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UNIVERSITÉ PARIS III- SORBONNE NOUVELLE
Institut des Hautes Études de l’Amérique latine
UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL
Faculté de science politique et de droit
N° attribué par la bibliothèque __________________
Doctorat en co-tutelle
ÉTUDE DES SOCIÉTÉS LATINOAMÉRICAINES/ SCIENCE
POLITIQUE
Jean-Gérald CADET
L’INTERNATIONALISATION DE L’INDUSTRIE
BRASSICOLE MEXICAINE
(THE INTERNATIONALIZATION OF THE MEXICAN BEER
INDUSTRY)
Thèse dirigée par : M. Olivier DABÈNE/M. Christian DEBLOCK
Soutenue le 10 juin 2006
iii
REMERCIEMENTS
Cette thèse n’aurait pas été possible sans le concours et le soutien de plusieurs
individus et institutions. Je voudrais profiter de cette occasion pour leur témoigner ma
reconnaissance et ma gratitude.
Mes premiers remerciements sont dirigés à mes deux codirecteurs, Christian Deblock
et Olivier Dabène. La réalisation d’une thèse en cotutelle demande un très fort appui,
à la fois intellectuel et institutionnel. Les nombreuses discussions que j’ai eues avec
les professeurs Deblock et Dabène, lors de voyages éclairs ou de réunions plus
poussées m’ont guidé tout au long de ce cheminement. Les conseils qu’ils m’ont
généreusement prodigués en chaque occasion suffisaient généralement à calmer les
angoisses liées à une telle entreprise. La codirection requiert par ailleurs des
compromis de chaque codirecteur; messieurs Dabène et Deblock ont su m’apporter le
meilleur d’eux-mêmes et je les en remercie profondément.
Cette recherche sur un thème comme la globalisation de l’industrie brassicole
mexicaine a requis plusieurs séjours au Mexique. Lors d’un premier voyage
exploratoire à l’été 2000, je fus accueilli par la professeure Maria-Teresa Gutiérrez
Haces de l’Instituto de Investigaciones Económicas de la UNAM. Par la suite, j’ai
bénéficié de l’appui financier du Ministère des affaires extérieures du Mexique, de
l’Organisation des États américains ainsi que d’une bourse à la mobilité de l’UQAM
afin de réaliser des séjours plus prolongés. Le Centro de Estudios Internacionales de
El Colegio de México, et plus particulièrement le professeur Carlos Alba, m’ont
accueilli lors de ces missions de recherche. J’ai pu profiter de l’ensemble des
ressources de l’institution et de son personnel. Grâce au soutien du professeur Alba,
qui a grandement facilité mon travail de terrain, j’ai pu surmonter plusieurs obstacles
qui se dressaient devant un chercheur dont la connaissance de l’espagnol et du marché
brassicole mexicain ne constituaient pas les plus grandes forces à l’origine. Je tiens à
lui témoigner ici de ma gratitude.
Durant mes séjours au Mexique, j’ai eu l’opportunité de réaliser de nombreuses
entrevues avec plusieurs dirigeants actuels et passés de l’industrie brassicole, ainsi
que des spécialistes de l’économie politique mexicaine contemporaine. Leurs
iv
perspectives et commentaires ont grandement enrichi cette recherche. J’ai également
bénéficié de l’appui de l’Association des brasseurs du Canada qui, à travers son
spécialiste de l’information, Edwin Gregory, m’a ouvert les portes à son centre de
documentation. Je suis particulièrement reconnaissant à M. Gregory qui a accepté de
partager ses connaissances avec un chercheur qui ne possédait encore pas une vision
globale de l’industrie brassicole.
Bien que certains considèrent la thèse comme un cheminement individuel, de
nombreuses personnes ont directement contribué à ce parcours. La famille Sánchez
Ramirez (Carmen, Pedro, Carmen et Pedro) a été ma famille adoptive au Mexique.
Elle m’a non seulement permis d’améliorer ma connaissance de la langue espagnole
et du Mexique, mais surtout de partager une quantité inoubliable d’expériences, de
joies et de peines. Tant au Mexique (Edith Olivares, María del Carmen Caño, Luis
Gabriel Ortega, Daniel et Johana Carrasco), qu’en France (Ali et Anne-Lise Hakimi et
Cédric Brunet) et à Montréal (les membres du Groupe de recherche en intégration
continentale, Mathieu Arès, Éric Jasmin, Marie-France Loranger et Alexis
Beauchamp), nombreux sont ceux qui ont ponctuellement ou continuellement
participé à ma réflexion et/ou au maintien de mon moral durant les moments les plus
difficiles. Qu’ils trouvent ici l’expression de toute mon amitié.
Christine Champagne, Élodie Le Grand et Stéphanie Massé ont lu et relu plusieurs
versions de cette thèse. Grâce à leurs commentaires et corrections, le texte a gagné en
clarté. Caroline Le Grand a assuré la mise en forme pour la France. À vous quatre, un
très grand merci. Naturellement, toute omission ou erreur demeure sous mon entière
responsabilité.
Finalement, je tiens à témoigner mon amour et ma gratitude aux membres de ma
famille pour leur appui et leur constante présence dans ma vie. Bien qu’elle soit partie
prématurément, j’ai une pensée particulière pour ma mère, Mymose Cadet. Où que tu
sois, merci pour avoir cru en moi et pour m’avoir tant inspiré.
v
RÉSUMÉ
Cette thèse approfondit le débat sur la complémentarité entre la globalisation et la
régionalisation, à partir de l’étude de l’évolution récente de l’industrie brassicole
mexicaine. Elle confronte trois des principales idées reçues de la globalisation et du
rôle de ses deux acteurs principaux, les États et les entreprises, à savoir qu’elle
entraîne un changement de perspective des firmes et l’adoption d’une structure
organisationnelle et des stratégies globales. Ensuite, que les stratégies des firmes
prennent généralement deux formes différentes et complémentaires, la concurrence et
la coopération. Enfin, que l’État se trouve dans une situation de diplomatie
commerciale depuis le début des années 1980, au même titre que les firmes.
Cette recherche poursuit trois objectifs : pallier l’absence d’études sur le rôle des
entreprises en économie politique internationale ; évaluer l’influence respective de la
globalisation et de la régionalisation sur les stratégies des entreprises ; élargir le débat
entre régionalisation et globalisation afin d’y intégrer le niveau national. En
combinant une étude de cas à une approche sectorielle, nous montrons que les
brasseries mexicaines ont du s’internationaliser à partir des années 1980 afin de faire
face à la consolidation rapide de l’industrie brassicole internationale, mais surtout en
réponse à la détérioration de la situation économique interne. Les politiques
économiques d’ouverture adoptées par l’État mexicain n’exerceront pas d’influence
sur l’internationalisation de Grupo Modelo et de Cervecería Cuauhtémoc-Moctezuma,
celles-ci développant des stratégies concurrentielles et/ou coopératives autonomes.
Mots clés : globalisation, régionalisation, concurrence, réseaux, co-opétition, bière,
Cervecería Cuauhtémoc-Moctezuma, Grupo Modelo
vi
ABSTRACT
This study extends the debate on the complementarity of globalization and
regionalization by analysing the recent developments of the Mexican beer industry. It
confronts three of the most important theses about globalization and the impact of two
of its main drivers, firms and States. Firstly, that it involves a transformation in firms’
scope and strategies towards a global structure and global operations. Secondly, that
firms strategies include a mix of competition and cooperation; thirdly, that States, as
well as firms, are increasingly involved in trade diplomacy since the beginning of the
1980’s.
The goals of this research are threefold: offset the limited number of studies on the
impact of firms in international political economy; assess the respective influence of
globalization and regionalization on the strategies of firms; broaden the debate
between the two processes, in order to include the national level. By combining the
case study and sectoral level approaches, we show that, starting in the 1980’s, both
Mexican breweries had to internationalize in order to adapt to an ever-globalized beer
industry, but most importantly, to overcome the deterioration of the Mexican
economy. Moreover, both Grupo Modelo and Cervecería Cuauhtémoc-Moctezuma
have developed international strategies autonomous from the Mexican government’s
foreign economic policies.
Keywords: globalization, regionalization, competition, cooperation, networks, coopetition, beer, Cervecería Cuauhtémoc-Moctezuma, Grupo Modelo
vii
TABLE DES MATIERES
REMERCIEMENTS………………………………………………………………….iii
RÉSUMÉ ……………………………………………………………………………..v
TABLE DES MATIÈRES…………………………………………………………...vii
LISTE DES TABLEAUX……………………………………………………………xii
LISTE DES FIGURES………………………………………………………………xiii
LISTE DES SYMBOLE ET ÉQUIVALENCES…………………………….……...xiv
LISTE DES ABRÉVIATIONS………………………………………………………xv
INTRODUCTION GÉNÉRALE………………………………………………...1
PREMIÈRE PARTIE : L’ENTREPRISE, ACTEUR MAJEUR DE
L’ECONOMIE POLITIQUE INTERNATIONALE………………………..13
CHAPITRE I LA CONCURRENCE ET LA COOPÉRATION, LES
DEUX FACES DE L’INTÉGRATION INTERNATIONALE…………….14
1.1
Les firmes : de la naissance à la globalisation, l’influence de la concurrence.15
1.1.1 La firme comme unité d’analyse……………………………………………..15
1.1.2 La concurrence, un mode de relation interentreprise………………………...20
1.1.3 De l’internationalisation à la globalisation de la firme………………………24
1.2
Au-delà de la concurrence internationale : l’impact des réseaux dans la
coopération interfirmes………………………………………………………36
1.2.1 Les réseaux, un type de relation ou un mode d’organisation ?……………...37
1.2.2 Les conditions d’émergence du réseau……………………………………...40
1.2.3 Pourquoi les firmes s’organisent-elles en réseau ?………………………….42
CHAPITRE II
LA CO-OPÉTITION DANS LE SCHÉMA NATIONAL
RÉGIONAL-GLOBAL :
VERS
UN
NOUVEAU
CADRE
THÉORIQUE……………………………………………………………………….45
2.1
La co-opétition, le complément de la théorie de la diplomatie triangulaire….46
2.1.1 La diplomatie triangulaire ou les relations entre les États et les entreprises....46
2.1.2 La co-opétition : la synthèse de la concurrence et de la coopération………...50
2.1.3 La co-opétition dans le triptyque national/régional/global…………………...52
2.2
Problématique…………………………………….…………………………..56
2.2.1 Problématique générale : les BMN, des firmes globales ?…………………...56
2.2.2 Problématique de l’industrie brassicole mexicaine……………………….….57
2.3
Questions de recherche et hypothèses………………………………………..58
2.3.1 Questions de recherche……………………………………………………….58
2.3.2 Hypothèses…………………………………………………………………...61
viii
2.4
Variables, périodicité et méthode…………………………………………….62
2.4.1 Variables…………………………………………………………………… ..63
2.4.2 Période étudiée……………………………………………………………….65
2.4.3 Méthodologie et éléments de recherche……………………………………...66
DEUXIÈME PARTIE: L’ENVIRONNEMENT INSTITUTIONNEL…...70
CHAPITRE III
L’ÉTAT ET L’INDUSTRIE BRASSICOLE
MEXICAINE …………………………………………………………………….71
3.1
L’État mexicain : l’influence indirecte……………………………………….73
3.1.1 La consolidation de l’ouverture du Mexique…………………………………74
3.1.2 Les nouveaux rapports entre le secteur privé et l’État……………………….77
3.1.3 La transformation du secteur privé mexicain………………………………...80
3.2
3.2.1
3.2.2
3.2.3
3.2.4
3.2.5
L’influence directe de l’État mexicain……………………………………….83
La réglementation gouvernementale…………………………………………84
L’IEPS, les impôts et les taxes……………………………………………….85
Le FICORCA………………………………………………………………...89
Politique de la concurrence : une réponse de long terme…………………….91
L’opposition constante des brasseries mexicaines…………………………...95
3.3
L’impact des États étrangers sur les brasseries mexicaines………………….99
Conclusion…………………………………………………………………………..100
CHAPITRE IV
L’INDUSTRIE BRASSICOLE MEXICAINE………103
4.1
Le développement historique de l’industrie brassicole mexicaine :
1860-1982…………………………………………………………………...105
4.1.1 Première période : la naissance (1860-1925)……………………………….105
4.1.2 Deuxième période : le développement (1925-1982)………………………..106
4.2
Crise et consolidation : 1982-1988………………………………………….111
4.2.1 La crise de 1982 et ses conséquences……………………………………….111
4.2.2 De l’oligopole au duopole…………………………………………………..116
4.3
L’industrie brassicole mexicaine contemporaine..………………………….122
4.3.1 Caractéristiques générales de l’industrie…………………………………....123
4.3.1.1
Changements démographiques, revenu et consommation……………….123
4.3.1.2
La contribution de l’industrie à l’économie nationale…………………...126
4.3.2 Une industrie duopolistique…………………………………………………128
4.3.2.1
Grupo Modelo, centrée uniquement sur la production, la distribution
et la vente de bière……………………………………………………...128
4.3.2.2
CCM, division d’une multinationale des boissons………………………130
4.3.2.3
Intégration verticale et régionalisation des marchés…………………….133
4.3.2.4
Grupo Modelo et CCM, deux entreprises très différentes…………….....136
ix
4.3.3 La croissance de l’industrie depuis 1988……………………………………139
4.3.3.1
Leadership du marché par Modelo……..……………………………….139
4.3.3.2
CCM : une lente croissance…………………………………….……….142
4.3.3.3
Le rôle marginal des importations……………………………………....145
Conclusion…………………………………………………………………………..149
CHAPITRE V LE MARCHÉ INTERNATIONAL DE LA BIÈRE……151
5.1
Globalisation et concentration des marchés………………….……………..153
5.1.1 Globalisation accélérée de l’industrie………………………………………153
5.1.1.1
De la fragmentation à la concentration………………………………….153
5.1.1.2
L’internationalisation des brasseries : la formation des
brasseries multinationales…………………………………………...…..158
5.1.2 Concentration nationale et internationale accrue…………………………...166
5.1.2.1
Réduction des brasseries………………………………………………..166
5.1.2.2
…mais le rythme n’est pas le même selon les régions et pays
du monde………………………………………………………………..170
5.2
Le marché nord-américain de la bière…………………..…………………..177
5.2.1 Concentration et fragmentation du marché…………………………………178
5.2.2 Le marché canadien…………………………………………………………183
5.2.2.1
L’organisation de l’industrie……..……………………………………183
5.2.2.2
L’internationalisation des brasseries canadiennes……………………..188
5.2.3 Le marché américain…………………………………………………. ……192
5.2.3.1
L’organisation de l’industrie……………………………………………192
5.2.3.2
L’évolution de l’industrie brassicole américaine depuis 1990…….……200
Conclusion…………………………………………………………………………..209
TROISIÈME PARTIE : LA RÉGIONALISATION ET LA
GLOBALISATION
DE
L’INDUSTRIE
BRASSICOLE
MEXICAINE……………………………………………………………………212
CHAPITRE VI
L’INTERNATIONALISATION DES BRASSERIES
MEXICAINES……………………………………………………………………213
6.1
Les deux phases du développement international de l’industrie
brassicole mexicaine………………………………………………………...215
6.1.1 La première phase : la régionalisation………………………………………215
6.1.1.1
L’Amérique du Nord, objectif central des brasseries mexicaines……....216
6.1.1.2
L’ALENA ou la consolidation de la régionalisation des brasseries
mexicaines………………………………………………………………220
6.1.2
La seconde phase : de la régionalisation à la globalisation…………………223
x
6.1.2.1
6.1.2.2
La globalisation des brasseries mexicaines………………..……………224
Entre le discours et la réalité……………………………..….………….229
6.2 Grupo Modelo : l’expansion internationale………………………….............234
6.2.1 Les débuts de l’aventure exportatrice……………………………………….234
6.2.2 Une structure organisationnelle couvrant le monde………………………. .236
6.2.3 Concentration des exportations sur l’Amérique du Nord…………………...242
6.3
Cerveceria Cuauhtémoc-Moctezuma : de l’internationalisation au recentrage
sur les États-Unis……………………………………………………………246
6.3.1 L’organisation du secteur international de CCM…………………………...246
6.3.2 Un développement international en trois phases……………………………248
6.3.2.1
L’expansion internationale initiale……………………………………...248
6.3.2.2
Le recentrage sur les marchés-clés……………………………………...249
6.3.2.3
Le sud des États-Unis, la nouvelle priorité de l’entreprise……………...251
Conclusion…………………………………………………………………………..253
CHAPITRE VII LA CONCURRENCE INTERNATIONALE : LA
DIVERSITÉ DES STRATÉGIES……………………………………………..255
7.1
Situation de la concurrence internationale………………………………….257
7.1.1 Formation d’une industrie internationale oligopolistique……………….….257
7.1.2 Les stratégies de pénétration de marché……………………………………261
7.1.2.1
Exportation versus IDE………………………………………………....261
7.1.2.2
Les fusions-acquisitions dans l’industrie brassicole internationale……..265
7.1.3 Les stratégies concurrentielles dans l’industrie brassicole internationale…..271
7.1.3.1
Prédominance des stratégies globales…………………………………..272
7.1.3.2
Prédominance des stratégies régionales et nationales…………………..280
7.1.3.3
Stratégies de niche et de promotion d’image…………………………...282
7.1.3.4
Développement de marques globales…………………………………...286
7.2
Stratégie concurrentielle de Grupo Modelo………………………………...290
7.2.1 Les déterminants de la pénétration d’un nouveau marché………………….290
7.2.2 Stratégie de marques et de niche……………………………………………292
7.2.3 Stratégie de prix……………………………………………………………..295
7.3
Stratégies
concurrentielles
de
Cervecería
CuauhtémocMoctezuma……………………………………..…………………………...296
7.3.1 Les déterminants de la pénétration d’un nouveau marché………………….297
7.3.2 Stratégie de marques et de niche……………………………………………299
Conclusion………………………………………………………………………….301
xi
CHAPITRE VIII COOPÉRATION
ET
RÉSEAUX :
L’AUTRE
VERSANT DE LA MONTAGNE……………………………………………..303
8.1
Les réseaux dans l’industrie brassicole internationale……………………...304
8.1.1 Réseaux et firmes multinationales…………………………………………..305
8.1.2 Les accords interfirmes dans l’industrie brassicole internationale………….313
8.2
Les brasseries mexicaines : alliances offensives versus alliances
défensives…………………………………………………………………….320
8.2.1 CCM : alliances offensives…………………………………………….……320
8.2.1.1
Heineken : une alliance en deux temps…………………………………321
8.2.1.2
L’alliance CCM-Labatt/Interbrew………………………………………322
8.2.1.3
L’extension du réseau de CCM : Kaiser et Coors………………………324
8.2.2 Modelo : la protection du marché interne…………………………………….325
Conclusion…………………………………………………………………………..329
CONCLUSION GÉNÉRALE……………………………………………….…332
ANNEXES………………………………………………………………………...342
ANNEXE 1……………………………………………………………………..343
ANNEXE 2……………………………………………………………………..344
ANNEXE 3……………………………………………………………………..345
ANNEXE 4……………………………………………………………………..348
ANNEXE 5……………………………………………………………………..350
BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE……………………………………………...356
xii
LISTE DES TABLEAUX
Tableau 2.1 Indicateurs d’internationalisation dans l’industrie brassicole
internationale………………………………………………………………64
Tableau 3.1 Taxes et impôts payés par les brasseries mexicaines, 1999, 2001 et
2003………………………………………………………………………..86
Tableau 4.1 Acquisitions des brasseries dans l’industrie brassicole mexicaine,
1935-1970………………………………………………………………...108
Tableau 4.2 Production totale de l’industrie brassicole mexicaine 1980-1992………..112
Tableau 4.3 Personnel occupé, Cuauhtémoc et Moctezuma, 1978-1993……………...119
Tableau 4.4 Parts de marché au Mexique de Modelo et FEMSA, 1992-2004 (en %)...140
Tableau 4.5 Production totale de l’industrie brassicole mexicaine, 1991-2004
(en millions d’hl)…………………………………………………………144
Tableau 5.1 Parts du marché international des 10 plus grandes brasseries en 1986,
1995 et 2003……………………………………………………………...154
Tableau 5.2 Production mondiale de bière par région, 1980-2004 (en millions
d’hl)………………………………………………………………………156
Tableau 5.3 Principales caractéristiques des marchés matures et émergents………….157
Tableau 5.4 Consommation per capita de certains pays, 1986-2003 (en litres)……….158
Tableau 5.5 Classement des principales BMN par volume (millions d’hl)…………...165
Tableau 5.6 Principaux pays producteurs de bière, 1980-2004 (en % de la
production mondiale)……………………………………………………..177
Tableau 5.7 Production totale de bière, 1960-1990 (en millions d’hl.)………………..179
Tableau 5.8 Consommation per capita, 1960-1990 (en litres/an)……………………..180
Tableau 5.9 Production, consommation et exportation au Canada 1990-2003
(en millions d’hl)………………………………………………………....186
Tableau 5.10 Évolution des parts de marché des brasseries américaines,
1970-2004 (en %)………………………………………………………...195
Tableau 5.11 Revenu, coût d’opération et profit d’opération par litre de
certaines brasseries, 1999 et 2003 (en dollars/litre)……………………...198
Tableau 5.12 Production, exportations, importations, consommation et part des
Bières importées 1975-2002 (en millions d’hl)……………………….….205
Tableau 5.13 Évolution des importations de bières aux États-Unis par pays
d’origine, 1980-2003 (en millions d’hl)………………………………….207
Tableau 6.1 Exportations de l’industrie brassicole mexicaine 1980-1992, (en hl)……216
Tableau 6.2 Importations et exportations de bières en Amérique du Nord,
1980-1995 (en milliers d’hl)……………………………………………...218
Tableau 6.3 Production mondiale de houblon, 1990-2004 (en tonnes)………………..222
Tableau 6.4 Exportations de bières mexicaines 1992-2004, (en millions d’hl)……….226
Tableau 6.5 Dépenses publicitaires des bières étrangères aux États-Unis, par pays
d’origine, 1980-2004……………………………………………………..240
Tableau 6.6 Revenus d’exportations de CCM, 1994-2000 (en millions de dollars).….251
Tableau 7.1 Principales acquisitions des BMN, 1988-2004…………………………...265
Tableau 7.2
Distribution géographique des ventes de certaines BMN en 2003…….275
Tableau 7.3 Indice de transnationalisation de certaines brasseries, plusieurs années…277
Tableau 7.4 Principales marques internationales de bière par volume, 1990-2003 (en
millions d’hl)……………………………………………………………..287
Tableau 7.5 Volume de vente des marques hors du territoire national, 2001
(en millions d’hl)…………………………………………………………288
Tableau 8.1 Les accords de coopération et leur application à l’IBI…………………..312
Tableau 8.2 Accords de coopération des principales BMN…………………………...314
xiii
LISTE DES FIGURES
Figure 2.1
Figure 2.2
Figure 3.1
Figure 3.2
Figure 4.1
Figure 4.2
Figure 4.3
Figure 4.4
Figure 4.5
Figure 4.6
Figure 4.7
Figure 4.8
Figure 5.1
Figure 5.2
Figure 6.1
Figure 6.2
Figure 6.3
Figure 6.4
Figure 7.1
Le réseau de valeur………………………………………………………51
La co-opétition dans l’industrie brassicole internationale……….………54
Évolution de l’IEPS 1978-2004…………………………………………87
Contribution des brasseries mexicaines à l’IEPS, 1988-2003…………...88
Production annuelle de l’industrie brassicole mexicaine, 1975-1982….110
Parts de marché des brasseries mexicaines, 1980-1992………………..121
Évolution du revenu disponible, 1989-2002 (en %)……………………124
Consommation per capita, 1982-2003 (litres/an)………………………126
Structure opérationnelle de Grupo Modelo…………………………….130
Évolution de la structure financière et organisationnelle de FEMSA,
1998 et 2004……………………………………………………………132
Structure des coûts de l’industrie brassicole mexicaine, 1999 (en %)…135
Le réseau de valeur national des brasseries mexicaines………………..149
Part des bières importées sur les marchés canadien et américain
1975-2003 (en %)……………………………………….……………...190
Consommation per capita, 1990-2002………………………………….201
Part des exportations mexicaines à destinations à des États-Unis,
1982-1989………………………………………………………………217
Part des exportations des brasseries mexicaines sur la production
totale, 1981-2003 (en %)……………………………………………….228
L’organisation internationale de Grupo Modelo………………………237
Croissance des exportations de Modelo aux États-Unis,
1995-2000 (en %)………………………………………………………243
Structure générale des marges et des coûts des BMN………………….284
xiv
LISTE DES SYMBOLES ET ÉQUIVALENCES
Cl
Ga
Hl
Ml
Centilitre
Gallon
Hectolitre
Millilitre
Baril = 1,1734 hl ou 31 gallons
Caisse = 8,18 litres ou 24 bouteilles de 341 ml
Gallon US = 3,8 litres
Hectolitre = 100 litres, 0,85 baril ou 12,2 caisses
Pinte = 0,57 litre
Litre = 1,76 pinte
Centilitre
xv
ABRÉVIATIONS
ADR
ALE
ALENA
ANAFACER
BAC
BMN
BIT
American Deposit Receipts
Accord de libre-échange
Accord de libre-échange nord-américain
Asociación nacional de fabricantes de cerveza/Association mexicaine
des producteurs de bières
Brewers Association of Canada/ Association des brasseurs du Canada
Brasserie multinationale
Bureau international du travail
CANACINTRA Cámara Nacional de la Industria de Transformación
CCE
CCM
CFC
Consejo Coordinador Empresarial/ Conseil du patronat mexicain
Cerveceria Cuauhtémoc-Moctezuma
Comisión Federal de Competencia/Commission fédérale de la
concurrence
CNSF
Comisión Nacional de Seguros y Fianzas/Commission nationale des
assurances et des valeurs mobilières
COECE
Coordinadora de Organismos Empresariales de Comercio Exterior
Coordination des organismes patronaux pour le commerce extérieur
COFETEL
Comisión Federal de Comunicaciones
Commission fédérale des télécommunications
CONCANACO Confederación de Cámaras Nacionales de Comercio/ Confédération
nationale des chambres de commerce
CONSAR
Comisión Nacional del Sistema de Ahorro para el Retiro/Commission
nationale des pensions et retraites
CRE
Comisión Reguladora de Energía/Commission régulatrice de l’énergie
ECO
Europe centrale et orientale
FEMSA
Fomento Económico S.A de C.V.
FICORCA
Fideicomiso para la Cobertura de Riesgos Cambiarios/ Fidéicommis
pour la couverture des risques de change
FMN
Firme multinationale
GATT
General Agreement on Tariffs and Trade
GM
Grupo Modelo
Hl
Hectolitre
IBI
Industrie brassicole internationale
IDE
Investissement direct étranger
IEPS
Impuesto Especial sobre Producción y Servicios/Impôt spécial sur la
production et les services
INEGI
Instituto Nacional de Estadística Geografía e Informática de México/
Institut mexicain de la statistique
ISI
Industrialisation par substitution aux importations
LFCE
Loi fédérale sur la concurrence économique
OCDE
Organisation pour la coopération et le développement économique
PED
Pays en développement
PME
Petites et moyennes entreprises
RA
Rapport annuel
R&D
Recherche et développement
SAB
South African Breweries
S.A de C.V Société anonyme à capital variable
xvi
SECOFI
commerce
SGP
TIC
TVA
VISA
WIR
Secretaria de Comercio y de Fomento Industrial /Ministère du
Système généralisé de préférences
Technologies de l’information et de la communication
Taxe sur la valeur ajoutée
Valores Industriales S.A. de C.V.
World Investment Report
Journaux et revues
AFP
AP
BA
BD
BI
BM
BUW
BW
EN
EXP
FDW
IN
IS
LCEO
LT
PD
PR
SABI
SLPD
TNS
TS
Agence France Presse
Associated Press Worldstream
Beverage Aisle
Brandweek
Beverage Industry
Business Mexico
Business Wire
Beverage World
El Norte
Expansión
Food & Drink Weekly
Infolatina
Internet Securities
Latin CEO
Latin Trade
Packaging Digest
PR Newswire
South American Business Information
St-Louis Post Dispatch
Tribune News Service
Toronto Star
INTRODUCTION GÉNÉRALE
“Comme elle semble longue, la première
gorgée! On la boit avec une avidité faussement
instinctive. En fait, tout est écrit : la quantité, ce
ni trop ni trop peu qui fait l’amorce idéale ; le
bien-être immédiat ponctué par un soupir, un
claquement de langue, ou un silence qui les vaut
; la sensation trompeuse d’un plaisir qui s’ouvre
à l’infini…” (Philippe Delerm, La première
gorgée de bière, Paris, Gallimard, 1997)
La globalisation et la régionalisation sont généralement considérées comme les deux
facettes d’une même problématique, à savoir la réorganisation à l’échelle régionale et
internationale des activités des entreprises et les réponses qu’y apportent les
gouvernements
nationaux
(Nicolas,
1997).
Si
les
relations
économiques
internationales ne naissent pas avec la globalisation, celle-ci se distingue des autres
phases d’internationalisation précédentes.1
Le développement des technologies de l’information et de la communication (TIC) et
la révolution du transport sont généralement considérés comme les deux principaux
facteurs permettant à la production d’être détachée de la conception (le design)
(Levitt, 1983; Lipsey, 1997; WIR, 1993), facilitant ainsi ce bond quantitatif et
qualitatif vers la globalisation. Cependant, aux déterminants économico-financiers
s’ajoutent deux causes politiques afin de comprendre cette évolution récente, à savoir
la chute du mur de Berlin et des États communistes dans son sillage, ainsi que le
changement de stratégie des pays en développement (PED) à partir des années 1980,
1
Selon Gélinas (2000), la globalisation constitue la quatrième phase de la mondialisation. La première
phase (1498-1763) se caractérise par la “découverte” de nouveaux territoires et l’impulsion du rôle des
commerçants européens. Lors de la seconde phase (1763-1883), on assiste à la première révolution
industrielle, au développement de la production mécanisée et à l’approfondissement des rapports
métropole-colonies. La troisième phase (1883-1980) se démarque par le succès de la seconde
révolution industrielle, portée par les entreprises multinationales, l’organisation scientifique du travail
et l’innovation. La phase globalisante actuelle (1980- ) se distingue par la transformation des
entreprises multinationales en firmes transnationales et la révolution informationnelle. La principale
distinction entre cette dernière et les phases précédentes, selon Gélinas, a trait au rôle de l’État. Alors
que dans les trois premières phases l’État jouait un rôle prédominant dans la mise en place de ce
système économique, la phase globalisante se construirait en dépit de l’État.
alors que ceux-ci adoptent des politiques de libéralisation destinées à attirer et
favoriser les investissements directs étrangers (IDE) (Lipsey, 1997). La définition de
la globalisation qu’en donne la Commission mondiale sur la dimension sociale de la
mondialisation de l’Organisation internationale du travail intègre l’ensemble des
éléments :
“ (…) on s’accorde largement à reconnaître dans la libéralisation du commerce
international, l’expansion des IDE et l’émergence de mouvements financiers
transfrontières massifs les principales caractéristiques de la mondialisation. Ces
évolutions ont entraîné une exacerbation de la concurrence sur les marchés
mondiaux. De même, on admet généralement que le phénomène s’est produit
sous l’effet combiné de deux facteurs, à savoir les politiques visant à réduire les
barrières nationales aux transactions économiques internationales et l’impact
des nouvelles technologies, notamment dans la sphère de l’information et des
communications. Ces développements ont créé les conditions qui ont permis à
la mondialisation de démarrer.”2
Analysée en tant que phénomène multiforme, la globalisation se conçoit donc
principalement à travers ses composantes économiques et financières. Dans cette
acception, l’étude de la globalisation implique l’analyse de la structure de production
internationale, de la structure des firmes et de la structure des investissements
internationaux (Milward, 2003; WIR, 1992). À cette vision centrée autour de l’activité
des firmes s’ajoute le phénomène complémentaire de l’intégration de plus en plus
poussée des économies nationales ; ces dernières s’intégreraient au point de ne former
qu’une seule économie globale (Georgakopoulos, Paraskevopoulos et Smithin, 2002;
WIR, 1992). Toutefois, à cette conception économique se greffe des composantes
spatio-géographique (Gwynne, Klak et Shaw, 2003), sociale (Robertson, 1992 [dans
Milward, 2003]) et historique (Gélinas, 2000), rendant le concept multidimensionnel
(Milward, 2003).
L’impact et les conséquences de la globalisation ont également fait l’objet d’un
nombre important d’études. Généralement, on évalue l’influence de la globalisation
selon trois positions différentes : les hyperglobalistes, les sceptiques et les
transformationalistes (Gwynne, Klak et Shaw, 2003). Pour les premiers, la
2
http://www.ilo.org/public/french/wcsdg/docs/report.pdf (p.27). Dans la langue française, deux termes,
mondialisation et globalisation, sont généralement utilisés afin d’identifier le phénomène décrit par
l’OIT. Dans le cadre de cette recherche, nous privilégierons globalisation, tout en reconnaissant
l’équivalence de mondialisation.
2
globalisation apparaît comme l’élément structurant des relations humaines
contemporaines ; l’importance de l’État-nation se voit soit réduit à une simple
fonction de régulateur (Strange, 1996), ou perd tout simplement son sens (Ohmae,
1995). La perspective sceptique argue que la globalisation ne représente pas une
rupture fondamentale d’avec les périodes passées, que les niveaux d’intégration
internationale actuels sont à peine plus élevés qu’à la veille de la première guerre
mondiale (Hirst et Thompson, 1999). On soutient également qu’une véritable
globalisation impliquerait l’intégration de l’ensemble de la planète et non seulement
de certaines parties de celle-ci.3 En outre, et contrairement aux hyperglobalistes, les
sceptiques soulignent que les États conservent encore la capacité de réguler
l’économie internationale. Les transformationalistes voient plutôt la globalisation
comme une force transformative des sociétés (Giddens, 1990), des économies, des
institutions et de l’ordre international (Gwynne, Klak et Shaw 2003). Ces auteurs
conçoivent ainsi la globalisation comme un processus historique.
En science politique, la globalisation a longtemps été analysée à partir des
préoccupations de l’État, plus particulièrement sous l’angle de ses conséquences sur
l’action des États (voir par exemple Gilpin, 1987; Higgott, 1997 ; Laïdi, 1992,
Strange, 1996). Ainsi, il en ressort que les capacités de l’État se réduisent ou, au
contraire, qu’on assisterait à une transformation de celui-ci, ses fonctions évoluant
afin de s’adapter à cette nouvelle donne.
Si la globalisation est amplement étudiée donc, il n’en est pas de même pour la
régionalisation. Alors que le concept politique de régionalisme est bien connu4, celui
de régionalisation est moins traité par la littérature. Cela s’expliquerait par le
3
Milward (2003), par exemple, refuse le concept de globalisation, car il soutient que l’étude de ces
trois structures conduit l’analyste à la conclusion que certaines régions du monde sont généralement
exclues de ces structures, notamment l’Afrique et l’Amérique du Sud. Dans cette optique, il serait plus
approprié de parler de triadisation de l’économie mondiale (Milward, 2003; voir également WIR,
1992).
4
Le régionalisme est généralement défini comme un processus politique caractérisé par la coordination
et la coopération en matière de politiques économiques à l’échelle régionale (Fishlow et Haggard,
1992; Mansfield et Milner, 1999). Il apparaît non seulement comme une option commerciale, au même
titre que le multilatéralisme et le bilatéralisme, mais également comme un moyen de faciliter la
coopération économique et un type d’alliance permettant de promouvoir des intérêts communs et
certains intérêts stratégiques sur la scène internationale (Deblock et Constantin, 2000). Les définitions
du régionalisme sont éminemment stato-centrées, les États étant considérés comme les principaux
moteurs de l’intégration régionale (Baldwin, 1997; Hurrell, 1995).
3
cantonnement de ce concept à la sphère économique et des affaires, plutôt qu’à la
sphère politique. En effet, la régionalisation “renvoie à la concentration et à
l'intensification des échanges, commerciaux ou financiers, de même qu'à
l'élargissement et à l'approfondissement des réseaux financiers, de production, de
communication et de mise en marché des produits dans une région donnée. (Deblock
et Constantin, 2000: 14)” Bien qu’essentiellement économique, la régionalisation
comporte également une composante géographique, car les échanges commerciaux,
l’investissement et la convergence des stratégies d’entreprise se déroulent
principalement au sein de la région et non globalement (Fishlow et Haggard, 1992).56
Deux causes expliquent pourquoi les entreprises en sont venues à développer des
stratégies régionales, l’une historique et économique, l’autre plus technique. Après la
deuxième Guerre mondiale, mais surtout à partir des années 1960, la compétition
économique s’est déplacée du cadre national au cadre régional et international. Les
entreprises, américaines dans un premier temps, puis japonaises et européennes,
élargirent leur champ d'action. Si les firmes désiraient maintenir des niveaux de
croissance acceptables, elles se devaient d’être présentes à l’étranger.
Cette présence passait avant tout par l’investissement international. Mais
l’investissement direct à l’étranger (IDE), qui est principalement l’apanage des FMN
5
En somme, ce qui distingue le régionalisme de la régionalisation est la nature des acteurs impliqués
dans le processus en question. Dans le premier cas, le régionalisme, il s’agit pour les autorités
politiques nationales de mettre en place un cadre dans lequel évoluent leurs sociétés respectives, alors
que dans le second, la régionalisation, on parle d’un phénomène sur lequel ces autorités ont peu
d’emprise. S’il existe deux manières d’analyser l’intégration régionale, soit par les flux économiques,
soit par la coordination et la coopération politique, il est également possible d’analyser ce phénomène à
partir des acteurs. Et là aussi, deux options nous sont offertes : l’intégration par les États ou par les
entreprises. D’un côté, l’autonomie des États est réaffirmée, de l’autre, on met surtout l’accent sur le
rôle des acteurs privés et la possibilité de coopération.
6
Toutefois, l’argument selon lequel la proximité géographique constituerait le principal élément
explicatif de l’intégration régionale des États et/ou des entreprises, tel que présenté par la littérature
(voir notamment Lafay et Unal-Kesenci, 1991; Gerbier, 1995; Michalak, 1994) n’explique pas à lui
seul pourquoi les États et les entreprises s’intègrent. En effet, la dimension géographique à elle seule ne
peut fournir une réponse globale à un processus qui dépasse le cadre économique. Trois dimensions
déterminent tout mouvement de régionalisme : une dimension géographique, une dimension
socioculturelle et politique ainsi qu’une dimension organisationnelle. (Stubbs et Underhill, 1994). La
première dimension a trait aux expériences historiques communes de groupes de pays d’un espace
géographique délimité ; la seconde dimension renvoie aux liens socioculturels, politiques et
économiques existant entre ces groupes de pays, liens qui les distinguent des autres parties du monde ;
la troisième dimension concerne les organisations que mettent en place ces groupes afin de gérer leurs
activités.
4
durant toute la période de l’après-guerre, ne constitue pas vraiment un sujet d’études
important jusqu’au début des années 1980. Outre Vernon (1971), Hymer
([1960]1976), Kindleberger (1966) et Knickerbocker (1973), très peu d’auteurs
traitaient du rôle et des stratégies des multinationales, encore moins le thème de l’IDE
et de son impact sur la régionalisation des activités des FMN. Malgré l’impression
que les activités des FMN transformaient rapidement la nature des relations
économiques internationales, il faut attendre les travaux de Dunning (1981, 1988 entre
autres) avant qu’une véritable théorie liant investissement et régionalisation ne soit
proposée. Selon Dunning, trois variables permettent d’expliquer pourquoi l’entreprise
a avantage à investir sur place : les avantages compétitifs que possède l’entreprise, les
avantages compétitifs que possède le pays dans lequel souhaite investir l’entreprise et
les avantages que tire l’entreprise de la réduction des coûts de transaction en
investissant sur place.7
Par ailleurs, le mouvement intégrationniste qui caractérise les relations économiques
internationales contemporaines n’épargne pas les Amériques. Les transformations
secouant l'économie internationale, où la globalisation constitue l’élément structurant,
expliquent en grande partie cette tendance vers le régionalisme et la régionalisation.
Dans ce contexte, les États cherchent avant tout à protéger leurs avantages, tout en
augmentant leur compétitivité internationale afin que les acteurs nationaux puissent
bénéficier de la globalisation économique.8 C’est dans cette situation que s’est
retrouvé l’État mexicain, suite à l’ouverture extérieure à partir de 1985, résultat de la
crise de la dette, et à l’essoufflement du modèle de substitution aux importations.
Cette ouverture a été marquée par l’abandon graduel des contrôles gouvernementaux,
l’entrée à l’OCDE et l’annonce de négociations avec les États-Unis et le Canada puis
la signature de l’ALENA.
7
C’est le modèle dit de OLI (Ownership-Location-Internalization), que Dunning baptise d’éclectique.
Voir Dunning (1981).
8
Les États, dans cette nouvelle configuration, adoptent une stratégie de soutien aux entreprises
nationales dans la mesure où ils encouragent le développement global de ces dernières (même si cela
implique parfois une réorganisation de la structure productive de l’entreprise nationale, les bénéfices
escomptés étant jugés supérieurs). D’où l’importance du régionalisme : il s’agit pour les firmes et les
États de créer les conditions nécessaires, tant institutionnellement qu’économiquement, et cela dans un
cadre régional, au développement des économies de cette région afin de faire face à la constitution
d’autres blocs du même type.
5
Bien que considérées comme l’un des principaux moteurs de l’intégration régionale et
internationale, relativement peu d’attention a été portée à l’autre acteur majeur de ces
processus intégratifs, les entreprises. Par leurs décisions, leurs activités et leurs
stratégies, les entreprises représentent l’un des catalyseurs de l’intégration régionale et
internationale (Michalet, 1994; WIR, 1993, 1994). Dans le cas de la régionalisation
des firmes, par exemple, la perception d’avantages spécifiques liés à l’organisation de
leurs activités sur une base régionale plutôt que nationale les pousse à intégrer leurs
opérations de production, distribution et de vente régionalement ; une telle
régionalisation entraînant du même coup une hausse de la demande de régionalisme
(WIR, 1992). Cependant, ce débat entre les activités régionales et internationales des
entreprises occulte la dimension nationale de leurs stratégies.
En effet, si on doit analyser le rôle des entreprises dans le façonnement de la
globalisation et de la régionalisation à travers l’étude de leur développement
international, il apparaît également impératif de jeter un regard sur leur base, là d’où
origine leur expansion, c'est-à-dire l’espace national. Si les firmes adoptent des
stratégies régionales et globales, il n’en demeure pas moins que leur principal marché
demeure avant tout le marché national. Cette importance du niveau national dans le
débat entre le régional et le global constitue une faiblesse des analyses récentes, car
elles ne permettent pas de comprendre pourquoi les entreprises réorganisent leurs
activités à travers une chaîne de valeur flexible, prenant en compte les trois espaces
géographiques que sont le national, le régional et le global.
Ainsi, cette thèse cherche à confronter trois des principales idées reçues concernant la
globalisation et le rôle de ses deux principaux acteurs, les États et les entreprises :
premièrement, qu’elle force les firmes à modifier leurs stratégies et à adopter une
structure organisationnelle et des stratégies globales. Ensuite, que dans le cadre de la
globalisation et de la régionalisation, les stratégies des firmes prennent généralement
deux formes différentes : la concurrence et la coopération. Ces deux types de relations
apparaissent comme deux stratégies complémentaires, les entreprises devant évaluer
jusqu’où se concurrencer et comment établir des réseaux coopératifs. Finalement, que
la place de l’État en économie politique internationale a évolué depuis le début des
années 1980. Celui-ci se trouve impliqué dans une diplomatie commerciale, au même
6
titre que les firmes. Cette nouvelle diplomatie conduit l’État à lutter pour les parts de
marchés internationaux et à soutenir les firmes nationales dans la concurrence
internationale. Elle pousserait également l’État à mettre en place un cadre normatif et
institutionnel à l’échelle régionale, permettant ainsi à ses firmes de bénéficier d’un
espace plus avantageux au développement de leurs activités.
L’analyse du rôle et de l’influence des firmes dans les relations économiques
internationales, plus spécifiquement le développement de leurs stratégies globales et
régionales, ne représente pas un champ développé de l’économie politique
internationale.9 À travers cette étude, notre objectif sera, dans un premier temps, de
palier cette absence relative en montrant comment, en s’internationalisant, les
entreprises jouent un rôle de premier ordre en économie politique internationale. Le
second objectif de cette recherche concernera l’impact de la globalisation et de la
régionalisation sur l’internationalisation d’une industrie nationale. Il s’agira d’évaluer
l’influence respective de chacun de ces processus sur les stratégies des firmes ou vice
versa. Ainsi, nous serons en mesure de contribuer au débat sur la complémentarité
entre globalisation et régionalisation, non pas à partir du point de vue des États, mais
plutôt des entreprises. Le troisième objectif majeur de la recherche, complémentaire
au précédent, sera d’élargir le débat entre régionalisation et globalisation afin d’y
intégrer le niveau national. Dans cette perspective, nous étudierons l’influence
respective de ces trois niveaux sur le développement des entreprises.
Les débats entourant le rôle de la firme, tant les firmes nationales que les
multinationales, aident à comprendre la croissance des brasseries mexicaines, de
même que leur processus d’internationalisation. En outre, les stratégies des entreprises
ne peuvent être saisies sans faire référence au cadre concurrentiel dans lequel ces
dernières évoluent. Les diverses approches de la concurrence complètent l’analyse
théorique de la firme.
Par ailleurs, les relations entre les firmes ne sont pas
uniquement marquées par la concurrence : les entreprises, surtout les firmes
transnationales, évoluent dans un contexte à la fois de concurrence et de coopération.
9
Dans le champ de la stratégie ou des affaires internationales, les stratégies des entreprises sont
amplement étudiées. Voir notamment Bartlett et Ghoshal (1989) et Porter (1990) pour des études
traitant du thème. Récemment, Rugman a analysé plus en détail les stratégies régionales et globales des
entreprises (Rugman et Girod, 2003; Rugman et Verbeke, 2004; Rugman et Hodgetts, 2003).
7
Dans cette optique, les débats sur les réseaux aident à mieux cerner la nature des
rapports coopératifs entre les entreprises. Les réseaux, en tant que mode
d’organisation, permettraient ainsi aux firmes de faire face aux défis de la
globalisation et de la régionalisation d’une part et contribueraient à une meilleure
compréhension du développement des firmes dans un cadre national/régional/global
d’autre part. En nous concentrant sur les stratégies des entreprises, nous nous
interrogeons en fait sur les théories économiques de la FMN, sur les formes
d’organisation des entreprises et sur leurs relations avec leur environnement.
En plaçant la firme au cœur de l’analyse, au même titre que les États, nous sommes
mieux en mesure de comprendre la nature des forces structurant les relations
internationales (Strange, 1992). Ainsi, à travers cette approche, nous sommes amenés
à analyser l’influence qu’exercent les entreprises sur les marchés et les États et vice
versa. L’importance du rôle des firmes s’explique alors par les rapports qu’elles
entretiennent avec ces deux institutions que sont les États et les marchés. Cette
importance se traduit également dans la capacité des entreprises à modeler l’actuel
système économique international émergent (WIR, 1992). Dans la recherche suivante,
l’application de cette démarche nous permettra de répondre à une question centrale en
intégration régionale et internationale : dans le cas d’un processus d’ouverture
économique nationale, est-ce que les stratégies d’internationalisation des firmes
nationales précèdent, accompagnent ou suivent les décisions de l’État national ? En
adoptant une telle perspective, nous serons mieux en mesure de saisir les réponses de
l’État, notamment en ce qui concerne la mise en place de cadres destinés à établir les
règles de fonctionnement de l’économie internationale.
Dans le dessein d’étudier les stratégies internationales des firmes, l’utilisation du
concept d’internationalisation nous apparaît tout indiqué. Ce concept nous permettra
de joindre à la fois les aspects régionaux et internationaux du développement des
firmes. Définie comme “le processus par lequel une entreprise augmente son
implication internationale, et les moyens ou modes d’entrée qu’elle utilise pour y
arriver” (Richelieu, 2002: 2)10, l’internationalisation permet tout aussi bien de rendre
10
Le World Investment Report de 1995 fournit environ la même définition que Richelieu. Le rapport
met aussi l’emphase sur la conséquence directe de l’internationalisation, à savoir un accroissement de
la concurrence internationale (WIR, 1995).
8
compte des stratégies de globalisation et de régionalisation des firmes. En outre, elle
renvoie à la nécessité pour les firmes d’être compétitives, tant sur les marchés
régionaux qu’internationaux (Sachwald, 1998).
Afin de distinguer les formes d’internationalisation qu’adoptent les entreprises, nous
avons choisi d’analyser le processus de développement international des brasseries
mexicaines Grupo Modelo et Cerveceria Cuauhtémoc-Moctezuma (CCM), les deux
firmes composant l’industrie brassicole nationale. Dans cette optique, et en
s’appuyant sur les théories de la firme et des réseaux, cette thèse étudiera le processus
d’internationalisation de l’industrie brassicole mexicaine à la lumière de la
concurrence et de la coopération entre les interentreprises.
En amont de la stratégie régionale qu’adopte l’État mexicain, Grupo Modelo et CCM
développent leurs propres stratégies, qui, même si elles vont dans deux directions
différentes, sont complémentaires. D’une part, elles initient une internationalisation
axée sur la recherche d’une présence sur le plus grand nombre de marchés possibles.
D’autre part, elles organisent leurs unités de production, de distribution et de
commercialisation de manière à accroître leur efficacité. Cette réorganisation se fait le
plus souvent sur une base régionale, le but étant de pénétrer les États-Unis dans un
premier temps et les autres régions du monde par la suite.
À partir de la seconde moitié des années 1980, l’industrie brassicole mexicaine s’est
retrouvée dans un double contexte d’ouverture économique accélérée et de
réorganisation des industries et des entreprises à la fois à l’échelle globale et à
l’échelle régionale. Durement touchée par la crise économique et financière de 1982,
une des trois entreprises allant même jusqu’à disparaître, la nécessité d’une
réorientation s’est imposée à l’industrie, tout comme elle s’avérait obligatoire pour
l’État mexicain. Bien que les brasseries mexicaines aient commencé à exporter depuis
plusieurs décennies, les marchés extérieurs n’étaient pas vus comme une priorité pour
celles-ci au début des années 1980, la concurrence interne étant l’élément déterminant
de la stratégie des brasseries. Toutefois, cette vision change radicalement au cours de
la décennie, les revenus en provenance des exportations représentant une source de
plus en plus grande de profit.
9
Bien que les brasseries mexicaines exportent vers les États-Unis depuis les années
1930, les marchés extérieurs n’étaient pas considérés comme une priorité pour cellesci avant la fin des années 1970, la concurrence interne constituant l’élément
déterminant de la stratégie des brasseries. Toutefois, avec la crise survient un
changement radical. Les brasseries mexicaines accéléreront leur internationalisation.
Les revenus en provenance des exportations représentent depuis lors une source de
plus en plus importante de devises et de profits.
Le cas du développement international des brasseries mexicaines nous permettra de
combiner l’analyse des trois niveaux d’activité des firmes à l’étude de leurs stratégies
d’internationalisation. C’est en somme une réflexion sur la nature et les déterminants
de la globalisation à laquelle nous nous livrerons. Cette réflexion nous conduira
également à replacer le rôle et l’importance de l’État dans le développement
international d’une industrie d’un pays en développement.
Les brasseries mexicaines sont influencées à la fois par les niveaux national, régional
et global de l’industrie brassicole, et cela à des degrés divers. Au niveau national, la
structure duopolistique de l’industrie semble exercer la plus grande influence sur la
trajectoire respective de Grupo Modelo et CCM ; au niveau régional, l’importance du
marché américain détermine en grande partie les résultats financiers et les stratégies
internationales des brasseries mexicaines ; au niveau international, les tendances à la
concentration des firmes et à la globalisation des marques obligent les brasseries
mexicaines à adopter des stratégies globales au même titre que leurs concurrentes.
La première phase de l’internationalisation de l’industrie brassicole mexicaine repose
exclusivement sur la régionalisation, ce qui est en lien avec l’évolution de l’économie
mexicaine. Durant la seconde phase, à partir de la fin des années 1980, la
globalisation constitue la force structurante des stratégies des brasseurs mexicains, du
moins dans le discours. En fait, un double processus se développe au sein de
l’industrie à partir de la présidence de Salinas de Gortari et l’ouverture de l’économie
mexicaine. D’une part, le discours général fait de la globalisation des activités de
l’entreprise l’axe majeur de son développement international. D’autre part, à ce
10
discours soulignant la volonté de globaliser l’activité de l’entreprise, se confronte la
réalité de la proximité géographique du principal marché d’exportation des brasseries
mexicaines. Cette proximité a pour effet d’accélérer la régionalisation de CCM et
Modelo.
C’est donc le processus de globalisation et de régionalisation de l’industrie brassicole
mexicaine qui fait principalement l’objet de cette thèse. Comment l'industrie
brassicole mexicaine a-t-elle fait face au triple changement survenu depuis le début
des années 80, à savoir l’ouverture de l’économie mexicaine, la globalisation de
l’économie internationale et l’intégration de plus en plus poussée de l’économie
mexicaine à l’économie américaine?
Cette étude est divisée en trois parties. La première est consacrée aux assises
théoriques de la recherche. Ces fondations permettront de comprendre le rôle que joue
la firme au sein des relations économiques internationales. Ainsi les théories de la
firme et des réseaux nous éclairent-elles sur les relations qu’entretiennent les
entreprises avec leur environnement, tant à l’échelle nationale que régionale ou
globale.
À
partir
de
cette
littérature,
nous
développerons
le
cadre
théorique, l’utilisation du concept de co-opétition (Nalebuff et Brandenburger, 1996;
Lado et al., 1997; Dagnino et Padoua, 2002) nous permet de rendre compte de la
nature à la fois concurrentielle et coopérative des relations interentreprises.
La deuxième partie traitera de l’environnement institutionnel de l’industrie brassicole
mexicaine, et ce aux trois niveaux mentionnés précédemment : national, régional et
global. Par environnement institutionnel, on entend les acteurs influençant le
développement de cette industrie : les États, les brasseries mexicaines et l’industrie
brassicole internationale.
La troisième partie analyse plus spécifiquement le processus d’internationalisation de
l’industrie brassicole mexicaine. En étudiant la croissance internationale des
brasseries mexicaines, nous nous questionnerons sur l’évolution de leurs stratégies de
croissance externe, tant au niveau régional que global. Bien que la globalisation
influence fondamentalement les stratégies des brasseries mexicaines, du moins dans le
11
discours, le marché nord-américain demeure la principale destination des exportations
des brasseries. Alors que Grupo Modelo poursuit une expansion globale, Cerveceria
Cuauhtémoc-Moctezuma n’a d’autre choix que de se replier sur le marché régional.
12
PREMIÈRE PARTIE :
L’ENTREPRISE, ACTEUR MAJEUR DE L’ECONOMIE
POLITIQUE INTERNATIONALE
13
CHAPITRE I
LA CONCURRENCE ET LA COOPÉRATION, LES DEUX
FACES DE L’INTÉGRATION INTERNATIONALE
L’intégration de la production internationale constitue l’une des caractéristiques
centrales de la globalisation. Elle découle non seulement de l’intégration croissante
des économies nationales, mais aussi et surtout de l’activité des firmes multinationales
(FMN) (WIR, 1993). Cette internationalisation passe non seulement par la production
sur place (l’IDE ou l’investissement de portefeuille entre autres) mais également par
l’exportation et les ventes internationales. Il en résulte un accroissement de la
concurrence pour les parts de marché internationales, alors que les firmes cherchent
de nouveaux débouchés pour leurs produits ou de nouvelles localisations permettant
de produire à des coûts réduits.
Toutefois, les rapports interentreprises ne sont pas limités à la simple concurrence,
qu’elle soit nationale ou internationale. La globalisation, en provoquant des mutations
dans la projection et les stratégies internationales des firmes, force ces dernières à
repenser la nature de leurs relations. Dans leur recherche de rentabilité et de réduction
des coûts, les entreprises sont également conduites à collaborer. Cette nouvelle
configuration des relations économiques internationales, l’accélération de la
concurrence et la nécessité de coopérer, posent la question des causes ayant entraîné
de telles décisions et stratégies de la part des entreprises.
Au niveau théorique, deux littératures distinctes, les théories de la firme et des
réseaux, reflètent les activités des firmes dans leur processus de développement
international. Compte tenu de la nature à la fois concurrentielle et coopérative
qu’implique l’internationalisation des entreprises (Culpan, 2002), et ce, tant aux
niveaux national, régional et global, ces théories nous aident à mieux saisir les
logiques et les stratégies employées par les brasseries mexicaines d’une part, et les
brasseries multinationales d’autre part.
14
Les théories de la firme ont évolué au cours des décennies, parallèlement au
développement international des entreprises. Elles sont passées de l’analyse de la
firme et de ses conditions d’émergence sur le marché local et national aux stratégies
d’internationalisation et de globalisation de celle-ci. Néanmoins, un élément d’analyse
est demeuré constant au fil des ans : l’aspect concurrentiel de la firme. Les théories
des réseaux complèteront les analyses de la firme en insistant sur les causes et les
effets de la coopération interentreprises. En élargissant le champ des activités de
l’entreprise, ces théories se posent en fait la question de la frontière de la firme.
1.1
Les firmes : de la naissance à la globalisation, l’influence de la
concurrence
1.1.1
La firme comme unité d’analyse
Bien qu’une riche littérature traite de la théorie de la firme, la quasi totalité des
approches reconnaissent que la firme possède au moins trois caractéristiques de base
(Chandler, 1992).11 Là où les divergences se manifestent concerne l’unité d’analyse.
On distingue deux grands courants : ceux pour qui la firme constitue l’unité d’analyse
de base et ceux pour qui ce sont les fonctions de la firme qui représentent le principal
objet d’étude.12
Selon la théorie néo-classique, l’équilibre général représente l’état optimal de
l’économie de marché. Dans cette situation, les relations entre les agents économiques
se déroulent à l’intérieur du marché et les prix jouent le rôle de régulateur, assurant
l’allocation efficace des ressources. Dans cette conception, l’existence de la firme
n’apparaît pas comme une nécessité. Toutefois, étant donné l’existence de celle-ci, la
théorie doit en tenir compte.
11
Selon Chandler, quatre grands courants se démarquent : la théorie néo-classique, la théorie de
l’agence, la théorie des coûts de transaction et la théorie évolutionniste. Il avance qu’une firme, quelle
que soit l’approche théorique adoptée, possède trois caractéristiques fondamentales : elle est à la fois
une entité légale et administrative ; elle réunit un ensemble d’actifs physiques, de compétences apprises
et de capitaux; finalement, elle constitue la principale source de production et de distribution de biens
et services au sein de l’économie de marché (Chandler, 1992).
12
Cependant, l’ensemble de ces théories conçoit l’entreprise comme un rouage ou une dimension de
l’économie de marché (De Brandt, 1995).
15
Selon les néoclassiques, les firmes se caractérisent par quatre éléments centraux.
Premièrement, elles sont composées de décideurs indépendants les uns des autres.
Ensuite, ces décideurs, se basant sur les prix et les coûts affichés sur des marchés
anonymes, les utilisent pour l’achat de l’ensemble de leurs intrants (capital, travail et
matières premières). Troisièmement, elles transforment ces inputs en produits en
utilisant les technologies disponibles. Finalement, elles vendent leur production sur
d’autres marchés anonymes (Milgrom et Roberts, 1997).
Cependant, malgré la
théorisation de celle-ci, la firme demeure une entité somme toute négligeable, sans
réel pouvoir de marché. Sa particularité tient au fait qu’elle représente “une fonction
de production à travers laquelle se combinent des relations efficaces entre les produits
et les recettes dans la perspective de maximiser la rentabilité, opérant sous la base de
prix formés à partir des coûts de production.” (Garrido, 2000: 89)
La vision néoclassique est toutefois fortement contestée. D’une part, elle ne touche
aucunement aux questions liées à la frontière de la firme, aux facteurs influençant sa
taille, à son mode de financement (quand et pourquoi faire appel à l’endettement ou
aux fonds propres), à la gouvernance corporative, à l’organisation du travail ou la
décision de “produire” ou d’acheter (Williamson, 1990). Outre cette vision abstraite,
la théorie néoclassique minimise le rôle de l’État, réduisant celui-ci à ses fonctions
régaliennes (Garrido, 2000). De plus, l’existence de relations à long terme entre les
firmes remet en cause le caractère d’anonymat du marché. Granovetter (1985)
soutient que l’idée d’un marché anonyme apparaît comme une fantaisie dans le cadre
de l’activité économique moderne. Les transactions au sein de ce marché
apparemment anonyme sont en fait généralement accompagnées de relations sociales
entre les acteurs.
La seconde grande théorie de la firme, l’évolutionnisme (Nelson et Winter, 1982;
Winter, 1993) trouve son origine dans les travaux de l’école autrichienne,
particulièrement Schumpeter, pour qui l’innovation13 joue un rôle central. À travers la
critique de l’approche purement théorique des néo-classiques, l’évolutionnisme
explique le développement de la firme par un processus de changement continu.
13
Si l’innovation, définie comme l’introduction de nouvelles fonctions de production, constitue la base
de la théorie de l’évolutionnisme, son fondement épistémologique se trouve dans la biologie
évolutionniste. À cet effet, on consultera Nelson et Winter (1982).
16
L’entreprise est ainsi conçue comme un ensemble de capacités technologiques
différenciées ainsi que d’actifs spécifiques et de routines. C’est à travers un processus
d’évolution endogène que la firme acquiert les connaissances et l’expérience
nécessaires à son développement et sa croissance. Ce processus de transformation
peut être lent et par étapes ou bien rapide et par ruptures (Garrido, 2000).
Ce qui intéresse donc les théoriciens de l’évolution, ce sont les comportements de la
firme dans le temps. Il s’agit ici de comprendre les dynamiques à l’œuvre afin
d’expliquer la situation actuelle de l’entreprise à partir de ses antécédents. On
soulignera ainsi que la répétition et l’expérimentation constituent les fondements de
l’apprentissage et à ce titre, différencient une firme de l’autre. En somme, la théorie
évolutionniste unit une approche du changement technologique à une approche
behaviorale de la firme dans un contexte de concurrence schumpetérienne.
Les théories « partielles » se distinguent des théories générales dans la mesure où elles
ne prennent pas la firme comme un tout. Ces théories étudient la firme de l’intérieur.
Les théories basées sur les contrats émergeront ainsi en analysant les relations à
l’intérieur de la firme. La théorie de l’agence se concentrera sur les relations entre les
dirigeants de la firme. Elle soutient que dans la mesure où la propriété et la gestion
sont généralement séparées dans les entreprises de grande taille, il convient de
comprendre leur rôle respectif. Bien qu’elle accepte la prémisse néoclassique de la
firme en tant que fonction de production, la théorie accorde davantage d’importance
au rôle des gestionnaires, de même qu’aux relations entre ceux-ci (l’agent) et les
propriétaires de l’entreprise (le principal).14 Dans la perspective de l’agence, la firme
est conceptualisée comme un nœud de contrats entre divers facteurs de production et
un agent central, l’entrepreneur15. Ces contrats concernent l’ensemble des
propriétaires des facteurs de production (employés, sous-traitants, fournisseurs, etc.)
(Alchian et Demsetz, 1972).
14
Fama (1980) établit une distinction entre ceux qui gèrent la firme et ceux qui assument les risques
(financiers). Les problèmes d’agencement seront alors étudiés à la lumière de la relation entre les
gestionnaires et les entrepreneurs.
15
Pour Alchian et Demsetz (1972), l’agent central de la firme est son propriétaire. En tant que tel, il
possède les droits de propriété de la firme et peut vendre ce droit résiduel. L’agent central est impliqué
dans l’ensemble des contrats liant la firme aux propriétaires des facteurs de production. En outre, il
possède la capacité de renégocier n’importe quel contrat de manière indépendante.
17
C’est à partir des années 1970 que prend forme la seconde théorie basée sur les
contrats, la théorie des coûts de transaction, grâce surtout aux travaux de Williamson
(1975, 1981 et 1985). Dans son acception la plus simple, la théorie affirme que dans
les conditions de concurrence pure et parfaite, les coûts reliés à la coordination et à
l’allocation des ressources sont équivalents à zéro. Les relations passent alors
exclusivement par les marchés puisque ceux-ci, à travers les prix, fournissent la
totalité des informations nécessaires à la prise de décision. Dans de telles
circonstances, l’incertitude n’existe pas.
Coase ([1937] 1988) est le premier à avoir analysé la firme de manière systématique à
partir de ses fonctions. Il s’attarde à définir l’entreprise, ses conditions d’émergence,
de même que ses frontières.16 Selon lui, la firme est une organisation qui transforme
les intrants en extrants ; elle est également un système de relations qui émergent
lorsque la gestion des ressources (productives) dépend d’un entrepreneur.17
L’entreprise naît lorsque les coûts de transaction engendrés par les relations de
marché deviennent plus élevés que s’ils étaient pris en charge par une entité unique ; il
s’avère alors nécessaire de créer une institution afin de prendre en charge ces coûts.18
La firme croîtra jusqu’à ce que ses coûts de transaction soient équivalents à ceux du
marché; au-delà de cet équilibre, il devient plus avantageux de passer directement par
le marché.19
L’approche transactionnelle étudie les coûts liés à la planification, l’adaptation et la
surveillance des diverses tâches à l’intérieur de la firme (Williamson, 1981). L’unité
d’analyse de base est la transaction, soit le transfert de biens et services entre deux
individus (Milgrom et Roberts, 1997; Williamson, 1981). Les coûts liés aux diverses
16
Dans son étude fondatrice, Coase soutient que les marchés ne constituent pas l’unique mode de
coordination de l’activité économique. Bien que la production puisse être totalement organisée par le
marché, en se basant sur des relations contractuelles entre les individus, les coûts de transaction
qu’entraînent de telles relations favoriseront l’émergence de la firme (Coase, [1937] 1988).
17
Coase, contrairement aux néoclassiques, avance que la firme et le marché, qu’il définit comme une
institution permettant la facilitation de l’échange afin de réduire les coûts de transaction, représentent
les deux éléments constitutifs de la structure institutionnelle du système économique (Coase, 1988).
18
Coase identifie deux types de coûts : ceux associés à la découverte des prix sur les marchés et ceux
reliés à l’établissement d'un contrat pour chaque échange (Coase, 1988).
19
Coase n’utilise pas le terme de coûts de transaction; il emploie plutôt l’expression de “coûts de
transaction de marché” (Coase, 1998).
18
transactions nécessaires à la réalisation des activités de la firme détermineront le
mode de coordination privilégiée. Si les coûts sont nuls, on a intérêt à passer par les
relations de marché. Toutefois, en présence de coûts de transaction, il devient
préférable pour la firme de les internaliser.
Bien que l’approche transactionnelle ait connu un développement rapide depuis les
travaux de Williamson, elle souffre néanmoins de certaines faiblesses. Les théoriciens
de l’encastrement20 ont souligné que la vision d’un marché anonyme apparaît comme
une fantaisie dans le cadre de l’activité économique moderne. Les transactions au sein
de ce marché supposé anonyme se déroulent en fait dans le cadre de relations sociales
pré-existantes (Granovetter, 1985)21. Moran et Ghoshal (1996) soutiennent que la
théorie des coûts de transaction conçoit les marchés et les hiérarchies comme des
institutions interchangeables, alors qu’ils possèdent chacun des logiques internes
propres. En ignorant une telle distinction, la théorie ne peut parvenir à des conclusions
normatives satisfaisantes, à même de développer les capacités organisationnelles des
entreprises.
Si les théories économiques permettent de comprendre la logique de l’existence de la
firme, les théories stratégique et managériale de la firme facilitent la compréhension
de son organisation interne. Chandler (1962, 1977, 1990), en étudiant l’évolution de
l’entreprise industrielle, a montré l’importance des innovations organisationnelles au
sein de l’entreprise. Dans un premier temps, la firme se caractérise par une structure
hiérarchisée, la forme “U”, où les fonctions sont divisées verticalement entre les
diverses unités de l’entreprise. Par la suite, l’entreprise évolue et adopte une forme
multidivisionnelle, la forme “M”, où les divisions sont autonomes les unes des autres
et fonctionnent
de manière quasi indépendante. L’adoption d’une telle structure
permet à la firme de développer des stratégies plus efficaces, caractérisées par une
plus grande flexibilité, des économies d’échelle et une meilleure coordination de la
production.
20
Voir surtout Granovetter (1985).
Cet argument est également utilisé par Gulati, Nohria et Zaheer (2000). Dans une approche
davantage managériale, les auteurs notent que la théorie des coûts de transaction renferme un biais
implicite quant à la fréquence des transactions. Ainsi, la transaction est traitée comme un événement
unique, alors que la régularité des relations sociales grâce auxquelles elle a lieu implique une forte
probabilité de répétition.
21
19
1.1.2
La concurrence, un mode de relation interentreprise
Les débats autour de la concurrence concernent non seulement les firmes, mais
également les États. On parle ainsi de concurrence dans le cas des premières et de
compétitivité dans le cas des seconds. Dans le cadre de cette recherche, nous
aborderons principalement la concurrence entre les firmes.22 Dans les économies de
marché, la concurrence joue un rôle fondamental puisqu’elle “permettrait la
détermination non-arbitraire des prix et des quantités échangées et une allocation
optimale des ressources.” (Rioux, 2000b: 4)
Traditionnellement, les théories de la concurrence se positionnent vis-à-vis de la
théorie néo-classique et du modèle de concurrence pure et parfaite car celle-ci s’est
imposée au cours des années 1920-30 comme le cadre de référence de l’analyse
économique. Alors que les premières théories adoptaient une vision statique de la
concurrence (la concurrence pure et parfaite, la concurrence monopolistique ou
imparfaite et la théorie structuraliste) et que le courant autrichien voyait plutôt en la
concurrence un processus dynamique sans cesse à la recherche de l’équilibre, les
nouvelles théories de la concurrence (l’école de Chicago et la théorie des marchés
contestables entre autres), quoique rattachées au courant néo-classique cherchent à
dynamiser les anciens modèles statiques.
La théorie néo-classique de l’équilibre général cherche à expliquer la nature des
structures de marché dans une économie basée sur les prix. C’est avec Risk,
uncertainty and profit de Knight ([1921]1964), que la théorie de la concurrence pure
et parfaite sera formalisée. Knight identifie cinq conditions de fonctionnement d’un
marché en situation de concurrence parfaite : l’atomicité du marché, l’homogénéité du
produit, la libre entrée et sortie, la transparence et la mobilité des facteurs de
production (Knight, [1921]1964).23 La concurrence pure et parfaite, dans ces
22
Pour une revue de la littérature sur la compétitivité de l’État, voir Rioux (2000a).
L’atomicité renvoie à la présence d’un grand nombre de vendeurs et d’acheteurs sur le marché;
l’homogénéité du produit signifie que celui-ci est identique d’un producteur à l’autre, permettant ainsi
au consommateur de substituer les vendeurs; la libre entrée et sortie fait référence au fait qu’il n’existe
pas de barrière à l’entrée ou à la sortie; la transparence suppose que les individus possèdent une
connaissance parfaite de l’état du marché et que l’information est gratuite ; la mobilité des facteurs de
23
20
conditions, représente l’état idéal de l’économie car elle correspond à une allocation
optimale des ressources de type Pareto. Dit autrement, en situation de concurrence
pure et parfaite, il y a concordance exacte entre l’offre et la demande. Toutefois, cette
situation apparaît rarement dans la réalité ; les théoriciens de la concurrence pure et
parfaite reconnaissent d’ailleurs que celle-ci représente avant tout un idéal-type, ce
vers quoi devrait tendre l’économie.
L’existence d’oligopoles conduira les théoriciens de la concurrence à contredire les
postulats de la théorie de la concurrence pure et parfaite. Selon Robinson (1933) et
Chamberlin ([1931] 1948), notamment, les entreprises, grâce aux économies d’échelle
qu’elles réalisent et aux capacités excédentaires qui en découlent, influencent la
fixation des prix. Dans une telle situation, les ressources sont utilisées de manière
sous-optimale ; se pose alors la nécessité d’une coordination entre les firmes afin de
fixer les prix. Celle-ci permet aux entreprises de limiter la concurrence, s’assurant
ainsi de maximiser leurs profits.24
La théorie structuraliste – que d’aucuns appellent l’école de Harvard – se montre
méfiante vis-à-vis du pouvoir de marché des firmes dominantes et des oligopoles.
Adoptant une approche behavioraliste, les tenants de cette théorie s’intéresseront à
l’environnement dans lequel opère la firme et la manière dont elle se comporte en tant
que productrice, vendeuse et consommatrice. Selon Bain, le représentant le plus
important de cette école, c’est à partir de l’étude du comportement concurrentiel des
firmes que l’on peut mieux percevoir les structures de marché existant (Bain, 1950:
38). Bain explique comment, dans un marché oligopolistique caractérisé par de fortes
barrières à l’entrée,25 les entreprises peuvent profiter des imperfections de marché afin
de modifier le jeu concurrentiel à leur avantage alors que les prix sont supérieurs aux
production implique que ceux-ci puissent se déplacer d’un marché à l’autre au sein de l’économie
nationale. Dans le cas où il y a absence de transparence, on parlera alors de concurrence pure au lieu de
pure et parfaite (Burke, Genn-Bash et Haines, 1988).
24
On souligne toutefois que la capacité prédictive de la théorie n’est pas sensiblement supérieure à la
théorie de la concurrence pure et parfaite (Archibald, 1961 ; Auerbach, 1988). Par ailleurs, Devine et
al. (1985) remarquent qu’ironiquement, la théorie monopolistique trouve son aboutissement dans
l’analyse de la concurrence pure et parfaite, alors qu’elle partait d’une critique de celle-ci. La difficulté
qu’éprouve la théorie à intégrer le concept d’industrie, de même que la possibilité de généralisation de
la théorie de la concurrence pure et parfaite expliquent ce paradoxe.
25
Il existe trois types de barrières à l’entrée selon Bain : les économies d’échelle, les avantages de
coûts absolus ainsi que les avantages découlant de la différenciation des produits (Bain, 1956).
21
coûts moyens de production.26 La principale conséquence de ces barrières à l’entrée
est la concentration des entreprises, ce qui entraîne une réduction du bien-être des
consommateurs.
En réponse à la théorie structuraliste et de sa méfiance vis-à-vis du pouvoir de marché
des firmes, une approche s’est développée mettant l’emphase sur l’efficacité des
entreprises. L’école de Chicago-UCLA, voit en la concurrence le moteur de l’activité
économique. S’inscrivant dans la tradition de l’analyse de la concurrence imparfaite et
s’inspirant du laisser-faire schumpétérien, elle lie concentration et efficacité. Selon
cette conception, les structures de marché, telles qu’elles se présentent dans
l’économie réelle, représentent la meilleure forme d’allocation des ressources qui soit
(Baumol et Fischer, 1978). La concurrence, même si elle conduit à une forte
concentration au sein de l’industrie, ne doit donc pas être réglementée par les autorités
politiques. L’existence de firmes dominantes ou de monopoles résulte d’une
performance supérieure de leur part, ainsi que d’une plus grande efficacité.
