un certain nombre de règles et de normes qu’impose la maisonmère au franchisé et un degré d’autonomie moindre. Cette dernière caractéristique la rend moins propice à se propager dans l’industrie brassicole internationale. En outre, les licences prédominent dans le secteur manufacturier, alors que les franchises constituent la forme privilégiée par les firmes de service (Hill, 2001). 306 l’exportation et les deux formes d’investissement présentées au chapitre précédent, ces formes de coopération sont considérées comme des stratégies de pénétration de marché. Mais contrairement à l’exportation et l’IDE, les quatre modalités analysées ici impliquent obligatoirement une collaboration entre deux entreprises ou davantage. * Accords de distribution L’accord de distribution représente le premier niveau d’union inter-firmes. Une compagnie étrangère et une firme nationale s’entendent afin que cette dernière distribue les produits de la première sur le marché de la seconde. Les divers types d’accords de collaboration inter-firmes impliquent généralement la distribution des biens ou produits de l’entreprise étrangère. Cependant, lorsqu’une compagnie choisit l’exportation comme seule forme d’internationalisation ou lorsqu’elle décide de ne pas conclure d’entente de licence ou de joint-venture pour un marché particulier, l’accord de distribution devient le mode de pénétration de marché approprié. La distribution constitue l’élément-clé du succès international des BMN. Sans un système de distribution adéquat, une brasserie se trouve en situation concurrentielle très préjudiciable. Afin de répondre aux demandes des consommateurs à travers le monde, les entreprises doivent pouvoir établir des systèmes de distribution globaux (Sleuwaegen, de Voldere et Pennings, 2001). Le défi auquel fait face la firme en matière de distribution est complexe, car bien qu’elle mette en place des stratégies globales, régionales et/ou nationales (cf. chapitre 7), la distribution se joue essentiellement au niveau national. Les entreprises peuvent disposer d’un réseau de distribution international ou global, mais celui-ci doit se subdiviser en unités nationales. Cela découle des spécificités de chaque marché tant au niveau de la législation que des goûts des consommateurs. Un système de distribution requiert une infrastructure physique importante. Les coûts reliés à un tel système pouvant être élevés, un réseau de distribution national s’apparente alors à une barrière à l’entrée (Sleuwaegen, De Voldere et Pennings, 2001). Il existe une multitude de systèmes nationaux de distribution. Le défi des BMN est de s’adapter à l’ensemble de ceux-ci, ce qui implique des stratégies différenciées. Aux États-Unis, par exemple, la distribution est séparée du brassage de la bière ; en 307 Grande-Bretagne, la distribution est liée aux tied-houses ; en Espagne, ce sont les brasseries qui se chargeaient elles-mêmes de la distribution ; en Allemagne, la distribution est éclatée, tout comme la production. Les brasseries contrôlaient environ 30% des distributeurs représentant 42% des bières vendues. En comparaison des principaux autres marchés, la distribution en Allemagne est extrêmement éclatée, ce qui en fait une industrie très ouverte à la concurrence (Monopolies and Mergers Commission, 1989). La distribution est également importante car elle permet d’accéder aux détaillants, le lieu de l’achat final par le consommateur. Il est donc impossible pour une brasserie ne possédant pas un système de distribution ou n’ayant pas accès à un distributeur d’accéder aux supermarchés ou pubs. * Licence internationale Un accord de licence survient lorsqu’une entreprise accorde les droits de propriété sur un produit ou service à un tiers pendant une période limitée. En retour, la firme obtient des revenus sous forme de redevance de la part du tiers. Ce type de relation élimine la nécessité pour la firme d’ouvrir un nouveau marché puisque les coûts et les risques associés à cet effort sont assumés par le tiers ; ensuite, la licence évite à l’entreprise d’investir d’importantes sommes d’argent dans un environnement instable ; elle constitue un moyen d’entrée sur un nouveau marché lorsqu’il existe des barrières à l’investissement ; finalement, lorsque l’entreprise possède un actif qu’elle ne souhaite pas développer elle-même. Toutefois, ce mode d’opération présente d’importantes limitations : premièrement, la compagnie qui accorde une licence à un tiers pour un nouveau marché perd le contrôle sur la production, la distribution et la commercialisation du produit. Ensuite, elle limite la capacité de la firme à coordonner ses activités et à développer une stratégie internationale. Finalement, en accordant une licence internationale à un possible concurrent, à moyen ou long terme, l’entreprise risque d’assister à l’érosion, voire la disparition de son avantage compétitif (Hill, 2001). 308 * Joint-ventures Lorsque deux ou plusieurs entreprises indépendantes créent une nouvelle société qu’elles contrôlent communément, nous parlons de joint-venture, ou de co-entreprise. La forme la plus générale de co-entreprise est celle sous le contrôle égal (50-50) de deux firmes ; toutefois, de nombreuses autres formules existent (Sachwald 1998 ; Hill, 2001, Culpan, 2002). En matière de co-entreprise internationale, deux options sont possibles. D’une part, une FMN peut établir un partenariat avec une firme locale sur le marché de cette dernière (Chwo-Ming et Ming-Je, 1992). D’autre part, la coentreprise peut être créée afin de pénétrer un marché étranger aux deux entreprises.409 La co-entreprise offre plusieurs avantages à la firme : elle permet de bénéficier de la connaissance que détient le partenaire local du marché ; elle concourt au partage et à la répartition des coûts et des risques liés à l’entrée sur un nouveau marché ; elle aide à contourner les restrictions lorsqu’il existe des barrières politiques à l’entrée ; elle contribue au renforcement des compétences centrales (core competencies) de la FMN ; elle permet de réaliser des économies d’échelle (Hill, 2001; Culpan, 2002). Toutefois, la joint-venture présente également plusieurs désavantages : la possibilité que la firme cède certains de ses procédés techniques, abandonnant ainsi un avantage compétitif vis-à-vis un concurrent potentiel ; l’absence d’un contrôle total sur les activités de la co-entreprise, limitant ainsi sa courbe d’apprentissage et les économies locationnelles ; ce partenariat peut engendrer des conflits entre les entreprises lorsque les objectifs d’un des participants changent (Hill, 2001). 409 Culpan établit deux distinctions entre les joint-ventures internationales de la période actuelle des joint-ventures traditionnelles. Premièrement, les accords de co-entreprise sont de plus en plus entre deux FMN alors qu’auparavant, ces accords se nouaient entre une FMN et un gouvernement de pays en développement. Deuxièmement, il y a divergence des objectifs. Antérieurement, l’accès aux matières premières constituait le but central des FMN; aujourd'hui, les firmes cherchent surtout à exploiter leurs avantages compétitifs. Quatre phases caractérisent la création d’une co-entreprise : la phase initiale, la phase de formation, la phase opérationnelle et la phase d’évaluation. Durant le stage initial, la firme décide si elle désire pénétrer un nouveau marché seule ou si un partenaire s’avère nécessaire. Lors du second stage, la firme choisit son partenaire et le type de co-entreprise qu’elle souhaite (joint-venture majoritaire, joint-venture 50-50 ou joint-venture minoritaire). Pendant le stade opérationnel, les partenaires évaluent et contrôlent les performance de la co-entreprise. Finalement, lors du dernier stade, la firme décide si elle désire poursuivre le partenariat (Culpan. 2002). 309 * Alliance stratégique L’alliance stratégique est un arrangement volontaire entre des entreprises impliquant l’échange, le partage ou le co-développement de produits, de technologies et/ou de services (Gulati, 1998). Selon le type d’alliance, elle inclura une composante financière ou pas. Deux conceptions distinctes de l’alliance stratégique, l’une englobante, l’autre spécifique, sont présentes dans la littérature. Une première voit l’alliance comme la catégorie générale des accords de coopération (Culpan, 2002 ; Hill, 2001; Hennart, 1991). En ce sens, elle comprend les trois stratégies précédentes, la licence, l’accord de distribution et la joint-venture, chaque choix constituant un élément dans la stratégie de réseau de la firme. Une seconde approche, plus restrictive, distingue l’alliance stratégique du réseau (Michalet, 1991). Bien que les deux stratégies reposent sur une coopération inter-firmes, leur nature apparaît fondamentalement différente. Dans le premier cas, le réseau, celui-ci découle d’une approche d’externalisation de la firme (impliquant une réorganisation des activités et de la structure de l’entreprise), alors que l’alliance n’implique pas de tels changements. Elle n’aurait pour but que la mise en commun des ressources de deux ou plusieurs firmes.410 L’alliance s’établit avec un objectif de long terme et doit améliorer le positionnement de chaque partenaire. Depuis les années 1980, la nature de plus en plus transfrontalière des alliances élargit leur portée. Elles ne concernent plus seulement des rapports intra-nationaux, mais plutôt et surtout internationaux. En outre, elles impliquent davantage d’accords entre firmes de pays développés et de PED ; l’emphase est mis sur la création de nouveaux produits ou de nouvelles technologies ; dans une optique de complémentarité, les alliances ne sont plus uniquement intraindustrie, mais aussi inter-industries ; finalement, elles visent à accroître le savoir (knowledge) des firmes (Culpan, 2002). 410 Il semble que la transformation de la nature de la firme constitue le principal critère de distinction pour Michalet. Toutefois, dans les deux cas de coopération, il y a évolution de la firme. Si dans le cas du réseau, ce changement est radical, il ne l’est pas moins dans le cas de l’alliance, étant donné que l’externalisation et l’accord interentreprises conduisent aux mêmes résultats : le partage des coûts pour les participants, une déconstruction-refondation de la chaîne de valeur. On s’éloigne ici d’Andreff (1996) pour qui l’alliance intervient à n’importe quel moment dans la chaîne de valeur, ce qui élimine la distinction entre réseau et alliance stratégique. 310 Plusieurs raisons poussent les entreprises à forger des alliances stratégiques. L’approche théorique dominante des coûts de transaction explique ces alliances par la nécessité de partager les risques financiers et les coûts de R&D ; le besoin d’acquérir des technologies et des compétences (skills) complémentaires ; l’opportunité de réaliser des économies d’échelle et de surmonter des barrières à l’entrée sur de nouveaux marchés ; finalement, l’établissement de nouveaux standards techniques lorsque plusieurs technologies émergent simultanément (Dunning, 1988: 330; Andreff, 1996; Hill, 2001; Porter, 1990).411 Dans une perspective stratégico-sociale, les alliances se forment également lorsque les firmes se trouvent en position de vulnérabilité stratégique ou lorsqu’elles détiennent une position sociale dominante.412 On reconnaît toutefois plusieurs faiblesses à cette stratégie. La firme partenaire obtient l’accès à de nouvelles technologies et à de nouveaux marchés, ce qui peut la transformer en un concurrent important (Hill, 2001). L’alliance entraîne également des difficultés de coordination, dans la mesure où la firme n’est plus en mesure de développer librement une stratégie globale. En outre, elle limite les profits de la compagnie, elle est instable et représente souvent une option transitoire pour l’entreprise (Porter, 1990).413 Si on peut considérer l’alliance stratégique comme une alternative au même titre que les autres présentées ici, la variété des formes qu’elle prend conduit certains auteurs à la considérer comme une option plus générale, englobant l’ensemble des choix disponibles aux firmes (Culpan, 2002; Hill, 2001; 411 Au-delà de ces facteurs, Dunning soutient que les deux principales raisons pour nouer des alliances sont d’une part d’accroître la compétitivité globale des firmes qui nouent l’alliance et de l’autre, d’ajouter une nouvelle dimension à leurs produits ou à leurs stratégies de marketing (Dunning, 1988). 412 La position de vulnérabilité stratégique apparaît lorsque la firme se trouve en situation de faiblesse vis-à-vis ses concurrentes. L’existence de marchés émergents, un haut degré de concurrence et l’innovation technologique obligent l’entreprise à trouver des ressources externes afin de remédier à sa situation. Étant donné qu’elle ne peut renverser sa position seule, la coopération, donc l’alliance, devient sa meilleure option. Dans une perspective plus relationnelle, la possibilité d’alliance stratégique est également favorisée lorsqu’il existe un haut niveau de confiance et de rapports personnalisés entre individus. Plus particulièrement, la position sociale des hauts gestionnaires, en tant qu’initiateurs des stratégies de l’entreprise, favorise le rapprochement entre des firmes par ailleurs concurrentes (Eisenhardt et Bird Schoonhoven, 1996). 413 En comparant les objectifs à long terme que cherche la firme en établissant une alliance, on constate ici la difficulté qu’éprouvent les auteurs à circonscrire l’importance et la portée des alliances. Dans une même perspective stratégique, Culpan voit l’alliance comme un outil fondamental dans le développement de l’entreprise, alors que Porter la conçoit comme une étape transitoire, la firme devant par la suite assurer sa croissance seule. On comprend mieux alors pourquoi dans le premier cas on considère l’alliance comme une mesure de long terme, alors que le second adopte une optique de court terme. 311 Porter, 1990). L’alliance stratégique se situerait entre le marché et l’organisation, car elle brouille la frontière des firmes en impliquant des relations internes et externes à la l’entreprise (Andreff, 1996). * ** Dans une optique de réseaux, les stratégies de coopération ne constituent pas toujours des substituts à la production internationale ou à l’IDE. Elles représentent un complément permettant à la firme d’accroître son internationalisation sans qu’une présence physique ne soit requise (Andreff, 1996). Quelle option de collaboration choisira la BMN lorsqu’elle cherchera à s’allier à un partenaire en vue de pénétrer un nouveau marché ou d’accroître sa présence sur un marché particulier ? Le tableau 8.1 présente les différentes stratégies à la disposition des BMN. Tableau 8.1 Accord Les accords de coopération et leur application à l’IBI Avantage Désavantage Pénétrer de nouveaux marchés à faible coût Économie d’investissement Évite les coûts d’apprentissage Distribution Spécificité des marchés nationaux Pas d’obligation d’une infrastructure physique Accès aux détaillants Perte de contrôle Diminution de la coordination globale Perte d’avantage compétitif Contrôle non complet Joint-venture Maintien de l’indépendance des firmes Alliance stratégique Stratégie de court ou long terme Améliorer la situation de la firme Connaissance du marché local Partage des coûts Évite les barrières politiques Renforce les compétences de base de l’entreprise Économies d’échelle Economies d’échelle Réduction de la vulnérabilité Partage des coûts Acquisition de nouvelles technologies Licence Justificatif Cession de procédés techniques Contrôle non total sur la co-entreprise Potentialité de concurrence de la firme partenaire Difficultés de coordination Limitation des profits Option transitoire Application dans l’industrie brassicole internationale Majorité des marchés brassicoles Multiplicité de réseaux nationaux Variable-clé de l’internationalisatio n des brasseries Marché chinois Certains autres marchés asiatiques Certains marchés d’ECO Surtout des jointventure entre des BMN et des brasseries locales 312 Dépendamment des objectifs de la firme et des marchés qu’elle désire pénétrer, la firme privilégiera l’une des quatre approches. Si la firme ne désire pas investir de fortes sommes afin de pénétrer un nouveau marché, l’accord de distribution s’avère indiqué. Les joint-ventures seront adoptées lorsqu’il existe un concurrent local puissant ou lorsqu’il est possible de combiner les forces de la FMN et de la firme locale afin de réduire les coûts ; des licences multiples se développeront s’il existe un nombre important de firmes locales (Chwo-Ming et Ming-Je, 1992). 8.1.2 Les accords interfirmes dans l’industrie brassicole internationale Bien que les réseaux soient presqu’exclusivement formels dans l’industrie brassicole, ils demeurent en constante recomposition, suite aux diverses transactions des BMN. Lorsqu’une brasserie procède à une acquisition, cela entraîne parfois la fin des accords précédents de distribution ou de licence liant une BMN à une firme locale. Depuis les années 1990, cette recomposition s’accélère. L’expansion des FMN sur les marchés mondiaux ne s’effectue pas uniquement par l’exportation et l’IDE, mais comporte également une multitude d’accords de collaboration.414 Le tableau 8.2 fournit une présentation sommaire des principaux accords de coopération au sein de l’industrie depuis les années 1980.415 Ce qu’il faut remarquer avec ce tableau, en combinaison avec le tableau 7.1, ce sont les relations croisées entre les brasseries à l’échelle internationale. Les acquisitions ou les accords de coopération conduisent généralement à ce que des marques concurrentes à l’échelle internationale soient comprises au sein de l’offre d’une compagnie sur un marché national. 414 Il est certain que la stratégie d’exportation implique nécessairement un accord de distribution. Lorsqu’elle exporte, la BMN signera un tel accord avec une brasserie nationale ou un distributeur indépendant. Dans le cadre de cette étude, nous ne considérons pas la relation BMN-distributeur indépendant dans l’optique du réseau. Seules les relations entre des brasseries, qu’elles soient des BMN ou nationales participent au développement du réseau de la brasserie, dans la mesure où ces relations peuvent s’approfondir dans le temps, ce qui n’est pas le cas avec un distributeur ne produisant pas de bière. 415 Nous renvoyons le lecteur aux annexes pour une présentation plus exhaustive de ce tableau. 313 Tableau 8.2 Accords de coopération des principales BMN BMN Année Interbrew 1995 1997 1998 1999 2001 2002 Ambev 2003 1995 2001 SABMille r 1994 2000 2001 2003 Heineken 1983 1984 1988 1994 1998 Partenaire Sleeman Lion Nathan Gouvernement cubain (Cervecería Bucanero) Doosan (Oriental Brewery) Sun Brewing (Sun-Interbrew) EFES EFES Lion Nathan (KK Breweries) CabCorp Miller (Miller Brewing do Brasil Ltda,) Dado Bier (compagnie brésilienne) China Resources Breweries (China Resources Enterprise) Narang Industries Ltd. Castel Group Shaw Wallace Breweries (Shaw Wallace and Company) Coca-Cola (Kaiser) Kirin Quilmes Asia Pacific Breweries Hainan Brewery Co. Ltd. SABMiller Type d’accord Licence Licence Joint-venture (5050) Pays couvert (s) Canada Australie Cuba Région visée Amériques Océanie Caraïbes Corée du Sud Asie ECO Joint-venture (5050) Alliance stratégique1 Joint-venture (5050) Licence Joint-venture RussieUkraine Roumanie ECO Turquie Chine ECO Asie Joint-venture Guatemala Joint-venture (5050) Brésil Amérique centrale Amériques du Sud Distribution Brésil Amérique du Sud Joint-venture Chine Asie Joint-venture (6040) ASM AS Inde Asie Inde Afrique Asie Joint-venture Brésil Licence Joint-venture (1585) Joint-venture Japon ArgentineCaraïbes Chine Asie Joint-venture Chine Asie Joint-venture Afrique du Sud Allemagne Chili Afrique 2001 Schörghuber (BrauHolding) Joint-venture 2002 Hansa Borg Licence Norvège Amérique du Sud Asie Amériques EuropeAmérique latine Europe 314 Bryggerier Diageo et Namibia Breweries (Brandhouse) FEMSA Joint-venture Afrique du Sud Afrique Distribution États-Unis Amérique du Nord 1988 Labatt2 Licence Canada 1991 Hartwall (Baltic Beverages Holdings) Allied Lyons (Carlsberg-Tetley Brewing Ltd.) Ambev Joint-venture (5050 ) Russie Amérique du Nord ECO Joint-venture GrandeBretagne Europe Licence Brésil et Amérique du Sud Thailande Amérique du Sud 2004 Carlsberg 1993 1996 2000 AnheuserBusch 1980 1984 Thai Chang2 Beverage Company (Carlsberg Asia Pte Ltd.) Labatt 1989 Watney, Mann & Truman Suntory Ltd. United Breweries Ltd. (Carlsberg) Guinness Birra Peroni Industriale Kronenbourg Oriental Brewing Co. Ltd. Modelo 1995 Damm 1996 Compañía Antartica Paulista Scottish Courage (Stag Brewery) Compania Cervecerias Unidas (Chili) CCU Argentine Kirin 1985 1986 1987 Joint-venture (5050) Licence/distributio n Licence Canada Asie Amérique du Nord Europe Licence Distribution réciproque Licence Licence GrandeBretagne Japan DanemarkÉtats-Unis Irlande Italie Distribution Licence France Corée du sud Europe Asie Distribution Mexique Licence/distributio n Alliance stratégique Joint-venture (5050) Licence Espagne Amérique du Nord Europe Joint-venture (9010) Japon Brésil GrandeBretagne Argentine Uruguay Chili Asie Europe Europe Amérique du Sud Europe Amérique du Sud Asie 315 Coors 2000 2002 Tsingtao 2003 1987 1991 Heineken Italie Asahi Jinro 1992 Scottish Courage 1985 2001 Molson4 Licence Joint-venture 1993 Lion Nathan Licence Licence Licence Joint-venture (4951%) Licence Licence États-Unis Japon GrandeBretagne Amériques Asie Europe Chine Chine Asie Asie Distribution Mexique Amériques Grolsch 2004 S&N Lion Nathan CarlsbergGuangdong CCM Licence Alliance stratégique Licence Licence Joint-venture (3367) Licence Chine Asie Italie Japon Corée Europe Asie Asie GrandeBretagne Canada États-Unis Europe Amériques Amériques 2000 Central de Joint-venture Portugal Europe Cervejas 2002 United Breweries Joint-venture (40Inde Asie (UB) 3 40-20) AP: achat d’un pourcentage de la brasserie, mais non la totalité JV: joint-venture (coentreprise) ASM : Alliance stratégique multiple (couvrant plusieurs pays) 1 : Dans le cas de l’alliance SUN et Interbrew, chaque entreprise détient de 34% des actions, les 32% restantes étant détenues par des investisseurs privés (Interbrew, RA 1999: 17) 2 :En août 2003, Carlsberg mit fin à la joint-venture avec Thai Chang Beverage Company et en janvier 2004, elle résilia l’accord de licence le liant à Labatt ; une filiale coordonne la production et la distribution des marques de la firme danoise (Carlsberg, RA 2004: 6) 3: S&N et UB obtiennent 40% des actions chacune et les dirigeants de la joint-venture 20%. 4 : En 1998, la licence que possédait Molson de Coors s’est transfomée en joint-venture [50.1 (Coors)-49.9 (Molson)]. Plusieurs observations peuvent être formulées à la lumière du tableau précédent. Premièrement, si la globalisation se met en branle à partir de la seconde moitié des années 1980, le développement des réseaux dans l’industrie n’accompagne pas immédiatement ce processus. Bien que certaines brasseries nouent des alliances durant ces premières années, ce sera à partir de la seconde moitié des années 1990 et des années 2000 que cette tendance s’accélérera. Durant les années 1980, AnheuserBusch et Heineken furent les entreprises les plus actives dans la recherche d’accords de collaboration internationaux. Fait à noter, parmi les BMN de ce tableau, ces deux 316 firmes demeurent les seules ayant également fait partie des dix premières brasseries internationales durant les années 1980. Deuxièmement, toutes les BMN participent au développement de réseaux internationaux et ce à des degrés divers. Les alliances touchent toutes les régions du monde et portent principalement sur les marchés nationaux. Seulement dans quelques cas trouve-t-on un partenariat allant au-delà du marché national. La licence qu’octroie Carlsberg à Ambev couvre plusieurs pays d’Amérique du Sud, alors que la jointventure entre Heineken et Schörghuber (BrauHolding) touche à la fois l’Allemagne et certains pays d’Amérique du Sud. Dans le cas de la relation Heineken-Schörghuber, la co-entreprise touche deux régions distinctes, l’Europe et l’Amérique du Sud. Troisièmement, on constate la disparition de plusieurs partenaires nationaux. De nombreuses brasseries nationales, qui avaient servi de relais nationaux pour les BMN dans l’établissement de co-entreprises ou d’accords de licence ou de distribution ont disparu, résultat de la consolidation de l’industrie. Cette situation met en lumière le caractère incertain des relations inter-firmes lors d’un changement de propriété. Lorsqu’une BMN prend le contrôle d’une brasserie nationale, les accords préalables peuvent être influencés de deux manières différentes : soit qu’ils se maintiennent et la nouvelle filiale poursuit la relation avec la BMN tierce416, soit la brasserie acquéreuse ou la BMN tierce met fin à ces accords. La BMN acquéreuse doit également décider si elle poursuit les accords qu’elle possédait de son côté avec une concurrente. Si la BMN acquéreuse possédait un accord avec une brasserie nationale concurrente de sa nouvelle filiale, elle doit aussi décider de la suite à donner à cette relation. Généralement, elle mettra fin à la relation pré-existante afin de consolider l’ensemble des ses activités et les opérations de sa nouvelle acquisition.417 416 Le cas Interbrew-Labatt-Anheuser-Busch illustre cette possibilité. En 1995, Interbrew acquiert la brasserie Labatt, alors que celle-ci détenait une licence de fabrication, de distribution et de commercialisation de la marque Budweiser d’Anheuser-Busch pour le marché canadien depuis 1980. Bien qu’Interbrew et Anheuser-Busch soient concurrentes sur la plupart des marchés nationaux, au Canada, les deux firmes collaborent. 417 Toujours dans le cas de l’acquisition de Labatt par Interbrew, cette dernière avait établi un accord de licence pour la production de la marque Stella Artois avec la brasserie canadienne Sleeman. Quelques mois après l’acquisition de Labatt, Interbrew mit fin à sa relation avec Sleeman. Une situation identique s’est produite entre SABMiller et Heineken. En 1998, Heineken avait conclu un accord avec SAB en vue de la production de la marque Amstel. En 2004, alors que Heineken, Diageo et Namibia Breweries lancent une co-entreprise, la firme hollandaise termina son association avec SABMiller. 317 Quatrièmement, si les brasseries multinationales utilisent les quatre types d’accords de collaboration, la joint-venture et la licence constituent les deux stratégies préférées des firmes. Les accords de distribution inter-brasserie, bien que présents, ne semblent pas être une option très prisée par les BMN. Une hypothèse explicative serait que la BMN, ne pouvant établir des unités productives dans tous les pays où elle est présente, privilégiera des rapports avec une firme connaissant mieux le marché local et susceptible de mettre en valeur ses marques. La simple distribution n’étant pas une option très attirante pour la brasserie nationale, la licence ou la joint-venture apparaissent comme des options préférables. En outre, lorsque les BMN créent une joint-venture, elles préféreront régulièrement un accord de type 50-50 ou sous leur contrôle majoritaire. En certaines occasions, elles peuvent être le partenaire minoritaire. Toutefois, dans les cas de joint-venture que nous avons étudié, cette situation s’est rarement produite. Cinquièmement, et contrairement aux stratégies de concurrence internationale où l’on retrouve des firmes à stratégie globale et des firmes à stratégie régionale, en matière d’accords de collaboration, presque toutes les firmes déploient une stratégie d’alliances que nous qualifions de globale, c'est-à-dire qu’elles sont présentes dans toutes les régions du monde. Cela découle d’une stratégie générale visant à globaliser les activités de la firme, tant en termes de production que de commercialisation. Si en terme productif et concurrentiel, certaines brasseries ne possèdent pas les ressources suffisantes afin d’envisager une stratégie globale, en revanche, il est plus aisé de nouer des alliances avec des firmes ayant déjà une présence sur un marché étranger, cela entraînant des coûts moindres pour l’entreprise. Sixièmement, la Chine apparaît être le marché le plus important en terme d’accords de collaboration dans cette phase de globalisation de l’industrie. Compte tenu de la structure et de l’attrait du marché chinois (cf. chapitre 5), toutes les BMN ont cherché à le pénétrer. Cependant, malgré l’assouplissement des réglementations gouvernementales durant les années 1990, les BMN se sont trouvées dans l’obligation de nouer des alliances avec des brasseries chinoises. Interbrew demeure l’unique brasserie n’ayant pas mis sur pied une joint-venture ou conclu un accord de licence ou 318 de distribution. Néanmoins, l’entreprise avait été l’une des premières brasseries étrangères à établir des liens avec des brasseries chinoises : dès 1984, elle fournissait des conseils à plusieurs brasseries chinoises ; en outre, elle a effectué plusieurs transferts technologiques. Finalement, on remarque que les BMN développent des accords de licence afin de produire pour un marché tiers. Deux cas sont possibles ici. Soit une BMN parachève un accord avec une autre BMN possédant une brasserie dans un pays étranger. Cette dernière brasse alors les marques de la première pour le marché en question. Par exemple, Coors a conclu une entente avec Carlsberg-Guangdong, une filiale de Carlsberg en Chine, pour le brassage et la distribution de sa marque Coors Light. Dans le deuxième cas, une BMN accorde une licence de production à une brasserie nationale, cette licence couvrant à la fois le territoire de cette dernière et d’autres marchés. Plusieurs brasseries ont ainsi utilisé cette méthode afin de pénétrer le marché américain : elles signaient des ententes avec une brasserie canadienne, une majorité des bières produites étant ensuite exportées vers les États-Unis. Par ailleurs, depuis la fin des années 1990, l’ampleur des réseaux a connu un changement qualitatif important. Il ne s’agit plus uniquement de relations entre BMN touchant les licences et/ou la distribution de bières. On assiste à une multiplication d’unions entre des firmes de spiritueux et des brasseries. Ces alliances impliquent une composante de R&D, dans la mesure où il s’agit de produire un nouveau type de boisson alcoolisée à base de malt. Pour les firmes de spiritueux, le développement de ce nouveau segment offrait plusieurs avantages : la possibilité d’entrer dans le marché des boissons à base de malt, l’accès aux réseaux de distribution des brasseries, plus importants que les réseaux des spiritueux ; la possibilité de publiciser ces produits, les spiritueux étant soumis à davantage de restrictions en matière de publicité ; finalement, une plus grande marge bénéficiaire, puisque les malternatives génèrent trois fois plus de profits que les spiritueux. Pour les brasseries, de meilleures perspectives de profits constituent un puissant incitatif à s’associer avec les compagnies de spiritueux (Stagnito's New Products Magazine, 01/05/2002). Toutefois, cette nouvelle tendance 319 semble surtout avoir été le fait des brasseries américaines et de certaines brasseries britanniques. 418 La collaboration apparaît comme un élément central de la globalisation de l’industrie brassicole internationale. Les firmes ont étendu leurs réseaux, tant internes qu’externes, à l’ensemble des marchés de la planète. Les brasseries mexicaines ont également participé à cette évolution, bien qu’à un rythme différent des principales BMN. 8.2 Les brasseries mexicaines : alliances offensives versus alliances défensives Durant les années 1990, la croissance rapide de l’industrie brassicole mexicaine attire l’attention des BMN américaines, celles-ci évoluant dans un marché à plus faible croissance et dont la maturité conduit à une absence de fortes opportunités de profits. En outre, avec l’entrée en vigueur d’un accord de libre-échange avec le Mexique, ce marché apparaît de plus en plus prometteur. Toutefois, la fermeture effective du marché mexicain (cf. chapitre 4) force les brasseries étrangères à employer d’autres stratégies de pénétration. Les alliances s’avèrent donc un moyen privilégié. Ces alliances permettent non seulement à l’industrie brassicole d’accroître son expertise en matière de production, commercialisation et distribution, mais surtout d’augmenter les possibilités d’exportation vers les voisins du Nord, opportunité que ne rateront pas CCM et Modelo. 8.2.1 CCM : alliances offensives Alors que les deux brasseries mexicaines nouent leur première alliance internationale la même année (1989), CCM sera une participante beaucoup plus active dans ce domaine. Les relations que tisse la brasserie mexicaine apparaissent comme des alliances offensives dans la mesure où la firme cherche à accroître sa présence internationale en intégrant des réseaux de distribution et de production internationales. 418 Deux des trois principales brasseries américaines, Anheuser-Busch et Miller, de même que Diageo, la maison-mère de Guinness, ont été les principaux acteurs ayant développé ce nouveau segment de marché. 320 La firme développe deux alliances stratégiques avec Heineken, s’associe avec Labatt/Interbrew et, dans le contexte mexicain, innove avec Kaiser. 8.2.1.1 Heineken : une alliance en deux temps En 1989, CCM signe un accord de distribution avec Heineken (FEMSA, RA 1990). L’alliance permet à la brasserie mexicaine de devenir l’importatrice et la distributrice exclusive des marques de Heineken au Mexique. L’accord prévoit également une collaboration technique de cinq ans entre les deux firmes, Heineken devant fournir des services-conseils à CCM en matière de technique et au niveau de la modernisation des unités de production.419 En outre, Heineken acquiert 20% des actions de la compagnie importatrice de CCM, Cervezas Mundiales (BW, 01/04/1993; FEMSA, RA 1990). En juin 2004, après la rupture de la relation avec Intebrew (cf. 8.2.1.2), CCM et Heineken renouent leur relation. Wisdom Import Sales Co. LLP, la subsidiaire américaine de CCM, signe un accord avec Heineken USA, une filiale de Heineken, grâce à laquelle Heineken USA devient l’importatrice et distributrice exclusive des marques de la brasserie mexicaine. Heineken USA obtient également la responsabilité de la publicité et des ventes des produits de CCM aux États-Unis. D’une durée de trois ans, cette union vise à la fois à renforcer la position générale d’Heineken aux États-Unis et à accroître le développement géographique des marques de CCM audelà du sud-ouest des États-Unis. Pour Heineken, reléguée en seconde position dans le segment des bières importées suite à la montée de Modelo, l’arrivée des marques de CCM dans son portefeuille permet d’offrir une plus grande variété de produits. De plus, la firme hollandaise considère que cet apport d’une firme mexicaine facilitera sa pénétration auprès des hispanophones américains, le groupe démographique ayant la plus forte croissance aux États-Unis (Heineken, Communiqué de presse, 21/06/2004). Pour CCM, suite à la fin de la relation avec Labatt USA, la nécessité d’un partenariat s’avérait criante, puisque la firme associée faciliterait la présence des marques de la brasserie mexicaine au-delà de ses zones “naturelles” du sud-ouest américain. C’est d’ailleurs 419 Toutefois, cette partie de l’accord n’a pas donné suite à une véritable collaboration entre les deux entreprises. 321 le principal avantage qu’avait procuré la gestion des marques de CCM par Labatt USA. 8.2.1.2 L’alliance CCM-Labatt/Interbrew Au début des années 1990, la perspective d’un accord de libre-échange nordaméricain entraînerait sûrement une réorganisation de l’industrie brassicole à l’échelle régionale, bien que celui-ci ne devait pas remettre en question la stratégie d’exportation de CCM vis-à-vis des marchés canadien et américain. CCM, prenant acte de la consolidation internationale de l’industrie et de l’importance croissante du marché américain, reconnaît la nécessité de s’associer à une BMN (Salinas Arrambide, 14/05/2002; BW, 01/04/1993). Trois choix s’offrent à l’entreprise : Heineken, avec laquelle la firme avait déjà signé un accord de distribution ; Miller, qui avait acquis 7,9% des actions de la division brassicole de FEMSA ; finalement, Labatt, une brasserie canadienne désirant accroître sa présence internationale. FEMSA décide d’accepter l’offre de Labatt, car cette entreprise correspond davantage à ce que la firme recherche pour sa division brassicole. Bien qu’Heineken offre des possibilités intéressantes, la disparité de taille entre les deux entreprises risque de conduire à la domination de CCM par sa partenaire hollandaise. Dans le cas de Miller, les mêmes inquiétudes subsistent : les dirigeants de FEMSA sont convaincus que l’objectif de la brasserie américaine n’est pas une association entre égaux, mais plutôt l’absorption d’une compagnie plus petite par l’autre (Salinas Arrambide, 14/05/2002; Reyes Salcido, 09/05/2002). En septembre 1994, Labatt acquiert 22% des actions de CCM pour un montant de 510 millions de dollars.420 En décembre 1994, les deux entreprises créent une coentreprise, Labatt USA, résultat de la mise en commun de leurs actifs aux États-Unis. La part de FEMSA dans la nouvelle entité s’élève à 30%. Au niveau organisationnel et technique, l’alliance avec Labatt surpasse l’accord que CCM avait noué avec 420 L’entente permettait à Labatt d’augmenter sa participation au capital de la brasserie mexicaine jusqu’à 30%. En mai 1998, Stellamerica Holdings, une compagnie subsidiaire d’Interbrew, exerça cette option et acquit les 8% additionnels pour un montant de 221,6 millions de dollars. Suite à cette opération, Stellamerica possédait 19% de FEMSA Cerveza, alors que Labatt en possédait 11%. (FEMSA, ADR 2000). 