Se distanciant de l’école de Chicago, la théorie des marchés contestables tentera une
synthèse des principaux courants théoriques de la concurrence. Certains y voient la
généralisation de la théorie de la concurrence pure et parfaite (Appelbaum et Lim,
1985), d’autres une révision de la théorie des structures de marché (Hirschey, 1985)
ou une théorie générale de l’organisation industrielle (Baumol, 1982). Un marché est
contestable lorsque trois conditions sont réunies : l’entrée sur le marché est
complètement libre et la sortie n’entraîne aucun coût ; il n’existe pas de coûts
irréversibles (sunk costs) pour les firmes entrantes. (Baumol, 1982) ; finalement, les
firmes dominant le marché ne peuvent répondre assez rapidement par une réduction
de prix afin de contrer le nouvel arrivant (Cairns et Mahabir, 1987). L’ancrage central
de la théorie est la possibilité d’une stratégie d’entrée et de sortie rapide (hit and run)
par un nouvel arrivant, ce qui doit suffire à discipliner les entreprises présentes sur le
marché.27
26
Dans de telles situations, la théorie de la concurrence pure et parfaite avance que de nouvelles firmes
entreront sur le marché afin de bénéficier des profits élevés disponibles.
27
Dixit (dans Brock, 1983) a précisé les quatre conditions économiques nécessaires afin qu’il existe un
parfait état de contestabilité : 1) toutes les entreprises doivent avoir accès à la même technologie ; 2)
cette technologie peut engendrer des économies d’échelle, mais ne doit pas entraîner de coûts
irréversibles ; 3) les firmes déjà présentes sur le marché peuvent modifier les prix uniquement dans le
22
Malgré un accueil généralement favorable, la théorie des marchés contestables
demeure critiquée. Alors qu’elle se veut une théorie de la possibilité d’entrée sur un
marché, elle ne traite pas des conditions d’entrée, mais plutôt des confrontations postentrées. D’autre part, elle implique des degrés et variations d’entrée logiquement
impossibles (Shepherd, 1984). Parmi les autres réserves soulevées, notons
l’inquiétude de Schwartz (1986) quant à la possibilité logique de la parfaite
contestabilité. De plus, il note que la théorie ne peut répondre à la question suivante :
que se passe-t-il lorsqu’une industrie est caractérisée par de l’incertitude ? Cependant,
sa critique la plus forte concerne le cœur de la théorie, soit la possibilité pour une
firme entrante d’adopter une stratégie de hit and run. Schwartz souligne qu’une telle
stratégie est impossible dans un marché dominé par des économies d’échelle. En
outre, la capacité de réponse rapide de la firme dominante réduit la facilité d’entrée et
de sortie pour une firme concurrente.
En somme, les théories néo-classiques, au fil de leur développement, en sont arrivées
à concevoir la concurrence comme un état de fait, le résultat des processus
économiques, plutôt que le processus de concurrence en lui-même (Kirzner, 2000).28
Si les théories précédentes ont comme point commun leur caractère statique, l’école
autrichienne prône un retour à une conception plus dynamique de la concurrence. La
critique centrale de la théorie de la concurrence pure et parfaite est que celle-ci traite
d’un état de fait et non d’un processus. Les économistes de l’école autrichienne
cherchent à expliquer comment se déroule la concurrence dans le monde réel, par
opposition à l’idéal-type du marché concurrentiel des tenants de la concurrence pure
et parfaite. Dans cette conception, l’économie est constamment en mouvement, ce qui
crée sans cesse des opportunités pour les entrepreneurs, dont l’esprit innovateur
représente le véritable moteur du capitalisme (Schumpeter, 1954).29
cas d’un retard (time lag) non nul ; 4) les consommateurs doivent répondre aux différences de prix avec
un faible retard.
28
Hayek réserve sa critique la plus sévère pour l’assomption de transparence, argumentant qu’il est
logiquement impossible pour tous les individus d’avoir une connaissance parfaite de l’ensemble des
éléments influençant le marché sur lequel ils évoluent (Hayek, 1948).
29
Bien qu’il ne soit pas strictement rattaché à l’École autrichienne, Schumpeter partage certaines de ses
croyances. En particulier, il soutient que l’action des marchés libres, si elle crée des firmes
23
En fait, Schumpeter considère l’innovation comme la réponse aux pratiques
monopolistiques et anticoncurrentielles des firmes dans la mesure où elle “réduit
grandement, en durée et en importance, l’influence des pratiques qui visent, en
restreignant la production, à maintenir des situations acquises et à maximiser les
profits qu’elles procurent” (Schumpeter, 1954) Cette innovation permanente entraîne
un processus de destruction créatrice30, dont la conséquence est l’émergence
perpétuelle de nouveaux concurrents. Dans la conception schumpetérienne, la grande
entreprise joue un rôle fondamental, car elle est en mesure d’utiliser les capitaux à sa
disposition afin de profiter des innovations (à travers la R&D).
Contrairement aux théories néo-classiques, l’approche autrichienne ne voit pas d’un
mauvais œil l’existence de monopoles ou d’oligopoles.31 Hayek, pour sa part, est
davantage préoccupé par l’absence de concurrence que par les notions de concurrence
parfaite ou imparfaite. Selon lui, la concurrence est un processus impliquant des
changements constants dans les données disponibles aux individus (Hayek, 1948).
Hayek se montre préoccupé par la dérive que prend la théorie de la concurrence sous
l’impulsion des néo-classiques. Il considère qu’un retour à une conception classique
de la concurrence, en terme dynamique, permet de mieux saisir les relations entre les
agents économiques.
1.1.3
De l’internationalisation à la globalisation de la firme
Si les théories de la firme ont permis d’entrer à l’intérieur de la boîte noire qu’est
l’entreprise, et si les diverses approches de la concurrence ont analysé les motivations
des entreprises, elles sont principalement restées à l’échelle nationale. Afin de
comprendre pourquoi les entreprises se sont internationalisées durant le XXè siècle,
un détour sur les théories de la firme multinationale s’impose.
monopolistiques, demeure préférable à toute intervention étatique. En outre, le monopole n’est pas
destructeur de bien-être si le monopoleur continue d’innover.
30
Schumpeter définit la destruction créatrice comme un “processus de mutation industrielle qui
révolutionne incessamment de l’intérieur la structure économique, en détruisant continuellement ses
éléments vieillis et en créant continuellement des éléments neufs” (1954: 164).
31
Il faut d’ailleurs souligner que sur ce point, l’école de Chicago est fortement influencée par les
“Autrichiens” : le concept d’efficacité, à la base de la théorie du laisser-faire de Chicago équivaut à
celui d’innovation qu’utilise Schumpeter.
24
Les premières théories de l’internationalisation de la firme, à travers la recherche des
causes du développement international des entreprises américaines, se veulent des
théories générales de la FMN. Elles représentent en quelque sorte une réponse à
l’insatisfaction provoquée par l’incapacité de la théorie orthodoxe de l’échange
international à expliquer pourquoi les firmes américaines se multinationalisent.32
Deux versions sont ainsi offertes. Une première approche explique l’expansion
internationale des entreprises par leur pouvoir de marché. Ainsi la firme possèderait
des avantages spécifiques sur ses concurrentes (Hymer, [1960] 1976; Kindleberger,
1969, Caves, 1971). Les théories rattachées à ce premier courant constituent une
extension de la théorie de la firme au niveau international. La seconde approche sera
celle du cycle de vie du produit.
Hymer part d’une double critique de la théorie des échanges internationaux et de la
multinationalisation des firmes.33 Étant donné que la théorie de l’investissement
international ne peut expliquer comment et pourquoi les entreprises réalisent des
investissements à l’étranger, Hymer tente alors de répondre à la question suivante :
pourquoi la firme entreprend-t-elle des opérations à l’étranger à travers l’IDE
34
?
Deux réponses émergent : d’une part, afin de limiter, voire éliminer la concurrence sur
des marchés aux conditions de concurrence imparfaite ; d’autre part, afin de profiter
de certains avantages qu’elle possède vis-à-vis ses concurrentes, tant dans son pays
32
La théorie classique de l’échange international affirme que deux pays ont intérêt à se spécialiser dans
leurs échanges selon leurs avantages comparatifs. Le théorème Hecksher-Ohlin-Samuelson remet cette
approche en question en indiquant que les échanges entre les pays s’expliquent principalement par la
différence dans les dotations en facteurs de production (capital, travail). Ces théories ne concernant
donc pas la firme en tant que telle, elles sont incapables d’expliquer pourquoi une firme choisira
d’établir une partie de sa production à l’extérieur de son pays d’origine.
33
La théorie acceptée jusqu'à Hymer soutient que les firmes se multinationalisent en raison d’une
différenciation des taux d’intérêt : un investissement a lieu lorsque les retours attendus sont élevés.
Outre le fait que la théorie se préoccupe uniquement des investissements de portefeuille et non des
investissements directs à l’étranger, Hymer note qu’elle ne prend aucunement en compte l’incertitude,
les risques possibles ou les barrières au mouvement des capitaux (Hymer, [1960] 1976).
34
Andreff définit l’IDE comme “un capital investi dans la propriété d’actifs réels pour implanter une
filiale à l’étranger ou pour prendre le contrôle d’une entreprise étrangère existante ; il vise à établir des
relations économiques durables avec une entité établie à l’étranger.” (Andreff, 1996: 7) L’IDE diffère
de l’investissement de portefeuille en raison des objectifs de chacun : alors que l’objectif de l’IDE est
d’acquérir le contrôle d’une entreprise, l’investissement de portefeuille vise principalement à générer
un revenu de ce placement. Une autre distinction possible est la volatilité des investissements :
l’investissement de portefeuille serait de plus courte durée que l’IDE. Mais dans tous les cas de figure,
il n’est pas aisé de distinguer l’une de l’autre. Le fait que les réglementations nationales varient en ce
qui concerne le seuil de contrôle d’une entreprise ajoute à cette complexité.
25
d’origine qu’à l’étranger. Bien que plusieurs stratégies d’internationalisation s’offrent
à la firme (licence, joint-venture ou exportation par exemple), Hymer soutient que la
firme a avantage à produire à l’étranger car seulement ainsi peut-elle prendre avantage
des imperfections de marché.35
La théorie de Hymer doit être considérée comme l’extension de la théorie de la firme
coasienne à l’échelle internationale.36 On retrouve les mêmes caractéristiques
expliquant le développement de la firme à l’interne dans la théorie de la firme
multinationale de Hymer. Kindleberger et Caves complèteront l’approche des
avantages monopolistiques de la firme d’Hymer. Alors que Kindleberger (1973)
souligne que les firmes utilisent leurs avantages spécifiques afin de produire des biens
différenciés et ainsi servir plusieurs marchés, Caves (1971) montre comment l’IDE se
concentre principalement au sein des industries caractérisées par une structure de
marché oligopolistique, tant dans le pays d’origine que dans les pays hôtes.37
Contrairement à la théorie du pouvoir de marché, Vernon affirmera que les firmes
américaines peuvent bénéficier d’un avantage absolu, mais temporaire, sur leurs
concurrentes (Vernon, 1971). À travers le concept du cycle du produit, Vernon note
que l’avantage technologique de la firme pousse cette dernière à passer d’une
production nationale à l’exportation, puis à la localisation à l’étranger. Selon cette
approche, l’internationalisation des entreprises, américaines d’abord, européennes et
japonaises ensuite, passe par cinq étapes distinctes : l’innovation, le lancement, la
standardisation, la maturité et le déclin. Dans un premier temps, elles créent de
nouveaux produits afin de répondre à une demande croissante sur le territoire national.
Étant donné les avantages spécifiques qu’elles possèdent, elles exportent leurs
produits à l’étranger par la suite, s’assurant ainsi une position dominante. Lorsque
leurs positions sont menacées, les firmes établissent des filiales à l’étranger afin de
35
Cette situation pousse d’ailleurs Hymer à prédire que l’internationalisation concernera certaines
industries à travers le monde plutôt que l’internationalisation de toutes les industries dans quelques
pays.
36
D’ailleurs, le titre de sa thèse reflète très bien cette idée : “The international operations of national
firms”.
37
Caves affirme que l’oligopole constitue la structure se prêtant le mieux à l’internationalisation des
firmes nationales. En outre, cette structure de marché repose en grande partie à la fois sur la
différenciation du produit et les économies d’échelle découlant de la production internationale de la
firme.
26
maintenir leur avantage. Celui-ci ne dure qu’un temps, car les firmes imitatrices
rattrapent leur retard, éliminant du coup l’avantage de l’entreprise innovatrice
(Vernon, 1971).
Selon Vernon, au-delà des attributions de l’entreprise, ce sont les origines nationales
de celle-ci qui expliquent leurs avantages. Le modèle de Vernon, en intégrant les
facteurs technologiques à l’investissement international et à la localisation, permet
d’expliquer le développement commercial international de la firme. Cependant, le
rattrapage de l’Europe et du Japon durant les années 1970 limitera sensiblement le
pouvoir explicatif du modèle. En effet, la capacité d’innovation des pays “imitateurs”
permet une production apte à l’exportation, invalidant du même coup la thèse de
Vernon. Celui-ci intégrera les critiques vis-à-vis le cycle du produit en introduisant le
modèle du cycle oligopolistique (Vernon, 1979). Les avantages nationaux sont mis de
côté au profit des caractéristiques propres des FMN. Vernon soutient qu’elles
maintiennent leurs avantages en ayant recours à des barrières à l’entrée,
principalement au niveau de la commercialisation et de la distribution. En se
concentrant exclusivement sur les attributs de la firme, Vernon délaisse le monde des
États pour se centrer sur les entreprises.
Alors que les premières approches de l’internationalisation de la firme se concentrent
sur l’IDE versus l’exportation, à partir du milieu des années 1970, on assiste au
développement de la théorie de l’internalisation, l’équivalent à l’échelle internationale
de la théorie des coûts de transaction. Bien que s’inspirant du courant du pouvoir
monopolistique (Hymer, [1960]; Kindleberger, 1973; Caves, 1982), les internalistes
reprochent à celui-ci de ne pas accorder assez d’importance aux “imperfections
naturelles (de marché) qui limitent la performance des marchés internationaux et, par
conséquent, de négliger les effets positifs de l’intégration corporative multinationale”
(Rioux, 2000a: 62).38 La théorie de l’internalisation peut être considérée comme le
38
Buckley et Casson (2000) soulignent que le modèle basé sur le pouvoir de marché des firmes n’est
pas adapté aux conditions de concurrence des années 1990, car il demeure statique et ne prend pas en
compte la volatilité des marchés. Selon ces auteurs, la constante recherche d’innovation et l’entrée sans
cesse de nouveaux concurrents entraînent un accroissement de l’incertitude et de la volatilité des
marchés internationaux. Ceci implique que les entreprises doivent absolument être flexibles, qu’elles
doivent avoir la capacité de réallouer efficacement et rapidement les ressources dans un contexte de
changement.
27
prolongement et la sophistication des théories d’organisation industrielle, dans la
mesure où l’internalisation est une stratégie par laquelle la firme maintient le contrôle
de ses opérations et suspend le fonctionnement des marchés en organisant un marché
interne, remplaçant du même coup le marché externe (Buckey et Casson, 2000;
Rugman, 1982).
À l’origine, l’objectif de la théorie est d’expliquer la croissance de la firme (Buckley
et Casson, 1976). Deux prémisses en constituent la base : d’une part, les firmes
choisissent toujours la location la moins coûteuse pour chacune de leurs activités
économiques ; d’autre part, elles croissent en internalisant les marchés jusqu’au point
où les coûts de l’internalisation dépassent les bénéfices (Buckley, 1988). On retrouve
ici la frontière de la firme, telle que la conçoit la théorie des coûts de transaction. Pour
les internalistes, la firme, possédant des avantages spécifiques, a intérêt à internaliser
ses opérations à l’échelle internationale.
Jones (1996), Cantwell (1991) et Dunning (1988) soulignent que l’objectif premier de
la théorie est d’analyser les imperfections de marché pour les produits intermédiaires.
L’existence de la FMN s’explique alors par la nécessité de réduire les coûts de
transaction reliés à ces marchés. Les défaillances de marché dans les marchés de
produits intermédiaires et la nécessité pour les firmes d’exploiter les économies
dérivant d’activités interdépendantes conduisent ces dernières à remplacer les
mécanismes de marché de transactions transfrontalières par des hiérarchies
internalisées. Ainsi, la FMN est vue comme une organisation (Rugman, 1982) ou une
institution (Jones, 1996) possédant la capacité de coordonner ses activités à l’échelle
internationale. La théorie ne cherche pas à étudier les rapports entre la FMN et ses
concurrentes, mais plutôt à comprendre comment les transactions sont menées à
l’intérieur de l’entreprise multinationale. L’analyse de l’internalisation des produits
intermédiaires permet à Casson ([1985] 2000) de montrer comment la théorie aide à
comprendre tant l’intégration verticale qu’horizontale des firmes.
Bien que certains affirment que l’internalisation constitue une théorie générale de la
multinationalisation des firmes, car elle permettrait d’expliquer tout type d’IDE
(Rugman, 1982), la théorie est contestée sur plusieurs points. Jones (1996) remarque
28
que la théorie se concentre trop sur les coûts de transaction et ne prête pas assez
d’attention aux coûts reliés à l’organisation et à la gestion de l’entreprise. En outre,
l’internalisation
ne touche pas à la complexité de la gestion réelle des affaires
puisqu’elle ne touche qu’aux cas extrêmes que sont les marchés et les hiérarchies. Par
ailleurs, certains soulignent que la théorie devrait accorder davantage d’importance
aux facteurs liés à la localisation : la capacité d’internalisation des firmes ne suffit pas
à expliquer les raisons pour lesquelles des entreprises de pays différents possèdent des
avantages spécifiques alors qu’elles évoluent dans la même industrie (Porter, 1990 ;
Dunning, 1988, 1993, 1997a).
Alors qu’il reconnaît l’apport et l’importance de la théorie de l’internalisation,
Dunning (1988, 1993) considère que celle-ci ne permet pas d’expliquer, seule,
l’internationalisation de la firme.39 Selon lui, les théoriciens de l’internalisation
considèrent que les imperfections des marchés internationaux de produits
intermédiaires sont une condition nécessaire et suffisante pour expliquer l’existence
des FMN. Alors que les internalistes soutiennent que les imperfections de marché sont
exogènes aux FMN, Dunning les considère comme étant endogènes. La FMN doit
être vue comme un producteur de biens et services de même qu’un organisateur de
transactions à l’échelle internationale : la firme est donc à la fois complémentaire au
marché et remplace celui-ci (Dunning, 1988).
Dunning est non seulement insatisfait de la théorie de l’internalisation, mais
également de l’ensemble des théories de la FMN. Il avance que ces théories, d’une
façon ou d’une autre, omettent une variable touchant à la multinationalisation de la
firme. Sa préoccupation centrale est donc de fournir un cadre d’analyse général, une
vision globale des déterminants de la production internationale. Le paradigme
éclectique pallierait les lacunes des théories précédentes, car il permettrait d’expliquer
tous les types d’IDE, et par extension, de la production internationale.
39
Selon Dunning, la théorie de l’internalisation comporte trois faiblesses majeures : elle ne peut
expliquer certains avantages compétitifs que détient la firme; elle fonctionne par un raisonnement
tautologique : pour les théoriciens de cette tendance, les firmes rempliraient les mêmes fonctions que
les marchés, alors que Dunning soutient qu’on doit reconnaître que les firmes ne remplissent pas les
mêmes fonctions que les marchés ; enfin, et contrairement à ce qu’affirment les théoriciens de
l’internalisation, la firme ne s’internationalise pas uniquement pour réduire les coûts de transaction
internationaux, mais également pour accroître ses capacités de production à valeur ajoutée et/ou pour
exploiter une position monopolistique (Dunning, 1988).
29
Dans sa forme originale (Dunning, 1981, 1988), la théorie éclectique soutient que le
mode, le champ et la forme de la production internationale de la firme sont déterminés
par la configuration de trois types d’avantages : les avantages compétitifs et
oligopolistiques que possède l’entreprise (O)40, les avantages compétitifs que possède
le pays d’accueil (L)41 et les avantages que tire la firme de la réduction des coûts de
transaction en investissant sur place (I)42. La théorie est éclectique car elle rassemble
les éléments explicatifs des principales théories de la FMN depuis les années 1960 ;
elle peut être utilisée afin d’expliquer tous les types d’IDE ; finalement, elle fait
référence aux principaux modes d’implication des entreprises à l’étranger, soit l’IDE,
le commerce (à travers l’exportation principalement) ou le transfert de ressources (à
travers une relation contractuelle).
Bien qu’elle n’incorpore pas une analyse directe de la concurrence (Cantwell, 1991),
la théorie éclectique permet de comprendre trois des facettes les plus importantes des
rapports interentreprises, à savoir les structures de marché (O), l’environnement
économique (L) et les imperfections de marché (I). Ce modèle permet d’expliquer
pourquoi, depuis les années 1970, le commerce intra-branche (l’aspect internalisation)
croît plus rapidement que le commerce inter-branche. Si l’approche de Dunning
intègre une multiplicité de variables non-économiques et reflète davantage la diversité
et la complexité du commerce international (Jones, 1996), elle permet également de
comprendre pourquoi les entreprises les plus compétitives sur les marchés étrangers
40
Il existerait trois types d’avantages spécifiques de la firme : 1) les avantages découlant de la propriété
ou de l’accès à certains biens ou ressources générant des revenus particuliers ; 2) les avantages
provenant de l’existence même d’une usine versus la construction d’une nouvelle usine ; 3) les
avantages résultant de la diversification géographique de la firme ou son caractère multinational
(Dunning, 1988).
41
Les avantages de la localisation sont de trois ordres : 1) la disponibilité et le coût réel des ressources
disponibles ; 2) les coûts et les bénéfices non-transférables tels que les taxes, subventions, lois,
obligations laborales, etc. ; 3) les coûts de transports du pays d’origine au pays de destination.
42
Deux raisons expliquent pourquoi les firmes internalisent à l’échelle internationale selon Dunning
(1988): les défaillances de marché et les interventions politiques. Les défaillances de marché sont de
deux ordres, structurels ou cognitifs. Elles sont structurelles lorsqu’il existe des barrières à la
concurrences et qu’une situation de rente économique se développe ; lorsque les coûts de transactions
sont élevés ; et lorsqu’il n’est pas possible de pleinement s’accaparer des économies découlant
d’activités interdépendantes. Ces défaillances sont cognitives lorsque l’information concernant le
produit ou le service vendu ou publicisé n’est pas disponible ou est dispendieux à acquérir. D’autre
part, par leurs interventions, les gouvernements influencent positivement ou négativement la décision
des firmes d’internaliser leurs activités. Les gouvernements recourent généralement à deux
instruments : la production de biens publics ou les politiques économiques.
30
sont celles qui peuvent internaliser leurs activités (Dunning, 1988). Cette approche
souffre en revanche de certaines lacunes. D’une part, on remarque qu’elle possède un
faible pouvoir explicatif (Dunning, 1988, Jasmin, 2003) et un faible pouvoir prédictif
(Jones, 1996). D’autre part, le paradigme ne serait pas réellement différent de la
théorie de l’internalisation.43 En outre, il ne concernerait que l’investissement direct,
négligeant d’autres stratégies à la disposition des firmes, tels que les licences, les
joint-ventures ou l’exportation (Markusen, 1995).
La théorie éclectique a évolué au fil des ans pour se transformer en paradigme afin de
prendre en compte certaines critiques.44 Dans la mesure où nous serions passés d’un
capitalisme hiérarchisé à un capitalisme d’alliance45, chaque variable du paradigme
doit être revue. Le concept des avantages spécifiques de la firme doit être modifié afin
d’y intégrer la notion de réseaux ou d’alliance stratégique. Cela permettrait de refléter
les nouvelles relations que tissent les firmes entre elles. Le concept de localisation
doit être approfondi, et ce dans quatre directions distinctes.46 Quant au concept
d’internalisation, il doit dépasser l’étude de l’imperfection des marchés de produits
intermédiaires afin d’y inclure les objectifs de compétitivité des entreprises. Dunning
avance que l’évolution du paradigme doit tendre vers trois directions : l’étude de
l’influence de l’innovation sur la compétitivité des firmes ; la reconnaissance de
l’importance et de la pertinence des stratégies de “voix”47 ; une révision des frontières
de la firme (Dunning, 1997a).
43
Rugman (1982) note que la théorie éclectique est sensiblement similaire à la théorie de
l’internalisation si on accepte la prémisse de l’exogénéité des imperfections de marché. Même si l’on
admet que la firme puisse développer des avantages de type O, donc endogénéiser les avantages, cela
ne suffirait pas à distinguer les deux théories.
44
Si une vision hiérarchisée du paradigme pousse certains à soutenir que l’internalisation représente la
variable la plus importante de celui-ci (Rioux, 2000a; Ethier dans Dunning, 1998), Dunning affirme
que ce n’est pas le cas. Alors que les premières versions du paradigme mettent davantage l’emphase sur
les avantages spécifiques de la firme et l’internalisation (Dunning, 1981, 1988), Dunning rappelle dans
ses écrits plus récents (1998) l’importance de la variable “localisation”. Selon lui, les trois variables ont
la même importance : ce sont les situations spécifiques qui détermineront laquelle sera davantage mise
de l’avant. Ainsi il souligne : “The OLI triad of variables (…) determining foreign direct investment
and MNE (multinational enterprise) activity may be likened to a three-legged stool; each leg is
supportive of the other, and the stool is only functional if the three legs are evenly balanced” (Dunning,
1998: 45).
45
Sur le capitalisme d’alliance, voir la section suivante (cf. les réseaux).
46
L’encastrement territorial de certains avantages non-transférables ; l’intégration spatiale des activités
économiques des entreprises ; les conditions favorisant le développement d’alliances interentreprises ;
le rôle des autorités nationales et régionales dans l’essor et la structuration de centres d’excellence.
47
Alors que le capitalisme de hiérarchies privilégiait les stratégies de “sortie”, i.e où la réponse de la
firme à la présence d’imperfections de marché était de les internaliser, le capitalisme d’alliance
31
Bien que le paradigme éclectique tenta une synthèse des diverses théories de la FMN,
ses multiples versions témoignent plutôt de la grande difficulté que rencontrent les
théoriciens de la FMN à l’aborder dans son ensemble. La rapidité de l’expansion des
FMN, tant dans les pays développés que dans les pays en développement amène sans
cesse de nouvelles questions aux penseurs de la firme multinationale. Cette
progression des FMN à l’échelle internationale s’est traduite par une évolution
parallèle des théories de la FMN à partir de la seconde moitié des années 1980. Cette
évolution reflète le caractère de plus en plus global des stratégies de l’entreprise. On
passe alors de la firme multinationale à la firme multidomestique, à la firme
transnationale puis à la firme globale.48
Les distinctions entre la firme globale et la FMN ont attiré l’attention des spécialistes.
On soulignera ainsi la dimension stratégique (Ghoshal, 1987; Andreff, 1996;
Dunning, 1997a; Harzing, 2000; Segal-Horn, 2002) ou structurelle (Levitt, 1983;
Andreff, 1996; Bartlett et Ghosal, 1993) de l’entreprise afin d’expliquer sa
globalisation. Selon Dunning (1997a), la principale différence entre les types de firme
n’est pas liée au contrôle de filiales, mais plutôt à la conclusion d’alliances et à la
création de réseaux sur chaque continent (à la concurrence s’ajoute aujourd’hui la
coopération) ; l’utilisation de facteurs de production selon le critère d’efficacité et de
rendement ; la réalisation de transactions financières sans contraintes de temps et
d’espace ; la vente de ses biens et services sur les principaux marchés du monde.49
favoriserait un mélange de stratégies de sortie et de stratégies de “voix”, i.e de travailler à l’intérieur du
marché afin de réduire, voire éliminer les imperfections de marché.
48
Harzing (2000) distingue ainsi entre la firme globale, la firme multidomestique et la firme
transnationale selon le niveau d’autonomie des filiales, les stratégies qu’emploient les entreprises à
l’échelle internationale et leur structure organisationnelle. Ainsi la firme multidomestique se caractérise
par une structure organisationnelle décentralisée, elle possède des filiales plutôt autonomes et adopte un
comportement stratégique visant à répondre aux différences nationales. La firme globale est centralisée
; les filiales ne bénéficient pas d’une grande autonomie, étant généralement chargées d’implanter les
stratégies de la maison mère ; en terme de stratégie, l’entreprise cherche avant tout à profiter des
avantages que lui procurent ses économies d’échelle en standardisant sa production. La firme
transnationale apparaît plutôt comme un réseau interorganisationnel ; ses filiales jouent un rôle plutôt
actif et sur le plan stratégique, elle adopte un comportement entre celui de la firme multidomestique et
la firme globale. En ce qui concerne le quatrième type de firme, la firme internationale, Harzing
souligne la difficulté conceptuelle de la classer. Pour une présentation basée sur les industries, on
consultera Porter (1990).
49
Levitt (1983), l’inventeur du concept de globalisation, soutient que la principale différence entre la
FMN et la firme globale concerne la perception des marchés de l’entreprise. Alors que la FMN opère
dans un certain nombre de pays et adapte ses produits pour chacun des marchés à des coûts relatifs
32
Ghoshal (1987) lie la dimension stratégique de la firme à sa capacité à optimiser trois
objectifs à l’échelle globale : l’efficacité, la gestion des risques et la capacité
d’apprentissage. De son côté, Porter (1990) accentue la capacité de l’entreprise à
vendre ses produits sur les marchés. Dans une perspective évolutionniste, Andreff
(1996) conçoit l’aspect stratégique comme la synthèse de stratégies antérieures. À
l’origine, ce sont les stratégies d’approvisionnement qui prédominent, suivies par les
stratégies de marché ; dans un troisième temps émergent les stratégies de
rationalisation de la production ; finalement, apparaissent les stratégies de
globalisation.50 Andreff souligne ainsi que le passage d’une stratégie internationale à
une stratégie globale a lieu lorsque les conditions suivantes sont réunies :
“ la firme a une vision mondiale des marchés et de la concurrence ; [elle]
connaît bien ses rivaux, la mondialisation de la concurrence n’étant pas
anonyme et créant une interdépendance entre toutes les [FMN] de l’oligopole ;
[elle] a le pouvoir de contrôler ses opérations dans l’espace de la Triade ; [elle]
se comporte comme un « joueur global » et change radicalement sa façon de
travailler, sa survie étant mise en jeu par une concurrence aiguë dans
l’oligopole mondial ; [elle] opère dans des industries à haute technologie et y
recherche des actifs porteurs d’innovation sur une échelle globale ; [elle]
localise ses activités là où elles sont les plus rentables, suivant les avantages
comparés offerts par les pays ; [elle] a des activités coordonnées à l’aide des
technologies d’information et de production flexible, créant de la valeur ajoutée
dans de nombreux pays, et intégrées en une « chaîne de valeur » internationale,
sur une base régionale ou mondiale ; [elle] organise ses usines et filiales
spécialisées en un réseau internationalement intégré et s’intègre dans un réseau
d’alliances avec d’autres FMN.” (Andreff, 1996: 53-54)
Le caractère global des stratégies est également associé au développement
d’industries globales (Porter, 1990; Segal-Horn, 2002; Ghoshal, 1987; Harzing,
2000).51 Lorsqu’une firme se globalise, la pression qu’elle exerce sur ses concurrentes
oblige celles-ci à se globaliser également, entraînant ainsi la globalisation de
élevés, la firme globale, au contraire, considère l’ensemble des marchés comme une seule entité ; elle
vend donc le même produit de la même manière partout, et cela, à un coût relatif plus faible (Levitt,
1983).
50
Dans une stratégie d’approvisionnement, la firme établit des filiales afin d’approvisionner la société
mère; lorsque l’entreprise adopte une stratégie de marché, elle installe des filiales-relais lui permettant
de produire sur place les produits qui sont ensuite vendus sur le marché local ; à l’étape de la
rationalisation de la production, la FMN utilise des filiales-ateliers produisant certaines composantes
des produits qui seront ensuite assemblés dans le pays d’origine de la FMN ou par d’autres filiales
localisées dans des pays tiers (Andreff, 1996: 45-47).
51
Ghoshal (1987) et Porter (1990) définissent une industrie globale comme une industrie où la position
d’une entreprise sur un marché donné est fortement influencée par sa compétitivité sur d’autres
marchés. Segal-Horn (2002) accorde davantage d’importance à la nature d’un produit afin de
déterminer le caractère global d’une industrie : lorsqu’un produit n’est pas limité par les frontières
nationales, qu’il est homogène, qu’il entraîne de fortes économies d’échelle et est accepté à travers le
monde, l’industrie dont il découle est globale ou se globalise.
33
l’industrie.
L’accès
à
d’importantes
ressources
(financières,
humaines,
technologiques, entre autres), la pression constante sur la réduction des coûts et
l’augmentation des marges bénéficiaires ainsi que la concurrence internationale pour
les ressources et les parts de marché engendrent une concentration de plus en plus
forte au sein des industries, se traduisant par l’augmentation des fusions et
acquisitions. La gestion de ces ressources et défis implique que les entreprises
organisent leurs unités globalement afin de profiter des économies d’échelle et de
champ (Ghoshal, 1987).
Une seconde approche de la firme globale voit plutôt celle-ci comme le résultat de
changements organisationnels. L’entreprise apparaît alors comme la conséquence
d’un processus de transformation graduelle au cours de sa croissance : elle passe
successivement de la forme simple à la forme “U” à la forme multidomestique “M”,
puis à la forme matricielle, la forme la plus globalisée.52
Bartlett et Ghoshal (1993) remettent en cause l’approche évolutionniste d’Andreff et
conçoivent plutôt la firme globale en terme de gestion de processus et de
réorganisation interne de l’entreprise à plus grande échelle. Pour Segal-Horn (2002),
la nature des activités de l’entreprise, de même que sa portée - à la fois nationale,
régionale et globale - forcent les entreprises à adopter une structure globalisée.
Dunning (1997a) élargit la perspective en soulignant que le développement de la
firme globale n’est pas uniquement dû à la transformation de celle-ci, mais également
à la transformation du système économique : le capitalisme d’alliance qui remplace
graduellement le capitalisme hiérarchique contraint les entreprises à réorganiser leur
mode de fonctionnement ainsi que leur structure organisationnelle.
Une observation mérite d’être soulignée à cette étape : bien que les théories de la
firme globale se soient développées à partir de la seconde moitié des années 1980,
leurs antécédents remontent aux années 1960. Perlmutter (1969) avait construit une
52
La forme U signifie l’existence de multiples filiales étrangères sous le contrôle d’une division
internationale ; sous la forme M (matricielle), il existe des divisions opérationnelles réparties soit
géographiquement ou par produits ; lorsque la firme adopte la forme matricielle, l’unité de
commandement disparaît, les filiales dépendant à la fois de la division de produits et de l’unité
régionale (Andreff, 1996: 35-36).
34
typologie des stratégies de la firme en distinguant entre les firmes géocentriques,
polycentriques et ethnocentriques. Pour sa part, Modelski (1972) établissait une
distinction entre les firmes globales et les FMN à partir de leurs fonctions. Ainsi, la
taille de la firme importait peu dans la mesure où l’emphase était mise sur ses
capacités, entres autres la R&D, la connaissance, les possibilités de contacts
transculturels et la mobilité. En outre, les liens entre stratégie et structure avaient
d’ailleurs été soulignés pour la première fois par Chandler (1962).
En se globalisant donc, l’objectif majeur de la firme serait de profiter de ses avantages
comparatifs afin de développer des avantages compétitifs (Porter, 1990; Segal-Horn,
2002). Toutefois, certains ne croient pas au phénomène général des firmes globales
(Rugman et Verbeke, 2004 ; Rugman et Verbeke, 2002; Rugman et Hodgetts, 2001).
Se basant principalement sur des études empiriques, ces auteurs affirment que les
théories de la firme globale surestiment le champ des activités et les stratégies des
entreprises. Selon Rugman et Verbeke (2004), une firme globale pénètre les marchés
de la nouvelle Triade de manière équilibrée.53 Une firme est globale si elle remplit les
deux conditions suivantes : 1) elle a des ventes de plus de 20% dans chacune des
régions de la Triade, mais 2) moins de 50% de ses ventes s’effectuent dans une seule
région de la Triade. Se basant sur cette définition, Rugman et Verbeke (2004)
concluent que très peu d’entreprises peuvent être qualifiées de globales. Les
entreprises adopteraient plutôt des stratégies régionales de Triade, i.e. s’établissant
dans une des régions de la nouvelle Triade et opérant principalement dans cette zone.
54
Selon cette interprétation, les firmes adoptant des stratégies régionales seraient les
plus performantes, alors que les firmes éprouvant davantage de difficultés adoptent
des stratégies globales (Rugman et Hodgetts, 2001).55
53
Alors que dans sa formulation initiale, la Triade est associée à l’Europe de l’Ouest, les États-Unis et
le Japon (Ohmae, 1985), Rugman et Verbeke (2004) préconisent l’extension du concept en soulignant
la nécessité d’intégrer les changements survenus depuis l’élaboration du concept, notamment
l’intégration par les membres de la Triade originale de pays ou régions périphériques. Ainsi, la
nouvelle triade serait composée de la zone ALENA, de l’Europe élargie et de l’Asie.
54
Étudiant 380 des 500 plus grandes entreprises du monde, Rugman et Verbeke (2004) concluent que
320 sont principalement concentrées sur leur région d’origine (plus de 50% des ventes dans une seule
région) ; 25 sont bi-régionales (plus de 20% des ventes dans deux régions, mais moins de 50% dans
n’importe quelle région) ; 11 entreprises sont orientées sur leur région d’adoption (plus de 50% des
ventes dans une région autre que leur région d’origine) ; seulement 9 entreprises sont véritablement
globales selon les critères retenus.
55
En fait, Rugman et Verbeke (2004) identifient 4 niveaux de projection internationale des firmes :
global, bi-régional, régional local et régional d’accueil. Une firme est bi-régionale lorsqu’elle réalise au
35
L’évolution des théories de la firme multinationale montre comment les options de la
FMN ne se limitent plus uniquement à la concurrence sur l’ensemble des marchés sur
lesquels elle opère. De plus en plus d’entreprises choisissent de coopérer afin de faire
face à certains coûts et risques. Cette nouvelle forme de relation, qui n’est pas étudiée
par les théories de la concurrence, se manifeste par le développement de la théorie des
réseaux.
1.2
Au-delà de la concurrence internationale : l’impact des réseaux
dans la coopération interfirmes
La littérature traditionnelle sur le rôle et l’impact des entreprises et de la concurrence
ne traite pas, ou peu, de la nature des liens unissant les firmes entre elles. Si les
rapports concurrentiels sont bien connus, les possibilités de coopération elles, sont
plutôt méconnues. Les réseaux, par leur mode d’organisation et de fonctionnement,
représentent une alternative à la firme et au marché ; dans certains cas, ils les
complètent. En outre, l’augmentation d’accords interentreprises brouille la frontière
de la firme et entraîne la nécessité d’une redéfinition de celle-ci. L’étude des réseaux
permet d’aller au-delà de ce flou apparent.
Les théories des réseaux peuvent être abordées comme le complément des théories de
la concurrence, car elles soulignent que les stratégies à la portée des entreprises ne se
limitent pas uniquement aux stratégies de concurrence. Ces théories nous permettent
également de traiter une question à laquelle les théories de la concurrence n’accordent
pas assez d’importance, celle de la frontière de la firme. Depuis le milieu des années
1980, une plus grande place a été faite à l’étude des réseaux dans l’explication du
développement des firmes à l’échelle internationale. Cet intérêt s’est traduit par une
multiplication des études sur leurs conditions d’émergence, leur impact sur la
globalisation et/ou la régionalisation des activités des entreprises et leur influence sur
moins 20% de ses ventes dans deux régions de la Triade, mais jamais plus de 50% dans une région ;
elle est régionale locale lorsque plus de 50% de ses ventes se réalisent dans sa région d’origine, mais
qu’elle ne vend pas 20% dans les deux autres régions de la Triade ; elle est régionale d’accueil lorsque
plus de 50% de ses ventes s’effectuent dans une région autre que sa région d’origine et qu’elle ne vende
pas au moins 20% dans une autre région de la Triade.
36
l’organisation des activités des FMN. Au niveau théorique, les réseaux sont abordés
selon deux approches distinctes mais complémentaires : comme un type de relation
sociale ou un mode d’organisation et de coordination de la firme (Borrus, Ernst et
Haggard, 2000).
1.2.1
Les réseaux, un type de relation ou un mode d’organisation ?
La première approche des réseaux met l’emphase sur le caractère relationnel de ceuxci. De tradition sociologique, cette approche conçoit les réseaux comme une forme
d’organisation sociale qui serait hors du continuum hiérarchies – marchés (Powell,
1990). Casson définit les réseaux comme une série de relations de haut niveau de
confiance qui lient directement ou indirectement l’ensemble des membres d’un
groupe social donné. (Casson, 1998).56 Les réseaux jouent un rôle important dans la
synthétisation de l’information en diffusant les compétences; en standardisant les
langages et les cultures, ce qui conduit à une réduction des coûts pour les membres
(Casson, 1998).57 Dans cette analyse, l’unité de base du réseau n’est plus la firme,
mais l’individu, plus précisément les liens unissant ces individus. Dans cette
acception, le réseau se décline en trois paliers : le local, le national et l’international.58
Bien qu’il soit davantage reconnu pour son analyse de l’internationalisation de la
firme, Dunning accorde une place importante aux réseaux. Selon lui, le réseau
représente une alternative intéressante à la firme seule, car une importante gamme des
activités de l’entreprise ne peut être expliquée par le continuum marché-hiérarchies.
En outre, le type de réseau dans lequel s’insère une entreprise peut influencer sa
position compétitive de manière décisive (Dunning, 1988). Étant donné que la
multinationale contemporaine est façonnée par la conjoncture des avancées
technologiques, par la révolution télématique ainsi que par la transformation de la
nature et des formes des alliances entre les entreprises (Dunning, 1988: 334-336), il
s’ensuit une reconfiguration constante du modèle OLI puisque ces facteurs
56
En outre, les réseaux, dans certains cas, peuvent être des alternatifs aux firmes puisque leur mode de
prise de décision est plus démocratique, que les résultats de la collaboration semblent plus équitables,
qu’ils impliquent davantage de contacts sociaux et qu’ils encouragent le partage d’informations
(Casson, 1998).
57
Casson, adoptant une approche plus économique, ne s’identifie pas à cette tendance. Selon lui, le
réseau se trouverait plutôt à mi-chemin entre la firme et le marché.
58
L’appartenance aux différents paliers du réseau est possible, mais toujours du plus haut au plus bas,
dans ce cas-ci de l’international vers le local.
37
influencent inégalement chaque élément du triptyque. Il apparaît donc plus sensé pour
Dunning (1988) de considérer la FMN comme le centre nerveux d’un réseau
d’activités pouvant être réalisées en collaboration avec d’autres firmes, mais sur
lesquelles la FMN maintient le contrôle ou l’influence.
Cette vision des réseaux est néanmoins remise en question car elle ne tiendrait pas
compte de l’évolution constante des industries à l’échelle internationale (Borrus, Ernst
et Haggard, 2000). Une telle analyse s’appliquerait davantage aux relations locales ou
nationales qu’aux relations globales que nouent les entreprises.
Les réseaux comme mode d’organisation
Bien que les auteurs mentionnés précédemment analysent le réseau du point de vue
relationnel, ils reconnaissent aussi la fonction de coordination et d’organisation de
celui-ci. En fait, la littérature sur les réseaux s’accorde généralement pour reconnaître
que la fonction de coordination et le type d’organisation constituent les deux
principales caractéristiques des réseaux.
Le caractère formel ou informel des réseaux constitue généralement le point de départ
de l’analyse. Jones, Hesterly et Borgatti (1997) soulignent la nature informelle des
réseaux. Ceux-ci peuvent être inter-firmes ou intra-firmes ; ils naissent de systèmes
sociaux informels et facilitent les flux de ressources et d’information entre les
membres. En outre, l’informalité permet aux firmes de s’adapter plus rapidement aux
changements de circonstances à l’intérieur du réseau (Powell, 1990). Borrus, Ernst et
Haggard (2000) soutiennent au contraire que leur caractère formel représente le trait
central des réseaux. Ceux-ci résultent de l’évolution de la firme de la forme légale à la
forme contractuelle, notamment en ce qui concerne les accords inter-firmes.
Au-delà du caractère formel ou informel du réseau, Castells note que c’est plutôt
l’émergence
de
l’économie
informationnelle
qui
expliquerait
cette
forme
d’organisation des entreprises. Il met ainsi l’accent sur l’autonomie et la dépendance
de la firme vis-à-vis du réseau, sur sa connectivité (connectedness) et sa permanence.
Le réseau est ainsi formé “d’un type spécifique d’entreprises dont les moyens sont
38
constitués par l’intersection de segments de systèmes de buts autonomes ” (Castells,
1996: 171).
Jarillo (1988) conçoit les réseaux comme un mode d’organisation pouvant être utilisé
par les gestionnaires d’entreprise afin de mieux positionner stratégiquement leur
firme. Selon Lorenzoni (dans Jarillo, 1988), les réseaux seraient plutôt des
constellations de firmes unies qui découlent de trois phases successives : la phase de
réaction (la constellation réalisée), la phase d’efficacité (constellation rationalisée) et
la phase d’effectivité (constellation planifiée). Plus précis quant à sa nomenclature,
Baker (1992) identifie plutôt l’organisation en réseau (network organization) par
rapport au simple réseau. Ce modèle diffère des précédents dans la mesure où il s’agit
principalement “d’un mécanisme de marché permettant d’allouer les ressources et le
personnel nécessaires afin de résoudre des problèmes ou de mener à bien des projets
et ce, de manière décentralisée” (Baker, 1992: 398).
Dans une perspective spatio-géographique, Kobrin soutient que les réseaux, à travers
les alliances stratégiques transnationales, constituent le fer de lance de la nouvelle
économie globale.59 Ils représenteraient l’aboutissement de l’évolution de l’économie
mondiale au cours du XXè siècle, celle-ci passant des marchés (le commerce) aux
hiérarchies (les FMN) puis aux réseaux (Kobrin, 1997). Une telle approche permet de
comprendre l’explosion des réseaux de production transfontaliers, notamment en
Asie. C’est ainsi que Borrus, Ernst et Haggard (2000) expliquent en grande partie le
développement des firmes asiatiques et leur compétitivité. Dans cette conception, les
réseaux, en plus de favoriser le développement de la firme autour de ses compétences
de base (core competence), apparaissent comme des stratégies de concurrence lui
permettant d’être plus compétitif sur les marchés ou elle évolue.
Les réseaux peuvent donc être considérés à la fois comme un type d’organisation
sociale et/ou un mode d’organisation de l’activité économique. Nohria (1992) a
59
Kobrin distingue entre l’économie globale contemporaine, caractérisée par l’impact grandissant des
transformations technologiques, le remplacement des marchés nationaux par les marchés globaux en
tant qu’épicentres des stratégies des firmes et la préséance des réseaux électroniques sur les hiérarchies,
de l’économie internationale. Cette économie globale réseautée est vue comme une série de
transactions complexes et non plus comme des arrangements coopératifs dyadiques ou triadiques entre
les firmes (Kobrin, 1997)
39
synthétisé les principales raisons pour lesquelles la théorie des réseaux contribuerait à
une meilleure compréhension des relations entre les entreprises ou toute autre
organisation : 1) les organisations constituent des réseaux sociaux et doivent donc être
analysées comme tels ; 2) l’environnement d’une organisation représente le réseau
dans lequel évoluent d’autres organisations ; 3) les actions des acteurs situés dans
quelque organisation que ce soit s’expliquent principalement par leur position dans
leurs réseaux de relation ; 4) les réseaux limitent les possibilités d’action des acteurs
et sont modelés par ces mêmes actions ; finalement, 5) l’analyse comparative des
organisations doit prendre en compte leurs caractéristiques en tant que réseau.
En somme, les théories des réseaux soulignent leur capacité à faciliter la coopération
entre les membres face à des situations où prévalait surtout la concurrence. Basés sur
le savoir-faire, la rapidité et la confiance, les réseaux permettraient à leurs membres
de mieux faire face aux changements que les autres formes d’organisation (Powell,
1990). Cette collaboration serait en fait un type d’action collective qui permettrait de
réduire les problèmes de passager clandestin (free rider). Elle se situerait à l’extérieur
du continuum marchés-hiérarchies, tout en facilitant la coopération entre les membres
(Kobrin, 1997; Powell, 1990).
1.2.2
Les conditions d’émergence du réseau
Selon Jarillo, deux caractéristiques doivent être remplies afin qu’un réseau puisse voir
le jour et perdurer : l’effectivité et l’efficacité. La première condition renvoie à la
capacité du réseau d’atteindre les objectifs fixés par ses membres ; la seconde, à sa
capacité à offrir à ses membres plus d’avantages que les efforts qu’ils doivent y
déployer afin d’assurer le fonctionnement (du réseau) (Jarillo, 1988).
Pour leur part, Jones, Hesterly et Borgatti (1997) identifient quatre conditions
nécessaires à l’émergence d’un réseau : 1) l’incertitude de la demande associée à la
stabilité de l’offre ; 2) les échanges doivent être adaptés aux besoins des parties et
contenir un haut degré de spécificité des actifs humains ; 3) l’existence de tâches
complexes sous la pression du temps ; 4) l’existence d’échanges fréquents entre les
membres du réseau. L’approche de Jones, Hesterly et Borgatti s’inscrit dans la lignée de
40
la théorie des coûts de transaction en intégrant la complexité des tâches et
l’encastrement des structures du réseau.
Powell élargit la perspective en affirmant qu’il n’existe pas de stricts critères
favorisant l’émergence des réseaux. Cependant, il souligne la régularité de deux
éléments : les considérations stratégiques et l’exigence de réduction des coûts de
transaction. Dans le premier cas, la firme veut s’assurer l’accès à certaines ressources,
alors que dans le second, l’objectif central est la réduction des coûts auxquels fait face
l’entreprise (Powell, 1990).60 Il conclut que la naissance d’un réseau correspond à
l’une des trois situations suivantes : soit elle précède la nécessité du réseau ; soit elle
résulte d’un lent processus de développement, justifiant ainsi sa création ; soit elle
constitue une solution à une demande pour un type d’échange auquel les autres formes
d’organisation ne peuvent répondre.
Une partie importante de la littérature considère que ce sont avant tout les
transformations du système économique international qui constituent la principale
cause du développement des réseaux. L’accent est alors mis sur la métamorphose du
capitalisme (Dunning, 1997a), l’importance des technologies de l’information (Nohria
et Eccles, 1992), la naissance d’une économie informationnelle (Castells, 1996) ou
l’adaptation des institutions et marchés aux changements économiques (Ronfeldt,
1993).
Selon Nohria et Eccles (1992), la globalisation de l’économie mondiale,
l’accroissement de la concurrence internationale, la rapidité de l’émergence et de
l’obsolescence des technologies, l’homogénéisation de la demande, l’augmentation de
la flexibilité de la production sont quelques-uns des facteurs ayant provoqué ces
changements. Afin de s’adapter à ces nouvelles conditions, les firmes augmenteraient
leur rapidité d’exécution, leur flexibilité et leur capacité d’apprentissage, le tout étant
facilité par une organisation en réseau.61 En somme, ce seraient avant tout les
60
Powell note tout de même que seulement dans une minorité de cas peut-on affirmer que la naissance
d’un réseau répond à l’exigence de réduction des coûts de transaction.
61
Nohria et Eccles (1992) spécifient comment les réseaux, à travers les technologies de l’information,
transforment les hiérarchies : ils permettent de réduire le nombre de niveaux de gestion au sein de la
hiérarchie ; ils facilitent la communication directe entre les personnes dans le temps et l’espace ; ils
41
avancées en matière de technologie de l’information qui ont permis l’émergence des
réseaux.
Kobrin voit plutôt l’émergence des réseaux comme le résultat de la transition de
l’organisation des transactions économiques des marchés et/ou institutions à une
économie globale post-moderne caractérisée par des liens de coopération entre les
unités économiques. L’accent mis sur la coopération pousse Kobrin (1997) à affirmer
que les réseaux représenteraient une rupture avec les formes d’organisation
économique internationale des époques passées.
Dans une perspective historico-institutionnelle, Woolsey Biggart et Hamilton (1992)
montrent comment les réseaux n’émergent pas d’un vide quelconque, mais constituent
plutôt une caractéristique fondamentale de certaines sociétés asiatiques.62 Ainsi, ils
existent depuis les temps immémoriaux, mais ne sont “découverts” en Occident qu’à
la suite de la remise en question du dogme néo-classique de la régulation automatique
des marchés. Cette vision met de l’avant une conception de la concurrence et de la
collaboration entre des unités liées entre elles, non pas entre des agents économiques
indépendants les uns des autres.
1.2.3
Pourquoi les firmes s’organisent-elles en réseau ?
Si la transformation de l’économie internationale ainsi que les évolutions
technologiques représentent les principales causes de l’émergence des réseaux, cela ne
suffit pas à expliquer les raisons pour lesquelles les firmes adoptent cette forme
d’organisation. De plus, quelles sont les configurations que prennent les réseaux?
Jones, Hesterly et Borgatti (1997) soulignent que le réseau ne s’applique pas à
n’importe quelle entreprise ou industrie. Ce sont surtout dans les industries à haut
niveau d’incertitude de la demande, mais avec une stabilité de l’offre de travail, qu’on
retrouve principalement l’organisation en réseau (par exemple, l’industrie de la mode,
améliorent l’habilité des organisations à communiquer entre elles ; finalement, ils contribuent à une
flexibilité accrue des organisations.
62
Les structures sociales de l’Occident, basées sur l’autonomie des individus et des firmes, ne peuvent
comprendre l’existence des réseaux. Ceux-ci, accordant la primauté au groupe sur l’individu, existent
de tout temps dans les sociétés asiatiques, particulièrement en Chine et au Japon.
42
du cinéma, de la musique, etc.). Ce type d’industrie dépend à la fois des préférences
changeantes des consommateurs, de l’évolution rapide de la technologie ou d’un
travail saisonnier. Les réseaux favorisent la création de produits et services complexes
en intégrant des unités autonomes et possédant des talents variés capables de produire
sous pression. Dans cette perspective donc, ce sont les petites et moyennes entreprises
qui ont avantage à adopter ce mode de fonctionnement.
Les réseaux permettent aux entreprises de se spécialiser dans les activités de la chaîne
de valeur essentielles à leurs avantages compétitifs. En outre, un fonctionnement de
type réseau accroît la flexibilité de la firme dans la mesure où cette dernière n’est pas
obligée de s’engager dans des activités non indispensables (Jarillo, 1988). On
soulignera ainsi que les firmes s’organisent en réseau afin d’accéder plus rapidement à
certaines technologies, de bénéficier d’économies d’échelle en terme de recherche et
production, d’avoir accès aux connaissances situées à l’extérieur de ses frontières et
finalement, afin de partager les risques liés à des activités hors du champ ou des
capacités d’une seule organisation (Powell, 1990; Castells, 1996; Kobrin, 1997). En
s’associant de la sorte, les firmes réduisent les coûts associés à la concurrence.
Dans une perspective évolutionniste, Malnight (1996) note que les nécessités
d’adaptation aux changements survenant dans leur environnement forcent les FMN à
adopter des stratégies de réseau. Dans un monde caractérisé par la globalisation non
seulement des marchés, mais aussi des stratégies d’entreprise, il s’avère utile et
avantageux pour la firme de pouvoir répartir ses activités à travers plusieurs marchés.
Cela lui permet de mieux organiser ses ressources afin de faire face à la concurrence
globale. Ce cadre ne présente pas le passage d’une structure décentralisée à une
structure en réseau comme le résultat d’une rupture violente. Il s’agirait plutôt de la
somme des changements marginaux que vit l’entreprise au fil des ans.
Moins évolutionnistes que Malnight, Gulati et Gargiulo (1999) soutiennent plutôt que
les réseaux fournissent les informations nécessaires dont requiert la firme lorsque
celle-ci désire nouer de nouvelles alliances. Dans cette optique, les réseaux réduiraient
l’incertitude, les ambiguïtés et les risques (Nohria et Eccles, 1992). La décomposition
de la chaîne de valeur d’un bien, d’un service ou d’une technologie représente
43
également un autre avantage important souligné par cette littérature (Gulati, Nohria et
Zaheer, 2000; Porter, 1990)
Alors qu’ils se complètent lorsqu’ils abordent les conditions d’émergence des réseaux,
Dunning et Castells s’opposent sur les raisons poussant les entreprises à choisir le
réseau comme forme d’organisation. Si l’on peut qualifier la vision de Dunning de
positive, Castells adopte une approche par la négative vis-à-vis des grandes
entreprises. Ce dernier (Castells, 1996) note que l’émergence des réseaux traduit la
flexibilité croissante des entreprises. Cette caractéristique n’est pas l’apanage des
grandes firmes, mais plutôt des petites et moyennes entreprises. Les capacités de
réponse de celles-ci vis-à-vis la nécessité croissante de flexibilité seront donc plus
appropriées que celles des FMN. Castells soutient que la grande entreprise intégrée
verticalement serait plutôt en crise et qu’elle cèderait peu à peu la place aux réseaux
d’entreprises. Dunning n’adopte pas le même point de vue vis-à-vis des capacités
d’adaptation des grandes entreprises. En révisant le paradigme éclectique afin d’y
intégrer la montée en force des réseaux et les nouvelles formes de relations qu’elles
impliquent, Dunning soutient que les grandes entreprises s’adaptent en nouant des
alliances stratégiques améliorant la coopération inter-firme (Dunning, 1997b)
Dans le cas des FMN en particulier, la décision d’adopter le réseau comme forme
d’organisation dépend de certaines variables. Ghoshal et Bartlett (1990) suggèrent que
les FMN adoptent le réseau car elles n’auraient pas d’autre choix. Étant encastrées au
sein d’un groupe d’entreprises, ces firmes sont intimement liées à ce réseau externe.
Andreff (1996) rejoint Ghoshal et Bartlett en soulignant que les réseaux sont à la fois
internes et externes aux FMN. En outre, à travers les alliances stratégiques, les
réseaux permettent de renforcer la coopération et les relations de travail entre les
partenaires. Le réseau peut alors être complémenté par des prises de participation
croisées entre les firmes impliquées. Kobrin (1997) note que les réseaux globaux
dominant l’économie mondiale actuelle forcent les FMN à nouer des alliances,
favorisant ainsi une plus grande collaboration au sein des entreprises. Le caractère
oligopolistique des ces industries globales, bien qu’exacerbant la concurrence, facilite
également la collaboration.
44
CHAPITRE II
LA CO-OPÉTITION DANS LE SCHÉMA NATIONALRÉGIONAL-GLOBAL : VERS UN NOUVEAU CADRE
THÉORIQUE
La principale question que soulève la revue de littérature du chapitre précédent est la
suivante : les théories de la firme, plus particulièrement celles s’attardant sur la
concurrence et des réseaux, nous permettent-elles de comprendre les relations que
tissent les entreprises à l’échelle nationale, régionale et internationale ? Prise
séparément, chacune des théories montre certaines faiblesses. Alors que les théories
de la concurrence ne peuvent traiter du développement de projets coopératifs entre des
firmes, les théories des réseaux éprouvent de la difficulté à expliquer la nature de plus
en plus oligopolistique d’une majorité d’industries internationales.
En outre, ces théories n’abordent pas la contribution des États dans la concurrence que
se livrent les firmes, bien qu’ils jouent un rôle de plus en plus central dans
l’établissement de nouvelles dynamiques concurrentielles. (Deblock, 2002). Ces
dynamiques impliquent non seulement une logique compétitive, mais aussi des
stratégies de collaboration. C’est dans ce cadre qu’évoluent à la fois les firmes et les
États, chacun se positionnant afin de mieux tirer partie des rivalités commerciales et
politiques (Stopford et Strange, 1991).
La triple relation découlant des activités des firmes et des États est examinée par
Stopford et Strange à travers la théorie de la diplomatie triangulaire (Stopford et
Strange, 1991). Toutefois, si les auteurs poussent à fond le rôle des États, en analysant
les rapports État-État et État-firme, ils n’abordent pas en détail l’apport des
entreprises. Il nous apparaît donc nécessaire de faire appel à une approche permettant
de combler cette insuffisance en étudiant plus particulièrement les rapports de
concurrence et de coopération que développent les firmes. La théorie de la coopétition, en mettant l’accent sur la simultanéité de la concurrence et de la
coopération d’une part et en facilitant l’étude de l’ensemble des acteurs influençant
45
les décisions des firmes d’autre part, nous permet d’appréhender la globalisation de
l’industrie brassicole mexicaine.
Dans les sections suivantes, nous présenterons le cadre théorique sur lequel s’appuie
cette étude. Nous exposerons tout d’abord les travaux de Strange, qui nous permettra
de mieux saisir les relations entre les acteurs principaux de l’économie politique
internationale que sont les États et les entreprises. Ensuite, en nous appuyant sur la
théorie de la co-opétition, nous développerons le modèle de la co-opétition applicable
à l’industrie brassicole internationale, ainsi que le rôle qu’y jouent les brasseries et les
États. Nous développerons par suite la problématique liée à l’évolution de l’industrie
brassicole internationale en générale et l’industrie brassicole mexicaine en particulier.
Cette problématique nous permettra ainsi de tirer trois propositions centrales, à partir
desquelles nous énoncerons notre question de recherche ainsi que la question
secondaire. De ces questions, nous tirerons nos hypothèses de travail.
2.1
La co-opétition, le complément de la théorie de la diplomatie
triangulaire
2.1.1 La diplomatie triangulaire ou les relations entre les États et les entreprises
Selon Strange, l’économie politique internationale, bien que composée d’une
multitude de protagonistes, n’en demeure pas moins l’apanage de deux acteurs
centraux : les États et les firmes, particulièrement les FMN (Strange, 1970, 1988,
1992, 1996; Stopford et Strange, 1991). Toutefois, Strange remarque que le rôle et
l’importance des entreprises sont largement sous-estimés en science politique et en
économie politique internationale.
Les écrits de Strange s’articulent autour de quatre thèmes majeurs : une vision
structurelle de l’économie politique internationale, une attention particulière aux
relations de pouvoir entre les diverses autorités composant cette économie politique
internationale, le rejet de la théorie des régimes ainsi qu’un scepticisme vis-à-vis un
supposé déclin de la puissance des États-Unis. Le premier grand thème de l’œuvre de
Strange a trait aux structures : pour qui veut comprendre l’économie politique
46
internationale, il est essentiel de mettre à jour les structures y opérant. C’est à travers
le contrôle de ces structures que s’exerce le pouvoir. Traditionnellement, le pouvoir
est conçu en termes relationnels.63 À cette conception, Strange propose une approche
structurelle.64 Ainsi, le pouvoir s’exerce à travers quatre grandes structures : la
structure de sécurité, la structure de production, la structure financière et la structure
des savoirs (Strange, 1988).65
Selon Strange, les transformations dans les quatre structures de pouvoir de l’économie
politique internationale entraînent des bouleversements importants non seulement au
sein des firmes, mais également des États. Ces changements structurels, caractérisés
par les progrès technologiques, une plus grande mobilité du capital ainsi que les
avancées dans la structure des savoirs, accélèrent l’internationalisation de la
production (Strange, 1992). Si les changements structurels provoquent des mutations
politiques et économiques, ils entraînent également une hausse de la concurrence
entre les États pour les parts de marché internationaux.66 Cette nouvelle concurrence
influence non seulement les États, mais également les firmes. L’État, dans l’objectif
d’accroître sa compétitivité, est obligé d’entrer en négociation avec les entreprises
afin d’attirer les investissements que réalisent celles-ci.67
63
Le pouvoir relationnel est défini comme la capacité de l’acteur A à forcer l’acteur B à entreprendre
une action que celui-ci n’aurait pas entreprise autrement (Strange, 1988).
64
Le pouvoir structurel est la capacité d’orienter et de contrôler les structures de l’économie politique
globale à l’intérieur de laquelle les institutions politiques, les entreprises et autres acteurs évoluent
(Strange, 1988).
65
La structure de sécurité est le cadre créé par une institution afin d’assurer la sécurité des individus; ce
cadre est généralement fourni par l’État. La structure de production représente l’ensemble des décisions
relatives à ce qui doit être produit, par qui, pour qui, par quelles méthodes et selon quels arrangements.
C’est à travers cette structure que se créé la richesse. La structure financière réfère à l’ensemble des
accords dictant la disponibilité du crédit ainsi qu’à tous les mécanismes de création et d’échange des
monnaies. Cette structure est la plus globalisée des quatre. La dernière structure, celle des savoirs,
renvoie à trois niveaux distincts : les croyances, la connaissance (ou la perception de celle-ci), de même
que les canaux de transmission des idées, croyances et connaissances. Des quatre structures, cette
dernière apparaît comme la plus diffuse et la moins bien comprise, car elle repose à la fois sur la
capacité à nier l’accès aux savoirs ou à l’autoriser (Strange, 1988: chapitres 3, 4, 5 et 6).
66
Cette concurrence internationale, combinée à une globalisation de plus en plus poussée de
l’économie internationale, exerce également une profonde influence à l’interne puisque les États
doivent adapter leurs stratégies économiques nationales afin de faire face aux chocs externes (Stopford,
1993). On retrouve en quelque sorte l’argumentation de Porter sur la relation entre l’international et le
national dans la détermination de la compétitivité nationale (Porter, 1990).
67
Strange souligne que la firme, dans cette négociation, se trouverait dans une position avantageuse
dans la mesure où elle dispose d’une série de ressources nécessaires à l’État dans sa quête de parts de
marché : le contrôle des technologies de pointe, l’accès aux capitaux internationaux et l’accès aux
marchés de la Triade (Strange, 1992).
47
Dans cette optique, Stopford et Strange avancent six propositions supportant l’idée
d’une interdépendance croissante entre les États et les firmes :
1) Dans les relations économiques internationales contemporaines, les États sont
davantage en concurrence pour l’accès aux moyens de création de la richesse
sur leur territoire que pour l’augmentation de leur pouvoir sur des territoires
additionnels;
2) l’émergence de nouvelles formes de concurrence entre les firmes affecte
également la manière dont les États luttent pour l’accès aux richesses;
3) les petits États pauvres font face à des barrières à l’entrée de plus en plus
grandes dans les industries soumises aux forces globales de la concurrence
internationale ;
4) ces transformations introduisent deux nouvelles facettes à la diplomatie
traditionnelle : la diplomatie État-firme et la diplomatie firme-firme ;
5) ces nouvelles dimensions multiplient le nombre d’options possibles pour les
États et les firmes ;
6) ces mutations entraînent un accroissement de la volatilité et du rythme de
changements des résultats de cette nouvelle diplomatie (Stopford et Strange,
1991: 1-2)
À partir du constat de l’impact des changements structurels et des propositions de
Strange, deux points doivent être soulevés. D’une part, la pression engendrée par
l’impératif de la concurrence apparaît comme la caractéristique fondamentale des
relations économiques internationales. Car, non seulement les firmes sont-elles
soumises à cette concurrence globale, mais les États doivent également faire face à
cette nouvelle dynamique. D’autre part, les États tout comme les firmes font face à
l’impératif de la négociation, une négociation permanente dans un contexte
d’incertitude.
Dans ce contexte, trois forces se conjuguent afin de transformer la conception
traditionnelle de la diplomatie. La portée de plus en plus grande des FMN, à travers
l’IDE principalement, entraîne des rapprochements toujours plus importants entre les
économies les plus avancées, favorisant ainsi une intégration croissante de l’économie
internationale. Toutefois, cette importance grandissante des FMN limite la capacité de
l’État à contrôler l’économie nationale. Par ailleurs, on assiste à une intensification de
la concurrence transfrontalière tant pour les États que pour les firmes. Les stratégies
de ces dernières sont influencées par les choix qu’elles effectuent sur les différents
marchés où elles sont présentes alors que les États doivent rivaliser d’adresse afin
48
d’attirer les investissements les plus productifs. Finalement, l’émergence d’une
civilisation transnationale d’affaires, avec comme centre les États-Unis (en particulier
New York, Los Angeles et Chicago), joue le rôle d’agent du changement social et
économique (Stopford et Strange, 1991).68
Si on accepte cette prémisse, il s’ensuit que les États doivent non seulement prendre
en compte les stratégies des firmes, mais doivent également négocier avec celles-ci,
leur compétitivité internationale dépendant en partie de leurs relations avec les
grandes entreprises. Ce nouveau type de négociation entre l’État et la firme s’ajoute à
la négociation traditionnelle entre les États. À ces deux formes de négociation se
mêle une troisième relation, à savoir les rapports entre les firmes afin de gagner des
parts de marché internationaux. (Stopford et Strange, 1991; Strange, 1992). La
diplomatie triangulaire, découlant de ces trois relations, permet de rendre compte de la
complexité de plus en plus grande des relations économiques internationales, car elle
intègre à la fois les logiques des États et celles des firmes.
Les implications de cette nouvelle configuration pour l’étude des affaires
internationales sont doubles : premièrement, les États apparaissent davantage
concernés par l’acquisition des moyens de création de richesse que par l’acquisition
de nouveaux territoires. Ensuite, les stratégies des firmes exercent une influence
fondamentale sur l’économie politique des États, car ceux-ci doivent prendre en
considération cette donnée dans l’élaboration de leurs politiques, tant économiques
que sectorielles. Ensemble, ces transformations entraînent non seulement des
changements qualitatifs dans les relations entre les États et les firmes, mais également
une réévaluation de la concurrence et de la coopération. Celles-ci ne sont désormais
plus limitées au territoire national, mais revêtent un caractère régional et/ou global
(Stopford et Strange, 1991).
68
Les auteurs s’appuient sur le concept de “société transnationale” de Kaiser. Cependant, dans le
contexte d’une économie mondiale globalisée, ce concept apparaît trop vaste. Étant donné que le
monde des affaires partage des valeurs, des coutumes et tabous communs, le resserrement du concept
de société transnationale à un groupe plus restreint comme la civilisation transnationale d’affaires
fournit davantage de précision (Stopford et Strange, 1991).
49
2.1.2
La co-opétition : la synthèse de la concurrence et de la coopération
Les deux approches théoriques, et encore plus les théories de la concurrence,
saisissent difficilement qu’il existe deux stratégies possibles pour les firmes dans leurs
relations : coopérer ou se concurrencer. Alors qu’on a longtemps cru que la
concurrence constituait le mode de relation par excellence des rapports inter-firmes, il
n’en va pas ainsi dans l’environnement des affaires actuel (Nalebuff et
Brandenburger, 1996; Jolly, 2001; Culpan, 2002). Comme le souligne Jolly (2001: 2),
“dans un espace marqué par le paradigme concurrentiel, la pratique des affaires s’est
orientée depuis les années 1980 (…) vers des stratégies de coopération
interentreprises.”
Afin de mieux saisir ces relations de concurrence et de coopération, il apparaît
essentiel de les concevoir dans un rapport de simultanéité et de complémentarité. Le
concept de co-opétition (Nalebuff et Brandenburger, 1996 ; Lado, Boyd et Hanlon,
1997 ; Dagnino et Padula, 2002) rendrait ainsi compte de ces dynamiques entre les
entreprises, ainsi qu’avec leur environnement en général.69 Se basant sur la théorie
des jeux, Nalebuff et Brandenburger soutiennent que les firmes adoptent une
multitude de rôles dans leurs activités. Au lieu de se dérouler dans une séquence
linéaire, ces rôles se chevauchent simultanément. Les firmes peuvent être à la fois
concurrentes et/ou complémenteurs.70 Ces rapports de concurrence et de coopération
se déroulent au sein d’un réseau de valeur (value net) où l’on retrouve également les
clients et les fournisseurs.
69
Le terme de co-opétition a été forgé par Ray Noorda, ancien président- directeur général (PDG)
d’une firme de logiciels, au début des années 1990. Il faudra attendre 1996 pour que le terme soit
conceptualisé par Nalebuff et Brandenburger (Co-opétition. A revolutionary mindset that redefines
competition and cooperation in the marketplace, New York: Doubleday).
70
Un complémenteur est “tout joueur dont le produit confère une valeur plus grande, aux yeux des
clients, au produit de votre entreprise que celle qu’il aurait tout seul”, alors qu’un concurrent est “tout
joueur dont le produit fait baisser, aux yeux des clients, la valeur du produit de votre entreprise par
rapport à celle qu’il aurait eue autrement” (Nalebuff et Brandenburger, 1996: 20).
50
Figure 2.1 Le réseau de valeur
Clients
Concurrents
Entreprise
Complémenteurs
Fournisseurs
Source : Barry Nalebuff et Brandenburger, Adam, La co-opétition : une révolution dans la
manière de jouer concurrence et coopération, Paris : Village mondial, 1996.
L’objectif central de l’entreprise se trouvant au centre du réseau n’est pas de
maximiser ses gains à tout prix au détriment de ses concurrents et de favoriser
systématiquement ses complémenteurs, mais plutôt de tirer avantage de chaque
situation, sachant qu’un complémenteur peut devenir concurrent ou, à l’inverse, qu’un
concurrent peut devenir complémenteur, afin de créer de la valeur (Nalebuff et
Brandenburger, 1996; Dagnino et Padoua, 2002). Bien que l’idée de conjointement
collaborer et concurrencer une autre firme puisse paraître paradoxale, la firme choisira
cette option car elle adopte un comportement de recherche de rente équilibrée
(syncretic rent seeking) (Lado, Boyd et Hanlon, 1997).71
Dans la théorie de la co-opétition, l’État apparaît comme un acteur incontournable
(Nalebuff et Brandenburger, 1996). Il remplit deux fonctions distinctes. D’une part, il
peut être l’un des joueurs au sein du réseau de valeur. À ce titre, il peut se retrouver
71
“Syncretic rent-seeking behavior describes a firm’s strategic orientation to achieve a dynamic
balance (or syncretism) between competitive and cooperative strategies” (Lado, Boyd et Hanlon, 1997:
122).
51
sur n’importe quelle pointe du réseau.72 D’autre part, l’État assure la bonne marche de
l’ensemble des réseaux de valeur de l’économie à travers ses fonctions régaliennes.
La co-opétition intègre deux logiques d’interaction distinctes (Quintana García et
Benavides Velasco, 2002). La première, la concurrence, implique une certaine
hostilité envers l’autre ; la seconde, la collaboration, requiert un certain niveau de
confiance afin d’atteindre des objectifs communs. La co-opétition entraîne donc de
nouvelles formes d’interdépendance stratégiques entre les acteurs, principalement les
firmes (Dagnino et Padoua, 2002). Une ultime remarque s’impose toutefois. Si la
théorie de la co-opétition s’applique au premier chef à l’activité des firmes, et si
quelques études ont cherché à l’appliquer à l’échelle nationale (Dagnino et Padoua,
2002), régionale (Quintana García et Benavides Velasco, 2002) ou internationale
(Van de Gevel, 2000; Kretschmer et Muehlfeld, 2004), elle n’a pas encore été
appliquée à l’ensemble d’une industrie aux trois niveaux.
La théorie de la co-opétition, en s’attardant aux relations que tissent les entreprises,
permet de mieux comprendre le rôle et l’influence de celles-ci dans les relations
économiques internationales. La prise en compte de cet aspect de l’économie
politique internationale facilite ainsi la compréhension des rapports entre les firmes
d’une part, et entre les firmes et les États d’autre part. Conceptualisée ainsi, la coopétition représente la pièce manquante d’une des théories les plus importantes en ce
qui concerne les relations entre les firmes et les États : la théorie de la diplomatie
triangulaire.
2.1.3
La co-opétition dans le triptyque national/régional/global
Dans le cadre de leur processus d’internationalisation, les entreprises disposent de
deux stratégies à la fois contradictoires et complémentaires faces à leurs concurrentes
et aux États : elles peuvent se concurrencer ou collaborer. Le choix de la stratégie à
adopter dépendra des objectifs qu’établit la firme vis-à-vis du marché ou de l’État en
question.
72
Selon Nalebuff et Brandenburger (1996: 37), l’État, ou plutôt les divers niveaux de pouvoirs publics,
représentent l’exemple type du joueur occupant plusieurs positions à la fois dans le réseau de valeur
52
En situation de co-opétition, trois options s’offrent aux firmes : 1) coopérer, puis se
concurrencer ; 2) coopérer tout en se concurrençant ; 3) coopérer entre elles, mais être
en concurrence avec d’autres firmes (Culpan, 2002). Les firmes choisissent la
première option afin de renforcer leurs capacités compétitives et/ou d’accroître la
taille du marché ; elles optent pour la deuxième stratégie lorsqu’elles veulent réduire
leurs coûts, notamment en R&D ; la troisième option renvoie à la concurrence entre
des réseaux d’entreprise, non pas entre des firmes individuelles.73
Le modèle de la co-opétition que nous proposons repose sur la prémisse que les
rapports de concurrence et de coopération se déroulent aux trois niveaux d’activité des
firmes, le national, le régional et le global. Ainsi donc, il existe un marché mondial de
la bière dans lequel interviennent principalement les brasseries (multinationales,
nationales, régionales et locales)74, mais également les importateurs, les distributeurs
et les États.75 Il existe également un niveau régional. Celui-ci ne constitue pas un
marché intégré, mais la densité des rapports qu’y nouent les brasseries implique que
nous reconnaissions sa pertinence. En outre, bien que les brasseries multinationales
(BMN) désirent développer des stratégies globales, un certain nombre d’entre elles
adoptent avant tout une perspective régionale. Au troisième niveau, on retrouve les
industries brassicoles nationales.
73
Culpan (2002) souligne que cette option est particulièrement populaire au Japon, alors que les
Keiretsu, des conglomérats d’entreprises, assurent la cohésion interne des entreprises membres. Il note
que les ressources et les compétences que possède la firme ainsi que les conditions de marché
déterminent l’option que retiendra l’entreprise.
74
Bien que nous reconnaissions l’apport des brasseries régionales et locales dans la promotion et
l’accès à une plus grande variété de bières, le modèle traite uniquement des brasseries de caractère
national ou multinational. À travers leurs stratégies et leur développement, celles-ci jouent un rôle actif
dans les relations de concurrence et de coopération internationales que nous étudions ici.
75
Les importateurs et distributeurs ne sont pas directement inclus dans le modèle car, bien que l’on
retrouve des importateurs et distributeurs indépendants dans certains marchés, ce sont généralement les
brasseries qui remplissent ces fonctions à l’échelle nationale. Ces deux fonctions, l’importation et la
distribution sont donc assimilées aux complémenteurs.
53
Figure 2.2 La co-opétition dans l’industrie brassicole internationale
Global
Région 1
2
3
A
F
B
G
C
H
J
G
K
I
5
1
D
4
E
B
N
L
P
6
L
Région 2
B
P
Q
U
7
A
J
L
P
8
C
G
P
9
10
Région 3
Dans le modèle que nous proposons, on remarque l’emboîtement des trois niveaux
Dans le modèle que nous proposons, on remarque l’emboîtement des trois niveaux. Le
premier niveau, le global, recouvre l’industrie à l’échelle internationale. Toutes les
entreprises y sont présentes et la totalité des relations s’y déroulent. Au second niveau,
le régional, on note une plus grande densité de la coopération compte tenu des formes
que prend celle-ci (licences, accords de co-entreprise ou de distribution, alliances
54
stratégiques) et des impératifs stratégiques des firmes. Le troisième niveau, le
national, apparaît comme l’échelon de base de la concurrence inter-firme. À cette
échelle, la coopération entre les firmes nationales est plus faible, se situant surtout au
niveau du lobbying auprès des autorités gouvernementales. Toutefois, c’est à ce palier
qu’on retrouve la coopération entre les BMN et les brasseries nationales. Cette
coopération facilite l’accès du marché local à la BMN.
Nous remarquons aussi que la concurrence est davantage nationale et globale (les
cadres verts), alors que la coopération est à la fois nationale (à travers les licences de
production et de distribution) et régionale (au niveau de la distribution et à une
moindre mesure la production) (les flèches orangées). Cela signifie que deux firmes
peuvent coopérer sur un marché particulier et se concurrencer sur un autre, et ce, dans
la même région. C’est dans ce cadre de coopération et de concurrence que s’inscrit
l’évolution de l’industrie brassicole internationale, les BMN établissant des réseaux
internes (flèches bleues) ou externes (flèches orangées) couvrant la totalité ou la
majorité des régions de la planète.
Ce que souligne également ce modèle, c’est qu’aucun pays n’échappe à cette tendance
co-opétitive. La quasi-totalité des pays se caractérisent par une structure de marché
quasi oligopolistique. Les options de pénétration de marché s’offrant aux BMN se
limitent à l’investissement de portefeuille (l’achat d’actions de la firme dominante ou
d’une concurrente mineure) ou l’exportation de faible niveau de bières sur le marché
en question. Dans les cas de l’exportation, la BMN devra collaborer avec l’une des
brasseries dominantes sur le marché national si elle désire pénétrer le marché.
Par ailleurs, l’importance du niveau national se traduit également par le fait que les
résultats et les stratégies qu’adopte une brasserie vis-à-vis un pays influencent et sont
influencés par sa position sur d’autres marchés nationaux et sur le marché
international. Ainsi la firme décidera-t-elle d’investir sur place, d’exporter ou de
s’allier à une brasserie autochtone afin de pénétrer ce marché. En outre, c’est à ce
niveau que le rôle et l’impact des États se remarquent avec le plus d’acuité. En effet,
c’est à l’échelon national que l’on retrouve une autorité politique établissant les cadres
institutionnels dans lesquels évoluent l’industrie. En établissant les règles du jeu,
55
l’État intervient directement sur les rapports concurrentiels et coopératifs à l’œuvre au
sein de cette industrie (Rioux, 2000b).
2.2
Problématique
2.2.1
Problématique générale : les BMN, des firmes globales ?
Depuis la fin des années 1980 et le début des années 1990, cette industrie se
caractérise par un double processus de globalisation et de régionalisation. Alors que la
concurrence s’intensifie à l’échelle internationale, les entreprises développent
également des réseaux internationaux, favorisant par là leur internationalisation. Les
brasseries multinationales, cherchant à accroître leurs parts de marchés internationales
ont ainsi transformé cette industrie d’une industrie à dominante nationale en une
industrie globale. Ce cas de globalisation industrielle permet à l’analyste d’adopter
une approche à la fois générale et particulière. Il nous est donc possible d’étudier le
passage d’une industrie nationale à une industrie globale. Par la même occasion, nous
pouvons affiner l’analyse en examinant un cas particulier, celui des brasseries
mexicaines.
Il s’agirait pour les brasseries de se transformer en brasseries globales, produisant et
vendant leurs bières dans l’ensemble des régions de la planète, et ce, avec une
répartition équilibrée. La fragmentation, qui constituait l’une des principales
caractéristiques de l’industrie brassicole internationale, cède donc le pas à la
formation de brasseries de plus en plus imposantes, tant en terme de production et de
vente que de pénétration de marché (Business Week, 08/09/2003). Cette concentration
est provoquée par la globalisation de l’industrie, les barrières traditionnelles à la
propriété ou à l’accès aux nouveaux marchés disparaissant graduellement. Toutefois,
la globalisation d’une industrie signifie-t-elle une transformation correspondante des
firmes ?
Cette industrie se caractérise par une double tendance. On assiste d’une part à une
concurrence généralisée pour la domination de l’industrie à l’échelle internationale.
Cette concurrence prend la forme d’une lutte pour les parts de marché. Cette
concurrence globale, résultant de la concentration et des économies d’échelle que
56
réalisent les BMN, entraîne la concentration des entreprises en un nombre toujours
plus réduit de brasseries, accentuant ainsi la structure oligopolistique de l’industrie.
Cependant, et bien qu’il existe une concurrence globale, les principaux rapports
concurrentiels ont surtout lieu sur les marchés nationaux. Cette situation entraîne la
nécessité pour les BMN de collaborer avec les brasseries nationales dominant les pays
en
question
afin
d’assurer
la
disponibilité
de
leurs
produits.
Cette
collaboration/coopération s’effectue généralement à travers des accords de licence, de
co-entreprises ou de distribution.
Pour les firmes donc, la question est de savoir quelle stratégie adopter lorsqu’il y a
transformation des structures du marché international. Dans la mesure où les rapports
de concurrence se transposent du niveau national au niveau global, la formation d’une
industrie internationale de plus en plus oligopolistique traduisant cette évolution, un
choix se pose pour les firmes : ou attendre que les concurrentes agissent et alors la
firme se trouve en situation de réaction ; ou pénétrer les marchés de ses concurrentes,
soit par exportation ou l’IDE, l’entreprise étant en situation d’action, de leadership.
En d’autres mots, avec la globalisation, la firme doit-elle agir ou attendre ?
Afin de mieux comprendre la globalisation, et par extension la régionalisation, il faut
à la fois se concentrer sur l’analyse macroéconomique et macropolitique du rôle des
entreprises et saisir les diverses stratégies à leur disposition, les différentes formes que
prend leur internationalisation (Michalet, 1991). Une telle approche doit permettre de
resserrer la compréhension des phénomènes d’intégration en replaçant l’activité des
firmes au cœur de ces processus.
2.2.2
Problématique de l’industrie brassicole mexicaine
Dans un contexte international où les BMN poursuivent inlassablement la
consolidation de l’industrie par des fusions-acquisitions et où la concurrence pour les
parts de marché internationaux apparaît comme l’élément structurant de l’évolution
des principales brasseries internationales, les brasseries mexicaines sont confrontées à
deux stratégies internationales possibles. Elles peuvent, d’une part, adopter une
stratégie globale où l’objectif serait de concurrencer les principales BMN sur tous les
57
marchés internationaux. Étant donné qu’elles sont comparativement plus petites que
les principales BMN et qu’elles disposent de ressources financières moindres, cette
stratégie ne semble pas être optimale.
Conscientes de cette faiblesse relative, les brasseries mexicaines peuvent, d’autre part,
se replier sur le marché régional. Ainsi, leur connaissance du marché américain, de
même que la présence d’un bassin de population d’origine mexicaine important
garantirait une croissance soutenue de la production et des revenus. Cependant, ce
niveau de croissance n’est pas suffisant dans une industrie caractérisée par des
économies d’échelle de plus en plus prononcées et des capacités de surproduction en
augmentation.
Face à ce dilemme entre une stratégie purement globale et une stratégie strictement
régionale, les brasseries doivent déterminer quelles formes doit prendre leur
internationalisation afin de ne pas se retrouver dans une situation critique : si elles
investissent trop dans la globalisation de leurs activités, cela risque d’entraîner des
coûts beaucoup plus onéreux que les bénéfices qu’elles peuvent en tirer. Si elles
choissent plutôt la seule régionalisation, elles courent le danger de dépendre d’un seul
ou deux grands marchés d’exportation, s’exposant aux fluctuations de ceux-ci. Dans
cette optique, il s’agit pour les deux brasseries mexicaines d’évaluer le niveau de
globalisation et de régionalisation qu’elles désirent afin d’assurer un équilibre entre
une présence internationale étendue et la concentration de leurs ressources financières
sur le marché nord-américain.
2.3
Questions de recherche et hypothèses
2.3.1 Questions de recherche
La globalisation et la régionalisation d’une industrie signifient que les entreprises
composant cette industrie coopèrent et se concurrencent simultanément. La stratégie
utilisée découlera des objectifs visés par les dirigeants de chaque firme et du marché
sur lequel les compagnies désirent être présentes. L’industrie brassicole internationale
représente un exemple de cette double dynamique. Le cas de l’industrie brassicole
mexicaine en sera l’illustration.
58
La tendance à la concentration dans l’industrie brassicole internationale conduit à une
structure oligopolistique de celle-ci. Prenant acte de cette évolution, les dirigeants de
l’industrie brassicole mexicaine concluent à la nécessité pour cette dernière de
s’internationaliser.
Les brasseries mexicaines, conscientes des avantages et des inconvénients d’une
internationalisation purement globale ou strictement régionale, adopteront des
stratégies d’internationalisation mêlant à la fois la globalisation et la régionalisation,
afin de minimiser les risques et de renforcer leur présence sur leurs principaux
marchés d’exportation.
Étant donné que nous nous proposons d’étudier le rôle des firmes dans les relations
économiques internationales, il nous apparaît important de prendre en compte le
contexte historique et politique dans lequel celles-ci évoluent. Dans le cas de
l’industrie brassicole mexicaine par exemple, cela implique l’analyse des
transformations des stratégies des entreprises alors qu’on assiste à un changement de
modèle économique au Mexique. Ainsi, nous sommes conduits à replacer le rôle et
l’importance de l’État dans le développement international d’une industrie d’un pays
en développement.
En outre, l’analyse du développement international des brasseries mexicaines nous
permet de combiner l’analyse des trois niveaux d’activité des firmes à l’étude de leurs
stratégies d’internationalisation. C’est en somme une réflexion sur la nature et les
déterminants de la globalisation et de la régionalisation à laquelle nous nous livrerons.
Il découle de ce qui précède la question de recherche suivante :
Comment l'industrie brassicole mexicaine a-t-elle fait face au triple changement
survenu depuis le début des années 80, à savoir l’ouverture de l’économie mexicaine,
la globalisation de l’économie internationale et l’intégration de plus en plus poussée
de l’économie mexicaine à l’économie américaine ?
Telle qu’abordée ici, l’internationalisation s’articule à deux niveaux, la portée et les
stratégies
de
pénétration
de
marché.
Vue
sous
l’angle
de
la
portée,
l’internationalisation se joue sur deux échelons, l’un global et l’autre régional
59
(Sachwald, 1998). Par ailleurs, l’internationalisation renvoie également aux modalités
d’entrée sur les marchés étrangers. On reconnaîtra ainsi qu’un certain nombre de
stratégies de pénétration des marchés internationaux sont à la disposition des firmes.
Toutefois, on note qu’il existe des différences quant au nombre de stratégies
possibles.76
Bien que nous nous intéressions ici à l’internationalisation d’une industrie nationale,
on ne peut comprendre ce processus sans le replacer dans le cadre plus large des
transformations de l’économie mexicaine. En effet, si l’internationalisation de
l’industrie brassicole mexicaine prend son essor à partir des années 1980, nous
assistons durant la même période à un changement de modèle économique au
Mexique, l’intégration à l’économie mondiale constituant l’élément clé de la stratégie
des dirigeants mexicains (Macouzet , 1994; Vega Canovas, 1994; Bensabat, 1995;
Pastor et Wise, 1996).
La nécessité de prendre en compte le rôle de l’État mexicain et les stratégies
d’internationalisation des brasseries mexicaines nous conduit à formuler une question
complémentaire à la précédente :
Les politiques économiques impulsées par l’État, tant à l’interne qu’à l’échelle
internationale, ont-elles exercé une influence prépondérante sur l’internationalisation
de l’industrie brassicole mexicaine ?
Ensemble, ces questions nous forcent à nous interroger sur la nature de la concurrence
entre les brasseries et les fondements de la coopération interentreprises. Elles nous
permettent également de replacer le processus d’internationalisation d’une industrie
nationale dans un contexte plus large : celui de la de transformation de l’économie
d’un pays en développement.
76
Ainsi, Richelieu (2002) considère qu’il existe quatre modes d’entrée sur un marché étranger :
l’exportation, la cession de licence, les joint-ventures et les IDE ; Hill (2001) reconnaît ces modalités
d’entrées, mais ajoute également la franchise et les projets clé-en-main. Culpan (2002), décrivant
l’environnement contemporain des FMN, rassemble les modes d’entrée selon deux types, les alliances
financières et non financières. L’exportation apparaît donc comme une stratégie obsolète.
60
2.3.2
Hypothèses
Avant la crise financière de 1982, les dirigeants de l’industrie brassicole mexicaine ne
considéraient pas l’internationalisation comme une priorité pour leurs firmes, se
concentrant sur la concurrence interne et l’augmentation des parts de marché au
Mexique. Cependant, les difficultés financières résultant de la crise oblige les
brasseries mexicaines à rechercher de nouvelles sources de revenus afin de faire face à
leurs dettes (Expansión, 21/12/1983). Cette situation touche non seulement l’industrie
brassicole mexicaine, mais plus généralement, l’économie et l’État mexicains. La
solution, tant pour l’État mexicain que les brasseries nationales, passe par
l’internationalisation. Dans le cas de l’État, cela se traduit par l’ouverture unilatérale
et l’intégration progressive à l’économie mondiale et culmine avec l’ALENA.
Bien que l’on assiste à la globalisation de l’industrie brassicole internationale, ce
processus est relativement tardif comparativement à d’autres industries (Business
Week, 08/09/2003). La nature du produit, la bière, a passablement retardé ce
mouvement. Alors que certaines brasseries se sont internationalisées très tôt, c’est le
cas notamment de Heineken et Guinness, la bière est longtemps demeurée un produit
local (limitée à la ville, à la région ou au pays). Les bières importées étaient soit
absentes ou faiblement présentes. Avec la globalisation de l’industrie, on assiste à une
certaine standardisation des goûts des consommateurs (Segal-Horn, 2002). Dans le
cas de la bière, cela signifie la popularité de plus en plus grandissante des bières de
type lager, au détriment d’autres bières confinées à des niches spécialisées. L’une des
conséquences les plus importantes de ces développements concerne l’apparition de
marques globales, connues et présentes sur la quasi-totalité des marchés de la planète.
Au-delà du discours de ses dirigeants voulant que la globalisation représente le facteur
déterminant dans leur décision de s’internationaliser (Abasolo, 14/05/02; Diez
Morodo, 01/03; Astaburuaga Senjines, 23/06/2004), l’industrie brassicole mexicaine
développe à la fois une stratégie régionale et une stratégie globale. Étant donné que
son principal marché d’exportation se situe aux États-Unis, la proximité géographique
joue un rôle fondamental. En outre, la présence d’une forte minorité latino-américaine
aux États-Unis fournit aux brasseries latino-américaines un marché potentiel
difficilement reproductible ailleurs dans le monde (Beverage Aisle, 15/04/2004). Cela
61
s’avère particulièrement favorable pour les brasseries mexicaines puisque les
Mexicains d’origine constituent le plus important sous-groupe de latino-américains et
qu’il existe une grande familiarité aux bières mexicaines (BW, 01/02/1996).
D’après ce qui précède, et en prolongement des deux questions que nous posions
précédemment, nous émettons les trois hypothèses suivantes, en lien avec la
problématique développée plus haut :
H.1 : La globalisation, ainsi que la concurrence internationale qu’elle a entraînée,
auraient transformé la firme multinationale en une firme globale. Celle-ci
privilégierait une stratégie et une organisation globales, étendant ses activités à tous
les marchés.
H.2 : Les transformations de l’économie internationale obligent les firmes à la fois à
se concurrencer et à coopérer. La co-opétion résultant de cette dynamique conduit les
entreprises à développer leurs activités à trois niveaux : national, régional et global.
H.3 : L’État mexicain, dans le modèle de la diplomatie commerciale et triangulaire,
aurait joué un rôle central dans l’internationalisation des brasseries mexicaines. En
facilitant la mise en place d’un cadre favorable à la concurrence régionale et globale,
il aurait contribué à l’intégration du Mexique à l’économie internationale et permis
aux brasseries mexicaines d’assurer leur présence sur les marchés mondiaux.
2.4
Variables, périodicité et méthode
Si la question centrale de la thèse concerne les déterminants de l’internationalisation
d’une industrie nationale, la seconde interrogation d’importance traitée dans le cadre
de cette recherche a trait à la relation entre les trois niveaux d’activité de la firme
(national, régional et global), ainsi que des interactions et l’influence respective de
chacun sur les autres et sur les stratégies respectives des firmes (par exemple
comment le niveau global obligea les brasseries mexicaines à adopter des stratégies
globales).
Dans la mesure où la concurrence et la coopération constituent les deux facettes les
plus importantes de l’industrie brassicole internationale en général et de l’industrie
brassicole mexicaine en particulier, les variables guidant notre recherche doivent
refléter cette double dynamique.
62
2.4.1
Variables
Le développement international de l’industrie brassicole mexicaine implique l’étude
du processus d’internationalisation ainsi que des rapports qu’entretiennent les
brasseries mexicaines avec les BMN et autres acteurs intervenant dans l’industrie.
Afin d’élucider l’internationalisation des brasseries mexicaines, nous l’aborderons
selon les stratégies de pénétration de marché à la disposition de Grupo Modelo et de
CCM. Nous avons mentionné qu’au moins quatre modalités d’internationalisation
pouvaient être retenues par les firmes : l’exportation77, l’IDE, la cession de licence et
les co-entreprises. Dans l’étude de l’internationalisation, nous nous concentrerons ici
sur l’IDE et les exportations. À ces deux critères, nous joignons la structure
internationale des brasseries. Ainsi, un accroissement ou une réduction au niveau d’un
ou plusieurs de ces éléments traduirait une progression ou une réduction de
l’internationalisation des brasseries mexicaines.
Par ailleurs, nous avons souligné que l’internationalisation devait également se
concevoir au niveau de sa portée. Si nous admettons que cette portée est double,
régionale et globale, les critères d’analyse doivent refléter cette dualité. Les stratégies
de concurrences et de coopération des BMN et des brasseries mexicaines nous
aideront à mieux comprendre cette évolution. En matière de concurrence, nous
retiendrons les critères suivants : l’évolution des parts de marché national et
international), le degré de concentration de la production et des ventes des principales
BMN ainsi que l’évolution des fusions/acquisitions. En ce qui concerne les critères de
coopération, nous privilégierons les accords interentreprises (licence et distribution),
les alliances stratégiques et les co-entreprises. Ces critères nous permettront ainsi de
tracer le développement des réseaux au sein de l’industrie brassicole internationale.
Si la description de ces stratégies constitue une partie importante de l’analyse, elle ne
nous permettra pas de conclure à une régionalisation et/ou globalisation de l’industrie
brassicole mexicaine. À l’analyse qualitative, nous devons donc joindre des mesures
quantitatives afin de juger de la progression de la concurrence et de la coopération sur
77
Dans le cas des exportations, nous nous référons au ratio exportations/production totale.
63
les deux échelles retenues (régionale et globale). Le tableau suivant présente les
diverses options à la disposition des firmes dans leur processus d’internationalisation.
Tableau 2.1 Indicateurs d’internationalisation dans l’industrie brassicole
internationale
Internationalisation
Concurrence
Coopération
Structure internationale :
- brasseries implantées à
l’étranger
- bureaux à l’étranger
IDE
Parts de marché
- progression des parts
de marché des BMN
Réseau interne de
l’entreprise
Licence de production
Concentration de la
production
- achat de brasseries
étrangères
Concentration des ventes
- pourcentage des ventes
mondiales des dix
premières brasseries
Fusions/acquisitions
-progression/ régression
des fusions/acquisitions
Co-entreprises
Alliances stratégiques
Exportations
Exportations/ventes
nationales
- évolution des ratios entre
exportations et ventes
nationales
Accords de distribution
Alliances stratégiques
Multiplication des
alliances stratégiques
Afin de déterminer le niveau d’internationalisation des brasseries mexicaines, à savoir
la prééminence de la régionalisation ou de la globalisation, nous nous référerons aux
critères énoncés par Rugman et Verbeke (2004). La principale variable retenue sera
donc le niveau des ventes de la firme dans les trois régions de la Triade. Rappelons
qu’une firme est globale lorsqu’elle a des ventes de plus de 20% dans les trois pointes
de la Triade, mais qu’aucune région ne concentre plus de 50% des ventes. Ainsi, audelà du discours des dirigeants et des stratégies d’entreprises, le niveau des ventes à
l’étranger nous informe sur la prépondérance d’une région particulière ou d’une
projection globale de la firme.
Cependant, et bien que les ventes dans la Triade représentent un bon indicateur
d’internationalisation des firmes, elle n’est pas entièrement satisfaisante. En ne
prenant pas en compte les aspects stratégique et productif, deux éléments clés dans le
développement international de la firme, cette variable présente une certaine faiblesse.
64
La composante stratégique nous paraît particulièrement importante. Harzing a
caractérisé la firme globale comme une entreprise cherchant principalement à profiter
des économies d’échelle en standardisant la production (Harzing, 2000). L’industrie
brassicole se dépeint comme une industrie où les économies d’échelle représentent un
avantage compétitif important. Si une brasserie internationale met en place des
stratégies, soit de concurrence ou de collaboration, visant à maximiser ses économies
d’échelle, et ce dans l’ensemble des régions de la planète, cela contribue positivement
à la qualifier de firme globale.
2.4.2
Période étudiée
L’industrie brassicole mexicaine est plus que centenaire, sa véritable naissance datant
des années 1860. Bien que nous accordions une certaine importance à son
développement historique, la période qui nous intéresse particulièrement ici sera de
1982 à 2004. En effet, le développement de l’industrie durant le XXè siècle s’est
caractérisé par une croissance continue. La protection qu’accorda l’État à travers l’ISI
avait soustrait l’industrie à la concurrence internationale. De plus, malgré les crises
financières périodiques qu’a connu le pays, la croissance économique continue de la
période d’après-guerre a favorisé la concentration des entreprises, les trois principales
brasseries bénéficiant d’un contrôle de plus en plus poussé de l’industrie.
La crise de 1982 marque un tournant pour l’industrie et une rupture avec le modèle
antérieur. Les difficultés financières que connaît l’État mexicain se répercutent
directement sur les brasseries. Deux des trois brasseries s’étaient fortement endettées
auprès des banques étrangères afin de poursuivre leurs programmes d’expansion. La
dévaluation décrétée par le gouvernement provoqua l’explosion de la dette de ces
brasseries, les conduisant au bord de la faillite.
La crise financière de 1982 constitue également un élément central dans la
compréhension de l’évolution de l’industrie brassicole mexicaine depuis le début des
années 1980, tant au niveau national qu’à l’échelle internationale. Elle entraîna la
restructuration de l’industrie à l’échelle nationale. On assistera ainsi au déclin relatif
de Cuauhtémoc, à la disparition de Moctezuma en tant qu’entreprise indépendante et à
la domination graduelle de Modelo. Par ailleurs, à l’échelle internationale, les
65
brasseries mexicaines constatèrent qu’elles ne pouvaient se fier uniquement sur le
marché intérieur afin de garantir leurs revenus et les profits concordants. Si elles
voulaient maintenir les mêmes niveaux de production et de ventes, cela passait par
l’exportation à l’étranger. Les marchés étrangers, surtout les États-Unis, deviennent
ainsi un élément majeur de la stratégie des brasseurs mexicains.
D’une certaine façon, on peut avancer l’hypothèse que la crise de 1982 et les réponses
qu’y apporteront les brasseries marquent la naissance de l’industrie brassicole
mexicaine contemporaine. En effet, à partir de 1985 s’amorce le processus
d’ouverture économique du Mexique de même que la fusion entre Cuauhtémoc et
Moctezuma, ce qui conduira à la duopolisation de l’industrie. La fusion sera
complétée en 1988 avec la naissance de FEMSA-Cerveza.
2.4.3 Méthodologie et éléments de recherche
Cette recherche procède à la fois sur un plan théorique et factuel. Au niveau
théorique, il s’agira d’aller au fond des théories de la firme et des réseaux. En
soulignant les faiblesses et les apports de ces théories, nous sommes mieux en mesure
de développer le modèle de la co-opétition dans l’industrie brassicole internationale et
la place qu’y occupe l’industrie brassicole mexicaine. Au niveau factuel, une
utilisation rigoureuse des données devrait nous permettre de mettre en lumière
l’organisation de l’industrie brassicole tant au niveau national qu’aux niveaux
régional et global. Nous nous appuierons donc à la fois sur des entrevues avec des
dirigeants de l’industrie brassicole mexicaine, ainsi que sur la consultation des
rapports des compagnies étudiées.
Cette recherche adopte la méthode de l’étude de cas. Une telle méthode permet au
chercheur de répondre aux questions du pourquoi et du comment d’une série
d’événements. En mettant en relation ces événements dans un contexte contemporain,
et dans la mesure où des entrevues avec certains des individus ayant joué un rôle
important peuvent être réalisées, l’étude de cas facilite le dépassement de la littérature
existante et permet d’accéder à une compréhension particulière (Yin, 1994). En outre,
elle permet également de confronter les hypothèses au réel (Nalebuff et
Brandenburger, 1996). En ce sens, l’étude de cas peut être caractérisée comme
66
l’histoire d’un phénomène passé ou actuel résultant de plusieurs sources (LeonardBarton, 1995). Toutefois, il existe des limites à l’utilisation d’un seul cas :
l’impossibilité de généraliser et les biais découlant du particularisme du cas retenu
(Leonard-Barton, 1995: 41).
Afin de dépasser ces limites, l’utilisation de plusieurs cas accroît la validité externe et
prévient des biais du chercheur (Oliveira Vera-Cruz, 2000). Les critères de sélection
de cas étudiés se sont basés sur le principe de duplication littérale (Yin, 1994) et la
richesse d’information disponible (Patton, 1990 ).78 Dans le cas présent, l’étude d’une
seule brasserie mexicaine ne fournit pas une somme d’informations suffisamment
riche afin d’y appliquer le principe de duplication littérale. Une pluralité de cas limite
les erreurs et accroît les possibilités de généralisation de nos hypothèses.
Il nous paraît également intéressant de nous référer aux travaux et propositions
méthodologiques de Strange (1982, 1996), pour qui l'économie politique
internationale doit développer ses propres outils d’analyse, d’où la nécessité d’intégrer
les aspects politique et économique du système international. Dans cette optique, la
méthode de l'économie politique internationale s’articulerait en cinq propositions :
l’identification des réseaux complexes d’autorités entrecroisées à l’œuvre ; la mise en
évidence des accords qu’ont passés entre elles ces autorités et les conséquences de ces
coopérations ; la révélation des valeurs prioritaires de ces autorités (prospérité et
richesse; justice et équité; sécurité, ordre et stabilité; liberté et autonomie de décision)
et comment elles se répartissent, qui gagne quoi, qui perd quoi ? ; l’identification des
points de fragilité des accords en cours; finalement, la mise en évidence des accords
alternatifs possibles (Strange, 1996; Chavagneux, 1998).
Ces cinq propositions doivent permettre à l’analyste d’opérationnaliser ses recherches
selon trois méthodes distinctes :
la méthode sectorielle : l’organisation des travaux sur la base des marchés
étudiés (pétrole, charbon, agroalimentaire, etc.) ;
78
Pour Yin (1994), les raisons conduisant au choix d’une étude de cas multiple en sciences sociales
sont identiques aux sciences dites dures. Les cas doivent être reproductibles, i.e qu’ils permettent de la
prédictibilité, ou ils doivent produire des résultats distincts, mais théoriquement prévisibles. Quant à
Patton, il souligne que le choix des cas à étudier doit reposer sur la richesse des informations que
chacun peut fournir afin de renforcer l’assise théorique de la recherche.
67
la méthode institutionnelle : l’étude des interventions d’institutions nationales,
internationales, d’associations, de fondations, etc. sur la scène internationale ;
la méthode “fonctionnaliste”: l’analyse des diverses fonctions d’autorité dans
une économie politique questionne les sources et les effets de ces fonctions
d’autorité.
Nous privilégierons ici l’approche sectorielle.79 Dans la mesure où elle prend en
compte à la fois les aspects politiques et économiques du secteur étudié, cette
approche possède quatre grands avantages : elle permet de faire ressortir les
asymétries structurelles dans les différentes étapes de la négociation entre des acteurs
de taille différente80 ; elle met en évidence l’importance du facteur technologique81 ;
elle montre comment l’équilibre des pouvoirs entre les divers acteurs est affecté par
l’état du marché ou du secteur ; finalement, d’un point de vue académique, une telle
approche facilite l’accumulation des données, et par extension, de la connaissance
(Strange, 1976). Puisque nous étudierons un marché en particulier, celui de la bière, la
méthode sectorielle paraît toute indiquée. Toutefois, et contrairement à Strange,
l’objet de notre recherche ne portera pas sur le marché international de la bière, mais
plutôt sur l’industrie brassicole mexicaine à partir d’une triple perspective, à savoir
nationale, régionale et internationale.
Concrètement, la combinaison des cinq niveaux proposés par Strange ainsi que de la
méthode sectorielle nous permettra d’atteindre les objectifs de recherches suivants :
premièrement,
l’identification
des
acteurs
impliqués
dans
le
processus
d’internationalisation de l’industrie brassicole mexicaine (les brasseries mexicaines et
internationales ainsi que l’État mexicain), de même que les objectifs poursuivis par
chacun d’entre eux. Afin de cerner ces objectifs, nous devrons mettre en lumière les
liens existant entre ces acteurs, que ce soit en terme de coopération ou de conflit. Par
exemple, quels sont les points d’accord entre les brasseries et l’État en matière de
79
Pour Strange, toute approche d’économie politique internationale prétendant utiliser la méthode
sectorielle doit se poser trois questions : où se localise et comment se distribue le pouvoir sur les
processus économiques ? Quelle est la nature politique des interventions des autorités en place dans ces
processus économiques ? Finalement, quelles sont les conséquences à long terme de ces interventions
sur le marché ou secteur économique étudié ? (Strange, 1976)
80
En outre, elle permet de souligner l’impact de la réglementation nationale sur les FMN dans les
différents marchés mondiaux.
81
Des changements dans l’accès et/ou la possession de technologies novatrices entraînent des
mutations dans la localisation et la distribution du pouvoir au sein du secteur.
68
concurrence, de protection du marché vis-à-vis des BMN, de fardeau fiscal ? Quelles
sont les demandes des brasseries mexicaines et quelles sont les réponses de l’État ?
Ainsi, dans le cas de l’industrie brassicole mexicaine, il y aurait quatre niveaux à
l’œuvre :
1er niveau : l’industrie brassicole mexicaine elle-même, i.e CCM, Grupo Modelo
et l’association nationale des producteurs de bière (ANAFACER);
2è niveau : la relation entre les brasseries et l’État mexicain, car l'industrie
brassicole mexicaine se trouve dans un processus de négociations perpétuelles
avec l’État mexicain (surtout sur la question de la fiscalité) ;
3è niveau : Le marché nord-américain de la bière, car il représente le principal
point d’attention des dirigeants de l’industrie à l’extérieur du Mexique. C’est à ce
niveau qu’est principalement déterminée la stratégie des brasseries mexicaines à
l’échelle internationale ;
4è niveau : le marché mondial, car 1) on assiste depuis le milieu des années 1980 à
un mouvement de concentration à l’échelle planétaire des brasseries, et 2) les
brasseries mexicaines sont présentes sur la plupart des marchés nationaux de la
planète et qu’elles ont chacune adopté une stratégie internationale en fonction du
marché mondial.
Trois phases ont marqué cette recherche. Dans un premier temps, il s’agissait pour
nous de procéder à une recension de la littérature disponible, principalement au niveau
théorique. Cette phase devait permettre de construire les assises théoriques de l’étude.
Par la suite, un séjour au Mexique s’est imposé. L’objectif consistait à effectuer une
première approche de l’industrie à travers des acteurs périphériques (chercheurs,
analystes de l’industrie et des personnes ayant œuvré de manière ponctuelle auprès
des brasseries). Cette deuxième étape a facilité la compréhension de l’environnement
politique, économique et social dans lequel l’industrie s’est développée au cours des
dernières décennies. La troisième phase de notre démarche consistait en des allersretours entre, d’une part, la littérature spécialisée sur les questions brassicoles, et
d’autre part, des entrevues avec des dirigeants de l’industrie. Cette méthode nous
permettait d’étudier l’évolution historique et stratégique des brasseries mexicaines à la
fois de l’intérieur et de l’extérieur des firmes. Elle nous permettait également de
comparer et de valider l’information recueillie provenant de diverses sources.
69
DEUXIÈME PARTIE
L’ENVIRONNEMENT INSTITUTIONNEL
70
CHAPITRE III
L’ÉTAT ET L’INDUSTRIE BRASSICOLE MEXICAINE
L’analyse économique fait généralement abstraction de l’État lorsqu’elle aborde les
stratégies et le développement des firmes. Toutefois, on observe une préoccupation de
plus en plus importante envers la variable étatique dans la performance des firmes.
L’intervention de l’État se justifie alors par la nécessité de pallier les imperfections de
marché, d’altérer la structure distributive des revenus et de la richesse ou de favoriser
la compétitivité des firmes nationales (Porter, 1986; Dunning, 1997b; Lipsey, 1997).
Cependant, cette intervention entraîne des coûts à la fois directs et indirects sur
l’économie nationale.
Par ailleurs, l’influence de l’État, surtout dans les pays en développement (PED), sur
les industries nationales, est transformée par trois événements : la réémergence de
l’économie de marché comme mode d’organisation socio-institutionnelle dominante,
la montée de nouvelles puissances économiques ainsi que la globalisation de la
production et des marchés (Dunning, 1997b).
Dans l’économie de marché, l’État remplit deux fonctions : l’une, systémique et
l’autre opérationnelle. En tant qu’élément systémique, l’État apparaît comme un
initiateur et un gestionnaire du système économique ainsi que le juge ultime des
disputes émanant de ce système. En tant qu’unité opérationnelle, l’État devient une
entité organisationnelle participant et opérant au sein du système (Dunning, 1997b: 3).
Appliqués à la théorie de la co-opétion, il s’agit de se demander comment transposer
les aspects systémiques et opérationnels de l’État au sein du réseau de valeur des
entreprises. La fonction systémique, elle, s’assimile au rôle de gardien de l’ordre,
d’initiateur des lois et de l’élaboration des politiques macroéconomiques. Quant à la
fonction opérationnelle, elle concernerait les interventions directes de l’État en tant
que client, fournisseur, complémenteur ou concurrent. Dans le premier cas, l’État se
retrouverait à l’extérieur du réseau de valeur, alors que dans le second, il se situerait
sur le réseau de valeur.
71
Dans le cas de cette étude, nous nous questionnerons, au cours de ce chapitre, sur
l’existence de cette double influence de l’État sur le réseau de valeur des brasseries
mexicaines. Nous analyserons donc l’État en tant que joueur dans le réseau, mais
également en tant qu’organisateur de celui-ci. A travers l’étude de la transformation
de l’État mexicain à partir de la crise de 1982, nous montrerons que c’est
principalement la fonction systémique de ce nouvel État qui influence le réseau de
valeur.
Pendant la majeure partie du XXe siècle, l’économie mexicaine est dirigée par l’État
central. Sous l’impulsion du modèle de substitution aux importations, l’État constitue
le moteur du développement économique de la nation. La période de forte croissance
des années 1970, alors que les taux de croissance annuels surpassent régulièrement les
7% et que le boom pétrolier favorise l’essor d’un secteur industriel en pleine
expansion, permet de croire que le Mexique pourra se trouver bientôt dans le “club”
des pays développés. Au tournant des années 1980, cependant, ce modèle économique
s’essouffle rapidement avant d’entrer dans une crise profonde dont les éléments les
plus spectaculaires sont la suspension des paiements de la dette en août 1982 et la
nationalisation des banques quelques semaines plus tard.
Prenant acte de la crise, le gouvernement de la Madrid abandonne le modèle de
substitution aux importations et initie l’intégration de l’économie mexicaine à
l’économie mondiale. Ce processus s’amorce à partir de 1985. La libéralisation qui
s’ensuit est d’une très grande rapidité ; l’arrivée au pouvoir de Carlos Salinas de
Gortari accélère davantage la mutation économique. Celle-ci culmine par l’annonce
de l’ouverture de négociations en vue d’un accord de libre-échange avec les ÉtatsUnis en juin 1990. Cet accord doit permettre à l’économie mexicaine d’accélérer sa
modernisation tout en bénéficiant d’un accès privilégié au plus grand marché du
monde. Il en résulte une transformation de la relation entre l’État et le secteur privé,
sévèrement affectée par la nationalisation bancaire. La réforme du système
économique entraîne également une évolution du secteur privé mexicain, confronté à
une concurrence de plus en plus globale.
72
Outre cet impact indirect, la mutation de l’État entraîne certaines conséquences plus
directes sur l’industrie brassicole mexicaine. Cela se reflète tant par la législation,
notamment le régime fiscal auquel sont soumises les brasseries que par les
programmes que met en place le gouvernement fédéral lors des crises économiques.
La plus importante de ces mesures étant le FICORCA. Par ailleurs, l’articulation des
réformes internes, avec l’espace international, passe par la négociation d’un traité de
libre-échange nord-américain devant assurer aux entreprises mexicaines un accès
sécuritaire au marché américain.
En somme, l’État mexicain joue un rôle mineur dans le développement du réseau de
valeur global des brasseries mexicaines. Bien qu’il exerce une certaine autorité sur
celles-ci, cette influence demeure avant tout indirecte. L’impact de l’État provient des
politiques macro-organisationnelles qu’il adopte.82 La politique de la concurrence,
promulguée en 1993, apparaît comme l’une des principales contributions de l’État
mexicain. Par contre, deux États étrangers, les États-Unis et le Brésil, participent à la
transformation du réseau de valeur international des brasseries mexicaines dans la
période 1982-2004.
3.1
L’État mexicain : l’influence indirecte
Jusqu’à la crise de 1982, l’État mexicain joue un rôle d’encadrement dans le
développement des industries mexicaines en les protégeant de la concurrence
extérieure. Alors que le Mexique subit une crise économique et financière à partir de
1982, le gouvernement se voit forcé d’adopter des réformes en profondeur. Les
déséquilibres macro-économiques mis en lumière par la crise conduisent le
gouvernement mexicain à élaborer une nouvelle politique économique, dont les
principaux traits seront la préoccupation constance face à l’inflation et la libéralisation
de l’économie nationale, jusque-là fermée à la concurrence externe. Ce revirement de
la politique économique de l’État touche indirectement l’industrie brassicole
mexicaine.
82
Les politiques macro-organisationnelles sont des politiques articulées afin d’influencer la structure de
l’activité économique, au lieu du niveau d’activité, sur son territoire. Les politiques de la concurrence,
technologique, industrielle représentent trois des principales politiques macro-organisationnelles à la
disposition des États (Dunning, 1997b).
73
3.1.1 La consolidation de l’ouverture du Mexique
L’ouverture graduelle du Mexique à partir de la seconde moitié des années 1980, puis
sa consolidation par la négociation et la signature de l’ALENA résultent des pressions
extérieures et les dynamiques internes qui s’unissent pour réduire l’influence de
certains groupes de pression protectionnistes dans l’élaboration de la politique
commerciale du pays et favoriser l’émergence de nouveaux groupes. Parmi ces
facteurs, notons la crise de la dette de 1982 et la nécessité de négocier avec les
banques et organisations internationales les conditions de son remboursement ;
l’impossibilité de plus en plus grandissante pour le gouvernement de diriger
l’économie comme par le passé ; l’importance croissante des groupes pro-exportation
et l’augmentation du commerce intra-firme.83
Les dirigeants mexicains, à partir de 1985, prennent alors une série de mesures
destinées à ouvrir l’économie nationale et ainsi abandonner le modèle de substitutions
aux importations. L’État élimine certaines subventions directes, abandonne
graduellement la politique industrielle basée sur le contrôle des prix, des licences et
des quotas d’importation. Entre mai 1986 et octobre 1988, le gouvernement réduit les
tarifs sur plusieurs produits (le tarif le plus élevé passant de 100% à 50%) ; élimine les
quotas d’importation sur certains biens intermédiaires et de consommation ; annule
les fonds de financement des exportations, amorce la privatisation de certaines
entreprises publiques et parapubliques84 ; réduit les dépenses publiques de plus de
40% comparativement à 1981 ; modernise l’appareil administratif ; finalement, ouvre
la participation étrangère dans certaines industries jusqu’à 100% (dans la mesure où
de nouvelles technologies sont introduites) (Bensabat, 1995).
Outre ces mesures, le Mexique accède au GATT en 1986 et adopte une politique
économique hétérodoxe incluant l’austérité fiscale et une politique monétaire de
rigueur afin de réduire l’inflation et montrer le sérieux du gouvernement (Pastor et
Wise, 1996). L’adhésion au GATT constitue avant tout un signal symbolique et
83
Pastor et Wise soulignent qu’entre 1970 et 1990, le commerce intra-firme est passé de 30 à 51,3%.
Voir Pastor et Wise (1996).
84
Des 1155 entreprises publiques et parapubliques, 261 font l’objet de mesures de privatisation
(Bensabat, 1995).
74
psychologique vers l’extérieur puisque les principales sources de devises étrangères
du Mexique (le pétrole, l’industrie maquiladora, le tourisme et les travailleurs
saisonniers) ne sont pas touchées par cet accord (Bensabat, 1995).
L’arrivée au pouvoir de Carlos Salinas de Gortari accélère le processus d’ouverture de
l’économie mexicaine. Tout en poursuivant l’œuvre de libéralisation de son
prédécesseur, le gouvernement Salinas propose un plan de modernisation, le
Programme national de modernisation industrielle et de commerce extérieur (199094). Ce programme compte quatre objectifs : favoriser le développement de
l’industrie nationale en renforçant les secteurs exportateurs ; promouvoir les intérêts
commerciaux du Mexique sur la scène internationale ; favoriser un développement
industriel plus équilibré ; créer des emplois de plus grande qualité tout en accroissant
le bien-être des consommateurs (Luna, 1994). Afin de compléter ce programme,
l’administration Salinas lance l’année suivante le Programme de modernisation et de
développement de la micro, petite et moyenne industrie (1991-94) dont on peut
mentionner ici quelques-uns des objectifs : renforcer la présence de ces industries sur
les marchés interne et d’exportation ; élever leur niveau technologique ; simplifier les
procédures administratives ; accroître l’efficacité de ces industries afin de faire face à
la nouvelle concurrence qui ne manquera pas d’apparaître suite au libre-échange avec
le Canada et les États-Unis (Luna, 1994).
À ces mesures internes s’ajoute la décision de Salinas de Gortari de proposer un
accord de libre-échange aux États-Unis en juin 1990, auquel s’ajoutera le Canada
quelques mois plus tard. La proposition d’un accord de libre-échange peut être vue
comme la volonté politique de l’État mexicain de construire une politique économique
extérieure qui serait congruente avec la stratégie interne développée depuis 1985
(Macouzet, 1994). Bien que l’administration Salinas passe sous silence l’idée d’un
accord commercial avec les États-Unis durant la première année de son mandat, ce
projet demeure tout de même à l’esprit. En fait, la proposition de juin 1990 représente
le dernier pas d’un processus ayant débuté en octobre 1989 lors de la visite de Salinas
de Gortari au président George H. Bush. Lors de cette rencontre, les deux parties
s’entendent pour initier des discussions portant sur la facilitation du commerce et des
investissements (Trade and Investment Facilitation Talks, TIFTS) (Bensabat, 1995).
75
Ces discussions conduisent à plusieurs accords sectoriels, notamment en matière de
facilitation du tourisme ou de libéralisation de l’industrie de l’acier (Bensabat, 1995).
Selon les autorités mexicaines, la perspective d’un accord de libre-échange avec les
États-Unis fournit non seulement les conditions nécessaires à la poursuite du
programme de modernisation amorcé en 1985, mais assure la permanence des
réformes. L’objectif du gouvernement mexicain est triple : assurer et accroître l’accès
des exportations mexicaines au marché américain ; créer un climat d’affaires plus
ouvert et sécuritaire afin de réduire les incertitudes auxquelles sont confrontées les
exportateurs et investisseurs des deux pays ; favoriser une augmentation de l’efficacité
et de la productivité du secteur manufacturier mexicain (Vega Canovas, 1994). Afin
de montrer son sérieux, l’administration Salinas de Gortari poursuit la réduction des
tarifs douaniers durant les années 1990 : alors que 19% des produits entrant au
Mexique sont exemptés de droits de douane les autres 81% sont soumis à des tarifs
variant de 5% à 20%, une nette diminution par rapport aux tarifs du début des années
1980 (Bensabat, 1995).
L’ouverture vers les États-Unis et la négociation d’un accord de libre-échange avec
son plus important partenaire commercial montre également que les dirigeants
mexicains abandonnent définitivement les positions idéologiques des périodes
précédentes. Le pragmatisme devient ainsi le mot d’ordre ; l’objectif primordial est
d’obtenir des résultats concrets qui bénéficient au pays. Ainsi, dans les discours
officiels, Salinas de Gortari ne cesse de répéter que l’ouverture vers l’extérieur, loin
de remettre en question la souveraineté du Mexique, renforce celle-ci puisqu’elle
favorise le développement de l’économie nationale (Macouzet, 1994). Le même type
d’argumentation est articulé dans le débat entourant l’ALENA : l’accent est mis sur
les bénéfices que ne manquera d’apporter l’accord (augmentation de l’investissement
étranger au pays, amélioration des relations avec le voisin du Nord, etc.) alors que les
coûts d’une telle intégration sont minimisés. Ainsi, l’extérieur, principalement les
États-Unis, au lieu d’être considéré comme une menace, devient une opportunité dont
doit profiter le Mexique (Macouzet, 1994).
76
L’ALENA ne doit pas seulement être considéré comme la concrétisation de
l’ouverture du Mexique, mais doit aussi être vu comme un élément clé dans la
transformation des rapports entre l'État et le secteur privé.
3.1.2
Les nouveaux rapports entre le secteur privé et l’État
L’un des aspects les plus importants de la politique économique de de la Madrid, que
développe plus à fond Salinas de Gortari, est le retour de la collaboration entre le
gouvernement et le secteur privé, relation qui avait subi un dur coup suite à la
nationalisation des banques en 1982. La transformation des rapports entre l’État et le
secteur privé constitue donc l’un des principaux éléments du projet modernisateur du
gouvernement Salinas.85 Toutefois, la main que tend le gouvernement mexicain au
secteur privé à partir du milieu des années 1980 est surtout dirigée vers les grands
groupes industriels du pays, ceux-là même qui sont en mesure d’appuyer sa stratégie
d’ouverture. Ces groupes, au moment de l’entrée en fonction de l’administration
Salinas, ont un poids disproportionné dans l’économie mexicaine : alors qu’ils ne
représentent que 0,18% de l’ensemble des entreprises au Mexique, ils emploient
24,7% de la main-d’œuvre et génèrent 37,3% du revenu national (Luna, 1994).
Le gouvernement Salinas réalise la nécessité de dialoguer avec le secteur privé, de
mieux prendre en compte ses intérêts s’il veut faire passer l’élément clé de son
programme de modernisation, la négociation d’un traité de libre-échange avec les
États-Unis. L’un des effets les plus marquants de cette collaboration entre le secteur
privé et le gouvernement, que Pastor et Wise qualifient de concertación (Pastor et
Wise, 1996), est la série de pactes anti-inflationnistes qui contribuent à améliorer la
situation économique du pays. Non seulement ces pactes visent-ils à contrôler
l’inflation et les coûts de la main d’œuvre, ils constituent une preuve supplémentaire
de la bonne foi du gouvernement envers le secteur privé (Bensabat, 1995).
85
Puga note que dans son discours inaugural, Salinas de Gortari fait explicitement référence à la
nouvelle alliance qui émerge entre l’État mexicain et le secteur privé et réitère son désir de créer un
environnement propice au développement de celui-ci (Puga, 1993a: 181).
77
L’un des moyens de retrouver pleinement la confiance du secteur privé est la
privatisation des banques. Bien que celle-ci soit entreprise sous de la Madrid,86 c’est
le gouvernement Salinas qui prend les mesures nécessaires à la privatisation totale des
banques à partir de 1989-90.87 En privatisant les banques, le gouvernement espère
retrouver l’appui et la confiance du grand patronat, et ainsi aller de l’avant avec
l’accélération de la libéralisation. Il ne se trompe pas : après les privatisations, les
grandes
entreprises
apparaissent
comme
les
interlocuteurs
privilégiés
de
l’administration Salinas. En somme, comme le soutient Concheiro Bórquez, la
décision de Salinas de Gortari d’accélérer la privatisation du secteur bancaire a permis
de consolider et de solidifier les relations entre le gouvernement et le patronat
(Concheiro Bórquez, 1996).
Par ailleurs, l’une des conséquences du projet modernisateur du gouvernement Salinas
a été de renforcer l’action des organisations patronales. Et là aussi, les principaux
bénéficiaires sont les grandes entreprises. L’une des raisons de cela a trait à la
performance de celles-ci : alors que la croissance ralentit au pays entre 1990 et 1993
(de 4,5% à 0,4%), ces firmes voient leurs ventes augmenter de 8% (Luna, 1994). Sous
l’administration Salinas, le secteur privé en vient à ne plus se percevoir comme un
adversaire du gouvernement, mais plutôt comme un partenaire. Les compagnies
réalisent également qu’elles doivent être bien organisées afin de peser davantage sur
les décisions gouvernementales. La négociation de l’ALENA met clairement en
lumière cette nécessité.
Bien que des organisations patronales existent avant la négociation de l’ALENA (voir
l’annexe 1 sur les organisations patronales), et bien qu’elles jouent déjà un rôle
important auprès du gouvernement, ce sont véritablement les négociations entourant
l’accord de libre-échange qui montreront l’importance de posséder une structure
86
Le gouvernement de la Madrid avait initié le processus de privatisation des banques en vendant
jusqu’à 34% des actions de chaque institution de crédit ; toutefois, le contrôle des institutions
financières demeurait aux mains du gouvernement. En plus de l’abandon de ce contrôle, les dirigeants
patronaux demandaient le retour des banques aux mains de leurs anciens propriétaires, ce qui s’avérait
quasi impossible puisque de nombreuses banques avaient été fusionnées, les autres ayant été liquidées
(Conceheiro Bohórquez, 1996).
87
Afin de réaliser la privatisation, deux articles de la Constitution mexicaine, les articles 28 et 123, de
même que la loi du service public des banques et du crédit devaient être modifiés, ce qui fut fait en mai
et juillet 1990 respectivement.
78
organisationnelle compétente, professionnelle et efficace. En fait, le gouvernement
mexicain réalise lui aussi très rapidement que le patronat doit prendre une part active
aux négociations, bien qu’il ne puisse être à la table de négociation. Dès le mois de
juin 1990, quelques jours après l’annonce par Salinas de l’intention de son
gouvernement de négocier un accord de libre-échange avec les États-Unis, la SECOFI
demande au CCE (Consejo Coordinador Empresarial) de former une équipe de
négociateurs qui participerait officieusement aux négociations (Puga, 1993b). L’une
des causes de l’ouverture du gouvernement mexicain vis-à-vis le patronat tient au fait
que l’État mexicain ne possède pas une réelle vue d’ensemble du secteur privé et que
les seules aptes à fournir une évaluation totale et concrète de la situation sont les
organisations patronales.
En vue des négociations, le secteur privé mexicain s’organise donc de telle manière à
pouvoir fournir le meilleur appui possible aux négociateurs mexicains. Étant donné
l’existence de nombreuses organisations dédiées à la promotion du commerce
extérieur,88 il convient de réunir sous une même organisation toutes les ressources afin
d’unifier les positions et le discours du secteur privé. Cela donne naissance à la
COECE (Coordinadora de Organismos Empresariales de Comercio Exterior). Celleci est placée sous le contrôle de la puissante CCE. Deux objectifs lui sont assignés à
l’origine : participer pleinement au processus de négociation à venir ; parvenir à une
meilleure connaissance des différents secteurs de l’économie qui seront affectés par
l’ALENA.89 Divisée en secteurs et en sous-secteurs à ses débuts, la structure de la
COECE
se transforme rapidement lorsqu’il devient évident que les petites et
moyennes entreprises ne possèdent pas les compétences requises pour faire face à la
complexité croissante des discussions. Elles sont donc peu à peu marginalisées au sein
de la coordination au profit des grandes entreprises, celles-ci possédant l’expérience,
les ressources et connaissances nécessaires à de telles négociations (Puga, 1993b).
88
Au moment de l’annonce du projet de libre-échange, il existait trois grandes organisations patronales
vouées à la promotion du commerce extérieur : l’ANIERM (Asociación Nacional de Importadores y
Exportadores de la República Mexicana) , le CONACEX (Consejo Nacional de Comercio Exterior) et
le CEMAI (Centro Empresarial Mexicano par Asuntos Internacionales).
89
Pour une vue d’ensemble de la structure de la COECE, voir l’annexe 2.
79
La COECE aura été, durant les négociations menant à l’ALENA, un partenaire clé du
gouvernement mexicain puisque c’est à travers elle que non seulement s’expriment les
dirigeants des grandes entreprises mexicaines, mais c’est également cette organisation
qui fournit des études et rapports actualisés permettant aux négociateurs d’avoir une
meilleure vue d’ensemble du secteur privé mexicain (Puga, 1993b). L’une des grandes
leçons que tirent les grandes entreprises de la négociation de l’ALENA est la nécessité
pour elles d’avoir une voix permanente auprès du gouvernement. Par ailleurs, elles
réalisent que la manière traditionnelle de faire des affaires doit être abandonnée si
elles veulent survivre dans un environnement international en constante mutation.
3.1.3 La transformation du secteur privé mexicain
Pour les dirigeants d’entreprises, un Mexique fermé à la concurrence internationale
est chose du passé. Le Mexique moderne doit chercher à s’intégrer au monde s’il ne
veut pas se retrouver marginalisé. Les entreprises mexicaines doivent abandonner
l’attitude nationaliste qui les caractérisait auparavant et réaliser que le lieu principal
de la concurrence est le monde, et non plus seulement le Mexique. Ainsi, les
dirigeants ne doivent pas craindre de faire appel à l’investissement étranger puisqu’il
favorisera indubitablement les secteurs possédant les plus grands potentiels de
croissance (Concheiro Bórquez, 1996).
Cette nouvelle perspective requiert une modernisation en profondeur du secteur
privé : s’ils veulent demeurer compétitifs face aux concurrents étrangers sur le marché
national et les marchés étrangers, les entrepreneurs doivent acquérir certaines des
caractéristiques
des
grandes
entreprises
des
pays
développés :
flexibilité
organisationnelle, accélération de la prise de décision, amélioration de la qualité des
produits et une relation toujours plus renforcée avec les clients (Alba Vega, 2001). De
plus, l’emphase ne doit plus uniquement être mise sur le marché mexicain, mais le
monde (en premier lieu duquel les États-Unis) ; la transnationalisation des activités
devient donc une obligation (Solas-Porras, 1998: 134). L’internationalisation, qui
permet de dépasser certaines limites traditionnelles de l’économie mexicaine
(l’inefficacité de la bourgeoisie nationale et la trop grande dépendance vis-à-vis
l’État), est vue ni plus ni moins comme une nécessité si les entreprises mexicaines
veulent survivre dans un environnement ultra compétitif (Solas-Porras, 1998). Cette
80
emphase vers l’extérieur signifie que les exportations et l’investissement à l’étranger
doivent occuper une place de plus en plus grande dans la stratégie de développement
des entreprises. En s’associant avec des capitaux étrangers et des FMN, les
compagnies mexicaines s’assurent d’un meilleur accès aux capitaux internationaux et
aux technologies les plus performantes, ce qui devrait leur permettre d’améliorer leur
compétitivité.
Les exportations, en plus d’accroître les revenus, représentent une importante source
de devises étrangères, principalement de dollars. Mais comme le remarque Concheiro
Bórquez, peu d’industries possèdent la capacité d’exporter : les exportations sont
concentrées sur trois branches et onze produits : aliments, boissons et tabac, industrie
chimique et produits métalliques, machinerie et équipement.90 La privatisation des
banques apparaît comme un élément clé de cette nouvelle stratégie car elle donne
naissance à de grands groupes industrialo-financiers, capables d’évoluer sur plusieurs
fronts en même temps. Toutefois, cela n’est pas suffisant ; de nouvelles stratégies
s’avèrent impératives.
L’alliance avec des FMN étrangères et le recours à l’exportation ne constituent
pas les seules stratégies employées par les compagnies mexicaines. Voici quelquesunes des stratégies les plus utilisées par les celles-ci :91
- L’alliance stratégique. Pour les entreprises mexicaines, cette stratégie a
l’avantage de permettre l’acquisition de technologies qui seraient difficiles à
acquérir par ailleurs ; elle permet aux compagnies impliquées de
graduellement développer leurs relations, facilitant du même coup le processus
d’apprentissage.92
- L’établissement de filiales à l’étranger. C’est une stratégie défensive des
entreprises mexicaines destinée à protéger leurs marchés d’exportation, à les
soulager des effets de la contraction de la demande interne et à diversifier les
sources de revenus et de devises.
90
Dans la catégorie aliments, boissons et tabac, les principales exportations sont : crevettes congelées,
bière et fruits et légumes ; dans la catégorie produits chimiques : acides policarboxiliques, matériels
plastiques et résines de synthèse, engrais chimiques de même que couleurs et vernis ; dans la catégorie
produits métalliques, machinerie et équipement : voitures d’usage personnel, moteurs, appareils
électriques et électroniques (Conceheiro Bórquez, 1996).
91
Pour une plus ample explication de ces stratégies et des résultats qu’ont obtenus certaines entreprises
mexicaines, voir Salas-Porras (1998).
92
Alba Vega souligne de plus que les alliances stratégiques permettent aux entreprises mexicaines
d’acquérir les technologies qui leur font défaut et de pénétrer de nouveaux marchés (Alba Vega, 2001).
81
- Le recours aux marchés financiers étrangers. Bien que peu d’actions des
grandes entreprises mexicaines circulent publiquement au début des années 90
(généralement entre 10% et 20%), celles-ci ont de plus en plus recours aux
marchés financiers internationaux. L’accès à de nouvelles sources de
financement, la nécessité d’apprendre comment fonctionnent les circuits
financiers internationaux expliquent en grande partie pourquoi les compagnies
mexicaines intègrent les marchés financiers internationaux. En outre, la
majorité de ces entreprises est lourdement endettée : cette solution permettait
de renégocier ces dettes tout en bénéficiant de nouveaux capitaux.
- L’établissement de réseaux de distribution internationaux. Probablement
l’aspect le plus important pour les entreprises mexicaines du fait de l’emphase
mis sur les exportations. Le défi pour les compagnies est de combiner la
production, la promotion, la commercialisation et la distribution des produits.
En terme de distribution, plusieurs variables doivent être maîtrisées si
l’entreprise veut connaître du succès : le transport, l’entreposage, la
commercialisation, des agents de promotion et des conseillers juridiques
compétents. La difficulté de réunir tous ces éléments explique pourquoi peu
d’entreprises mexicaines aient réussi à établir un réseau de distribution
international.
Comme il a amplement été souligné jusqu’à maintenant, ce sont principalement les
grandes entreprises mexicaines qui ont impulsé et bénéficié de ces changements. Les
PME, bien qu’elles constituent la très grande majorité des entreprises, ont vu leurs
positions, tant au sein des organisations patronales que dans l’économie nationale, se
détériorer au fil des ans. Il existe bien une fracture entre les grands groupes mexicains
et les PME. Ces dernières sont doublement désavantagées puisqu’elles ne participent
que faiblement aux exportations mais subissent de plus en plus durement la
concurrence extérieure suite à l’ouverture rapide du pays (Alba Vega, 2001). De plus,
la politique de hauts taux d’intérêt pratiquée sous l’administration Salinas a
grandement réduit le crédit disponible pour les PME, ce qui a limité leurs possibilités
d’investissement et provoqué une détérioration de leur compétitivité.
La négociation de l’ALENA aura été un exemple parfait des divergences de vues et de
moyens au sein du patronat mexicain. Bien que la majorité des entreprises et
organisations patronales soit en faveur d’un accord de libre-échange avec les ÉtatsUnis et le Canada, certaines expriment de sérieuses réserves. Alors que les
organisations représentant les secteurs exportateurs et les grandes entreprises utilisent
toutes les ressources à leur disposition afin de convaincre l’opinion publique de
l’importance de poursuivre l’ouverture du pays, quelques-unes des organisations
82
représentant les PME, notamment la CANACINTRA et la CONCANACO, se
retrouvent sur la défensive. Selon ces organisations, les PME mexicaines ne sont pas
prêtes à affronter la nouvelle concurrence qui résultera de l’ALENA ; elles
soutiennent qu’une certaine forme de protection doit demeurer afin de permettre aux
PME de s’adapter aux nouvelles conditions économiques. En outre, elles avancent que
l’ouverture unilatérale du pays a laissé le Mexique sans armes face à ses voisins du
Nord et que la négociation de l’ALENA, quoi qu’en dise le gouvernement, ne
permettra pas un retour du balancier (Concheiro Bórquez, 1996).
Comme le montre le panorama que nous avons succinctement brossé, les rapports
entre le secteur privé et l’État mexicain connaissent de profondes transformations à
partir de la seconde moitié des années 1980. Les gouvernements de la Madrid et
Salinas de Gortari ont mis en branle un vaste programme de libéralisation économique
dont l’élément centrale aura été la négociation puis la signature de l’ALENA.
L’accord de libre-échange, en plus de consolider et d’approfondir les changements
impulsés par l’État, signale également aux diverses industries mexicaines la nécessité
de modifier leurs comportements si elles veulent survivre dans la nouvelle
configuration régionale qui émerge. Comment se sont préparées ces industries ?
Quelle a été l’influence du processus d’ouverture des trois marchés nord-américains
sur leurs décisions ? Les deux sections suivantes s’attarderont à ces questions en
analysant de plus près l’évolution de l’industrie brassicole mexicaine.
3.2
L’influence directe de l’État mexicain
Si l’État mexicain, à partir de la crise de 1982, exerce une influence indirecte sur
l’industrie brassicole mexicaine, il intervient parfois directement sur les destinées de
l’industrie. Durant la période qui nous intéresse, cette intervention s’effectue à travers
les taxes, les impôts et la réglementation sociale (impact à long terme) ou par des
mesures temporaires destinées à aider ou freiner l’industrie (impact à court et/ou
moyen terme).
83
3.2.1 La réglementation gouvernementale
L’intervention gouvernementale se manifeste principalement à travers le cadre
réglementaire qu’établissent l’administration centrale et les états. Ce cadre touche à la
fois les taxes et impôts, les aspects liés à la consommation (âge légal, lieux de vente,
contenu des produits, etc.) et peuvent différer selon les juridictions. La réglementation
gouvernementale s’effectue par des lois, des décrets, des règlements ou des normes.
On note trois périodes distinctes dans l’évolution réglementation gouvernementale:
1917-1949, 1950-1972 et 1973-2004 (ANAFACER, 2004b). Durant la première
phase, la législation touche principalement les thèmes des tarifs douaniers, des impôts
et des quote-parts auxquels sont soumises les brasseries. Ces montants s’appliquent
tant à la production qu’à la commercialisation ou l’exportation des bières. Étant
donné l’adoption graduelle de la politique de substitution aux importations, les tarifs
douaniers jouent un rôle particulièrement important. Afin de protéger l’industrie
brassicole, le gouvernement fédéral impose un tarif extérieur de 20%. Des trois
formes de réglementation utilisées durant cette première phase, les lois, les normes et
les décrets, ces derniers constituent le principal outil employé par le gouvernement
fédéral.93
À cette étape, on note l’implication à la fois du gouvernement fédéral et des états.
Malgré cette implication des divers paliers gouvernementaux, Oliveira Vera-Cruz
(2000) note qu’aucune politique sectorielle n’est développée pour l’industrie
brassicole. Toutefois, la loi fiscale de 1949 exerce une profonde influence sur la
structure future de l’industrie.94 La participation des états à la collecte des impôts et
des taxes sur la production et la consommation est complètement éliminée.95
93
Des quarante-quatre mesures touchant l’industrie que répertorie l’ANAFACER (2004b) entre 1917 et
1949, on retrouve une nette prédominance des décrets : 32 décrets, 9 règlements et 3 lois.
94
La loi, résultat de la Troisième convention fiscale de 1947 (Tercera convención fiscal), élimine les
barrières entre les états. Surtout, elle établit un impôt unique, remplaçant les impôts généraux sur le
commerce et l’industrie, ainsi que les impôts spéciaux sur l’industrie et le commerce (dont les boissons
alcoolisées et la bière font partie), ces derniers ayant été jusque-là de la compétence des états. Qui plus
est, Oliveira Vera-Cruz (2000) avance que cette loi permet la création d’un marché national de la bière
en facilitant l’expansion des trois principales brasseries de l’époque à l’ensemble du pays.
95
En 1949, un addenda à la Constitution mexicaine, l’article 73 paragraphe XXIX-5g, attribue
explicitement au Congrès mexicain le droit exclusif d’établir les niveaux d’imposition sur la production
et la consommation de bière.
84
Lors de la seconde phase, l’influence des états diminue au profit de l’État fédéral.
C’est lors de cette période qu’apparaissent les premières normes officielles de qualité
sur les produits connexes à la bière (verres, levure, etc). Durant les années 1950, le
gouvernement fédéral initie également les premières normes sanitaires et médicales en
matière de consommation abusive d’alcool.96
La troisième phase voit la consolidation des normes par l’apparition des Normes
officielles mexicaines. Celles-ci s’appliquent surtout aux contenus en métal et aux
polluants possibles des contenants individuels ou des conteneurs industriels. Le
gouvernement régule également l’importation de levure tout en s’abstenant, dans la
majorité des cas, d’intervenir sur les aspects de la production et de la consommation.
Cette période marque également une évolution de la taxation alors que les quotesparts sont progressivement remplacées par les taxes et impôts ad valorem, l’IEPS.97
3.2.2 L’IEPS, les impôts et les taxes
Le régime fiscal applicable aux brasseries constitue sans contredit l’impact le plus
important de l’État sur l’industrie brassicole mexicaine. Les brasseries sont soumises
à cinq impôts et taxes différents : la taxe sur la valeur ajoutée (Impuesto al valor
agregado, TVA), l’impôt sur le revenu (impuesto sobre la renta), un impôt sur les
actifs (impuesto al activo), l’impôt spécial sur la production et la commercialisation
de la bière (Impuesto Especial sobre Producción y Servicios, IEPS Cerveza) et les
impôts qu’établissent les entités fédératives.
Les quatre premières mesures fiscales touchent l’ensemble des personnes morales et
physiques. Le gouvernement établit la taxe sur la valeur ajoutée en 1980 afin de
remplacer la taxe sur les revenus marchands (Impuesto Sobre Ingresos Mercantiles) et
les autres taxes fédérales spéciales. Elle s’applique aux personnes morales et
physiques présentes sur le territoire mexicain et concerne la production de biens,
96
En 1951, le gouvernement instaure la première classification des boissons alcoolisées : toute boisson
possédant un volume d’alcool supérieur à 5% est considérée comme une boisson forte en alcool; les
boissons contentant entre 2% et 5% sont qualifiées de boissons alcoolisées. En 1963, une nouvelle
classification permet la vente libre de toute boisson de moins de 6% d’alcool par volume. Cette
décision provoque le déplacement de la vente de boissons à forte teneur en alcool, ce qui entraîne une
diminution de la consommation de bière au début des années 1960.
97
Sur l’ensemble de la législation touchant l’industrie brassicole mexicaine, voir ANAFACER
(2004b).
85
services ou toute autre activité économique.98 L’impôt sur le revenu s’applique aux
revenus du travail ou du capital affectant le patrimoine des personnes morales et
physiques vivant au Mexique. L’impôt sur les actifs touche les individus exerçant une
activité d’affaires et les personnes morales résidantes au Mexique ; il se calcule sur la
base des actifs de ces personnes. Les impôts des entités fédératives influencent les
brasseries mexicaines dans la mesure où elles possèdent des usines ou d’autres unités
de production sur le territoire donné.
Tableau 3.1
Taxes et impôts payés par l’industrie brassicole
mexicaine en 1999 et 2001 (en millions de pesos)
Impôts/taxes
1999
IBM
TVA
Impôt sur le revenu
Impôt sur les actifs
Impôt des états
IEPS
Total
6 683
4 092
62
1 500
7 608
19 946
(18 446c)
Revenu
fédéral a
151 183,5
216 123,4 b
N/A
106 703,7
474 010,6
(3,9%)
2001
Revenu
fédéral a
9 938
208 408,1
5 416
285 523,1 b
62
1 500
N/A
10 278
110 688,8
27 194
604 620,0
(25 694c)
(4,2%)
IBM
a : revenu fiscal, n’inclut pas les revenus des hydrocarbures et autres revenus non-fiscaux
b : inclut l’impôt sur les actifs c : montant sans les impôts aux états
Sources : ANAFACER, Contexto integral de la cerveza, México: ANAFACER,
2004; Presidencia de la República, Tercer Informe de Gobierno, México: Presidencia
de la República, 2003.
Entre 1999 et 2001, on note la stabilité des impôts sur les actifs et des états (tableau
3.1). Quant à la TVA et à l’impôt sur le revenu, ils progressent à un rythme de 48,7%
et 32,3% respectivement. Concernant ces deux mesures fiscales, les montants que
doivent débourser les brasseries, surtout dans le cas de la TVA, dépendent en grande
partie de l’évolution de l’activité économique, ce qui n’est pas nécessairement le cas
pour les impôts sur les actifs et ceux des entités fédératives. En 2001, l’ensemble des
impôts et taxes payés par l’industrie représente 4,2% des entrées fiscales du
gouvernement mexicain, comparativement à 3,9% en 1999. Sur l’ensemble des
98
Dans le cas mexicain, la TVA ne se paie pas à chacune des étapes de la production d’un bien ou d’un
service ; ce sont plutôt les consommateurs du bien ou du service qui déboursent la valeur de la taxe,
calculée selon la valeur ajoutée à chaque étape de la production.
86
recettes gouvernementales, la contribution de l’industrie s’élève à 1,8% en 1999 et à
1,6% en 2001 (ANAFACER, 2004a).99
La taxe spéciale sur la production, la fabrication, la commercialisation (IEPS)
constitue la plus importante mesure fiscale touchant l’industrie brassicole mexicaine.
Cette taxe s’applique aux boissons alcoolisées, au tabac (cigarettes), à l’essence (super
et diesel), ainsi qu’aux boissons gazeuses. Comme l’indique son nom, cette taxe
concerne la production et la commercialisation de la bière. À ce titre, elle ne
s’applique pas aux bières étrangères.100
Figure 3.1 Évolution du taux d’imposition de l’IEPS 1978-2004 (en %)
(%) 30
25
20
15
10
5
19
78
19
79
19
80
19
81
19
82
19
86
19
93
19
94
19
95
19
96
19
98
0
Source : ANAFACER, Condiciones de competitividad y tratamiento fiscal de la
industria cervecera mexicana, Propuesta de la Asociación Nacional de Fabricantes
de Cerveza y de la Cámara Nacional de la Industria de la Cerveza y de la Malta
para la Convención nacional Hacendaria, 2004.
99
La différence s’explique surtout par l’apport financier des hydrocarbures aux revenus du
gouvernement fédéral. La para-étatique du pétrole, Pemex, est nationalisée et contribue très fortement
aux revenus de l’État. En 1999 et 2001, la contribution directe du poste “hydrocarbures” s’élevait à
13,4% et 20% respectivement. Ces montants ne tiennent pas compte de l’apport de ce secteur au niveau
fiscal, notamment au titre de l’IEPS (pour ces deux années, la contribution du secteur des
hydrocarbures surpasse les 75%) (ANAFACER, 2004a; Presidencia, 2003). Entre 1988 et 2003, la
participation de l’industrie brassicole mexicaine aux recettes fiscales totales du gouvernement varie
entre 1,4% et 1,9% (ANAFACER, 2004a).
100
Jusqu’à la négociation de l’ALENA, l’État mexicain appliquait un tarif douanier de 20% aux bières
étrangères. Suite à l’entrée en vigueur de l’accord, ce tarif est progressivement éliminé pour les bières
canadiennes et américaines.