322 Heineken : elle permet à l’entreprise d’accéder à de nouvelles technologies ainsi qu’à une collaboration interentreprise en matière de brassage de la bière, de marketing, de gestion des marques, des systèmes d’information et des opérations de distribution (VISA, ADR 1998). Au niveau stratégique, cette union doit permettre aux deux entreprises de développer une stratégie commune pour les États-Unis, du moins c’est ce qu’envisageait CCM (FEMSA, RA 1996).421 Labatt USA obtient les droits d’importation, de distribution, de marketing et de vente des marques de CCM aux États-Unis. Labatt hérite des droits similaires au Canada,422 alors que CCM prend en charge la commercialisation des marques de Labatt au Mexique.423 Bien que l’alliance FEMSA-Labatt/Interbrew connaisse passablement de succès durant ses premières années424 et qu’elle s’avère bénéfique pour les deux entreprises, la relation se détériora au début des années 2001, culminant par le rachat de FEMSA des actions de la compagnie aux mains d’Interbrew. Le point central du conflit entre FEMSA et Interbrew n’est pas la décision de cette dernière de transférer ses parts de l’entreprise mexicaine à Ambev dans le cadre de leur fusion de 2004, mais plutôt la crainte qu’éprouve la firme mexicaine quant à la stratégie américaine de la brasserie belge. Le litige entre les deux entreprises date de mai 2002 ; il se détériore en 2003 puis culmine en 2004.425 Dès le début du conflit, les 421 Outre son alliance avec Labatt, FEMSA souhaitait s’associer avec une brasserie américaine afin de consolider, voire d’accroître son positionnement aux États-Unis. Toutefois, l’expérience vécue avec Miller avait refroidi les ardeurs des dirigeants de FEMSA. 422 L’accord avec Labatt permit à CCM de mieux pénétrer le marché canadien (Salinas Arrambide, 13/05/02). Étant donné les différentes réglementations en vigueur dans les provinces canadiennes, la connaissance du marché de Labatt éliminait les coûts liés à l’apprentissage de ce marché par CCM. 423 VISA (ADR 1998) et <http://www.alaface.com/privado/noticias/Noti364.htm> accès le 19 janvier 2002. 424 Les exportations de CCM augmentèrent de 57% entre 1995 et 1998, alors qu’elles crurent de 20% entre 1990 et 1994 (tableaux 6.1 et 6.2). Le recentrage de l’entreprise sur les États-Unis contribua sans doute à ce résultat, notamment en 1997 et 1998, mais l’alliance avec Labatt est une constante de ces quatre années. 425 En 2002, suite à l’acquisition de la brasserie allemande Brauerei Beck GmbH & Co., Interbrew avait décidé d’intégrer la marque Beck’s au portefeuille de Labatt USA. FEMSA poursuivit Interbrew, alléguant que la décision de cette dernière nuirait aux intérêts de la compagnie, car Labatt USA risquait de porter davantage d’attention à Beck’s et que cette dernière entrait directement en concurrence avec certaines marques de CCM dans le segment des bières importées. Par ailleurs, Interbrew souhaitait également intégrer la marque Bass au portefeuille de Labatt USA ; en avril 2003, alors que le conflit concernant Beck’s poursuivait son cheminent juridique, FEMSA accepta que cette marque soit incluse au portefeuille de Labatt USA pour une période d’essai de 12 à 18 mois. Finalement, en mars 2004, 323 dirigeants de FEMSA reconnaissent que le conflit avec leur partenaire stratégique nuit grandement à la gestion des affaires aux États-Unis (Infolatina, 06/09/2002). Quelques jours après l’annonce de la fusion Interbrew-Ambev en mars 2004, FEMSA poursuit Interbrew, soutenant que les droits minoritaires de sa filiale Wisdom Import Sales Co. LLP sont lésés par cette entente. Alors que des rumeurs courrent depuis plusieurs mois sur l’imminente rupture entre les deux firmes (Infolatina, 12/08/2003), la séparation s’officialise en mai 2004. FEMSA rachète les 30% d’actions que détient Interbrew, au coût de 1,245 milliard de dollars ; Labatt USA restitue les droits des marques de CCM à Wisdom Import Sales Co. LLP ; finalement, les deux compagnies signent une entente temporaire de distribution jusqu’au 31 décembre 2004 (FEMSA, Communiqués de presse, 23/05/2004; 21/06/2004). 8.2.1.3 L’extension du réseau de CCM : Kaiser et Coors En 2004, outre la rupture de l’association entre Interbrew et FEMSA et l’entente CCM-Heineken, deux autres événements majeurs contribuent à approfondir l’implication de CCM au sein des réseaux brassicoles internationaux. Si les alliances FEMSA-Heineken, mais surtout FEMSA-Labatt/Interbrew représentaient des développements importants dans la stratégie de CCM, l’alliance FEMSA-Kaiser peut être considérée comme révolutionnaire. Jusqu’au début des années 2000, les brasseries mexicaines avaient exclusivement privilégié la production nationale au détriment d’investissements créatifs ou d’accords de licence. Les seuls accords internationaux qu’elles nouent ont trait à la distribution de leurs bières à l’étranger et des bières étrangères au Mexique. En 2002, la firme amorce une réflexion sur le bien-fondé de la production internationale. Ce questionnement conduit à une première dans l’industrie brassicole mexicaine : FEMSA signe un accord de licence avec la brasserie brésilienne Kaiser en vue la production, de la distribution et de la commercialisation de la bière Sol. Bien Interbrew et Ambev annoncent la fusion des deux entreprises. L’un des points saillants de la transaction était le transfert du contrôle de Labatt, incluant les 30% des parts de FEMSA qu’elle possédait, à Ambev. (El Norte, 09/08/2003; Brandweek, 14/04/2003; Infolatina, 06//09/2002; The Stamford Advocate-Tribune Business News, 11/13/2003). 324 qu’il ne s’agisse pas de la première tentative de CCM de conclure un accord de licence international, un essai précédent s’étant soldé par un échec en Allemagne (Salinas Arrumbide, 14/05/2002), cette alliance constitue une première pour l’industrie brassicole mexicaine car elle signale la fin de la production strictement nationale. La firme n’écarte pas la possibilité de nouer d’autres alliances de ce type à l’étranger, mais il n’est pas question qu’elle accorde une licence de production à une brasserie établie aux États-Unis, car cela risquerait d’éliminer le principal avantage compétitif qu’elle possède : le caractère étranger, dans ce cas-ci mexicain, du produit.426 En juin 2004, deux jours après la notification de l’accord avec Heineken, CCM annonce qu’elle est parvenue à une entente avec la brasserie américaine Coors. CCM devient l’importateur et le distributeur exclusif de Coors Light au Mexique. La question se pose de savoir si l’accord de licence entre CCM et Kaiser a influencé cette union.427 8.2.2 Modelo : la protection du marché interne Alors que les diverses relations qu’établit CCM depuis 1989 visent à la fois le marché intérieur et les marchés internationaux, la stratégie de réseau de Modelo va dans le sens opposé des tendances de l’industrie brassicole internationale. Alors que les BMN, et même FEMSA, accélèrent leurs coopérations tant au niveau des licences que des joint-ventures, Modelo refuse d’accorder des licences de production à l’étranger. Il est argumenté qu’une telle stratégie entraînerait une perte de contrôle sur le processus de production de la bière (BI, 01/05/1995), mais que surtout, les bières de l’entreprise perdraient leur mexicanité, l’un des plus importants avantages compétitifs de la firme (Diez Morodo, 22/01/2003). 426 Astaburuaga Senjines (23/06/2004) rappelle que CCM a beaucoup appris de l’expérience de la brasserie allemande Löwenbräu. Durant les années 1980, la brasserie avait conclu des accords de licence avec des brasseries américaines. Les consommateurs avaient par la suite délaissé cette marque, car elle avait perdu le cachet de bière importée (Forbes, 18/04/1988). 427 Notons qu’au moment de cette annonce, Kaiser était une filiale de la brasserie Molson et que celleci avait établi une étroite collaboration avec Coors (cf. chapitre 5). De plus, moins d’un mois après l’association CCM-Coors, Molson et Coors annoncèrent l’intention des deux firmes de fusionner. 325 Si Modelo n’est pas une participante importante dans le mouvement de coopération inter-firme qui caractérise l’industrie brassicole internationale depuis le début des années 1990, cela ne signifie pas pour autant une absence totale. L’entreprise a en effet établi plusieurs accords internationaux, mais un seul apparaît d’importance : la relation avec Anheuser-Busch. Les rapports entre les deux firmes passent par trois moments importants : l’accord de distribution de 1989, l’entrée au capital de Modelo par Anheuser-Busch en 1993 et l’augmentation de la participation de la brasserie américaine dans l’actionnariat de Modelo en 1997. En 1989, Modelo et Anheuser-Busch concluent un accord par lequel la brasserie mexicaine devient l’importateur et le distributeur exclusif des bières de la firme américaine. Afin d’élargir la collaboration entre les deux firmes, elles initient, en 1992, des pourparlers en vue d’une alliance plus poussée (Expansión, 30/03/1994).428 Les négociations débouchent, en juin 1993, sur une alliance entre les deux entreprises. Trois éléments d’importance marquent cet accord : l’acquisition par Anheuser-Busch de 17,7% des actions de Modelo, avec une option allant jusqu’à 35% ; l’obtention, par Anheuser-Busch, de trois sièges au conseil d’administration de Modelo alors que cette dernière obtient un siège au conseil d’administration d’Anheuser-Busch ; les deux entreprises s’entendent pour échanger du personnel au niveau exécutif et administratif, spécialement dans les champs de la commercialisation, de la planification et des finances (Solas-Porras, 1998: 141; BW, 01/04/1993). Pour l’entreprise mexicaine, cette alliance avec la plus importante brasserie américaine est avant tout défensive. Il s’agit de prévenir l’entrée potentielle d’une concurrente nettement plus puissante sur le marché national, alors que celui-ci doit s’ouvrir complètement à la concurrence américaine avec la mise en œuvre de l’ALENA.429 Si certains croient que l’alliance entre les deux entreprises est contre 428 Dès 1991 cependant, Anheuser-Busch avait manifesté son intention d’approfondir les liens entre les deux entreprises, soit par une joint-venture ou une entrée au capital de la firme mexicaine (Bratu Hernández). Les offres de la brasserie américaine, bien que rejetées à l’origine, pourraient avoir joué un rôle important dans la transformation de Modelo, celle-ci cessant d’être une société anonyme à partir de novembre 1991. 429 Cependant, tel n’était pas l’objectif d’Anheuser-Busch puisque la firme recherchait avant tout une participation aux profits que réalisaient annuellement Modelo (Fernández Sánchez-Navarro, 2000: 4). 326 nature, dans la mesure où chacune a pour objectif de posséder la première marque internationale, Diez Morodo souligne qu’en fait, les bières des deux entreprises se complètent, car elles sont destinées à des segments de marché distincts (Expansión, 30/03/1994).430 Selon l’accord, les deux entreprises doivent partager leurs réseaux et canaux de distribution à l’échelle internationale, mais dans les faits, cette coopération ne s’est jamais matérialisée. Au fil des ans, Anheuser-Busch accroît considérablement sa participation au sein de l’entreprise mexicaine. En 1997, elle exerce ses options et augmente sa participation au sein de Modelo, mais aussi de son principal subsidiaire, Diblo (à hauteur de 23,25%). Combiné à ses 35,12% du capital de Modelo, Anheuser-Busch est l’actionnaire majoritaire pour tout se qui concerne le secteur bière de l’entreprise mexicaine (Modelo, BMV 2002). La position dominante de Modelo sur le marché mexicain, de même que ses bonnes performances en matière d’exportation expliquent en grande partie l’attraction d’Anheuser-Busch pour l’entreprise mexicaine. Alors que la relation Modelo-Anheuser-Busch peut être considérée comme un succès par les dirigeants de la firme américaine,431 cela n’est pas nécessairement le cas pour les dirigeants de Modelo. Dès 1994, certains des principaux actionnaires de Modelo432 admettent qu’Anheuser-Busch avait acquis les actions de la brasserie mexicaine à un prix nettement en deçà de sa valeur de marchande (Ortiz Rivera, 1997; Sánchez Navarro, 04/06/2002). Au début de 1997, après qu’Anheuser-Busch annonce son intention d’exercer ses options d’achat, les deux entreprises ne peuvent s’entendre sur un prix d’achat. Ce n’est qu’en octobre 1998 que la transaction se complète.433 Par 430 En outre, ce n’est pas tant la projection internationale de Grupo Modelo qui attira les dirigeants d’Anheuser-Busch, mais plutôt la domination du marché national qu’exerçait la brasserie mexicaine, une variable-clé dans toute décision d’association que prend Anheuser-Busch (Latin CEO, 01/01/2000). 431 Dans son rapport de 2002 à la commission des valeurs mobilières américaine (SEC), AnheuserBusch souligne le double avantage de son investissement dans Grupo Modelo. Ces bénéfices se situent au niveau des dividendes perçus, mais surtout du surplus de la valeur de l’investissement sur son coût (fair value of the investment over its cost, le prix déboursé pour les actions versus le prix de marché). Anheuser-Busch évalue ce surplus à 3,6 milliards de dollars en 2002. L’investissement initial de 1,6 milliard de dollars représente 2,4 milliards de dollars en 2004, alors que sa valeur réelle serait d’environ 5 milliards de dollars (Anheuser-Busch, 10K 2002). 432 Les principaux actionnaires de Modelo en sont également les principaux gestionnaires. 433 Les diverses étapes de l’investissement d’Anheuser-Busch au sein de Modelo se déclinent de la manière suivante : en 1993, Anheuser-Busch acquit 10% des actions de Grupo Modelo et 10% de sa 327 ailleurs, Anheuser-Busch n’a jamais été en mesure de convaincre Modelo d’abandonner ses importateurs et distributeurs américains au profit de son propre réseau de distribution (Expansión, 16/12/1998; Latin CEO, 01/01/2000). À la lumière des événements relatés ci-haut, on peut se demander si la relation Modelo-Anheuser-Busch peut être qualifiée d’alliance ou de simple investissement de portefeuille. Il semble que pour Modelo, les accords qu’elle signe avec la firme américaine équivalent à une alliance stratégique. La firme mexicaine désire consolider sa position de tête sur son marché national et bénéficier de certaines forces d’Anheuser-Busch. Toutefois, les termes de l’entente relatifs à la gestion de la brasserie mexicaine laissent croire que l’objectif central de la brasserie américaine est de bénéficier des forts profits que dégage Modelo.434 En effet, Anheuser-Busch, bien qu’elle soit le principal actionnaire de Modelo, n’a aucun pouvoir décisionnel sur la gestion de l’entreprise. Le fidéicommis réunissant les principaux actionnaires mexicains de Modelo conserve le contrôle de la firme, tant au niveau de la gestion que des décisions stratégiques de l’entreprise (Sánchez Navarro, 04/06/2002). Si Modelo apparaît plutôt craintive à conclure des accords avec des BMN sur des marchés étrangers, elle développe cependant un réseau international interne. À partir de 1985, l’entreprise met sur pied une première filiale aux États-Unis, Procermex, chargée de la coordination de la vente et du marketing des marques de l’entreprise, en lien avec les importateurs et distributeurs américains. Quatre ans plus tard, en 1989, la firme établit une seconde filiale à Bruxelles. En dix ans, quatre filiales additionnelles sont ajoutées. Elles ont toujours comme objectif de gérer les activités de vente et promotionnelles de l’entreprise à l’étranger, mais ne produisent pas de bière. filiale Diblo, ce qui portait sa participation totale directe et indirecte à 17,68% du capital de Diblo, équivalent à 12,5% des actions avec droit de vote. En mai 1997, Anheuser-Busch porta sa participation directe et indirecte à 36,95%, ce qui comprenait les 10% de Diblo ainsi que les 26,95% provenant de l’achat de 35,12% des actions de Grupo Modelo. Cela équivalait à 43,9% du droit de vote. Finalement, Anheuser-Busch accrut sa participation au capital de Diblo à 23,25%, ce qui augmenta sa participation directe et indirecte à 50,2% du capital de Diblo, mais toujours avec 43,9% des droits de vote, le maximum permis par l’accord initial entre les deux entreprises (Fernández Sánchez-Navarro, 2000: 2225). 434 Entre 1997 et 2003, Modelo occupe la quatrième position dans l’industrie brassicole internationale pour le profit avant impôts (Impact, 2002 et 2005). 