87
En 1977, les brasseries mexicaines doivent payer une quote-part sur la production de
bière.101 En 1978, l’État introduit une taxe ad valorem de 6% s’additionnant à la
quote-part. Graduellement, le taux de cette taxe augmente pour se stabiliser à 21,5%
en 1982 (figure 3.1).102 En 1986, suite au tremblement de terre de Mexico, le
gouvernement annonce une augmentation temporaire de l’IEPS à 25%. Cette hausse
de la taxe devait permettre de couvrir une partie des coûts de reconstruction. En 1991,
l’administration de Salinas de Gortari officialise la permanence du taux de 25%. En
1992, le gouvernement fédéral annonce une réduction graduelle de l’IEPS sur quatre
ans, celle-ci passant de 25% en 1993 à 19% en 1996. Cependant, en 1997, le
gouvernement revient sur sa décision et ré-instaure le taux de 25% à partir de 1998,
arguant la nécessité de soutenir les municipalités (ANAFACER, 2004a).
Figure 3.2
Contribution des brasseries mexicaines à l’IEPS,
1988-2003 (en milliards de pesos constants, 2003)
14
Milliards de pesos
12
10
8
6
4
2
3
2
20
0
1
20
0
0
20
0
9
20
0
8
19
9
7
19
9
6
19
9
5
19
9
4
19
9
3
19
9
2
19
9
1
19
9
0
19
9
9
19
9
19
8
19
8
8
0
Source : ANAFACER, Condiciones de competitividad y tratamiento fiscal de
la industria cervecera mexicana, Propuesta de la Asociación Nacional de Fabricantes
de Cerveza y de la Cámara Nacional de la Industria de la Cerveza y de la Malta
para la Convención nacional Hacendaria, 2004.
En termes réels (figure 3.2), la contribution fiscale des brasseries mexicaines à l’IEPS
double quasiment entre 1988 et 2003 : elle passe de 6,1 milliards de pesos à 11,5
milliards de pesos, une augmentation de 89% (ANAFACER, 2004a).
101
102
Ce montant s’élevait à 1,75 peso sur chaque litre de bière.
Cette année-là, le gouvernement élimine la quote-part qui était descendue à 0,23 peso le litre.
88
L’une des causes de ces changements constants du taux de l’IEPS a trait à sa fonction
de soupape financière du gouvernement mexicain et ce, à deux niveaux : conjoncturel
et structurel. En effet, les deux plus fortes hausses de cette taxe sont justifiées soit par
des événements extraordinaires, le tremblement de terre de Mexico ou par la situation
financière de l’État (Expansión, 25/02/1998). Par ailleurs, le Ministère des Finances
du Mexique et le Parlement mexicain semblent considérer l’IEPS comme un
mécanisme d’ajustement du budget de l’État. Dans la mesure où les finances du
gouvernement mexicain dépendent en grande partie des revenus pétroliers, et étant
donné l’incertitude liée aux prix internationaux du pétrole, l’IEPS permet à l’État de
boucler son budget. Entre 1998 et 2002 par exemple, la fluctuation des recettes
provenant des hydrocarbures force le gouvernement fédéral à hausser la contribution
de l’IEPS, de 78,5 milliards de pesos à 136,3 milliards de pesos (Presidencia de
México, 2003).103 La part de l’industrie brassicole dans cette augmentation est
importante : en 1997, elle s’élève à 6,5 milliards de pesos à l’IEPS non pétrolier ; en
1998, elle s’établit à 8,9 milliards de pesos, puis à 11,5 milliards de pesos en 2002
(figure 3.2).
3.2.3 Le FICORCA
La crise de 1982, alors que le Mexique se déclare en cessation de paiement, touche à
la fois l’État et le secteur privé. Les grandes entreprises privées mexicaines, qui
avaient adopté une stratégie d’endettement international afin de financer leur
croissance, se trouvent en difficulté financière, la dévaluation ayant provoqué
l’explosion de leur dette.104 En mars 1983, le gouvernement fédéral et la Banque du
Mexique mettent en place le Fidéicommis pour la couverture des risques de change
(Fideicomiso para la Cobertura de Riesgos Cambiarios, FICORCA) (Banque du
Mexique, 1983).
Ce programme vise principalement à permettre aux entreprises mexicaines de
restructurer leurs dettes vis-à-vis des créditeurs étrangers (Banque du Mexique, 1983:
103
Il est bon de rappeler tout de même que la contribution du secteur pétrolier demeure, de loin, la plus
importante composante de l’IEPS. Elle représente généralement au moins les 2/3 de l’IEPS selon les
données de Présidencia de México (2003) et ANAFACER (2004a).
104
Alors que la dette externe s’élevait à $1,8 milliard $US en 1970, elle passa à $6,4 milliards de
dollars en 1977, puis à $8,5 milliards de dollars en 1981 (Expansión, 13/05/1987).
89
38). Accessoirement, il cherche également à prémunir les entreprises de futures
dévaluations (Mendoza Hernández, 2001). Afin de couvrir les différents risques de
change, le FICORCA offre quatre systèmes distincts à travers lesquels les entreprises
peuvent acquérir des dollars destinés au remboursement de leurs dettes. Les
entreprises s’engagent à rembourser les montants empruntés à un taux de change
préétabli. Dans tous les cas, toutefois, les firmes doivent avoir conclu une
renégociation de leurs dettes.105
Entré en opération en mai 1983, le FICORCA disparaît en 1992, alors que les
autorités financières mexicaines soulignent que l’ensemble des dettes étrangères des
entreprises mexicaines est liquidé (Banque du Mexique, 1993). Bien que le
programme dure une dizaine d’années, son impact se fait surtout sentir à ses débuts.
Entre mai et novembre 1983, c’est environ 12 milliards de dollars106 de dettes que les
entreprises privées placent dans le fidéicommis (Banque du Mexique, 1984;
Boughton, 2001).107 La quasi-totalité des opérations réalisées par les entreprises, soit
97,4%, l’est à travers les systèmes 2 et 4 car ceux-ci offrent davantage de flexibilité
aux firmes (Banque du Mexique, 1984).
L’impact le plus important du FICORCA est de réduire les montants que doivent
rembourser les entreprises mexicaines à court terme. En échelonnant les
remboursements, le fidéicommis permet aux firmes de restructurer leurs dettes et de
revoir leurs stratégies de croissance et financière. Ce programme, s’il vise l’ensemble
du secteur privé mexicain, bénéficie avant tout aux grandes entreprises. Sur la totalité
du financement du FICORCA, vingt firmes ou groupes industriels accaparent 80%
des ressources mises à la disposition des entreprises (Thacker, 2000). En outre, ces
firmes deviennent également les principales promotrices du nouveau modèle
105
Le système 1 couvrait le capital uniquement. L’entreprise remboursait sa dette au comptant, en
monnaie nationale et non pas en dollars ; le système 2 couvrait lui aussi seulement le capital, mais
offrait la possibilité aux firmes d’obtenir un crédit équivalent au montant de l’achat en dollars. Dans
ces deux premiers systèmes, le délai de remboursement accordé était de trois ans. Les systèmes 3 et 4
couvraient le capital et d’une certaine façon les intérêts. Dans le système 3, les entreprises
remboursaient les devises au comptant, alors que dans le système 4, le fidéicommis pouvait accorder un
crédit en pesos. Dans les deux cas, le délai de remboursement était fixé à huit ans, dont les quatre
premières années étaient de grâce (Banque du Mexique, 1983).
106
Les dollars réfèrent à la monnaie américaine, à moins d’indication contraire.
107
Boughton (2001) soutient par ailleurs que l’influence du FICORCA s’étendit au-delà du Mexique
puisqu’il servit de modèle pour les programmes de restructuration ultérieurs dans le monde,
particulièrement en Asie du Sud-Est lors de la crise de 1997-98.
90
exportateur du Mexique à partir des années 1980 (Thacker, 2000). Les brasseries
mexicaines, parmi les plus importantes entreprises privées du pays108, profitent elles
aussi de ce programme.109 Dans le cas de Moctezuma, son inscription au FICORCA
lui permet de couvrir 365 millions $US de sa dette.110
3.2.4 Politique de la concurrence : une réponse de long terme
Si le FICORCA représente l’une des principales réponses de l’État mexicain à la crise
du secteur privé durant les années 1980, la transformation de ce dernier et du modèle
économique requièrent des solutions plus en profondeur. Les réformes économiques
des gouvernements de la Madrid et Salinas à partir de 1985 seront ainsi complétées en
1993 par l’adoption de la première politique explicite de la concurrence du Mexique.
La difficulté de la mise en place d’une réelle politique de la concurrence tient non
seulement à l’ancien modèle économique en vigueur, mais aussi en l’absence d’une
culture de la concurrence (OCDE, 2004a).111
Cette nouvelle politique repose sur deux éléments centraux : la Loi fédérale sur la
concurrence économique (LFCE) et la Commission fédérale de la concurrence (CFC)
dont la mission est d’appliquer cette loi. L’origine d’un droit de la concurrence au
Mexique trouve ses racines dans l’article 28 de la Constitution mexicaine.112 Le droit
de la concurrence n’est promulguée qu’en 1993, après les grandes réformes
économiques, car elle représente l’aboutissement de l’ouverture du Mexique. Dans la
même lignée que les réformes précédentes, et suivant la lettre de l’article 28, la LFCE
108
Dans son étude annuelle sur les 500 plus importantes entreprises du Mexique, en terme de ventes, la
revue Expansión classa les brasseries Cuauhtémoc et Moctezuma aux dix-neuvième et trentième rangs
respectivement en 1983 (Expansión, 21/08/1985).
109
Bien que les documents ne soient pas disponibles pour les trois brasseries mexicaines, il appert que
toutes s’inscrivent au FICORCA dès 1983. Cette information nous fut communiquée lors d’un
séminaire tenu au Colmex le 6 juillet 2004 alors que nous présentions les résultats préliminaires de
notre étude.
110
Cette dette s’élèvera par la suite à 43,7 milliards de pesos, dont 556 millions $US pour ses seules
filiales (Expansión, 28/03/1984).
111
Le gouvernement central, durant la période de l’ISI, a principalement utilisé le contrôle des prix et
l’octroi de monopoles effectifs à certains intérêts privés (OCDE, 2004a).
112
L’article 28 de la Constitution mexicaine interdit explicitement les monopoles et les pratiques
monopolistiques. Cependant, les secteurs stratégiques sous le contrôle de l’État (le courrier, le pétrole
et les hydrocarbures ainsi que l’électricité entre autres), ne sont pas considérés comme des monopoles.
Toutefois, les gouvernements successifs n’ont jamais édicté les lois nécessaires au respect de cet
article : la stratégie de substitution aux importations, sur laquelle fut fondé le développement du pays
pendant une quarantaine d’années, limitait le jeu concurrentiel interne.
91
a pour objectifs centraux de protéger à la fois le bon fonctionnement du libre marché
et le processus concurrentiel (CFC, 2004).113
Bien que la LFCE interdise explicitement les monopoles et les pratiques
anticoncurrentielles (article 2), dans les faits, elle n’intervient pas sur l’existence des
monopoles (OCDE, 2004a). La loi vise plutôt à éliminer les pratiques
anticoncurrentielles, qui sont de deux ordres : les pratiques absolues et les pratiques
relatives.114 Les premières sont interdites d’office, étant donné qu’elles sont
présumées inefficientes par la loi. Les secondes ne sont considérées illégales que dans
la mesure où une société exerce un pouvoir de marché substantiel. Il revient à la CFC
d’interpréter et d’appliquer les articles de la LFCE.115
Tant dans l’esprit que dans l’application, la politique de la concurrence mexicaine
repose sur l’efficacité et l’efficience (OCDE, 2004a et b). Au niveau conceptuel, par
ailleurs, elle s’appuie sur la contestabilité des marchés. Les interventions des autorités
de la concurrence n’ont pas pour but de contrer des pratiques néfastes au bien-être des
consommateurs, mais de limiter les activités affectant le jeu concurrentiel. Cependant,
on postule également que la potentialité d’entrée de nouveaux concurrents éliminera
113
Bien que la CFC et la LFCE soient les deux pièces maîtresses de la politique de la concurrence
mexicaine, il s’est avéré nécessaire de créer d’autres agences régulatrices afin de surveiller des secteurs
économiques spécifiques. C’est ainsi que sont nées la Commission fédérale des télécommunications
(COFETEL), la Commission régulatrice de l’énergie (CRE), la Commission nationale des assurances et
des valeurs mobilières (CNSF), la Commission nationale des pensions et retraites (CONSAR).
Chacune travaille de concert avec la CFC, mais possède son autonomie propre.
114
Les pratiques anticoncurrentielles absolues comprennent quatre types d’accords, de contrats ou
d’arrangements horizontaux : la fixation des prix, les restrictions à la production, la division des
marchés et la manipulation des soumissions lors d’appels d’offres (article 9 de la LCFE). Les pratiques
anticoncurrentielles relatives, ou verticales, ont pour buts principaux d’évincer d’autres firmes du
marché, de réduire substantiellement l’accès au marché ou d’établir des avantages prohibitifs à la (ou
les) firmes(s) en collusion. Elles sont plus nombreuses que les pratiques absolues. Elles incluent, entre
autres, les divisions verticales des marchés, les ventes liées, les contrats d’exclusivité, les refus de
vendre et les boycotts collusoires. Une autre série d’accords peut également tomber sous le parapluie
des pratiques relatives : les prix de prédation, l’exclusivité en contrepartie de rabais, les subventions
croisées, la discrimination par les prix ou les conditions de vente et l’augmentation des coûts des
concurrents (OCDE, 2004b: 2)
115
Ramsey identifie trois types d’intervention de la CFC : les interventions de soutien, de prévention et
de punition. Dans le premier cas, la Commission participe à l’élaboration des politiques
gouvernementales en y rappelant les aspects concurrentiels. Les opérations de soutien se manifestent
également par le travail d’éducation qu’effectue l’organisme auprès de la communauté des affaires, des
politiciens et du public en général. Son rôle préventif se remarque dans sa capacité à réguler les
concentrations ; dans ses prises de positions sur les questions d’abus de positions dominantes et
l’influence qu’elle exerce dans la détermination des firmes recevant des concessions gouvernementales.
Son rôle punitif apparaît lorsqu’elle impose des amendes ou suggère des mesures correctrices afin
d’éliminer des pratiques monopolistiques absolues ou relatives (Ramsey, 2003: 9-10).
92
la capacité d’une firme de profiter de son pouvoir de marché. Telle que le rappelle
l’OCDE : “l’utilisation de son pouvoir de marché [par une entreprise] par des prix
supraconcurrentiels est présumée auto-correctrice, dans la mesure où un tel
comportement attirera normalement de nouvelles firmes sur le marché” (OCDE,
2004a: 24, notre traduction).
Bien que la politique de la concurrence mexicaine soit édictée afin d’asseoir les
transformations internes, elle s’insère dans un triple aspect international. D’une part,
elle survient alors que les débats sur la concurrence se transposent de l’échelle
nationale au niveau international (Rioux, 2000b). Ce changement spatial s’explique
autant par la globalisation, qui remet en cause l’autonomie de la politique nationale de
la concurrence (Rioux, 2000b; Clougherty, 2001)116 que par la multiplication des lois
nationales sur la concurrence.117 D’autre part, la politique de la concurrence est de
plus en plus liée à la politique commerciale (OCDE, 1999, 2001 et 2003 ; Hoekman,
1997)118 et aux politiques de promotion des investissements (WIR, 2003). On
soulignera alors la complémentarité entre les trois : alors que la politique commerciale
concerne l’extérieur et que la politique de la concurrence traite de l’intérieur, les deux
se renforceraient mutuellement. Dans les deux cas, il s’agirait d’éliminer les obstacles
et distorsions au bon fonctionnement des marchés (OCDE, 1999 et 2001).119 Cela a
pour effet d’encourager l’investissement étranger, dans la mesure où les standards
116
Clougherty souligne, paradoxalement, que les politiques de la concurrence nationales et plus
généralement les institutions gouvernementales, limitent l’impact de la globalisation (Clougherty,
2001).
117
Singh (2004) montre le caractère tout à fait récent du droit de la concurrence à l’échelle
internationale. Dans une recension de 124 États possédant ou en processus d’adoption d’une loi sur la
concurrence en 2000, il note que seulement 20 d’entre eux disposaient d’une loi sur la concurrence
avant 1980.
118
Le GATT avait déjà pris en compte l’étroite relation qui existait entre ces trois aspects. Il prévoyait
l’établissement de règles en matière d’investissement et de concurrence en complément d’un accord sur
le commerce ; toutefois, ce n’est qu’avec la naissance de l’OMC puis de la première conférence
ministérielle de Singapour (1996) que les travaux reprennent. Du point de vue des pays en
développement, Hoekman (1997) fait ressortir le rôle possible que peut jouer l’OMC dans l’élaboration
d’un cadre multilatéral sur les règles anti-trusts. Le choix entre les différentes options s’offrant aux
PED devrait reposer sur trois critères : leur capacité à accroître la contestabilité des marchés pour les
firmes étrangères, l’impact d’autres alternatives sur le bien-être économique national et leurs
conséquences sur le fonctionnement du système commercial actuel.
119
L’OCDE note que la frontière entre interne et externe n’est pas aussi claire. Les principes du
traitement national enchâssés à l’article III du GATT obligent les États à maintenir un terrain de jeu
équitable (level playing field), éliminant les mesures discriminatoires basées sur la “nationalité” des
produits.
93
s’appliquent à tous et que les entreprises nationales ne puissent mettre en place des
barrières anticoncurrentielles (WIR, 1993).
Finalement, il faut souligner la triple importance du niveau international dans la mise
sur pied d’une politique de la concurrence officielle. Premièrement, l’ALENA, par les
dispositions du chapitre 15, stipule que chaque État “adoptera ou maintiendra des
mesures prohibant les comportements anticoncurrentiels et exercera toute action
appropriée à cet égard, reconnaissant que de telles mesures favoriseront l'atteinte des
objectifs du présent accord” (article 1501).120 Ensuite, la législation en matière de
concurrence qu’adopte le Mexique s’inspire de multiples expériences internationales.
En outre, parmi les attributions de la CFC, notons la coopération et la coordination
avec d’autres autorités nationales de la concurrence, de même que l’étude des fusions
internationales ayant des conséquences au Mexique. Finalement, la régulation de la
concurrence interne passe par la nouvelle loi sur le commerce extérieur de juillet 1993
complète la LFCE. C’est à ce niveau que l’on retrouve l’articulation des politiques
commerciale et de la concurrence.121
La mise en place d’une véritable politique de la concurrence introduit deux
transformations majeures : la création d’un réel droit de la concurrence et la mise sur
pied d’une institution de régulation des rapports concurrentiels (la CFC).
L’officialisation d’un droit de la concurrence marque la consécration du nouveau
modèle économique mexicain, basé sur les relations marchandes. Toutefois, si on
reconnaît finalement l’importance d’un droit de la concurrence en tant qu’instrument
de régulation, celui-ci ne s’applique pas à l’ensemble de l’activité économique.
L’existence de monopoles stratégiques, sous le contrôle de l’État, ainsi que des
privatisations dont la transparence est questionnée, limitent la portée de cette politique
(Ramsey, 2003).
120
Le Canada et les États-Unis disposaient déjà d’une politique de la concurrence lors de la négociation
du traité de libre-échange. Il est donc permis de croire que cet article visait spécifiquement le Mexique.
121
L’un des principaux objectifs de la Loi sur le commerce extérieur de 1993 est la régulation des
pratiques commerciales déloyales. Sont considérées comme pratiques déloyales toute introduction de
marchandise à un prix inférieur à son coût de production (dumping) ou bénéficiant de subventions du
gouvernement d’origine, subventions qui auraient pour effet de réduire la compétitivité prix des
produits mexicains (Titre V de la Loi). Afin de corriger ces distorsions à la concurrence, l’État
mexicain se réserve le droit d’imposer des droits compensatoires.
94
Les effets de la nouvelle politique de la concurrence ne touchent directement les
brasseries mexicaines qu’à partir de 1999. La CFC amorce une enquête sur les
politiques d’exclusivité en cours dans l’industrie (cf. chapitre 4). Ce qui est visé plus
spécifiquement, ce sont les contrats d’exclusivité avec des autorités municipales ou
étatiques assurant la distribution des marques de chaque entreprise. En 2001, les
brasseries parviennent à un accord avec la CFC par lequel elles mettent fin à ces
contrats (OCDE, 2004a). Cette première enquête ne concernait pas les contrats
d’exclusivité que nouaient les brasseries avec les détaillants. À partir de mai 2003, la
CFC tente de pallier cette lacune en initiant un nouvel examen des contrats
d’exclusivité dans la vente au détail.122
Alors que l’implication de l’État mexicain touche principalement les pratiques
monopolistiques relatives de l’industrie brassicole, il est un cas où son intervention
demeure absente : les accusations de concurrence déloyale des brasseries mexicaines
vis-à-vis certaines brasseries américaines. Dès le début des années 1990, l’industrie
accuse des brasseries américaines de pratiquer du dumping sur le marché mexicain
(Expansión, 24/07/1991). Malgré l’entrée en vigueur de la Loi sur le commerce
extérieur, aucune enquête n’a pu montrer l’existence d’un dumping des brasseries
américaines.
3.2.5 L’opposition constante des brasseries mexicaines
Pour l’industrie brassicole, outre l’argumentation de la perte de compétitivité vis-à-vis
des concurrentes internationales (VISA, ADR 1998), l’impact des impôts se fait
surtout sentir lors des périodes de crise. Les années1981-1984 constituent un bon
exemple de cette situation. Outre l’ensemble des taxes et impôts auquel est soumise
l’industrie durant cette période, l’augmentation de l’IEPS entre 1979 et 1982, le taux
passe de 12% à 21,5%, combinée à la dépréciation du peso provoquent l’explosion
des sommes dues. Entre 1981 et 1983, celles-ci quadruplent, passant de 11,6 milliards
de pesos en 1981 à 19,5 milliards de pesos en 1982 puis à 45 milliards de pesos en
1983 (Expansión, 12/10/1983).
122
Dans ce cas, un autre groupe d’entreprises, les fabricants étrangers de boissons gazeuses,
interviennent dans le débat. Selon ces firmes, les contrats de distribution exclusifs des brasseries
mexicaines sont traités différemment que leurs contrats d’exclusivité, ce qui contrevient à la LFCE.
95
En plus du quadruplement des impôts, la nationalisation des banques frappe
également durement les brasseries. C’est la relation particulière entre celles-ci et les
banques qui se rompt, particulièrement dans le cas de Cuauhtémoc et de
Moctezuma.123 Au-delà de la nationalisation, l’État mexicain influence grandement
l’industrie par la gestion de la situation macroéconomique du pays. Il faut se souvenir
que l’État mexicain, en 1982, exerce encore un fort contrôle sur la vie économique du
pays.124
Pour les dirigeants de l’industrie brassicole, l’IEPS représente l’un des plus grands
freins de l’industrie vis-à-vis les brasseries étrangères, notamment les brasseries
américaines (ANAFACER, 2004a; FEMSA, RA 2002). Outre les questions sociales
liées à la consommation d’alcool, le principal enjeu des pressions de l’industrie auprès
de l’État depuis le début des années 1980 tourne autour de la taxation à laquelle sont
soumises les brasseries. Ces efforts se concentrent plus spécifiquement sur l’IEPS. Le
lobbying de l’industrie, qui s’effectue principalement à travers l’Association nationale
des producteurs de bière (Asociación Nacional de Fabricantes de Cerveza,
ANAFACER), cherche depuis cette période à infléchir le niveau des taxes applicables
à la bière.
123
Les propriétaires de ces brasseries étaient également impliqués dans le système bancaire mexicain.
La nationalisation provoqua non seulement la rupture du lien les unissant, mais signifiait aussi un
durcissement de l’accès aux capitaux étrangers.
124
Ainsi, lorsque des rumeurs coururent à l’effet que la brasserie américaine Anheuseur-Busch était
intéressée à acquérir Moctezuma, le gouvernement mexicain souligna qu’il ne permettrait pas
d’investissements étrangers dans ce secteur (Expansión, 28/03/1984).
96
Encadré : L’ANAFACER
L’Asociación nacional de fabricantes de cerveza (Association mexicaine des
brasseries, ANAFACER) constitue l’organe de représentation de l’industrie
brassicole mexicaine tant auprès de l’État mexicain que de gouvernements étrangers
ou d’instances internationales. L’organisation naît en 1924 à Mexico et regroupe
l’ensemble des entreprises constitutives de l’industrie.
Au niveau domestique, la fonction de l’association est triple. Premièrement, elle
facilite le dialogue entre les brasseries et constitue l’institution à l’intérieur de
laquelle s’établissent les accords sur le fonctionnement de l’industrie, notamment en
matière de concurrence (Garcia Sordo, 08/05/2002). Deuxièmement, elle représente
l’industrie auprès du gouvernement fédéral. Cette représentation s’exprime
principalement en matière fiscale. Bien que les patrons des brasseries présentent
individuellement leurs doléances aux autorités gouvernementales quant aux taxes et
impôts auxquels leurs entreprises sont soumises, il en revient à l’ANAFACER de
formuler les propositions générales de l’industrie. Ainsi, lors du débat sur la réforme
fiscale de 2004, l’association proposa que le taux de l’IEPS soit ramené au niveau de
1996, soit 19%. Troisièmement, l’association publie des études et fait la promotion
de l’industrie auprès du public.
À l’échelle internationale, l’association constitue l’aréna où s’élaborent les stratégies
des brasseries vis-à-vis les autorités gouvernementales étrangères et défend les
intérêts commerciaux de ses membres auprès des instances juridiques
internationales. C’est l’ANAFACER qui intervient auprès des autorités américaines
en 1982, au nom de l’industrie brassicole mexicaine, afin de plaider la cause de cette
dernière alors que le gouvernement envisageait des mesures de représailles contre
les brasseries mexicaines. C’est au nom de la brasserie Modelo que l’association
poursuivit la brasserie française Fischer devant la Cour internationale d’arbitrage à
Paris en 1999 (Expansión, 22/08/2001).
Jusqu’en 1992, les représentants des brasseries ne peuvent convaincre le
gouvernement de réduire le taux de l’IEPS. Cependant, en 1992, ils obtiennent gain de
cause alors que le gouvernement annonce une réduction graduelle de l’IEPS. Pour les
brasseries mexicaines, la perspective d’un accord de libre-échange avec les États-Unis
entraîne de nouvelles règles du jeu. Étant donné que les entreprises américaines paient
une taxe beaucoup plus basse que leurs concurrentes mexicaines125, les brasseries
mexicaines soutiennent que le maintient d’un IEPS à 25% menace leur compétitivité.
De plus, la nature de cette taxe ad valorem126, alors qu’il s’agit d’une quote-part aux
125
Sur l’évolution de la taxe sur la bière aux États-Unis, voir le chapitre 5 de notre étude.
Un impôt ou une taxe ad valorem s’applique selon la valeur du produit, contrairement à une quotepart dont le montant est fixe.
126
97
États-Unis, affecterait là aussi la capacité des brasseries mexicaines à (Expansión,
25/02/1998).
Suite à la hausse de l’IEPS à 25% en 1998, l’ANAFACER et les brasseries tentent à
nouveau de convaincre le gouvernement de revenir sur sa décision. Toutefois, elles ne
réussissent pas à persuader les autorités gouvernementales.127 Les brasseries
transfèrent alors ces taxes aux consommateurs à travers les augmentations successives
des prix des bières.
L’évolution du prix de la bière au Mexique est soumise à deux contraintes
importantes : la structure du marché national et le rôle du gouvernement fédéral. De
1981 à 1996, le prix réel de la bière au détail baisse de plus de 40%. Après une
diminution constante jusqu’en 1996, Modelo et FEMSA recommencent à hausser les
prix. Une première hausse de 22% a lieu en 1997 ; en 1998, une deuxième hausse de
23% vient s’ajouter à la première, suite à la décision des deux entreprises de refiler
aux consommateurs l’augmentation de l’impôt spécial sur la bière décrété par le
gouvernement fédéral (VISA, ADR 1998). En avril 2000, les deux entreprises
augmentent encore une fois leurs prix, et ce, à quelques semaines d’intervalle. On
retrouve ainsi les prix de 1994, ce qui est tout de même inférieur de 25% aux prix de
1981 (Zepeda Mauleon, 27/11 /2001; FEMSA, RA 2000). Après une augmentation
moyenne des prix de 10% en 2001, l’industrie doit toutefois modifier ses pratiques :
suite à une série de plaintes pour pratiques monopolistiques, les augmentations futures
pourraient être différenciées par zones et prendre effet à des moments distincts, entre
le premier et le second trimestre (Bital, FEMSA, 2001a).
127
En fait en 1998, le Ministère des Finances reconnaît l’erreur du gouvernement d’avoir fixé le taux
de l’IEPS à 25%. Il accorde alors un sursis de 60 jours aux brasseries pour le paiement de la taxe.
L’État désirait augmenter ses revenus de 1309 milliards de pesos ; afin de parvenir à cette somme,
l’IEPS devait être fixée à 22% et non 25%. Le Ministère s’engagea à proposer la réduction de la taxe
pour l’exercice budgétaire de 1999, ce qu’il fit. Toutefois, le Congrès (Parlement mexicain) refusa la
proposition, soutenant que l’insuffisance des revenus pétroliers justifiait le maintient de l’IEPS à 25%
(ANAFACER, 2004a).
98
3.3 L’impact des États étrangers sur les brasseries mexicaines
Durant l’internationalisation des brasseries mexicaines, les États étrangers n’exercent
généralement pas une influence déterminante. Toutefois, deux interventions de
gouvernements étrangers touchent directement l’industrie durant la période 19822004 : le retrait des bières mexicaines du système général de préférence américain en
1982-83 et l’autorisation par les autorités de la concurrence brésilienne de l’accord
CCM- Kaiser.
En 1982, l’association des brasseurs américains, la United States Brewers Association
(USBA), demande aux autorités américaines de retirer ce produit du système
généralisé de préférences (SGP). Suite au refus du gouvernement mexicain d’accorder
la réciprocité aux bières américaines, la USBA soutient que les bières américaines
font face à une concurrence déloyale de la part des brasseries mexicaines, puisqu’elles
ne sont pas soumises à un tarif douanier aux États-Unis.128 Pour les représentants des
brasseries mexicaines, le différentiel de développement entre les deux pays justifie
l’absence de réciprocité en la matière. Cependant, le gouvernement américain accepte
l’argumentation de l’USBA et retire la bière mexicaine du SGP en 1983. Par ailleurs,
la signature de l’ALENA met fin à la participation du Mexique au SGP américain, ce
qui élimine de facto les bières mexicaines du système.
Dans le cas de l’intervention des autorités brésiliennes, celle-ci s’est limitée au
domaine de la concurrence interne. L’implication du Conseil administratif
d’accompagnement économique (CADE) est requise suite à l’accord entre CCM et la
brasserie Kaiser, alors que la brasserie brésilienne obtient la licence de production
d’une marque de bière de la brasserie mexicaine. Au début de 2004, le Ministère de la
Justice brésilien et le CADE déterminent que l’accord ne saurait affecter la
concurrence sur le marché brésilien. Sur cette base, le CADE autorise la transaction.
Cette décision est par la suite confirmée par le Secrétariat de l’accompagnement
économique, une dépendance du Ministère des Finances.129
128
En 1982, les brasseries américaines devaient payer un tarif douanier de 100% de la valeur des bières
et devaient obtenir l’autorisation préalable du Ministère du Commerce afin de commercialiser leurs
produits au Mexique (Expansión, 10/11/1982).
129
<http://www.cade.gov.br/atas/atadis334.htm> et
99
Conclusion
La théorie de la co-opétiton accorde une place importante au rôle de l’État sans
toutefois développer cet aspect à fond. Selon Nalebuff et Brandenburger, l’État
possède deux fonctions déterminantes dans le réseau de valeur d’une entreprise : il est
un joueur impliqué dans le réseau de valeur de la firme et selon les circonstances il se
trouve sur l’une des pointes du losange du réseau : compétiteur, complémenteur,
fournisseur ou client. Par ailleurs, de par ses fonctions régaliennes, l’État se perçoit
comme le régulateur de l’ensemble des réseaux de valeur d’une économie. Malgré
l’importance accordée à l’État, Nalebuff et Brandenburger ne détaillent pas comment
la participation de cet acteur influence le développement du réseau de valeur des
entreprises.
Ce chapitre a cherché à combler cette lacune en étudiant le rôle de l’État dans le
développement du réseau de valeur des brasseries mexicaines à partir de la crise de
1982. En analysant particulièrement les fonctions systémique et organisationnelle de
l’État mexicain, nous avons montré le faible impact qu’exerce cet acteur sur
l’internationalisation de l’industrie brassicole. Si l’influence de l’État sur le
développement international des firmes est minime, à l’interne il intervient
directement et indirectement sur la croissance des brasseries.
À partir de la crise de 1982, les gouvernements mexicains successifs ont mis en place
une série de politiques visant à ouvrir l’économie nationale et à l’intégrer davantage à
l’économie mondiale, plus particulièrement à l’économie américaine. Outre
l’ouverture commerciale, il s’agissait également de transformer les rapports avec le
secteur privé, durement affectés par la décision de López Portillo de privatiser les
banques en 1982. La concertation qui caractérise les administrations de la Madrid et
Salinas de Gortari favoriseront le dialogue entre l’État et les représentants du secteur
privé.
Par ailleurs, compte tenu de la nature de l’industrie abordée, l’implication directe de
l’État demeure limitée durant toute la période couverte par cette recherche. Bien que
<http://www.fazenda.gov.br/Seae/documentos/pareceres/Ind.%20Processo/pcr063092004RJ_ac080120
00116200453.pdf> accès le 12 mai 2004
100
l’État mexicain, le recteur de l’économie nationale jusqu’à l’abandon du modèle de
substitution aux importations, son contrôle ne s’est pas étendu sur les brasseries
mexicaines, celles-ci demeurant au sein du secteur privé durant la totalité du XXè
siècle.
L’influence de l’État mexicain sur le réseau de valeur des brasseries mexicaines peut
donc être qualifiée d’indirecte. À travers la taxation et la législation que promulgue
l’État, il est en mesure d’affecter la compétitivité de l’industrie. L’État mexicain
n’agit ni comme un complémenteur, ni comme un compétiteur ni comme un client des
brasseries mexicaines. En ce sens, il ne se trouve pas dans le réseau de valeur des
brasseries, mais assure tout de même un rôle d’importance. Dans le cas des brasseries
mexicaines, les fonctions systémiques de l’État, notamment son rôle législatif et
fiscal, priment sur ses fonctions organisationnelles. Le rôle systémique de l’État se
révèle également par la mise sur pied d’une véritable politique de la concurrence.
Bien que l’État mexicain apparaisse comme le principal acteur étatique dans le
développement de l’industrie brassicole mexicaine, d’autres États ont également
exercé une influence directe sur les brasseries mexicaines, mais sur une base
ponctuelle. Tel est le cas des États-Unis durant les années 1982-1983 et le Brésil en
2004. Dans le cas américain, il s’agit d’une réponse à la non réciprocité du Mexique :
ce dernier est accusé de ne pas accorder les mêmes conditions d’accès au marché
mexicain aux brasseries américaines que le gouvernement américain octroie aux
bières mexicaines. Dans le cas brésilien, il s’agit surtout de s’assurer que le brassage
d’une bière mexicaine sur le territoire national ne perturbe l’équilibre concurrentiel
existant.
Quels enseignements tire-t-on pour le modèle de la co-opétition dans l’industrie
brassicole internationale ? À travers ses politiques, particulièrement les politiques de
la concurrence, il régule l’entrée sur le marché national de firmes étrangères en
abaissant ou en haussant les barrières concurrentielles. C’est ce qu’on observe dans le
cas de la nouvelle politique de la concurrence mexicaine, de la décision des ÉtatsUnis de sortir les bières mexicaines du SGP ou l’accord du CADE d’autoriser la
licence de production au Brésil. Le rôle de l’État se limiterait donc au territoire
101
national. Les chapitres suivants permettront d’élaborer quelque peu sur le rôle de
l’État.
102
CHAPITRE IV
L’INDUSTRIE BRASSICOLE MEXICAINE
L’une des assertions centrales de cette thèse est à l’effet que la globalisation doit être
analysée à trois niveaux distincts : le national, le régional et le global. Les stratégies
des entreprises, acteurs fondamentaux de la globalisation, s’articulent à la fois à ces
trois niveaux, que ce soit en termes productif ou commercial. Tel qu’il a été suggéré
en introduction de notre étude, les firmes s’appuient d’abord sur le marché national
avant d’amorcer leur internationalisation. L’examen de l’évolution et de
l’organisation du marché national permet de mieux comprendre les déterminants de
l’internationalisation des firmes, ainsi que les stratégies qu’elles privilégient lors de ce
processus.
La prise en compte de l’échelon national contribue d’une autre façon à une meilleure
compréhension de la globalisation. En effet, si on accepte que celle-ci se caractérise,
entre autre, par une exacerbation de la concurrence sur les marchés mondiaux et la
transformation des politiques nationales en faveur d’une diminution des barrières au
commerce international, la globalisation implique qu’on s’attarde à cet échelon.
D’une part, les marchés mondiaux se subdivisent en marchés régionaux et nationaux,
ce qui nous oblige à aborder la concurrence à ces niveaux. D’autre part, les politiques
gouvernementales favorisant l’intégration des marchés sont principalement le fait
d’États nationaux. Le chapitre précédent a traité du rôle de l’État sur les firmes, en
particulier comment l’État mexicain participe indirectement au développement du
réseau de valeur des brasseries mexicaines. Il s’agit maintenant de se pencher sur
l’industrie brassicole mexicaine et les entreprises la composant.
Pour qui veut comprendre le processus d’internationalisation de l’industrie brassicole
mexicaine, un arrêt préalable s’impose sur son développement historique, ainsi que
sur l’organisation de celle-ci. N’étant pas une industrie nouvelle, ses origines datant
du XIXè siècle, elle s’est surtout développée dans les grandes villes du pays avant
d’étendre sa présence à l’ensemble du territoire mexicain. Ce n’est qu’une fois cette
couverture assurée et la concurrence nationale bien établie que le processus
103
d’internationalisation débute réellement. Ce chapitre a pour but d’étudier le
développement historique et organisationnel de l’industrie brassicole mexicaine à
l’échelle nationale.
De la naissance des premières brasseries à la crise économique de 1982, la croissance
de l’industrie connaît deux phases distinctes. Une première qui va de 1860 aux années
1920 : elle se caractérise par l’apparition et la disparition d’une multitude de
brasseries. C’est la phase de la naissance. La seconde, qui va des années 1920 à 1982
peut se définir comme la phase de la consolidation, alors que l’industrie se concentre
et étend sa couverture à l’ensemble du Mexique. Le développement historique de
l’industrie fera l’objet de la première partie de ce chapitre.
La réorganisation de l’industrie qui s’amorce avec la crise de 1982 constitue une étape
charnière dans l’évolution des brasseries mexicaines. Les difficultés économiques que
connaît le Mexique touchent directement les brasseries mexicaines. La crise provoque
même la restructuration de l’industrie, celle-ci se transformant d’un oligopole de trois
entreprises en un duopole. L’intégration de la brasserie Moctezuma à la brasserie
Cuauhtémoc s’étale sur trois années, ce qui permet à leur concurrente, Modelo, de
prendre le contrôle de l’industrie. La deuxième partie du chapitre aborde la
transformation et la consolidation de l’industrie entre 1982 et 1988. Elle présente les
causes ayant mené Cuauhtémoc et Moctezuma au bord de la faillite, analyse les
stratégies adoptées par les brasseries afin de surmonter la crise ainsi que les résultats
de la restructuration de l’industrie.
La dernière partie traite la structure actuelle de l’industrie, celle-ci se composant de
deux brasseries, Grupo Modelo et Cerveceria Cuauhtémoc-Moctezuma.. Elle présente
les caractéristiques générales de celle-ci et les transformations qu’elle connaît depuis
1988. Nous verrons comment l’histoire, l’organisation et les objectifs de Modelo et
CCM façonnent et limitent la concurrence sur le marché mexicain. Ce qui nous
intéresse ici est la constitution du réseau de valeur contemporain des brasseries
mexicaines. Contrairement au schéma de Nalebuff et Brandenburger (1996), ce réseau
ne se présente pas sous la forme d’un diamant, mais d’un triangle. En outre, la
104
structure duopolistique du marché limite la concurrence à deux firmes, les
importations y jouant un rôle négligeable.
En somme, ce chapitre ne cherche pas à explorer plus à fond les débats théoriques
soulevés jusqu’à maintenant. Il vise plutôt à mieux saisir l’environnement
institutionnel dans lequel évoluent les deux entreprises. Il fait le lien entre le chapitre
précédent et les chapitres subséquents. Il permet, d’une part, de mieux saisir le rôle et
l’influence de l’État sur le développement et la croissance des firmes nationales et,
d’autre part, de comprendre les choix stratégiques que font CCM et Modelo dans leur
internationalisation par la suite.
4.1
Le développement historique de l’industrie brassicole mexicaine :
1860-1982
L’industrie brassicole mexicaine, comme plusieurs industries nationales, passe par
plusieurs phases au cours de son histoire. Bien que la bière soit brassée au Mexique
depuis 1544 (Medina Mora, 1998), l’émergence d’une véritable industrie date de la
fin du XIXè siècle. C’est à partir d’alors qu’on assiste à la naissance des premières
brasseries. Cette première période s’étend jusqu’en 1925, soit à la naissance de la
brasserie Modelo. À partir des années 1930, la consolidation de l’industrie s’accélère
jusqu’à la formation du duopole.
4.1.1
Première période : la naissance (1860-1925)
C’est au début des années 1860 qu’apparaissent les entreprises qui constitueront par la
suite la colonne vertébrale de l’industrie brassicole mexicaine. Ces entreprises sont
géographiquement localisées dans les grands centres urbains (Mexico, Guadalajara,
Monterrey, Veracruz) et desservent uniquement le marché local. Elles ne possèdent
pas les technologies nécessaires à l’exportation des bières à l’extérieur de leur
localité : l’absence de méthodes de refroidissement, de même que le faible niveau de
développement ferroviaire du pays représentent les obstacles les plus importants à la
croissance des entreprises (Medina Mora, 1998). Bien que la propriété de ces
entreprises soit en partie aux mains de l’élite du pays, cette industrie naissante est
avant tout artisanale : très peu d’entreprises possèdent la taille et les capacités
financières permettant la modernisation.
105
Deux des caractéristiques les plus importantes des brasseries de cette époque touchent
à la propriété et à l’expertise. La quasi-totalité des brasseries qui apparaissent à cette
époque sont des partenariats entre Mexicains et immigrants européens ou
investisseurs américains. Les immigrants apportent non seulement un capital
important, mais surtout une expertise permettant de fabriquer une bière de grande
qualité. La propriété des brasseries reflète sorte la hiérarchisation de la société
mexicaine de la deuxième partie du XIXè siècle : plusieurs familles de l’élite
politique, économique, financière et militaire du pays sont également impliquées dans
la naissance et le développement de cette industrie.
De la fin du XIXè siècle jusqu’à la Révolution de 1910-1917, l’industrie se caractérise
par un double mouvement de naissance et de concentration d’entreprises ainsi que par
des innovations techniques permettant la conservation (pasteurisation) et le transport
de la bière. Durant la dernière décennie du XIXè siècle, plusieurs brasseries
apparaissent, de sorte qu’en 1900 le Mexique compte 29 brasseries. Cependant,
seulement quatre d’entre elles (Moctezuma, Cuauhtémoc, Chihuahua et Toluca y
México) exportent à l’extérieur de leur région respective (Medina Mora, 1998). En
1908, la brasserie Chihuahua disparaît suite à un incendie ; il ne reste plus que trois
grandes brasseries et une multitude de brasseries artisanales.
La Révolution marque une étape importante de cette première période. Les brasseries
sont durement touchées : réquisitions et/ou saisies des installations, expropriations,
difficultés d’approvisionnement, baisse de la production, raréfaction de la
main
d’œuvre et baisse des profits. Toutefois, après la Révolution, l’industrie récupère
rapidement le terrain perdu : en 1918, le Mexique compte 36 brasseries, mais la très
grande majorité demeure artisanale et sans importance (Medina Mora, 1998).
4.1.2
Deuxième période : le développement (1925-1982)
Rétrospectivement, on peut avancer que la deuxième phase du développement de
l’industrie brassicole mexicaine, qui va de l’apparition de la brasserie Modelo à la
crise de 1982, débute en 1925. Grâce à l’apport de capitaux mexicains et espagnols
ainsi que d’appuis gouvernementaux, Modelo ouvre officiellement ses portes en
106
octobre 1925.130 Au fil des ans, deux brasseries accaparent le marché de la vallée de
Mexico et s’y affrontent : Modelo et Cervecería Toluca y México. La Grande
dépression des années 1930, qui frappe plus durement l’industrie entre 1931 et 1933,
de même que la concurrence de plus en plus forte de Modelo, ont éventuellement
raison de Cervecería Toluca y México : en 1935 Modelo achète tout d’abord les droits
de la principale marque de sa concurrente, puis absorbe celle-ci quelques mois plus
tard (Grupo Modelo, 2000).
C’est au cours des années 1950 que l’industrie atteint sa véritable vitesse de croisière.
Le développement des principales brasseries prend deux formes : l’acquisition de
brasseries stratégiquement situées à travers le pays et la modernisation de leurs
propres installations.131 C’est également durant cette décennie que Modelo passe au
premier rang des brasseries mexicaines devant ses principales concurrentes,
Cuauhtémoc et Moctezuma. Les petites brasseries demeurent encore relativement
importantes, car elles possèdent 14,2% des parts de marchés. Toutefois, la
concentration se poursuit rapidement alors que les brasseries augmentent sensiblement
leurs capacités de production.132
Durant cette période, Cuauhtémoc et Modelo acquièrent plusieurs brasseries de petite
taille et construisent quelques usines supplémentaires afin d’accroître leur présence
nationale. Celles-ci sont stratégiquement implantées à travers le pays afin d’offrir une
couverture maximale du territoire, car la segmentation du marché mexicain se
poursuit : Modelo domine toujours le centre du pays, alors que Cuauhtémoc maintient
son avance au nord et que Moctezuma domine le marché dans la région du Golfe du
Mexique. Durant ces deux décennies, les brasseries mexicaines s’efforcent non
seulement de produire à l’échelle régionale, mais aussi d’offrir aux consommateurs
des marques nationales. C’est ainsi que les marques Corona Extra (Modelo) et Tecate
(Cuauhtémoc) deviennent les emblèmes des deux principales brasseries mexicaines. À
130
La brasserie a ouvert ses portes en octobre 1925, mais c’est le 8 mars 1922 que s’est constituée la
raison sociale Cervecería Modelo S.A. Voir Grupo Modelo, (2000).
131
Modelo acquiert les brasseries Cerveceria Estrella et Cerveceria del Pacífico en 1954, Cerveceria del
Noroeste en 1960 et Cerveceria del Torreón en 1964. En 1952, la brasserie investit 52 millions de pesos
afin de moderniser les usines existantes (Herrero, Massaro et Deshpandé, 2001).
132
Cette concentration aura été favorisée par la promulgation de la loi fédérale sur l’élimination des
barrières entre les états en 1949, permettant ainsi la formation d’un véritable marché national (Oliveira
Vera-Cruz, 2000).
107
travers la couverture de l’ensemble du territoire mexicain, ce que recherchent les
brasseries est la pénétration des marchés jusque-là exclusivement “réservés” aux
concurrentes.
Tableau 4.1 Acquisitions des brasseries dans l’industrie brassicole
mexicaine, 1935-1970
Compagnie
Cuauhtémoc
Année
1929
1945
1953
1954
1954
1957
1935
1954
Acquisition
Localisation
Brasserie à México
Mexico
Cervecería Nogales
Nogales, Sonora
Cervecería de Humaya
Culiacán, Sinaloa
Cervecería Tecate
Tecate, Basse Cal. du Sud
Cervecería de Guadalajara
Guadalajara, Jalisco
Moctezuma
Cervecería del Norte
Monterrey, Nuevo León
Modelo
Cervecería Toluca y México
Toluca, état de Mexico
Cerveceria Estrella
Guadalajara, Jalisco
Cerveceria del Pacífico
Mazatlán, Sinaloa
1960
Cerveceria del Noroeste
Ciudad Obregón, Sonora
1964
Cerveceria del Torreón
Torreón, Coahuila
Source: Taeko Hoshino, “Firms in Developing Countries and Globalization”,
dans I. Yamazawa et N. Amakawa (dirs.), The Experiences and Perspectives of
Developing Economies under Globalization, International Symposium on
Developing Economies in the 21st Century, IDE-JETRO symposium no.20,
Makuhari, Japon: Institute of Developing Economies, 2000.
Pour les brasseries, la concentration permet de réaliser des économies d’échelle,
condition nécessaire à la croissance.133 La concentration passe non seulement par
l’achat de brasseries concurrentes et la hausse de la production, mais également par
l’établissement de politiques d’exclusivité. La brasserie se lie par contrat avec un
détaillant, alors que ce dernier s’engage à ne vendre que les bières de celle-ci en
échange d’avantages de toutes sortes (un réfrigérateur, la peinte d’un magasin, etc.).
Outre l’allégeance des détaillants, les brasseries s’assurent également du soutien des
notables des villes et des campagnes afin d’y accroître leur présence (Garcia Sordo,
08/05/2002).
133
La concentration est une caractéristique importante de la majorité des marchés brassicoles
internationaux à partir de l’après-guerre. Les changements technologiques et la hausse de la demande
entraînent la nécessité pour les brasseries industrielles de réaliser des économies d’échelles, réduisant
ainsi leurs coûts de production (Wilson et Gourvish, 1998). Il y a économie d’échelle lorsque le coût
unitaire diminue alors qu’il y a une augmentation de la production et de la taille de chaque unité de
production (brasserie) (Irvine et Sims, 1993). Les économies d’échelle s’accompagnent généralement
d’une rationalisation de la production, i.e. la fermeture de certaines usines alors que la production des
plus importantes croît. Dans le cas de la concentration des années 1950 toutefois, les économies
d’échelle ne sont pas accompagnées d’une rationalisation.
108
Durant cette phase de consolidation, l’une des principales différences entre les
brasseries concerne le mode de gestion des entreprises. Modelo adopte un
fonctionnement de type pyramidal, les décisions sont prises directement par les hauts
dirigeants et les relations avec les agences de distribution sont directes. Cuauhtémoc
et Moctezuma se caractérisent par un fonctionnement de type bureaucratique.134 Si
pour certains cette forme d’organisation provoque un alourdissement du processus
décisionnel (Garcia Sordo, 08/05/2002), pour d’autres, elle signifie plutôt une gestion
plus professionnelle de l’entreprise (Rodríguez Garza, 03/05/2002).135
Si la gestion des entreprises diffère, leurs stratégies de ventes se distinguent
également. Pour Cuauhtémoc et Moctezuma, l’objectif central est de générer des
profits alors que Modelo cherche avant tout à accroître ses volumes de vente. Dans
cette optique, Cuauhtémoc et Moctezuma adoptent une politique de prix élevés
comparativement à Modelo. Durant les années 1970, la production augmente à un
taux moyen de 6,5% par an (Expansion, 10/11/82). De 1975 à 1982, la production
totale passe de 19,9 millions d’hectolitres à 28,5 millions d’hectolitres (figure 4.1).
Cependant, la croissance de cette production n’est pas constante. On observe ainsi
deux années de baisse, soit 1976 et 1982 ; toutefois, celles-ci sont compensées par une
de hausse globale de 28,5% entre 1978 et 1981.
134
Expression utilisée par Garcia Sordo lors de l’entrevue du 8 mai 2002. Cette distinction entre les
trois firmes renvoie à l’organisation davantage structurée et hiérarchisée que l’on retrouvait au sein de
Cuauhtémoc et de Moctezuma. Les deux entreprises comptaient plus de niveaux décisionnels que
Modelo, ce qui ralentissait parfois la prise de décision.
135
Garza reconnaît le caractère bureaucratique de Cuauhtémoc et de Moctezuma. Mais contrairement à
García Sordo, il considère que cela représentait un avantage.
109
Figure 4.1
Production annuelle de l’industrie brassicole
mexicaine, 1975-1982 (en millions d’hl.)
Millions hl
35
30
25
20
15
10
5
0
1975
1976
1977
1978
1979
1980
1981
1982
Source : Brewers Association of Canada, Alcoholic Beverage Taxation and
Control Policies, International Survey, Ottawa: BAC, 1997.
Deux autres éléments d’importance de cette période doivent encore être soulignés : la
double stratégie de marques nationales et régionales d’une part, et le début de l’effort
exportateur de l’industrie d’autre part. En ce qui concerne la couverture du marché
mexicain, les brasseries font usage d’une double stratégie, soit celle d’offrir des
marques régionales en complément de marques nationales. Cette stratégie ne résulte
pas d’une longue étude de marché de la part des compagnies ; en fait, elle s’impose
dans la mesure où les brasseries, Modelo et Cuauhtémoc en particulier, acquièrent des
brasseries régionales. Ces brasseries se substituent simplement aux anciens
propriétaires tout en poursuivant la distribution de ces marques dans les régions où
elles sont maintenant implantées.
À partir de la fin des années 1970, l’industrie brassicole mexicaine connaît un
nouveau tournant avec le début de l’aventure exportatrice de Modelo. Cuauhtémoc et
Moctezuma exportaient déjà vers les États-Unis, mais en quantités négligeables (cf.
chapitre 6). Le succès est rapide, le cas de Modelo servant ici d’illustration. Voulant
bénéficier de la proximité des États-Unis, de la présence d’une très forte communauté
110
mexicaine dans les états du Sud et d’un public étudiant potentiellement très réceptif,
l’entreprise introduit la Corona Extra en Californie et au Texas.136
Au début des années 1980, alors que l’industrie brassicole mexicaine semble prête à
bénéficier de la croissance économique du pays, la situation de l’une des trois grandes
brasseries, Moctezuma, se détériore rapidement. La crise de la dette, qui débute en
1982, conduit l’entreprise au bord du gouffre et provoque une restructuration
fondamentale de l’industrie.
4.2
Crise et consolidation : 1982-1988
La crise de 1982 marque profondément l’industrie brassicole mexicaine. Profitant de
la croissance qui touche le pays suite aux grandes découvertes pétrolières de 1976, et
suivant en cela de nombreuses entreprises mexicaines, Moctezuma et Cuauhtémoc
s’endettent lourdement. Lorsque surviennent les dévaluations, ces brasseries se
trouvent au bord de la faillite. Les conséquences de la crise exacerbent les différences
quant à la philosophie des affaires des dirigeants de l’industrie. Il ne serait pas faux
d’affirmer que cet événement constitue l’élément le plus important dans la
compréhension de l’évolution de l’industrie brassicole mexicaine depuis le début des
années 1980, tant au niveau national qu’à l’échelle internationale. La crise de 1982
produit deux conséquences majeures sur l’industrie : d’une part, elle entraîne une
profonde restructuration, alors qu’on assiste à la fusion de Cuauhtémoc et de
Moctezuma ; d’autre part, elle pave la voie à la domination de Modelo à partir de la
seconde moitié des années 1980.
4.2.1
La crise de 1982 et ses conséquences
Les crises économiques et financières au Mexique, depuis le début des années 1980,
représentent des moments-clés dans le développement de l’industrie brassicole
nationale. Si la crise de 1994 a provoqué l’explosion de la production brassicole et
l’accélération des exportations, la crise de 1982 engendre des conséquences beaucoup
plus importantes.
136
Vivian Cohen Borenstein, El caso de Grupo Modelo : un exportador por excelencia in
<http://www.soyentrepreneur.com/pagina.hts?N=9476&Ad=S> accès le 12 février 2002.
111
La première conséquence est l’importante chute de la demande et de la production.
Alors que la production totale s’établit à 28,1 millions d’hectolitres en 1981, elle
chute de 1,7% en 1982, puis de 14,4% en 1983 pour s’établir à 23,6 millions
d’hectolitres (tableau 4.2). Il faut attendre 1987 avant que l’industrie ne retrouve le
niveau de production antérieur à 1982. Malgré une augmentation des ventes et des
exportations entre 1982 et 1983, les revenus et la situation financière des entreprises
se détériorent : VISA, le holding propriétaire de Cuauhtémoc enregistre des profits de
2,354 milliards de pesos lors du premier trimestre de 1982, mais termine l’année avec
des pertes de 6,345 milliards de pesos (Expansión, 21/12/1983).
Tableau 4.2 Production totale de l’industrie brassicole mexicaine
1980-1992 (en hl.)
Année
Cuauhtémoc
Moctezuma
Total
Modelo
Total
Cua/Moc
8 686 121
7 134 525
15 820 646
10 221 506 26 042 152
1980
9 512 523
7 106 303
16 618 826
11 448 388 28 067 214
1981
9 146 650
6 755 320
15 901 970
11 681 444 27 583 414
1982
7 782 680
5 622 201
13 404 881
10 203 812 23 608 693
1983
8 308 188
5 878 328
14 186 516
10 898 844 25 085 360
1984
9 068 208
6 038 300
15 106 608
12 286 996 27 393 604
1985
9 225 197
5 699 160
14 924 357
12 567 045 27 491 402
1986
9 210 611
5 828 595
15 039 206
13 667 841 28 707 047
1987
9 735 624
6 304 128
16 039 752
15 301 478 31 341 230
1988
11 161 865
7 189 734
18 351 599
18 112 231 36 463 830
1989
11 375 783
7 398 036
18 773 819
18 197 918 36 971 737
1990
11 399 352
7 593 028
18 992 380
19 708 951 38 701 331
1991
11 702 857
7 798 084
19 500 941
20 310 440 39 811 381
1992
Source: ANAFACER dans Bear Stearns, The Mexican Beer Industry, Special
Report, Emerging Markets Equity Research, New York, 1994.
Si les stratégies des brasseries s’influencent profondément mutuellement, il faut
également souligner le rôle du gouvernement mexicain. L’impact de l’État se fait
sentir à quatre niveaux : l’intervention afin de sauver Moctezuma, la forte hausse des
taxes et impôts durant l’ensemble de la période, la nationalisation de la banque et
l’établissement du FICORCA (cf. chapitre 3).
Les trois brasseries mexicaines affrontent chacune la crise différemment. Des trois,
Moctezuma sera la grande perdante. À la fin des années 1970, l’entreprise s’endette
lourdement afin de financer ses projets de développement. Les dévaluations de 1982
surprennent la firme : en quelques mois, la dette de Moctezuma sextuple, passant de 6
112
milliards de pesos à 35,280 milliards de pesos (Expansión, 28/03/1984). La firme
cesse de payer les intérêts sur sa dette dès septembre 1982 et se déclare en cessation
de paiement en 1984 (Expansión, 05/02/1986).137 Moctezuma doit rationnaliser sa
production et revoir complètement l’organisation de l’entreprise. Plus de la moitié des
travailleurs perdent ainsi leur emploi entre 1980 et 1983 (tableau 4.3).
Outre l’endettement, trois autres causes contribuent à la banqueroute de Moctezuma :
la mauvaise gestion des dirigeants, les défaillances des distributeurs et les pertes de
parts de marché. L’euphorie des années 1970 conduit les dirigeants de l’entreprise à
prendre des décisions douteuses, alors que la situation concurrentielle de celle-ci ne
concorde pas avec la stratégie : salaires élevés des administrateurs, disparitions
inexplicables de sommes d’argent ou de matériel et dépenses injustifiables
(Expansión, 28/03/1984). Par ailleurs, la compagnie acquiert plusieurs distributeurs
techniquement en faillite. L’objectif des rachats est de renforcer le système de
distribution de l’entreprise et ainsi de récupérer les parts de marché perdus depuis la
fin des années 1970. Toutefois, les résultats sont contraires puisque non seulement les
parts de marché de Moctezuma poursuivent-elles leur chute, mais ces acquisitions
grèvent davantage les finances de la compagnie.
Les problèmes de l’entreprise, bien qu’ils ne datent pas uniquement de la crise, sont
accentués par celle-ci. Soulignons qu’au début de 1982, Moctezuma doit fermer la
brasserie de Monterrey. L’entreprise est en surcapacité de production, bien
qu’officiellement la brasserie soit fermée pour cause de manque d’eau. La situation de
Moctezuma se détériore sensiblement entre 1980 et 1985. En 1980, Moctezuma
possédait 27,4% de la production nationale et 27,1% du marché national. En 1984, ces
pourcentages baissent à 23,4% de la production nationale et 23% du marché national
(tableau 4.2).
L’une des raisons ayant le plus aggravé la situation financière de Moctezuma est
l’attitude de ses dirigeants vis-à-vis des créditeurs et du gouvernement fédéral. Dès
1982, la firme se retrouve en cessation de paiement, une situation officialisée en 1984.
Cette année-là, la compagnie se retrouve toujours avec une dette de 51 milliards de
137
L’un des problèmes de Moctezuma résidait dans le fait que sa dette était libellée à la fois en pesos
mexicains et en dollars. Suite à la dévaluation, sa position devenait intenable puisque les exportations
ne fournissaient pas suffisamment de dollars afin de couvrir la portion de la dette libellée en dollars.
113
pesos (300 millions de dollars) qu’elle refuse de payer (Expansión, 10/10/1984).
L’entreprise fait face à deux procès pour non-paiement de sa dette durant la seule
année 1984.138 La situation de l’entreprise se dégrade à un point tel que seule
l’intervention des principaux actionnaires de Cuauhtémoc sauve Moctezuma de la
faillite.139
La situation de Cuauhtémoc ressemble quelque peu à celle de Moctezuma. Tout
comme sa concurrente, Cuauhtémoc voit sa production diminuer drastiquement entre
1981 et 1983. En deux ans, celle-ci baisse de 18% (tableau 4.2). Ce n’est qu’en 1988
que la brasserie retrouve un niveau de production supérieur à celui de 1981. Malgré
cette similitude entre les deux brasseries, il existe une différence majeure quant à la
structure des deux entreprises. Alors que Moctezuma était une brasserie indépendante,
Cuauhtémoc fait partie d’un holding, FEMSA, elle-même la principale subsidiaire
d’un autre holding VISA140, ce qui lui permet de surmonter la crise. En fait, la crise
touche plus durement VISA dans son ensemble que sa division brassicole.141
Lorsque le gouvernement Lopez Portillo procède à deux dévaluations puis à la
nationalisation des banques en août 1982, Cuauhtémoc, comme l’ensemble du secteur
privé mexicain, est prise par surprise. Afin de surmonter son surendettement, la
138
En mars 1984, la Northwestern Bank of Minneapolis poursuivit Moctezuma pour non-paiement de
sa dette. Cependant, n’ayant pas obtenu l’appui d’autres créditeurs, la requête ne progressa pas.
Quelques mois plus tard, en octobre, plus de trente institutions financières poursuivirent Moctezuma
pour le même motif.
139
Les autorités gouvernementales avaient multiplié les interventions afin de trouver une solution aux
problèmes de Moctezuma. Parmi les différentes options envisagées, il n’était nullement question
qu’une firme étrangère fasse l’acquisition de la brasserie en difficulté. Les représentants du Ministère
des Finances proposèrent à Cuauhtémoc et Modelo de racheter la compagnie, ce que refusèrent les
deux entreprises dans un premier temps (Expansión, 28/03/1984).
140
Valores Industriales S.A. de C.V. (VISA) est née en 1974, résultat de la séparation de plusieurs
entreprises de Monterrey. Ce groupe d’entreprises, baptisé Grupo Monterrey, fut divisé en deux suite
au meurtre de son président, Eugenio Garza Sada. Deux compagnies émergèrent de cette division :
VISA et ALFA. Quant à FEMSA, l’entreprise s’est incorporée en 1974; en 1978, ses actions
s’échangèrent à la bourse de Mexico, mais ce n’est qu’à partir de la fusion avec Moctezuma que
FEMSA prendra toute son importance. Dans les faits, Moctezuma faisait aussi partie d’un conglomérat,
le Grupo Cremi, mais contrairement à sa concurrente de Monterrey, la brasserie fonctionnait de
manière totalement indépendante des autres unités du groupe dont elle faisait partie. D’ailleurs, les
hauts dirigeants de Grupo Cremi refusèrent systématiquement d’utiliser les ressources du groupe afin
de venir en aide à Moctezuma.
141
Suite au boom pétrolier et au développement du crédit facile, VISA avait adopté une stratégie de
diversification à la fin des années 1970. Ainsi la firme s’était aventurée dans le commerce au détail,
l’hôtellerie, la construction, les pièces d’auto et l’industrie de la transformation alimentaire, entre
autres. Cette stratégie était fondée sur l’endettement du groupe : entre 1978 et 1981, la dette de
l’entreprise exprimée en pesos augmenta de 64% alors que la dette en monnaie étrangère crût de 562%
(Expansión, 21/12/1983).
114
compagnie-mère, VISA, se voit forcer de renégocier et de restructurer sa dette, car
elle ne peut l’honorer ; de vendre certains actifs et revenir à ses activités de base (core
competence) ; de limiter ses investissements au strict minimum et de revoir
l’organisation générale du groupe (Expansión, 21/12/1983).
En 1983, VISA procède à la première de deux restructurations qui ont lieu durant la
période 1982-1988. Assumant que la situation économique générale du pays
s’améliorerait à court et moyen termes, ce réaménagement se formalise en 1984.142
Les bases sur lesquelles se fonde la première restructuration ne s’étant pas
matérialisées, celle-ci est suivie, en 1986, d’un second rééchelonnement de la dette.143
Afin de respecter les termes du nouvel accord, VISA doit vendre plusieurs filiales ne
faisant pas partie de ses activités de base, soit les boissons, les magasins au détail
(OXXO) et l’empaquetage. C’est ainsi que l’entreprise se défait, entre autres, de la
division tourisme, de la division pièces d’auto et de ses hôtels. Par ailleurs, VISA
revoit également ses plans d’investissement et l’organisation du holding. L’entreprise
limite ses investissements au maintient des usines en existence, l’objectif n’étant plus
de croître, mais d’éviter la détérioration de sa situation financière.
Si Cuauhtémoc et Moctezuma passent péniblement à travers la crise, ce n’est pas le
cas de Modelo. L’entreprise, s’appuyant sur sa structure familiale et sa politique de
non-endettement et de réinvestissement des profits, évite les conséquences financières
de la crise. Malgré une situation économique générale plutôt défavorable, Modelo
construit sa septième brasserie durant cette période, la brasserie de Tuxpectec (Sud).
Celle-ci entre en opération en 1984, avec une capacité initiale de production de 3
millions d’hectolitres (Bear Stearns, 1994). Bien que la production de Modelo baisse
de 12,6% entre 1982 et 1983, cela est davantage fonction de la situation générale de
l’économie mexicaine que de la stratégie générale de l’entreprise. Dans le cas de
Cuauhtémoc et de Moctezuma, les baisses de production s’avèrent nettement plus
fortes durant la même période : 18% de baisse pour Cuauhtémoc et 20,9% pour
142
Selon les termes de la restructuration, qui s’étalait sur 14 ans, VISA obtenait une période de grâce
de 6 ans puis 8 années d’amortissement (Expansión, 26/10/1988).
143
Le problème auquel devait faire le holding était double : d’une part, la dette du celui-ci, qui s’élevait
à $350 millions US, et d’autre part, la dette de Fomento Proa, la principale filiale du groupe, qui se
montait à $780 millions US, et qui comprenait les dettes de Cuauhtémoc et de Moctezuma. Suite à la
restructuration de 1986, VISA acceptait de rembourser 0,45$ pour chaque dollar de dette du holding.
Ce remboursement ne comprenait pas les actifs au sein de Fomento Proa (Expansión, 26/10/1988).
115
Moctezuma. Alors que Modelo investit afin d’augmenter ses capacités productives et
de distribution, Cuauhtémoc et Moctezuma doivent rationaliser leurs activités afin de
réduire leurs dettes respectives. D’une certaine façon, la crise de 1982-1985
représente une période d’expansion pour Modelo, alors qu’elle en est une de
restructuration pour ses concurrentes.
En somme, Moctezuma aura été la grande perdante de la crise. Elle perd sur trois
plans : la perte de contrôle de son système de distribution, la perte de contact avec le
marché brassicole (au vu de la lenteur des réactions des dirigeants face à la situation
de l’entreprise et de l’économie mexicaine en général) et la perte de parts de marché
(Expansión, 28/03/1984). Entre 1981 et 1985, la part de marché de Moctezuma passe
de 25,3% à 22% de la production nationale. Par contre, Modelo sort gagnante de la
crise. Non seulement ne connaît-elle pas d’ennuis majeurs sur le plan financier,
l’entreprise profite de l’extrême faiblesse de Moctezuma et de la faiblesse relative de
Cuauhtémoc en gagnant 4,2% de parts de marché entre 1981 et 1985, passant de
40,7% à 44,9%. Modelo récupère toutes les parts de marché perdues par Moctezuma
et certaines de celles de Cuauhtémoc.
C’est dans ce contexte de montée en force de Modelo et de faiblesse de ses deux
concurrentes qu’a lieu la vente de Moctezuma à VISA et la dernière consolidation en
date de l’industrie brassicole mexicaine.
4.2.2
De l’oligopole au duopole : 1985-1988
La fusion entre Cuauhtémoc et Moctezuma ne va pas sans heurts : due à la dette des
deux entreprises, la constitution d’une entité unique, Cerveceria CuauhtémocMoctezuma (CCM), ne se réalise qu’en 1988. Toutefois, à partir de 1988, la question
de la dette étant finalement réglée, la nouvelle compagnie peut enfin voir le jour. Cela
met officiellement fin à l’existence de Moctezuma en tant que brasserie indépendante.
Moctezuma se trouve en banqueroute depuis 1982. En décembre 1985, alors que la
situation concurrentielle et financière de la compagnie s’était rapidement détériorée,
les dirigeants de l’entreprise n’ont d’autre choix que de céder le contrôle de la
116
compagnie à VISA.144 L’actionnaire majoritaire de VISA, la famille Garza Lagüera,
acquiert Moctezuma grâce à un échange d’actions et la prise en charge de la dette de
la brasserie.145 VISA crée alors un holding, Fomento Proa, au sein duquel sont
versées les actions de Cuauhtémoc et de Moctezuma. Durant la première phase de la
fusion, chaque entreprise conserve son autonomie administrative et sa structure
financière (Expansión, 05/02/1986).146 Selon l’accord entre les deux brasseries,
Cuauhtémoc se limite à conseiller Moctezuma en matière de productivité et
d’efficience.
Par la suite, Moctezuma signe un contrat d’une durée indéfinie avec Cuauhtémoc par
lequel la gestion des deux brasseries s’effectue de manière coordonnée. Pour la
nouvelle entité, les deux premières priorités sont de remettre sur pied le système de
distribution de Moctezuma, durement affaibli par la crise ; ensuite, il faut revoir
certaines pratiques productives afin d’accroître l’efficacité de la firme (Expansión,
05/02/1986). En complément de l’accord entre les brasseries, un unique réseau de
distribution s’établit ; la rationalisation qui s’ensuit entraîne la disparition de plusieurs
distributeurs.147 Ce n’est qu’en 1988, après trois ans de collaboration de plus en plus
serrée, que le holding Proa s’intégre à FEMSA afin de créer une nouvelle entité :
Cervecería Cuauhtémoc-Moctezuma.148
Si les propriétaires de Cuauhtémoc acceptent de racheter Cuauhtémoc, ce n’est pas
uniquement pour répondre aux appels répétés du gouvernement fédéral. Selon
l’entreprise, l’acquisition de Moctezuma a pour conséquence non seulement de freiner
la chute des deux brasseries vis-à-vis Modelo, mais également de renforcer la
144
Ce sont les actionnaires majoritaires de VISA, le holding propriétaire de Cuauhtémoc, qui acquirent
la majorité des actions de Moctezuma. Cuauhtémoc se trouvant elle aussi en difficulté financière,
l’entreprise ne pouvait investir dans Moctezuma (VISA, ADR 1998).
145
Grâce à cet accord, 307 millions $US et 900 millions de pesos furent pris en charge par VISA
(Expansión, 05/02/1986).
146
Il doit être rappelé ici qu’en 1985 Cuauhtémoc et Moctezuma rejetèrent l’idée qu’il s’agissait de
l’amorce d’une fusion des deux brasseries.
147
Étant donné que certains territoires étaient desservis par deux distributeurs, le choix s’effectuait par
l’entreprise possédant les coûts les moins élevés ou celle dont le volume de ventes était le plus élevé
(Expansión, 05/02/1986).
148
Comme condition de la fusion, Grupo Cermoc (la brasserie Moctezuma et ses filiales) fut intégrée à
FEMSA afin de former Cerveceria Cuauhtémoc-Moctezuma. Les parts de Cuauhtémoc représentaient
75% de la nouvelle entité, alors que celles de Grupo Cermoc équivalaient à 25%. L’ensemble des dettes
de Cuauhtémoc et de Grupo Cermoc, de l’ordre de 1,3 milliard $US, fut consolidé au sein de FEMSA
(FEMSA, ADR 1998).
117
présence régionale de chacune. Dans cette optique, Cuauhtémoc pourrait consolider sa
position dominante dans le Nord du Mexique, alors que Moctezuma ferait de même
dans le Sud. Ainsi, l’union des deux brasseries permettrait de regagner les parts de
marché perdues à Modelo.
Toutefois, les prévisions des dirigeants de Cuauhtémoc ne se matérialisent pas.
Plusieurs facteurs contribuent à contredire ces prédictions, au premier rang desquels
l’intégration des deux entreprises. En effet, suite au rapprochement de 1985, les deux
brasseries passent relativement rapidement à l’étape de l’intégration de leurs marques,
de leur système de distribution et des employés. Ces trois éléments, de même que la
guerre des prix initiée par Modelo à partir de 1985, contribuent au recul progressif de
la nouvelle compagnie.
La première difficulté que connaît la future CCM est la gestion d’un trop vaste
portefeuille de marques.149 L’entreprise se trouve forcée de réduire cette surabondance
de marques en supprimant certaines d’entre elles. Les marques éliminées sont avant
tout des marques régionales : elles ne représentent que 6% du marché en 1980 (Bear
Stearns, 1994). Si cette décision s’impose du point de vue financier et de la
rationalisation des actifs de l’entreprise, au niveau commercial, ces retraits signifient
la perte de consommateurs loyaux et, conséquemment, la perte de parts de marché.150
Malheureusement pour la firme, lorsqu’un consommateur délaisse une marque, très
rarement y retourne-t-il. Étant donné que l’abandon des marques se produit surtout
dans les régions où domine Moctezuma, Modelo profite du vide afin d’accroître sa
présence.
La fusion et l’abandon des marques provoquent une autre série de difficultés pour
l’entreprise : l’intégration des employés et de la distribution. Pour les dirigeants de la
nouvelle firme, qui proviennent des deux entreprises fusionnées, l’intégration de deux
compagnies différentes, tant au niveau des valeurs, de la culture d’entreprise, des
stratégies de développement et des systèmes de distribution, s’avère plus difficile que
prévue. De plus, le processus décisionnel conduisant au rapprochement, à la
coopération, puis à l’harmonisation des pratiques et politiques entre les deux
149
À la suite de la fusion, CCM se retrouvait avec 25 marques de bières (Bear Stearns, 1994).
Compte tenu de la nature de la fusion, la majorité des marques éliminées furent celles de
Moctezuma (Domínguez, 03/05/2002).
150
118
brasseries, nécessite du temps, un luxe que ne possèdent pas les dirigeants de CCM
(Garcia Sordo, 08/05/2002).151
Par ailleurs, la gestion d’employés et de cultures d’entreprises distinctes contribue
également au déclin relatif de CCM. Les deux firmes réduisent sensiblement le
nombre d’employés entre 1983 et 1989, Cuauhtémoc et Moctezuma diminuent leur
nombre d’employés de 52,7% et 36,7% respectivement (Tableau 4.3). 152 Le nombre
d’employés se stabilise autour de 5000 personnes à Cuauhtémoc alors que la baisse se
poursuit à Moctezuma, traduisant la plus mauvaise posture de cette dernière.
Tableau 4.3 Personnel occupé et productivité des
brasseries Cuauhtémoc et Moctezuma,
1978-1993
Année
1978
1979
1980
1981
1982
1983
1984
1988
1989
1990
1991
1992
1993
Cuauhtémoc
ND
ND
ND
ND
ND
10 740 (724,6)
10 957 (758,3)
4 075 (2 389,1)
5 070 (2 201,6)
4 599 (2 473,5)
5 944 (1 917,8)
4 801 (2 437,6)
5 001 (ND)
Moctezuma
8 016 (nd)
11 900 (nd)
14 180 (503,1)
9 000 (789,6)
7 500 (900,7)
6 500 (865,0)
ND
4765 (1 323,0)
4 116 (1 746,8)
3 658 (2 022,4)
3 569 (2 127,5)
3 442 (2 265,6)
2 972 (ND)
Source: Expansión, divers numéros
* : les données entre parenthèses sont en litres/employé
Les difficultés des deux firmes se reflètent également dans la productivité des
employés. Grâce aux réductions successives d’employés au début des années 1980, la
productivité des employés de Moctezuma augmente jusqu’à 900 litres par employé en
1982, puis diminue l’année suivante. Cuauhtémoc connaît une situation quelque peu
différente : la productivité augmente alors que le nombre d’employés croît également
151
Garcia Sordo (08/05/2002) donne comme exemple le cas de la gestion des marques et des
distributeurs indépendants dans le sud du Mexique. Il souligne qu’il fallut un an afin de parvenir à une
décision sur le maintien ou l’abandon de certaines marques et certains distributeurs. Ces délais
conduisirent plusieurs distributeurs à changer de compagnie et à s’affilier à Modelo, aidant ainsi cette
dernière dans sa lutte contre Cuauhtémoc/Moctezuma.
152
Moctezuma avait réduit le nombre d’employés de 51,2% entre 1980 et 1983. C’est donc à une
réduction totale de 70,1% d’employés que procéda Moctezuma entre 1980 et 1989.
119
durant cette période. La fin des années 1980 voit une explosion de la productivité au
sein des deux entreprises, résultat de la forte réduction de la main-d’œuvre et du
retour aux niveaux de production précédant la crise. Entre 1983 et 1992, la hausse de
la productivité s’établit à 236,4% pour Cuauhtémoc et 161,9% pour Moctezuma.
La fusion se réalise autant pour des raisons financières que pour les bonnes relations
existant entre les propriétaires de Cuauhtémoc et Moctezuma. Dans la mesure où les
deux firmes possédaient un style de gestion similaire et considéraient l’autre comme
son concurrent le plus dangereux, et non pas Modelo153, la fusion devenait logique.154
Toutefois, il était difficile, voire impossible, qu’il ne se produise pas de conflits
internes au sein de la nouvelle entreprise (Garza, 03/05/2002, Lozano, 02/05/2002).
Par ailleurs, l’attention presque obsessive de l’entreprise sur la réduction des coûts
contribue également à la perte de compétitivité (Garza, 03/05/2002). CCM, voulant
absolument réduire ses coûts, néglige les autres aspects de cette industrie, notamment
le marketing, la distribution et la production. Résultat, elle perd le leadership général
au profit de Modelo.
Désireuse de profiter de la faiblesse de sa nouvelle concurrente, Modelo initie une
guerre des prix à partir de 1986, avec pour objectif de gagner des parts de marché.
Cette stratégie a une double conséquence sur l’industrie : d’une part, elle permet à
Modelo d’accaparer une part plus importante du marché national. Toutefois, en avril
1987, les deux brasseries décident de hausser les prix (Bear Stearns, 1994). C’est la
reconnaissance de la victoire de Modelo. En analysant l’évolution des parts de marché
des trois entreprises, on constate en effet que la stratégie de Modelo fonctionne.
Lorsque s’amorce la fusion entre Cuauhtémoc et Moctezuma à la fin de 1985, les
deux brasseries possèdent 55,1% du marché de la bière. Toutefois, la première année
suivant la fin du processus de fusion, en 1989, elles avaient perdu 4,8% de parts de
marché (Figure 4.2).
153
Moctezuma et Cuauhtémoc se considéraient plus professionnelles que Modelo, pour qui l’objectif
central était la croissance du volume de vente, alors que pour les deux autres, la rentabilité représentait
le paramètre le plus important (Garza, 03/05/2002, Lozano, 30/04/2002).
154
Elle était d’autant plus probable que Modelo, répondant aux demandes des autorités financières
mexicaines, avait fait connaître son refus d’acquérir Moctezuma.
120
Figure 4.2
Parts de marché des brasseries mexicaines,
1980-1992 (en %)
60
50
(%)
40
Cuau
30
Moct.
Modelo
20
10
0
1980 1982 1984 1985 1986 1988 1989 1990 1992
Année
Source: Bear Stearns, The Mexican Beer Industry, Special Report,
Emerging Markets Equity Research, New York, 1994.
D’autre part, la guerre des prix de 1986-1987 produit une seconde conséquence,
néfaste celle-là pour l’industrie dans son ensemble. En décembre 1987, le
gouvernement mexicain décrète le contrôle généralisé des prix à travers le Pacte de
solidarité économique (Pacto de solidaridad económica). Cette mesure, combinée à
l’augmentation de l’IEPS en 1986, contribue à la stagnation du prix de la bière après
1987.155 Ce n’est qu’en 1991 que le gouvernement mexicain abandonne cette
politique.
En somme, l’incapacité de CCM à faire la différence entre sa restructuration interne et
l’évolution du marché brassicole national accélère la perte de position concurrentielle
155
En 1986, le gouvernement mexicain haussa l’IEPS de 21,5% à 25% afin de financer la
reconstruction de Mexico. Le Pacto constituait la réponse du gouvernement de la Madrid à la
dégradation de la situation macroéconomique du pays. Le krach boursier d’octobre 1987 avait détérioré
les finances du gouvernement à un point tel que les paiements de la dette et le marché des changes s’en
trouvaient durement affectés. En outre, les pressions inflationnistes (en 1987, l’inflation s’établit à
159,2%) menaçaient de réduire à néant la récupération économique (Banque du Mexique, 1988). Au vu
de ces conditions, le gouvernement de la Madrid conclut un accord avec les syndicats et le secteur privé
afin d’imposer des mesures anti-inflationnistes, dont le contrôle des prix. Bensabat (1995) soutiendra
que le Pacto s’alignait parfaitement avec la politique de libéralisation adoptée de la Madrid depuis son
accession au pouvoir.
121
de la firme (Garza Gonzalez, 03/05/2002). Autrement dit, durant le processus
d’intégration, les dirigeants de l’entreprise éprouvent beaucoup de difficultés à trouver
un équilibre dans la composition de la nouvelle firme. Ils doivent choisir entre les
marques des deux entreprises, des styles de gestion distincts, des interlocuteurs
(propriétaires d’agence) distincts. Étant donné qu’il s’agit davantage d’une opération
d’achat de Moctezuma par Cuauhtémoc, ce sont généralement les besoins ou intérêts
de cette dernière qui sont satisfaits, au détriment d’une analyse complète de
l’ensemble de la situation. Il appert que les hauts dirigeants de Cuauhtémoc pensent
que la fusion représente uniquement l’addition de deux entreprises, et non pas la
naissance d’une nouvelle entité (Garcia Sordo, 08/05/2002).
Durant la période de transition, entre 1982 et 1988, Modelo accapare 76,4% de la
croissance de l’industrie brassicole mexicaine (tableau 4.2). L’entreprise sort
renforcée, en route vers une position majoritaire sur le marché mexicain. En ce qui
concerne CCM, la gestation de la nouvelle entreprise provoque une perte de parts de
marché. Toutefois, la consolidation organisationnelle et financière de la firme permet
de surmonter la crise. D’ailleurs, la croissance de 16,3% de l’industrie entre 1988 et
1989156 témoigne de la fin de la crise.
4.3
L’industrie brassicole mexicaine contemporaine
Suite à la consolidation de la période 1985-1988, l’industrie brassicole mexicaine
émerge transformée de la crise. Se caractérisant par une structure duopolistique, cette
industrie occupe une place importante dans la vie économique, sociale et culturelle du
Mexique. Alors qu’elle est fermée à la concurrence des brasseries étrangères,
l’industrie brassicole mexicaine, dans son ensemble, croît sans cesse depuis 1988. La
section suivante traite de ses caractéristiques générales ainsi que de son évolution
depuis 1988.
156
La croissance de Modelo fut de 18,4% et celle de CCM de 14,4%.
122
4.3.1
Caractéristiques générales de l’industrie
4.3.1.1 Changements démographiques, revenu et consommation
Les changements démographiques affectent profondément les industries brassicoles
nationales. En effet, la consommation de bières est fortement reliée à la structure et à
la croissance de la population. Plus celle-ci est jeune et en croissance, plus l’industrie
brassicole nationale est susceptible de connaître des taux de croissance importants. La
variable démographique constitue un élément important dans la distinction entre un
marché mature et un marché émergent (Heijbroek, Schutter et Boon, 1996).
L’importance de la croissance de la population absolue doit cependant être tempérée :
dans les faits, les changements au sein du groupe d’âge des 18 à 45 ans représentent
une mesure plus fiable, car il constitue le principal groupe de consommateurs de bière.
157
Contrairement aux marchés matures du Canada, des États-Unis ou de l’Europe de
l’Ouest158, l’industrie brassicole mexicaine profite d’une structure démographie
favorable. Durant la période 1990-2000, la population totale augmente de 20%,
passant de 81,2 millions à 97,5 millions d’habitants (INEGI, 2003). Par ailleurs, la
pyramide des âges du Mexique, bien qu’elle ait quelque peu évolué depuis 1988,
témoigne d’un pays caractérisé par une population jeune. En 1988, 46,2% de la
population mexicaine a moins de 14 ans, alors qu’en 1995, ce pourcentage baisse à
36,1% (OCDE, 1992, 1996) puis à 33,4% (INEGI, 2003). Cette chute entraîne une
augmentation relative de la population des 15-44 ans, la clientèle cible des brasseries.
Entre 1990 et 2000, l’augmentation de cette catégorie surpasse celle de la population
totale : 22,9% contre 20%, une hausse de 8,5 millions de personnes (INEGI, 2003). Le
nombre d’hommes de 15-44 ans augmente lui aussi comparativement à la population
totale durant la période : ils représentent 22,3% de la population mexicaine en 1990
contre 22,9% en 2000 (INEGI, 2002a). La croissance démographique mexicaine en
général, et des 15-44 ans en particulier, apparaît donc comme un facteur positif pour
l’industrie brassicole mexicaine.
157
Pour être plus précis, nous devrions écrire l’évolution démographique des hommes de 18 à 45 ans.
Dans le cas du Mexique, cependant, l’information statistique nous oblige à étudier les 15-44 ans.
158
Sur la définition et les caractéristiques des marchés matures, voir le chapitre 5 de cette thèse.
123
La progression démographique, bien qu’elle affecte positivement l’industrie, doit être
mise en relation avec le revenu disponible des individus. Heijbroek, Schutter et Boon
(1996) soulignent que la consommation de bière croît lorsque les revenus augmentent.
Dans les pays en développement, cette relation est renforcée, car la bière est souvent
considérée comme un produit de luxe. Une hausse du revenu disponible entraîne
normalement une hausse de la consommation de bières (Heijbroek, Schutter et Boon,
1996). En corollaire, une diminution du revenu disponible, surtout dans un pays en
développement, devrait conduire à une réduction de la consommation, du moins, à un
ralentissement de sa progression. Qu’en est-il du Mexique ?
Figure 4.3
Évolution du revenu disponible, 1989-2002 (en %)
10
5
(%)
0
1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002
-5
-10
-15
Source : Presidencia de la Republica, Quarto informe de gobierno del C.
Presidente Vicente Fox Quesada, Mexico: Presidencia de la Republica,
2004.
Tout d’abord, le revenu disponible par habitant suit d’importantes variations entre
1988 et 2002 (figure 4.3). Il progresse jusqu’en 1990, puis ralentit par la suite. En
quatre occasions (1993, 1995, 2001 et 2002), on assiste même à une diminution du
revenu disponible. Ensuite, en comparant le niveau de revenu disponible à la
croissance de la consommation totale de bière (figure 4.3 et tableau 4.5), on constate
une étroite relation entre les deux variables. En effet, les périodes de hausse ou de
forte hausse du revenu disponible correspondent aux plus fortes hausses de la
124
consommation nationale. Les périodes de baisse du revenu disponible correspondent
aux années où la consommation diminue ou progresse le plus lentement.
Parallèlement à la croissance démographique, une autre variable importante pour
l’industrie est la consommation per capita. En comparaison des principaux pays à
forte consommation,159 le Mexique apparaît comme un pays à consommation
modérée.160 L’une des raisons expliquant la faiblesse de la consommation par habitant
est liée à la structure démographique du pays : étant donné la pyramide des âges du
Mexique, un fort pourcentage de la population mexicaine n’est pas en âge de
consommer.
On remarque toutefois que, malgré une population relativement jeune, la
consommation suit deux tendances durant la période : dans un premier temps, entre
1982 et 1988, la consommation diminue de 39 litres/an à 38 litres/an, le plancher étant
atteint en 1984 avec 33 litres/an. Dans un deuxième temps, à partir de 1988, la
consommation augmente rapidement, passant de 38 litres/an à 47 litres/an en 1992,
puis elle se stabilise ensuite autour de 50 litres/an (figure 4.4). Cette hausse s’explique
également par la pyramide des âges, en particulier la croissance des hommes de 18 à
45 ans. La progression de la population en âge de consommer et de la consommation
par habitant assure aux brasseries mexicaines un marché en expansion.
159
Voir le tableau 5.4 sur l’évolution de la consommation per capita de certains pays.
Koster (2004) souligne que les statistiques mexicaines sur la consommation per capita seraient
encore plus faibles si ce n’était de la forte consommation des touristes.
160
125
Figure 4.4 Consommation per capita, 1982-2003 (litres/année)
60
litres/année
50
40
30
20
10
19
82
19
84
19
86
19
88
19
90
19
92
19
94
19
96
19
98
20
00
20
02
20
03
0
Sources : 1982 à 1994 : Brewers Association of Canada,
Alcoholic Beverage Taxation and Control Policies, International
Survey, Ottawa: BAC, 1997; 1996 à 2003: Impact Databank, The
Global Drinks Market. Impact Databank Review and Forecast,
2004 Edition, New York: M. Shanken, 2005.
Il ressort de cette analyse de la relation entre le revenu disponible et la consommation
par habitant l’influence déterminante de la situation économique. Lorsque le Mexique
connaît des périodes de croissance économique, la consommation s’accroît ; toutefois,
les crises économiques réduisent la propension des habitants à consommer.
4.3.1.2 La contribution de l’industrie à l’économie nationale
L’industrie brassicole représente un des grands secteurs économiques de l’Amérique
latine, constituant la troisième industrie en importance dans la région (Expansión,
19/11/1997). En terme d’apport à l’économie nationale, celui de l’industrie brassicole
mexicaine se mesure à trois niveaux : sa contribution au PIB et aux caisses de l’État,
le rôle des brasseries dans l’économie des états fédérés ainsi que leur impact en terme
d’emplois et de salaires.
En 2000, la participation des brasseries à l’économie mexicaine s’élève à 0,5% du
PIB, et à 1,6% en prenant en compte l’ensemble des activités liées à l’industrie
(ANAFACER, 2004b). Bien que ne représentant que 0,4% de la production
manufacturière mexicaine en 2000, l’industrie brassicole compte pour 1,1% des
126
salaires, une tendance qui se maintient durant l’ensemble des années 1990 (INEGI,
2002c).161 En outre, la croissance de la productivité des ouvriers des brasseries, durant
la décennie des années 1990, est supérieure à celle de ce secteur (INEGI, 2002c).
L’industrie, par la portée de ses activités exportatrices, est également un important
générateur de devises étrangères. Alors qu’en 1998, les exportations mexicaines de
bières se chiffrent à 616 millions $US, en 2001, elles s’élèvent à 920 millions $US,
puis à 1,312 milliards de dollars (ANAFACER, 2004b ; Modelo, RA 2004 ; FEMSA,
RA 2004). Outre les devises qu’elle engendre, l’industrie brassicole mexicaine
contribue fortement aux revenus fiscaux du gouvernement mexicain et des états. En
1999, l’ensemble des impôts et taxes payés par les brasseries se monte à 19,9
milliards de pesos ; en 2001, ce montant passe à 27,2 milliards de pesos. L’industrie
contribue ainsi à 4,2% de l’ensemble des recettes fiscales fédérales et à 6% des
recettes fiscales des états (ANAFACER, 2004b).
La bière brassicole constitue l’élément le plus important de l’industrie des boissons du
Mexique. En 2003, elle représente le tiers de la production du secteur, mais la moitié
des revenus (ANAFACER, 2004b). En outre, la contribution de l’industrie à l’activité
économique mexicaine se retrouve dans les secteurs primaire, secondaire et tertiaire.
Par exemple, au niveau agricole, l’industrie achète la totalité de la production
mexicaine d’orge. Elle demeure parmi les principales clients des fabricants de vitres et
de verres.
Outre son apport aux caisses de l’État, l’impact de l’industrie s’exprime également à
travers le rôle qu’elle joue dans le développement économique des états.162 En termes
d’emplois et de salaires, l’influence de l’industrie semble moins important qu’au
niveau tributaire. En 2001, 260 000 emplois directs et indirects proviennent de
l’industrie, dont environ 66 000 sont des emplois directs (ANAFACER, 2004b).163
161
Alors que les salaires dans l’industrie représentent 1,1% du secteur manufacturier, les brasseries
n’emploient que 0,006% de la main d’œuvre du secteur. En moyenne, les salaires des ouvriers des
brasseries sont le double du secteur manufacturier (INEGI, 2002c).
162
Sur l’importance de l’industrie sur l’économie des états mexicains, voir ANAFACER (2004b).
163
Basé sur les chiffres du quatrième trimestre 2001 de l’enquête trimestrielle de l’INEGI. Voir
ANAFACER (2004b) et Presidencia (2004).
127
4.3.2
Une industrie duopolistique
Deux éléments majeurs caractérisent l’industrie brassicole mexicaine contemporaine :
d’une part, sa structure duopolistique. L’industrie brassicole et le marché mexicain
sont fortement concentrés : alors qu’au Canada et aux États-Unis de nombreuses
brasseries se concurrencent (avec dans les deux cas peu d’entreprises dominantes :
Labatt et Molson au Canada et Anheuser-Busch, Miller et Coors aux États-Unis),
l’industrie brassicole mexicaine est aujourd'hui l’affaire de deux entreprises, Grupo
Modelo et Cervecería Cuauhtémoc-Moctezuma (CCM).164
4.3.2.1
Grupo Modelo, centrée uniquement sur la production, la distribution
et la vente de bière
Grupo Modelo est avant tout une entreprise brassicole. La compagnie est intégrée
verticalement : la propriété d’entreprises spécialisées dans les services connexes à la
fabrication et à la distribution de la bière lui permet d’assurer sa production à plus
faible coût. Modelo possède en effet non seulement des brasseries, mais aussi
plusieurs compagnies de distribution, de transformation de l’orge, de machinerie, etc.
L’entreprise compte sept usines de production de bière. Au fil des ans, plusieurs
travaux ont été entrepris afin d’accroître la capacité de production de la firme
(Modelo, RA 2003). L’ensemble des activités brassicoles de l’entreprise incombe à
Diblo S.A. de C.V., la principale filiale de Modelo.
Jusqu’au début des années 1990, Modelo demeure une société anonyme privée
(Modelo S.A). C’est à la fin des années 1970 que la firme initie le processus de
transformation qui conduit l’entreprise à sa structure actuelle. Dans un premier temps,
Modelo S.A crée trois holdings chargés de l’administration de l’ensemble des
opérations brassicoles. Ainsi, Diblo S.A. de C.V. assume la gestion des brasseries,
Consorcio Distributivo gère les agences de distribution, alors qu’Expansíon Integral
administre les immeubles de la compagnie (Grupo Modelo, 2000).
164
Deux autres entreprises, acteurs mineurs, sont présentes sur le marché mexicain : Especialidades
Cerveceras, fabricante de la bière Casta et Beer Factory, une chaîne de restaurants fabriquant sa propre
bière. Toutefois, leur niveau de production s’apparente davantage à celui de micro-brasseries et
représente une quantité négligeable de l’industrie.
128
Dans un second temps, entre 1991 et 1994, la structure et l’actionnariat de l’entreprise
se transforment. En 1991, Modelo cesse d’être une société anonyme (S.A) et devient
une société anonyme à responsabilité limitée.165 Toutefois, le contrôle de la firme
reste complètement aux mains des actionnaires mexicains. En 1993, un accord avec la
brasserie américaine Anheuser-Busch permet l’entrée de cette dernière au capital de
Modelo.166 Finalement, en février 1994, les actions de l’entreprise sont cotées en
bourse.167 L’entrée en bourse vise deux objectifs. Premièrement, elle permet à
l’entreprise de bénéficier d’une nouvelle source de capital, le marché boursier.
Ensuite, elle souligne la volonté de Modelo de s’aligner sur les tendances de
l’industrie brassicole internationale, qui voit la disparition graduelle des brasseries
sous contrôle familial, remplacées par des brasseries cotées en bourse (Fernández
Sanchez-Navarro, 2000).
165
SARL ou Sociedad anónima de capital variable (S.A. de C.V. en espagnol). La firme change
également son nom: Modelo devient Grupo Modelo.
166
Sur le détail de la relation entre Grupo Modelo et Anheuseur-Busch, voir le chapitre 8.
167
Lors de la première émission d’actions, Modelo offrit 13% des actions de l’entreprise au public,
pourcentage qui sera par la suite porté à 20%.
129
Figure 4.5
Structure opérationnelle de Grupo Modelo
Modelo S.A de C.V.
Diblo S.A. de C.V.
Opérations
Brasseries
Ventes
Service
nationales
Internationales
Agences de
distribution
National
Appui aux
opérations
International
Bureaux
internationaux
- Espagne
- SEGINSA
- Ingénierie
Source: Grupo Modelo, Rapport annuel 2001.
Dans un troisième temps, entre 1998 et 2001, l’entreprise modifie sa structure
opérationnelle. En 1998, Diblo est composée de quatre grandes divisions : Opérations,
Entreprises et services associés, Ventes et Immobilier.168 En 2001, l’entreprise
procède à une réorganisation de sa structure corporative, les quatre divisions de Diblo
se fondant en deux divisions, Opérations et Ventes (Modelo, RA 2001).
4.3.2.2 CCM, division d’une multinationale des boissons
Deux éléments expliquent les stratégies de développement de FEMSA depuis sa
naissance en 1988 : la dette qu’avait héritée l’entreprise, de même que sa structure
(Astaburuaga Senjines, 23/06/2004). FEMSA n’est pas uniquement une brasserie,
168
La division Opérations gérait les brasseries et, à ce titre, s’occupait de la production de la bière ; la
division Ventes était en charge du marketing, de la distribution, de la vente et des exportations ; la
division Immobilier gérait les immeubles que possédait la firme; finalement, la division Entreprises et
services associés fournissait tous les services connexes nécessaires à l’organisation de l’entreprise
(Grupo Modelo, RA 1998).
130
mais une entreprise de boissons (bière et boissons gazeuses) et d’autres secteurs
périphériques.169 En ce sens, la firme ressemble davantage aux entreprises de boissons
d’Amérique latine que Grupo Modelo. Le fait d’être une division d’un conglomérat
plus grand permet à l’entreprise de bénéficier des innovations qu’introduisent d’autres
divisions du groupe.
Jusqu’en 2000, la structure financière et opérationnelle de FEMSA se décompose de
la manière suivante : deux subholdings, Emprex et FEMSA Logistica constituent les
unités opérationnelles de l’entreprise (figure 4.6). À son tour, Emprex est subdivisée
en six filiales : CCM, Coca-Cola FEMSA, FEMSA Empaques (qui produit et
distribue du matériel d’empaquetage), FEMSA Comercio (en charge de la gestion de
magasins de détail OXXO) et Desarollo Comercial FEMSA (développement
commercial), en charge des stations services et dépanneurs AXXO (FEMSA, 20F
1999).170
En janvier 2000, l’entreprise regroupe ses activités commerciales, d’empaquetage et
de logistique au sein d’une seule division, la division des commerces stratégiques
(División de Negocios Estratégicos), afin d’encourager les transferts de connaissances
entre les entités et surtout de favoriser une meilleure pénétration des marchés
(FEMSA, RA 2000). Par la suite, en 2002, FEMSA scinde Emprex et établit un
nouveau subholding, Compañía Internacional de Bebidas S.A. de C.V. (CIBSA),
chargé de gérer la division boissons gazeuses (Coca-Cola FEMSA).171 Finalement,
suite au rachat des actions que possédait la brasserie belge Interbrew dans CCM, une
dernière restructuration de l’entreprise eut lieu au milieu de 2004 (figure 4.6).
169
FEMSA possède les droits de production, commercialisation et de distribution des produits CocaCola dans la vallée de Mexico, le Sud-Est du pays (les états de Tabasco, Chiapas et des parties des
États de Veracruz et Oaxaca), ainsi que dans la région de Buenos Aires en Argentine. (VISA, ADR
1998: 77).
170
La sixième filiale, CCM Logistica, s’occupait de la logistique de CCM, mais était distincte de la
brasserie.
171
Cette restructuration s’avérait nécessaire car FEMSA avait débuté l’acquisition d’une filiale de
Coca-Cola ayant des opérations à travers l’Amérique latine. Cette acquisition marque d’ailleurs un
tournant dans l’histoire de l’entreprise, car pour la première fois depuis la fondation de la brasserie
Cuauhtémoc en 1890, la bière ne représente plus le secteur le plus important du conglomérat, mais
plutôt les boissons gazeuses.
131
Figure 4.6
Évolution de la structure financière et organisationnelle de
FEMSA, 1998 et 2004
1998
FEMSA
Femsa Logistica (100%)
Emprex (99.8%)
CCM
(70%)
Coca-Cola
FEMSA
(51%)
FEMSA
Empaques
(100%)
FEMSA
Comercio
(100%)
DCF
(100%)
Logistique
CCM
(70%)
2004
FEMSA
Emprex
(100%)
CIBSA
(100%)
Coca-Cola
FEMSA
(51%)
CCM
(100%)
FEMSA
Comercio
(100%)
FEMSA
Empaques
(100%)
Entre parenthèses, le niveau de propriété de FEMSA au sein des filiales
Source : FEMSA, 20-F, 2000 et 2004
CCM possède six usines172 réparties à travers le pays. Tout comme Modelo,
l’entreprise a procédé à de multiples travaux afin d’accroître ses capacités productives
Cette capacité de production lui permet d’offrir quinze marques en huit présentations
différentes.173 Cinq de ces marques (Tecate, Carta Blanca, Superior, Sol, XX Lager)
sont des marques nationales et constituent la quasi-totalité des ventes de CCM.174
Tecate, Carta Blanca et Superior se classent respectivement deuxième, troisième et
quatrième en terme de popularité au Mexique, derrière Corona Extra.
172
Jusqu’en 1996, CCM opérait sept brasseries à travers le Mexique, dont deux à Guadalajara (Centrenord), résultat de la fusion entre Cuauhtémoc et Moctezuma. CCM ferma l’une des deux usines de
Guadalajara puisqu’il n’était pas rentable d’opérer deux brasseries dans la même ville.
173
Les plus connues étant Tecate, Carta Blanca, Superior, Sol, Dos Equis, Bohemia et Indio.
174
En 1997, ces 5 marques représentaient 96,7% des ventes totales de la compagnie (VISA, ADR
1998).
132
4.3.2.3 Intégration verticale et régionalisation des marchés
Une des grandes différences entre l’industrie brassicole mexicaine et sa voisine
américaine concerne le niveau d’intégration. Alors que l’industrie brassicole
américaine est fragmentée, la situation est diamétralement opposée au Mexique.
Modelo et FEMSA sont intégrées verticalement, les deux brasseries contrôlent
l’ensemble de la chaîne de production, de la récolte de l’orge aux magasins de détail.
Résultat du développement historique de l’industrie, ce contrôle se manifeste par la
possession d’une importante flotte de véhicules, la propriété ou la gestion indirecte
d’agences ou subagences de distribution, la propriété de chaînes de magasins au détail
et des accords d’exclusivité.
En termes de distribution, les deux entreprises possèdent un réseau à l’échelle
nationale. Afin de livrer leurs produits, les brasseries gèrent chacune un important
parc de véhicules. Dans le cas de Modelo, la croissance de sa flotte de véhicules suit
celle de l’entreprise : de 9910 unités en 1996, elle passe à 11328 unités en 2000 puis à
12035 unités en 2002 (Modelo, RA 1997, 2000 et 2002). Durant la même période, la
compagnie réorganise son service de distribution passant de 695 agences en 1996
(492 en contrôle direct et 203 en concession) à 453 agences en 2002, dont 85 en
contrôle direct (Modelo, RA 1996 et 2003).
Quant à FEMSA, l’entreprise pousse encore plus loin le contrôle de la distribution de
ses produits puisqu’une filiale est chargée de tout ce qui concerne la distribution
(Zepeda Mauleon, 27/11/2001). C’est un changement de l’approche de la compagnie :
jusqu’alors la distribution s’effectuait à travers des centres de distribution internes
(146 centres en 1997) et des distributeurs indépendants (187 distributeurs
indépendants en 1997) (VISA, ADR 1998). La réorganisation du système de
distribution de FEMSA fait partie d’une stratégie plus vaste visant à rejoindre
directement le consommateur. À cette fin, l’entreprise implante un système de prévente en 2000 qui lui permettra, selon elle, de profiter d’une plus grande segmentation
des marchés par les marques et surtout de mieux diviser la fonction de distribution en
ses quatre composantes : la pré-vente, le marketing, la distribution et la collecte des
bouteilles (FEMSA, RA 2000).
133
Tout au long de leur histoire, les brasseries adoptent des politiques d’exclusivité avec
les magasins au détail.175 En plus de ces magasins, les brasseries possèdent leurs
propres chaînes de magasins de détail : Modelorama et Extra dans le cas de Modelo,
OXXO dans le cas de FEMSA. Bien qu’elles soient intégrées verticalement, Modelo
et CCM continuent de dépenser d’énormes sommes d’argent en coûts indirects,
notamment dans le financement des détaillants. Les deux entreprises engagent
d’importants sommes auprès des détaillants afin d’assurer l’exclusivité de la vente de
leurs produits.
L’intégration verticale se répercute sur la structure des coûts de production de
l’industrie (figure 4.7). Les coûts primaires, les matières premières et les coûts
manufacturiers accaparent un faible pourcentage des coûts totaux, soit 21%. Les coûts
secondaires (administration, distribution et commercialisation) représentent la
majorité relative des dépenses à 45%. Quant aux coûts tertiaires, les impôts et le
marketing, ils comptent pour 34% des charges des entreprises. La principale
distinction entre la structure des coûts des brasseries mexicaines et celle généralement
en vigueur dans l’industrie brassicole internationale concernent le niveau des impôts
(Heijbroek, de Schutter et Boon, 1996).176
175
Cependant, la montée des magasins à grande surface diminue quelque peu l’impact de cette
politique.
176
Contrairement à leurs concurrentes américaines, plus de la moitié des coûts des brasseries
mexicaines sont absorbés par deux dépenses externes, la commercialisation et les impôts. Les coûts de
commercialisation concernent l’appui aux détaillants (argent, réfrigérateurs, tables et chaises, peinture,
etc.), les marges de profits et les rabais ; les impôts comprennent la taxe sur la valeur ajoutée, l’IEPS,
l’impôt sur le revenu ainsi que les impôts et taxes aux états et municipalités (ANAFACER, 2004b).
134
Figure 4.7 Structure des coûts de l’industrie brassicole mexicaine, 1999 (en %)
3%
28%
18%
3%
14%
28%
Matières premières
Manufacturier
Administratif
Distribution
Marketing
Impôts
Commercialisation
6%
Source : ANAFACER, Contexto integral de la cerveza, México: ANAFACER, 2004.
Une autre des caractéristiques façonnant l’industrie brassicole mexicaine tient à la
division du marché national selon des lignes régionales. Pour des raisons aussi bien
historiques que logistiques,177 chacune des entreprises possède une position
dominante dans des régions distinctes du pays. Toutefois, à la lumière des documents
consultés, il semble y avoir une confusion au sein de l’industrie : selon les statistiques
de FEMSA, l’entreprise posséderait l’avantage dans le Nord et le Sud, alors que
Modelo dominerait le Centre du Mexique (VISA, ADR 1998).178 Modelo, pour sa
part, affirme détenir la position de tête dans 23 des 32 états du pays. Qu’en est-il
réellement de la situation ?
Selon l’analyse qu’elle fait du marché et ses statistiques, FEMSA dominerait le Nord
et le Sud avec des parts de marché de 59,4% et 56,1% respectivement en 1997 (VISA
ADR, 1998). Cependant, la situation de FEMSA se détériore puisqu’en 1992, ses
parts de marché dans les mêmes régions s’établissaient à
63,2% et 59%
respectivement (VISA, 1998). Par ailleurs, les régions où domine FEMSA sont les
177
Selon les estimations de FEMSA, l’efficacité maximale de la distribution de la bière se situe dans un
rayon de 300 à 500 km de l’usine de production ; au-delà de cette distance, les coûts de transports
deviennent prohibitifs (VISA, ADR 1998).
178
La classification des États par région est la suivante :
Nord : Aguascalientes, Basse Californie, Basse Californie du Sud, Chihuahua, Coahuila, Durango,
Nuevo León, San Luis Potosi, Sinaloa, Sonora, Tamaulipas et Zacatecas
Centre : Colima, Guanajuato, Guerrero, Hidalgo, Jalisco, l’État de Mexico, la ville de Mexico,
Michoacan, Morelos, Nayarit, Oaxaca, et Querétaro
Sud : Campeche, Chiapas, Puebla, Quintana Roo, Tabasco, Tlaxcala, Veracruz et Yucatán.
135
zones où il se consomme le plus de bière. Toujours selon les statistiques de 1997, il se
consommait 76,4 litres per capita au Nord, 44,1 litres au Sud et 35,3 litres au Centre,
pour une moyenne nationale de 48,1 litres (VISA, ADR 1998).
Modelo demeure le leader incontesté dans le Centre du pays avec des parts de marché
de 77,4%. L’une des raisons d’une telle performance de la firme repose sur la
domination des différents segments du marché : sur les cinq présentations possibles
(bouteilles d’un litre, de 325 ml., de 190 ml., canette et baril), Modelo en domine
quatre, seule la catégorie baril, représentant 0,8% du marché, lui échappant.179
4.3.2.4 Grupo Modelo et CCM, deux entreprises très différentes
Tout au long de leur histoire, Modelo et CCM se distinguent l’une de l’autre. Ces
différences s’exacerbent lors de la crise de 1982-85 et demeurent présentes durant la
période contemporaine. On distingue quatre grandes différences entre les deux
entreprises : leur attitude vis-à-vis l’endettement, les politiques d’investissement, la
propension à exporter et les relations de travail.
Modelo a toujours été reconnue pour son aversion à l’endettement.180 Cette crainte
explique, nous l’avons dit, pourquoi l’entreprise ait moins souffert des effets de la
crise de 1982 que ses concurrentes. En effet, lorsque surviennent les deux
dévaluations,181 la firme n’a aucune dette libellée en dollars ou autres monnaies
étrangères. Modelo maintient cette politique d’autosuffisance financière tout au long
de la période : en 1992, la compagnie n’avait pas de dette à long terme et sa dette à
court terme s’élevait à 6 millions de dollars (Bear Stearns, 1994). En 2003, le passif
total de l’entreprise s’élevait à 11,811 milliards de pesos.182
179
Pour l’année 2000, les volumes des différentes présentations dans l’industrie et les parts de marchés
de Modelo dans ces cinq catégories s’établissaient comme suit : bouteilles d’un litre 40,8% du volume
(54% part de marché), bouteille de 325 ml. 34,9% du volume (58%), canette 17,5% (55%), bouteille de
190 ml. 6% (61%), baril 0,8% (32%) (Modelo, RA 2000: 9-10).
180
Cette caractéristique date de la fondation de l’entreprise, alors que les propriétaires de la firme,
d’origine espagnole, établirent une politique de non-endettement et de réinvestissement des profits.
181
Le 18 février 1982, le gouvernement annonce le flottement du peso. Celui-ci se déprécie
rapidement, perdant environ 67% de sa valeur et s’établissant à 45 pesos pour un dollar. Le 6 août
suivant, un double taux de change entre en vigueur : un taux préférentiel de 49,13 pesos par dollar et un
taux de change libre, déterminé par le marché (Banque du Mexique, RA 1982).
182
De ce montant, 4,299 milliards, ou 36%, étaient dus à court terme, 70% étaient les impôts à payer, et
seulement 14,6% (1,73 milliard de pesos) est dû aux créditeurs et fournisseurs (Modelo, RA 2003).
136
CCM, mais surtout FEMSA, ont toujours utilisé l’endettement comme une partie
intégrante de leur stratégie de croissance et d’investissement. C’est d’ailleurs cet
endettement qui conduisit le conglomérat VISA au bord du gouffre et qui mit
Moctezuma en banqueroute. La nouvelle compagnie émerge en 1988 suite à la
restructuration d’une dette totale de 1,3 milliard de dollars (Bear Stearns, 1994).
Prenant 1992 comme point de référence, on note que, comparativement aux 6 millions
de dollars de dette de Modelo, la dette totale de FEMSA se montait à 1,09 milliard de
dollars. En 2003, le passif total de FEMSA augmenta de plus du double, passant de
28,4 milliards de pesos en 2002 à 58,2 milliards de pesos (Bear Stearns, 1994;
FEMSA, RA 2003).183
La seconde distinction concerne la politique d’investissement et découle en grande
partie du point précédent. Par la nature des firmes, l’étendue des investissements de
Modelo et de FEMSA est très différente. Si les niveaux d’investissement de FEMSA
sont plus élevés que ceux de Modelo, lorsqu’on ne consulte que la section bière, la
firme investit davantage que CCM. Jusqu’à l’ouverture de son capital, la compagnie
observe une politique de réinvestissement de la quasi-totalité des profits.
Les
investissements de Modelo se limitent exclusivement à la bière, notamment dans la
construction de deux nouvelles brasseries,184 dans l’augmentation des capacités
productives des autres usines ainsi que dans l’amélioration de son système de
distribution.
Dans le cas de FEMSA, l’entreprise suit un programme d’investissement beaucoup
plus diversifié que Modelo. Tout comme sa concurrente, FEMSA a investi dans la
construction d’une brasserie (à Navojoa dans l’état de Sonora) au début des années
1990, dans l’accroissement de la production de ses autres brasseries de même que
dans la distribution. Cependant, la firme a également investi dans plusieurs autres
secteurs. En 1991-1992, elle participe au rachat d’une banque dans le cadre de la
privatisation des banques entrepris par le gouvernement Salinas de Gortari.185 Mais
183
Le gonflement du passif résulte avant tout de l’achat d’une filiale de Coca-Cola.
La brasserie de Tuxtepec en 1981-84 et celle de Zacatecas à partir de 1992.
185
C’est en fait la famille Garza Lagüera, principal actionnaire de FEMSA, qui participe à
l’acquisition. Cela est toutefois important pour notre propos, car les activités financières étaient au
cœur du holding VISA, au même titre que la division brassicole.
184
137
surtout, FEMSA a fortement investi dans sa division boissons gazeuses : en 2003, elle
achetait Panamco, une filiale de Coca-Cola, pour un montant de 2,7 milliards de
dollars.
La troisième distinction renvoie à la dépendance des firmes vis-à-vis des marchés
internationaux. Si CCM dépend davantage du marché mexicain, on constate une
dépendance de plus en plus grande de Modelo envers les marchés internationaux, plus
particulièrement envers les États-Unis. Cette dépendance s’exprime tant au niveau des
volumes exportés que des revenus provenant de ceux-ci. Bien que cette dernière
débute l’aventure exportatrice beaucoup plus tardivement que Cuauhtémoc ou
Moctezuma, elle ne tarde pas à les rattraper, puis à dominer ce segment de l’industrie.
Non seulement Modelo exporte-t-elle davantage que sa concurrente, mais elle couvre
un nombre de marchés nettement plus important. Quant à CCM, tout en reconnaissant
l’importance des exportations, elle préfère se concentrer sur son marché naturel, i.e. le
sud des États-Unis et le Mexique.
La dernière grande distinction entre les deux brasseries touche les relations de travail.
Jusqu’à la fin des années 1980, les relations de travail se révèlent très différentes entre
Modelo et CCM. Alors que les relations de travail à Cuauhtémoc, puis à CCM, font
montre d’une grande stabilité dans le temps, la situation à Modelo peut être qualifiée
de conflictuelle. Entre 1944 et 1994, l’entreprise connaît sept grèves et sept arrêts de
travail illégaux (Expansión, 30/03/1994). En 1987, l’entreprise vit sa plus longue
grève : les travailleurs de la brasserie del Tropico de Tuxtepec (état de Oaxaca) se
mettent en arrêt de travail durant 14 jours.186 Cet arrêt provoque une rupture de stock
bien que les exportations augmentent de 80% et la production totale de 9% durant la
même année.
FEMSA ressemble à la majorité des grands groupes de boissons de l’Amérique latine,
mariant à la fois bière et boissons gazeuses. Si cette intégration s’avère avantageuse
dans son ensemble, les filiales bénéficiant des innovations ou des profits d’autres
composantes du groupe. Néanmoins, les possibles synergies ne semblent pas avoir
186
À l’époque, la brasserie de Tuxtepec était la deuxième en importance de Modelo, derrière la
brasserie de Mexico.
138
aidé la division brassicole de FEMSA. Depuis le milieu des années 1990, elle ne
cesse de perdre du terrain face à Modelo. L’attention de la maison-mère est divisée, la
division des boissons gazeuses occupant une place de plus en plus importante dans les
résultats de la firme. Tout se passe comme si l’entreprise a concédé la victoire à
Modelo et fait de sa division de boissons gazeuses le centre de ses préoccupations.
4.3.3
La croissance de l’industrie depuis 1988
L’un des faits saillants de l’industrie à partir des années 1990 est un effort soutenu
pour valoriser davantage les marques de chaque entreprise. Jusqu’à la fin des années
1980, les brasseries mexicaines, surtout dans le cas de Modelo, se préoccupent avant
tout du volume de production, sans accorder une attention correspondante à l’aspect
promotionnel. À partir des années 1990, cela change, alors qu’une plus grande
attention est portée au marketing et aux attentes des consommateurs.187
Globalement, l’industrie brassicole mexicaine se caractérise par la progression
constante des parts de marché de Grupo Modelo. Dans cette optique, cette dernière
cherche à pérenniser et à accroître son avantage, alors que CCM se voit contrainte de
modifier ses stratégies durant cette période. D’autre part, le marché mexicain est
littéralement fermé aux produits étrangers. Les bières importées comptent pour
environ 1% de la consommation totale; cela s’explique principalement par les goûts
des consommateurs, la maîtrise du système de distribution par les deux brasseries
mexicaines et la différence de prix entre les bières nationales et les bières importées.
4.3.3.1 Leadership du marché par Modelo
Avec Corona Extra, Modelo est indiscutablement le chef de file du marché mexicain :
à elle seule, cette marque détient 32,8% du marché national en 2000 (Modelo, RA
2000). L’entreprise compte dix marques en tout188, mais trois seulement étant
réellement des marques nationales : Corona Extra, Negra Modelo et Modelo Especial.
Les autres marques de la firme sont considérées comme des marques régionales. Cette
187
À titre d’exemple, le département de marketing de CCM réalise mensuellement plus de 15 000
enquêtes afin de mieux connaître les goûts et préférences de ses consommateurs (Abasolo,
14/05/2002 ; Expansión, 24/07/2002).
188
Corona Extra, Negra Modelo, Pacífico, Modelo Especial, Light Modelo, Victoria, Montejo, León,
Corona Light (commercialisée uniquement aux États-Unis) et Estrella.
139
domination du marché mexicain, la part de marché de Modelo est passée de 38,5% en
1977 à 56,1% en 2000, se reflète tant au niveau de la production que des ventes : en
1991, la compagnie produit 21,1 millions d’hectolitres de bières pour des ventes
totales de 16,5 milliards de pesos. En 2000, cette production passe à 36,6 millions
d’hectolitres (28 millions pour le marché domestique, 8,6 millions à l’exportation)
pour des ventes de 29,3 milliards de pesos.189
Tableau 4.4
Parts de marché au Mexique de Modelo et FEMSA, 1992-2000
(en %)
Année
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
Modelo
51,5
53,1%
54,3%
55,3%
55,7%
56,8%
58,0%
58,7%
60,1%
61,2%
62,0%
62,4%
61,9%
Femsa
47,5%
45,9%
44,7%
43,7%
43,3%
42,2%
41,0%
40,3%
38,9%
37,8%
37,0%
36,6%
37,1%
Autres
1%
1%
1%
1%
1%
1%
1%
1%
1%
1%
1%
1%
1%
Source : Grupo Modelo, Rapports annuels plusieurs années ; FEMSA,
Rapports annuels plusieurs années ; VISA, ADR 1998 (pour les années
1992-95 de FEMSA).
Depuis le début des années 1990, les parts de marché de Modelo sur le territoire
national ne cessent de croître (tableau 4.4).190 Entre 1992 et 2000, Modelo gagne plus
de 5% du marché brassicole national, le tout au détriment de CCM. Lorsqu’on
additionne les exportations, la part de Modelo, dans la production nationale, surpasse
les 60% dans les années 1990.
Modelo a réussi à imposer Corona Extra comme la bière mexicaine par excellence.
Bien que CCM tente depuis 1993 de positionner Sol comme une marque nationale,
189
Les ventes sont exprimées en pesos constants de 2000 (Grupo Modelo, RA 1996 et 2000).
Les données sur les importations de bières au Mexique ne sont pas facilement accessibles. D’une
part, les chiffres que fournissent l’INEGI ne prennent pas en compte les importations illégales à la
frontière nord. En outre, les données concernent l’ensemble des boissons, non seulement la bière.
Toutefois, l’ANAFACER estime que, généralement, les importations et la production des microbrasseries équivalent environ à 1% de la consommation nationale.
190
140
elle ne possède pas tous les attributs de Corona Extra. Cela confère un fort avantage à
Modelo tant en terme d’économies d’échelle, d’image de marque que de
reconnaissance de la marque.
Dans l’ensemble, la stratégie de Modelo s’inscrit dans la continuité : l’entreprise
désire avant tout consolider les acquis des années 1980, ce qui implique un
accroissement de ses capacités productives afin de répondre à la demande interne et
externe. Cela explique pourquoi une nouvelle brasserie s’avère nécessaire au début
des années 1990, d’où la décision de construire la brasserie de Zacatecas.
La stratégie de Modelo passe également par une meilleure communication interne et
le maintien de ses positions sur les marchés étrangers.
La firme entreprend de
moderniser ses communications : outre des projets d’infrastructure au niveau des
télécommunications, la compagnie met sur pied un système facilitant les opérations
quotidiennes de ses différentes unités, favorisant ainsi une prise de décision plus
efficace
des
hauts
dirigeants.
L’ouverture
d’un
magasin
virtuel
(www.coronabeershop.com), destiné à la vente d’articles promotionnels, combiné au
site (www.gmodelo.com.mx) renforcent la présence de l’entreprise sur Internet
(Modelo, RA 2000). Il s’agit pour Modelo non seulement d’améliorer son processus
de prise de décision, mais également de rejoindre davantage de consommateurs
potentiels.
Par ailleurs, Modelo accroît sa présence sur les marchés étrangers au fil des ans : alors
qu’au milieu des années 1980, l’entreprise n’exporte qu’en Amérique du Nord, en
1996, on retrouve les produits Modelo dans 124 pays ; en 2000 ce chiffre est de 150
(Modelo, RA 2000). Cet effort de l’entreprise vers l’extérieur comporte un bénéfice
considérable : l’accès à des devises étrangères. Étant donné qu’environ 25% de
revenus de la firme proviennent des exportations, cela lui procure une importante
couverture du passif libellé en monnaies étrangères (Banque Bital, 2001b).
141
4.3.3.2
CCM : une lente croissance
Alors que la stratégie de Modelo en est une de continuité, on assiste à plusieurs
modifications de la part de CCM durant les années 1990. La perte continue de parts de
marché face à son concurrent conduit CCM à modifier son approche afin de renverser
la tendance. Dans le cas de l’industrie brassicole mexicaine, cela signifie rejoindre
plus directement encore le consommateur.
Au début des années 1990, CCM croit que la hausse de la compétitivité de l’entreprise
passe par une plus grande segmentation du marché, i.e, une offre variée de marques
distinctes. Cette stratégie s’appuie sur une hausse du prix des bières, sur
l’accroissement des investissements dans les infrastructures productives et sur la
modernisation des usines existantes. C’est ainsi qu’en 1991, la compagnie débute
l’exploitation d’une nouvelle brasserie à Navojoa dans le Sonora (Nord).
Trois objectifs sous-tendent cette stratégie : une augmentation soutenue des revenus,
une plus grande consommation de bière per capita ainsi qu’un meilleur
positionnement et une segmentation accrue de ses marques selon le sexe, l’âge, les
revenus et le style de vie des consommateurs (FEMSA, RA 2000: 8). L’entreprise
compte atteindre ces objectifs en augmentant la visibilité de ses marques lors
d’activités et/ou d’événements spéciaux ; en accroissant la disponibilité de bières
froides dans les divers points de vente grâce à l’introduction de congélateurs conçus
pour la conservation d’une température optimale ; finalement en renforçant le
marketing et la publicité (FEMSA, RA 2000).
Bien que la stratégie de segmentation de CCM connaisse un succès relatif, la situation
concurrentielle de l’entreprise se détériore progressivement durant les années 1990
(tableau 4.4). Cela conduit la firme à modifier son approche : de la segmentation pure,
CCM passe à une combinaison de segmentation et de marque nationale.
CCM recourt à une marque mineure de son portefeuille, Sol, et la repositionne en tant
que marque nationale en 1993. Cette décision s’inscrit dans l’optique de compter sur
une marque capable de mieux concurrencer Modelo dans l’ensemble du pays, mais
142
surtout dans le centre, où se concentre plus de 50% du marché.191 Le choix de Sol
s’avère judicieux puisqu’elle constitue l’unique marque du portefeuille de CCM
possédant les mêmes caractéristiques que Corona Extra (une bouteille transparente,
une bière plus légère au goût). Suite au relancement de Sol, celle-ci se convertit
comme la marque nationale de CCM. La croissance de Sol sur le marché mexicain se
manifeste par une augmentation de plus de 700% des ventes entre 1993 et 2002. La
marque est présente au Mexique, sauf dans le nord-ouest.192 Elle constitue la troisième
marque en importance de CCM, derrière Tecate et Carta Blanca (Abasolo,
14/05/2002). Le relancement de Sol peut être interprété comme la reconnaissance par
CCM de l’erreur commise lors de la fusion des deux entreprises.193
L’entreprise n’abandonne pas pour autant sa stratégie de segmentation. Il s’agit avant
tout de concurrencer Corona Extra sur l’ensemble du territoire mexicain avec une
bière possédant les mêmes caractéristiques que celle-ci, tout en maintenant une
segmentation assez poussée du marché national (Expansión, 24/07/2002).194 En
repositionnant ainsi Sol, l’autre objectif de CCM est d’étudier le comportement de la
marque en vue d’un lancement international (Abasolo, 14/05/2002). Il ne faut pas
oublier que le renouveau de Sol s’effectue durant la période de forte
191
Jusqu’à cette décision, CCM avait plutôt adopté une stratégie de laisser-faire puisque l’entreprise
misait sur deux marques différentes, Carta Blanca et Superior, afin de concurrencer Corona Extra et
Victoria, la marque régionale de Modelo dans le centre du pays. Le non-choix entre Carta Blanca et
Superior résultait surtout de la fusion de 1985, alors que chaque entreprise s’appuyait sur une marque
dans le centre : Cuauhtémoc avec Carta Blanca et Moctezuma s’appuyait sur Superior.
192
En 2002, Sol était présente dans 30 des 32 états du Mexique (Abasolo, 14/05/2002).
193
Selon Dominguez (03/05/2002) la nature même de la fusion entre Cuauhtémoc et Moctezuma
provoqua cette erreur. Étant donné que la nouvelle entreprise possédait deux marques aux
caractéristiques similaires, Sol et Dos Equis lager, CCM aurait choisi de conserver la mauvaise
marque, i.e. Dos Equis. Cela proviendrait du fait que cette dernière, étant une marque de Cuauhtémoc,
bénéficiait d’un préjugé favorable, bien que les ventes de Sol étaient plus du double de celles de Dos
Equis (880 000 hl contre environ 400 000 hl).
194
Il y aurait les combinaisons suivantes : Carta Blanca/Sol dans le nord-est, Tecate-Sol dans le nordouest et Superior-Sol dans le Sud. Dans le centre, Sol ferait office de marque à la fois nationale et
régionale. L’entreprise estime que la totalité des effets escomptés du projet devraient se faire sentir à
partir de 2007 (Abasolo, 14/05/2002). Toutefois, cette stratégie comporte un risque de cannibalisation
des marques, i.e que la croissance de Sol se produise au détriment d’autres marques de l’entreprise. On
soulignera ainsi que CCM connut effectivement une telle situation de cannibalisation avec l’apparition
de Sol : entre 1995 et 2003, la production de Sol passe d’un million d’hectolitres à 5,7 millions
d’hectolitres (Impact, 2002 et 2005). La marque devient la seconde en importance pour CCM, derrière
Tecate. La marque numéro deux, Carta Blanca, connaît une faible diminution de la production durant
la période, passant de 5,4 millions d’hectolitres à 5 millions d’hectolitres. La croissance de Sol
s’effectue principalement au détriment de Superior alors qu’il y a une baisse prononcée de sa
production, de 5 millions d’hectolitres en 1995 à 3,7 millions d’hectolitres en 2003 (Impact, 2002 et
2005; Business Mexico /01/12/2001).
143
internationalisation de CCM (cf. chapitre 6). L’entreprise envisage de promouvoir une
marque globale et Sol représente la meilleure option en ce sens.
En ce qui concerne l’évolution de la production et des revenus de FEMSA, on note
une augmentation totale de la production de 21,4% de 1992 à 2003 (tableau 4.5). En
comparaison, la production de Modelo croît de 91,1% durant la même période. Les
revenus quant à eux passent de 9,6 milliards de pesos en 1995 à 18,6 milliards de
pesos en 2000. Cette augmentation d’environ 90% constitue une très bonne
performance compte tenu de la faible progression de la production durant la même
période (18,4%) (FEMSA, RA 2000; VISA, ADR 1998).
Tableau 4.5 Production totale de l’industrie brassicole mexicaine,
1991-2004 (en millions d’hectolitres)
Année
Modelo
1991
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
21,1
21,94
23,36
25,22
25,11
27,38
29,95
32,25
34,46
36,57
38.58
39.98
41.92
42.82
FEMSACerveza
20,23
20,19
19,95
19,93
21,30
22,24
22,82
23,71
23,60
23, 86
23 81
24,56
25,68
Total
42,59
43,98
45,60
45,49
49,16
52,71
55,62
58,75
60,77
63,06
64,42
67,14
69,18
% de
variation
3,3
3,7
-0,02
8,1
7,2
5,5
5,6
3,4
3,8
2,2
4,2
3,0
Sources : Grupo Modelo et FEMSA, Rapports annuels plusieurs années;
VISA, ADR, 1998
Par ailleurs, CCM recentre également sa stratégie en matière d’exportation et de
pénétration des marchés étrangers. Elle opère une transformation qui la conduit à se
concentrer de plus en plus sur les marchés américain et mexicain afin d’assurer sa
croissance, délaissant les marchés moins porteurs qui demanderaient beaucoup
d’efforts pour des résultats incertains (VISA, ADR 1998; Salinas Arrumbide,
13/05/2002).
144
4.3.3.3
Le rôle marginal des importations
Le marché mexicain demeure extrêmement fermé aux bières importées. Au fil des
ans, malgré les efforts des brasseries étrangères, ce segment du marché reste très
marginalisé, les importations représentant environ 1% du marché.195 Cependant, si
l’importance absolue des bières importées est faible, celles-ci tendent à jouer un rôle
notable dans le nord du pays.
Deux raisons expliquent pourquoi les bières étrangères rencontrent tant de difficultés
à pénétrer le marché mexicain. Certains affirment que c’est principalement une
question de goût (Zepeda Mauleon 27/11/2001; Sánchez Navarro, 04/06/2002). Selon
cette hypothèse, les Mexicains préféreraient les bières nationales car elles seraient
plus faciles à boire que les bières étrangères. Ces bières, moins lourdes et plus
fraîches que leurs concurrentes, correspondraient davantage au climat chaud et
humide du pays, contrairement aux bières stout ou porter par exemple.196 Cette
hypothèse, bien qu’attrayante et comportant une part de vérité,197 apparaît largement
incomplète.
Une seconde hypothèse, plus complexe que la précédente, nous semble correspondre
davantage à l’organisation de l’industrie brassicole mexicaine. La faiblesse des bières
importées sur le marché mexicain s’expliquerait plutôt par l’existence d’importantes
barrières à l’entrée sur ce marché. Une telle hypothèse rejoindrait l’argument selon
lequel une structure oligopolistique implique de fortes barrières à l’entrée. En outre, si
on accepte cette hypothèse, il devient plus facile de reconnaître la similarité du
marché mexicain avec la majorité des marchés brassicoles nationaux, notamment les
marchés émergents (Heijbroek, Schutter et Boon, 1997).198
195
Beverage World rapporte qu’en 1992, les bières américaines ne représentaient que 0,4% du marché
national (BW, 01/04/1993). Il est assez difficile de mesurer l’impact réel des bières importées, car les
statistiques ne prennent pas en compte les bières importées illégalement des États-Unis et distribuées
principalement dans le nord du pays.
196
Voir l’annexe 3 sur les différents types de bières.
197
Abasolo (14/05/2002) souligne que le positionnement des marques de CCM correspond en grande
partie aux préférences des consommateurs. Selon les études de marché de la compagnie, les
consommateurs montreraient une nette préférence pour les marques nationales, au détriment des bières
importées.
198
L’existence de fortes barrières à l’entrée constitue l’une des caractéristiques centrales de
l’organisation de l’industrie brassicole internationale à l’échelle nationale (cf. chapitre 5).
145
Une barrière à l’entrée est un coût de production auquel fait face une firme entrant sur
un marché, mais absent pour les entreprises déjà présentes. Il existe deux catégories
de barrières à l’entrée : les barrières de premier ordre et les barrières de second ordre
(Ülgen, 2002). Les premières sont liées à la structure du marché, alors que les
secondes sont de nature institutionnelle et réglementaire. L’économie industrielle s’est
la première intéressée aux barrières à l’entrée. Selon Bain (1956), une firme cherchant
à pénétrer un nouveau marché fait face à trois coûts non supportés par les entreprises
déjà présentes : les économies d’échelles, les coûts de réputation ou de différenciation
du produit ainsi que les coûts absolus.199 À ces trois barrières s’ajoute une quatrième,
le capital, généralement irrécupérable (Heflebower, 1957; Scherer 1970; Rudie
Harrigan, 1981).
Les barrières de second ordre (Jacobson et Andréosso-O’Callaghan, 1996)
proviendraient avant tout des mesures réglementaires limitant l’entrée de nouvelles
firmes sur un marché. Les limitations peuvent être physiques (formalités
administratives, temps d’attente), techniques (les spécifications techniques, la
réglementation nationale) ou fiscales (la différenciation des régimes fiscaux, les
secteurs réservés aux entreprises publiques nationales, etc.).
Les barrières à l’entrée renvoient à la nécessité pour les firmes d’intégrer des coûts
plus importants dans la pénétration d’un nouveau marché, coûts généralement absents
pour les firmes existantes. Ces dépenses étant irrécupérables, les industries dont la
structure de marché présente de telles caractéristiques ne peuvent être qualifiées de
contestables.200 Les firmes déjà établies bénéficient d’avantages substantiels vis-à-vis
199
On ne s’accorde pas sur l’importance relative de chaque élément. Pour Bain (1956) et Ferguson
(1974), les économies d’échelle représentent une importante barrière à l’entrée, alors que ce n’est pas le
cas pour Stigler (1968) (dans la mesure où la fonction de coût de toutes les firme est la même). Bain
reconnaît que le marketing et le capital constituent des barrières ; pour Stigler et Ferguson, ils ne sont
pas nécessairement des barrières. Demsetz, reconnaissant que ces définitions s’appuient avant tout sur
une distinction entre les firmes présentes versus les potentielles (insiders versus outsiders), remet en
question ces conceptions en soulignant les jugements de valeur implicites qu’elles sous-tendent
(Demsetz, 1982). Dans la mesure où la firme pratique une stratégie de prix sous-optimaux (predatory
pricing), il s’agit là d’une importante barrière à l’entrée. La firme est ainsi en mesure d’éliminer la
concurrence d’une nouvelle entreprise sur le marché. À long terme, une telle pratique réduit le bien-être
du consommateur (Demsetz, 1982).
200
Dans une telle structure de marché, les trois piliers de la théorie des marchés contestables (une
possibilité d’entrée et de sortie libre de coûts, l’absence de coûts irrécupérables ainsi que l’incapacité
des firmes présentes sur le marché à répondre rapidement aux actions du nouvel entrant) ne
s’appliquent pas.
146
de concurrentes potentielles, car elles ne sont pas soumises aux dépenses reliées aux
barrières de premier ordre. En somme, les barrières à l’entrée limitent la concurrence
sur le marché en réduisant le nombre de firmes sur le marché.
La structure du marché brassicole mexicain, abordée dans les sections précédentes,
correspond à la description d’une industrie comportant de fortes barrières à l’entrée.
L’industrie est verticalement intégrée ; Grupo Modelo et CCM maîtrisent l’ensemble
des réseaux de distribution ; les deux entreprises possèdent une grande réputation,
basée sur plusieurs décennies de succès. La combinaison de ces éléments procure un
avantage concurrentiel considérable aux deux compagnies sur le territoire national.201
En somme, l’industrie brassicole, tant nationale qu’internationale, comporte de forts
coûts irrécupérables.202 Les coûts de réputation, notamment en publicité et en
commandite, impliquent une présence à moyen ou long terme. Il apparaît peu
plausible pour une firme entrant un nouveau marché national d’adopter une stratégie
de hit and run.
L’avantage concurrentiel de Grupo Modelo et CCM vis-à-vis des bières importées et
des autres bières nationales se manifeste dans les parts de marché des entreprises et
dans le prix de vente. Malgré l’absence de statistiques fiables, le tableau 4.4 a montré
que la part des bières autres que Modelo et CCM durant les années 1990 demeure
stable à environ 1% du marché. Par ailleurs, dans toutes les régions du pays, le prix
des bières mexicaines est moins élevé que celui des bières importées.203 Compte tenu
du fort pourcentage de Mexicains à faible revenu,204 le prix des bières importées
201
Il faut préciser que l’existence des barrières entraîne une double exclusion. Tant les bières importées
que les bières nationales autres que celles de Modelo ou FEMSA sont confrontées à la position de force
des deux brasseries dominantes.
202
L’industrie brassicole est intensive en capital, les coûts nécessaires en distribution, en réfrigération,
en commercialisation et en publicité étant extrêmement élevés. Pour une firme étrangère désireuse de
s’établir sur un nouveau marché, ces coûts sont encore plus prohibitifs (BW, 01/04/1993; Expansión,
21/07/1999).
203
Selon une étude que nous avons réalisée dans différents points de vente à Mexico (décembre 2002)
et à Monterrey (juin 2004), les deux principaux marchés du Mexique, les marques mexicaines sont
systématiquement moins chères que les marques étrangères, sauf pour une marque importée à
Monterrey. Il est à noter que les écarts de prix sont moins élevés à Monterrey qu’à Mexico, ce qui
expliquerait peut-être que les bières importées détiennent de plus importantes parts de marché au Nord
que dans le reste du pays. Voir l’annexe 5 pour une présentation complète du prix de vente au détail sur
les deux principaux marchés du pays.
204
En 2000, sur une population active de 33,7 millions de personnes, 51%, soit 17,2 millions de
personnes recevaient un revenu de 2 salaires minimum ou moins (la moyenne nationale du salaire
147
classe celles-ci comme un produit de luxe pour la majorité de la population, surtout
dans la ville de Mexico. La faiblesse du revenu des individus, de même que le prix
des bières importées, obligent les brasseries étrangères à cibler la population à haut
revenu, ce qui représente une minorité de personnes (Expansión, 19/11/1997).
Si le prix constitue une barrière concurrentielle importante, l’intensité de cette barrière
n’est pas la même dans l’ensemble du pays. En effet, les différences de prix sont plus
marquées au sud et au centre du Mexique, zones de domination de Modelo, que dans
le nord. On retrouve d’ailleurs une plus grande variété de bières américaines dans
cette région que dans les deux autres zones du pays. Dans les circonstances, CCM
souffre davantage de cette situation que sa concurrente. La proximité géographique
des États-Unis, le Nord recevant davantage de bières américaines que les autres
régions, accroît les importations légales et illégales (Abasolo, 14/05/2002).205 Bien
que l’élimination des barrières tarifaires sur les bières nord-américaines, suite à
l’ALENA, ait entraîné une baisse du prix de ces bières,206 la situation ne date pas de la
seconde moitié des années 1990. Dès le début des années 1990, les dirigeants de CCM
reconnaissent que cette dernière subit une forte concurrence à la frontière nord,
notamment en ce qui concerne les bières en canette (Expansión, 24/07/1991).207
En somme, l’existence d’importantes barrières à l’entrée limitent la portée et
l’influence des brasseries étrangères et des bières importées sur le marché brassicole
mexicain. De par sa structure, celui-ci ne constitue pas un marché contestable : dans la
mesure où il existe des coûts irrécupérables, au sens de Baumol (1982).
minimum s’élevant à 35,12 pesos/jour). Dans tous les cas, une caisse de six bières représente un
pourcentage important du revenu journalier d’un mexicain. Mais dans le cas des bières importées, ce
pourcentage peut parfois représenter 100% du revenu journalier. Voir INEGI (2002b) et l’annexe 5.
205
Abasolo soutient qu’en certaines régions du Nord, il est possible de trouver des bières américaines à
un coût moindre que les bières mexicaines. Nous avons pu corroborer cette assertion lors de l’étude
des prix des bières à Monterrey. Voir l’annexe 6.
206
Sur l’évolution des tarifs applicables aux bières américaines, voir le chapitre 6.
207
L’impact des bières américaines sur CCM serait double. Non seulement celles-ci réduisent-elles les
parts de marché de la brasserie mexicaine, mais elles diminuent encore davantage la rentabilité de
l’entreprise, car c’est la région du pays d’où Cuauhtémoc-Moctezuma obtient le plus de profit
(Abasolo, 14/05/2002).
148
Conclusion
Les effets de la crise de 1982 sont plus importants que ne le laisse entrevoir une
simple étude des statistiques. En effet, les difficultés que connaissent Cuauhtémoc et
Moctezuma durant cette période affectent les options à la disposition de Cerveceria
Cuauhtémoc-Moctezuma. L’endettement massif de la firme freine la croissance de
l’entreprise, bien que celle-ci inaugure une nouvelle usine en 1991. L’ensemble de la
stratégie de CCM est en fait orienté autour de la réduction de la dette de la firme, non
autour de sa croissance ou de la concurrence avec Modelo. Cela entraîne une lente
mais constante perte de parts de marché. CCM ne sera pas en mesure de suivre le
rythme de croissance de Modelo, tant sur le marché national que sur les marchés
internationaux.
Le développement de l’industrie brassicole mexicaine est marqué depuis le début du
20è siècle par une concentration de plus en plus forte, ce qui conduit au duopole
actuel et à une concurrence basée sur les gains de parts de marché. Cette concentration
s’accompagne d’une totale intégration des brasseries, alors qu’elles contrôlent
l’ensemble de la chaîne de production de la bière, de la récolte de l’orge à la vente. En
ce sens, le schéma du réseau de valeur doit être modifié afin de rendre compte de cette
réalité. Dans le cas de l’industrie brassicole mexicaine, le réseau de valeur des firmes
ne peut être conçu comme un losange mais plutôt comme un triangle, car les
fournisseurs sont intégrés aux firmes. Cela nous donne donc le schéma suivant :
Figure 4.8 Le réseau de valeur national des brasseries mexicaines
Clients
(consommateurs/
magasins )
Autre brasserie
Brasseries
(inclut les
fournisseurs)
Complémenteurs
Par ailleurs, la croissance de l’industrie depuis la fin de la restructuration de
Cuauhtémoc et Moctezuma, en 1988, suit deux tendances distinctes : une croissance
rapide et soutenue pour Modelo, une progression beaucoup plus lente de CCM. Les
149
causes de cette différence sont surtout à rechercher du côté de la structure des
entreprises. Alors que Modelo s’est toujours uniquement centrée sur la production et
la distribution de bière, CCM doit composer avec les autres unités du groupe FEMSA,
notamment avec Coca-Cola FEMSA qui prend de plus en plus d’importance.
L’évolution des firmes depuis la seconde moitié des années 1990 laisse une
impression de défaite totale de CCM : tout se passe comme si les dirigeants de
FEMSA avaient concédé la victoire à Modelo et ne chercheraient qu’à maintenir un
niveau de ventes et de profits acceptables dans un marché de plus en plus difficile
pour eux.
Les deux entreprises conçoivent la poursuite de la croissance à travers une double
perspective interne-externe : interne dans la mesure où elles considèrent que le
potentiel du marché mexicain est loin d’être atteint. La consommation par habitant
croît depuis quelques années, mais elle est encore loin des niveaux de pays tels que
l’Allemagne, les États-Unis ou même le Canada. Externe car les marchés étrangers
représentent d’importantes sources de revenus et de devises. Il apparaît essentiel pour
ces deux entreprises de bien se positionner au niveau international, l’industrie
brassicole mondiale se globalisant de plus en plus rapidement (cf. chapitre 5).
Cependant, et bien que les deux compagnies soient présentes sur de nombreux
marchés, leurs regards demeurent tournés vers leurs voisins du Nord, là où elles
exportent la plus grande partie de leurs bières.
Que nous apprend ce chapitre sur la globalisation et le modèle de co-opétition que
nous développons dans le cadre de cette thèse ? D’une part, la consolidation de
l’industrie, même si elle résulte en grande partie de facteurs internes, constitue une
donnée centrale de l’industrie brassicole mexicaine. Cette concentration réduit la
concurrence et limite la possibilité pour les brasseries étrangères de pénétrer le
marché mexicain. Celles-ci doivent donc considérer des stratégies financières,
notamment l’investissement de portefeuille, au détriment de stratégies productives ou
commerciales. D’autre part, concernant le modèle co-opétitif, ce chapitre s’est attaché
à montrer que l’échelon national demeure un niveau fondamental dans la prise en
compte des rapports concurrentiels dans l’industrie brassicole internationale.
150
CHAPITRE V
LE MARCHÉ INTERNATIONAL DE LA BIÈRE
La globalisation influence un nombre toujours plus grand d’industries. Certaines,
considérées jusqu'à récemment comme des industries nationales, sont touchées par ce
phénomène. L’homogénéisation culturelle, la poursuite d’économies d’échelle et de
champ, l’accélération des innovations technologiques, la déréglementation et
l’augmentation de la concurrence internationale forcent les entreprises à intensifier
leur projection internationale (Segal-Horn, 2002).
C’est le cas notamment de
l’industrie brassicole internationale.
Cette thèse analyse les transformations qu’induit la globalisation en étudiant tout
particulièrement l’internationalisation de l’industrie brassicole mexicaine, c'est-à-dire
Grupo Modelo et Cervecería Cuauhtémoc-Moctezuma (CCM). Pour qui désire
comprendre le développement international des brasseries mexicaines, il ne suffit pas
d’examiner leurs stratégies, qu’elles soient régionales et/ou globales, leurs bilans
financiers ou leurs parts de marché. Une étape préalable s’impose : l’étude de
l’environnement dans lequel évoluent les deux firmes, du marché international de la
bière, de sa structure et de son évolution depuis le début des années 1980.
Parallèlement à la globalisation de l’industrie, on assiste également à une accélération
de la régionalisation des opérations des brasseries. Elles étendent leurs activités à
l’ensemble de leur région d’origine, que ce soit l’Europe, l’Amérique du Nord ou du
Sud, l’Afrique ou l’Asie avant de pénétrer les marchés extra-régionaux. Ces deux
processus entraînent une transformation des brasseries et donnent naissance aux
brasseries multinationales (BMN), opérant à la fois à l’échelle nationale, régionale et
globale.
Au cours de ce chapitre, il s’agira de s’interroger sur les causes et les effets de la
globalisation de plus en plus poussée de l’industrie brassicole internationale. Jusqu’au
milieu des années 1980, elle se caractérise par sa très grande fragmentation. Débute
alors un processus de concentration qui conduit les brasseries nationales à
151
s’internationaliser afin d’acquérir des parts de marchés à l’échelle planétaire. À cette
fin, les BMN adoptent des stratégies globalisantes. Il en résulte une double
concentration : nationale et internationale. La réduction du nombre de brasseries à ces
deux niveaux se double d’un accroissement de la taille et des capacités productives
des “vainqueurs”. Cependant, la rapidité de la concentration n’est pas la même pour
toutes les régions du monde. Alors qu’on assiste à une rapide consolidation en Europe
de l’Ouest, en Amérique latine et en Amérique du Nord, l’Europe de l’Est et l’Afrique
suivent une trajectoire plus lente, la fragmentation y demeurant plus élevée. En Asie,
nous remarquons une multitude de situations distinctes.
Dans le contexte de la globalisation, il sera soutenu que le développement
international des firmes se déroule aux trois niveaux, le national, le régional et le
global. Le chapitre précédent a présenté l’organisation et l’évolution de l’industrie
brassicole mexicaine à l’échelle nationale. Ce chapitre élargit la perspective et
examine la mutation du marché mondial de la bière. Il ne s’agit pas ici d’analyser les
stratégies de concurrence ou de collaboration des firmes, ce qui nous occupera lors
des chapitres 7 et 8, mais plutôt d’étudier l’intégration de marchés nationaux en un
marché de plus en plus mondial, dit autrement, la globalisation de l’industrie.
Deux des trois idées reçues de la globalisation traitées dans cette thèse, à savoir la
nécessité pour les firmes de transformer leur structure organisationnelle et
l’émergence d’une nouvelle diplomatie commerciale, sont concernées par ce chapitre.
En effet, le développement de l’industrie, depuis les années 1980, montre que la
brasserie nationale cède de plus en plus le pas aux brasseries multinationales, capables
d’opérer sur un nombre toujours croissant de marchés. Ce chapitre initie l’exploration
de notre première hypothèse, à savoir que la globalisation transforme la structure des
firmes (de brasseries nationales à multinationales, puis globales). Par ailleurs, cette
consolidation internationale implique en certaines occasions l’intervention de l’État.