328 Conclusion Les théories des réseaux accordent généralement une très grande importance à la R&D et à la croissance des industries hautement technologiques comme facteurs explicatifs de la croissance des réseaux. Toutefois, ces éléments ne correspondent pas aux causes de l’augmentation de la coopération au sein de l’industrie brassicole internationale. Ce chapitre a montré la possibilité pour une industrie de produit de consommation courante de développer des réseaux internationaux. Les brasseries ne peuvent se limiter uniquement à la concurrence comme mode de rapport interentreprises. La nécessité de réduire leurs coûts et l’adaptation à la transformation de l’environnement international pousseraient les BMN à nouer des alliances. Cellesci concerneraient principalement les marchés nationaux et, en certaines rares occasions, couvriraient le niveau régional. En terme de coopération, la nouveauté de la période globalisante de l’industrie brassicole internationale est la généralisation des réseaux. Alors qu’avant les années 1980, les alliances et autres types d’accords de coopération étaient limités, ils se multiplient à partir de cette décennie et impliquent toutes les BMN. Étant donné que la collaboration inter-firmes s’effectue dans les dernières phases de la chaîne de valeur des brasseries, en particulier les accords de distribution et les licences, les réseaux sont exclusivement formels. L’un des enseignements les plus importants de ce chapitre concerne le rôle de la coopération comme forme de croissance internationale de la firme. En d’autres termes, l’accord de collaboration permettrait à la BMN de mieux connaître sa partenaire, ce qui conduirait en certaines occasions à une fusion ou une acquisition. En consultant les tableaux 7.1 et 8.2, on découvre plusieurs cas de partenariats suivis de fusion/acquisition (Coors-Molson, Carlsberg- Allied Lyons/Tetley, S&N- Central de Cervejas entre autres. En ce qui concerne les brasseries mexicaines, si on relevait certaines similitudes dans les stratégies de concurrence, en matière de coopération, les deux firmes adoptent des approches distinctes. CCM a opté pour une stratégie offensive. Les accords qu’elle 329 signe sont destinés à pénétrer de nouveaux marchés. Cette stratégie s’avère positive dans l’ensemble. La firme bénéficie de son accord avec Labatt/Interbrew et connaît une hausse de ses exportations aux États-Unis. Quant à Modelo, la firme choisit plutôt une stratégie défensive. L’alliance qu’elle noue avec Anheuser-Busch est surtout destinée à protéger le marché national. Dans le cas de Modelo en revanche, l’alliance avec Anheuser-Busch ne constitue pas un succès. Dans la mesure où la brasserie mexicaine n’a pas profité des réseaux internationaux d’Anheuseur-Busch, que cette dernière détient plus de 50% des actions combinées de Modelo et surtout que les exportations de Modelo en direction des États-Unis ne transigent pas à travers le réseau de distribution d’Anheuser-Busch, il nous paraît que la hâte démontrée par les dirigeants de la brasserie mexicaine n’était pas fondée. Dans l’analyse de l’émergence des réseaux au sein de l’industrie brassicole internationale en général, et de l’industrie brassicole mexicaine en particulier, deux éléments sont à souligner. Premièrement, étant donné leur stratégie de production nationale et d’exportation, les réseaux qu’établissent les brasseries sont plus faibles que ceux des grandes brasseries multinationales. Deuxièmement, les accords de collaboration que nouent les brasseries mexicaines sont davantage à caractère national que régional ou global, ce qui va dans le sens des tendances internationales. Ils sont avant tout destinés à protéger le marché national ou à pénétrer le marché américain. L’accord de licence entre CCM et Kaiser constitue l’unique exception à la stratégie des firmes mexicaines. Quelles sont les implications des stratégies de coopération des brasseries mexicaines sur leur réseau de valeur et le modèle de la co-opétition ? Compte tenu du choix d’exporter, ce qui limite les accords à la distribution uniquement, laissant de côté la licence, la joint-venture et l’alliance stratégique à l’étranger, Modelo et CCM n’entretiennent pas autant de liens avec les brasseries étrangères que les BMN en général. Cela tend à réduire le nombre de leurs complémenteurs. Les BMN auraient donc davantage tendance à se présenter comme des concurrentes que des complémenteurs. Par ailleurs, la contribution des brasseries mexicaines à la co- 330 opétition dans l’industrie brassicole internationale est beaucoup moins forte que celle des BMN. Dans la mesure où le nombre et la nature des alliances qu’elles forment sont restreints, elles tissent moins de relations qu’une BMN typique. 331 CONCLUSION GÉNÉRALE Au cours de cette recherche, nous avons voulu évaluer trois idées fondamentales touchant la globalisation, à savoir que : 1) elle entraîne une transformation d’échelle des firmes ; 2) elle provoque une concurrence globale et 3) elle conduit les États à s’engager dans une diplomatie commerciale. Premièrement, la globalisation aurait provoqué une mutation des firmes multinationales en firmes globales. Ces entreprises organiseraient leur production afin de desservir les marchés mondiaux et non plus des marchés particuliers. Deuxièmement, la globalisation obligerait les entreprises à modifier leurs stratégies concurrentielles à deux niveaux. D’une part, les rapports concurrentiels ne se limiteraient plus à la dimension nationale, ni même régionale, mais se dérouleraient principalement à l’échelle globale. D’autre part, bien qu’elles se fassent concurrence, les firmes doivent également collaborer si elles veulent profiter de tous les avantages que procure la globalisation. Troisièmement, la globalisation conduirait les États à s’engager dans une diplomatie commerciale, en parallèle à la diplomatie traditionnelle, afin d’accroître leurs parts de marchés internationaux, ce qui passerait par la mise en place de cadres normatifs favorisant l’internationalisation des entreprises nationales et l’accélération de la concurrence internationale. Un cas particulier a été retenu afin d’illustrer ces assertions, celui de la globalisation de l’industrie brassicole mexicaine, composée de deux entreprises, Grupo Modelo et Cerveceria Cuauhtémoc-Moctezuma (CCM), à partir de la crise économico-financière de 1982. Ce cas a été choisi car il permettait d’analyser en profondeur le processus d’internationalisation de deux entreprises évoluant dans la même industrie et provenant du même pays. Il était possible d’étudier à la fois leur évolution à l’échelle internationale, les stratégies concurrentielles et coopératives qu’elles mettent en place, de même que les effets des décisions de l’État mexicain sur chacune. Afin d’analyser l’internationalisation de Grupo Modelo et de CCM, nous avons développé un modèle basé sur la co-opétition internationale. Ce modèle nous permettait de comprendre la nature de la concurrence et de la collaboration interentreprises dans l’industrie brassicole internationale. 332 La question de recherche ayant guidé notre étude prenait donc en compte les trois idées de la globalisation mentionnées précédemment. Aussi, l’avons nous formulée comme suit : Comment l'industrie brassicole mexicaine a-t-elle fait face au triple changement survenu depuis le début des années 80, à savoir l’ouverture de l’économie mexicaine, la globalisation de l’économie internationale et l’intégration de plus en plus poussée de l’économie mexicaine à l’économie américaine ? À partir de cette question centrale, trois hypothèses furent énoncées : H.1 : La globalisation, ainsi que la concurrence internationale qu’elle a entraînée, aurait transformé la firme multinationale en une firme globale. Celle-ci privilégierait une stratégie et une organisation globales, étendant ses activités à tous les marchés. H.2 : Les transformations de l’économie internationale obligent les firmes à la fois à se concurrencer et à coopérer. La co-opétion résultant de cette dynamique conduit les entreprises à développer leurs activités à trois niveaux : national, régional et global. H.3 : L’État mexicain, dans le modèle de la diplomatie commerciale et triangulaire, aurait joué un rôle central dans l’internationalisation des brasseries mexicaines. En facilitant la mise en place d’un cadre favorable à la concurrence régionale et globale, il aurait contribué à l’intégration du Mexique à l’économie internationale et permis aux brasseries mexicaines d’assurer leur présence sur les marchés mondiaux. Ces trois hypothèses sont-elles vérifiées ? La première hypothèse, la globalité des firmes, ne se vérifie pas complètement. Seule SABMiller peut être qualifiée de brasserie globale en terme de répartition géographique des ventes. Toutefois, si l’on ajoute les aspects stratégique et productif à la variable commerciale, on peut affirmer qu’un nombre croissant de brasseries se globalise. Malgré la difficulté à obtenir des statistiques claires, l’indice de transnationalisation que nous avons développé montre bien que les brasseries multinationales tendent de plus en plus à se globaliser. Néanmoins, cette hypothèse ne peut être totalement vérifiée actuellement, car plusieurs BMN demeurent au stade régionale. La concentration que connaît l’industrie brassicole chinoise représente une étape majeure dans la consolidation de l’industrie brassicole internationale. Aussi faut-il attendre la conclusion de ce processus avant 333 d’avoir une image claire de la structure “finale” de l’industrie à l’échelle internationale. Seulement alors pourrons-nous dégager une réponse claire à l’hypothèse. Notre seconde hypothèse, la nature de la concurrence et de la coopération, se vérifie aux deux niveaux régional et global. D’une part, nous assistons à la création d’une industrie internationale oligopolistique. Les BMN ont pour objectif la conquête de parts de marché internationales, accélérant ainsi les acquisitions et s’assurant une augmentation des volumes de vente. La hausse des volumes et l’intensification de la concurrence passent également par le développement des réseaux. Ceux-ci auront un caractère formel et se traduiront par des accords de licences, de distribution ou des coentreprises. Ceux-ci facilitent la présence des bières des BMN sur tous les marchés. Afin de profiter de leurs avantages compétitifs, les BMN adapteront leurs stratégies et leurs structures organisationnelles aux marchés nationaux, régionaux et au marché global. Si la concurrence constitue la forme dominante de relation interentreprises à l’échelle globale, aux niveaux régional et national, les rapports de coopération priment. Lorsqu’elles désirent pénétrer un marché, les BMN utiliseront avant tout l’une des quatre stratégies de coopération identifiées au chapitre huit (licence, distribution, coentreprise ou alliance stratégique) dans un premier temps. Par la suite, elles choisiront de poursuivre cette option ou d’acquérir une brasserie locale (en tout ou en partie). La troisième hypothèse, le rôle prépondérant de l’État mexicain dans l’internationalisation des brasseries mexicaines, est infirmée. Bien que l’État mexicain, par l’ouverture unilatérale de 1985 et la négociation de l’ALENA au début des années 1990, ait fourni un cadre favorisant la concurrence et les exportations, celui-ci n’a pas eu d’influence marquante sur l’internationalisation de CCM ou de Grupo Modelo. Les deux entreprises n’ont pas modifié leurs comportements ou leurs objectifs, poursuivant une stratégie d’internationalisation qui ne répond pas aux exigences politiques, mais aux opportunités d’entrées sur des marchés étrangers. Les crises économiques et financières, plus que le rôle de l’État, exercent un impact déterminant sur le développement international de Grupo Modelo et de CCM. 334 Le chapitre trois a montré que l’État mexicain a exercé une influence à la fois directe et indirecte sur l’industrie brassicole mexicaine. Le rôle de l’État s’est surtout manifesté sur le marché interne et peut être qualifié d’indirect, puisqu’il a transformé le modèle économique mexicain et qu’il a mis en place un nouveau cadre de référence en matière de concurrence. Prenant acte que la nature de la concurrence n’est plus uniquement nationale, mais qu’elle prend une dimension de plus en plus globale, il devient nécessaire que la politique de la concurrence mexicaine témoigne de cette mutation. Outre les taxes auxquelles sont soumises les brasseries mexicaines, l’État mexicain n’a pas exercé d’influence directe sur l’internationalisation de Grupo Modelo et CCM. Si l’ascendant de l’État mexicain sur le réseau de valeur global et l’internationalisation des brasseries mexicaines est somme toute négligeable durant la globalisation de celle-ci, deux États ont joué un rôle important : les États-Unis et le Brésil. En accordant le droit d’entrée ou de production sur le territoire national, ce que montrent les décisions des autorités américaines et brésiliennes est la permanence de la souveraineté étatique sur le territoire national. Si l’État d’origine d’une FMN n’a pas nécessairement une influence sur l’internationalisation de ses firmes, les États d’accueil demeurent encore capables de modifier la stratégie de celles-ci. L’objectif central du chapitre quatre était de montrer comment l’évolution historique et l’organisation interne du marché brassicole mexicain conduit à un duopole et à la fermeture de celui-ci aux bières étrangères. Malgré l’ouverture du Mexique à la concurrence internationale, la structure du marché interne limite très sévèrement la capacité des BMN à concurrencer les brasseries mexicaines. En outre, contrairement à ce que suggère le modèle de la co-opétition, le réseau de valeur national de CCM et de Grupo Modelo prend davantage la forme d’un triangle que d’un losange. Étant donné la totale intégration verticale des deux entreprises, les deux brasseries éliminent presque totalement la nécessité des fournisseurs. Il apparaît assez clairement que les crises économiques constituent généralement des points de rupture dans l’industrie brassicole mexicaine. La crise du peso en 1994- 335 1995, si elle réduit temporairement la production nationale, provoque une accélération marquée des exportations de CCM et de Grupo Modelo. Toutefois, la crise de 1982 est fondamentale : elle provoque la transformation de l’industrie brassicole mexicaine d’un oligopole à trois entreprises en un duopole. De plus, elle conforte la stratégie de Grupo Modelo et a constitué l’un des facteurs déterminants dans la domination qu’exerce depuis cette entreprise sur le marché national. Aussi, cette crise, en révélant les limites d’un développement basé uniquement sur le marché interne, pousse les firmes mexicaines à accélérer leurs exportations vers le marché américain dans un premier temps, puis vers le marché mondial par la suite. Le chapitre cinq a brossé un portrait de l’environnement international dans lequel évolue l’industrie brassicole mexicaine. Puisque celle-ci est influencée à la fois par la globalisation et la régionalisation, la proximité géographique des États-Unis constituant un élément-clé dans l’internationalisation des deux entreprises, nous avons cherché à comprendre l’évolution de la globalisation de l’industrie brassicole internationale ainsi que les transformations plus spécifiques de cette industrie en Amérique du Nord. Certaines différences existent entre les marchés d’Europe et d’Amérique du Nord d’une part et les marchés Amérique latine, d’Asie et d’Europe centrale et orientale d’autre part. Les deux premières régions sont constituées de marchés matures, avec une faible croissance des volumes de production et une diminution de la consommation per capita. Les autres régions représentent des marchés émergents, avec des taux de croissance avoisinant ou surpassant les 3% par année et une consommation per capita en augmentation. Ces marchés représentent donc la principale origine de la croissance générale de l’industrie et soulèvent donc l’intérêt des BMN. Par contre, une tendance se dessine aux niveaux régional et global de l’industrie brassicole, à savoir la concentration des marchés nationaux et l’émergence de brasseries multinationales et globales. Sous l’impulsion d’un nombre restreint de firmes, l’industrie brassicole internationale apparaît de plus en plus comme une industrie oligopolistique. La globalisation de cette industrie passe tout d’abord par une phase de régionalisation, alors que les brasseries organisent leurs réseaux et pénètrent 336 les marchés de leurs régions respectives, pour ensuite étendre leurs activités au-delà de ces zones et procèdent à des acquisitions extra-régionales. La globalisation des brasseries mexicaines a été étudiée en détail au cours du chapitre six. Plus particulièrement, il s’agissait de répondre à certaines interrogations concernant le processus d’internationalisation de Grupo Modelo et de CCM, notamment les causes du développement international de ces firmes et l’influence respective de la globalisation et de la régionalisation sur leurs stratégies respectives. Bien que la globalisation joue un rôle important, il semble que la régionalisation, caractérisée par la proximité géographique des États-Unis et l’existence d’une forte population d’origine mexicaine, constitue le facteur explicatif le plus déterminant dans l’internationalisation des brasseries mexicaines. Tant par l’organisation des activités internationales de chaque brasserie que le niveau des ventes, l’Amérique du Nord accapare davantage l’attention de Grupo Modelo et CCM que les autres marchés internationaux. Les brasseries mexicaines passent ainsi de la régionalisation à la globalisation puis, dans le cas de CCM, à un retour à la régionalisation. En d’autres mots, si la globalisation affecte fondamentalement la manière dont les dirigeants des brasseries mexicaines conçoivent l’industrie brassicole en général, c’est tout de même à l’échelle régionale qu’ils concentrent la quasi-totalité de leurs ressources et de leurs efforts. Le chapitre 7 a été consacré aux stratégies concurrentielles des BMN et des brasseries mexicaines. La concurrence internationale devient de plus en plus oligopolistique, alors que le nombre de brasseries de taille internationale se réduit sans cesse. Les niveaux d’action de l’activité de la firme (national, régional ou global) engendrent des approches stratégiques différenciées. Ainsi, trois stratégies concurrentielles ont été identifiées : les stratégies globales, les stratégies régionales et les stratégies nationales. Aux niveaux global et régional, on retrouve des aspects productifs, stratégiques et commerciaux à la stratégie concurrentielle des brasseries. À l’échelle nationale, l’aspect productif n’est pas toujours présent, car l’entreprise a l’opportunité d’exporter vers ce marché. 337 La globalisation de la concurrence entraîne également le développement de marques globales. Cette situation favorise les BMN qui possédaient déjà de telles marques, mais oblige les autres à s’adapter. Dans le cas des brasseries mexicaines, Grupo Modelo est bien positionnée, car elle possède Corona Extra, alors que CCM a cherché, sans succès, à développer une telle marque au cours des années 1990, Sol. Même si les stratégies concurrentielles de Grupo Modelo et CCM comportent des similitudes, elles ont aussi quelques différences. En terme de pénétration de marché, toutes deux adoptent sensiblement la même approche centrée sur la promotion de la mexicanité du produit et une entrée en deux temps. Par contre, lorsqu’il est question de la promotion des marques de chaque entreprise, Modelo promeut surtout et presque exclusivement Corona Extra, alors que CCM privilégie la segmentation des marques selon les marchés. Le chapitre huit a mis en évidence que le développement de vastes réseaux internationaux apparaît également comme une transformation majeure dans l’industrie brassicole internationale. Compte tenu des stratégies qu’elles élaborent, les BMN ne peuvent assurer une présence physique sur les marchés nationaux. Afin d’assurer la distribution de leur production, elles doivent conclure des alliances avec des brasseries nationales ou d’autres BMN. Ces réseaux formels prennent généralement quatre formes : la joint-venture, la licence, l’accord de distribution ou l’alliance stratégique. Les brasseries mexicaines ne restent pas étrangères à cette tendance. Cependant, elles adoptent des approches différentes. CCM noue plusieurs alliances, destinées principalement à pénétrer des marchés étrangers, alors que Modelo ne conclut qu’une alliance d’importance, afin de protéger son marché interne. En somme, la globalisation ne conduit pas toujours à la formation de firmes globales ; elle transforme certaines en firmes globales, alors que d’autres demeurent régionales ou nationales. Par ailleurs, la globalisation entraîne une plus forte concentration industrielle et favorise des rapports simultanés de coopération et de concurrence. Finalement, l’État mexicain ne joue pas un rôle central dans l’internationalisation des brasseries mexicaines. À travers son impact sur le développement national des brasseries, il influence indirectement le processus d’internationalisation des firmes. 