Cette immixtion, si elle ne s’inscrit pas obligatoirement dans le cadre de la diplomatie
commerciale ou triangulaire – on dénote une plus grande implication des autorités
nationales de la concurrence – demeure tout de même décisif dans certains cas.
L’État, de par son rôle juridique surtout, reste la dernière instance décisionnelle en
152
matière de concentration, notamment lorsqu’il doit approuver une transaction
réduisant le niveau de concurrence sur le marché national.
Bien que le marché international de la bière soit le principal niveau de la concurrence
internationale, il faut également accorder une attention particulière aux marchés
régionaux, notamment au marché nord-américain. En effet, l’internationalisation de
l’industrie brassicole mexicaine se déroulant principalement sur le continent nordaméricain, l’étude de ses caractéristiques nous permettra, dans les chapitres suivants,
de mieux comprendre les stratégies de co-opétition des brasseries mexicaines. Ainsi,
si les marchés canadien et américain se ressemblent en terme de concentration, la
taille et la diversité des États-Unis en fait l’un des principaux centres de la
concurrence internationale.
Avec l’émergence d’une véritable industrie brassicole internationale, puis son
accélération, il s’agit de se pencher sur la nature de la reconfiguration à laquelle nous
assistons. Ce chapitre, en s’attardant à l’architecture du marché mondial de la bière,
nous permettra d’expliciter ses transformations aux niveaux national, régional et
global. Bien qu’il ne concerne pas directement les brasseries mexicaines, il facilitera
la compréhension de l’environnement international et son influence sur les choix que
doivent faire Grupo Modelo et CCM.
5.1
Globalisation et concentration des marchés
5.1.1
Globalisation accélérée de l’industrie
5.1.1.1 De la fragmentation à la concentration
Jusqu’au milieu des années 1980, l’industrie brassicole internationale demeure
fortement fragmentée. Longtemps considérée comme un produit à fort caractère local,
du fait des préférences des consommateurs et de leur attachement aux marques
locales, régionales ou nationales, la bière apparaît comme l’antithèse d’une
marchandise globale (Gourvish, 1998).208 Ce caractère local a pour conséquence la
208
Le caractère local de ce produit se retrouve également dans la variété de l’offre à ce niveau. En effet,
plus de 90% des marques de bières à travers le monde est destinée aux marchés locaux (BW,
15/11/2000).
153
fragmentation de l’industrie au niveau international. Alors que dans l’industrie
automobile, un faible nombre de constructeurs détient plus de la moitié du marché
mondial des autos neuves, l’industrie brassicole internationale apparaît très éclatée.
En 1986, les dix plus grandes brasseries ne représentent que 34,8% de la production
internationale (tableau 5.1).209
Tableau 5.1 Parts du marché international des 10 plus grandes brasseries en
1986, 1995 et 2003 (en %)
1986
AB
Miller
Heineken
Bond Corp.
Kirin
Stroh
Elders
Groupe BSN
Coors
Brahma
Autres
Total
1995
8,8
4,8
4,4
3,2
3,1
2,8
2,1
1,9
1,9
1,9
65,2
100
AB
SAB
Heineken
Brahma
Scottish Courage
Kirin
Coors
Interbrew
Carlsberg
Modelo
Autres
Total
2003
8,8
7,8
6,1
5,1
3,1
3,1
2,8
2,7
2,4
2,1
55,9
100
AB
SABMiller
Interbrew
Heineken
Ambev
Carlsberg
S&N
Modelo
Coors
Kirin
Autres
Total
10,7
9,3
8,1
7,1
5,3
3,8
3,4
2,9
2,7
2,4
44,1
100
Sources : 1986: Impact Databank The Impact American Beer Market Review and Forecast.
1988 Edition, New York: M. Shanken Communications, 1988.; 1995 et 2003: Impact
Databank, The Global Drinks Market. Impact Databank Review and Forecast, 2004 Edition,
New York: M. Shanken Communications, 2005.
Plusieurs enseignements, outre la part toujours plus grande des principales brasseries,
peuvent être tirés du tableau 5.1 : premièrement, la stabilité de la brasserie américaine
Anheuser-Busch au sommet du classement. Profitant de son marché interne, la
brasserie occupe cette position depuis plusieurs décennies. Ensuite, une minorité de
brasseries, dominant l’industrie au milieu des années 1980, maintiennent leur position
de tête en 2003. Outre Anheuser-Busch, Heineken, Kirin et Brahma/Ambev, six des
brasseries présentes au tableau en 2003 y sont absentes en 1986. Finalement, la
consolidation est menée par des firmes de pays développés. En 1986, une seule
209
Notons que l’industrie des boissons en général n’est pas fortement concentrée, l’exception étant les
spiritueux et les boissons gazeuses: dans le premier cas, les quatre premières firmes contrôlent plus de
la moitié du marché mondial (Business Week, 08/09/2003), alors que dans le second, c’est 79% du
marché mondial que possèdent les quatre premières firmes de boissons gazeuses (Toronto Star,
17/09/2003).
154
brasserie, Brahma (Brésil) provient d’un pays en développement ; en 1995 et 2003, le
nombre passe à deux, alors que Modelo se joint au groupe.210
L’industrie brassicole est longtemps considérée comme une industrie nationale. À
partir de la seconde moitié des années 1980, s’initie le processus de globalisation.211
L’homogénéisation de plus en plus grande de la demande des consommateurs ainsi
que les changements technologiques sont reconnus parmi les plus importants facteurs
de la concentration de plusieurs industries internationales (Segal-Horn, 2002). En ce
qui concerne l’industrie brassicole internationale, la globalisation est poussée par
quatre phénomènes additionnels : la saturation/maturité des marchés des pays
développés, la nécessité de “faire du volume”, le profit et le développement des
marchés émergents à faible niveau de consommation.
Les marchés brassicoles des pays développés, après des décennies de croissance
soutenue, connaissent un ralentissement depuis le début des années 1980, alors que les
taux de croissance n’excèdent pas les 2% annuellement. Non seulement la croissance
n’est plus au rendez-vous, mais on assiste également à la stagnation puis à la
diminution progressive de la consommation per capita (tableau 5.4), à la segmentation
de plus en plus poussée et à la percée des bières importées, celles-ci occupant de 5% à
15% des parts de marché. La saturation des marchés représente un véritable problème
pour les brasseries étant donné que la principale source de croissance des brasseries
réside en l’augmentation de la production.
La nécessité de “faire du volume” constitue l’une des principales sources de profit des
brasseries. Étant donné des perspectives internes limitées, l’expansion internationale
passe par l’internationalisation, notamment l’établissement de nouvelles unités de
production à l’étranger, l’acquisition de brasseries existantes (Birmingham Post,
25/06/1999) ou l’exportation.
210
South African Breweries (SAB) occupe une place tout à fait particulière dans l’industrie : originaire
d’Afrique du Sud, l’entreprise a déplacé le contrôle administratif à Londres à la fin des années 1990.
211
Une industrie se globalise lorsque les activités à valeur ajoutée (se croisent) et se produisent dans un
nombre important, et croissant, de pays, tant développés qu’en développement. Dans une telle
industrie, les FMN intègrent, coordonnent et contrôlent ces activités transfrontalières (WIR, 1992).
155
Tableau 5.2
Region/année
Production mondiale de bière par région, 1980-2004 (en million
d’hectolitres)
1980
1985
1990
1995
2000
2004
Europe
432,1
439,8
454,0
431,5
477,9
529,7
Asie
64,3
96,0
185,6
281,7
359,4
440,7
Amérique du
276,7
278
301,3
301,0
315,8
324,9
Nord
Amérique
64,3
69,6
117,7
158,2
156,8
165,2
centrale, du Sud
et Caraïbes
Afrique
16,2
23,0
58,7
54,8
61,6
70,7
Océanie
23,3
22,7
24,4
22,3
21,1
20,9
Autres
60,9
55,8
N/A
N/A
N/A
N/A
Total
937,8
984,9
1 141,7
1 249,5
1 392,4 1 552,1
* : Les totaux peuvent différer pour cause d’arrondissement
Sources : 1980 et 1985: Brewers’ Society, Statistical Handbook. 1991 Edition, Londres:
Brewing Publications Ltd., 1991; 1990-2004: Joh Barth & Sons, The Barth Report,
Nurembourg: Joh Barth & Sons, plusieurs années.
Dans un premier temps, les brasseries multinationales pénètrent les principaux
marchés matures de la planète, accentuant du même coup la concurrence nationale.
Mais très rapidement, elles réorientent leur stratégie, visant les marchés émergents. En
effet, si le taux de croissance moyen de l’industrie brassicole internationale se situe
depuis le début des années 1990 aux environs de 3% annuellement, les principales
sources de cette croissance se trouvent dans les marchés d’Amérique latine (Mexique
et Brésil principalement), d’Europe de l’Est et d’Asie. Tel que le montre le tableau
5.2, ces trois régions montrent les plus forts taux de croissance de l’industrie.212 La
Chine, la Russie le Brésil, le Mexique et la Pologne constituent les principaux foyers
de croissance de l’industrie brassicole internationale (Impact, 2005).
212
Le cas de l’Europe est intéressant dans la mesure où les marchés d’Europe de l’Ouest sont en perte
de vitesse, alors que ceux d’Europe de l’Est croissent continuellement. En fait, la quasi totalité de la
croissance de la région provient de l’Est.
156
Tableau 5.3
Principales caractéristiques des marchés matures et émergents
Marché mature
Marché émergent
faible croissance (moins de 3%/année)
potentiel de croissance du marché important
forte segmentation
faible différenciation des produits
consommation per capita élevée (plus de 50 faible consommation per capita (- de 50
litres/an)
litres/an)
stagnation ou réduction de la consommation
Augmentation de la consommation per capita
faible croissance démographique
croissance de la population modérée ou forte
croissance des bières de type premium
importance
des
bières
de
spécialité absence
totale
ou
(microbrasseries)
microbrasseries
fort réseau de distribution
faible réseau de distribution
quasi-totale
de
Parallèlement à cette évolution de la production, on observe également des
changements en terme de consommation. D’une part, les marchés matures d’Europe
de l’Ouest et d’Amérique du Nord (Canada et États-Unis) subissent une diminution de
la consommation per capita depuis les années 1980. D’autre part, les marchés
émergents d’Amérique latine et d’Asie connaissent une augmentation de la
consommation per capita durant la même période. Le tableau 5.4 montre bien cette
double tendance selon que les marchés soient matures ou émergents. Outre l’Irlande et
l’Espagne, tous les marchés matures connaissent une baisse de la consommation
depuis 1990. Les États considérés comme émergents, la Chine, le Brésil, bien qu’ils
soient au bas de la liste, voient une forte augmentation de la consommation per capita
depuis 1990. En Chine, la consommation triple durant la période, alors qu’elle
progresse de 14,2% au Mexique et de 29,3% au Brésil. Ce double changement conduit
les brasseries à modifier leurs stratégies afin de tenir compte de cette nouvelle donnée.
157
Tableau 5.4
Consommation per capita de certains pays, 1986-2003
(en litres/an)
Pays
République Tchèque
Irlande
Allemagne
Autriche
Grande-Bretagne
Danemark
Belgique
Australie
États-Unis
Pays-Bas
Espagne
Canada
Brésil
Mexique
France
Chine
1986
133,4a
104,5
146,4b
118,5
108,1
125,8
119,8
111,3
90,8
86,0
62,0
81,9
31,6
35,0
40,4
ND
1990
179,5 a
122,8
143,1
121,5
113,2
126,5
121,0
114,0
90,0
89,9
72,0
74,8
36,8
44,4
41,2
6,0
1995
159,1
136,7
135,9
115,6
102,5
124,4
103,7
95,2
80,8
85,8
67,5
67,8
49,8
44,8
39,6
12,7
2000
161,6
146,5
127,5
107,8
97,1
102,4
98,2
89,9
80,7
82,6
71,5
67,3
48,1
50,9
36,1
17,5
2003
162,1
134,4
117,7
110,6
101,8
96,6
96,3
87,2
78,7
79,1
81,5
68,7
47,6
50,7
35,2
19,0
A : données pour la Tchécoslovaquie
B : donnée pour la République fédérale allemande
Sources: pour 1986 : NTC et Commissie Gedistilleerd, World Drink
Trends. International Beverage Alcohol Consumption and Production
Trends, Oxfordshire: NTC Publications 1990; 1990 à 2003: Impact
Databank, The Global Drinks Market. Impact Databank Review and
Forecast, 2004 Edition, New York: M. Shanken Communications, 2005.
Nulle part ailleurs retrouve-t-on ces contrastes au niveau de la consommation qu’en
Europe. En Europe de l’Ouest, la tendance générale est à la diminution de la
consommation, voire une diminution marquée dans certains cas (Allemagne,
Autriche, Danemark, Belgique et Pays-Bas). En Europe de l’Est par contre, la
tendance est plutôt à l’augmentation de la consommation, au détriment de boissons
traditionnelles telle que la vodka.
5.1.1.2
L’internationalisation des brasseries : la formation des brasseries
multinationales
Parallèlement à la transformation des marchés brassicoles, on assiste à une mutation
des brasseries. Jusqu’aux années 1980, peu de brasseries peuvent être considérées
comme multinationales au sens de la CNUCED.213 Outre les critères commerciaux et
213
Trois caractéristiques concourent à définir une firme multinationale : la détention d’actifs à
l’étranger (au moins un pays étranger), des ventes dans plusieurs pays ainsi qu’une force de travail
158
organisationnels, la définition d’une brasserie multinationale doit également prendre
en compte l’aspect stratégique.214 Outre Heineken, les brasseries ne possèdent pas ou
peu d’actifs à l’étranger et donc peu d’employés. Au niveau des ventes, elles résultent
en partie des exportations, mais également des licences de production octroyées par
les brasseries étrangères à une firme nationale. Il y a donc vente de la marque de la
firme, mais cette vente est le fait d’un tiers. En nous appuyant sur la définition de la
CNUCED et en y intégrant la particularité de l’industrie brassicole internationale,
prenant ainsi en compte l’aspect des ventes prévalant dans l’industrie jusqu’aux
années 1980, nous définissons une brasserie multinationale comme une entreprise
possédant une ou plusieurs filiales à l’étranger, vendant directement et indirectement
ses bières (à travers ses filiales ou par des accords de licence et/ou de distribution) et
dont un certain pourcentage des employés est domicilié à l’étranger.215
Le processus de multinationalisation des brasseries s’amorce donc durant les années
1980. Il répond aux mêmes critères que la globalisation de l’industrie analysés
précédemment. Les perspectives de croissance sur leur marché national étant faibles
et les économies d’échelle ayant conduit à la surproduction (Bodens et al., 2004), ces
entreprises, provenant majoritairement des pays développés à l’origine, doivent
adopter une perspective plus vaste.216 Comme il a été souligné à la section précédente,
répartie sur plusieurs pays (UNCTAD, 2004). Ces trois éléments permettent de rendre compte de
l’ensemble des activités de la firme. Si on considère que 10% constituent le plancher de propriété des
actifs, il n’existe pas un tel critère au niveau des ventes ou des employés. Le critère de globalité de
Rugman et Verbeke (2004) pallie en partie cette déficience en matière de ventes, quoiqu’il ne semble
pas correspondre à l’esprit de la définition de la CNUCED.
214
Selon le type d’internationalisation qu’elle privilégiera, transnationale, multidomestique ou globale,
la firme développera une stratégie d’internationalisation particulière. Dans cette optique, l’entreprise
doit, dans un premier temps, identifier les opportunités internationales existantes de même que les
forces internes permettant de tirer profit de ces occasions. Une analyse de type SWOT (Strengths
[forces], Weaknesses [faiblesses], Opportunities [opportunités] et Threats [menaces]) peut ainsi être
conduite pour évaluer les capacités de la firme (voir l’annexe 4 pour une analyse SWOT de l’industrie
brassicole internationale). Dans un deuxième temps, la firme établira ses objectifs d’internationalisation
(niveau de rentabilité, court terme versus long terme, monoproduit/monoactivité versus
multiproduits/multiactivités, croissance interne/développement autonome versus croissance
externe/partenariat) et adoptera une stratégie en conséquence. Finalement, vient l’étape de la mise en
œuvre, ce qui implique aussi bien les variables financière (IDE) que juridique ou logistique. En somme,
il s’agit pour l’entreprise de “renforcer sa position globale dans la compétition, par la recherche d’une
répartition de ses localisations et d’une organisation optimales de chacun des stades de sa chaîne de
valeur” (Lemaire, 1997: 10).
215
Afin de mesurer le niveau de multinationalisation des firmes à partir de ces critères, la CNUCED a
développé l’indice de transnationalisation. Un indice de transnationalisation est développé pour
l’industrie brassicole internationale, les résultats étant fournis au chapitre 7.
216
La brasserie sud-africaine South African Breweries (SAB) constitue l’exception la plus manifeste de
ce groupe.
159
la nécessité de maintenir les niveaux de profit et d’accroître les volumes de production
représentent de puissants facteurs de d’internationalisation. Pour les brasseries, la
globalisation passe avant tout par l’internationalisation de la production et des ventes.
Cela requiert donc une multiplication des accords de distribution, des licences de
production et l’établissement d’unités de production propres ou en joint-venture à
l’étranger.
Deux autres causes d’internationalisation doivent être soulignées ici : la rapidité
d’action et l’accès aux canaux de distribution. Concernant la rapidité d’action, ce
facteur joue avant tout dans le domaine des fusions/acquisitions. En effet, les
brasseries se trouvent ni plus ni moins dans une course à la croissance. Étant donné
que le nombre d’acquisitions potentielles est limité, les firmes qui procéderont aux
plus importants achats, tant au niveau stratégique, géographique ou financier
compatibles se retrouveront en meilleure position. Cette course aux acquisitions
provoque la création d’une industrie oligopolistique à l’échelle internationale, les
entreprises qui se démarqueront seront celles qui sauront se positionner rapidement et
efficacement.
L’accès aux canaux de distribution internationaux apparaît comme l’un des grands
objectifs des brasseries. La maîtrise du réseau de distribution international d’une firme
permet également d’accéder à ses réseaux nationaux. Les brasseries possédant de tels
réseaux globaux de distribution ou bénéficiant d’alliances leur permettant de se
positionner sur les marchés les plus importants de la planète posséderont un avantage
compétitif déterminant sur leurs concurrentes (Business Week, 10/06/2002).
L’acquisition de brasseries étrangères apparaît comme la solution la plus avantageuse
pour qui veut construire ce réseau de distribution mondial.
Par ailleurs, les brasseries multinationales doivent aussi s’adapter à des divisions de
marché différenciées selon les pays. Dans certains cas, le segment des bières premium
est le plus important, alors que pour d’autres pays, ce sont plutôt les bières dites
populaires qui dominent le marché. Selon les caractéristiques propres d’un pays, la
BMN adapte ses stratégies, ce qui a pour conséquence de provoquer des approches
différenciées selon les marchés. Une seconde distinction concerne le type de bière
160
dominant le marché. Alors que les bières lagers dominent la majorité des marchés
brassicoles, certains voient la pré-éminence des bières plus fortes, telles les ales alors
que d’autres sont plus diversifiés.
Bien que la globalisation de l’industrie prend son véritable envol durant les années
1980, certaines compagnies précèdent ce mouvement. C’est notamment le cas
d’Heineken, Carlsberg, Guinness et Foster’s. Étant donné la petitesse de leur marché
national respectif, ces brasseries affrontent la problématique de la croissance de la
firme avant les autres grandes BMN. Elles dépendent davantage des marchés
internationaux que de leur pays d’origine (Expansión de Madrid, 07/02/98; Canadian
Corporate News, 12/10/2000). Ces quatre firmes précèdent donc la globalisation des
années 1980-90 et bénéficient ainsi d’une expérience leur permettant d’exploiter la
nouvelle configuration internationale.217
Quels sont les autres brasseries appartenant au cercle des brasseries multinationales?
Voici un bref survol de certaines compagnies que nous qualifions de BMN.
* Interbrew/Inbev
Interbrew est une brasserie belge née en 1987 de la fusion de deux brasseries, Artois
et Piedboeuf. Lors de sa formation, cette brasserie occupe la 19ème position à l’échelle
mondiale. À partir du début des années 1990, l’entreprise entreprend de
s’internationaliser. Ce processus débute en Europe centrale et orientale puis s’étend au
Canada, où la firme acquiert la brasserie Labatt, la seconde brasserie canadienne en
importance. Cette acquisition double le volume de vente d’Interbrew et permet à
l’entreprise de se positionner internationalement. En 1997, la firme pénètre en Chine
et accélère son expansion dans le pays au cours des années subséquentes.
Entre 1991 et 2000, la brasserie belge procède à une trentaine d’acquisitions partout à
travers le monde. Afin de profiter au maximum de son expansion internationale et
d’avoir accès à davantage de ressources financières, Interbrew devient une compagnie
publique en 2000. Jusqu’en 2004, l’entreprise poursuit son internationalisation, ses
217
Toutefois, leur internationalisation ne procède pas de manière identique. Si les quatre brasseries
exportent leurs bières sur plusieurs marchés internationaux, seule Heineken avait développé une
stratégie intégrée comprenant des IDE, des exportations et des accords de coopération.
161
deux principales opérations étant l’acquisition de la brasserie anglaise Bass en 2001 et
la fusion avec la brasserie brésilienne Ambev en 2004. Cette dernière transaction
permet à la firme d’occuper le premier rang mondial en terme de volume (tableau
5.5). La fusion entraîne également un changement de nom de l’entreprise, Inbev,
reflétant ainsi l’importance des deux unités centrales de celle-ci.218
* Anheuser-Busch (AB)
Pendant plusieurs décennies, jusqu’à la fusion Interbrew-Ambev, la brasserie
américaine Anheuseur-Busch demeure la plus grande brasserie au monde en terme de
volume de production. Sa position s’explique avant tout par sa domination du marché
américain. Elle détient environ 50% de ce marché, mais ne connaît pas le même
succès sur les marchés étrangers. En comparaison, Heineken, la quatrième brasserie
en terme de volume, vend trois fois plus de bières sur les marchés internationaux
qu’Anheuseur-Busch, bien que cette dernière soit présente dans plus de 80 pays
(SLPD, 19/02/2001). Contrairement aux principales BMN, Anheuseur-Busch réalise
la presque totalité de ses ventes aux États-Unis.
L’entreprise possède les deux marques les plus vendues au monde, Budweiser et Bud
Light, mais jusqu’à maintenant celles-ci ne peuvent être considérées comme des
marques globales (cf. 7.1.3.4). Ce n’est qu’au cours des années 1990 toutefois, après
quelques accords de licence et l’exportation de Budweiser, que la firme entreprend
véritablement son internationalisation. Celle-ci passe avant tout par des prises de
participation limitées au sein de plusieurs brasseries à travers le monde, la première
étant Grupo Modelo, une augmentation des accords de licence et par la suite,
l’exploitation d’usines propres (cette stratégie étant tout de même limitée à deux
brasseries).
Anheuseur-Busch reste consciente de l’importance de l’internationalisation mais
maintient sa stratégie d’un développement international contrôlé pour l’instant. Ses
liquidités imposantes, sa domination du marché américain de même que la
218
Dans la suite de cette étude, nous utiliserons principalement le nom d’Interbrew, sauf lorsqu’il
s’avèrera nécessaire de référer à Inbev.
162
participation qu’elle conserve au sein de plusieurs des plus importantes brasseries
nationales au monde lui permettent d’attendre les meilleures occasions d’achat.
* Heineken
La majorité des spécialistes de l’industrie brassicole internationale reconnaît
qu’Heineken constitue la brasserie la plus globalisée du monde (BW, 01/10/95;
Business Week, 08/09/2003; Koster, 2004). La globalisation actuelle de l’industrie
n’est donc pas une nouveauté pour l’entreprise. Il s’agirait en fait de la troisième
phase dans l’internationalisation de la firme (BW, 01/10/95). La première phase
s’étend de 1863 à la fin des années 1960. Au cours de cette période, Heineken débute
ses exportations dans les colonies hollandaises puis aux États-Unis après la fin de la
Prohibition. L’entreprise noue ses premiers accords de licence en plus de réaliser des
investissements mineurs dans certaines brasseries étrangères.
La seconde phase va de la fin des années 1960 au début des années 1990. Durant cette
période, Heineken accroît sa présence sur les marchés ouest-européens à travers des
acquisitions et l’exportation tout en poursuivant son expansion sur les marchés
internationaux. Elle double sa production entre 1980 et 1990, celle-ci passant de 14 à
28 millions d’hectolitres (BW, 01/10/95). La troisième phase, amorcée au début des
années 1990, se caractérise par l’extension de la présence de la compagnie à
l’ensemble de la planète, avec une attention particulière aux marchés émergents
d’Europe centrale et orientale, d’Asie et d’Amérique latine. Outre les nombreux
accords de distribution et de licence, l’entreprise possède en totalité ou en partie plus
de 115 brasseries dans 65 pays (Heineken, RA 2003).
* SABMiller (South African Breweries-Miller)
SABMiller est une brasserie d’origine sud-africaine, l’unique BMN provenant d’un
pays en développement ou d’un marché n’étant pas considéré comme mature. C’est à
partir de la fin de l’Apartheid en 1994 que South African Breweries (SAB) initie son
internationalisation. Cette première phase se concentrera principalement sur les
marchés émergents. L’expérience que possède la firme de tels marchés pousse celle-ci
à privilégier l’Afrique, l’Europe de l’Est et l’Asie (SAB, RA 1998).
163
En 1999, la brasserie déménage son centre décisionnel à Londres. Cette décision a
pour but de rapprocher l’entreprise des principaux centres financiers et d’ainsi
améliorer l’accès aux capitaux internationaux en vue d’acquisitions futures (SAB, RA
1999). La firme poursuit son expansion, toujours dans les marchés émergents,
étendant sa présence géographique à l’Amérique centrale. En 2002, SAB pénètre un
marché mature pour la première fois et procède à sa plus importante acquisition : la
brasserie américaine Miller,219 la seconde brasserie en importance aux États-Unis. La
firme change alors de nom et devient SABMiller.
L’achat de Miller permet à SAB de diversifier ses sources de revenus et de bénéficier
d’une devise forte, le dollar américain. SAB est ainsi passée d’une brasserie sudafricaine, puis africaine à une brasserie globale. Depuis 2002, la compagnie poursuit
sa stratégie d’acquisition de brasseries dans des marchés émergents ; elle possède des
usines dans plus d’une vingtaine de pays et des accords de licence et/ou de
distribution dans plusieurs autres (SABMiller, RA 2003).
* Coors et Scottish & Newcastle (S&N)
Coors (É-U) et Scottisch & Newcastle (G.B) constituent les deux autres firmes
participant activement à la consolidation de l’industrie à l’échelle internationale.
Comparativement aux firmes présentées précédemment, ces deux entreprises
apparaissent tardivement dans l’arène de la globalisation. Par ailleurs, leurs activités
demeurent encore principalement centrées sur des marchés matures, bien que S&N ait
davantage diversifié sa présence géographique que Coors.
S&N initie sa croissance sur son propre marché. En 1996, la firme acquiert la
brasserie Courage, alors que le marché anglais se trouve en pleine restructuration. La
fin de la décennie 1990 voit l’expansion de la firme sur le continent européen,
premièrement en Europe de l’Ouest, puis en Finlande. Cette dernière acquisition
facilite la poussée de S&N en Europe centrale et orientale et en Russie par la suite.
Outre l’Europe continentale, la brasserie entreprend de percer le marché indien, où, en
compagnie de SABMiller, elle mène la consolidation de l’industrie brassicole
indienne.
219
Une transaction évaluée à 4,993 milliards de dollars (SAB, RA 2003).
164
Jusqu’en 2001, Coors reste confinée au marché américain. Outre un accord de licence
avec la brasserie canadienne Molson, l’entreprise demeure plutôt absente de l’arène
internationale. En février 2002, toutefois, Coors acquiert la brasserie anglaise Carling
de la belge Interbrew, doublant du même coup sa taille.220 Deux ans plus tard, en
juillet 2004, l’entreprise annonce sa fusion avec la brasserie Molson, une opération
qui ne sera complétée qu’en janvier 2005.
Ainsi, nous assistons à la constitution d’une industrie à la fois nationale et globale.
Les marchés nationaux demeurent importants, alors que se constituent quelques
grandes brasseries multinationales: SABMiller, Heineken, Interbrew, Carlsberg, S&N,
et dans une moindre mesure, Anheuseur-Busch et Coors. Il est à noter que la majorité
des firmes qui émergent de ce processus de consolidation ne dominaient pas
l’industrie brassicole internationale au milieu des années 1980. Comme le montre le
tableau 5.5, parmi les cinq premières BMN en 2004, seules Anheuseur-Busch et
Heineken, faisaient partie des dix premières brasseries au monde en 1986.
Tableau 5.5
Classement des principales BMN par volume (millions d’hl)
Compagnie
Inbev (19)
SABMiller (12)
Anheuseur-Busch (1)
Heineken (3)
Carlsberg (13)
S&N (36)
Coors (9)
1986
13,0
14,3
85,3
42,1
15,8
5,0
18,5
1998
38,6
46,8
117,1
83,1
33,0
17,0
24.9
2000
76
62.1
123.9
97.9
39.8
36.3
27.0
2002
102
111.1
128.8
108.9
78.6
n/a
37.3
2003
120
115.8
130.3
109.0
81.4
48.2
38.4
2004
233.5
137.8
137.1
112.6
92.0
50.4
38.4
Entre parenthèses : la position de la brasserie en 1986
Sources : Impact Databank, The Impact American Beer Market Review and
Forecast. 1988 Edition, New York: M. Shanken, 1988; Beer Marketer’s Insight,
2002 Beer Industry Update. A Review of Recent Developments, West Nyack,
New York : Beer Marketer’s Insights, 2002; Rapports annuels des compagnies
L’une des particularités que fait ressortir ce tableau est l’absence des brasseries
japonaise, allemande ou chinoise dans ce mouvement de globalisation des brasseries.
Cet état de fait apparaît pour le moins surprenant dans la mesure où il s’agissait des
deuxième, troisième et quatrième marchés brassicoles en 1990 (Tableau 5.6) et qu’ils
220
La brasserie belge avait été forcée par les autorités anglaises de la concurrence de vendre une partie
de ses actifs en Grande-Bretagne suite à l’acquisition de Bass en 2000. Coors déboursa environ 1,7
milliard de dollars pour cette acquisition (Coors, SEC 2002).
165
demeurent encore parmi les plus importants en 2003. Toutefois, comme nous le
verrons dans la section suivante, ces absences s’expliquent soit par les stratégies de
diversification des brasseries (au Japon) ou par une industrie extrêmement fragmentée
(Chine et Allemagne), d’où l’absence d’une brasserie dominante.
5.1.2
Concentration nationale et internationale accrue
5.1.2.1 Réduction des brasseries…
Parallèlement à la globalisation des BMN, on assiste aussi à la consolidation et à la
concentration aux niveaux national et international. Paradoxalement, ces deux
processus s’inscrivent dans un mouvement d’ouverture des marchés nationaux et de
réduction des barrières tarifaires auxquelles font face les brasseries (BW, 01/11/92).
Alors que le nombre de brasseries majeures sur les marchés nationaux se réduit, la
variété et l’offre de marques croissent de manière importante. Cela s’explique par le
fait que les brasseries nouent de plus en plus d’accords de distribution internationaux.
La majorité des marchés nationaux se caractérise soit par un monopole ou un
oligopole effectif. Généralement, de deux à quatre brasseries contrôlent 80% ou plus
de la production nationale. Dans les pays d’Amérique latine, jusqu’au début des
années 2000, les marchés nationaux étaient le plus souvent dominés par une grande
brasserie ; en Amérique du Nord, c’est plutôt le duopole la forme d’organisation
dominante, sauf aux États-Unis où trois brasseries se partagent environ 80% du
marché national. En Europe, la situation est moins limpide puisque plusieurs pays
présentent
une
structure
concurrentielle
plus
ouverte,
les
marchés
plus
oligopolistiques se trouvant surtout en Europe du Nord. En Asie, malgré deux grands
marchés encore marqués par une relative ouverture, l’Inde et la Chine, la plupart des
pays correspondent à une structure oligopolistique ou monopolistique.
Quatre marchés illustrent l’évolution de la consolidation et de la concentration
nationale : l’Australie, le Japon, le Brésil et la Grande-Bretagne. En Australie, le
mouvement de consolidation a amené les brasseries Carlton and United Breweries et
Lion Nathan (une compagnie néo-zélandaise) à contrôler plus de 95% du marché
national (BW, 09/01/1993). Bien que le marché soit un duopole, une intense
166
concurrence se déroule entre les deux entreprises, conduisant à de nombreuses
innovations. En outre, la baisse de la consommation per capita (tableau 5.4),
combinée à la saturation du marché, force les deux brasseries à rechercher de
nouveaux débouchés, la Chine apparaissant comme la cible toute naturelle.
Dans le cas du Japon, l’industrie est un véritable oligopole, alors que quatre grandes
brasseries, Kirin, Asahi, Sapporo et Suntory, dominent le marché depuis les années
1960. Le marché japonais est divisé en deux produits : la bière et le happoshu, une
boisson à plus faible teneur en malt.221 Le Japon représente le meilleur cas où
l’innovation entraîne de profonds bouleversements sur un marché national, et par la
suite, sur les marchés internationaux. En effet, jusqu’à la fin des années 1980, Kirin
domine le marché japonais, avec plus de 50% des ventes totales. Mais en 1987,
Ashahi lance la première bière Dry, la Super Dry. Grâce à cette innovation, Ashahi
brise la domination de Kirin durant les années 1990, prenant du même coup le
leadership de l’industrie.
222-223
Jusqu’en 2003, la bière traditionnelle domine le
marché ; mais en 2003, le happoshu surpassa la bière.224
Jusqu’aux années 1990, la concurrence ne se base pas sur les prix, ceux-ci étant fixés
par le gouvernement (Craig, 1996). Les brasseries doivent donc se démarquer par la
qualité et la variété de leurs produits, la présentation ou des promotions ponctuelles
(Forbes, 18/04/1988). Cette particularité explique le caractère extrêmement innovant
de l’industrie brassicole japonaise, les brasseries se retrouvant en situation
d’hypercompétition (Craig, 1996). Dans cette logique, les brasseries japonaises
développent sans cesse de nouveaux produits, augmentant sensiblement le portefeuille
221
Brewers Association of Japan, <http://www.brewers.or.jp/english/05-differ.html>, accès le 13 avril
2004.
222
Kirin, dans une situation qui illustre bien la nature très concurrentielle de l’industrie brassicole, tant
à l’échelle nationale qu’internationale, a perdu son leadership car elle n’a pas su s’adapter aux
changements socio-culturels du Japon au cours des années 1980 et qu’elle n’a pas su répondre assez
rapidement aux innovations qu’introduisaient ses concurrentes, particulièrement Asahi (Forbes,
18/04/1988).
223
En 1998, les parts de marché s’établissaient comme suit : Asahi, 39,5% ; Kirin, 38,4% ; Sapporo,
16%; Suntory, 8,6% (Grocer, 23/01/1999).
224
On explique généralement la hausse de la popularité du happoshu par la plus faible taxation à
laquelle était soumise cette boisson : elle se vendait généralement aux 2/3 du prix des bières.
Cependant, la réforme de 2003 élimine cet avantage fiscal. On prévoit que la croissance de ce segment
devrait ralentir au cours des prochaines années (USDA, 2004).
167
de marques des firmes (Craig, 1996; Chanoki, 2003).225 En outre, les brasseurs
japonais sont confrontés à la stagnation de la consommation nationale : jusqu’en
1995, la consommation per capita augmente presque continuellement, atteignant 58
litres. À partir de 1996, on observe une certaine tendance à la baisse, la consommation
se stabilisant autour de 56 litres (ABC, 1997; Chanoki, 2003).
Le Brésil représente un bon exemple de marché émergent. Jusqu’au milieu des années
1990, ce marché est dominé par un oligopole de trois firmes, les brasseries Brahma,
Antartica et Kaiser226, la fin des années 1990 voit la constitution d’un géant national,
AmBev. Dans la logique de création d’un champion national, les autorités de la
concurrence brésiliennes acceptent la fusion de Brahma et d’Antartica, créant ainsi
l’une des plus grandes brasseries à l’échelle internationale.227 La consolidation se
poursuit avec l’achat de la brasserie Kaiser puis de la marque Bavaria par la brasserie
canadienne Molson. Bien qu’au début des années 2000 l’industrie demeure dominée
par trois brasseries (Ambev, Kaiser et Shincariol, représentant plus de 98% du marché
national), la concentration s’est accélérée. La firme dominante, AmBev, contrôle bon
an mal an environ 70% du marché national, alors que les parts de marché de Brahma,
la première brasserie brésilienne à l’époque, ne dépassaient pas 52% au début des
années 1990 (Brahma, 20F 1998-2003).
Malgré la relative fermeture du marché brésilien aux bières importées, il suscite tout
de même un grand intérêt de la part des BMN. La taille de la population brésilienne
ainsi que l’augmentation constante de la consommation justifient l’attrait de ce
225
Chanoki souligne d’ailleurs que cette offre constante de nouveaux produits, bien qu’ils aient une
courte durée de vie (d’un à trois ans) constitue une forte barrière à l’entrée dans l’industrie étant donné
que les brasseries étrangères ne peuvent investir les sommes requises en marketing (Chanoki, 2003).
226
À elles trois, ces brasseries représentaient 98% du marché brésilien de la bière en 1991 (Brahma,
20F 1998).
227
En avril 2000, le Conselho Administrativo de Defesa Econômica (CADE), l’autorité de la
concurrence brésilienne, accepta la fusion des deux brasseries. Plusieurs conditions furent imposées à
la nouvelle entité, parmi lesquelles: la vente de la marque Bavaria et de brasseries situées dans diverses
régions du pays ; le partage de son réseau de distribution avec d’autres brasseries dans cinq régions du
pays durant 4 ans; l’obligation de vendre n’importe quelle brasserie aux enchères avant une quelconque
fermeture, et ce, durant 4 ans ; le reclassement des employés au sein de l’entreprise au lieu de leur
renvoi (pendant une période de 5 ans) et la non-exclusivité de la vente des produits d’AmBev aux
points de vente (Brahma, 20F 2000).
168
pays.228 Entre 1993 et 1998, le marché brésilien croît à un taux annuel de 10% avec
une consommation per capita de 49,2 litres, ce qui est encore loin des principaux pays
consommateurs de bière (Brahma, 20F 1999).
La Grande-Bretagne constitue l’une des principales industries brassicoles de la
planète. Jusqu'à la fin des années 1980, l’industrie brassicole anglaise est à la fois
concentrée et éclatée.229 La Commission des monopoles et fusions (Monopolies and
Merger Commission), dans le rapport The Supply of Beer (1989) note la nature
hautement intégrée de l’industrie, l’existence d’un “monopole complexe” et les
limites que cela pose à la concurrence. Afin de remédier à cette situation, la
Commission recommande certains changements structurels majeurs.230
Alors que les Beer Orders de 1989 visent à freiner la concentration verticale de
l’industrie, elles contribuent, paradoxalement, à l’augmentation de la concentration
des brasseries et de la production.231 Depuis le début des années 1990, deux tendances
participent à la consolidation. D’une part, deux des six grandes brasseries
disparaissent de l’industrie, Whitbread se concentrant dans la gestion des lieux de
consommation et Courage étant acquise par Scottish & Newcastle. D’autre part, on
assiste à une plus grande présence des BMN, notamment Interbrew et Coors. En 2000,
sur une période de deux mois, Interbrew achète Whitbread et Bass.232 En 2001, la
228
Les deux principales barrières à l’entrée sont les coûts relatifs au marketing et le développement
d’un réseau de distribution national. Outre l’entrée directe de Molson, plusieurs BMN ont noué des
alliances stratégiques avec les brasseries brésiliennes durant les années 1990 (cf. chap. 8).
229
L’organisation de l’industrie brassicole anglaise, caractérisée par le contrôle des public houses, les
bars et autres lieux de consommation sur place par les brasseries et la consommation sur place (85% de
la consommation à l’époque) demeurait très majoritairement sous le contrôle des brasseries. Cette
intégration verticale de l’industrie était renforcée par le fait que six des 200 brasseries nationales
(Allied, Bass, Courage, Grand Metropolitan, Scottish & Newcastle et Whitbread), contrôlaient 75% de
la production et 74% des public houses.
230
Parmi les principales recommandations, notons les suivantes : la limitation à 2000 le nombre
maximum de public houses qu’une brasserie pouvait contrôler ; l’interdiction pour les brasseries de
conditionner la vente des public houses sous leur contrôle à la vente de leurs bières ; l’élimination des
prêts aux public houses ; la possibilité pour les tenanciers de bar d’acheter au moins une marque de
bière n’appartenant pas à la brasserie propriétaire du bar (Monopolies and Merger Commission, 1989).
231
Les brasseries anglaises s’étaient fortement diversifiées dans d’autres secteurs depuis les années
1960. Suite au rapport de 1989, deux des six grandes firmes quittèrent l’industrie brassicole. Selon
l’analyse des entreprises, la gestion des pubs et autres lieux de consommation était plus profitable que
le brassage de la bière. En outre, l’un des obstacles majeurs à la concentration de l’industrie avait
toujours été l’opposition des autorités de la concurrence à ce qu’une entité puisse avoir une position
dominante sur le marché (Lewis, 2001).
232
Dans un premier temps, la Monopolies and Merger Commission refusa l’achat de Bass, arguant que
cette transaction mènerait à un duopole Interbrew- Scottish & Newcastle, limitant ainsi la concurrence
169
brasserie américaine Coors acquiert la brasserie Carling d’Interbrew, cette dernière
ayant été obligée de fractionner la brasserie Bass. En 2003, les quatre principales
brasseries, Interbrew UK, Scottish & Newcastle, Carlsberg UK et Coors UK
contrôlent 78,3% du marché anglais (Interbrew, RA 2003; Coors, 10-K 2004; S&N,
RA 2003; Koster, 2004).
Par ailleurs, l’évolution de la consommation a également contribué à transformer
l’industrie brassicole anglaise. En effet, tout comme dans la majorité des pays
d’Europe, la consommation per capita a chuté durant les années 1990, bien que les
Britanniques demeurent parmi les plus grands consommateurs au monde. Si la
consommation diminue, le type de bières consommées change également.
Traditionnellement, le marché anglais était dominé par les bières de type ale et stout.
Le développement des méga-brasseries, combiné aux stratégies internationales de ces
dernières, a favorisé la croissance des bières lager, celles-ci accaparant plus des deuxtiers du marché (Lewis, 2001).
5.1.2.2 …mais le rythme n’est pas le même selon les régions et pays du monde
Alors que la concentration des industries brassicoles s’est accélérée dans plusieurs
pays, la vitesse de cette consolidation n’est pas la même dans les diverses régions de
la planète. Les causes de ces disparités sont à trouver dans les stratégies des
entreprises (Larimo, Marinov et Marinova, 2004), dans le potentiel de croissance et la
structure des marchés (Heijbroek, de Schutter et Boon, 1996; Koster, 2003), dans
l’évolution des goûts des consommateurs, dans les privatisations en Europe centrale et
orientale et surtout dans l’ouverture du marché chinois (Lewis, 2001; Chinese
Markets for Beer, 01/01/2003). Autrement dit, la consolidation dépend fortement de
l’attractivité des marchés (Myers et Sarkar, 2002).233 Alors qu’en Europe de l’Ouest la
(Monopolies and Merger Commission, 2001). La décision fut toutefois renversée et l’acquisition fut
confirmée avec obligation pour Interbrew de se départir de certaines parties de Bass.
233
Myers et Sarkar définissent l’attractivité des marchés comme la combinaison du potentiel dudit
marché, l’environnement des affaires, l’environnement concurrentiel, la disponibilité des ressources et
l’existence de synergies avec le marché mondial. Le potentiel du marché renvoie à la taille du marché,
son potentiel de croissance et les préférences des consommateurs. L’environnement des affaires touche
à tout ce qui concerne les aspects externes à l’entreprise, notamment la stabilité économique et
l’activité gouvernementale. Cet aspect influence grandement la capacité de la firme à mener ses projets
à bien. Le climat concurrentiel tient non seulement à la présence de firmes nationales, mais aussi et
surtout internationales, sur un marché donné. La disponibilité des marchés ne tient pas uniquement aux
ressources nécessaires à la production de la bière, mais aussi aux infrastructures (routes, ports,
170
consolidation se poursuit à un rythme soutenu, elle semble plus lente en Europe
centrale et orientale et en Asie. En Amérique latine, le processus se poursuit sur une
base régionale et est mené par AmBev.
En Europe de l’Ouest et du Nord, les principaux marchés de la région se sont
rapidement consolidés durant les années 1990. Sous l’impulsion de quatre brasseries
européennes, Scottish & Newcastle, Interbrew, Heineken et Carlsberg, ces marchés
sont de plus en plus intégrés. De multiples accords croisés de licence, de production et
de distribution facilitent cette évolution. Le mouvement s’est d’abord amorcé en
Belgique et aux Pays-Bas à partir de la seconde moitié des années 1980, alors que
l’étroitesse
des
marchés
locaux
pousse
les
brasseries
à
accélérer
leur
internationalisation.234
Si l’Europe de l’Ouest dans son ensemble connaît une rapide intégration de l’industrie
brassicole, l’Allemagne demeure une exception majeure. Plus important marché du
continent, l’industrie brassicole allemande se caractérise par sa très grande
fragmentation, la petite taille des brasseries, la variété de l’offre235 et une très forte
consommation per capita. Cette consommation est toutefois en baisse : entre 1990 et
2003, la consommation per capita a diminué de 17,7% (tableau 5.4). Les brasseries
allemandes font face à un dilemme : d’une part, la population vieillit et de l’autre, les
brasseries ne possèdent ni la taille ni les ressources financières requises afin de
pleinement participer à la consolidation internationale et nationale (Time
International, 11/08/2003).
électricité, etc.) en place dans les marchés cibles. L’existence de synergies avec le marché mondial
renvoie à la possibilité pour la firme d’intégrer sa présence dans un nouveau marché avec l’ensemble
de ses activités à l’échelle globale. Autrement dit, la firme cherchera à intégrer la nouvelle entité dans
une chaîne de valeurs globale (Myers et Sarkar, 2002).
234
Dans le cas belge, cette internationalisation est d’autant plus surprenante car, contrairement aux
principaux pays d’Europe de l’Ouest, la quasi-totalité des brasseries étaient de propriété familiale
(Cincinnati Post, 20/05/1997).
235
Jusqu’en 1987, l’industrie brassicole allemande était régie par la Reinheitsgebot, la loi sur la pureté
de la bière (édictée en 1516). Cette législation stipulait que la bière consommée en Allemagne ne devait
contenir que trois ingrédients : le malt d’orge, le houblon et l’eau (un quatrième ingrédient, la levure,
fut ajouté après la Deuxième Guerre mondiale). En 1987, la Cour de justice européenne jugea que cette
loi constituait un frein à la concurrence ; toutefois, la très grande majorité des brasseries allemandes
respecte cette tradition de brassage. En 2001, on dénombrait 1297 brasseries en Allemagne, environ
trois fois plus que la Grande-Bretagne. En outre, la taille de ces brasseries, en terme d’employés par
brasserie, est largement inférieure aux autres pays d’Europe de l’Ouest (Brewers of Europe, 2002).
171
Le processus de consolidation et d’intégration de l’industrie allemande à l’industrie
brassicole européenne débute durant la seconde moitié des années 1990.
Contrairement aux brasseries belges et hollandaises, les brasseries allemandes
répondent à la crise de croissance par des réductions de prix et une approche
nettement localisée. Compte-tenu de la faiblesse financière des brasseries allemandes,
ce sont des BMN étrangères, Heineken, Interbrew et Carlsberg notamment, qui
profitent de la situation. Elles impulsent les regroupements en procédant aux plus
importantes acquisitions.236 L’industrie allemande s’oriente vers une structure avec
peu de grandes brasseries (sous contrôle étranger), quelques brasseries de taille
moyenne et un grand nombre de microbrasseries.237-238
En Europe centrale et orientale, là aussi, les grandes BMN européennes, de même
SABMiller, mènent la consolidation. Contrairement à l’Europe de l’Ouest cependant,
les marchés de la région sont en pleine croissance.239 Les niveaux de consommation
per capita, à l’exception de la République Tchèque, demeurent relativement faibles,
laissant une importante marge de progression. La région renferme les deux pays ayant
connu la plus forte croissance depuis le milieu des années 1990 : la Russie et la
Pologne (Koster, 2004).
En Amérique latine, la consolidation s’effectue en trois phases, deux concernant les
brasseries sud-américaines et la troisième impliquant les grandes BMN. Durant la
première partie des années 1990, la brasserie brésilienne Brahma entreprend une
première incursion en Amérique latine en investissant au Venezuela et en Argentine,
les deux plus importants marchés d’Amérique du Sud hors Brésil. La brasserie
chilienne CCU pénètre en Argentine ; Quilmes, la principale brasserie argentine,
investit également dans la région (BW, 01/03/1996). Après une pause au milieu de la
236
La variété des bières disponibles faisant en sorte que la stratégie de marques globales ne puisse
fonctionner en Allemagne, les BMN se trouvent dans l’obligation d’acheter les brasseries allemandes
afin de pénétrer ce marché et de s’assurer une position dominante.
237
Les brasseries de taille moyenne, celles produisant entre 5000 et 10 000 hl, sont condamnées à faire
les frais de la consolidation, soit en étant rachetées ou en fermant. Elles se trouvent en effet prises dans
la position de ne pas être suffisamment grandes pour livrer la bataille du volume, ni d’être des
microbrasseries se positionnant dans des niches spécialisées.
238
Ce sont les grandes brasseries européennes, notamment Heineken et Interbrew, et dans une moindre
mesure Carlsberg, qui profitent de cette consolidation, un processus qui devrait durer une vingtaine
d’années (Koster, 2003).
239
Koster (2004) note que depuis 1991, la croissance de l’industrie brassicole, sur le continent
européen, résulte presque exclusivement de la progression en Europe centrale et orientale.
172
décennie, les brasseries de la région renouent avec les acquisitions à partir de la fin
des années 1990 : Quilmes poursuit son expansion en Amérique du Sud. Elle est par
la suite rachetée par AmBev. Le conglomérat vénézuélien, propriétaire de Cervecería
Regional pénètre le marché péruvien, tout comme son concurrent vénézuélien
Cervecería Polar.240
Entre ces deux périodes, on observe l’amorce d’une présence des BMN dans la
région. Jusqu’au milieu des années 1990, Heineken demeurait l’unique brasserie
internationale présente en Amérique du Sud. Par la suite, les brasseries nordaméricaines Anheuseur-Busch et Miller y nouent des alliances stratégiques ou y
établissent des unités de production. Vers la fin des années 1990, l’implication des
BMN s’accélère. La brasserie canadienne Molson acquiert la brasserie brésilienne
Kaiser en 2002.241 Deux autres brasseries jouent également un rôle important en
Amérique latine : SABMiller et Interbrew. Si l’implication de cette dernière était
mineure dans cette zone durant les années 1990 et au début des années 2000, elle
remédia à la situation en 2004 en fusionnant avec Ambev. 242 SABMiller, pour sa part,
s’est concentrée sur l’Amérique centrale, acquérant les brasseries Cervecería
Hondureña (Honduras) et Industrias La Constancia (El Salvador).
Bien que la production brassicole latino-américaine, hors Brésil, demeure faible
comparativement aux autres régions (Koster, 2003 et tableau 5.1), les perspectives de
croissance attirent un nombre plus important de brasseries qu’en Europe de l’Ouest.243
La participation des brasseries nord-américaines en Amérique latine augmente le
nombre de BMN impliquées dans cette concurrence. En outre, le faible niveau de
240
Dans les deux cas, il s’agit d’acquisitions d’actions de la même brasserie, Backus & Johnston, mais
à trois années d’intervalle (Latin Finance, décembre 2002).
241
Parmi les causes ayant poussé les brasseries nord-américaines à pénétrer les marchés latinoaméricains, Beverage World note que l’ALENA a joué un rôle majeur. L’Accord montrait les
avantages possibles à se positionner dans ces marchés, ce qui ne manquerait pas d’attirer l’attention des
BMN (BW, 01/03/1996).
242
Avant la fusion avec Ambev, Interbrew possédait un accord de coentreprises au Venezuela et une
participation au sein d’une brasserie cubaine (BW, 15/06/2004).
243
Dans les faits, la production croît plus faiblement en Amérique latine, en ne tenant pas compte du
Brésil, que dans les autres régions de la planète. Entre 1998 et 2005, la production a crû de 9,1%, alors
qu’elle s’élève à 9,5% en Amérique du Nord, 11,7% pour l’Europe et 15% pour l’Asie. Seule l’Océanie
connaît une croissance plus faible, avec un taux de 7,2% (ANAFACER, 2004b).
173
consommation per capita244, conjugué à la jeunesse des populations latinoaméricaines et à la multiplication d’accords commerciaux, laissent croire aux
brasseurs que le potentiel de croissance de cette industrie dans la région mérite qu’ils
y accordent une attention particulière (BW, 15/06/2004). La consolidation en
Amérique latine a la particularité de se dérouler à un double niveau : d’une part, les
plus importantes brasseries latino-américaines se positionnent en procédant à des
acquisitions afin d’améliorer leur profil. Ainsi, elles espèrent, d’autre part, être assez
intéressantes afin de susciter des offres d’achat de la part des BMN (Latin Finance,
décembre 2002; BW, 15/06/2004).
En Asie, les marchés nationaux se caractérisent principalement par leur structure
oligopolistique et la faible consommation per capita. Deux marchés retiendront ici
notre attention : l’Inde et la Chine. Bien que les marchés indien et chinois se
ressemblent en termes de fragmentation et de croissance, les similitudes s’arrêtent là.
En effet, malgré une population avoisinant le milliard d’habitants, le marché
brassicole indien demeure minuscule. La production totale de l’Inde s’élève à environ
7 millions d’hl en 2004, alors que la consommation per capita s’établit à environ 0,7
litre/an. Toutefois, on observe une augmentation moyenne de 9% de la consommation
entre 1999 et 2004,245 ce qui en fait un marché potentiellement attirant pour les BMN.
En outre, deux brasseries d’importance, S&N et SABMiller montrent un intérêt
particulier pour ce marché depuis la fin des années 1990.
En ce qui concerne la Chine, depuis le milieu des années 1990, elle constitue le
principal lieu de la globalisation de l’industrie brassicole internationale. Avec 17,4%
de la production mondiale en 2003 (tableau 5.6), la Chine est devenue le premier
marché mondial, surpassant les États-Unis.246 La taille du marché chinois, tant en
termes de production que de consommateurs, les faibles coûts des matières premières
ainsi que de la main d’œuvre représentent les principaux facteurs explicatifs du fort
244
Outre le Venezuela, avec une consommation per capita oscillant autour de 70 litres/an durant les
années 1990, aucun autre pays d’Amérique latine ne surpasse les 50 litres/personne. Durant cette
période, seul le Brésil présente une consommation per capita s’approchant des 50 litres/an (Impact,
2005).
245
<http://www.scottish-newcastle.com/sn/media/pressreleases/pr2004/2004-12-19/> accès 25 janvier
2005.
246
En 1979, la production chinoise s’élevait à 3,8 millions d’hectolitres. En 2002, la Chine produisait
239 millions d’hectolitres (Chinese Markets for Beer, 01/01/2003; BW, 15/02/2004).
174
intérêt des brasseries multinationales pour ce marché. Jusqu’au début des années
1990, et bien qu’elle représente 6,2% du marché mondial, la Chine constitue un
marché mineur. Les BMN y sont largement absentes et le maintien des contrôles
gouvernementaux favorisent l’existence de centaines de brasseries déficitaires et
inefficaces. À partir du début des années 1990, toutefois, le relâchement des contrôles
gouvernementaux et la privatisation totale ou partielle de nombreuses brasseries
permet à l’industrie d’entrer dans sa quatrième phase, celle de la consolidation et de
l’entrée des BMN.247
Les débuts de cette phase ne sont toutefois pas couronnés de succès pour les BMN.248
Afin de pénétrer le marché chinois, celles-ci utilisent une gamme variée de stratégies
(investissements de portefeuille, investissements directs, alliances stratégiques, jointventures ou exportation), bien que l’investissement de portefeuille constitue la forme
préférée de prime abord. Malgré de forts investissements et l’allocation d’importantes
ressources humaines et technologiques, les BMN ne parviennent pas à s’accaparer
d’une part significative du marché national, celui-ci demeurant très fragmenté. La
stratégie d’investissement créatif (greenfield investment), de production et de vente de
bières de catégorie premium ayant montré ses limites, les BMN modifient leur
approche en privilégiant les alliances stratégiques et les acquisitions de brasseries
existantes.
La structure du marché brassicole chinois demeure marquée par une forte présence
des divers niveaux de gouvernement, tant en termes de propriété que de
réglementation.249 L’ouverture du capital des brasseries aux firmes étrangères est
encouragée par le gouvernement chinois car elle permet l’accès aux technologies de
pointe des BMN, réduisant ainsi l’écart technologique avec les pays avancés. Les
années 1990, outre l’arrivée massive des BMN, voient une croissance fulgurante de la
247
Lors de la première phase (1900-1949), on assiste à l’introduction de la bière sur l’ensemble du
territoire ; la seconde phase (1949-1977) voit le développement continu de cette industrie, sous le
contrôle de l’État ; sous l’impulsion des réformes économiques, la troisième phase (1978-1995) voit
l’accélération de la production ; la phase actuelle (1995-2004) se caractérise par la consolidation
croissante de l’industrie.
248
Si, en 1992, seulement quatre brasseries étrangères possédaient des usines en Chine, au début des
années 2000, la quasi-totalité des BMN est physiquement présente dans le pays (Heracleous, 2001).
249
À titre d’exemple, la ville de Qingdao était jusqu’au début de 2000 actionnaire à 44,4% de la
brasserie Tsingtao, la plus importante brasserie de Chine (USA Today, 18/01/2000).
175
production et de la consommation : la production augmente de 329% entre 1991 et
2000, passant de 66,9 millions d’hectolitres à 220 millions d’hectolitres (NTC et
Commissie Gedistilleerd, 1994 et 2004).250 Toutefois, cette production ne comble pas
la demande : la consommation s’accroît de 482% entre 1991 et 2001, passant de 1,21
milliard de dollars en 1991 à 5,83 milliards de dollars. La production nationale ne
parvient pas à combler cette consommation avec une production de 5,77 milliard $US
en 2001 (Chinese Markets for Beer, 01/01/2003). La production nationale ne suffisant
pas à combler la demande interne, la Chine est un importateur net de bière.
Malgré les fortes perspectives de croissance qu’il offre, le marché chinois souffre de
plusieurs désavantages : le système de distribution reste très faible, obligeant les
firmes à construire davantage de brasseries. En outre, l’absence d’infrastructures hors
des grands centres urbains accentue les difficultés de la distribution. De plus, et
malgré l’accélération de la concentration, le marché chinois demeure assez
fragmenté : plus de 500 brasseries, dont la grande majorité sont de petite ou très petite
taille. Au niveau des exportations et importations, l’État demeure encore très présent
(Chinese Markets for Beer, 01/01/2003; BW, 15/02/2004).251
*
**
La globalisation apparaît comme une force structurante de l’évolution récente de
l’industrie brassicole internationale depuis la seconde moitié des années 1980. Bien
que le caractère national de celle-ci demeure un aspect central, la consolidation
amorcée à partir des années 1980, mais surtout depuis les années 1990, modifie
considérablement la structure de l’industrie. Les marchés matures connaissent une
diminution de la consommation et de la production, alors que les marchés émergents
voient leur part de la production mondiale augmenter (tableau 5.6).
250
L’importance de la croissance du marché chinois se mesure également à l’augmentation de la
production entre 1980 et 2000, l’ère de la globalisation de l’industrie brassicole internationale. Durant
cette période, la hausse de la production en Chine s’élève à 3556,7%. En comparaison, l’élévation de la
production en Argentine, la seconde en importance, se monte à 447,7%. Le Brésil montre une
augmentation de 208,3%, le Mexique de 126,5%, le Canada de 7% et les États-Unis de 2,6%.
L’Allemagne, le Danemark et la Grande-Bretagne voient une baisse de la production nationale, 4,8%,
8,7% et 14,7% respectivement (NTC et Commissie Gedistilleerd, 2004).
251
Les produits doivent transiter par des compagnies possédant les permis de commercer avec
l’étranger. En outre, les tarifs applicables aux boissons ont diminué de 16,4% à 10,6% (Chinese
Markets for Beer, 01/01/2003).
176
Tableau 5.6 Principaux pays producteurs de bière, 1980-2004 (en % de
la production mondiale)
Pays
Chine
États-Unis
Allemagne1
Brésil
Russie2
Japon
GrandeBretagne
Mexique
Espagne
Pologne
1980
0,6
24,3
9,8
3,1
6,5
4,9
6,9
1985
3,2
23,0
9,5
3,1
6,7
4,9
6,1
1990
6,2
20,6
10,2
4,9
3,0*
6,0
5,9
1995
12,8
18,0
9,1
6,6
1,6
5,9
4,9
2000
16,4
16,9
7,3
6,1
3,8
5,2
4,2
2003
17,4
16,2
6,8
6,0
5,2
4,6
4,2
2,9
2,1
1,2
3,0
2,4
1,1
3,3
2,5
1,0
3,4
2,2
1,2
3,7
2,1
1,6
3,7
2,3
1,9
1 : À partir de 1990 les données incluent la RFA et la RDA
2 : Pour 1980 et 1985, les statistiques sont de l’URSS
Sources : 1980 et 1985: Brewers’ Society, Statistical Handbook, 1991
Edition, Londres: Brewing Publications Ltd., 1991; 1990 à 2003 : Beer
Marketer’s Insights, 2005 Beer Industry Update. A Review of Recent
Developments, West Nyack, New York : Beer Marketer’s Insights, 2005
Les États-Unis, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, les trois premiers producteurs de
bières au début des années 1980 subissent une diminution substantielle de leur part
dans la production mondiale. Inversement, la Chine, le Brésil et le Mexique
augmentent leur part dans la production mondiale.
La concentration touche l’ensemble des régions, mais à un rythme différent : l’Europe
centrale et orientale ainsi que l’Asie apparaissent comme les principaux foyers de ce
processus. Enfin, les principaux acteurs de la consolidation sont les grandes brasseries
multinationales. Alors que le phénomène des BMN n’était pas très développé avant le
début des années 1990, les stratégies des brasseries conduiront à l’émergence de
plusieurs entreprises multinationales dans l’industrie brassicole.
5.2
Le marché nord-américain de la bière
Malgré la constitution d’un marché brassicole de plus en plus global, la première
partie de ce chapitre a montré la persistance des différences nationales. Par ailleurs, si
la globalisation va de pair avec le maintien de certaines caractéristiques nationales, il
reste que le niveau régional demeure fondamental pour la compréhension de
177
l’internationalisation des brasseries mexicaines. Dans le cadre de cette étude, nous
accordons une attention particulière au marché nord-américain de la bière.
Outre le Mexique, celui-ci se compose des États-Unis et du Canada, ces deux derniers
renfermant plusieurs similitudes tout en conservant des spécificités propres.252 Par
ailleurs, ils constituent les deux plus importants marchés d’exportation des brasseries
mexicaines. À ce titre, et au vu de l’attention particulière que leur accorde Modelo et
CCM, il convient de les étudier parallèlement à l’analyse de l’industrie brassicole
internationale. La première section porte sur les similitudes entre les deux marchés, à
savoir une concentration de plus en plus forte malgré une segmentation plus poussée
depuis les années 1980. La seconde section aborde l’évolution du marché canadien
alors que la dernière traite des changements au sein du marché américain.
5.2.1
Concentration et fragmentation du marché
Les industries brassicoles canadienne et américaine, bien que de taille différente,
évoluent de manière similaire depuis le début des années 1960. Tant du point de vue
de la consolidation, de la production, de la consommation, des innovations que du
retour des microbrasseries et de la poussée des bières importées, les marchés canadien
et américain possèdent sensiblement les mêmes caractéristiques.
Depuis le début des années 1960, et ce, jusqu’à la fin des années 80, la consolidation
apparaît comme le maître mot-clé dans la description de l’industrie brassicole nordaméricaine. Au Canada, trois brasseries mènent ce mouvement : Molson, Labatt, mais
surtout Canadian Breweries. Aux États-Unis, on assiste également à une constante
réduction du nombre de brasseries (Swaminathan et Carroll, 1995; Van Munching,
1997).253 En fait, la concentration est un élément permanent des deux industries. Dans
les deux pays, l’industrie brassicole se transforme d’une industrie régionale en une
industrie nationale. Les brasseries de petite taille, ne pouvant investir aussi fortement
que leurs concurrentes, ne peuvent réaliser les économies d’échelle nécessaires à leur
252
Dans cette partie, l’industrie brassicole nord-américaine réfère aux marchés canadien et américain.
Ronnenberg (1998) soutient que deux formes de croissance caractérisent l’industrie brassicole
américaine depuis l’après-guerre : la croissance interne et la croissance externe. Dans le premier cas,
les brasseries construisent de nouvelles usines afin de brasser leurs propres marques. Dans le second
cas, elles acquièrent des brasseries dans diverses régions et maintiennent la production des marques
régionales. Ces deux formes de croissance s’appliquent également aux brasseries canadiennes.
253
178
croissance ; elles sont donc condamnées à disparaître au profit de firmes plus
efficaces.254
Parallèlement à ces réductions, et grâce aux économies d’échelle que réalisent les
brasseries, la production totale croît sensiblement jusqu’en 1990, puis ralentit par la
suite. Entre 1960 et 1990, la production augmente de 114% aux États-Unis et de
117% au Canada (tableau 5.7).
Tableau 5.7
Année
1960
1965
1970
1975
1980
1985
1990
Production totale de bière, 1960-1990
(en millions d’hl.)
États-Unis
103,1
117,8
143,0
174,4
203,5
205,1
221,3
Canada
10,2
ND
ND
20,0
21,6
22,1
22,6
Sources : pour les États-Unis, Impact (1990) et
BI (01/04/2001) ; pour le Canada, BAC (1965 et 1997)
Par ailleurs, on observe une double tendance au niveau de la consommation. Dans un
premier temps, entre 1960 et la fin des années 1970, la consommation per capita
progresse à un rythme régulier et ininterrompu ; par la suite, elle diminue
graduellement. Aux États-Unis la consommation croît jusqu’en 1981, où elle s’établit
à 97,1 litres/an, puis baisse par la suite, sauf en 1986 où l’on constate une faible
augmentation (Impact, 1990). Au Canada, la consommation per capita augmente
jusqu’en 1975 où elle atteint 87 litres/an. Entre 1975 et 1985, la consommation se
maintient aux environs de 80 litres/an. Par la suite, elle diminue pour se stabiliser aux
environs de 67 litres/an (tableaux 5.8 et 5.9; BAC, 1997 et 2002). En somme, la
hausse de la consommation s’amorce sensiblement au même moment dans les deux
pays ; elle est toutefois plus forte aux États-Unis et plus prolongée qu’au Canada. La
254
Les économies d’échelle dans l’industrie résulteraient principalement des améliorations dans les
procédés d’empaquetage et de l’automatisation des brasseries. Ces facteurs auraient augmenté la taille
optimale des brasseries, la taille permettant la pleine exploitation des économies d’échelle
(Swaminathan et Carroll, 1995).
179
diminution subséquente de la consommation touche également les deux pays, mais là
c’est le Canada qui connaît une plus grande baisse que les États-Unis.
La chute de la consommation oblige les brasseries à accroître leurs efforts afin de
préserver leurs parts de marché et si possible, d’en gagner. Il ne s’agit plus seulement
de rejoindre de nouveaux consommateurs, mais d’assurer la fidélisation des clients
existants tout en captant la clientèle des brasseries concurrentes.
Tableau 5.8 Consommation per capita, 1960-1990 (en litres/an)
Année
1960
1965
1970
1975
1980
1985
1990
États-Unis
60,4
63,9
74,0
86,5
96,3
93,8
91,2
Canada
60,0
64,8
74,0
87,0
86,1
80,7
77,1
Source : Brewers Association of Canada,
Alcoholic Beverage Taxation and Control
Policies, International Survey, Ottawa:
BAC, 1997; Impact, 1990 ; BI
(01/04/2001).
Si l’industrie brassicole n’est pas reconnue pour ses innovations, i.e. les méthodes de
fermentation et les types de bières produites, à partir des années 1970, toutefois, on
assiste à une accélération fulgurante d’innovations brassicoles. Celles-ci, de nature
technique, entraînent une multiplication de la variété de bières disponibles.255 La
principale difficulté à laquelle sont confrontées les brasseries, quant aux nouvelles
bières ou boissons, tient à l’incertitude liée de la popularité d’un nouveau produit.
Elles font face au dilemme “ mode passagère versus tendance de fond”. Dans le cas
d’une mode passagère, une nouvelle boisson apparaît sur le marché ; elle connaît une
popularité immédiate. Cependant, les ventes plafonnent rapidement et cette boisson
entre en déclin (Van Munching, 1997). Généralement, les modes durent de 3 à 5 ans.
Les tendances de fond, à l’origine, ressemblent aux modes passagères, i.e une
popularité quasi instantanée confirmée par des ventes en rapide progression. La
principale différence tient au fait que dans ce cas, c’est une transformation de
255
Voit l’annexe 4 pour une présentation des types de bières.
180
l’industrie qui se produit, transformation ayant des conséquences à long terme. La
position concurrentielle de la brasserie dépendra donc de l’analyse qu’elle effectuera
de l’impact possible d’une nouvelle boisson. S’il s’agit de la firme novatrice, elle
cherchera à maximiser son innovation. Les autres firmes suivront ainsi le leadership
de la firme novatrice ou décideront de ne pas investir des sommes colossales dans un
nouveau produit.
Deux tendances de fond influencent l’industrie brassicole nord-américaine depuis les
années 1970 La première innovation, la bière Light, est introduite par Miller en
1973.256 La popularité des bières light conduit les brasseries à rechercher de nouveaux
types de bières ou de boissons à base de malt. Cependant, il faut attendre 1985 avant
la percée suivante.257 C’est l’apparition des coolers, une boisson à base de vin blanc
carbonisé. La popularité de cette boisson force les brasseries à pénétrer ce segment de
marché rapidement afin de ne pas traîner derrière la firme innovante, comme cela fut
le cas de la bière light. Toutefois, les coolers, contrairement à la bière light, s’avèrent
être une mode passagère. Suite à la déconfiture des coolers, naît la seconde
innovation : les bières dry. Introduite au Japon en 1987 par la brasserie Asahi, la bière
Dry fait son apparition aux États-Unis et au Canada en 1988 (van Munching, 1997;
Sneath, 2001).258 Elles gagnent rapidement en popularité, sans toutefois connaître le
succès des bières light. En 1993, les brasseries canadiennes Molson et Labatt lancent
la nouvelle bière Ice, un produit plus fort que les lagers traditionnelles.259
256
Les innovations sont généralement à deux niveaux : les procédés de brassage et les types de bières.
Les premières permettent d’offrir des bières à divers degrés d’alcool, conduisant aux secondes, des
types de bières variés. Dans le cas de Miller, le lancement de la marque Miller Lite permit à l’entreprise
de passer du septième au second rang sur le marché américain,et ce, en quelques années seulement
(Ronnenberg, 1998). Il fallut plusieurs années avant que les brasseries américaines reconnaissent
l’impact des bières lights. Miller put ainsi prendre une avance considérable dans ce segment.
257
Miller a également introduit la bière Draft en 1986.
258
Dans le cas des bières Dry, et contrairement aux idées reçues, c’est la brasserie dominante,
Anheuser-Busch, qui prit les devant, alors que ses principales concurrentes, Miller et Coors, adoptaient
une stratégie attentiste. Le problème que posait ce nouveau segment sur le marché américain touchait à
la cannibalisation des marques existantes des brasseries, car elles profitaient de la notoriété de celles-ci
afin de s’accaparer du leadership de ce segment (Impact, 1990). Au Canada, c’est la brasserie Molson
qui, la première,se lance dans le segment des bières dry (Sneath, 2001).
259
Les bières Ice contiennent généralement entre 5,5% et 6% d’alcool par volume. Par ailleurs, Sneath
note que la paternité des bières ice, bien que revendiquée par les grandes brasseries canadiennes, serait
plutôt le fait d’une microbrasserie canadienne, Niagara Falls Brewing Co., qui, en 1989, avait lancé une
bière appelée Einsbock (Sneath, 2001). Par la suite, les brasseries américaines initient elles-aussi leur
propre production de bières ice. Après un fort début, la production et les ventes diminuent
graduellement durant la seconde moitié des années 1990.
181
Parallèlement au développement de nouvelles bières, les années 1980 voient la
croissance des bières importées sur les deux marchés nord-américains (figure 5.1).
Toutefois, nous observons une certaine différence dans les tendances dans les deux
pays. Alors que la progression des bières importées est constante aux États-Unis
durant la décennie 80 (sauf pour l’année 1989), la tendance est plutôt incertaine au
Canada. Les importations connaissent une forte chute entre 1985 et 1987 ; elles
remontent momentanément en 1989, puis baissent de nouveau. Ce n’est qu’à partir de
1996-1997 qu’on retrouve le niveau de 1989. Par la suite, elles augmentent
rapidement : elles passent de 0,66 million d’hectolitres en 1995 à plus de 2 millions
d’hectolitres en 2003, une croissance de 220% (tableau 5.9).
La dernière similitude à relever entre les deux industries brassicoles concerne le retour
en force des microbrasseries.260 Alors que la concentration s’accélérait pendant la
période 1960-1990, les microbrasseries demeuraient dans l’ombre. À partir de la
seconde moitié des années 1980, ce segment de l’industrie se développe à un rythme
important, tant au niveau du nombre qu’en terme de production. Les microbrasseries
occupent une position tout à fait unique au sein de l’industrie brassicole nordaméricaine. Bien qu’elles évoluent sur le même marché que les grandes brasseries
nationales et internationales, elles ne se considèrent pas en concurrence directe avec
elles.261 Étant donné qu’elles se trouvent dans une niche particulière, elles disposent
d’une plus grande liberté d’action au niveau de l’expérimentation contrairement aux
grandes brasseries (Ronnenberg, 1998).
260
Bien que l’ensemble des auteurs et organisations oeuvrant dans le domaine brassicole s’entendent
pour reconnaître l’importance des microbrasseries, il n’existe pas une définition claire. La principale
distinction tient au niveau de production considérée dans la catégorie “microbrasserie”. Au Canada,
Sneath (2001) note qu’à l’époque de l’émergence des microbrasseries canadiennes, vers 1984-85, la
limite supérieure de production d’une microbrasserie était de 20 000 hl/an. Plus récemment, Vallée
(1997) et la BAC (2002) diffèrent également dans leurs définitions. Pour Vallée, une microbrasserie
possède une capacité de production inférieure à 100 000 hl/an ; la BAC de son côté, établit la limite à
60 000 hl. Aux États-Unis, là aussi les définitions divergent. L’Institute for Brewing Studies établit la
capacité maximale de production d’une microbrasserie à 15 000 barils (17 600 hl/an) ; la Malt
Beverage Research Institute (MBRI) avance plutôt le chiffre de 10 000 barils (11 700 hl/an) (Institute
for Brewing Studies [1993], dans Swaminathan et Carroll, 1995 ; MBRI, 1984).
261
Swaminathan et Carroll, ([1992], dans 1995: 233) soutiennent que les microbrasseries constituent
une forme organisationnelle tout à fait différente des brasseries à production de masse. Ces dernières
sont “caractérisées par de fortes économies d’échelle dans la production, la publicité et des réseaux de
distribution extensifs. Les microbrasseries, en comparaison, visent des consommateurs cherchant une
bière unique, possédant un goût unique et prêts à payer une prime pour l’obtenir” (traduction libre de
l’auteur).
182
L’importance des microbrasseries va bien au-delà des statistiques. En plus de tirer la
croissance de l’industrie brassicole nord-américaine durant la seconde partie des
années 1980 (Sneath, 2001), les microbrasseries contribuent fortement à l’explosion
de l’offre et de la variété de bières. En outre, elles forcent les grandes brasseries
industrielles à revoir leur image et leurs stratégies. En offrant un choix de produit plus
vaste aux consommateurs, elles facilitent l’acceptation des bières importées (Rocky
Mountain News, 03/10/1999).
Toutefois, ce segment se consolide lui aussi durant les années 1990 : les difficultés de
distribution, l’entrée des brasseries industrielles dans cette niche, de même que
l’explosion de l’offre conduisent à une certaine stagnation des microbrasseries (BI,
01/08/1997). Nous assisterions à un phénomène de barbelling, un processus de double
concentration, d’une part au sommet (les grandes brasseries) et, d’autre part, à la base
(les microbrasseries). Le résultat est donc un marché d’extrêmes, des grandes
brasseries et des microbrasseries, avec comme conséquence la lente, mais inexorable,
disparition des brasseries de taille moyenne (Supermarket News, 29/05/95).
Les multiples innovations soulignées précédemment, de même que le regain de
popularité des microbrasseries, montrent la sophistication, la complexité et la maturité
des marchés canadien et américain de la bière. Les brasseries doivent s’ajuster à une
demande de plus en plus variée, ce qui conduit à une segmentation toujours plus
grande des marchés.
5.2.2
5.2.2.1
Le marché canadien
L’organisation de l’industrie
L’organisation de l’industrie brassicole canadienne, dans son ensemble, varie selon
les provinces. Bien que relativement intégrée, la production et la distribution étant
généralement le fait des brasseries, l’industrie doit composer avec différentes
législations provinciales au niveau de la vente et de la commercialisation. Selon les
provinces, la vente s’effectue dans des lieux publics (dépanneurs, supermarchés,
hôtels, etc.), les magasins gouvernementaux ou à la Brewers Warehouse Company,
sous contrôle des brasseries, en Ontario.
183
Depuis le début des années 1980, deux grands événements ont profondément marqué
l’organisation de l’industrie brassicole canadienne : l’achat de la brasserie Carling
O’Keefe262 par Molson en 1989 ainsi que l’élimination des barrières au commerce
interprovincial de 1992, enchâssé dans l’Accord sur le commerce intérieur de 1994.
La phase de concentration que connaît l’industrie brassicole canadienne durant les
années 1980 n’est pas nouvelle ; elle constitue en fait la troisième phase de
consolidation de l’industrie durant le XXè siècle.263 Au début des années 1980, des
quarante brasseries en opération au Canada, 32 sont sous contrôle des trois grandes
brasseries. La consolidation atteint son point culminant en 1989 alors que l’oligopole
Labatt - Carling O’Keefe - Molson se transforme en duopole, Molson rachetant
Carling O’Keefe au conglomérat australien Elders IXL.
L’industrie brassicole canadienne se trouve à la fois sous juridiction fédérale et
provinciale.264 Cependant, les autorités provinciales exercent la plus grande influence
sur l’industrie.265 C’est en 1987 que débutent des négociations en vue d’abolir les
restrictions existantes en matière de commerce interprovincial, négociations qui
aboutissent à la signature de l’Accord sur le commerce intérieur en juillet 1994.
Jusqu’à l’élimination des barrières interprovinciales de 1992, confirmée par la suite
par l’Accord, les brasseries canadiennes étaient soumises à une réglementation plutôt
contraignante, réduisant leur compétitivité face à leurs concurrentes américaines
262
La brasserie Canadian Breweries changea de raison sociale en 1973 pour s’appeler Carling O’Keefe
Ltd.
263
La première phase s’étend de la fin du XIXè siècle aux années 1920 ; la seconde phase couvre les
années 1950 et le début des années 1960 (Sneath, 2001).
264
Le gouvernement fédéral influence doublement l’industrie : d’une part, à l’échelle internationale et,
d’autre part, à travers la législation fiscale. Au niveau international, l’impact du gouvernement
canadien est double : il négocie et signe des traités commerciaux touchant de près ou de loin l’industrie
; par ailleurs, il défend les intérêts des brasseries canadiennes lorsque des litiges surviennent avec des
autorités gouvernementales étrangères. Ce fut notamment le cas à deux reprises : en 1988, suite à une
plainte de la Communauté économique européenne et en 1991 face aux États-Unis. Dans les deux cas,
les plaintes avaient été logées auprès du GATT. Des accords interviennent entre les partis à chaque
occasion afin de mettre fin aux disputes. Dans le cas du litige avec les Américains, les deux pays
signèrent le Mémorandum d’accord États-Unis – Canada sur les pratiques provinciales de
commercialisation de la bière en 1993 (BAC, 1997). Au niveau fiscal, l’État fédéral applique une
double taxation à la bière au travers de la taxe d’accise et de la taxe sur les produits et services (TPS),
une taxe à la valeur ajoutée.
265
Sur l’impact des gouvernements provinciaux sur l’évolution de l’industrie brassicole canadienne,
voir Irvine et Sims (1993).
184
(Irvine et Sims, 1993).266 Cet événement marque en somme la création d’un véritable
marché national unifié.
La transformation de l’industrie en un duopole effectif, combinée à l’abolition des
barrières interprovinciales, que d’aucuns qualifient de protectionnisme (Vallée, 1997 ;
Irvine et Sims, 1993) entraînent sa rationalisation. En effet, si l’on fait abstraction des
microbrasseries, le nombre d’usines diminue à partir de la fusion Molson – Carling
O’keefe, alors que le taux d’utilisation des capacités de brassage augmente.267 La
rationalisation implique non seulement une réduction du nombre d’usines du duopole,
de 32 à 21 brasseries entre 1979 et 1992, mais aussi une diminution du nombre
d’employés, des économies d’échelles qu’une augmentation de la productivité (Irvine
et Sims, 1993).
Les tendances observées en terme de production et de consommation reflètent ainsi
l’évolution de l’industrie depuis 1990 (tableau 5.9). Durant cette période, la
production stagne, une tendance qui se renverse quelque peu en 1994. L’industrie
connaît alors une certaine stabilité en terme de production durant le reste de la
décennie, alors qu’elle varie entre 22,5 et 22,9 millions d’hectolitres. En terme de
demande, on remarque une tendance à la baisse. Le marché apparent canadien (la
catégorie consommation nationale) régresse depuis le début des années 1990 : elle
passe de 20,78 millions d’hectolitres à 19,54 millions d’hectolitres entre 1990 et 2003,
avec un plancher de 18,83 millions d’hectolitres en 1997. Bien que la production
nationale puisse combler cette demande, les importations jouent un rôle de plus en
plus important, puisqu’elles représentent plus de 10% de cette demande, alors qu’elles
ne comptaient que pour 3,32% de la demande au début des années 1990.
266
Jusqu’à l’Accord sur le commerce intérieur, si les brasseries désiraient vendre leurs produits dans
une province, elles étaient obligées de produire la bière dans cette province, ce qui réduisait les
économies d’échelle. Toutefois, si cette mesure augmentait la flexibilité dont pouvaient faire preuve les
brasseries canadiennes, elle éliminait une barrière à la concurrence dont peuvent profiter les brasseries
américaines, ce qui soulève certaines craintes de la part des brasseurs canadiens (Irvine et Sims, 1993).
267
Alors que le taux d’utilisation des capacités de brassage de Molson et de Carling O’keefe se situe
respectivement à 68% et 57% avant la fusion, ce pourcentage augmente à 87% après la fusion (Irvine et
Sims, 1993).
185
Tableau 5.9
Année
Production, consommation et exportation au Canada 1990-2003
(en millions d’hl) 1
Production
Exportations
Import
ations
Consomm
ation
nationale
Exportations
/MA
Importa
tions/M
A
Consomm
ation per
capita2
22,59
2,50
0,69
20,78
12,03
3,32
77,10
1990
22,14
2,45
0,66
20,35
12,04
3,24
74,90
1991
21,57
2,52
0,60
19,05
13,23
3,15
69,27
1992
22,12
3,04
0,50
19,08
15,94
2,62
68,20
1993
22,99
3,74
0,58
19,25
19,43
3,01
68,30
1994
22,82
3,58
0,66
19,24
18,61
3,43
67,80
1995
22,52
3,60
0,87
18,91
19,04
4,60
66,66
1996
22,36
3,53
1,02
18,83
18,75
5,42
66,17
1997
22,92
3,64
1,17
19,28
18,88
6,07
67,58
1998
22,94
3,61
1,41
19,33
18,68
7,29
68,04
1999
22,07
3,86
1,50
19,22
20,08
7,80
67,35
2000
23,92
4,38
1,68
19,54
22,42
8,60
67,50
2001
23,54
3,96
1,89
19,59
20,21
9,65
68,37
2002
23,44
3,90
2,11
19,54
19,96
10,80
68,38
2003
1 : Les données ayant été arrondies, les résultats de la consommation nationale diffèrent
parfois.
2 : En litres/année
Sources : Brasseurs du Canada, Annual Statistical Bulletin 2003 Bulletin statistique annuel,
Ottawa : BAC, 2004 et Alcoholic Beverage Taxation and Control Policies, International
Survey, Ottawa: BAC, 1997.
En terme de consommation, on remarque là aussi une réduction durant la période, ce
qui concorde avec la diminution du marché apparent. La consommation totale
diminue à partir de 1991, puis retrouve la croissance à partir de 1998 pour se stabiliser
autour de 19,5 millions d’hectolitres depuis le début des années 2000. La
consommation per capita suit la même tendance, alors qu’elle passe de 77 litres/an en
1990 à 69 litres/an en 1992, puis se maintient autour de 67-68 litres/an par la suite. Si
la production stagne, les exportations connaissent une tendance opposée. L’industrie
brassicole canadienne se trouvant en surplus de production, les exportations
constituent le principal débouché pour les brasseries canadiennes. Suite à trois années
où elles se situent autour de 2,5 millions d’hectolitres, elles surpassent les 3 millions
d’hectolitres à partir de 1993 puis s’accroissent par la suite. À partir de 2000, les
exportations canadiennes se maintiennent autour de 4 millions d’hectolitres.
L’une des particularités les plus notables de l’industrie brassicole canadienne a trait à
la présentation des bouteilles. En effet, il existe une standardisation des bouteilles,
résultat d’un accord entre toutes les brasseries canadiennes, incluant les
186
microbrasseries. Étant donné que le taux de retour des bouteilles est extrêmement
élevé, 97,1% pour l’ensemble du pays en 2001 (BAC, 2002),268 la standardisation
permet aux entreprises d’économiser sur les coûts reliés aux bouteilles car la même
bouteille peut être utilisée par toutes les brasseries. Toutefois, l’uniformisation de la
bouteille limite la capacité des firmes à se démarquer de leurs concurrentes (BW,
8/15/2003).
Si le marché canadien s’apparente à un duopole effectif, Molson et Labatt possédant
plus de 90% du marché national, une troisième brasserie émerge au fil des années
1990 : Sleeman. Bien que celle-ci demeure relativement petite en comparaison de ses
deux principales concurrentes, elle ne cesse d’augmenter ses parts de marché durant la
décennie. La firme combine une stratégie de croissance de la production à une série
d’acquisitions lui permettant de se positionner dans l’ensemble du Canada.269
À partir du début des années 80, une nouvelle tendance émerge dans l’industrie : les
licences. Au travers ces accords, les brasseries canadiennes acquièrent les droits de
production et de commercialisation de marques américaines et étrangères.270 Ces
accords touchent généralement trois aspects : la production, la distribution et la vente.
Les brasseries étrangères fournissent ainsi la recette d’une bière, que les compagnies
canadiennes s’engagent à produire et à distribuer sur un territoire donné. Quant à la
vente, elle se déroule dans les mêmes réseaux que les compagnies canadiennes
auxquelles elles sont liées. Compte tenu qu’il s’agit ainsi d’une production nationale,
ces bières brassées sous licence sont soumises aux mêmes conditions que les bières
locales. Tout comme Molson et Labatt, Sleeman détient des licences de production, de
distribution ou de marketing de plusieurs marques étrangères.
268
Selon l’ABC, le taux de retour des canettes est également élevé, 85,1% en 2001 (BAC, 2002).
En quelques années, cette firme ontarienne a ainsi acquis des brasseries au Québec, en ColombieBritannique, en Alberta, Ontario et dans les provinces des maritimes.
270
Deux accords de licence avaient été signés durant les années 1960 et 1970 (Labatt-Guinness en 1965
et Canadian Breweries-Carlsberg en 1972), mais c’est durant les années 1980 que cette forme de
pénétration du marché canadien prendra véritablement de l’ampleur (Sneath, 2001).
269
187
5.2.2.2 L’internationalisation des brasseries canadiennes
Bien que l’internationalisation de l’industrie brassicole canadienne se soit amorcée
durant les années 1950 et 60,271 la phase initiée à partir de 1980 marque davantage
l’industrie. Cette année-là voit le début des accords de licence entre les brasseries
canadiennes et leurs homologues américaines. Labatt devient la première à signer une
telle entente lorsqu’elle obtient la licence de production et de distribution de la
marque Budweiser d’Anheuseur-Busch. Durant les années suivantes, Molson et
Carling O’keefe décrochent elles aussi des licences de production de brasseries
américaines.272 En contrepartie du paiement d’une redevance sur les profits des
ventes, les brasseries canadiennes profitent de la popularité de bières qui seraient, par
ailleurs, considérées comme des produits importés (Sneath, 2001).
À partir de la seconde moitié des années 1980, on assiste à une plus grande présence
des brasseries internationales au Canada. Le coup d’envoi est donné par le
conglomérat australien Elders IXL qui fait l’acquisition de Carling O’Keefe en
1987.273 Cette transaction, évaluée à 392 millions $Can. met fin à l’accord de licence
entre Carling O’Keefe et la brasserie danoise Carlsberg, dont les marques
représentaient une importante part des ventes et du portefeuille de marques de la
brasserie (Irvine et Sims, 1993; Sneath, 2001).274 En 1993, quatre ans après à la fusion
Carling O’Keefe – Molson, les propriétaires de la nouvelle entité vendent 20% des
actions de la compagnie à la brasserie américaine Miller.
Cette transaction montre la complexité de l’industrie brassicole internationale. En
effet, en 1985, Molson avait obtenu la licence de production et de distribution de
271
La brasserie Canadian Breweries possédait des usines aux États-Unis et en Angleterre durant les
années 1950. En 1967, les deux subsidiaires anglaises de Canadian Breweries fusionnèrent afin de
donner naissance à la plus grande brasserie anglaise, Bass Charrington. Molson pour sa part, s’était
étendue dans le Midwest américain à la fin des années 1950 et au début des années 1960. Par ailleurs,
la brasserie américaine Schlitz, en 1964, s’était montrée intéressée à faire l’acquisition de Labatt. Cette
dernière, toujours durant les années 1960, noua des alliances avec trois brasseries européennes : Allied
Breweries (Grande-Bretagne), Pripp Breweries (Suède) et UNIBRA (Belgique) (Sneath, 2001).
272
En 1985, Molson obtient la licence de la Coors Light alors que Carling O’Keefe s’accorde avec
Miller pour la licence de la Miller Lite (Sneath, 2001).
273
Carling O’Keefe apparaissait comme la moins stable parmi les trois grandes brasseries canadiennes,
sa position concurrentielle s’étant fortement érodée au fil des ans. Alors qu’elle possédait 49,1% du
marché canadien en 1960, ses parts de marché avaient chuté sous la barre des 25% durant les années
1980 (Irvine et Sims, 1993).
274
Elders IXL remplaça cette perte par la bière australienne Foster’s Lager.
188
Coors Light. L’accord Molson – Miller met fin, pour un temps, à l’association avec
Coors.275 Mais en 1999, au terme d’un processus de recentrage de ses activités, la
famille Molson récupère le contrôle total de la brasserie en rachetant les parts de
Miller et d’Elders IXL.276
En 1995, une seconde méga-transaction secoue l’industrie brassicole canadienne,
alors que Labatt passe sous le contrôle d’Interbrew. La firme belge débourse 2,7
milliards $Can. pour la totalité des actions de Labatt. Là aussi des conséquences
inattendues découlent d’accords croisés : à quelques mois d’intervalle, Interbrew
octroie la licence de la marque Stella Artois à la brasserie Sleeman. Deux ans plus
tard, Interbrew met fin à l’accord, choisissant plutôt d’importer cette marque et de la
distribuer à travers Labatt.
Suite aux acquisitions, alliances stratégiques et fusions des années 1980 et 1990, les
bières étrangères pénètrent le marché canadien sous trois formes distinctes : les
licences (production sur place), les accords de distribution et l’usage interne du réseau
de la compagnie (les importations). Le cas de Stella Artois constitue le meilleur
exemple de cette dernière stratégie. Molson, outre la licence de Coors Light, obtient
également la licence de la bière japonaise Kirin.277 Outre ces deux marques, Molson
signe également des accords de distribution avec Grupo Modelo pour Corona Extra et
Heineken. Quant à Labatt, elle gagne l’accès au portefeuille de marques d’Interbrew
suite à la transaction de 1995. En 1988, elle avait obtenu le droit de produire et de
distribuer les marques de Carlsberg. Cet accord se termine en janvier 2004, alors que
Carlsberg transfère la licence à la microbrasserie MacAuslan.278
275
Afin de résoudre le conflit, Molson accepta de payer 100 millions $Can à Coors. En outre, les trois
parties (incluant la filiale brassicole d’Elders IXL, Foster’s Brewing Group Ltd.) s’accordent pour
former une nouvelle entité au Canada, Coors Canada Partnership, chargée de la production et de la
distribution de la Coors Light. De plus, Miller a dû accepter de ne pas recevoir les profits découlant de
la vente des marques de Coors (Sneath, 2001).
276
Le rachat des actions de Miller s’était effectué en 1997, à un coût de 420 millions $Can alors que la
brasserie américaine avait acheté les parts de Molson pour une somme de 370 millions $Can, un profit
de 50 millions de dollars en quatre ans (Sneath, 2001).
277
Cet accord avait principalement pour but de permettre à la bière japonaise de pénétrer le marché
américain. La brasserie japonaise investit ainsi 10 millions $Can dans la modernisation de deux
brasseries de Molson afin de les mettre à niveau (Sneath, 2001).
278
Bien que ses volumes soient moindres, il faut également souligner la forte activité de Sleeman dans
le domaine des licences et des accords de distribution. Après l’épisode Stella Artois, la troisième
brasserie en importance au Canada conclut un accord de licence avec la brasserie américaine Stroh en
1989. Par la suite elle augmente ses accords de production et/ou de distribution en diversifiant
189
En ce qui concerne les importations, on note une forte progression des bières
importées à partir des années 1990. Alors qu’elles sont absentes du marché canadien
en 1975, ne représentant que 0,006% de celui-ci, elles progressent rapidement à partir
des années 1990 : de 1991 à 2003, les exportations passent de 3,3% à 9,7% du marché
canadien (figure 5.1). Contrairement au marché américain, la part des exportations
n’est pas en progression constante durant les années 1990 : entre 1991 et 1993, la part
des exportations chute, passant de 3,3% à 2,5%. Cette transformation du marché force
les brasseries canadiennes, en particulier les micro-brasseries, à s’adapter à une
concurrence encore plus forte. En outre, on remarque la montée des bières mexicaines
dans les importations canadiennes. En 1991, les bières américaines comptent pour
75,8% des bières importées au Canada, contre 24,2% pour les autres pays. En 2003,
ces pourcentages sont inversés car les bières en provenance des États-Unis ne
constituent plus que 23,4% des bières importées, alors que celles provenant des autres
pays s’élèvent à 76,6% (BAC, 2002 et 2004).279
Figure 5.1 Part des bières importées sur les marchés canadien et
américain 1975-2003 (en %)
(%) 12
10
8
6
4
2
19
75
19
80
19
85
19
87
19
89
19
91
19
93
19
95
19
97
19
99
20
01
20
03
0
Canada
États-Unis
Sources : Brewers Association of Canada (1997, 2002 et 2004); Impact (1990); BI
01/04/2001; Beer Marketer’s Insights (2005b)
géographiquement ses alliances : Grolsch (Pays-Bas), Samuel Adams (États-Unis ), Scottish &
Newcastle (G-B), Pilsner Urquell (SAB, Rép. Tchèque) et Sapporo (Japon) constituent les principales
marques distribuées par Sleeman au Canada.
279
La BAC ne ventile pas la catégorie “autres”. Cependant l’ensemble des entrevues réalisées pour
notre cette étude, de même que les documents révisés, nous permettent d’avancer que les bières
mexicaines occupent la première position des bières importées sur le marché canadien. Voir entre autre
Mendoza Núñez (2003).
190
L’internationalisation de l’industrie brassicole canadienne passe également par les
exportations et l’investissement direct à l’étranger. Encore une fois, il est bon de
rappeler que ces deux phénomènes ne sont pas nouveaux pour les brasseries
canadiennes. Dès les années 1950, elles investissent à l’étranger, principalement aux
États-Unis et en Grande-Bretagne. En outre, les exportations représentent 2,4% de la
production totale en 1975. Dans le cadre d’une industrie internationale qui se
globalise, la destination des investissements canadiens évolue, de même que le
volume des exportations.
Si les IDE canadiens sont exclusivement le fait de Molson et Labatt, un plus grand
nombre de brasseries exportent sur les marchés étrangers. En ce qui concerne les
investissements canadiens, Labatt acquiert 22% des actions de la brasserie mexicaine
CCM en 1994, avec une option supplémentaire sur de 8%, option exercée en 1998.280
Molson, pour sa part, investit principalement au Brésil. Entre 2000 et 2002, la
brasserie investit près d’un milliard de dollars américains dans l’achat de la marque
Bavaria et de la brasserie Kaiser. Au niveau des exportations, deux remarques
s’imposent. D’une part, entre 1990 et 2003, les exportations canadiennes de bière
montrent des années de forte croissance (1993, 1994 et 2001), suivies de périodes de
stabilité (tableau 5.9). D’autre part, ces exportations se concentrent de plus en plus sur
les États-Unis.
Le dernier élément agissant sur l’internationalisation de l’industrie brassicole
canadienne est l’ALENA. La négociation puis la signature de cet accord influencent
les attitudes des brasseurs canadiens : bien qu’il n’y ait qu’une seule mesure explicite
concernant cette industrie dans l’accord,281 il soulève néanmoins certaines craintes des
dirigeants de l’industrie. Bien avant la signature de l’accord, ceux-ci redoutent le
dumping des brasseries américaines de même qu’une perte de parts de marché.282
280
Labatt déboursa 522 millions $US pour l’acquisition des 22% de CCM. En 1998, Interbrew, en tant
que propriétaire de Labatt, se porta acquéreur des 8% supplémentaires à un coût de 221,6 millions $US
(FEMSA, ADR 1998).
281
Tant l’Accord de libre-échange Canada-États-Unis que l’ALENA prévoient des réductions
graduelles des tarifs douaniers touchant la bière. C’est à travers l’ALE Canada – États-Unis, qu’est
négociée l’élimination totale des tarifs entre les deux pays. Celle-ci est réalisée en 1999.
282
En mars 1991, les deux principales brasseries canadiennes, Molson et Labatt, poursuivent trois
brasseries américaines, Stroh, Pabst et Heileman. Les brasseries canadiennes accusent les trois
entreprises américaines de dumping sur le marché de la Colombie-Britannique. Dans un avis de mai
191
En somme, on peut avancer l’hypothèse que l’industrie brassicole canadienne, tout
comme l’industrie brassicole mexicaine, sont influencées à la fois par la
régionalisation et la globalisation. Les brasseries canadiennes suivent la tendance
générale de l’économie nationale, toujours plus intégrée à l’économie canadienne qu’à
l’économie américaine. Par ailleurs, elles participent activement à la globalisation de
l’industrie, tant par leurs stratégies d’acquisition et/ou d’exportation.
5.2.3
Le marché américain
Les États-Unis ont longtemps été le premier marché mondial de la bière en terme de
production. Bien que la Chine occupe cette position depuis 2002, le marché américain
demeure le plus important pour l’industrie brassicole internationale, tant au niveau des
ventes que de l’impact sur les résultats financiers des BMN (Koster, 2004). Cette
section analyse l’organisation et l’évolution de ce marché.
5.2.3.1 L’organisation de l’industrie
L’industrie brassicole américaine est organisée selon un système des trois tiers : la
production, la distribution et la vente au détail. Au niveau de la production, on
retrouve les brasseries. Elles élaborent et brassent la bière. Au second niveau se
trouvent les grossistes et les distributeurs. Ce sont des compagnies indépendantes
chargées de faire le lien entre les brasseries et les différents points de vente. Elles
achètent la bière des brasseries, entreposent celle-ci et l’acheminent ensuite aux
détaillants. Ceux-ci, qui constituent le dernier niveau, sont responsables de la vente
directe aux consommateurs. On retrouve à ce stade les supermarchés, bars,
restaurants, hôtels et autres. Étant donné que les entreprises ne peuvent s’intégrer
verticalement, les brasseries ne peuvent entrer directement en contact avec les
1991 (Renvoi no : RE-91-001), puis confirmé par une ordonnance d’octobre 1991, le Tribunal canadien
du commerce extérieur confirme qu’il existe un dumping sur ce territoire. En 1994, le Tribunal revient
sur sa décision en 1994 et annule ses conclusions de préjudice sensible causé par le dumping. Molson et
Labatt portèrent alors leur cause devant un groupe spécial binational de l’ALENA, soutenant que le
Tribunal avait erré dans son jugement. Toutefois, le groupe spécial confirma la décision du Tribunal.
Voir <http://www.sice.oas.org/DISPUTE/nafta/french/C95041bf.asp>, accès le 14 mars 2004.
192
consommateurs. Le travail des brasseries se complique davantage, car elles doivent
tout de même rejoindre le consommateur.283
Bien que les états soient les responsables de l’industrie brassicole, l’influence du
gouvernement fédéral, au travers la taxation et le système des tiers, est importante. Ce
système trouve son origine dans la volonté des autorités américaines qui, à la fin de la
prohibition en 1933, ne veulent pas retrouver les pratiques de marketing et de ventes
agressives de la période précédente.284 La structure des trois tiers a pour objectif
d’organiser efficacement la collecte des taxes ; de faciliter le contrôle de l’industrie
par les pouvoirs publics ; d’encourager une consommation modérée ; finalement, de
réduire les occasions de corruption (BI, 01/08/1998; BW, 01/12/1993).
Si l’organisation de l’industrie n’a pas énormément varié depuis la fin de la
Prohibition, il n’en demeure pas moins qu’on observe une certaine évolution depuis le
début des années 1980. En effet, l’industrie brassicole américaine se caractérise par la
rapidité de la consolidation, et ce, aux trois niveaux. Cela ne signifie pas qu’il n’y
avait pas de concentration ni de consolidation au sein de l’industrie auparavant. La
principale différence entre la période étudiée et les époques antérieures tient au fait
que les trois niveaux de l’industrie vivent la consolidation, alors qu’auparavant ce trait
concernait principalement les brasseries. Dans le cadre ce cette étude, nous nous
attardons plus particulièrement aux deux premiers niveaux, les brasseries et les
réseaux de distribution. En outre, ce processus est clairement mené par les plus
importantes brasseries, et ce, même à l’échelle de la distribution.
Alors qu’au Canada, il existe un certain équilibre entre Molson et Labatt, aux ÉtatsUnis Anheuseur-Busch, la première brasserie américaine, accroît sans cesse sa
position depuis les années 1980, occupant actuellement une position dominante sur le
marché domestique (tableau 5.10). En outre, alors que la concentration dans les
283
Cela expliquerait, en partie, l’importance des dépenses de marketing et publicitaires des brasseries
américaines.
284
À la fin de la prohibition en 1933, le gouvernement fédéral américain accorda l’autorité aux états de
légiférer la vente d’alcool sur leur territoire. La quasi-totalité des états ajouteront un troisième niveau
dans le système de distribution d’alcool : le distributeur indépendant.
193
années 1970 est le fait de cinq entreprises, à partir des années 2000, trois entreprises,
Anheuseur-Busch, Miller et Coors, dominent le marché.285
Cette concentration entraîne la présence de quatre types de brasseries aux États-Unis :
au premier niveau, on retrouve Anheuseur-Busch ; le second niveau est composé de
SABMiller et Coors ; au troisième niveau se trouvent d’anciennes grandes brasseries
en perte de vitesse (Stroh, Heileman et S&P/Pabst); l’ultime niveau se compose des
microbrasseries et des bières importées. Selon leur positionnement, les brasseries se
dressent des objectifs distincts : pour Anheuseur-Busch, l’incontestable numéro un, il
s’agit avant tout d’accroître ses parts de marché. Durant les années 1980 et 1990, cela
se fait principalement au détriment de Pabst, Heileman et Stroh. Pour les brasseries du
second niveau, Miller et Coors, le défi est double. D’une part, elles doivent veiller à
maintenir leur position respective, i.e ne pas perdre de parts de marché face à
Anheuseur-Busch ; d’autre part, elles sont condamnées à innover et à initier les
guerres de prix afin de réduire l’écart avec la brasserie dominante. Les brasseries du
troisième niveau sont d’anciennes grandes brasseries perdant graduellement des parts
de marché. Elles sont condamnées à disparaître (Stroh, Heileman) ou à se positionner
dans une niche particulière (S&P/Pabst). Quant au dernier niveau, il sera approfondi à
la section suivante.
285
Il est bon de rappeler que durant les années 1990, deux des plus importantes brasseries américaines,
Heileman et Stroh, disparurent. Outre l’érosion graduelle de leurs parts de marché, les causes de leur
disparition respectives sont complexes et diffèrent quelque peu. En effet, leur chute s’explique soit par
une situation financière précaire (G. Heileman) ou par des revenus trop faibles (Stroh). Entre les années
1960 et le milieu des années 1980, ces deux entreprises avaient adopté une stratégie de croissance
basée sur l’achat de brasseries et de marques régionales. Lorsqu’il est devenu plus difficile d’acquérir
de nouvelles brasseries, les limites de cette stratégie sont clairement apparues. En février 1996, Stroh
acquit G. Heileman, consolidant sa quatrième position sur le marché américain. Heileman avait été en
faillite à plusieurs reprises depuis 1989. Cet achat permettait à Stroh de maintenir des parts de marché
combinées supérieures à 9%. Toutefois, cela ne freinera pas la chute de Stroh, qui disparaît à son tour
en 1999, vendant la majeure partie de ses actifs à sa concurrente Pabst ainsi que les marques Henry
Weinhard's et Mickeys à Miller.
194
Tableau 5.10 Évolution des parts de marché des brasseries américaines, 19702004 (en %)
Compagnie
AnheuseurBusch
Miller
Coors
Stroh
Heileman
S&P/Pabst
Autres
Total
1970
28,4
1975
38,1
1980
39,7
1985
42,0
1990
44,8
1995
44,0
2000
48,3
2004
49,4
21,1
7,8
13,5
10,1
10,7
8,4
100
20,8
8,3
13,0
10,6
6,1
3,1
100
21,3
8,4
12,3
10,1
5,1
3,1
100
21,6
8,6
11,7
9,0
4,5
2,6
100
22,3
10,0
8,4
6,4
3,4
4,7
100
22,6
10,1
9,6
4,0
3,3
6,4
100
20,7
11,1
N/A
NA
5,2
14,7
100
18,5
10,6
N/A
N/A
3,6
17,9
100
Sources : Beer Marketer’s Insights, Beer Industry Update. A Review of Recent Developments,
West Nyack, New York : Beer Marketer’s Insights, 2005; Impact, The US Beer Market.
Impact Databank Review and Forecast, 1990 Edition, New York: M. Shanken
Communications, 1990; Coors, SEC Filing 2004.
Le tableau 5.10 entraîne deux remarques additionnelles. On constate la disparition
progressive des brasseries du troisième niveau, Heileman, Stroh et, dans une moindre
mesure, S&P/Pabst. Leurs parts de marché sont accaparées à la fois par AnheuserBusch, les microbrasseries et les bières importées. La montée des bières importées
provoque, par ailleurs, la poussée de la catégorie “Autres”. Celle-ci comprend
également le segment des microbrasseries, lui aussi en hausse depuis les années 1990.
La consolidation frappe également le maillon le plus faible de l’industrie : les
distributeurs et grossistes. Depuis le milieu des années 1990, ils subissent la double
pression des brasseries et des détaillants. Les brasseries souhaitent une véritable
exclusivité de la distribution, cherchant ainsi à contrer la montée des microbrasseries
et à resserrer le contrôle sur leur réseau de distribution. En fait, les brasseries tentent
de contourner les législations des états : non seulement imposent-elles de plus en plus
de restrictions et de contrats d’exclusivité, mais elles possèdent aussi leurs propres
entreprises de distribution (BW, 15/09/2001).286 L’un des obstacles majeurs auquel
font face les distributeurs concerne la difficulté d’acquérir des compétiteurs qui
286
Anheuser-Busch, par exemple, a développé le programme “100% share of mind ” par lequel la firme
octroie des avantages appréciables aux grossistes avec lesquels elle possède une relation d’exclusivité.
L’argument des grandes brasseries est à l’effet qu’une relation exclusive force le distributeur à accorder
toute l’attention nécessaire à faire croître les marques de la brasserie. Toutefois, si l’exclusivité apparaît
bénéfique pour les brasseries, ce n’est pas nécessairement le cas pour les distributeurs. En effet, la
disparition de bières importées ou provenant de microbrasseries, qui dégagent généralement les plus
grandes marges bénéficiaires, de leur portefeuille de marques, réduit leurs profits.
195
promeuvent des marques concurrentes. Étant donné que les brasseries disposent du
dernier mot sur qui distribue leurs produits, si un distributeur acquiert un compétiteur
distribuant des marques concurrentes, il doit recevoir l’aval des brasseries touchées.
La consolidation entraîne une importante diminution du nombre de grossistes aux
États-Unis. Entre 1987 et 2000, le nombre de distributeurs baisse du tiers, passant de
3492 à 2347 (SLPD, 01/05/2001).
Les trois phases de la distribution : promotionnelle, opérationnelle et régulatoire, sont
influencées par la tendance à la concentration (BW, 01/12/1992 et 15/09/2001). Au
niveau promotionnel, les distributeurs doivent faire face à la permanence des rabais,
une forte pression sur les prix, les hausses de taxes et l’explosion des marques
disponibles. Étant donné qu’ils peuvent difficilement répercuter ces changements dans
leurs prix de ventes, les distributeurs doivent internaliser une partie ou la totalité de
ces hausses, d’où une réduction de leurs marges bénéficiaires. L’une des causes de
cette situation est la pression provenant des deux extrémités de l’industrie, les
brasseries et les détaillants (SLPD, 13/05/2001). Ces deux acteurs cherchent à réduire
leurs coûts, ce qui implique des demandes accrues des détaillants aux distributeurs,
notamment en matière d’entreposage et des marges bénéficiaires.
Au niveau
réglementaire, les distributeurs et grossistes doivent parfois composer avec les
décisions du gouvernement fédéral et des autorités étatiques. Le cas le plus éloquent
étant le doublement de la taxe d’accise en 1991.287
Deux des caractéristiques les plus importantes de l’industrie brassicole américaine,
qui expliquent pourquoi celle-ci est considérée comme la plus importante du monde,
concernent la rapidité avec laquelle les nouvelles bières se retrouvent sur le marché
ainsi que les revenus qu’elles procurent. Les nouveaux types de bières sont soit le
produit de brasseries américaines, soit l’importation ou l’adaptation de bières
étrangères. Toutefois, malgré ce foisonnement d’activité, la plus grande source de
profit des brasseries provient de leurs marques traditionnelles (National Petroleum
News, 01/11/1992).
287
En janvier 1991, la taxe d’accise fédérale doubla, passant de 9$ à 18$ le baril.
196
Par ailleurs, le niveau de profitabilité de l’industrie brassicole américaine, constitue
une force d’attraction importante. Il explique pourquoi plusieurs brasseries
internationales tentent de pénétrer ce marché. Selon les données du tableau 5.11, trois
des quatre compagnies les plus profitables (basé sur le profit d’opération et le profit
d’opération sur le revenu net), Anheuser-Busch, Heineken et Modelo, dépendent à des
degrés assez élevés du marché américain.
Dans le cas d’Anheuser-Busch, la compagnie tire l’essentiel de ses revenus des ÉtatsUnis, exportant un faible pourcentage de ses bières.288 En ce qui concerne Heineken et
Modelo, bien que des statistiques ne soient pas disponibles en ce sens, une part
importante de leurs profits provient également des États-Unis.289
288
Des entreprises présentes au tableau 5.11, Anheuser-Busch est avant dernière, derrière CCM, pour le
pourcentage de la production exporté avec 21% en 2003 (Impact, 2005: 380). Toutefois, selon le
rapport annuel de la compagnie, ce pourcentage se situerait plutôt à 7,56%, en deçà de CCM.
289
Au début des années 2000, il est estimé que les États-Unis et l’Europe représentent les 2/3 des
profits d’Heineken (Business Week; 08/09/2003). Pour ce qui est de Modelo, étant donné que les ÉtatsUnis reçoivent près de 90% de ses exportations et que les ventes internationales sont à la hausse depuis
la seconde moitié des années 1990, on en déduit que le marché américain représente une part de plus en
plus importante des profits de la firme.
197
Tableau 5.11 Revenu, Coût d’opération et Profit d’opération par litre de
certaines brasseries, 1999 et 2003 (en dollars/litre)
Firme
Pays
d’origine
Revenu net
Coût
d’opération
Profit d’opération
Profit
d’opération/
Revenu net
(%)
1999 2003
23 % 20%
1999
2003
1999 2003
1999
2003
0,70
0,76
0,54
0,61
0,16
0,15
(9711) (11 621)
(2231) (2335)
0,84
1,04
0,74
0,92
0,09
0,14
11 % 13%
(7615) (10 478)
(852)
(1383)
Asahi
3,81
3,18
3,51
2,81
0,29
0,21
8%
7%
(9823)
(9631)
(757)
(625)
Grupo
Mexi0,75
0,82
0,57
0,58
0,17
0,24
23 % 29%
Modelo
que
(2573)
(3406)
(594)
(1007)
SAB1
Afr. du
0,55
0,80
0,44
0,68
0,11
0,09
20 % 11%
Sud
(2877) (10 557)
(582)
(1256)
Kirin
Japon
1,35
1,54
1,20
1,37
0,15
0,17
11 %
(4607)
(5290)
(511)
(587)
11%
Miller
États0,79
NA
0,69
NA
0,09
12 %
Unis
(4342)
(511)
NA
NA
Interbrew
Belgi0,71
0,69
0,64
0,65
0,07
0,08
10 %
que
(4543)
(7975)
(446)
(950)
12%
Foster’s
Austra0,64
1,32
0,53
0,95
0,11
0,26
17 %
lie
(2046)
(2354)
(352)
(471)
20%
FEMSA/
Mexi0,71
0,83
0,59
0,68
0,12
0,13
16 %
CCM
que
(1679)
(2031)
(275)
(332)
16%
Ambev
Brésil
0,26
0,26
0,21
0,18
0,04
0,08
17 %
(1516)
(1988)
(254)
(646)
30%
Carlsberg
Dane0,71
0,85
0,63
0,77
0,07
0,09
10 %
mark
(2616)
(4636)
(269)
(464)
11%
Suntory
Japon
4,58
4,44
4,44
2,89
0,14
0,20
3%
(5022)
(4397)
(155)
(196)
5%
Coors
États0,77
1,04
0,72
1,13
0,05
0,08
7%
Unis
(2057)
(4000)
(142)
(307)
8%
Entre parenthèses: revenu net et profit d’opération net, en millions de dollars.
1 : les chiffres de 2003 incluent Miller.
Sources : Impact Databank, The Global Drinks Market. Impact Databank Review and
Forecast, 2001 Edition, New York: M. Shanken Communications, 2002; The Global Drinks
Market. Impact Databank Review and Forecast, 2004 Edition, New York: M. Shanken
Communications, 2005.
Anheuser
-Busch
Heineken
ÉtatsUnis
PaysBas
Japon
Le tableau précédent nous fournit plusieurs informations au sujet de la rentabilité et de
la profitabilité des BMN. Premièrement, il existe de très grandes variations dans
l’évolution des revenus, du coût d’opération et du profit des brasseries. Si la majorité
des firmes montrent une progression parallèle de leurs revenus et de leurs coûts, cinq
d’entre elles (Grupo Modelo, SABMiller, Foster’s, Suntory et Coors) présentent des
fluctuations plus importantes. Dans les cas de Grupo Modelo, Foster’s et Suntory, ces
198
changements sont positifs (plus forte augmentation/plus faible diminution des revenus
que la hausse/baisse des coûts), alors que dans les cas de SABMiller et de Coors, ces
changements sont négatifs (plus faible augmentation des revenus que l’augmentation
des dépenses).290 En outre, il est intéressant de noter l’importance de la variable coût
d’opération dans les résultats des firmes : les brasseries ayant les plus faibles coûts
d’opération présentent également les meilleurs ratios de profit d’opération sur le
revenu net.
Deuxièmement, les brasseries en provenance de PED, Ambev et Grupo Modelo,
connaissent les plus fortes progressions du ratio profit d’opération/revenu net entre
1999 et 2003. Elles sont les deux seules entreprises dont le ratio avoisine 30%. Les
brasseries américaines montrent une certaine stagnation (lorsqu’on analyse la
performance de SABMiller en 2003, on peut supposer que la branche américaine de la
nouvelle compagnie a influencé négativement la performance de la firme). On
observe la même tendance dans l’ensemble de l’industrie et plus particulièrement dans
le cas des brasseries japonaises.
Troisièmement, certains marchés, le Japon et la Grande-Bretagne principalement,
ainsi que les États-Unis dans une moindre mesure, de par la force de leur monnaie et
le prix de vente des bières, permettent des revenus plus élevés (BMI, 2005a). Les
brasseries japonaises (Asahi, Kirin et Suntory) présentent les plus hauts revenus par
litre de l’industrie. Toutefois, leurs coûts d’opération sont également les plus onéreux,
ce qui réduit leur niveau de profitabilité. Selon le tableau 5.11, elles possèdent
certains des taux de profit sur le revenu les plus faibles.
Finalement, si les revenus et les profits par litre ne varient pas substantiellement entre
1999 et 2003, les chiffres absolus augmentent considérablement pour plusieurs
entreprises. Dans la quasi-totalité des cas (Heineken, SABMiller, Interbrew et
Carlsberg), ces augmentations résultent des acquisitions qu’opèrent les firmes. On
remarque cependant deux exceptions notables : Ambev et Modelo. Malgré une
acquisition majeure, les revenus d’Ambev ne s’élèvent pas notablement ; par contre,
290
Pour les compagnies à solde positif, les écarts entre l’évolution des revenus et des coûts sont
de 7,6% (Grupo Modelo), 11,4% (Foster’s) et 31,8% (Suntory). Pour les firmes à solde négatif, ces
écarts sont de -9,9% (SABMiller) et –19,1% (Coors).
199
les profits de l’entreprise progressent de 154%. Modelo connaît aussi une forte hausse
de ses profits, mais contrairement à ses concurrentes, elle n’a pas procédé à des achats
de brasseries étrangères.
5.2.3.2 L’évolution de l’industrie brassicole américaine depuis 1990
Outre la consolidation des deux premiers tiers, à partir des années 1990, trois traits
marquants caractérisent l'industrie brassicole américaine : la poursuite de la baisse de
la consommation et les changements démographiques participant à cette évolution ; la
popularité croissante, quoique relative, des microbrasseries ; finalement, la stagnation
de la production nationale, compensée par la montée correspondante des bières
importées.
La tendance à la baisse de la consommation amorcée durant les années 1980,
s’accélère au début des années 1990, puis se stabilise au milieu de la décennie.
Comme le montre la figure 5.2, la consommation diminue de 9%, ou 8 litres, entre
1990 et 1995 ; par la suite, elle se stabilise aux environs de 83 litres/an. L’un des
facteurs ayant le plus accentué cette chute au début des années 1990 est le doublement
de la taxe d’accise en 1991 (BW, 01/02/1996). Celle-ci passe de 9$ le baril à 18$ le
baril ; l’augmentation correspondante des prix de vente conduit à la plus forte
réduction annuelle de toute la période.291
291
Notons que les représentants de l’industrie réussiront par la suite à contrecarrer les plans de
l’administration Clinton pour une seconde hausse de la taxe d’accise (BW, 01/02/1996).
200
Figure 5.2 Consommation per capita, 1990-2002 (en litres/an)
(%) 92
90
88
86
84
82
80
2
1
20
0
0
20
0
9
20
0
8
19
9
7
19
9
6
19
9
5
19
9
4
19
9
3
19
9
2
19
9
1
19
9
19
9
19
9
0
78
Sources : Beverage Idustry, 01/04/2001 et 01/05/2003
Si l’aspect fiscal représente une cause conjoncturelle de la diminution de la
consommation, les mutations démographiques de la société américaine constituent
une cause structurelle, non seulement en terme de quantité, mais également en ce qui
concerne les types de bières consommées. Trois éléments fondamentaux doivent être
pris en compte en ce qui concerne le marché américain : l’impact de la minorité
hispanophone, le vieillissement de la population, notamment les changements au sein
de la catégorie des 21-29 ans,292 ainsi que l’évolution des goûts des consommateurs.
Depuis les années 1980, on observe une progression constante de la population
hispanophone. En 1990, cette minorité représente 9% de la population totale ; en
2000, ce pourcentage passe à 12,5%.293 La montée de cette minorité entraîne de
profonds changements dans les ventes et les stratégies des brasseries. L’augmentation
de la population hispanophone, dont les Mexicains d’origine constituent la majorité,
offre un prolongement quasi naturel aux brasseurs mexicains (FEMSA, RA 2000). En
outre, ces consommateurs constituent un plus fort pourcentage de consommateurs de
292
Bien que la détermination de l’âge légal de consommation soit du ressort des états, le Congrès
américain adopta une loi proposant l’uniformisation de l’âge minimum de consommation à 21 ans. Les
états qui n’adopteraient pas cette mesure se verraient refuser un pourcentage des fonds alloués pour les
autoroutes. À partir de juillet 1988, tous les états s’étaient alignés à la proposition du Congrés (BAC,
1997).
293
US Census Bureau, <http://factfinder.census.gov/> accès le 5 septembre 2005.
201
bières light et importées (Daily News Los Angeles, 06/02/1999; Beverage Aisle,
15/04/2004).
L’importance croissante des hispanophones est telle que les brasseries adoptent des
stratégies particulières destinées à ceux-ci. Par exemple, Heineken a conçu une
campagne spécifique destinée aux hispanophones, eux qui représentent 25% des
ventes totales de la compagnie aux États-Unis (Business Week, 08/09/2003). Étant
donné la grande reconnaissance de leurs bières par cette population, les brasseries
mexicaines bénéficient d’un avantage certain vis-à-vis leurs concurrentes.
Par ailleurs, si la proportion des hispanophones augmente, on observe un
vieillissement de la population américaine. Cela se traduit par une diminution de la
catégorie des 21-29 ans, le groupe d’âge ayant la consommation per capita la plus
élevée.294 Plus généralement, c’est l’ensemble de la population entre 21 et 49 ans, les
principaux consommateurs de bière, qui diminue. Entre 1990 et 2000, la part de cette
population baisse de 1,4%, passant de 44,1% à 42,1%. Cette réduction relative est
contrebalancée par la hausse des adultes de plus de 50 ans.295 En 2000, ce groupe
constitue 27,3% de la population, une progression de 1,6% vis-à-vis 1990.296
Conséquence de la transformation démographique des États-Unis, on assiste à une
évolution des goûts des consommateurs. La baisse de la consommation de boissons
alcoolisées ne se limite pas uniquement à la bière, mais touche l’ensemble des
boissons alcoolisées.297 Parallèlement à la baisse de la consommation d’alcool, les
Américains accroissent leur consommation de boissons non-alcoolisées.
294
La consommation de bières est marquée démographiquement. La catégorie des 21-27 ans représente
le groupe-clé pour l’industrie. Elle correspond à la fois à l’entrée de nouveaux consommateurs, le
moment où la fidélisation débute, ainsi que la catégorie buvant la plus per capita, soit 247 litres/an (BI,
01/07/2002). Au début des années 2000, la consommation de ce groupe représente le double de son
poids démographique (Cheers, 01/11/2002).
295
Entre 1990 et 2000, tant la proportion des 0-20 ans (30,3% à 30%) que celle des 21-49 ans
diminuent. Seul le groupe des 50 ans et plus augmente.
296
US Census Bureau, <http://factfinder.census.gov/> accès le 5 septembre 2005.
297
Dans le cas des spiritueux, la baisse de la consommation s’amorce dès le milieu des années 1970. En
ce qui concerne le vin, après une hausse jusqu’au milieu des années 1980, la diminution débute à partir
de 1987 et se poursuit depuis (BAC, 1997).
202
La seconde tendance de fond à souligner durant les années 1990 est la montée des
microbrasseries. Cette progression se fait tant au niveau du nombre de microbrasseries
que du volume de ventes. En 1980, on ne retrouve que quatre microbrasseries aux
États-Unis (US News & World Report, 22/12/1997). À partir de la fin des années
1980, l’augmentation du nombre de microbrasseries est fulgurante : entre 1989 et
1995, l’augmentation du nombre de nouvelles microbrasseries oscille entre 29% et
55% ; par la suite, la progression ralentit (Rocky Mountain News, 20/05/2000).298
La croissance et la diversité des microbrasseries est telle que ce segment, qu’on
appelle aussi celui des bières spécialisées, se subdivise en quatre catégories : les
microbrasseries, les brasseries régionales, les brasseries à contrat et les brasseriesrestaurant.299 La production et les ventes de ce segment de l’industrie augmentent
aussi de manière importante durant la période. De fait, la catégorie des
microbrasseries est l’une des seuls segments de l’industrie brassicole américaine à
croître de manière soutenue durant les années 1990 : en 1995, la production des
microbrasseries s’élève à 4,8 millions d’hl ; en 2004, elle s’établit à 8,2 millions
d’hectolitres, une hausse de 71%.300
La forte croissance de la production et des ventes des microbrasseries, au début des
années 1990, a entraîné une augmentation parallèle de nouvelles microbrasseries et de
l’offre des types de bières. Cela pose un défi aux grandes brasseries. Les marges
bénéficiaires des bières microbrassées étant nettement plus élevées que les bières de
consommation de masse, les grandes brasseries s’intéressent de près à ce segment
durant la seconde moitié des années 1990. La difficulté, toutefois pour celles-ci,
devient alors la suivante : comment concurrencer les bières spécialisées dans un
segment de marché ne présentant pas d’importantes économies d’échelle, leur
principal avantage ? La réponse sera alors l’achat ou l’association à des
microbrasseries. Ainsi, Anheuseur-Busch, Miller et Coors, en entrant dans ce segment
298
Il se trouvait 1037 microbrasseries en 1996, 1250 en 1997, 1447 en 1999 et 1409 en 2003 (US News
& World Report, 22/12/1997 ; BW, 15/04/2002).
299
Microbrewery, Regional Specialty, Contract et Brewpub en anglais. En 2002, la répartition de ce
segment s’établissait comme suit : brasseries à contrat 18,2%, les brasseries régionales 59,8%, les
microbrasseries 11,8%,
les brasseries-restaurant 10,2% (Association of Brewers dans BW,
15/04/2003).
300
U.S.
News
&
World
Report
(12/22/1997)
et
<http://www.beertown.org/pr/pdf/2004_Craft_Beer_Stats.pdf> accès le 1er mars 2005.
203
et en ouvrant leur système de distribution nationale aux microbrasseries, profitent de
la croissance de celles-ci.301
Bien que la demande pour les microbrassées croît durant la période, elle ne suit plus
l’offre à partir de la fin des années 1990. Ce segment de l’industrie vit lui aussi une
consolidation depuis le milieu des années 1990. Depuis la seconde moitié des années
1990, on assiste à une certaine consolidation dans ce segment de l’industrie. La
production d’une variété toujours plus grande de bières conduit à une perte d’attention
de la part des microbrasseurs sur leurs marques les plus importantes (Cheers,
01/05/2000). De plus, la réticence des distributeurs à gérer une trop grande quantité de
marques entraîne des difficultés de distribution pour les microbrasseurs (BI,
01/10/97). Ces complications, bien qu’importantes, ne constituent pas le principal
obstacle des microbrasseries. Il faut plutôt regarder du côté des bières importées. Ces
dernières, de même que les bières dites “de spécialité” (microbrassées), font partie
d’une même sous-catégorie, i.e. les bières à prix élevé, et sont généralement
interchangeables aux yeux des consommateurs (BI, 01/08/1998).
Les bières importées ne représentent pas uniquement un défi pour les
microbrasseries : elles constituent la véritable locomotive de la croissance de
l’industrie au cours des années 1990. Alors que la production domestique diminue
après 1990 (tableau 5.12), la catégorie des bières importées connaît une croissance
beaucoup plus forte, surtout sous l’impulsion de Corona Extra et d’Heineken. En fait,
depuis le début des années 1980, nous assistons à un phénomène paradoxal en terme
de consommation : alors que la consommation per capita diminue de 14% entre 1980
et 2002 (tableau 5.8 et figure 5.2), la part des bières importées dans la consommation
nationale augmente de 857%, passant de 0,13% à 11,27% (tableau 5.9).302
301
Anheuseur-Busch procéda à l’acquisition de la brasserie Redhook Ale de Seattle (Nord-ouest) ;
Miller acheta ou s’associa entre autres avec Celis (Texas), Shipyard, (Maine) et possède des marques
avec une forte présence régionale telles que Leinenkugel's (Midwest) et Henry Weinhard's (Côte ouest).
Par contre Coors n’a pas procédé à l’achat de microbrasseries, se contentant de produire une bière avec
une présentation semblable aux bières microbrassées (Tribune Business News, 01/07/2002; BI,
01/08/1997).
302
Au cours des années 1980, les bières importées connaissent une forte croissance jusqu’en 1987; de
1988 à 1991 toutefois, les importations se réduisent, notamment en raison de la récession qui frappe les
États-Unis (BW, 01/02/1989).
204
Tableau 5.12 Production, exportations, importations, consommation et part des
bières importées 1975-2002 (en millions d’hl)
Année
Production
nationale
Export
ations
Importat
ions
Consom
Marché
Exportati Importat
mation
apparent ons / MA ions /MA
nationale (MA)
(%)
(%)
1975
174,65
0,22
1,97
174,08
176,40
0,12
1,12
1980
204,77
1,33
5,36
208,66
208,80
0,64
2,57
1985
206,34
0,82
9,29
214,06
214,81
0,38
4,32
1990
218,80
2,33
10,31
226,01
226,78
1,03
4,55
1991
215,70
2,78
9,30
220,93
222,22
1,25
4,19
1992
215,27
3,07
9,77
220,32
221,97
1,38
4,40
1993
215,58
3,30
10,85
220,76
223,13
1,48
4,86
1994
216,30
5,30
12,31
222,00
223,31
2,37
5,51
1995
214,18
6,52
13,22
219,35
220,88
2,95
5,99
1996
218,25
9,39
14,55
223,42
223,41
4,20
6,51
1997
215,67
7,39
16,54
224,82
224,82
3,29
7,36
1998
216,49
8,33
19,13
227,29
227,29
3,66
8,42
1999
218,60
6,81
20,89
232,68
232,68
2,93
8,98
2000
217,90
5,51
23,47
233,98
235,86
2,34
9,95
2001
217,43
5,28
25,58
235,85
237,73
2,22
10,76
2002
218,49
5,05
27,11
238,78
240,55
2,10
11,27
Sources : 1975 à 1995, Brewers Association of Canada, Alcoholic Beverage Taxation and
Control Policies, International Survey, Ottawa: BAC, 1997; 1996 à 2002: BI 01/04/2001
et 01/05/2003.303
En comparant les marchés canadien et américain, une différence importante ressort :
la part des exportations sur le marché apparent est nettement plus élevée au Canada
qu’aux États-Unis. Elle oscille entre 12% et 20% pour le Canada, alors qu’elle
n’atteint jamais les 5% dans le cas des États-Unis. Les brasseries canadiennes
dépendraient moins de la demande interne que les brasseries américaines. Toutefois,
une précision s’impose à cette étape. Contrairement aux brasseries canadiennes, les
brasseries américaines ont accordé plusieurs licences de production à l’étranger, ce
qui réduit la nécessité d’exporter. C’est notamment le cas pour plusieurs bières
américaines vendues au Canada.
Si la croissance relative des importations est très forte depuis 1990, sa croissance
absolue est également exceptionnelle. Entre 1990 et 2002, la progression des
importations compense la stagnation de la production nationale : celle-ci baisse de
303
Les statistiques concernant les marchés apparents canadien et américain diffèrent pour cause de
méthode de calcul.. Au Canada, la consommation nationale équivaut au marché apparent. Dans le cas
des États-Unis, le calcul de la production s’effectue en distinguant les bières taxées et les bières nontaxées. Le marché apparent américain est supérieur à la consommation nationale, car il prend en
compte une partie de la production non-taxée.
205
0,31 million d’hectolitres durant la période, alors que le marché apparent (la
consommation ou demande nationale) croît de 13,77 millions d’hectolitres. Par
ailleurs, ces données montrent la très faible importance que représentent les
exportations de bières pour l’industrie brassicole américaine. Entre 1993 et 1998, les
exportations connaissent une augmentation appréciable, compte tenu des niveaux
précédents : elles progressent de 5 millions d’hectolitres. Toutefois, elles régressent
depuis lors. La faiblesse des exportations se perçoit également lorsque comparée à la
demande interne. Malgré l’élévation des exportations entre 1993 et 1998, elles ne
surpassent jamais la barrière des 5% du marché apparent, alors que les importations
atteignent ce pourcentage en 1994.
Jusqu’au début des années 1990, il était avancé que la popularité des bières importées
était plus cyclique que celle des bières des grandes brasseries américaines. De 1980 à
1985, elles croissent à un taux moyen de 11,5%. De 1985 à 1990, le taux de
croissance est réduit à 2,1% par année (BW, 01/02/1992). En 1991, les importations
diminuent, résultat en grande partie du doublement de la taxe d’accise. Toutefois,
l’hypothèse de la cyclicité de ce segment semble inadéquat depuis 1991, car on
observe une progression ininterrompue, contrastant fortement avec la stagnation de la
production domestique et les cycles économiques de croissance et de récession.
206
Tableau 5.13 Évolution des importations de bières aux États-Unis par pays
d’origine, 1980-2003 (en millions d’hl)
Pays
Mexique
Pays-Bas
Canada
Allemagne1
G-B
Irlande
Belgique
Rép.
Tchèque2
Rép. Do
minicaine
Jamaïque
Autres
Total
1980
0,39
2,11
1,81
1985
0,97
3,38
2,27
1990
1,89
3,13
2,48
1992
1,8
2,87
2,51
1994
2,29
3,52
3,74
1996
3,74
4,09
3,62
1998
6,75
4,64
3,64
2000
8,92
5,86
3,9
2002
11,56
6,93
4,01
2004
12,52
7,05
3,66
0,56
1,52
1,28
0,96
1,05
1,1
1,3
1,49
1,53
1,49
0,12
0,08
ND
0,25
0,14
ND
0,38
0,28
ND
0,42
0,34
0,01
0,62
0,38
0,02
0,8
0,49
0,02
1,05
0,94
0,03
1,26
1,11
0,07
1,18
0,71
0,16
1,21
0,74
0,31
ND
ND
ND
0,02
0,05
0,06
0,08
0,1
0,17
0,17
ND
ND
ND
0,02
0,02
0,08
0,11
0,11
0,14
0,15
ND
ND
ND
0,04
0,06
0,07
0,1
0,13
0,13
0,17
0,4
0,94
1,19
0,7
0,52
0,46
0,51
0,65
0,72
0,69
5,38
9,33 10,35 9,69 12,25 14,52 19,15 23,60 27,24 28,16
1 : Jusqu’en 1990, n’inclut pas la République démocratique allemande
2 : Jusqu’en 1992, inclut la Slovaquie
Sources : 1980-1990: The US Beer Market. Impact Databank Review and Forecast, 1991
Edition, New York: M. Shanken Communications, 1991; 1992-1998: données du Beer
Institute; 2000-2004: Beer Marketer’s Insights, 2005 Import Specialty Insights. A
comprehensive Review of the Import and Specialty Beer Market, West Nyack, New York :
Beer Marketer’s Insights, 2005b.
S’il y a augmentation des importations depuis le début des années 1980, on remarque
que les principaux pays exportateurs demeurent sensiblement les mêmes (tableau
5.13). De 1980 à 2004, six pays, les Pays-Bas, le Mexique, le Canada, l’Allemagne, la
Grande-Bretagne et l’Irlande concentrent la presque totalité des exportations
brassicoles vers les États-Unis. En 1980, ce groupe représente 94,2% des importations
américaines ; en 2004, il constitue 94,7% des importations. Le Mexique connaît la
plus forte augmentation de la période, avec une nette accélération à partir de 1996.
Cette poussée permet au pays de dépasser les Pays-Bas en tant que premier
exportateur de bières aux États-Unis.
Par ailleurs, si les six premiers pays exportateurs restent identiques, on observe un
changement parmi les quatre autres membres du groupe d’exportateurs. En 1980,
l’Australie, la Chine, le Japon et le Danemark occupent les autres positions de tête. À
partir des années 1990, leurs exportations diminuent, fortement dans le cas du Japon
et du Danemark. Toutefois, comme le montre le tableau 5.12, leur importance apparaît
plutôt négligeable.
207
L’impact des bières importées ne se mesure pas uniquement à leur rôle de moteur de
la croissance de l’industrie aux États-Unis ; on doit également prendre en compte
l’importance du marché américain pour les firmes exportant leurs bières aux ÉtatsUnis. En effet, ce marché représente bien souvent la principale source de profit des
BMN hors de leur marché d’origine. Dans le cas de Heineken par exemple, les ÉtatsUnis comptent pour plus du quart des profits de la firme (Business Week,
08/09/2003). En fait, le marché américain demeure l’un des rares où la part des bières
importées surpasse les 10%.
208
Conclusion
Au cours de ce chapitre, nous avons étudié l’évolution de l’industrie brassicole
internationale et sa constitution en un marché de plus en plus mondial. L’industrie vit
un processus de consolidation depuis les années 1980. Il résulte à la fois de la
globalisation et de la régionalisation des activités des entreprises. Si ces dernières
constituent les moteurs de ces deux processus, elles en subissent paradoxalement les
effets, car elles doivent se transformer, passant de brasseries nationales à
multinationales. Les mutations ne concernent pas uniquement les firmes, mais
touchent aussi les attitudes et habitudes des consommateurs. Si les marchés nationaux
demeurent le premier terrain d’affrontement des BMN, la concurrence n’est plus
limitée à ces marchés, mais devient régionale et globale. Pour les brasseries, cela
implique une présence de plus en plus importante sur tous les marchés.
Cette obligation d’internationalisation doit intégrer l’existence de deux types de
marchés à l’échelle internationale : les marchés matures et les marchés émergents,
chacun possédant ses caractéristiques propres et présentant des défis uniques. Seule la
prise en compte de ces distinctions et l’élaboration de stratégies différenciées,
correspondant à chacun de ces marchés, permettra à certaines firmes d’émerger au
terme du processus de globalisation de l’industrie. Il n’est pas insensé de croire qu’à
moyen ou long terme, quatre ou cinq brasseries domineront l’industrie brassicole
internationale et qu’un second groupe de BMN continuera de jouer un rôle important
dans l’industrie. Dans cette optique, il nous apparaît que le premier groupe sera
composé d’Heineken, d’Inbev, d’Anheuseur-Busch, de SABMiller et de Carlsberg.
Quatre de ces cinq firmes peuvent être considérées comme des entreprises globales,
alors que la cinquième, Anheuseur-Busch, domine le plus important marché au monde
et a entrepris de rattraper son retard international.
Par ailleurs, la constitution d’un marché mondial, quel qu’il soit, ne peut se réaliser
sans un accord tacite des États. Dans le cas de l’industrie brassicole internationale, le
rôle de l’État est double. D’une part, les autorités de la concurrence nationales, à
travers leurs consentements ou refus, affectent directement la consolidation de
l’industrie. Les cas Interbrew-Bass (refus initial de la Monopolies and Mergers
209
Commission de la Grande-Bretagne,) et de Brahma-Antartica (acceptation du CADE
brésilien) montrent que les décisions des États peuvent affecter positivement ou
négativement les stratégies des firmes. D’autre part, la concentration du marché
chinois a dévoilé une application concrète de la théorie de la diplomatie triangulaire.
Les brasseries chinoises, jusqu’à récemment, demeuraient sous propriété étatique.
Leur privatisation, de même que l’attrait du marché pour les brasseries étrangères,
pousse les différents paliers gouvernementaux chinois et les BMN à négocier leur
entrée sur le marché et au capital de certaines brasseries.
En ce qui concerne le marché nord-américain plus spécifiquement, entendu ici comme
le Canada et les États-Unis, son évolution peut être caractérisée par la double
tendance à la concentration d’une part, et à la diversification, à la spécialisation et à
l’éclatement d’autre part. Concentration, car au fil des ans, un nombre de plus en plus
réduit de brasseries contrôle une part toujours plus grande du marché national. Alors
qu’au Canada, Labatt et Molson contrôlent environ 90% du marché, le niveau de
concentration est un peu plus faible au États-Unis, où trois firmes possèdent plus de
80% du marché.
Si l’on assiste à la concentration de l’industrie, on observe également un retour en
force des microbrasseries. Bien que ce segment ne représente qu’une modeste portion
de la production, son influence aura été marquante durant la décennie des années
1990, forçant les grandes brasseries à s’adapter aux goûts des consommateurs et
pavant la voie à la popularité croissante des bières importées. En somme, le
développement des microbrasseries, bien qu’il ait attiré l’attention des grandes
brasseries au Canada et aux États-Unis, ne constitue pas un défi pour ces dernières,
mais plutôt pour les bières importées. Par le public visé et les prix pratiqués, ces deux
segments sont directement en concurrence.
Au début des années 1990, un spécialiste américain, Robert S. Weinberg, identifia
trois défis qui se poseraient à l’industrie brassicole américaine durant la décennie.
Premièrement, elle aurait à ravir des parts de marché aux autres boissons alcoolisées ;
ensuite, elle aurait à élargir sa base de consommateurs, i.e. rejoindre les non buveurs
de bières en leur présentant des alternatives susceptibles de les convertir à cette
210
boisson ; finalement, elle aurait à retenir les consommateurs plus âgés, eux qui
réduisent généralement leur consommation avec l’âge
(Weinberg dans BW,
01/12/1991). Ces enjeux se posaient également au marché canadien. La progression
des marques étrangères, principalement de Corona Extra et d’Heineken, peut être
considérée comme une des principales réponses à ces défis. L’apparition de boissons à
base de malt, les malternatives, en collaboration avec les principales compagnies de
spiritueux, représente l’autre grande réponse des brasseries.
*
**
Trois enseignements majeurs peuvent être tirés de ce chapitre. Premièrement, la
formation d’un marché mondial, dans une ère de globalisation, passe par une double
concentration, nationale et internationale. Le développement des BMN constituerait
l’expression de cette double consolidation. Ensuite, mis à part le cas chinois, on ne
retrouve pas d’autre application concrète de la théorie de la diplomatie triangulaire
dans l’industrie brassicole internationale. La spécificité de ce marché, alors que l’État
est propriétaire d’un nombre important de brasseries, facilite son intervention et sa
accroît sa capacité de négociation vis-à-vis des firmes étrangères. Ces remarques nous
conduisent au constat suivant : dans le cas d’une industrie de consommation de masse
et à faible apport technologique, les États, à moins d’une présence directe dans
l’industrie, ne s’engageront pas dans des négociations État-firme.
Finalement, au niveau national, l’évolution des industries brassicoles semble être une
application concrète de l’approche de l’école de Chicago en théorie de la
concurrence : tant les brasseries que les grossistes moins efficaces tendent à
disparaître, alors que les firmes bénéficiant des économies d’échelle croissent et
augmentent leurs parts de marché. Si l’approche de l’École de Chicago de la
concurrence s’applique très bien à l’industrie brassicole, celle-ci ne constitue pas un
bon exemple pour la théorie des marchés contestables. L’existence de très forts coûts
irréversibles (sunk costs) limite la possibilité d’entrée de nouvelles brasseries sur les
marchés nationaux.
211
TROISIÈME PARTIE
LA RÉGIONALISATION ET LA GLOBALISATION DE
L’INDUSTRIE BRASSICOLE MEXICAINE
212
CHAPITRE VI
L’INTERNATIONALISATION DES BRASSERIES MEXICAINES
L’industrie brassicole mexicaine est devenue, depuis les années 1980, l’une des
grandes industries exportatrices du Mexique. Bien que Modelo ait initié son
internationalisation à la fin des années 1970 et que CCM exporte déjà à l’étranger
depuis les années 1930, ce n’est qu’à partir du milieu des années 1980 que les
exportations jouent un rôle fondamental dans la stratégie des brasseries mexicaines.
Ce chapitre a pour objectif d’étudier le processus d’internationalisation des brasseries
mexicaines depuis les années 1980. Il complète le chapitre précédent en se penchant
exclusivement et en détail sur le développement international des brasseries
mexicaines. Pour ce faire, nous tenterons de répondre aux questions suivantes :
Quelles sont les causes de l’internationalisation de Grupo Modelo et de CCM ?
Quelles sont les stratégies des brasseries mexicaines au niveau régional et global ?
Est-ce compatible avec ce que nous disent les théories de la firme et de la FMN ?
Observe-t-on une plus grande influence de la globalisation ou de la régionalisation
dans les stratégies utilisées par les brasseries mexicaines ? Quelles sont les similitudes
et les différences entre les stratégies des brasseries mexicaines ?
De par la concentration de plus en plus poussée qu’elle provoque, la globalisation
représente l’élément structurant de la transformation de l’industrie brassicole
internationale depuis les années 1980. Toutefois, dans le cas du Mexique, elle cède le
pas à la régionalisation. La proximité géographique de ses plus importants marchés
d’exportation, les États-Unis et le Canada, conduit les brasseries mexicaines à
privilégier ces marchés au détriment du reste du monde. Toutefois, si CCM et Modelo
accordent davantage d’importance à l’Amérique du Nord, elles ne sont pas pour
autant absentes des marchés internationaux.
Dans l’analyse du marché mondial de la bière, il a été montré que la globalisation
transformait la structure des brasseries. Ces dernières sont passées de brasseries
213
nationales à multinationales : elles utilisent une combinaison de production
nationale/exportation et de production internationale (filiales à l’étranger). Toutefois,
cela n’est pas le cas des brasseries mexicaines, qui privilégient exclusivement la
production nationale. Cela conduit les deux entreprises à favoriser l’exportation
comme mode d’internationalisation.
Modelo et CCM s’internationalisent en deux phases, une première marquée par la
régionalisation et une seconde où dominerait la globalisation. Si les deux processus
influencent l’expansion des brasseries, la proximité géographique du plus important
marché d’exportation, les États-Unis, contribue à renforcer la prééminence de la
régionalisation. Par ailleurs, bien que l’internationalisation de l’industrie précède tout
juste l’ouverture du Mexique à l’économie mondiale, elle ne sera pas influencée par
les décisions de l’État mexicain. Tant l’adhésion au GATT que l’ALENA, qui
fortifient la création indirecte d’une industrie brassicole nord-américaine, n’exerceront
pas d’influence directe importante sur les stratégies des brasseurs mexicains.
Afin de répondre aux exigences de sa croissance internationale, Modelo transforme en
partie sa structure organisationnelle tandis que CCM développe un partenariat
stratégique. Durant les années 1990, alors que l’internationalisation de Modelo peut
être vue comme un processus linéaire et continu, le développement international de
CCM est marqué par des ruptures majeures : Modelo maintient l’objectif de globaliser
ses exportations pendant que CCM procède à deux replis stratégiques. Dans les deux
cas, cependant, les résultats montrent une dépendance grandissante vis-à-vis
l’Amérique du Nord. L’internationalisation de Modelo et de CCM constitue un
exemple représentatif de l’ouverture internationale de l’économie mexicaine depuis
les années 1980. Une première phase de régionalisation est suivie par une tentative de
globalisation des ventes. Cette stratégie montrant ses limites, les entreprises se
rabattent par la suite sur leur région d’origine.
Dans le débat sur l’impact de la globalisation, l’internationalisation de CCM et de
Modelo va à l’encontre des idées reçues. Non seulement les deux entreprises ne
modifient-elles pas leur structure organisationnelle, la production demeurant
entièrement nationale, mais elles voient une diminution de leur projection
214
internationale au profit d’une croissance basée sur la régionalisation des exportations.
Les différents choix d’internationalisation des brasseries mexicaines et des BMN
montrent la complémentarité entre la globalisation et la régionalisation. Selon leurs
objectifs et ressources, les firmes choisiront l’une des deux options : globaliser ou
régionaliser leurs activités (production et/ou ventes).
6.1 Les deux phases du développement international de l’industrie
brassicole mexicaine
6.1.1 La première phase : la régionalisation
Pour les firmes mexicaines, la décennie des années 1980 marque l’entrée dans l’arène
de la concurrence internationale. La crise de 1982 signale non seulement la fin de la
croissance basée sur le marché interne, mais aussi l’hallali de la stratégie
d’industrialisation par substitution aux importations.304 L’ouverture de l’économie
nationale, combinée au programme de libéralisation qu’initie l’administration de la
Madrid constituent les réponses de l’État à la crise. Ces transformations impliquent
par ailleurs que les grandes entreprises mexicaines doivent s’internationaliser si elles
ne veulent pas disparaître. En outre, le développement de marchés internationaux
répond à la nécessité de pallier la contraction du marché interne suite à la crise
économique de 1982. Cette internationalisation passe avant tout par une intégration de
plus en plus poussée aux États-Unis. Bien que plusieurs formes d’internationalisation
s’offrent aux firmes, l’option que retiennent les compagnies mexicaines durant cette
première phase est l’exportation. Les brasseries mexicaines ne dérogent pas à la
tendance.
Pour les entreprises mexicaines, la plus grande ouverture du marché nord-américain
signifie
des
opportunités
d’exportation
additionnelles.
Les
années
1990,
particulièrement l’ALENA, marquent la seconde étape de la régionalisation de
l’industrie brassicole mexicaine. Celle-ci se caractérise par une plus grande
intégration à l’industrie brassicole nord-américaine.
304
Durant les années 1980, la croissance du Mexique est quasi nulle. Après une croissance de 8,8%
entre 1980 et 1981, le PIB s’établissant à 4862 milliards de pesos de 1980, la production stagne durant
le reste de la décennie. Ce n’est qu’à partir de 1987 que la croissance repart et qu’à partir de 1988 que
le PIB à prix constant surpasse le niveau de 1981 (Banque du Mexique, 1991).