338 Telles sont les conclusions générales qui se dégagent des chapitres composant la seconde et troisième partie de cette thèse. * ** Que nous apprend cette thèse sur la concurrence, la coopération et le rôle de l’État dans l’internationalisation des entreprises ? Un retour sur les débats théoriques amorcés lors des chapitres un et deux nous permettra de mieux cerner la contribution de cette étude à une meilleure compréhension de ces questions. Deux littératures traitent de l’influence des deux principaux acteurs de l’économie internationale, à savoir les firmes et les États. Une première littérature aborde les relations interentreprises à partir de la double optique de la concurrence et de la coopération. Les théories de la concurrence et des réseaux ont poussé plus a fond ces questions, tant du point de vue national qu’international. Les théories de la concurrence et de l’internationalisation de la firme rendent compte des facteurs affectant les rapports concurrentiels entre les entreprises. Toutefois, elles demeurent incapables d’expliquer pourquoi, dans un contexte où la concurrence domine, les firmes choisissent également de coopérer en certaines occasions. Les théories des réseaux comblent cette lacune en montrant comment les entreprises, dans un contexte de plus en plus global, développent des réseaux afin de faciliter la coopération. Au-delà d’un type de relation, les réseaux constituent également un mode d’organisation. Ils émergent soit en réponse aux besoins de la firme ou comme conséquence des transformations du système économique international. Les réseaux favorisent l’expression des avantages compétitifs de la firme en encourageant la spécialisation. Ils permettent également aux entreprises de mieux s’adapter à la globalisation car ils contribuent à une plus grande flexibilité. Les réseaux, qu’ils soient internes ou externes à la firme, constituent également une source d’information importante et un moyen d’accéder à des marchés étrangers. Le caractère de plus en plus oligopolistique de plusieurs industries internationales obligerait les firmes à collaborer davantage que par le passé. Les deux débats théoriques précédents, s’ils permettent de comprendre le fonctionnement de la firme et d’expliquer ses stratégies, ne nous informent pas 339 entièrement sur l’environnement dans lequel elles évoluent. Une seconde littérature, centrée sur les relations entre les firmes et les États, nous a permis d’aborder cette problématique. La théorie de la diplomatie triangulaire montre comment les relations économiques internationales contemporaines forcent les États et les firmes à prendre en compte les objectifs et stratégies de chacun. Il en résulte une triple négociation : État-État, État-firme et firme-firme. La science économique et l’administration des affaires sont les deux disciplines ayant approfondi les rapports firmes-firmes, alors que la science politique s’est avant tout concentrée sur la relation État-État. Cette dernière discipline a peu poussé l’analyse du rôle des entreprises dans les relations internationales. Nous avons tenté de remédier à cette faiblesse. En développant le modèle de la co-opétition dans l’industrie brassicole internationale, notre objectif était double : intégrer le rôle que joue l’État dans l’internationalisation d’une industrie nationale à travers ses interventions sur le réseau de valeur des entreprises et évaluer l’importance respective de la concurrence et de la coopération dans le processus d’internationalisation. Notre contribution se situe à ces deux niveaux. D’une part, nous possédons une meilleure compréhension des liens entre la concurrence et les réseaux. Bien qu’il s’agisse de deux modes de rapports interfirmes distincts, ils ne peuvent être écartés par les entreprises et doivent être poursuivis conjointement, sous peine de perdre des parts de marché à l’échelle internationale. Ainsi, les firmes peuvent développer des stratégies offensives et/ou défensive en matière de concurrence et/ou d’alliances. Le cas de l’industrie brassicole internationale illustre cette assertion. Modelo adopte une stratégie concurrentielle offensive sur les marchés internationaux en globalisant sa stratégie, alors que CCM se voit forcée de prendre une approche plus défensive, se repliant sur un marché étranger clé, les États-Unis. En matière d’alliances toutefois, c’est CCM qui emploie une stratégie offensive, cherchant à faciliter la pénétration des marchés étrangers, alors que Modelo opte pour une approche défensive, la brasserie désirant protéger sa position sur le marché national. D’autre part, le rôle de l’État demeure important, bien que secondaire, dans l’internationalisation de firmes en provenance d’un pays en développement. Son impact se fait davantage sentir à l’échelle nationale qu’aux niveaux régional et global. 340 L’État fournit le cadre général sans lequel la croissance des firmes s’avèrerait impossible. En ce sens, ses interventions, notamment en matière fiscale, touchent indirectement les entreprises en agissant sur leur compétitivité. Par ailleurs, l’analyse du développement international de Grupo Modelo et CCM montre que la prise en compte de l’échelon national demeure fondamentale dans l’étude de la globalisation. Sauf quelques exceptions dans l’industrie brassicole internationale, le niveau national constitue généralement la base sur laquelle s’appuient les firmes pour ensuite se développer régionalement et internationalement. Ces remarques nous permettent de répondre à notre question de recherche de la manière suivante : afin de faire face au triple changement survenu depuis le début des années 1980, l’industrie brassicole mexicaine s’est internationalisée. Cette internationalisation, bien qu’elle possède des caractéristiques globales, s’est surtout centrée autour des États-Unis. Pour y parvenir, Grupo Modelo et CCM ont développé des stratégies de concurrence et de coopération allant parfois dans le sens des stratégies qu’adoptent généralement les BMN et parfois dans une direction opposée. Cette spécificité des brasseries mexicaines ne se retrouve dans aucun autre cas et a des implications importantes pour le concept de co-opétition. Contrairement à ce qui est postulé dans la littérature, le réseau de valeur des brasseries mexicaines apparaît beaucoup moins développé que celui des BMN. La question sera donc de savoir si elles peuvent maintenir cette spécificité alors que la consolidation internationale se poursuit rapidement. 341 ANNEXES 342 ANNEXE 1 STRUCTURE DU CONSEJO COORDINADOR EMPRESARIAL (CONSEIL DU PATRONAT MEXICAIN, CCE) CCE Organisations affiliées Principal secteur d’activités Taille des entreprises affiliées Nombre d’affiliées Type de structure Canacintra Concamin AMCB CMHN industrie industrie PME PME 82 000 125 000 mixte mixte finances PME 25 varié AMIS assurances agriculture commerce varié et pêches grandes grandes 37 CNA Concanaco Coparmex 59 PME 250 000 centrali- centrali- centrali- décentrasée sée sée lisée PME PME 500 000 30 000 décentra- décentralisée lisée Source : Matilde Luna, “Intereses empresariales y activismo político en México : las demandas de la modernización económica” in Matilde Luna (ed.), Los empresarios y el cambio político : México 1970-1987, Mexico : UNAM, Instituto de Investigaciones Sociales, 1992. 343 ANNEXE 2 STRUCTURE DE LA COECE COECE CCE Concanaco Concamin Coparmex AMIS CHHN CNA Canacintra Canaco-Mex CCI CEMAI ANIERM Cap. Mex. AMCB Conacex Coordonateur général Comité consultatif sur le commerce international Personnel Conseillers légaux Directeur exécutif Bureau de Washington CEESP Coordonateurs sectoriels Finances Assurances Soussecteurs Soussecteurs Commerce et services Soussecteurs Industrie Soussecteurs Agriculture et pêcherie Banque Soussecteurs Source : Cristina Puga, Organizaciones empresariales y Tratado de Libre Comercio, Proyecto Organizaciones empresariales en México, Cuadernos 7, México : UNAM, Facultad de Ciencias Políticas y Sociales, 1993: 64. 344 ANNEXE 3 PROCESSUS BRASSICOLE ET TYPES DE BIÈRES Bien qu’il existe une multitude de bières différentes et plusieurs méthodes de fermentation, le processus de brassage de la bière demeure sensiblement le même depuis des siècles. Les ingrédients de base sont : l’eau, la levure, le malt et le houblon. Selon les saveurs et les couleurs que veulent obtenir les brasseries, d’autres céréales, épices ou additifs peuvent être ajoutés, notamment le maïs, le riz, le sorgho. Neuf étapes sont requises dans la production de la bière : la purification de l’eau, le maltage, l’empâtage, la filtration du moût, l’ébullition et le houblonnage, la séparation du houblon et le refroidissement, la fermentation, les caves/l’entreposage et finalement le conditionnement. La figure suivante montre le processus brassicole. Orge Purification de l’eau Malterie Empâtage Filtration du moût Ébullition et houblonnage Séparation du houblon et Fermentation Filtration/Pasteurisation Caves/Entreposage Mise en fût Embouteillage Canettes 345 Le malt est fabriqué à partir de l’orge. Transportée à une malterie, l’orge est trempée, germée, séchée et/ou touraillée ou torrifiée. Le malt qui en résulte est ensuite ajouté à l’eau purifiée à la brasserie. Lors de ce processus, l’empâtage, les enzymes de malt transforment l’amidon en sucre. C’est lors de cette étape que d’autres types de céréales, d’épices et d’additifs sont adjoints à la mixture afin de lui donner un goût particulier. Par la suite, le moût est transféré dans une cuve-filtre. Il en résulte un jus sucré qui est transféré dans une cuve à cuisson. C’est l’étape du houblonnage ou de l’aromatisation : le houblon ajouté au liquide déterminera le type de bière qui sera obtenu. Une plus petite quantité, environ 200g/hl, donnera une lager de consommation courante ; 500 g/hl donnera une Pilsen ; les bières anglaises du type Ale peuvent recevoir jusqu’à 800 g ou 1 kg/hl. Cette cuisson, qui varie d’une à deux heures, est suivie du refroidissement. Le moût doit être refroidi le plus rapidement possible à la température de fermentation désirée. La levure, dont la fonction est de dissoudre le sucre dans le moût, est ensuite ajoutée incorporée à la mixture. La levure transformera le moût en alcool et en gaz carbonique. Selon le type de bière désirée, la durée de la fermentation variera de quatre à dix jours. Il existe essentiellement trois formes de fermentation : haute, basse et spontanée, cette dernière n’étant pratiquée que par quelques brasseurs belges. Le type de fermentation est déterminé par la température et la quantité de levure utilisée. En fermentation haute ou spontanée, la température oscille entre 18 et 22-25 °C et la quantité de levure utilisée est moindre.435 En basse fermentation, la température oscille entre 5 et 13 °C et la quantité de levure utilisée est plus grande. Après cette fermentation primaire, la bière est transférée dans des cuves de garde où une a lieu une seconde fermentation. Cette étape peut varier entre quelques jours et plusieurs mois. À la fin de la période de garde, la bière est filtrée afin de lui donner de la limpidité et la rendre cristalline. Dans la majorité des cas, la bière sera ensuite pasteurisée afin de la stériliser et de permettre une plus longue période de conservation. La boisson est subséquemment entreposée, puis « embouteillée », soit en fût, en canette ou en bouteille. Sources : Mario D'Eer, Ales, lagers et lambics : la bière, Saint-Laurent : Trécarré, BièreMAG Chambly, 1998; Nick Hamilton, Le guide de la bière au Québec, Montréal : Chenelière, McGraw-Hill, 1997; Association des brasseurs du Canada,< http://www.brewers.ca/>. TYPES DE BIÈRES Il existe une très grande variété de bières. Cette section ne présente qu’un aperçu sommaire des différents types de bières. Pour une présentation plus exhaustive des familles et styles de bière, nous renvoyons les lecteurs intéressés aux ouvrages de Hamilton (1997) et D’Eer (1998). Il importe ici de souligner que les bières à 435 La levure Saccharomyces Cerevisiae est utilisée en fermentation haute, en fermentation basse, on utilise la Saccharomyces Carlsbergensis, alors qu’en fermentation spontanée c’est la Brettanomyces Bruxellensis qui est utilisée. 346 fermentation basse (lagers) sont de loin les plus consommées et que leurs parts de marché à l’échelle internationale est en croissance. * Bières à fermentation basse : lagers Bock Doppelbock Dortmunder Eisbock Marzen/Oktobersfestbier Münchener Pilsner Rauchbier Steam Beer Vienna * Bières à fermentation haute : Ales Alt Barley wine Bière d’abbaye Bière de garde Bitter Ale Brown Ale Cream Ale Ice beer Kolsch Pale Ale Porter Stout Trappiste * Les bières à fermentation spontanée Faro Gueuze Lambic 347 ANNEXE 4 ANALYSE DE L’ENVIRONNEMENT DE LA BRASSERIE SWOT des BMN Les stratégies de pénétration de marché sont fondamentales pour les brasseries. Elles renvoient à l’acquisition de parts de marchés nationaux par les BMN à partir de leurs produits existants (Heijbroek et al., 1996). Suite à une analyse interne et externe, la brasserie doit décider de la stratégie qui permettra de maximiser ses forces et de limiter ses faiblesses. Les analyses SWOT436 constitueront la première démarche de l’entreprise. Ce type d’analyse permet à la firme de mieux connaître son environnement et de déterminer quelle(s) stratégie(s) sera à même de répondre aux défis que pose celui-ci. SWOT des brasseries multinationales Forces : - Réputation - Position dominante sur le marché national d’origine - Niveau de profitabilité - Économies d’échelle - Intégration verticale - Diversification - Accès à des ressources financières pour des fusions-acquisitions Opportunités : - Globalisation des marques - Portefeuille de marques adapté à tous les marchés - Marchés émergents en Amérique latine, en Asie et en Europe centrale et orientale Faiblesses : - Marché national saturé - Surcapacité de production dans les marchés d’origine - Marges de profits faibles sur les produits phares Menaces : - Taux de change - Taxes et tarifs douaniers - Concurrence des autres BMN - Campagnes de sensibilisation dans les marchés matures - Autres boissons alcoolisées - Consolidation au sein des grandes chaînes de vente au détail - Concurrence des microbrasseries et des brasseries “régionales” - Incertitude politique Source : Arend M.A. Heijbroek , E.M.L. de Schutter et M.J. Boon, The World Beer Market. A Conglomerate of National Markets, Utrecht: Rabobank, 1996. 436 Strengths (forces), Weaknesses (faiblesses), Opportunities (opportunités) et Threats (menaces). 348 SWOT des brasseries nationales Si les BMN ont un SWOT fortement influencé par la structure de l’industrie à l’échelle internationale, les brasseries nationales font face à un autre SWOT. Elles sont fortement dépendantes de leur marché national, beaucoup plus que les BMN, celles-ci étant moins tributaires moins d’un marché en particulier. SWOT des brasseries nationales dans les marchés émergents Forces : - Très fortes parts de marchés nationaux - Marges bénéficiaires élevés - Réseaux de distribution établis Opportunités : - Croissance du revenu disponible - Croissance de la consommation per capita - Croissance démographique importante - Partenaires possibles pour BMN Faiblesses : - Absence d’une bière premium - Absence de gestionnaires qualifiés - Manque d’équipements modernes - Faibles budgets marketing Menaces : - Présence accrue de brasseries étrangères sur le marché national - Évolution des goûts des consommateurs : montée des bières premium Source : Arend M.A. Heijbroek , E.M.L. de Schutter et M.J. Boon, The World Beer Market. A Conglomerate of National Markets, Utrecht: Rabobank, 1996. 349 ANNEXE 5 PRIX DES BIÈRES À MEXICO ET MONTERREY Mexico, 7 décembre 2002 À L’UNITÉ Marques Super march é1 Superm Superm Superm Superm Détail Détail Détail arché 2 arché 3 arché 4 arché 5 1 2 3 Corona Extra Negra Modelo Victoria Leon Montejo Modelo Especial Pacifico 4.99 5.00 7.03 6.50 4.99 4.50 4.50 5.00 6.50 6.50 6.50 4.50 6.50 XX Sol Indio Bohemia Tecate bout. Tecate can. Superior Carta Blanca Noche Buena Casta Bud Bud Light Heineken bout. Heineken can. Old Milwaukee Old Milwaukee light Coors Lowenbraü can. Lowenbraü bout. O’Douls River Estrella 4.69 4.69 4.69 6.79 5.25 5.25 4.50 4.50 4.50 6.50 5.90 5.00 5.00 5.00 5.00 7.00 7.50 9.10 8.90 10.90 9.20 10.80 9.00 9.00 10.90 6.00 9.90 10.50 8.50 8.90 8.80 7.60 6.90 6.90 9.90 8.30 8.50 10.50 9.10 8.90 5.70 4.95 10.90 9.20 6.33 10.50 9.00 350 Galicia Mort Subite Cerv. Sambadora Sapporo Quilmes Bavaria bout. Bavaria can. Miller lite Miller lite can. 29.90 11.90 39.50 11.00 10.55 8.55 7.95 6.90 PRIX DES BIERES 6 pack Marques Corona Extra Negra Modelo Victoria Leon Montejo Modelo Especial can. Pacifico Modelo light Corona barril XX bout. XX can. Sol bout. Sol non. Ret. Sol can. Indio Bohemia Tecate can. Tecate bout. Superior Carta Blanca Noche Buena Superm Superm Superm Superm Superm Détail Détail Détail 3 arché 1 arché 2 arché 3 arché 4 arché 5 1 2 25.30 24.40 28.50 27.55 25.90 39.95 38.65 42.20 39.95 36.90 27.55 26.50 28.50 27.55 25.90 39.90 39.90 45.10 45.00 39.90 bout/can 46.75 45.55 39.27 45.00 41.90 27.50 26.50 26.50 44.15 26.40 32.95 25.90 44.25 25.90 32.95 28.15 46.00 28.15 33.60 26.65 44.30 26.65 33.00 23.90 41.90 23.90 34.90 44.25 26.40 37.80 45.25 44.15 25.90 37.80 44.15 46.92 28.15 40.80 46.00 39.90 26.65 38.95 39.90 41.50 23.90 34.50 39.50 351 Casta (4) 59.80 Bud Bud Light Heineken bout. Heineken can. Old 39.00 Milwaukee Old 39.00 Milwaukee light Coors Lowenbraü can. Lowenbraü bout. O’Douls River Estrella Galicia Hoegaarde n (250ml) Lefee (250ml) La Becasse (250ml) Jenlain (250ml) Adelscott Guinness Sparten München (250ml) 59.00 59.90 59.40 53.50 58.50 39.30 53.40 46.90 39.90 41.50 39.30 32.75 74.90 89.90 84.90 69.90 84.90 130.00 79.90 CAJUAMA (bouteille de 940 ml) Marques Corona Extra Negra Modelo Victoria Leon Montejo Modelo Especial Pacifico Superm arché 1 12.35 Superm Superm Superm Superm Détail Détail Détail 3 arché 2 arché 3 arché 4 arché 5 1 2 11.90 12.75 12.35 11.70 13.00 12.20 11.95 12.75 12.35 10.90 13.00 XX 352 Sol Indio Bohemia Tecate bout. Tecate can. Superior Carta Blanca 11.00 11.00 12.75 12.75 12.00 12.00 10.90 10.90 11.50 11.50 12.00 12.00 13.00 13.00 Monterrey, 23 juin 2004 6 pack Marques Corona Extra Corona Baril Coronita Negra Modelo Victoria Leon Modelo Especial Modelo Especial Light Modelo Light Modelo Especial (12 can.) Pacifico XX Sol Indio Bohemia Tecate bout. Tecate can. Tecate light Tecate (12 can.) Superior Carta Blanca Carta Blanca can. Tecate Light Casta Bud Bud Light Heineken bout. Heineken can. Supermarché 6 Supermarché 7 Supermarché 3 Supermarché 2 30,95 32,40 28,25 30,95 31,50 31,90 31,40 22,90 44,50 32,40 47,90 48,00 47,90 47,90 41,50 44,55 45,80 35,00 83,90 47,90 47,90 49,23 49,45 44,30 45,80 45,25 45,25 35,00 36,20 34,30 46,00 49,45 58,75 44,30 47,45 35,50 34,30 35.50 60,00 78,90 35,00 44,30 49,00 49,50 62,50 62,50 61,30 61,30 8,651 49,00 61,10 52,20 51,00 353 Guinness Sapporro Quilmes Hoegaarden Old 31,50 Milwaukee Old 38,50 Milwaukee light Coors Coors Light 54,90 Lowenbraü can. Lowenbraü bout. Baron Pilsener Bavaria (6 can.) Bavaria (6 bout.) Bavaria can. Miller lite 49,00 Miller Genuine 49,50 Draft Miller (12 96,00 can.) Schaefer 28,90 Schaefer Light 28,90 Marlins 1 : par bouteille ou par canette 20,001 25,001 20,001 99,00 26,301 48,00 48,00 61,30 27,00 44,90 32,90 49,50 54,90 29,30 29,30 25,90 CAJUAMA (bouteille de 940 ml) Marques Corona Extra Negra Modelo Victoria Leon Montejo Modelo Especial Pacifico XX Sol Indio Bohemia Tecate bout. Tecate can. Superior Carta Blanca Noche Buena Casta Supermarché 6 Supermarché 7 Supermarché 3 Supermarché 2 13,60 11,90 13,50 13,95 15,50 15,35 354 Bud Bud Light Heineken bout. Heineken can. Old Milwaukee Old Milwaukee light Coors Schaefer Schaefer Light 14,50 Miller Light 19,50 14,50 15,50 355 BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE Entrevues : - ABASOLO SOTRES, Ángel, Directeur des marques, CCM, 14 mai 2002. ASTABURUAGA SENJINES, Arturo, Directeur des ventes, Europe et Canada, CCM, 23 juin 2004. CERUTTI, Mario, Professeur d’histoire UANL, Monterrey, 2 mai 2002. CORNEJO ÁLVAREZ, Alfonso, ancíen ingénieur chef FEMSA, 15 mai 2002. DÍEZ MORODO, Valentín, Vice-président des ventes et des exportations, Grupo Modelo, 22 janvier 2003. DOMINGUEZ, José Ignacio, ancien gérant de planification stratégique, Cuauhtémoc, 3 mai 2002. GARCIA SORDO, Juan Bruno, Professeur associé ITESM de Monterrey, exgérant des marques, Cuauhtémoc, 8 mai 2002. GARZA GONZÁLEZ, Salvador, Professeur de marketing, ITESM de Monterrey, 3 mai 2002. LUNA LEDESMA, Matilde, Professeure de science politique UNAM, México, 17 juillet 2000. LOZANO FERNÁNDEZ, Gerardo, Professeur associé, ITESM Monterrey, 30 avril 2002. REYES SALCIDO, Edgardo, FEMSA, 9 mai 2002. RODRÍGUEZ GARZA, Juan Manuel, professeur ITESM Monterrey, 3 mai 2002. SALINAS ARRUMBIDE, Eduardo, gérant d’exportation, CCM, 13 mai 2002. SÁNCHEZ NAVARRO, Juan, Vice-Président, Grupo Modelo, 4 juin 2002. ZEPEDA MAULEON, Mauro, Analyste, Banque Bital, Mexico, 27 novembre 2001. Rapports : Brasseries mexicaines : FEMSA - Communiqués de presse - Rapports annuels, plusieurs années - Informe Anual que se presenta de acuerdo con la Circular 11-33 Expedida por la Comisión Nacional Bancaria y de Valores, correspondiente al ejercicio fiscal terminado el 31 de diciembre del 2001 para Fomento Económico Mexicano S.A. de C.V., Monterrey: FEMSA, 2002. - Form 20F, Annual Report pursuant to section 13 of the Securities Exchange Act of 1934, Rapport annuel pour la SEC, 1998-2003 - VISA, Offer to Exchange American Depositary Shares (ADR), 1998. 356 Grupo Modelo - Communiqués de presse - Rapports annuels, plusieurs années - Reporte anual que se presenta de acuerdo con las disposiciones de carácter general aplicables a las emisoras de valores y a otros participantes del mercado de valor, Rapport annuel remis à la Comisión des valeurs mobilières mexicaines, plusieurs années. - Grupo Modelo : Cimientos de una gran familia, Mexico, 2 tomes, 2000. Brasseries multinationales : Ambev : - Rapports annuels, plusieurs années - Form 20F, Annual Report pursuant to section 13 of the Securities Exchange Act of 1934, Rapport annuel pour la SEC, 1998-2003 Anheuser-Busch : - Rapports annuels, plusieurs années - Form 10-K, Annual report which provides a comprehensive overview of the company for the past year, Rapports remis à la SEC, plusieurs années Coors : - Rapports annuels, plusieurs années - Form 10-K, Annual report which provides a comprehensive overview of the company for the past year, Rapports remis à la SEC, plusieurs années Carlsberg, Rapports annuels, plusieurs années Diageo, Rapports annuels, plusieurs années Foster’s, Rapports annuels, plusieurs années Heineken NV, Rapports annuels, plusieurs années Interbrew, Rapports annuels, plusieurs années Molson, Rapports annuels, plusieurs années SABMiller, Rapports annuels, plusieurs années Scottish & Newcastle, Rapports annuels, plusieurs années Sleeman, Rapports annuels, plusieurs années Autres : AMID Co. Llc., Chinese Markets for Beer, 1er janvier 2003 Banque du Mexique, Informe Anual, Mexico: Banque du Mexique, 1979 à 2003. Beer Marketer’s Insights: - 2005 Beer Industry Update. A Review of Recent Developments, West Nyack, New York : Beer Marketer’s Insights, 2005a - 2005 Import Specialty Insights. A comprehensive Review of the Import and Specialty Beer Market, West Nyack, New York : Beer Marketer’s Insights, 2005b. - 2002 Beer Industry Update. A Review of Recent Developments, West Nyack, New York : Beer Marketer’s Insights, 2002. - 1987 Beer Industry Update. A Review of Recent Developments, West Nyack, New York : Beer Marketer’s Insights, 1988 357 -1984 Beer Industry Update. A Look at What’s Happened in the 80’s and Possible Future Scenarios, West Nyack, New York : Beer Marketer’s Insights, 1985 Brasseurs du Canada, Annual Statistical Bulletin 2003/Bulletin statistique annuel, Ottawa, Brasseurs du Canada, 2004. Brasseurs du Canada, Annual Statistical Bulletin 2001/Bulletin statistique annuel, Ottawa, Brasseurs du Canada, 2002. CNUCED, World Investment Report, New York: United Nations, 1991 à 2004. Impact Databank - The Global Drinks Market. Impact Databank Review and Forecast, 2004 Edition, New York: M. Shanken Communications, 2005. - The Global Drinks Market. Impact Databank Review and Forecast, 2001 Edition, New York: M. Shanken Communications, 2002. - The US Beer Market. Impact Databank Review and Forecast, 1991 Edition, New York: M. Shanken Communications, 1991. - The US Beer Market. Impact Databank Review and Forecast, 1990 Edition, New York: M. Shanken Communications, 1990. - The Impact American Beer Market Review and Forecast. 1988 Edition, New York: M. Shanken, 1988. Jobson Publishing Corp., Jobson’s Beer Handbook 1993: A special report on trends, statistics and analyses for the beer industry, 1993. Joh Barth & Sons, The Barth Report, Nurembourg: Joh Barth & Sons, 1990 à 2005. NTC et Commissie Gedistilleerd, World Drink Trends. International Beverage Alcohol Consumption and Production Trends, Oxfordshire: NTC Publications, 1990, 1994, 1997, 2000, 2003 et 2004. Presidencia de la Republica, Informe de gobierno, Rapport annuel du président du Mexique, México: Presidencia de la República, plusieurs années Journaux, revues et publications spécialisées : Associated Press Worldstream Beverage Aisle Beverage World Beverage Industry Birmingham Post Brandweek Business Mexico Business Week Business Wire Canadian Business Canadian Corporate News Cheers Cincinnati Post Daily News Los Angeles El Norte 358 Expansión Expansión de Madrid Food & Drink Weekly Food Engineering & Ingredients Forbes Grocer Infolatina Latin CEO Latin Finance Latin Trade National Petroleum News Rocky Mountain News Stagnito's New Products Magazine Stamford Advocate-Tribune Business News St-Louis Post Dispatch Supermarket News The European Time International Toronto Star Tribune Business News Tribune News Service USA Today US News & World Report Associations brassicoles nationales: ANAFACER (http://www.anfacer.com.mx/) Asociación latinoamericana de fabricantes de cerveza (http://www.alaface.com/) Beer Institute (http://www.beerinstitute.org/) Brasseurs du Canada/Brewers of Canada (http://www.brewers.ca/) Brewers Association (http://www.beertown.org/) Brewers Association of Japan (http://www.brewers.or.jp) Brewers of Europe (http://www.brewersofeurope.org/) Sindicato Nacional da Indústria da Cerveja (http://www.sindicerv.com.br/) Sites Internet : Bureau du recensement des États-Unis <ftp://ftp2.census.gov/census_2000/datasets/demographic_profile/0_United_States/2kh00.pdf> accès le 5 septembre 2005 Conseil administratif d’accompagnement économique (CADE) , Ministère de la Justice du Brésil http://www.cade.gov.br/atas/atadis334.htm> et <http://www.fazenda.gov.br/Seae/documentos/pareceres/Ind.%20Processo/pcr063092004RJ_ac08 012000116200453.pdf> accès le 12 mai 2004 Département de l’agriculture des États-Unis <http://ffas.usda.gov/itp/policy/nafta/alcoholi.html> accès le 12 mars 2002. Système d'information du commerce extérieur de l'Organisation des Etats américains (SICE) <http://www.sice.oas.org/DISPUTE/nafta/french/C95041bf.asp> accès le 15 août 2004 359 Monographies et articles : ALBA VEGA, Carlos, México después del TCLAN. EL impacto económico y sus consecuencias politicas y sociales, mimeo, 2001. ALCHIAN, Armen A., DEMSETZ, Harold, “Production, Information Costs, and Economic Organization”, The American Economic Review, Vol. 62, No. 5, décembre 1972, pp. 777-795. ALESSIO ROBLES, Miguel, México y la cerveza, Confederación de Cámaras Industriales de México, Conférence, 4 novembre 1968. ALLEN CONSULTING GROUP, The Argument for making franking credits available to Australians investing in foreign owned companies, Melbourne, Sydney: Allen Consulting Group avril 1999. <http://www.rbt.treasury.gov.au/submissions/PlatformForConsultation/download/sub137.pdf> accès le 13 juillet 2004 ANAFACER, Condiciones de competitividad y tratamiento fiscal de la industria cervecera mexicana, Propuesta de la Asociación Nacional de Fabricantes de Cerveza y de la Cámara Nacional de la Industria de la Cerveza y de la Malta para la Convención nacional Hacendaria, México: ANAFACER, 2004a. ANAFACER, Contexto integral de la cerveza, México: ANAFACER, 2004b. ANDERSON, Kym, BLACKHURST, Richard (dirs.), Regional Integration and the Global System, Londres, Harvester Wheatsheaf, 1993. ANDREFF, Wladimir, Les multinationales globales, Paris : La Découverte, 1996. AOKI, Masahiko, GUSTAFSSON, Bo, WILLIAMSON, Oliver E. (dirs.), The Firm as a Nexus of Contracts, Londres: Sage, 1990. APPELBAUM, Elie, LIM, Chin, “Contestable markets under uncertainty”, Rand Journal of Economics, vol. 16, no. 1, printemps, 1985, pp.28-40. ARCHIBALD, G. C., “Chamberlin Versus Chicago”, The Review of Economic Studies, Vol. 29, no. 1., octobre 1961, pp. 2-28. AUERBACH, Paul, Competition the economics of industrial change, Oxford: Basil Blackwell, 1988. BAIN, Joe S., Barriers to new competition: their character and consequences in manufacturing industries, Cambridge: Harvard University Press, 1956. BAIN, Joe S., “Workable Competition in Oligopoly: Theoretical Considerations and some empirical evidence”, The American Economic Review, vol. 40, no. 2, mai 1950, pp. 35-47. BAKER, Wayne E., “The Network Organization in Theory and Practice”, dans N. Nohria and R. Eccles (dirs.), Networks and Organizations: Structure, Form and Action. Harvard Business School Press, Boston, 1992, pp. 397-429. BALDWIN, Richard E., "The Causes of Regionalism", The World Economy, vol. 20, no. 7, novembre 1997, pp. 865-888. 360 BANQUE BITAL, Dirección de Análisis y Estudios Económicos, FEMSA, 23 novembre 2001a. BANQUE BITAL, Dirección de Análisis y Estudios Económicos, Grupo Modelo, 23 novembre 2001b. BARTLETT, Christopher A., GHOSHAL, Sumantra, “Beyong the M-Form: Toward a Managerial Theory of the Firm”, Strategic Management Journal, Special number: Organizations, Decision Making and Strategy, vol. 14, hiver 1993, pp. 23-46. BARTLETT, Christopher A., GHOSHAL, Sumantra, Managing across borders: the transnational solution, Boston, Mass.: Harvard Business School Press, 1989. BASAVE KUNHARDT, Jorge (dir.), Empresas mexicanas ante la globalización, Mexico : UNAM, Instituto de Investigación Económicas, 2000. BAUMOL, William J., “Contestable Markets : An Uprising in the Theroy of industrial Structure”, American Economic Review, vol.72, no.1, mars 1982, pp.1-15. BAUMOL, William J., FISCHER, Dietrich, “Cost-Minimizing Number of Firms and Determination of Industry Structure”, The Quarterly Journal of Economics, vol. 92, no. 3, août 1978, pp. 439-468. BEAMISH, Paul, GOERZEN, Anthony, The Global Branding of Stella Artois, etude de cas, Waterloo: University of Western Ontario Richard Ivey School of Business, 2000. BEAR STEARNS, The Mexican Beer Industry, Special Report, Emerging Markets Equity Research, New York, 1994. BENAYORA, François, " Que penser des accords de commerce régionaux ? ", Économie Internationale, La revue du CEPII, no. 65, p. 99-115, 1995. BENSABAT, Remonda R., The Mexican Private Sector’s Role in the North American Free Trade Negociations : Implications for Business-State Relations, Thèse de doctorat, Université de Toronto, 1995. BERGSTEN, Fred C., " Open Regionalism ", The World Economy, vol. 25, no. 5, août 1997, pp. 545-565. BERTHELON, Matias, FREUND, Caroline, On the Conservation of Distance in International Trade, World Bank Policy Research Paper no. 3293, mai 1994. BODENS, Christina, BOONE, Thomas, BROSS, Justus, et al., The strategies of Interbrew Belgium in the acquisition of the German breweries and becoming number one on the German market, juin 2004 <http://empresa.rediris.es/adelec/vol-3/5.pdf> accès le 15 août 2004 BORRUS, Micheal, ERNST, Dieter, HAGGARD, Stephen, “Introduction: Cross-border production networks and the industrial integration of the Asia-Pacific region”, dans Micheal Borrus, Dieter Ernst et Stephen Haggard (dirs.), International production networks: rivalries or riches?, Londres, New York : Routledge, 2000, pp. 1-30. 361 BORRUS, Micheal, ERNST, Dieter, HAGGARD, Stephen (dirs.), International production networks: rivalries or riches?, Londres, New York : Routledge, 2000. BOUGHTON, James M., Silent Revolution The International Monetary Fund 1979–1989, Washington: International Monetary Fund, 2001. BRATU HERNANDEZ, Maria Patricia, Caso Grupo Modelo, aplicación practica, material didactico, thèse de licence, México: ITAM, 1996. BREWERS ASSOCIATION OF CANADA, Alcoholic Beverage Taxation and Control Policies, International Survey, Ottawa: BAC, 1997. BREWERS’ SOCIETY, Statistical Handbook, 1991 Edition, Londres: Brewing Publications Ltd., 1991. BROCK, William A., “Contestable Markets and the Theory of Industry Structure: A Review Article”, The Journal of Political Economy, Vol. 91, no. 6., décembre 1983, pp. 1055-1066. BRUN, Jean-François, CARRÈRE, Céline, GUILLAUMONT, Patrick, de MELO, Jaime, Has Distance Died? Evidence from a Panel Gravity Model, The World Bank Economic Review, vol. 19, no. 1, 2005, pp. 99-120. BUCKLEY, Peter J., Multinational firms, cooperation and competition in the world economy, New York : St. Martin's Press, 2000. BUCKLEY, Peter J., “The Limits of Explanation: Testing the Internalization Theory of the Multinational Enterprise”, Journal of International Business Studies, vol. 19, no.2, été 1988, pp. 181-193. BUCKLEY, Peter J., CASSON, Mark, “Models of the Multinational Enterprise”, dans Peter J. Buckley (dir.), Multinational firms, cooperation and competition in the world economy, New York : St. Martin's Press, 2000, pp. 9-43. BUCKLEY, Peter J., CASSON, Mark, “An Economic Model of International Joint-Venture Strategy”, Journal of International Business Studies, vol. 27, no. 5, Global Perspectives on Cooperative Strategies, 1998, pp. 849-876. BUCKLEY, Peter J., CASSON, Mark, The future of the multinational enterprise, New York: Holmes & Meier, 1976. BURKE, Terry, GENN-BASH, Angela, HAINES, Brian (dirs.), Competition in theory and practice, Londres: C. Helm , 1988. CABLE, Vincent, “Overview”, dans Vincent Cable et David Henderson (dirs.), Trade Blocs ? The Future of Regional Integration, Londres : Royal Institute of International Affairs, 1994. CAIRNCROSS, Frances, The death of distance : How the Communications revolution will change our lives, Boston, Mass. : Harvard Business School Press, 1997. CAIRNS, Robert D., MAHABIR, Dhanayshar, “Contestability: A Revisionist View”, Economica, vol. 55, no. 218, mai 1987, pp.269-276. 362 CALDERÓN, César, LOAYZA, Norman, SERVÉN, Luis, Greenfield foreign direct investment and mergers and acquisitions - feedback and macroeconomic effects, Washington: World Bank, Policy Research working paper, no. WPS 3192, janvier 2004. <http://econ.worldbank.org/files/32578_wps3192.pdf> accès le 13 septembre 2004 CANTWELL, John, “A survey of theories of international production”, dans Christos Pitelis et Roger Sugden (dirs.), The Nature of the Transnational Firm, New York et Londres: Routledge, 1991. CARRÈRE, Céline, SCHIFF, Maurice, On the Geography of Trade: Distance is Alive and Well, World Bank Policy Research Paper no. 3206, février 2004. CARROLL, Glenn R., HANNAN, Micheal T., Organizations in industry: strategy, structure, and selection, New York : Oxford University Press, 1995. CASSON, Mark, “Entrepreneurial Networks: A Theoretical Perspective” dans Clara Eugenia Núñez (dir.), Análisis microeconómico de la unidad familiar y el mercado de trabajo, 18801939, Sevilla : Universidad de Sevilla : Fundación El Monte, Fundación Fomento de la Historia Económica, 1998, pp. 13-27. CASSON, Mark, “Entrepreneurship and the Dynamics of Foreign Direct Investment”, dans P.J. Buckley and M.C. Casson, The Economic Theory of the Multinational Enterprise, Londres: Macmillan, (1985) 2000, pp. 172-191. CASTELLS, Manuel, The Information Age. Economy, Society, and Culture. Vol.I: The Rise of the Network Society, Malden, Mass. : Blackwell 1996. CASTELLS, Manuel, The Information Age. Economy, Society, and Culture. Vol.II: The power of identity, Malden, Mass. : Blackwell 1997. CAVES, Richard E., Multinational Enterprise and Economic Analysis, Cambridge, Cambridge University Press, 1982. CAVES, Richard E., “International Corporations: The Industrial Economics of Foreign Investment”, Economica, New Series, Vol. 38, No. 149. février 1971, pp. 1-27. CAVES, Richard E., PORTER, Micheal E., “From Entry Barriers to Mobility Barriers: Conjectural Decicions and Contrived Deterrence to New Competition”, The Quartely Journal of Economics, vol. 91, no.2, mai 1977, pp.241-261. CHAMBERLIN, Edward H., The theory of monopolistic competition a re-orientation of the theory of value, Cambridge, Mass. Harvard University Press, 1948. CHANDLER, Alfred D., “Organizational Capabilities and the Economic History of the Industrial Entreprise”, Journal of Economic Perspectives, vol. 6, no. 3, été 1992, pp.79-100. CHANDLER, Alfred D., Scale and scope : the dynamics of industrial capitalism, Cambridge, Mass. : The Belknap Press of Harvard University Press, 1990. CHANDLER, Alfred D., The visible hand: the managerial revolution in American business, Cambridge : Harvard University Press, 1977. CHANDLER, Alfred D., Alfred, Strategy and structure: chapters in the history of the industrial enterprise, Cambridge : M.I.T., 1962. 363 CHANOKI, Junn John, The Japanese Beer Industry. Facing Changes and Challenges, Banque Rabobank, juillet 2003. http://www.rabobank.com/Images/rabobank_publication_japanese_beer_tcm25-152.pdf accès 15 août 2004. CHAVAGNEUX, Christian. “Peut-on maîtriser la mondialisation ? Une introduction aux approches d’économie politique internationale”, Économies et Sociétés, Relations économiques internationales, Série P., no. 34, no.4/1998, pp.25-68. CHWO-MING, Joseph Yu, TANG, Ming-Je, “International Joint Ventures: Theoretical Considerations”, Managerial and Decision Economics, vol. 13, no. 4. juil.-août 1992, pp. 331-342. CLOUGHERTY, Joseph A., “Globalization and the Autonomy of Domestic Competition Policy: An Empirical Test on the World Airline Industry”, Journal of International Business Studies, Vol. 32, no. 3, troisième trimestre 2001, pp. 459-478. COASE, Ronald H., The Firm, the Market and the Law, Chicago: The University of Chicago Press, 1988. COHEN BORESTEIN, Vivian, “Un Exportador. . . Modelo. El caso de Grupo Modelo : un exportador por excelencia.” <http://www.soyentrepreneur.com/pagina.hts?N=9476&Ad=S> accès le 12 février 2002. COMISIÓN FEDERAL DE COMPETENCIA, 2003 Economical Report on Competition, México: Comisión Federal de competencia, 2004. COMMISSION MONDIALE SUR LA DIMENSION SOCIALE DE LA MONDIALISATION, Une mondialisation juste : créer des opportunités pour tous, Genève : Organisation Internationale du Travail, 2002. <http://www.ilo.org/public/french/wcsdg/docs/report.pdf> accès le 15 juin 2005 CONCHEIRO BOHÓRQUEZ, Elvira, El gran acuerdo. Gobierno y empresarios en la modernización salinista, Mexico : UNAM, Instituto de Investigaciones Económicos ; Ediciones Era, Coll. Problemas de México, 1996. COOK, Paul, KIRKPATRICK, Colin, “Globalization, Regionalization and Third World Development”, Regional Studies, vol. 31, no.1, mai 1997, pp. 55-66. COUGHLIN, Cletus, “The Increasing Importance of Proximity for Exports from U.S. States”, Federal Reserve Bank of St-Louis, vol. 86, no. 6, nov.-déc. 2004, pp.1-18. CRAIG, Tim, “The Japanese Beer Wars: Initiating and Responding to Hypercompetiton in New Product Development”, Organisation Science, Vol. 7, no. 3, mai-juin 1996, pp.302-321. CULPAN, Refik, Global Business Alliances: Theory and Practice, Wesport (Conn), Londres: Quorum Books, 2002. 364 DAGNINO, Giovanni Battista, PADULA, Giovanna, Coopetition strategy: A New Kind of Interfirm Dynamics for Value Creation, Paper presented at EURAM – The European Academy of Management Second Annual Conference - “Innovative Research in Management” Stockholm, 9-11 May 2002. <http://www.sses.com/public/events/euram/complete_tracks/coopetition_strategy/dagnino_pa dula.pdf> accès le 10 mai 2004 DEBLOCK, Christian, Du mercantilisme au compétitivisme : le retour du refoulé, Cahier de recherche 02-03, GRIC, Université du Québec à Montréal, septembre 2002. DEBLOCK, Christian, CONSTANTIN, Christian, Intégration des Amériques ou intégration à l’économie américaine ? Tendances du commerce, des investissements et du commerce intrafirme, Notes et études 2000-02, GRIC, Université du Québec à Montréal, mars 2000. DEBLOCK, Christian, BRUNELLE, Dorval, "Régionalisme de première et deuxième génération ", in M. Fortman, S. Neil Macfarlane et S. Roussel (dirs.), Tous pour un ou chacun pour soi, Québec, Institut québécois des hautes études internationales, 1996, pp. 271-316. DEBLOCK, Christian, BRUNELLE, Dorval, “Une intégration régionale stratégique : Le cas nord-américain”, Revue Études Internationales, vol. 24, no. 3,septembre, 1993, pp. 595-622. DEBLOCK, Christian, BENESSAIEH, Afef, BRUNELLE, Dorval, Le débat sur le régionalisme économique revisité, texte à paraître. De BRANDT, Jacques, “Quelles conceptions des entreprises, des systèmes et des processus productifs inspirent quelles politiques industrielles”, Revue d’Économie Industrielle, no.71, 1er trimestre 1995, pp. 123-141. D'EER, Mario, Ales, lagers BièreMAG Chambly, 1998. et lambics : la bière, Saint-Laurent : Trécarré, DEMSETZ, Harold, “Barriers to Entry”, The American Economic Review, vol. 72, no. 1, mars 1982, pp. 47-57. DEVINE, P.J., LEE, N., JONES, R.M., TYSON, W.J, An introduction to industrial economics, Londres : G. Allen & Unwin, 1985. DUNNING, John H., “Location and the Multinational Enterprise: A Neglected Factor?”, Journal of International Business Studies, vol. 29, no.1, 1998, pp.45-66. DUNNING, John H., Alliance Capitalism and Global Business, New York, Londres: Routledge, 1997a. DUNNING, John H. (dir.), Governments, Globalization, and International Business, New York, Londres: Oxford University Press, 1997b. DUNNING, John H., Multinational Enterprises and the Global Economy, Wokinghan: Addison-Wesley, 1993. DUNNING, John H., Explaining International Production, Londres : Harper Collins Academic, 1988. 365 DUNNING, John H., International Production and the Multinational Enterprise, Londres: G. Allen & Unwin , 1981. DUNNING, John, ROBSON, Peter, " Multinational Corporation Integration and Regional Economic Integration ", Journal of Common Market Studies, vol. 26, no. 2, décembre, 1987, pp. 103-125. EISENHARDT, Kathleen M., BIRD SCHOONHOVEN, Claudia, “Resource-Based View of Strategic Alliance Formation: Strategic and Social Effects in Entrepreneurial Firms”, Organization Science, vol. 7, no. 2, mars-avril 1996, pp. 136-150. EVANS, Carolyn, HARRIGAN, James, Distance, Time, and Specialization, NBER Working Paper no. 9729, 2003. FAMA, Eugene F., “Agency Problems and the Theory of the Firm”, The Journal of Political Economy, vol. 88, no. 2. avril 1980, pp. 288-307. FAWCETT, Louise, HURRELL, Andrew (dirs.), Regionalism in World Politics, Oxford, Oxford University Press, 1995. FERGUSON, James, Advertising and Competition: Theory, Measurement, Fact, Cambridge: Ballinger, 1974. FERNÁNDEZ SÁNCHEZ-NAVARRO, Juan A., Descripción y análisis de la alianza estratégica de Grupo Modelo y Anheuser-Bushc, thèse de licence, México: ITAM, 2000. FERRETT, Ben, Greenfield Investment versus Acquisition: Alternative Modes of Foreign Expansion, Working Paper, School of Economics, University of Nottingham, 2004. <http://www.nottingham.ac.uk/economics/leverhulme/conferences/Oct_Conf_2004/ferrett_p aper.pdf > accès le 12 novembre 2004 FISHLOW, Albert et Stephen Haggard, The United States and the Regionalization of the World Economy, Paris : OCDE, 1992. GARRIDO, Celso, “Una revisión de las teorías de la empresa para el análisis de las grandes empresas industriales en México”, dans Jorge Basave Kunhardt (dir.), Empresas Mexicanas ante la globalización, México: Universidad Nacional Autonoma de México, 2000, pp.85-121. GÉLINAS, Jacques B., La globalisation du monde. Laisser faire ou faire, Montréal : Écosociété, 2000. GEORGAKOPOULOS, Theodore, PARASKEVOPOULOS, Christos C. Paraskevopoulos, SMITHIN, John (éds.), Globalization and Economic Growth. A Critical Evaluation, Toronto: APF Press, 2002. GERBIER, Bernard, “Globalisation ou régionalisation ?”, Economies et Sociétés, Hors Série, no. 33, 11/1995, pp.29-55. GHOSHAL, Sumantra, “Global Strategy: An Organizing Framework”, Strategic Management Journal, Vol. 8, no. 5, sept.-oct. 1987, pp. 425-440. GHOSHAL, Sumantra, BARTLETT Christopher A., “The Multinational Corporation as an Interorganizational Network”, Academy of Management Review, Vol. 15, no. 4, 1990, pp. 603-625. 366 GHOSHAL, Sumantra, BARTLETT, Christopher A., “Internal Differentiation Within Multinational Corporations”, Strategic Management Journal, vol. 10, no. 4, juil.-août 1989, pp. 323-337. GIDDENS, Anthony, The Consequences of Modernity, Cambridge: Polity, 1990. GILPIN, Robert, The Political Economy of International Relations, Princeton : Princeton University Press, 1987. GÖRG, Holger, Analysing Foreign Market Entry: The Choice between Greenfield Investment and Acquisitions, Trinity Economic Papers Series Technical Paper No. 98/1, 1998. <http://www.tcd.ie/Economics/TEP/1998/981.pdf> accès le 15 août 2004 GOURVISH, T.R., “Concentration, diversity and firm strategy in European brewing, 1945– 90” dans R. Wilson et T. Gourvish (dirs.) The Dynamics of t, he International Brewing Industry Since 1800, Londres: Routledge, International Studies in Business History, 1998, pp. 80–92. GRANOVETTER, Mark, “Economic Action and Social Structure: The Problem of Embeddedness”, The American Journal of Sociology, Vol. 91, No. 3., Novembre 1985, pp. 481-510. GREAT BRITAIN MONOPOLIES AND MERGERS COMMISSION, Interbrew SA and Bass PLC. A report on the acquisition by Interbrew SA of the brewing interests of Bass PLC, Londres : H.M.S.O., 2001. GREAT BRITAIN MONOPOLIES AND MERGERS COMMISSION, The supply of beer : a report on the supply of beer for retail sale in the United Kingdom, Londres : H.M.S.O., 1989. GROSSMAN, Sanford J. et Oliver D. Hart, “An Analysis of the Principal-Agent Problem”, Econometrica, Vol. 51, No. 1, janvier 1983, pp. 7-46. GULATI, Ranjay, “Alliances and Network”, Strategic Management Journal, vol. 19, no.4, avril 1998, pp. 293-317. GULATI, Ranjay, NOHRIA, Nohria, ZAHEER, Akbar, “Strategic networks”, Strategic Management Journal, vol. 21, no. 3, 2000, pp. 203-215. GULATI, Ranjay, GARGUILO, Martin, “Where do interorganizational networks come from?”, American Journal of Sociology, vol. 104, no.5, mars 1999, pp. 1439-1493. GWYNNE, Robert N., KLAK, Thomas, SHAW, Denis J.B., Alternative Capitalisms. Geographies of Emerging Regions, Londres: Arnold, 2003. HAMEL, Gary, “Competition for Competence and Interpartner Learning within International Strategic Alliances”, Strategic Management Journal, vol. 12, numéro special : Global Strategy, été 1991, pp.83-103. HAMILTON, Nick, Le guide de la bière au Québec, Montréal : Chenelière, McGraw-Hill, 1997. 367 HARZING, Anne-Wil, “An Empirical Analysis and Extension of the Bartlett and Ghoshal Typology of Multinational Companies”, Journal of International Business Studies, vol. 31, no. 1, premier trimestre 2000, pp. 101-120. HAYEK, Friedrich A. von, Individualism and economic order, Chicago: University of Chicago Press, 1948. HEFLEBOWER, R. B., “Barriers to New Competition”, The American Economic Review, Vol. 47, no. 3. juin, 1957, pp. 363-371. HEIJBROEK, Arend M.A., de SHCUTTER, E.M.L., BOON, M.J., The National and Regional beer Markets, Published as an appendix of The World Beer Market, Utrecht: Rabobank, 1997. HEIJBROEK, Arend M.A., de SHCUTTER, E.M.L., BOON, M.J., The World Beer Market. A Conglomerate of National Markets, Utrecht: Rabobank, 1996. HENNART, Jean-François, “The Transaction Costs Theory of Joint Ventures: An Empirical Study of Japanese Subsidiaries in the United States”, Management Science, vol. 37, no. 4, avril 1991, pp. 483-497. HENNART, Jean-François, PARK, Young-Ryeol, “Greenfield vs. Acquisition: The Strategy of Japanese Investors in the United States”, Management Science, vol. 39, no. 9, septembre 1993, pp. 1054-1070. HERACLEOUS, Loizos, “When Local Beat Global: The Chinese Beer Industry”, Business Strategy Review, vol. 12, no. 3, 2001, pp. 37-45. HERRERO, Gustavo, MASSARO, Kirsty O., DESHPANDÉ, Rohit, Corona Beer, Étude de cas, Boston: Harvard Business School, 2001. HIGGOTT, Richard, “Mondialisation et gouvernance : l’émergence du niveau régional”, Politique étrangère, no.2, été 1997, pp. 276-291. HILL, Charles W. L., International business: competing in the global marketplace, Boston: McGraw-Hill/Irwin, 2001. HIRSCHEY, Mark, “Market Structure and Market Value”, Journal of Business, Vol. 58, no.1, 1985, pp. 89-98. HIRST, Paul, THOMPSON, Grahame, Globalization in Question, Cambridge: Polity Press, 1999. HOEKMAN, Bernard, Competition Policy and the Global Trading System. A DevelopingCountry Perspective, Washington: Banque mondiale, Policy Research Working Paper 1735, mars 1997. <http://wdsbeta.worldbank.org/external/default/WDSContentServer/IW3P/IB/1997/03/01/000 009265_3970619111030/Rendered/PDF/multi0page.pdf > accès le 15 septembre 2005 HOSHINO, Taeko, “Firms in Developing Countries and Globalization”, dans Ippei Yamazawa et Naoko Amakawa (dirs.), The Experiences and Perspectives of Developing Economies under Globalization, International Symposium on Developing Economies in the 21st Century, IDE-JETRO symposium no.20, Makuhari, Japon: Institute of Developing Economies, 2000, pp. 99-112. 368 HUMMELS, David, Have International Transportation Costs Declined ?, Department of Economics Working Paper, Purdue University, novembre 1999. HUMMELS, David, Toward a Geography of Trade Costs, Department of Economics Working Paper, Purdue University, septembre 2001. HURRELL, Andrew, " Explaining the Resurgence of Regionalism in World Politics ", Review of International Studies, vol. 21, no. 4, octobre, 1995, pp. 331-358. HYMER, Stephen H., The international operations of national firms: A study of direct foreign investment, thèse de doctorat, Cambridge: MIT, [1960] 1976. INEGI, Anuario de Estadísticas por Entidad Federativa, Aguascalientes: INEGI, 2003. INEGI, Anuario Estadístico de los Estados Unidos Mexicanos, Aguascalientes: INEGI, 2002a. INEGI, Agenda Estadística de los Estados Unidos Mexicanos, Aguascalientes: INEGI, 2002b. INEGI, Sistemas de Cuentas Nacionales de México, Cuentas de Bienes y Servicios 19862001, tomo 1, Aguascalientes: INEGI, 2002c. IRVINE, Ian, SIMS, William A., Canadian interprovincial trade barriers : the case of beer, Montréal : Concordia University, Dept. of Economics, Discussion paper series, 1993 no. 3, 46 pages. JACOBSON, David, ANDRÉOSSO-O’CALLAGHAN, Bernadette, Industrial Economics and Organization. A European Perspective, Londres: McGraw-Hill, 1996. JARILLO, J. Carlos, “On Strategic Networks”, Strategic Management Journal, Vol. 9, no. 1, jan.-fév. 1988, pp. 31-41. JASMIN, Éric, Nouvelle économie et firmes multinationales, les enjeux théoriques et analytiques : le paradigme éclectique, Cahier de recherche du CEIM, Université du Québec à Montréal, avril 2003. JOLLY, Dominique, Alliances interentreprises : entre concurrence et coopération, Paris: Vuibert, 2001. JONES, Candace, HESTERLY, Williamm S., BORGATTI, Stephen P., “A General Theory of Network Governance: Exchange Conditions and Social Mechanisms”, Academy of Management Review, Vol. 22, no. 4, 1997, pp. 911-945. JONES, Geoffrey, The evolution of international business, Londres, New York: Routledge, 1996. KINDLEBERGER, Charles P., Oligopolistic Reaction and the Multinational Enterprise, Cambridge: Harvard University Press, 1973. KINDLEBERGER, Charles P., American Business Abroad, New Haven: Yale University Press, 1969. 369 KINDLEBERGER, Charles P., “European Integration and the International Corporation”, Columbia Journal of World Business, vol. 1, 1966, pp. 65-73. KIRZNER, Israel M., “Competition and the market process: some doctrinal milestones”, dans Jackie Krafft (dir.), The Process of Competition, Cheltenham, Northampton: Edward Elgar, 2000. KNICKERBOCKER, Frederick T., Oligopolistic Reaction and Multinational Enterprise, Boston: Harvard Business School, 1973. KNIGHT, Frank H., Risk, uncertainty and profit, New York: A.M. Kelley, 5è edition, [1921] 1964. KOBRIN, Stephen J., “The Architecture of Globalization: State Sovereignty in a Networked Global Economy”, dans John H. Dunning (dir.), Governments, Globalization, and International Business, New York, Londres: Oxford University Press, 1997, pp. 146-171. KOGUT, Bruce, The network as knowledge, The Wharton School, University of Pennsylvania, Working paper 98-12, 1998. KOGUT, Bruce, “Joint Ventures: Theoretical and Empirical Perspectives”, Strategic Management Journal, Vol. 9, 1988, pp.319-332. KOSTER, Peter, Global beer industry Report 2004, Amsterdam: FBS Bankiers, juillet 2004. <http://www.fbs.nl/research/pdfs/FBS_Beer_report_2004.pdf> accès le 15 août 2004 KOSTER, Peter, Beer industry 2001/2002, Amsterdam: FBS Bankiers, mai 2003. <http://www.fbs.nl/research/pdfs/Beerindustry0305.pdf> accès le 15 août 2004 KOSTER, Peter, Beer: it’s all about brands, Amsterdam: FBS Bankiers, septembre 2002. <http://www.fbs.nl/research/pdfs/Beerbrewers0209.pdf> accès le 15 août 2004 KRAFFT, Jackie (dir.), The Process of Competition, Cheltenham, Northampton: Edward Elgar, 2000. KRASNER, Stephen, " State Power and the Structure of International Trade ", World Politics, vol. 28, no. 3, avril 1976, pp. 314-347. KRETSCHMER, Tobias et Katrin Muehlfeld, Co-opetition in standard-setting: the case of the Compact Disc, London School of Economics & University of Groningen Working Paper #04-14, octobre 2004 <www.lse.ac.uk/collections/IIM/pdf/TKcv.pdf> accès le 28 octobre 2004 LADO, Augustine A., BOYD, Nancy G., HANLON, Susan C., “Competition, cooperation, and the search for economic rent: A syncretic model”, Academy of Management Review, vol. 22, no. 1, 1997, pp. 110-141. LAFAY, Gérard, UNAL-KESENCI, Deniz Unal-Kesenci, “Les trois pôles géographiques des échanges internationaux”, Économie Prospective Internationale, p. 47-73, 1991. LAÏDI, Zaki (dir.), L’ordre mondial relâché. Sens et puissance après la guerre froide, Paris : Presses de Sciences Po, 1992. 370 LARIMO, Jorma, MARINOV, Marin, MARINOVA, Svetla, The brewing markets in central and Eastern Europe in the period 1990-2003, présenté à la Conference "New Europe 2020, Visions and Strategies for Wider Europe, Turku, Finlande Pan-European Institute, 27-28 août 2004. <http://www.tukkk.fi/pei/NewEurope/SessionB1/Larimo_Marinov_Marinova.pdf> accès le 14 mars 2005 LEIJH, Tiemen, HEIJBROEK, Arend M.A., de RIJKE, Marieke, VERSCHUEREN, Carlos, The Eastern European Beer Market, Utrecht: Rabobank, mai 2004. <http://www.rabobank.com/Images/rabobank_publication_eu_beer_report_2004_tcm251673.pdf> accès le 15 août 2004 LEMAIRE, Jean-Paul, Stratégies d'internationalisation, Paris : Dunod, 1997. LEONARD-BARTON, Dorothy, Wellsprings of knowledge: building and sustaining the sources of innovation, Boston, Mass.: Harvard Business School Press, 1995. LEVITT, Theodore, “The Globalization of Markets”, Harvard Business Review, vol. 61, maijuin 1983, pp.92-102. LEWIS, Chris, “The future of British brewing: Strategies for survival”, Strategic Change, vol. 10, no. 3, 2001, pp. 151-161. <http://www3.interscience.wiley.com/cgi-bin/fulltext/84002176/PDFSTART> accès le 15 août 2004 LIPSEY, Richard G., “Globalization and National Government Policies: An Economist’s View”, dans John H. Dunning (dir.), Governments, Globalization, and International Business, New York, Londres: Oxford University Press, 1997, pp. 73-113. LUNA, Matilde, “Estructura de poder y organizaciones empresariales. El debate en torno a la reforma microeconómica”, Iztapalapa, Revista de ciencias sociales y humanidades, no.34, juil-déc., 1994, pp.77-90. LUNA, Matilde (dir.), Los empresarios y el cambio político : México, 1970-1987, Mexico : UNAM, Instituto de Investigaciones sociales, 1992. MACHULP, Fritz, A History of Thought on Economic Integration, Londres, The Macmillan Press Ltd, 1977. MACOUZET, Ricardo N. “Política económica externa y diplomacia multilateral en el gobernio de Carlos Salinas de Gortari”, Foro internacional, vol 34, no,4, oct.-déc. 1994, pp.700-728. MAHON, John F., Industry as a player in the political and social arena : defining the competitive environment, Westport, Conn. : Quorum Books, 1996. MALNIGHT, Thomas W., “The Transition from Decentralized to Network-Based MNC Structures: An Evolutionary Perspective”, Journal of International Business Studies, vol. 27, no. 1, premier trimestre, 1996, pp. 43-65. MALT BEVERAGE RESEARCH INTERNATIONAL, Brewing for profit on a small scale. An Overview of the North American microbrewery and brewpub trend, Mountain View, CA.: Malt Beverage Research International, 1984. 371 MARKUSEN, James R., “The Bounderies of Multinational Enterprises and the Theory of International Trade”, Journal of Economic Perspectives, vol. 9, no. 2, printemps 1995, pp.169-189. MEDINA MORA, María Elena (dir.), Beber de tierra generosa historia de las bebidas alcohólicas en México, Mexico: Fundación de Investigaciones Sociales 1998. MENDOZA HERNÁNDEZ, Antonio, De la Nacionalización a la Privatización de la Banca Comercial en México: Reestructuración de los Grupos de Capital Financiero, 1982-1992, México : UNAM, Thèse de Licence, 2001. MENDOZA NÚÑEZ, César, “De alcoholes, jugos, agua y “otras bebidas” para Notario”, Negocios Internacionales Bancomext, juin 2003. <http://revistas.bancomext.gob.mx/Bancomext/rni/revista/junio2003/PDF/alcoholes.pdf> accès le 13 mai 2004 MICHALAK, Wieslaw, “The political economy of trading blocs”, dans W. Michalak et R. Gibb (dir.), Continental Trading Blocs: The Growth of Regionalism in the World Economy, New York : John Whiley & Sons, 1994. MICHALET, Charles-Albert, “Transnational Corporations and the changing international economic system”, Transnational Corporations, vol. 3, no.1, février 1994, pp. 9-21. MICHALET, Charles-Albert, “Strategic partnerships and the changing internationalization process”, dans Mytelka, Lynn Krieger (dir.), Strategic partnerships states, firms and international competition, Londres: Pinter, 1991, pp. 35-50. MILGROM, Paul, ROBERTS, John, Économie, organisation et management, Grenoble: Presses Universitaires de Grenoble, 1997. MILWARD, Bob, Globalisation? Internationalisation and Monopoly Capitalism: Historical Processes and Capitalist Dynamism, Cheltenham, Northampton : Edward Elgar, 2003. MODELSKI, George, “Multinational Business: A Global Perspective”, International Studies Quarterly, vol. 16, no. 4, Multinational Corporations and World Order, décembre 1972, pp. 407-432. MORAN, Peter, GHOSHAL, Sumantra, “Theories of Economic Organization: The Case for Realism and Balance”, The Academy of Management Review, vol. 21, no.1, janvier 1996, pp. 58-72. MORRISON, Allen J., ROTH, Kendall, “A Taxonomy of Business-Level Strategy in Global Industries”, Strategic Management Journal, vol. 13, no. 6, septembre 1992, pp. 399-417. MUCCHIELLI, Jean-Louis, “Alliances stratégiques et firmes multinationales : Une nouvelle théorie pour de nouvelles formes de multinationalisation”, Revue d’économie industrielle, no. 55, 1er trimestre, 1991, pp.118-134. MYERS, Robert, SARKAR, Bidesh, Globalization of the beer industry. Emerging Market Strategies. Economics & Management in Developing Countries, Period 4, Fontainebleau : INSEAD, mars/avril 2002. <http://faculty.insead.fr/traca/emdc/EMDC/studentsprojects/myers&sarkar2002I.pdf> accès le 15 août 2004. 372 NALEBUFF, Barry, BRANDENBURGER, Adam, La co-opétition : une révolution dans la manière de jouer concurrence et coopération, Paris : Village mondial, 1996. NELSON, Richard R., WINTER, Sydney G., An evolutionary theory of economic change, Cambridge, Mass.: Belknap Press of Harvard University Press, 1982. NICOLAS, Françoise, " Mondialisation et régionalisation dans les pays en développement. Les deux faces de Janus ", Politique Étrangère, no. 2, été 1997, pp. 293-306. NOHRIA, Nitin, “Is a Network Perspective a Useful Way of Studying Organizations?” dans N. Nitin et R. Eccles (dirs.), Networks and Organizations: Structure, Form and Action. Harvard Business School Press, Boston, 1992, pp. 1-22. NOHRIA, Nitin, ECCLES, Robert, “Face-to-Face: Making Network Organizations Work”, dans N. Nitin et R. Eccles (dirs.), Networks and Organizations: Structure, Form and Action. Harvard Business School Press, Boston, 1992, pp.289-308. NOHRIA, Nitin, ECCLES, Robert (dirs.), Networks and Organizations: Structure, Form and Action. Harvard Business School Press, Boston, 1992. OCDE, Competition Law and Policy in Mexico. An OECD Peer Review, Paris : Organisation de coopération et de développement économiques, 2004a. OCDE, Le droit et la politique de la concurrence au Mexique, Synthèses de l’OCDE, juin 2004b. OCDE, Trade and competition : from Doha to Cancún, Paris : Organisation de coopération et de développement économiques, 2003. OCDE, Politiques de la concurrence et des échanges : options pour une plus grande cohérence, Paris : Organisation de coopération et de développement économiques, 2001. OCDE, Cohérences et incohérences entre les politiques des échanges et de la concurrence, Paris : Organisation de coopération et de développement économiques, 1999. OCDE, Études économiques de l’OCDE : Mexique, Paris, Organisation de coopération et de développement économiques: 1996. OCDE, Études économiques de l’OCDE : Mexique, Paris, Organisation de coopération et de développement économiques: 1992. OHMAE, Kenichi, The end of the nation state: the rise of regional economies, New York: Free Press, 1995. OHMAE, Kenichi, Triad Power: The Coming Shape of Global Competition, New York: The Free Press, 1985. OLIVEIRA VERA-CRUZ, José Alexandre, Major Changes in the Economic and Policy Context, Firm’s culture and Technological Behaviour: The Case of Two Mexican Breweries, University of Sussex, Thèse de doctorat, 2000. ORTIZ RIVERA, Alicia, Juan Sánchez Navarro biografía de un testigo del México del siglo XX, México : Grijalbo, 1997. 373 PANAGARIYA, Arvind, " The Regionalism Debate : An Overview ", The World Economy, vol. 22, no. 4, juin, 1999, pp. 477-511. PASTOR, Manuel, WISE, Carol, The Politics of Free Trade in the Western Hemisphere, The North-South Agenda Papers no.20, Coral Gables, FL : University of Miami, North-South Center, août 1996. PATTON, Michael Q., Qualitative Evaluation and Research Methods, Newbury Park, CA: Sage, 1990. PERLMUTTER, Howard V., “The Tortuous Evolution of the Multinational Corporation”, Columbia Journal of World Business, Vol. 4, no. 1, janvier-février, 1969, pp. 9-18. PITELIS, Christos, SUDGEN, Roger (dirs.), The Nature of the Transnational Firm, New York et Londres: Routledge, 1991. PORTER, Michael E., The competitive advantage of nations, New York: Free Press, 1990. PORTER, Michael E. (dir.), Competition in global industries, Boston, Mass.: Harvard Business School Press, 1986. POWELL, Walter W., “Neither Market nor Hierarchy: Network Forms of Organization”, Research in Organizational Behavior, Vol. 12, 1990, pp. 295-336. PUGA, Cristina, Organizaciones empresariales y Tratado de Libre Comercio, Proyecto Organizaciones empresariales en México, Cuadernos 7, México : UNAM, Facultad de Ciencias Políticas y Sociales, 1993a. PUGA, Cristina, Mexico : empresarios y poder, Mexico : UNAM, Facultad de Ciencias Políticas y sociales, Coll. Las ciencias sociales, 1993b. QUINTANA GARCÍA, Cristina, BENAVIDES VELASCO, Carlos A., Co-opetition and performance: Evidence from European Biotechnology Industry, Paper presented at EURAM – The European Academy of Management Second Annual Conference - “Innovative Research in Management” Stockholm, 9-11 May 2002. <http://www.sses.com/public/events/euram/complete_tracks/coopetition_strategy/garcia_vela sco.pdf> accès le 10 mai 2004. RAMSEY, Ben, An Evaluation of Competition Policy in Mexico, Mexico: CIDAC, août 2003. <http://www.cidac.org/vnm/pdf/MexicanCompetitionPolicy.PDF> accès le 15 septembre 2005 RAVIX, Jacques-Laurent (dir.), Coopération entre les entreprises et organisation industrielle, Paris : CNRS, Coll. Recherche et entreprises, 1996. RICHELIEU, André, Les stratégies d’internationalisation des opérateurs canadiens de téléphone, thèse de doctorat, Université du Québec à Montréal, Montréal, 2002. RIOUX, Michèle, Rioux, Michèle, Dimension internationale de la politique de la concurrence du Canada : de la concurrence à la compétitivité (le cas des télécommunications), thèse de doctorat, Université du Québec à Montréal, Montréal, 2000a. 374 RIOUX, Michèle, Débats économiques et concurrence, Montréal : GRIC, Cahier de recherche Continentalisation 2000-08, juillet 2000b. ROBINSON, Joan, The Economics of Imperfect Competition, Londres: Macmillan, 1933. RONFELDT, David F., Institutions, markets, and networks a framework about the evolution of societies, Santa Monica, Ca., Domestic Research Division, Program for Research on Immigration Policy, Rand Corporation 1993. RONNENBERG, Herman W., “The American Brewing Industry since 1920”, dans R. Wilson et T. Gourvish (dirs.) The Dynamics of the International Brewing Industry Since 1800, Londres: Routledge, International Studies in Business History, 1998, pp. 193-212. ROTHBARD, Murray N., Man, economy, and state: a treatise on economic principles, Princeton, N.J.: D. Van Nostrand, 1962. RUDIE HARRIGAN, Kathryn, “Barriers to Entry and Competitive Strategies”, Strategic Management Journal, vol. 2, no. 4, oct.-déc. 1981, pp. 395-412. RUGMAN, Alan M. (dir), New Theories of the Multinational Entreprise, New York: StMartin’s Press, 1982. RUGMAN, Alan, VERBEKE, Alain, “A perspective on regional and global strategies of multinational enterprises”, Journal of International Business, vol. 35, no. 1, janvier 2004, pp.3-18. RUGMAN, Alan, VERBEKE, Alain, Regional Multinationals and Triad Strategy, Paper presented at the 28th EIBA Annual Conference - Athens, 8-10 décembre 2002. RUGMAN, Alan, GIROD, Stéphane, “Retail Multinationals and Globalization: The Evidence is Regional”, European Management Journal Vol. 21, No. 1, février 2003, pp. 24-37. RUGMAN, Alan, HODGETTS, Richard M., “The end of Global Strategy”, European Management Journal, vol. 19, no. 4, août 2001, pp. 333-343. SACHWALD, Frédérique, “ Réseaux contre nations ? Les multinationales au XXIè siècle”, dans Thierry de Montbrial (dir.), Ramsès, Paris : IFRI, 2000, pp.165-179. SACHWALD, Frédérique, “L'internationalisation des entreprises françaises”, dans Thierry de Montbrial (dir.), Ramsès, Paris : IFRI, 1998, pp. 199-220. SACHWALD, Frédérique, “Les réalités de l’intégration régionale ", Ramses, no. 97, 1996, pp. 231-256. SCHERER, Frederic M., Industrial market structure and economic perfomance, New York : Random House, 1970. SCHUMPETER, Joseph A., Capitalisme, socialisme et démocratie, Paris : Payot, 1954. SCHWARTZ, Marius, “The Nature and Scope of Contestability Theory”, Oxford Economic Papers, New Series, Vol. 38, novembre 1986, pp. 37-57. SEGAL-HORN, Susan, “Global firms: heroes or villains?”, European Business Journal, vol. 14, no.1, 2002, pp. 8-19. 375 SHEPERD, William G., “"Contestability" vs. Competition”, The American Economic Review, Vol. 74, no. 4, septembre 1984, pp. 572-587. SINGH, Ajit, Multilateral Competition Policy and Economic Development. A Developing Country Perspective on the European Community Proposals, Genève: CNUCED, UNCTAD Series on Issues in Competition Law and Policy, 2004. < http://www.unctad.org/en/docs/ditcclp200310_en.pdf> accès le 15 septembre 2005. SLEUWAEGEN, Leo, De VOLDERE, Isabelle, PENNINGS, Enrico, The implications of globalization for the definition of the relevant geographic market in competition and competitiveness analysis, Rapport final, Bruxelles: Union Européenne, janvier 2001. <http://europa.eu.int/comm/enterprise/library/libcompetition/doc/globalisation_and_gmd.pdf> accès le 12 novembre 2004 SOLAS-PORRA, Alejandra, “Estrategias de las empresas mexicanas en sus procesos de internacionalización”, Revista de la CEPAL, no. 65, août 1998, pp. 133-153. SNEATH, Allen Winn, Brewed in Canada : the untold story of Canada's 350-year-old brewing industry, Toronto : Dundurn Press, 2001. STIGLER, George J., The Organization of Industry, Homewood: Irwin, 1968. STOPFORD, John M., “ 'Rival States' Revisited”, dans Roger Morgan, Guzzini, Stefano, Anna Leander et Jochen Lorentzen (dirs.), New Diplomacy in the Post-Cold War World, New York: St-Martin’s Press, 1993. STOPFORD, John M., STRANGE, Susan, Rival Firms, Rival States: Competition for World Market Shares, Cambridge: Cambridge University Press, 1991. STRANGE, Susan, The Retreat of the State : The Diffusion of Power in the World Economy, Cambridge : Cambridge University Press, 1996. STRANGE, Susan, “States, Firms and Diplomacy”, International Affairs vol. 68, no. 1, janvier 1992, pp. 1-15. STRANGE, Susan, States and Markets Londres: Pinter Publishers, 1988. STRANGE, Susan, “Cave! hic dragones: a critique of regime analysis”, International Organization, vol. 36, no. 2, printemps 1982, pp. 479-496. STRANGE, Susan, “The study of transnational relations”, International Affairs, vol. 52, no.3, juillet 1976, pp.333-345. STRANGE, Susan, “International economics and international relations: a case of mutual neglect” International Affairs vol. 46, no. 2, avril 1970, pp. 304-315. STUBBS, Richard, UNDERHILL, Geoffrey R. D. (dir.), Political Economy and the Changing Global Order, New York : St. Martin’s Press, 1994. 376 SWAMINATHAN, Anand, “Entry into New Market Segments in Mature Industries: Endogenous and Exogenous Segmentation in the U.S. Brewing Industry”, Strategic Management Journal, vol. 19, no. 4, numéro special: Editor’s Choice, avril 1998, pp. 389404. SWAMINATHAN, Anand, CARROLL, Glenn R., “Beer Brewers”, dans Glenn R. Carroll et Micheal T. Hannan (dirs.), Organizations in industry : strategy, structure, and selection, New York : Oxford University Press, 1995, pp. 223-243. THACKER, Strom C., “Private Sector Trade Politics in Mexico”, Business and Politics, Vol. 2, No. 2, 2000, pp.161-187. <http://www.bu.edu/sthacker/bp.pdf> accès le 14 septembre 2003. ÜLGEN, Faruk, Théories de la firme et stratégies anticoncurrentielles : firme et marché, Paris : L'Harmattan ; Dunkerque : Innoval, 2002. UNCTAD, Development and Globalization: Facts and Figures, New York, Genève: UNCTAD, 2004. UNITED STATES DEPARTMENT OF AGRICULTURE, Prospects in the Global Beer Market, décembre 2004. <http://www.fas.usda.gov/agx/ISMG/ISMGProspectsintheGlobalBeerMarket012004.doc> accès le 15 mars 2005 VALLÉE, Luc, Profil de l’industrie brassicole, Québec : Ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation, Direction de l’appui aux entreprises, 1997. VAN de GEVEL, A.J.W., From Confrontation to Coopetition in the Globalized Semiconductor Industry, Research Memorandum no. 792, Tilburg University, Faculty of Economics and Business Administration < http://www.monash.edu.au/casestudies/css/286_scgi.htm> accès le 10 mai 2004. VAN MUNCHING, Philip, Beer blast : the inside story of the brewing industry's bizarre battles for your money, New York : Times Business, Toronto : Random House, 1997. VEGA CANOVAS, Gustavo, “México, 1988-1994: Restructuración económica, crisis y evolución futura del libre comercio en América del Norte”, Foro internacional, vol 34, no,4, oct.-déc. 1994, pp.729-753. VERMEULEN, Freek, “Controlling International Expansion”, Business Strategy Review, vol. 12, no. 3, septembre 2001, pp. 29-36. VERNON, Raymond, “The Product cycle Hypothesis in a New International Environment”, Oxford Bulletin of Economics and Statistics, , vol. 41, no. 4, 1979, pp. 255-267. VERNON, Raymond, Sovereignty at bay: the multinational spread of U.S. enterprises, New York: Basic Books, 1971. WALDEN, David, WHITE Will, NAFTA and the Malt Beverage Industry, <http://wehner.tamu.edu/mgmt.www/nafta/spring99/Groups99/5/group5_2.htm> accès le 9 février 2001 377 WALL, Howard, “NAFTA and the Geography of North American Trade”, Federal Reserve Bank of St-Louis, vol. 85, no. 2, mars-avril 2003, pp. 13-26. WILLIAMSON, Oliver E., “Introduction”, dans Masahiko Aoki, Bo Gustafsson et Oliver Williamson (dirs.), The Firm as a Nexus of Contracts, Londres: Sage, 1990, pp. 1-25. WILLIAMSON, Oliver E., The Economic Institutions of Capitalism: Firms, Markets, Relational Contracting, New York: The Free Press, 1985. WILLIAMSON, Oliver E., “The Economics of Organization: The Transaction Cost Approach”, American Journal of Sociology, vol. 87, no.3, pp.548-577, 1981. WILLIAMSON, Oliver E., Markets and Hierarchies, analysis and antitrust implications, New York: Free Press, 1975. WILLIAMSON, Oliver E., WINTER, Sidney G., (dirs.), The Nature of the firm : origins, evolution, and development, New York: Oxford University Press, 1993. WILSON, R.G., GOURVISH, T.R., The Dynamics of the international brewing industry since 1800, Londres; New York : Routledge, 1998. WINTER, Sydney G, The Nature of the firm : origins, evolution, and development, New York : Oxford University Press, 1993. WOOLSEY BIGGART, Nicole, HAMILTON, Gary G., “On the Limits of a FirmBased Theory to Explain Business Networks: The Western Bias of Neoclassical Economics”, dans N. Nitin et R. Eccles (dirs.), Networks and Organizations: Structure, Form and Action. Harvard Business School Press, Boston, 1992, pp.471-490. YIN, Robert K., Case Study Research: Design and Methods, Thousand Oaks, CA: Sage, 1994. ZAMORA GALLAND, Verónica, BELTRÁN, Jorge Franco, Analísis de las ventajas competitivas de Grupo Modelo, S.A. de C.V, México, material didactico, Thèse de licence, Mexico : ITAM, 1996. 378