215
6.1.1.1
L’Amérique du Nord, objectif central des brasseries mexicaines
Pour les brasseries mexicaines, la nécessité de s’internationaliser apparaît au tournant
des années 1980, alors qu’elles se trouvent confrontées à un marché interne en
contraction, résultat de la crise de 1982. Avant cette période, la stratégie de croissance
des brasseries mexicaines se centre avant tout sur le marché national (Oliveira VeraCruz, 2000: 114). Alors que la production totale de l’industrie s’élève à un peu plus de
28 millions d’hectolitres en 1981, elle chute de 15,8% les deux années suivantes
(tableau 6.1). Il faut attendre 1987 avant que l’industrie ne retrouve les niveaux de
production d’avant la crise. L’une des conséquences de cette situation est la
diminution des revenus des brasseries.305 En effet, entre 1981 et 1983, les ventes de
bières sur le territoire national baissent de 16,3%, provoquant une diminution
correspondante des revenus. Afin de pallier cette baisse des revenus, les brasseries
chercheront des débouchés à l’étranger, avant tout aux États-Unis.
Tableau 6.1
Année
Exportations de l’industrie brassicole mexicaine 1980-1992, (en
hectolitres)
Cuauhtémoc
Moctezuma
Total
Cua/Moc
Modelo
Total
Production
totale
204 649
171 902
376 551
8 494
385 045
26 042 152
1980
198 415
175 584
373 999
13 766
387 765
28 067 214
1981
167 948
205 492
373 440
29 264
402 704
27 583 414
1982
181
444
196
125
377
569
67
545
445
114
23 608 693
1983
235 771
249 603
485 374
137 877
623 251
25 085 360
1984
273 466
262 668
536 134
458 611
994 745
27 393 604
1985
316 294
274 599
590 893
1 205 274
1 796 167
27 491 402
1986
402 353
378 501
780 854
2 164 038
2 944 892
28 707 047
1987
406 347
298 675
705 022
1 918 182
2 623 204
31 341 230
1988
378 064
227 975
606 039
1 469 450
2 075 489
36 463 830
1989
396 594
303 398
699 992
1 421 553
2 121 545
36 971 737
1990
338 706
335 876
674 582
1 376 051
2 050 633
38 701 331
1991
367 430
355 226
722 656
1 629 468
2 352 124
39 811 381
1992
Source : Bear Stearns, The Mexican Beer Industry, Special Report, emerging Markets
Equity Research, New York, 1994.
305
À titre d’exemple, VISA, propriétaire de Cuauhtémoc, perdit 6,345 milliards de pesos en 1982,
malgré des profits lors des premiers trimestres de l’année ; dans le cas de Moctezuma, sur des ventes de
23,4 milliards de pesos durant les neuf premiers mois de 1983, l’entreprise perdit 2,244 milliards de
pesos (Expansión, 28/03/1984, 21/12/1983).
216
Dans un premier temps donc, les brasseries mexicaines s’appuient sur le marché
américain. Bien que Cuauhtémoc et Moctezuma exportent aux États-Unis depuis la
première moitié du XXè siècle, l’internationalisation de l’industrie prend
véritablement son essor à partir des années 1980, alors que Cuauhtémoc et
Moctezuma augmentent leurs niveaux d’exportation au nord et que Modelo
entreprend d’exporter ses bières. Durant cette première phase qui va jusqu’à la fin des
années 1980, les brasseries adoptent une stratégie internationale centrée sur les ÉtatsUnis puis le Canada.
Au début des années 1980, les exportations mexicaines s’avèrent plutôt faibles, ne
constituant qu’environ 1,5% de la production totale (tableau 6.1). Après une faible
hausse de 10,5% en 1983, les exportations augmentent très rapidement par la suite :
de 0,44 million d’hectolitre en 1983, elles passent à 1 million d’hl en 1985 puis à 2,94
millions d’hectolitres en 1987, un bond de 568%. Deux éléments ressortent de cette
progression des exportations. D’une part, elle reflète la rapide ascension de Modelo en
tant que principale exportatrice de bières mexicaines. La brasserie débute ses
exportations à la fin des années 1970. En 1980, ses exportations n’atteignent même
pas les 10 000 hectolitres, mais elles croissent à des taux supérieurs à 100%
annuellement jusqu’en 1987 alors qu’elles atteignent 2,2 millions d’hectolitres.
Figure 6.1 Part des exportations mexicaines de bières à destination à des
États-Unis, 1982-1989 (en %)
(%) 99
98
97
96
95
94
93
92
91
90
89
1982
1983
1984
1985
1986
1987
1988
1989
Sources : 1982-1986 : Beer Marketer’s Insights, 1987 Beer Industry Update. A
Review of Recent Developments; 1987-1989 : Impact Databank, The US Beer Market.
Impact Databank Review and Forecast, 1990 Edition, New York: M. Shanken
Communications, 1990.
217
S’il y a une très forte hausse des exportations à partir de 1984, les États-Unis
apparaissent comme la destination de la quasi totalité de celles-ci (figure 6.1). Cette
tendance s’observe avant l’éclatement de la crise de 1982 et se poursuit durant
l’ensemble de la décennie. La part des exportations des brasseries vers les États-Unis
surpasse 95%, sauf en 1984, où elle se situe en deçà de ce seuil.306 La proximité
géographique, la présence d’une forte minorité d’origine mexicaine, de la
compétitivité-prix des bières mexicaines vis-à-vis des autres bières étrangères
expliquent en grande partie le succès des trois brasseries mexicaines.
D’autre part, la progression des exportations brassicoles mexicaines n’est pas suivie
d’une augmentation correspondante des importations. La balance internationale du
Mexique en matière de commerce international de la bière est nettement positive
durant cette période. Elle suit en cela l’exemple du Canada.
Tableau 6.2
Année
1980
1982
1984
1986
1988
1990
1992
1994
1995
Importations et exportations de bières en Amérique du
Nord, 1980-1995 (en milliers d’hl)
Canada
Imp.
Exp.
591
1878
223
2188
296
2380
337
2482
545
2602
686
2497
605
2518
579
3739
659
3581
États-Unis
Imp.
Exp.
5361
1332
6755
638
8456
432
10 375
657
11 032
1194
10 310
2328
9767
3073
12 310
5298
13 216
6516
Mexique
Imp.
Exp.
385
403
623
1796
25
2623
160
2122
217
2352
370
2917
225
3908
Source : Brewers Association of Canada, Alcoholic Beverage Taxation and Control
Policies, International Survey, Ottawa: BAC, 1997.
Entre 1980 et 1995, les exportations de bières mexicaines passent de 385 000 à
presque 4 millions d’hectolitres, alors que les importations, quasi nulles avant 1986,
atteignent seulement 225 000 hectolitres en 1995. Les statistiques disponibles
montrent que les importations croissent à un rythme accéléré entre 1988 et 1994, puis
diminuent par la suite (tableau 6.2 et Walden et White, 1999). En termes
306
Cette baisse soudaine et temporaire s’expliquerait par le retrait des bières mexicaines du système
généralisé des préférences américaines en 1983 et de la décision subséquente de Cuauhtémoc de
diversifier ses exportations.
218
d’exportations et d’importations, l’industrie brassicole mexicaine ressemble à
l’industrie brassicole canadienne. Dans les deux cas, les exportations surpassent
largement les importations. La principale destination des exportations est également la
même, les États-Unis, ce qui contribue par ailleurs à la balance négative de ces
derniers. En ce qui concerne les importations, bien qu’elles soient similaires pour le
Mexique et le Canada, une donnée importante doit être prise en compte. La
multiplication des licences de production (cf. chapitre 4) augmente la présence des
marques étrangères au Canada, ce qui a pour effet de réduire les importations, mais
d’augmenter la consommation des bières américaines.
Pour les brasseries mexicaines, la méconnaissance des marchés internationaux, de
même que la proximité du plus important marché brassicole du monde — ce qui
réduit considérablement les coûts de transport — facilitent le choix des États-Unis
comme destination des exportations. De plus, la présence d’une très forte minorité
d’origine mexicaine dans les états frontaliers fournit une base de consommateurs déjà
habitués aux produits de ces firmes. Par ailleurs, durant cette phase et tout au long de
la période que couvre cette étude, les bières mexicaines jouissent d’un avantage au
niveau du prix vis-à-vis des bières importées en provenance d’Europe ou du Canada
(Daily News Los Angeles, 06/02/1999). En un peu plus de 20 ans, les bières
mexicaines augmentent considérablement leurs parts aux États-Unis : alors qu’elles ne
représentent que 6% des bières importées en 1979, elles constituent 41% des bières
importées en 2001 (BI, 01/05/2002).
Si les années 1980 sont surtout marquées par l’augmentation des exportations
mexicaines à destination des États-Unis, les années 1990 voient la consolidation de la
régionalisation de l’industrie. La négociation puis l’entrée en vigueur de l’ALENA
jouent un rôle déterminant dans ces développements.
219
6.1.1.2
L’ALENA ou la consolidation de la régionalisation des brasseries
mexicaines
L’impact de l’ALENA touche différemment les trois industries brassicoles
d’Amérique du Nord. Bien qu’il n’y ait qu’une seule mesure explicite concernant
cette industrie,307 les effets de l’accord n’en sont pas moins importants puisqu’ils
provoquent des réactions différentes de la part des acteurs concernés et, d’une certaine
façon, la création d’une véritable industrie régionale.
Aux États-Unis, deux positions distinctes s’affrontent : d’une part, les grandes
brasseries telles qu’Anheuser-Busch et Miller considèrent qu’un tel accord n’aurait
que peu d’impact sur leurs parts de marché et qu’une plus grande ouverture de leurs
deux voisins ne pourrait qu’être bénéfique. De par leur taille, ces entreprises
n’éprouvent pas beaucoup de craintes et voient dans cette situation de nouvelles
opportunités de croissance (Walden et White, 2001). D’autre part, les microbrasseries
se retrouvent sur la défensive. Une plus grande présence des bières importées risque
d’affaiblir leurs positions. Afin de contrer cette possibilité, les microbrasseries doivent
miser sur une stratégie de marketing mettant l’emphase sur la qualité de leurs produits
et la fierté des gens qui les produisent (Walden et White, 1999).
Dans leur ensemble, les brasseries canadiennes apparaissent comme les plus inquiètes
des trois pays. Selon Walden et White (1999), l’industrie canadienne, dans sa grande
majorité, craint deux conséquences possibles de l’ALENA : le dumping des
entreprises américaines et la perte de leurs parts de marché.
Cette crainte est
davantage exprimée par les microbrasseries, étant donné que les bières importées
concurrenceraient leurs produits sur le même segment de marché.
De par sa structure et son histoire, l’industrie brassicole mexicaine semble être la
moins craintive des trois. La très faible présence étrangère au Mexique et l’existence
d’un marché duopolistique rendent plus difficile l’entrée de nouvelles concurrentes.
Ajoutez à cela le goût très prononcé des Mexicains pour les produits nationaux et
l’assurance des brasseries mexicaines. Mais cela ne signifie pas pour autant que les
307
Selon l’article 312 de l’accord, portant sur les vins et boissons alcoolisées, il devait y avoir une
élimination graduelle des droits tarifaires mexicains entre 1994 et 2001, ceux-ci passant de 20% à 0%.
Le Canada et les États-Unis avaient déjà éliminé les droits tarifaires sur la bière.
220
dirigeants mexicains n’ont aucune appréhension d’une plus grande ouverture : la
source de leurs craintes se situe ailleurs, plutôt dans la possibilité que des brasseries
américaines se portent acquéreuses de leurs compagnies.
Alors que l’accord ne modifie pas les tendances exportatrices des brasseries
mexicaines, il exerce une triple influence sur le développement de l’industrie
brassicole mexicaine au cours des années 1990 : il provoque une plus grande
ouverture du marché nord-américain de la bière ; il offre un meilleur accès et une
réduction des prix des matières premières ; finalement, il accroît la nécessité de créer
des alliances avec des partenaires du Nord.
La première conséquence de l’ALENA sur l’industrie brassicole nord-américaine est
donc son intégration au niveau régional. Cette ouverture résulte avant tout d’un
meilleur accès du marché mexicain aux bières canadiennes et américaines. Puisque
ces deux dernières sont passablement intégrées (cf. chapitre 5, 2è partie).308 Bien que
les tarifs existants ne disparaissent pas immédiatement, le Mexique s’engage à
éliminer les droits tarifaires sur une période d’une dizaine d’années. Les autorités
mexicaines réduisent immédiatement les droits de douane de 20% à 16% en 1994 et
de 2% par année par la suite jusqu’à l’élimination complète en 2001.309 Cette mesure
devait signifier pour les brasseries nord-américaines une diminution du prix de leurs
bières. Par contre, pour les exportations mexicaines, il n’y a pas de changement
majeur puisque leurs produits pénètrent déjà les deux marchés libres de droits de
douane.
Par ailleurs, l’accord permet à l’industrie brassicole mexicaine de combler deux de ses
déficiences majeures : un meilleur accès aux matières premières et une réduction des
prix de celles-ci. L’une des grandes faiblesses de l’industrie tient au fait qu’elle ne
308
Lors de la négociation de l’Accord de libre-échange Canada-États-Unis, l’article 1204 excluait la
bière du traitement national (chapitre 5) ; toutefois, l’Accord prévoyait l’élimination progressive des
tarifs douaniers sur un période de dix ans, se terminant en 1999. Au Canada, l’accord sur commerce
intérieur de 1991 éliminait les barrières commerciales interprovinciales, tandis qu’en avril 1992 les
provinces canadiennes s’engageaient à éliminer certaines barrières commerciales vis-à-vis des bières
importées. Le Mémorandum d’accord États-Unis – Canada sur les pratiques provinciales de
commercialisation de la bière de 1993 complétait la libéralisation de l’industrie brassicole canadienne
(BAC, 1997).
309
<http://ffas.usda.gov/itp/policy/nafta/alcoholi.html> accès le 12 mars 2002.
221
peut se procurer toutes les matières premières nécessaires à la fabrication de la bière
localement.310 Bien que le Mexique produise de l’orge, la production s’avère parfois
insuffisante pour les besoins des brasseries.311
Tableau 6.3
Production mondiale de houblon, 1990-2004 (en tonnes)
1990
1995
2000
2004
Canada
348,9
165
ND
ND
États-Unis
25 843
35 767,5
30 653,2
25 040,1
Allemagne
27 622
34 120,9
29 286,4
33 208
114 415, 6
127 653,2
96 611,6
92 656,6
Monde
Source : Joh Barth & Sons, The Barth Report, plusieurs années
Quant au houblon, le Mexique n’en produit pas. Les brasseries doivent l’importer
dans sa totalité et se trouvent donc soumises aux fluctuations internationales (Zepedo
Mauleon, 27/11/2001; FEMSA, ADR 2003). Modelo et CCM achètent généralement
le houblon soit par arrangements contractuels ou sur le marché libre. Comme le
montre le tableau 6.3, les États-Unis et l’Allemagne représentent les principaux
producteurs de cet ingrédient. Par ailleurs, la production de houblon, contrairement à
la production de bière, diminue depuis le milieu des années 1990 et la tendance
devrait se poursuivre pendant plusieurs années (Barth Report, 2005). L’une des
conséquences de cette situation est la propension à un plus faible dosage de houblon
par hectolitre de bière produit (Barth Report, 2002).
Le principal avantage que l’industrie retire de l’ALENA du point de vue de l’accès
aux matières premières tient surtout à la baisse du prix de celles-ci, en particulier celui
de l’orge. Avant l’entrée en vigueur de l’accord, le prix interne de l’orge est de
beaucoup supérieur aux prix internationaux ; cependant, après la mise en place de
310
L’orge, le houblon, la levure et l’eau sont les principales composantes de la bière.
L’ALENA fixe un quota d’importation de l’orge (ou de son produit transformé, le malt) libre de
droits que peut importer l’industrie brassicole. Le quota a été fixé à 150 000 tonnes en 1994 avec une
hausse annuelle de 5% par la suite. L’accord permet également à l’industrie d’importer davantage que
le quota sans qu’un tarif ne soit imposé si celle-ci peut faire la preuve que la demande ne peut être
satisfaite. Bon an mal an, la consommation d’orge de l’industrie s’élève à environ 600 000 tonnes. En
1997, par exemple, l’industrie a dû importer 95 619 tonnes d’orge de plus que les 173 644 tonnes que
permettait l’ALENA (VISA, ADR 1998). À partir de 2003 cependant, les quotas d’importation d’orge
ont été éliminés.
311
222
l’accord, le prix de l’orge diminue au Mexique, de sorte qu’il n’existe pratiquement
plus de différence entre les prix internationaux et les prix internes (VISA, ADR 1998).
La conséquence la plus importante de l’ALENA sur l’industrie brassicole mexicaine
aura sans doute été la nécessité de nouer des alliances avec des brasseries américaines
et canadiennes (Bratu Hernandez, 1996; Fernández Sánchez-Navarro, 2000;
Rodríguez Garza, 02/05/2002). Comme nous l’avons souligné précédemment, les
dirigeants de l’industrie ne redoutent pas l’arrivée de nouveaux concurrents sur le
marché mexicain, celui-ci étant fermé. Ils craignaient davantage que des brasseries
canadiennes, mais surtout américaines, n’en profitent pour lancer des offres publiques
d’achat (OPA) non-sollicitées. De telles offres limiteraient la liberté décisionnelle des
dirigeants des entreprises, réduisant du même coup leur capacité à formuler les
stratégies de développement et/ou de croissance à moyen ou long terme (Bratu
Hernandez, 1996; Reyes Salcido, 09/05/2002). Outre cette appréhension d’OPA,
Grupo Modelo et CCM considèrent que l’accord créerait une concurrence à l’échelle
régionale et non plus à l’échelle nationale. Elles devaient donc se préparer à cette
nouvelle donne. Les alliances que nouèrent les brasseries, surtout Modelo,
s’apparentent ainsi à une stratégie défensive, destinée à préserver leur indépendance, à
protéger leurs positions sur le marché national et à participer au mouvement de
concentration régionale (Fernandez Sánchez-Navarro, 2000; Rodríguez Garza,
02/05/2002).
6.1.2
La seconde phase : de la régionalisation à la globalisation
Si la première phase est celle de l’apprentissage, la deuxième phase peut être
caractérisée comme celle de la maturité. En effet, non seulement les brasseries
mexicaines apprennent-elles à évoluer sur les marchés internationaux, mais elles
adoptent également des stratégies leur permettant de se positionner très favorablement
sur ces marchés. Dans un premier temps, elles se concentrent principalement sur les
États-Unis. À partir de la fin des années 1980, elles développent une véritable
stratégie internationale, stratégie là aussi basée sur l’exportation. Ainsi, Modelo et
CCM, plus que la régionalisation, seraient influencées par la globalisation de
l’industrie brassicole internationale. Pourquoi ce processus, la globalisation, se
développe-t-il à partir des années 1990 comme l’élément structurant de
223
l’internationalisation de l’industrie brassicole mexicaine ? Deux explications sont
possibles.
Premièrement, la globalisation apparaît comme le prisme dominant pour les dirigeants
des deux compagnies. La globalisation des activités étant la stratégie que poursuivent
les principales BMN, il devient fondamental que les brasseries mexicaines y
participent (Diez Morodo, 23/01/2003). Ainsi, en plus d’être un processus marquant
de l’évolution des industries à l’échelle internationale, la globalisation participerait du
discours général des brasseurs mexicains.
Deuxièmement, et au-delà du discours des dirigeants des deux firmes, les BMN
refaçonnent, depuis la fin des années 1980, mais surtout à partir des années 1990,
l’industrie brassicole internationale sur une base globale. La concurrence, bien qu’elle
se déroule sur des marchés nationaux, intègre maintenant une composante globale. Il
devient donc impératif pour qui veut demeurer un acteur majeur dans l’industrie de
s’adapter à ce processus.
6.1.2.1 La globalisation des brasseries mexicaines
Si la globalisation de l’industrie brassicole mexicaine prend son envol à partir de la
fin des années 1980, elle s’amorce, bien que timidement, suite au retrait des bières
mexicaines du système général des préférences américain en 1983.312 Afin de combler
une perte potentielle de revenus en provenance des États-Unis, les brasseries doivent
trouver de nouveaux débouchés pour leurs bières. C’est ainsi que Cuauhtémoc
annonce son intention de diversifier ses exportations, notamment vers l’Europe (PaysBas), l’Asie (Japon) et certains pays d’Afrique (Expansión, 21/12/1983). Cela se
traduit immédiatement par une baisse de la part des États-Unis dans les exportations
brassicoles mexicaines en 1984 ; la situation se stabilisant par la suite (figure 6.1).
C’est principalement suite au ralentissement des exportations vers les États-Unis à la
fin des années 1980 que les brasseries mexicaines tournent leurs regards vers le reste
312
Alessio Robles (1968) souligne que les brasseries mexicaines exportaient déjà en Amérique du Sud
durant les années 1960, mais que ces exportations étaient plutôt symboliques : sur 31 856 251 litres de
bières exportées en 1967, seulement 17 999 litres le furent vers le Cône Sud, soit environ 0,05% des
exportations mexicaines.
224
du monde (BW, 01/04/1993). On assiste donc, à partir de la fin des années 1980, au
processus de globalisation des brasseries mexicaines et cela à un rythme
très
rapide.313 Les exportations se dirigent principalement vers l’Europe de l’Ouest, le
Japon et l’Océanie. Cependant, compte tenu de la stratégie d’exportation des
brasseries mexicaines, le rythme de l’expansion internationale est ralenti par leur
niveau de production. En effet, Grupo Modelo et CCM ne produisent pas
suffisamment afin d’approvisionner à la fois le marché national, les États-Unis et les
autres marchés internationaux (BW, 01/04/1993).
Après ces premières incursions à la fin des années 1980, le rythme de pénétration de
nouveaux marchés augmente rapidement au début des années 1990. Dans le cas de
CCM, la firme triple sa présence internationale en cinq ans : en 1990, elle est présente
dans vingt et un pays; en 1995, ce nombre passe à une soixantaine de pays
(VISA/FEMSA, RA 1990; VISA, ADR 1998). Quant à Modelo, l’entreprise se
montre beaucoup plus agressive que sa concurrente. Jusqu’en 1985, Modelo n’exporte
qu’aux États-Unis; à partir de 1985, la firme exporte au Canada et au Japon, puis
viendront l’Europe de l’Ouest, l’Australie et la Nouvelle-Zélande en 1989. C’est
réellement à partir des années 1990 que Modelo accélère son internationalisation :
entre 1993 et 1999, le nombre de pays où l’on retrouve les produits de Modelo passe
de cinquante-six à cent cinquante.314 Afin d’organiser une telle couverture, Modelo
établit six bureaux à travers le monde.
Afin de pénétrer ces nouveaux marchés, les brasseries doivent être au courant des
stratégies de leurs concurrentes ainsi que de plusieurs aspects du marché ciblé :
l’utilisation des moyens de communication internationaux, une bonne compréhension
des politiques fiscale et monétaire du pays en question, son système tarifaire et de
commercialisation, de même que les grandes tendances politiques et sociales
traversant le pays (Expansión, 16/08/1995).
313
Par exemple, lors d’un voyage en Europe au début de 1993, Valentin Diez Morodo, le vice-président
chargé des exportations de Modelo “ouvre” sept nouveaux marchés, tout en découvrant de nouveaux
marchés potentiels (BW, 01/04/1993).
314
Femsa, RA plusieurs années; Modelo, (2000) et RA plusieurs années.
225
Tableau 6.4
Année
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
Exportations de bières mexicaines 1992-2004, en millions
d’hectolitres (% du total des exportations entre
parenthèses)
Modelo (%)
1,63 (69,3)
1,70 (67,2)
2,08 (71,2)
2,89 (73,9)
3,72 (78,3)
4,99 (80,2)
6,46 (83,0)
7,55 (83,3)
8,55 (83,2)
9,99 (84.4)
11,12 (85.0)
11,82 (85.7)
12,23 (84,5)
FEMSA-Cerveza (%)
0,72 (30,7)
0,83 (32,8)
0,84 (28,8)
1,02 (26,1)
1,03 (21,7)
1,24 (19,8)
1,32 (17,0)
1,51 (16,7)
1,73 (16,8)
1,84 (15.6)
1,96 (15.0)
1,98 (14.3)
2,24 (15,5)
Total
2,35
2,53
2,92
3,91
4,75
6,23
7,78
9,06
10,28
11,83
13,08
13,80
14,47
Sources : Grupo Modelo, Rapport annuel 2001 (pour 1992 à 2000) et 2004;
FEMSA, Rapport annuel 2000 (pour les chiffres de 1995 à 2000) et 2004; VISA,
ADR 1998 pour les années 1992-1994.
En observant le tableau 6.4 et la figure 6.2, nous remarquons plusieurs tendances
intéressantes : 1) non seulement les exportations de Modelo sont-elles plus
importantes que celles de CCM, mais leur croissance est plus rapide celles de CCM ;
2) depuis 1992, la part des exportations dans la production totale croît sans cesse pour
Modelo alors qu’elle fluctue dans le cas de CCM ; 3) les exportations occupent une
place de plus en plus importante dans la production totale des deux entreprises, en
particulier pour Modelo qui voit sa part des exportations sur la production totale
quadrupler, alors que la part des exportations sur la production totale de CCM double
à peine ; 4) la part de marché de Modelo en matière d’exportation croît alors que celle
de CCM décroît ; 5) le boom des exportations débute en 1995,315 ce qui laisse croire
que les alliances stratégiques avec les partenaires du Nord commencent à porter fruits.
Quels sont les résultats de l’internationalisation des brasseries mexicaines ? De prime
abord, le développement international de Modelo et de CCM est exclusivement basé
sur les exportations, aucune des deux entreprises n’établissant de filiale à l’étranger ou
accordant de licences à des brasseries étrangères. La production internationale cède le
315
Compte tenu de ses chiffres plus que modestes, on peut penser que FEMSA connaît une bonne
année en matière d’exportations en 1995. Toutefois, les chiffres diminuent en 1996. Le point 5 ne
s’applique donc pas totalement à FEMSA.
226
pas à l’exportation, car les brasseries semblent posséder des avantages marqués à
produire localement puis à exporter par la suite. La totale intégration verticale des
brasseries facilite la production nationale, tandis que le manque de ressources
financières, comparativement aux autres BMN, constitue un handicap quant à
l’établissement ou à l’achat d’unités productives à l’étranger.316
À l’aube des années 1980, les exportations du Mexique n’atteignent pas le demimillion d’hectolitres, ce qui ne permet même pas au pays de se classer parmi les dix
premiers pays exportateurs de bières. La situation est radicalement opposée à la fin
des années 1990, alors que le pays se trouve en troisième position des pays
exportateurs, avec 9 millions d’hectolitres, derrière les Pays-Bas (12 millions
d’hectolitres) et l’Allemagne (9,2 millions d’hectolitres) (Toronto Star, 02/01/2001).
En 2003, le Mexique est devenu le premier exportateur de bières au monde,
surpassant les Pays-bas. Du point de vue des brasseries elles-mêmes, Modelo occupe
une part sans cesse croissante des exportations mexicaines (tableau 6.2). Entre 1992 et
2003, les parts de Modelo passent de 69,3% à 85,7%. En chiffres absolus, c’est
presque 12 millions d’hectolitres qu’exporte l’entreprise, la quasi-totalité des
exportations des Pays-Bas.
316
La politique de non-endettement de la firme limite sa marge de manœuvre. La quasi-totalité des
profits étant réinvestis dans l’amélioration des installations au Mexique, Modelo ne chercherait pas à
produire à l’étranger.
227
Figure 6.2
Part des exportations des brasseries mexicaines
dans la production totale, 1981-2003 (en %)
30
25
(%)
20
15
10
Modelo
CCM
5
19
81
19
83
19
85
19
87
19
89
19
91
19
93
19
95
19
97
19
99
20
01
20
03
0
Année
Sources : 1980-1992: Bear Stearns, The Mexican Beer Industry, Special
Report, Emerging Markets Equity Research, New York, 1994; 19932003: Modelo et CCM, Rapports annuels, plusieurs années.
L’année 1987 semble constituer une anomalie, mais ce n’est pas le cas. Elle
s’explique par la très forte hausse des exportations de Grupo Modelo et sa position de
plus en plus dominante sur le marché national. Les exportations mexicaines triplent
entre 1985 et 1987, alors que la production totale n’augmente que de 4,8%. Les
exportations absorbent non seulement la hausse de la production totale, mais pallient
la diminution de la consommation interne (de 26,4 à 25,8 millions d’hectolitres). À
partir de 1988, la consommation nationale croît de nouveau (28,7 millions
d’hectolitres) ce qui réduit la part des exportations.
Par ailleurs, les exportations jouent un rôle de plus en plus important pour l’industrie
brassicole mexicaine. Cela s’avère encore plus vrai pour Modelo qui connaît deux
périodes distinctes de hausse de la part des exportations. Entre 1981 et 1987, les
exportations passent de 0,1% à 15,8% de la production totale de l’entreprise (figure
6.2). Après une baisse entre 1988 et 1991, la part des exportations augmente de
nouveau, passant de 7,4% à 28,2% entre 1991 et 2003 (figure 6.2). En ce qui
concerne CCM, durant la même période, les exportations représentent 3,6% et 8,1%
des ventes totales de l’entreprise.
228
Pour les deux entreprises, les marchés extérieurs prennent une importance croissante
vis-à-vis du marché national. Tant pour CCM que Modelo, la part des exportations sur
la production nationale augmente fortement jusqu’en 1987 puis diminue pendant les
quatre années suivantes. À partir de 1991, elle augmente de nouveau, et ce, jusqu’à
2003. Cependant, cette tendance est nettement plus marquée pour Modelo que pour
CCM. En outre, et comme il sera montré par la suite (cf. chapitre 7), cette projection
internationale augmente davantage les revenus des deux firmes puisque les bières
vendues à l’étranger le sont à un prix beaucoup plus élevé qu’au Mexique. En somme,
l’augmentation de la part des exportations sur la production nationale apparaît comme
une stratégie de maximisation des revenus des brasseries.
6.1.2.2 Entre le discours et la réalité
Alors que les dirigeants de CCM et Modelo considèrent que la globalisation joue un
rôle fondamental dans leurs stratégies d’internationalisation, cela ne semble pas être le
cas lorsqu’on analyse les résultats au cours des années 1990. On peut même affirmer
que l’importance relative des marchés hors Amérique du Nord diminue au fil de la
décennie. En effet, si Modelo et CCM exportent de plus en plus vers les marchés
internationaux, la part des exportations vers l’Amérique du Nord croît plus
rapidement. Bien que les exportations vers les États-Unis reculent par rapport au reste
du monde à la fin des années 1980 et au début des années 1990, elles reprennent une
tangente ascendante dans la seconde moitié des années 1990.
Ainsi, pendant que la tendance à la hausse des exportations mexicaines reprend au
début des années 1990, la part destinée aux États-Unis diminue assez rapidement.
D’un sommet de 97,2% en 1987, les États-Unis ne représentent plus que 77,7% des
exportations mexicaines en 1993 ; le Royaume-Uni (6,8%), la Belgique (3,7%), le
Canada (2,2%), et le Japon (2,1%) deviennent des marchés importants pour CCM et
Modelo (Expansión, 12/10/1994). Toutefois, moins de dix ans plus tard, la tendance
s’est inversée. Les exportations à destination de l’Amérique du Nord passent de 80%
à 89,1% au début des années 2000 (ANAFACER, 2004b).
Le
cas
de
l’Europe
est
particulièrement
intéressant
pour
l’étude
de
l’internationalisation des brasseries mexicaines. CCM, Cuauhtémoc avant elle,
229
exportent sur le continent avant la poussée des années 1990. Suite à la diversification
de ses exportations, la firme augmente sa présence en Europe, avec une attention
particulière à la Grande-Bretagne (cela explique pourquoi ce pays reçoit 6,8% des
exportations mexicaines en 1993). En 1997, alors que s’amorce le recentrage de la
stratégie de la firme autour des États-Unis, l’entreprise abandonne sa politique
d’expansion au profit d’une stratégie centrée autour des marchés-clés. Modelo adopte
une approche différente. Contrairement à CCM toutefois, les activités de la firme en
Europe sont coordonnées par deux bureaux, l’un en Espagne l’autre en Belgique. En
1992, Modelo double ses exportations vers l’Europe, celles-ci passant de 1,5 à 3
millions de caisses (BW, 01/04/1993).317
Deux des grandes difficultés auxquelles sont confrontées les brasseries concernent le
coût des bières mexicaines de même que les préférences des consommateurs
européens. Compte tenu de la stratégie de production nationale qu’adoptent Modelo et
CCM, cela entraîne des coûts de transport supérieurs aux brasseries européennes et
autres BMN, ce qui se reflète sur les prix de vente. Par ailleurs, la nature des marchés
européens, où l’on retrouve une plus grande variété de bières, et les habitudes de
consommation qui en découlent, produit une plus grande segmentation des marchés
(Business Mexico 01/12/2001).
Tout comme pour le marché mexicain, les marchés nationaux, tant en Europe qu’en
Asie ou en Amérique du Sud, possèdent de fortes barrières à l’entrée. Ces barrières
sont soient conjoncturelles318 ou structurelles (des infrastructures nationales, un réseau
de distribution tant national que régional, les coûts de transport, etc.). C’est en partie
pour limiter les effets de ces barrières que Modelo établit plusieurs bureaux à
l’étranger.
En somme, deux régions, l’Amérique du Nord et l’Europe, concentrent la quasitotalité des exportations mexicaines, ce qui laisse un rôle plutôt marginal aux autres
317
D’environ 120 000 à 245 000 hl.
L’Autriche, la Suisse et l’Allemagne ont notamment fermé l’accès de leur marché à Corona Extra,
alléguant que la bière contenait un trop fort niveau de nitrosamines, une substance cancérigène. De
plus, la compagnie dut faire face à de nombreuses plaintes de concurrence déloyale logées par des
brasseries allemandes (BW, 01/04/1993).
318
230
régions de la planète. Et même la part des exportations destinée au marché européen
baisse durant la seconde moitié des années 1990. La perte d’importance des marchés
internationaux durant cette période résulte surtout du retour de la croissance des
exportations vers les États-Unis et l’attention particulière qu’y accordent les brasseries
mexicaines. En outre, l’accès au marché américain, en plus d’être plus profitable que
les autres, y est beaucoup plus facile, tout en étant moins coûteux, tant en terme de
temps, d’argent que d’apprentissage des divers marchés nationaux (Expansión,
22/08/2001).
Le triple mouvement de régionalisation, de globalisation puis de retour sur la
régionalisation que suivent les brasseries mexicaines pose la question de l’impact de
la géographie et de la distance sur les exportations des brasseries mexicaines. Une
récente littérature s’est développée étudiant l’importance de la distance (Coughlin,
2004 ; Carrère et Schiff, 2004 ; Wall, 2003 ; Cairncross, 1997; Berthelon et Freund,
2004; Brun et al., 2005; Hummels, 1999) sur les échanges. Le concept de distance des
échanges (DDE) s’est ainsi développé afin de rendre compte de l’impact de la
géographie sur les échanges commerciaux.319
Malgré la diminution des coûts de transports et d’accès à l’information, ce qui aurait
pu laisser croire à la perte d’importance de la proximité géographique (Cairncross,
1997; Berthelon et Freund, 2004), “the death of distance” dans la littérature, et donc
une augmentation des échanges avec des pays de plus en plus éloignés, on remarque
qu’en fait la DDE entre les nations s’est réduite depuis les années 1960 (Carrère et
Schiff, 2004). Bien que la fragmentation de la production s’accroisse depuis les
années 1980, résultat des transformations des modes de gestion des entreprises, ces
dernières maximiseront leurs gains de productivité en s’établissant ou en réalisant
une partie de la production à proximité des marchés finaux (Coughlin, 2004).
319
La distance des échanges renvoie à la distance moyenne que parcourt le commerce international
d’un État à un autre. Il permet d’appréhender la distribution géographique et l’intensité des échanges
d’une nation : plus la distance des échanges est faible, plus le pays commerce avec des partenaires
géographiquement rapprochés ; plus la distance est grande, plus les marchés sont éloignés (Coughlin,
2004).
231
La réduction de la DDE, que Cook et Kirkpatrick (1997) qualifient de distance
économique entre les nations, résulte de plusieurs facteurs. Les coûts de transport, les
accords commerciaux régionaux,320 le différentiel de croissance du revenu national, la
fragmentation de la production internationale ainsi que le commerce contre-saisonnier
constituent les principales variables explicatives de cette baisse de la DDE (Coughlin,
2004 ; Carrère et Schiff, 2004).321
Par ailleurs, une autre partie de la littérature s’intéresse davantage au contenu de ce
qui est échangé (Berthelon et Freund, 2004), aux coûts des échanges (Hummels, 1999
et 2001) ainsi qu’au facteur temporel (Evans et Harrigan, 2003) dans l’étude de la
DDE. Dans le premier cas, on étudie avant tout la sensibilité (sensitivity) des biens à
la distance ainsi que les industries les plus affectées par une variation de la DDE. Les
variations dans la DDE des États résulteraient avant tout de l’évolution de certaines
industries et non pas de l’ensemble de l’économie nationale.322 En outre, les biens
homogènes, tels que la bière, seraient deux fois plus influencés par la sensibilité de la
distance que les biens différenciés. Dans le second cas, on explique les variations des
échanges en étudiant l’évolution du coût des transports de marchandises ainsi que les
transformations des modes de transport.323 En ce qui concerne le facteur temps, il
320
La prise en compte des accords d’intégration régionale influence négativement la distance des
échanges. En altérant la distribution spatiale des clients et fournisseurs des firmes, ainsi qu’en
multipliant les possibilités de localisation de ces dernières à l’intérieur de la zone, ces accords
transforment la direction des échanges en faveur des pays membres (Wall, 2003). On rejoint ici
l’argument traditionnel du détournement de commerce qu’induisent les accords.
321
Les auteurs n’accordent pas la même importance à chacun des facteurs explicatifs. Si on reconnaît
que la diminution des coûts de transport, résultat du développement de la containerisation, de
l’assouplissement des réglementations nationales et de la baisse des prix de l’énergie, explique en
partie la baisse de la DDE, les autres facteurs ne donnent pas lieu à un tel consensus. Coughlin (2004)
et Wall (2004), par exemple, soulignent le rôle-moteur des accords d’intégration régionaux.
L’élimination des barrières tarifaires entre les pays membres pousserait ceux-ci à accroître leurs
échanges commerciaux, réduisant ainsi leur DDE. Toutefois, Carrère et Schiff (2004) montrent que la
DDE des pays participant à des accords d’intégration régionale diminue plus lentement que pour les
pays ne participant à aucun accord.
322
Berthelon et Freund (2004) notent que malgré un accroissement de la sensibilité à la distance d’un
faible pourcentage des industries, environ 25% d’entre elles, l’importance de la distance des échanges
n’a pas évolué significativement depuis les années 1980.
323
Les coûts de transport constituent un aspect fondamental du commerce international, bien que la
littérature ne soit pas très développée à ce sujet. Si des études ont été réalisées sur les coûts par avion et
par bateau, les coûts reliés au transport terrestre sont plus difficiles. Malgré de multiples innovations
technologiques (particulièrement la containerisation), les tarifs du fret maritime n’ont pas décru depuis
la Deuxième Guerre mondiale ; ils fluctuent selon les périodes. Alors que le fret aérien a
considérablement progressé durant la période, les tarifs diminuent fortement (Hummels, 1999). En ce
qui concerne les coûts du transport terrestre, peu d’études permettent d’évaluer leur évolution durant la
même période ; toutefois, Hummels estime qu’ils ont passablement baissé, notamment aux États-Unis.
232
affecte non seulement la distance des échanges, mais plus généralement le mode
d’organisation des entreprises. Le remplacement d’une gestion taylorienne par le
“juste à temps” implique une plus grande proximité des sous-traitants, réduisant ainsi
la distance que parcourent les marchandises. La production, de même que la
distribution/livraison, sont ainsi affectées par la variable temporelle. Ces
transformations permettent également aux détaillants de maintenir des stocks moins
élevés tout en répondant rapidement à la demande (Evans et Harrigan, 2003;
Coughlin, 2004).
L’utilisation du concept de distance des échanges dans le cas des brasseries
mexicaines nous aide à mieux saisir l’évolution des exportations de bières mexicaines.
Bien que Modelo et CCM soutiennent que la globalisation représente le facteur le plus
important de leur internationalisation (Salinas Arrumbide, 13/05/2002; Abasolo,
14/05/2002; Sánchez Navarro, 04/06/2002; Díez Morodo, 22/01/2003), une analyse
plus approfondie de leur organisation et des statistiques disponibles montre une
dépendance grandissante vis-à-vis l’Amérique du Nord.
Bien que les quantités et les montants soient minimes, au début des années 1980, la
distance des échanges des bières mexicaines tend à s’accroître (tableau 6.1 et figure
6.1). La fin des années 1980 et le début des années 1990 voient une plus grande
diversification des exportations et, par conséquent, une augmentation de la DDE.
Toutefois, à partir de la seconde moitié des années 1990, la tendance se renverse.
L’Amérique du Nord accapare une part de plus en plus importante des exportations
mexicaines de bière, réduisant la DDE (tableau 6.4 et ANAFACER, 2004b).324
Comme le remarque l’ANAFACER (2004b), malgré la multiplication des accords de
libre-échange que signe le Mexique, les exportations des brasseries demeurent
concentrées sur l’Amérique du Nord. Les deux sections suivantes nous permettront de
comprendre cette évolution en analysant comment chaque firme initie et organise son
internationalisation.
324
Dans le cas de CCM, par exemple, 72% de ses exportations étaient à destination des États-Unis en
1996 ; en 1998, ce sont 84,5% des exportations qui vont aux États-Unis, alors qu’en 2001 l’Amérique
du Nord accapare 90,3% des exportations de la firme (FEMSA, RA plusieurs années).
233
6.2
Grupo Modelo : l’expansion internationale
6.2.1
Les débuts de l’aventure exportatrice
Bien que les premières exportations de Modelo vers les États-Unis datent des années
1940, ce n’est qu’à la fin des années 1970 que celles-ci se convertissent en un élément
central de la stratégie de développement de l’entreprise. Les dirigeants de Modelo
notent que de nombreux vacanciers retournent vers le Nord en y emportant des
bouteilles. Ils remarquent également que de nombreux détaillants américains achètent
de grandes quantités de Corona et les revendent par la suite aux États-Unis
(Expansión, 21/07/1999;
BI, 01/02/2001). C’est afin de profiter de ce marché
potentiel que Modelo crée le département des exportations en 1979.325 Au cours des
premières années, les exportations s’élevèrent à environ 20 000 caisses (BI,
01/02/2001).
Lors de cette phase initiale, Modelo doit faire face à plusieurs problèmes, certains
commerciaux, d’autres politiques. L’entreprise ne possède aucune expérience des
marchés internationaux ni des stratégies habituellement utilisées par les brasseries afin
de pénétrer un marché étranger. De plus, en corollaire à cette méconnaissance de
l’aspect international de cette industrie, les bières de la compagnie sont totalement
méconnues internationalement, sauf pour les gens ayant visité le Mexique. Par
ailleurs, la compagnie doit également faire face à des barrières tarifaires et nontarifaires (Expansión, 21/07/1999).
Afin de surmonter ces problèmes, l’entreprise débute par des tests de goût en
Californie, un état ayant un fort pourcentage de Mexicains d’origine, donc habitués à
Corona Extra. Suite à cette expérience concluante, Modelo lance officiellement
Corona Extra à Austin, au Texas, en 1981.326 Durant cette première phase aux ÉtatsUnis, la firme se concentre sur les états de l’Ouest, là où la population d’origine
mexicaine est forte. Ainsi, outre le Texas, la firme introduit sa bière en Californie, au
Nouveau-Mexique et en Arizona (Expansión, 21/07/1999; BI, 01/02/2001).
325
Avant cette date, les exportations de Modelo ne résultaient pas d’une stratégie clairement définie par
l’entreprise. Il s’agissait avant tout de quantités négligeables résultant d’importations individuelles de
distributeurs américains sans aucun lien avec la compagnie.
326
Bien que Modelo exporte cinq des dix marques qu’elle produit, Corona Extra représente plus de
90% de ses exportations. En fait, il existe une telle identification de Corona Extra à l’entreprise que
nous utiliserons parfois la marque dans la description des activités de la firme.
234
Après des débuts plutôt modestes, les ventes de Corona Extra explosent entre 1985 et
1987 : en 1985, Modelo exporte un peu moins de 0,5 million d’hectolitres ; deux ans
plus tard, c’est 2,1 millions d’hectolitres qui sont exportées, la quasi-totalité vers les
États-Unis (tableau 6.1). Les ventes sont telles que Corona Extra se retrouve en
deuxième position des bières importées en 1986, position qu’elle conservera jusqu’en
1997, alors qu’elle dépassera Heineken pour se convertir en la bière importée la plus
populaire aux États-Unis.
Toutefois, le succès de Modelo, qui apparaît inexplicable aux yeux des experts,
entraîne une conséquence non prévue. Des rumeurs surgissent à partir de 1986 à
l’effet que l’eau mexicaine n’est pas pure (BI, 01/02/2001) et que Corona Extra
contient un produit cancérigène (Solas-Porras, 1998). Bien que Modelo prenne les
moyens afin de contrecarrer ces rumeurs, le mal est fait. À partir de 1988, les
exportations de Modelo vers les États-Unis diminuent, résultat des rumeurs et du
ralentissement économique que connaît ce pays, et ce jusqu’en 1991. Il faut toutefois
remarquer que si les exportations de Corona Extra baissent durant ces années, ce n’est
pas uniquement dû aux rumeurs concernant la qualité du produit. En effet, c’est
l’ensemble du segment des bières importées qui perd de la popularité durant cette
période (cf. chapitre 5). En outre, en ce qui concerne Corona Extra, la loyauté des
consommateurs envers la marque, l’une des clés du succès de l’industrie brassicole à
travers le monde, n’était pas aussi forte qu’il n’en paraissait (BI, 01/02/2001).
D’une certaine façon, le développement fulgurant de Modelo aux États-Unis entre
1985 et 1987 prend tous les observateurs par surprise, car la croissance de Corona
Extra est allée à contre-courant des stratégies traditionnelles de lancement de
nouvelles marques. Au lieu de miser sur une forte campagne publicitaire, Modelo
préfère s’appuyer sur le bouche à oreille, la forte base de Mexicains d’origine et la
présentation directe de sa bière.
Durant sa première phase d’expansion internationale, la régionalisation joue un rôle
fondamental dans la stratégie de Modelo. En effet, de 1979 à 1987, l’entreprise ne
pénètre que les marchés américain et canadien. La stratégie de Modelo peut être
qualifiée de consolidation offensive dans la mesure où l’entreprise cherche avant tout
235
à généraliser sa présence aux États-Unis et à trouver de nouveaux débouchés pour ses
bières. En outre, la crise que connaît le Mexique à cette époque facilite ce choix. Il
permet à la compagnie de réduire sa dépendance vis-à-vis d’un marché national en
perte de vitesse, où les revenus, malgré des niveaux de ventes élevés, ne
correspondent pas aux attentes, résultat des dévaluations des années 1980.
Le processus de globalisation de la brasserie s’amorce à partir de la seconde moitié
des années 1980. Entre 1987 et 1996, Modelo pénètre 122 marchés (Herrero, Massaro
et Deshpandé, 2001). L’expansion débute par l’Asie, alors que l’entreprise pénètre en
Australie, au Japon et en Nouvelle-Zélande en 1987. En 1989, ce sera au tour de la
France, de la Grande-Bretagne et de l’Italie, notamment. Au total, Modelo exporte
dans plus de 150 pays à travers le monde, et ce, sur les cinq continents.
Le développement international de Modelo l’oblige à une surveillance constante de
ses intérêts légaux à l’étranger. Si dans certains cas elle agit à travers l’ANAFACER,
en d’autres occasions, l’entreprise se charge de régler les conflits elle-même. À titre
d’exemple, la firme poursuit la brasserie russe Rosar en 1999 pour une utilisation
frauduleuse de la marque Corona (Infolatina, 26/08/1999).
L’une des raisons majeures expliquant le succès international de Modelo est la
structure organisationnelle qu’a mise en place l’entreprise. Étant donné qu’elle ne
produit pas à l’étranger, mais qu’elle exporte la totalité des bières qu’elle vend hors du
Mexique, il s’avère nécessaire pour la compagnie d’avoir une présence physique hors
de ses frontières.
6.2.2
Une structure organisationnelle couvrant le monde
L’organisation internationale de Modelo couvre plusieurs facettes. Il y a tout d’abord
le département international.327 Celui-ci dirige l’ensemble des activités internationales
de la firme, de l’exportation à la relation avec les distributeurs. Afin de soutenir le
327
Jusqu’à sa retraite en mai 2004, le département international était lié au département des ventes à
travers Valentin Diez Morodo, vice-président ventes et marketing et PDG du secteur international.
236
travail du département international, six bureaux sont établis à l’étranger.328 Outre les
bureaux, on retrouve les importateurs, les distributeurs/grossistes et les détaillants.
Figure 6.3
L’organisation internationale de Grupo Modelo
Modelo
Bureaux à
l’étranger
Importateur/
distributeur
Détaillant
Depuis le milieu des années 1980 et au fil de son expansion internationale, Modelo a
établi six filiales à l’étranger et une filiale au Mexique afin de faciliter l’exportation et
la distribution de ses bières.329
Procermex est le premier bureau établi à l’étranger (San Antonio, Texas) et le modèle
sur lequel se base Modelo afin de construire son réseau international (Latin Trade,
octobre 1998). Modelo initie les opérations de ce bureau en 1985 avec comme
objectifs d’assurer la coordination des ventes, des licences et du marketing des
marques de la firme en liaison avec les importateurs, les grossistes et les détaillants
d’une part, et d’unifier l’image et le message de la compagnie, d’autre part.
L’expérience de Procermex ayant été très concluante, Modelo établit cinq autres
bureaux à travers le monde : Eurocermex (Bruxelles, 1989) pour l’Europe, l’Afrique
et le Moyen-Orient, Iberocermex (Madrid) pour l’Espagne, Asiacermex (Singapour et
328
Nous établissons une distinction entre les bureaux et les filiales à l’étranger. Dans le premier cas, il
s’agit simplement d’une représentation de la firme, sans activité de production. Dans le second cas, une
filiale implique le contrôle d’au moins 10% d’une entité juridique étrangère par l’entreprise d’origine
(WIR, 2003). Qu’il s’agisse d’un subsidiaire, d’une branche ou d’un associé, un deuxième élément doit
être présent : l’existence une activité productive.
329
Modelo a mis sur pied Patentes y marcas para promoción de exportaciones y Ca, S. en C. de C.V.
(Pamapromex) au Mexique afin de veiller à la bonne utilisation des marques et logotypes de la
compagnie auprès des distributeurs autorisés.
237
Corée du Sud) pour l’Asie et l’Océanie, Latincermex (Costa Rica et Buenos Aires)
pour l’Amérique latine et Canacermex (Montréal, 1999) pour le Canada.330
En ce qui concerne les importateurs et distributeurs, Modelo choisit généralement un
importateur exclusif par pays. Celui-ci fait aussi office de distributeur sur son
territoire dans la majorité des cas. En plus d’importer les bières depuis le Mexique,
l’importateur distribue ces produits ou sert de liaison avec les grossistes selon les
marchés. De plus, il participe conjointement avec Modelo et la filiale à laquelle il se
rapporte à l’élaboration de la publicité et du marketing des bières de Modelo.
À l'inverse du modèle présenté plus haut, l’organisation diffère dans le cas du Canada
et des États-Unis. En effet, Modelo fait affaire avec deux importateurs dans les deux
pays. Aux États-Unis, il s’agit des compagnies Barton et Gambrinus, alors qu’au
Canada, Molson et The Mark Anthony Group se partagent le territoire. Contrairement
aux autres grandes BMN présentes sur le marché américain, Modelo décide très
rapidement de faire appel à deux importateurs.
Alors que Barton est importateur des bières de Modelo depuis 1979, l’explosion des
exportations aux États-Unis à partir de 1985 entraîne la nécessité d’un second
importateur. C’est ainsi qu’en 1986, un haut dirigeant de Modelo, Carlos Alvarez,
quitte l’entreprise et fonde Gambrinus, une compagnie chargée de l’importation et de
la distribution des bières de Modelo. Les deux importateurs se divisent
géographiquement les États-Unis, Barton étant en charge des états de l’Ouest, alors
que Gambrinus s’occupe du Texas et des états de l’Est.331 Dans l’ensemble, les
importateurs font affaire avec plus de 800 distributeurs répartis à travers les ÉtatsUnis.
Les avantages d’une telle stratégie sont multiples pour la brasserie : l’exclusivité
territoriale permet à chaque distributeur de concentrer ses efforts sur son territoire.
330
Il n’existe pas de justificatif économique ou commercial expliquant la création d’Iberocermex sinon
le lien historique unissant les fondateurs et les principaux actionnaires actuels de Modelo à l’Espagne.
331
Il est à souligner qu’en 1996, Modelo a renouvelé son entente avec chacun des importateurs pour
une période de dix ans, deux fois plus longtemps que les normes habituelles de l’industrie. Cette
décision mettait un terme aux rumeurs voulant qu’Anheuser-Busch devienne l’importateur des produits
Modelo.
238
Les États-Unis étant trop grands pour qu’un seul importateur soit suffisamment
efficace, il devient plus avantageux pour la brasserie de faire appel à deux entreprises
(BI, 01/02/2001).332 Durant les deux périodes d’expansion de Modelo aux ÉtatsUnis,333 cette stratégie a permis à la fois de consolider les marchés régionaux acquis
aux bières de Modelo, notamment la Californe et le Texas, et de pénétrer de nouveaux
marchés.
En plus de leur relation avec Procermex, Barton et Gambrinus maintiennent un lien
direct avec les 8 usines de Modelo. Cela leur permet de s’assurer un
approvisionnement constant et varié de bières en provenance du Mexique. Les
importateurs soulignent que le système de distribution de Modelo fonctionne de la
même manière que celui des grandes brasseries domestiques américaines : ils
s’assurent que les territoires de chaque grossiste possède soient exclusifs ; ils
recueillent les commandes des grossistes ; ils transmettent leurs commandes aux
brasseries ; finalement, ils reçoivent la bière en provenance du Mexique (BI,
01/02/2001). Bien qu’ils soient indépendants l’un de l’autre, Barton et Gambrinus
parlent d’une voix unifiée lorsqu’il s’agit d’établir la stratégie de Modelo aux ÉtatsUnis.334 Alors que les dépenses de publicité, qui sont assumées conjointement par
Modelo et ses importateurs, sont très faibles entre 1985 et 1987, elles augmentent
sensiblement au fil des années 1990 et se chiffrent à environ 35 millions de dollars en
2002 (AP Worldstream, 21/07/2003 et tableau 6.5).
332
Les importateurs jouent un rôle fondamental dans le développement des produits de Modelo.
Cependant, ils ne sont pas limités aux seules marques de la brasserie mexicaine. Ainsi, Gambrinus
s’est-elle développée en acquérant des microbrasseries et en important d’autres bières étrangères telles
que la canadienne Moosehead. Du côté de l’importateur de CCM aux États-Unis et au Canada, Labatt,
celui-ci possède l’un des plus grands portefeuilles de marques en Amérique du Nord grâce à son
association avec Interbrew.
333
Sur la deuxième période d’expansion de Modelo aux États-Unis, cf. 6.2.3.
334
Il existe un certain niveau de coordination entre les deux firmes, notamment en ce qui concerne le
message que désire véhiculer Modelo et les campagnes publicitaires qu’ils produisent (AP
Worldstream, 21/07/2003).
239
240
388,6
États-Unis
2,25
5,27
4,96
11,16
7,44
666,3
1985
46,7
38,8
7,3
3,4
3,81
16,12
20,15
5,58
4,03
613,3
1990
14,3
10,5
9,1
2,9
3,26
5,27
4,96
8,37
1,86
ND
20021
69,4
25,0
2,6
36,7
20041
70,5
35,8
11,3
51,4
ND
13,15
5,72
3,63
4,34
ND3
ND3
12.77
6.98
16.24
5.75
------
Compagnie
Heineken
Labatt USA
Beck’s
Modelo
1: Pour les années 2002 et 2004, les données concernent les compagnies à droite.
2 : Entre 1980 et 1990, l’Allemagne réfère à l’Allemagne de l’Ouest.
3 : Les données globales ne sont pas disponibles pour l’ensemble des brasseries américaines mais nous disposons des coûts publicitaires pour les trois
principales brasseries, Anheuser-Busch, Miller et Coors : 4,15$ et 4,44$ pour Anheuser-Busch; 7,05$ et 7,41$ pour Miller; 9,19$ et 7,35$ pour Coors.
Sources : 1980-1990 : Impact Databank, The US Beer Market. Impact Databank Review and Forecast, 1991 Edition, New York: M. Shanken
Communications, 1991; 2002 et 2004 : BMI, 2005 Beer Industry Update. A Review of Recent Developments, West Nyack, New York : Beer Marketer’s
Insights, 2005a
1980
9,2
7,5
5,3
2,4
Dépenses publicitaires des bières étrangères aux États-Unis, par pays d’origine, 1980-2004 (en millions de dollars et en
dollars par baril)
Pays
Pays-Bas
Canada
Allemagne2
Mexique
Tableau 6.5
Si, au début des années 1980, les dépenses publicitaires des brasseries mexicaines
sont dans la moyenne des dépenses publicitaires des brasseries étrangères, à partir du
milieu de la décennie, elles sont moindres que leurs principales concurrentes. Les
dépenses publicitaires par baril diminuent de 7,44$/baril en 1980 à 4,03$/baril en
1985, puis à 1,86$/baril en 1990 (tableau 6.5). Cette tendance résulte de la forte
augmentation des exportations mexicaines vers les États-Unis (cf. tableau 6.1), ce qui
réduit les dépenses par baril. On constate également que les brasseries mexicaines
dépensent moins que les brasseries américaines en 1990.
Lorsque l’on consulte les données désagrégées, soit en 2002 et 2004, la comparaison
entre les dépenses publicitaires des brasseries mexicaines et leurs concurrentes
étrangères et américaines montre deux tendances. D’une part, les dépenses de Modelo
demeurent relativement faibles vis-à-vis ses concurrentes étrangères.335 D’autre part,
comparativement aux dépenses des brasseries américaines, les dépenses de Modelo
sont un peu plus faibles qu’Anheuser-Busch, mais nettement inférieures à celles de
Miller et Coors. L’effet de taille jouerait en faveur d’Anheuser-Busch vis-à-vis de
Miller et Coors.336 Étant donné qu’elles ne bénéficient pas des avantages de tailles que
possèdent leurs concurrentes américaines, les brasseries mexicaines ne sont pas
obligées de dépenser d’importantes sommes publicitaires, ce qui limite les coûts par
baril.
Dans le cas du Canada, The Mark Anthony Group est le premier importateur de
Modelo en 1986, couvrant la Colombie-Britannique et l’Ouest du pays. En avril de la
même année, l’entreprise s’associe avec Molson afin de former une joint-venture,
Santa Fe Beverage Co., pour la distribution de Corona Extra dans l’Est du Canada
(Canadian Business, 01/08/1989). Suite à la séparation de Molson et The Mark
335
Labatt USA est un cas particulier puisque la firme importe à la fois les produits de Labatt (Canada)
et de CCM. Les données ne permettent pas de déterminer les dépenses spécifiques pour chaque
brasserie.
336
L’effet de taille dans ce cas-ci résulte de l’avantage d’Anheuser-Busch au niveau de ses coûts par
baril, tant en matière de production que de distribution ou de dépenses publicitaires. L’entreprise, de
par une domination du marché américain, bénéficie de plus grandes économies d’échelles que ses
concurrentes. Cela est particulièrement vrai vis-à-vis Coors étant donné que cette dernière ne faisait pas
partie d’un conglomérat comme Miller (Philip-Moris) (BW, 15/02/2002).
241
Anthony Group,337 les deux entreprises se partagent l’importation et la distribution
des bières de la brasserie mexicaine. Tout comme dans le cas des importateurs
américains,
les
importateurs
canadiens
participent
à
l’élaboration
de
la
communication et du marketing de Modelo au Canada à travers les diverses
campagnes publicitaires qu’elles mènent.
6.2.3
Concentration des exportations sur l’Amérique du Nord
Depuis le début des années 1990, Modelo adopte une vision globale, ce qui a
provoqué l’établissement d’une structure organisationnelle couvrant la planète. En ce
sens, les exportations jouent un rôle de plus en plus important depuis que l’entreprise
choisit d’accorder une attention particulière à cet aspect des affaires. Cependant, et
bien que la globalisation constitue l’influence la plus importante sur la firme depuis ce
virage “global”, l’Amérique du Nord demeure le cœur de l’activité internationale de la
firme. En fait, lorsque l’on observe l’évolution des statistiques de la compagnie depuis
1990, on remarque que le Canada, mais encore davantage les États-Unis, concentrent
une part de plus en plus importante de l’activité de Modelo. Si la décennie marque la
globalisation de la marque Corona Extra, elle représente également une période où
s’accroît la dépendance de Modelo par rapport au marché nord-américain, surtout les
États-Unis.
En fait, Modelo se trouve dans une situation à la fois avantageuse et problématique.
Alors que la croissance de l’entreprise dépend de plus en plus des marchés
d’exportation, le marché domestique demeure largement fermé, ce qui confère un
avantage appréciable à la firme. Néanmoins, l’internationalisation de la firme repose
avant tout sur un marché important, les États-Unis, ce qui provoque une grande
dépendance de la firme aux événements et tendances traversant ce pays. Les
exportations de Modelo aux États-Unis connaissent d’importantes variations entre
1985 et 2003. Dans un premier temps, la firme, qui profite de la mode yuppie, voit ses
exportations croître très rapidement, alors qu’elles atteignent 23 millions de caisses en
1987 (Brandweek, 20/11/1995).
337
En mars 1989, The Mark Anthony Group mettait fin à son association avec Molson au sein de la
joint-venture, laissant à cette dernière l’exclusivité de l’Est du Canada.
242
Cette hausse prend d’ailleurs les experts complètement par surprise, car Modelo ne
suit pas le modèle de développement traditionnel de l’industrie, soit de forts
investissements en publicité. Pour plusieurs donc, la popularité de la Corona Extra ne
devait être que passagère. Pendant quelques années, les experts semblent avoir raison
puisque les exportations de Modelo chutent de 52% pour ne s’établir qu’à 11,8
millions de caisses en 1991 (Brandweek, 20/11/1995). Toutefois, le rattrapage s’avère
spectaculaire : en 1994, soit trois ans après le plancher de 11,8 millions de caisses, les
exportations augmentent de 25% ; de 1995 à 2000, la croissance des exportations de
Modelo vers les États-Unis connaissent des taux de croissance annuelle variant entre
13 et 39% (Figure 6.4).
Figure 6.4
Croissance des exportations de Modelo aux États-Unis, 1995-2000
(en %)
45
40
35
(%)
30
25
20
15
10
5
0
1995
1996
1997
1998
1999
2000
Source : Beverage World, 15/01/2002.
Durant la seconde partie des années 1990 donc, l’Amérique du Nord concentre la
quasi-totalité de l’accroissement des exportations de Modelo. Entre 1994 et 1998, la
région reçoit 91,6% de la hausse des exportations de Modelo, comparativement à
4,5% pour l’Europe, 2,3% pour l’Asie et 1,6% pour l’Amérique latine (Latin CEO,
01/01/2000). Une des principales causes du retour en force de Corona Extra aux
États-Unis est la décision de Modelo et des importateurs de ne pas répercuter le
doublement de la taxe d’accises sur le prix de vente des bières de la firme. Cette
décision s’avère coûteuse à court terme, puisqu’en 1991 Modelo voit ses ventes
243
diminuer (cf. tableau 6.1). À moyen et long terme toutefois, cette stratégie se révèle
profitable puisque les ventes augmentent à partir de 1992. Ainsi, à partir de la seconde
moitié des années 1990, le principal objectif de Modelo sur le marché américain est de
dépasser sa principale concurrente, Heineken (Herrero Massaro et Deshpandé, 2001:
1).
La régionalisation de Modelo passe également par la protection de son marché
interne. Les dirigeants de la brasserie, craignant que l’ALENA puisse accroître la
présence des bières américaines sur le marché mexicain, nouent une alliance avec
Anheuser-Busch, le plus grand brasseur américain. La firme américaine acquiert
17,7% des actions de Modelo avec une option sur l’achat d’un bloc d’actions
supplémentaires. Toutefois, cette alliance, si elle permet à la brasserie mexicaine de
maintenir sa domination du marché mexicain constitue une erreur et ce, à un double
niveau. D’une part, le prix auquel la brasserie américaine achète les parts de Modelo
est nettement sous-évalué. Alors que l’alliance devait permettre l’acquisition de
nouvelles technologies et faciliter les activités de la firme mexicaine aux États-Unis,
cela ne se produit pas (Ortiz Rivera, 1997, Sanchez-Navarro, 04/06/2002).338
En ce qui concerne le Canada, les résultats semblent tout aussi impressionnants que
pour les États-Unis, mais à une échelle réduite. Là aussi les exportations augmentent à
un rythme très soutenu. Lancée en 1986 dans une seule province canadienne, Corona
Extra double ses ventes en 1987, passant de 60 000 à 125 000 caisses (Canadian
Business, 01/08/1989). En 1988, la marque pénètre en Ontario où elle connaît là aussi
un succès immédiat, atteignant 230 000 caisses. Après le ralentissement de la fin des
années 1980, les exportations connaissent une deuxième phase de croissance. En
1995, pour la première fois de son histoire, Corona Extra surpasse le million de
caisses vendues au Canada.
La croissance s’accélère par la suite : après une hausse de 40% des exportations entre
1996 et 1997, Corona Extra atteint les deux millions de caisses vendues en 1997. En
1998, profitant des assouplissements des politiques de distribution interprovinciales,
338
Moins d’un an après la vente des actions à Anheuser-Busch, les propriétaires de Modelo admettaient
que cette transaction avait été une erreur. Compte tenu de la capitalisation de Diblo, Anheuser-Busch
acquit ses actions à un prix de 17% inférieur à la valeur boursière (Infolatina, 14/09/1998).
244
les ventes progressent de plus de 30% (Grupo Modelo, RA 2000 à 2003). En 2001,
c’est 4,1 millions de caisses de bières que Modelo exporte au Canada (Mendoza
Núñez, 2003).
D’une certaine façon, on peut avancer l’hypothèse que la croissance des exportations
de Modelo vers les États-Unis au cours des années 1990 marque l’institutionnalisation
de la Corona Extra dans ce pays. Bien que cette marque demeure fermement
identifiée comme une marque étrangère, sa popularité, sa couverture géographique et
son attrait à l’ensemble des consommateurs sont tels qu’elle va au-delà d’une bière
importée. À partir de 1998, l’année suivant son accession au titre de bière importée la
plus vendue, Corona Extra apparaît dans la liste des 10 bières les plus vendues aux
États-Unis. Tout comme Budweiser au Canada, mais contrairement à la marque
américaine qui est brassée par une brasserie canadienne, Corona Extra s’apparente de
plus en plus à une marque nationale. Si cette tendance se maintient, la marque court le
risque de perdre une partie de l’avantage que lui procure son statut de bière
importée.339
Le parcours de Corona Extra aura surpris la quasi-totalité des experts. Lors de la
première phase de croissance (1985-1988), personne ne s’attendait à ce qu’une bière
en provenance du Mexique puisse se hisser parmi les premières bières importées en si
peu de temps. On explique donc la forte chute des ventes entre 1989 et 1991 par ce
qui avait fait la force de la marque : l’atmosphère des années 1980, la montée des
modes passagères et l’absence d’une base de consommateurs loyaux à la marque.340
C’est pourquoi la montée de Corona Extra après 1991 demeure tout aussi
surprenante : contrairement à presque toutes les bières importées aux États-Unis,
Corona Extra, au lieu de poursuivre la tendance à la baisse, retrouve un second
souffle et croît à des taux supérieurs à 20% jusqu’à la fin des années 1990.
339
Selon Abasolo (14/05/2002), la difficulté pour Corona Extra suite à son succès aux États-Unis et
son statut de joueur important sur le marché domestique américain est que la marque cesse de
concurrencer les bières importées et qu’elle doive entrer en concurrence contre les marques américaines
afin de maintenir sa croissance. Si tel devait être le cas, la marque mexicaine ne disposerait ni du
système de distribution, mais surtout de la capacité financière, afin de faire face à un tel défi.
340
Ainsi, la firme Impact Databank, dans ses prédictions pour les années 1990, en se basant sur les
résultats de 1989 et 1990, prévoyait que les ventes de Corona Extra diminueraient de 13,1 millions de
gallons en 1990 à 11,5 millions de gallons en 1991 pour ensuite se stabiliser autour de 12 millions de
gallons jusqu’en 2000, très loin des chiffres réels (Impact, 1992).
245
6.3
Cerveceria Cuauhtémoc-Moctezuma : de l’internationalisation au
recentrage sur les États-Unis
Alors que Modelo voyait dans l’exportation de ses produits un moyen d’accroître ses
ventes, ses profits et sa visibilité à travers l’Amérique puis le reste du monde, FEMSA
se porte son attention principalement sur le marché mexicain. Il ne faut pas oublier
que, jusqu’en 1985, ce sont deux entreprises indépendantes qui font face à Modelo;
par la suite, la nécessité d’intégrer les deux compagnies force la nouvelle entreprise à
se concentrer sur le marché intérieur. Ce n’est qu’après la fusion que CCM accorde
une
importance
stratégique
à
l’internationalisation,
mais
cette
projection
internationale demeure nettement plus faible que sa concurrente.
6.3.1
L’organisation du secteur international de CCM
Cuauhtémoc et Moctezuma exportent aux États-Unis dès les années 1930. Les deux
firmes exportent également vers d’autres marchés étrangers, mais les quantités
demeurent négligeables (Alessio Robles, 1968). Après la période de repli sur soi des
années 1980, l’internationalisation de la firme s’amorce à la fin de cette décennie et
connaît son apogée au milieu des années 1990. Les difficultés que connaît la firme sur
les marchés internationaux l’entraînent à revoir sa stratégie et à se concentrer sur son
principal marché d’exportation, les États-Unis.
Durant les années 1960-1970, Cuauhtémoc et Moctezuma possèdent chacune un
département des exportations, mais leur rôle demeure marginal. Dans le cas du
département de Cuauhtémoc, celui-ci se contente de recevoir les demandes de
l’importateur Wisdom et d’exporter les quantités demandées vers les États-Unis. Le
reste du monde n’existe presque pas (Garza, 03/05/2002; Domínguez, 03/05/2002;
Robles, 1968). Jusqu’au début des années 1980, et bien que les exportations
représentent un plus fort pourcentage de leurs ventes que dans le cas de Modelo,
Cuauhtémoc et Moctezuma n’accordent pas une très grande importance à cet aspect
des affaires. Durant la période de transition, entre 1985 et 1988, les exportations ne
constituent toujours pas une priorité pour la firme en gestation. Il s’agit avant tout de
survivre à la crise de 1982 dans un premier temps, puis de consolider la nouvelle
entreprise résultant de la fusion de Cuauhtémoc et Moctezuma (Garza, 03/05/2002,
Astaburuaga Senjines 23/06/2004).
246
Cette préséance du marché intérieur se reflète sur l’organisation du secteur
international de CCM. Outre l’importateur américain Wisdom, acquis par
Cuauhtémoc durant les années 1930, CCM ne possède pas de présence physique à
l’échelle internationale.341 Ce n’est qu’au début des années 1980, alors que
l’entreprise connaît une forte hausse de ses exportations en direction de l’Europe, que
la firme ouvre un bureau de vente en Grande-Bretagne (FEMSA, RA 1992: 18).
Autrement, la gestion des activités internationales de CCM se déroule au sein de la
division internationale de la firme (Astaburuaga Senjines, 23/06/2004). Celle-ci est
structurée en régions géographiques et départements opérationnels. On retrouve ainsi
le département États-Unis, le département Europe/Canada, le département Amérique
latine, le département Asie et le département opérations.342
Avec l’entrée de la brasserie canadienne Labatt au capital de CCM en 1994, le secteur
international de l’entreprise vit une importante transformation. Au-delà d’un simple
accord financier, la relation Labatt-CCM comporte une composante organisationnelle.
En effet, les deux entreprises mettent sur pied une co-entreprise, Labatt-USA, chargée
de l’importation des bières des deux compagnies aux États-Unis. Labatt-USA vient
ainsi s’ajouter à l’importateur Wisdom afin de couvrir l’ensemble du territoire
américain. La participation de CCM au sein la co-entreprise s’élève à 30%.
341
La firme Wisdom Import Sales Co. LLP est la filiale américaine de CCM. Acquise durant les années
1930 par Cuauhtémoc, elle possède les droits sur les marques de la firme mexicaine aux États-Unis et
est en charge de l’importation et de la distribution des produits de CCM. Selon García Sordo
(03/05/2002), si Cuauhtémoc exporta en Amérique centrale durant les années 1970, ce n’était pas le
résultat d’une stratégie clairement définie par la firme, mais plutôt suite aux efforts des distributeurs du
sud du Mexique qui remarquèrent la possibilité d’“ouvrir” ces nouveaux marchés, très similaires à leurs
territoires d’opération. Ce sont surtout les relations personnelles entre les distributeurs mexicains et les
clients qui favorisèrent l’expansion dans la région, d’où l’absence d’une réelle coordination régionale
en Amérique centrale.
342
Le regroupement du Canada avec l’Europe s’est réalisé car il devenait nécessaire de dissocier le
Canada des États-Unis. La structure interne du marché canadien étant très différente du marché
américain, le maintien d’un département nord-américain combinant le Canada et les États-Unis
risquerait de nuire aux activités de la firme sur le marché américain, le marché le plus lucratif pour
CCM. De par sa complexité, le marché canadien ressemble davantage au marché européen, d’où la
décision de les unir (Astaburuaga Senjines, 23/06/2004).
247
6.3.2
Un développement international en trois phases
Suite à la fusion, l’internationalisation de CCM prend son envol à la fin des années
1980. Néanmoins, ce n’est que durant la première moitié des années 1990 que
l’entreprise développe une véritable stratégie internationale. Toutefois, celle-ci se
modifie en deux occasions ; la firme, constatant l’erreur d’une expansion
internationale non productive et coûteuse, recentre ses activités sur un nombre limité
d’états du Sud des États-Unis. Par la suite, CCM décide de privilégier le marché
américain, notamment les états frontaliers. Les faibles quantités exportées par
l’entreprise justifient un tel choix.
6.3.2.1 L’expansion internationale initiale
Au début des années 1980, Cuauhtémoc et Moctezuma dominent les exportations de
bières mexicaines, alors que Modelo y est absente. Tecate, l’une des marques phares
de Cuauhtémoc, constitue la marque d’exportation la plus importante de la
compagnie. Outre cette marque, Cuauhtémoc exporte également Bohemia, Carta
Blanca et Brisa aux États-Unis. En 1982, les ventes de l’entreprise à l’étranger ne
représentent que 1,8% de ses ventes totales. Quant à Moctezuma, durant cette période,
elle se classe au premier rang des brasseries exportatrices mexicaines en terme de
volume. Toutefois, les exportations ne comptent que pour 3% des ventes totales.
Bien que Cuauhtémoc et Moctezuma soient présentes sur les marchés internationaux,
cette présence s'explique principalement par les exportations aux États-Unis. C’est à
partir de 1983, suite à la décision des autorités américaines de retirer les bières
mexicaines du système général des préférences que Cuauhtémoc amorce ses
exportations vers l’Europe et le Japon (Expansión, 21/12/1983). Celles-ci demeurent
néanmoins faibles. La crise des années 1980, de même que la période de transition
que constitue la fusion des deux entreprises, forcent la nouvelle entité à délaisser
quelque peu son programme d’internationalisation et à concentrer ses efforts sur la
consolidation de la nouvelle firme.
Si les États-Unis demeurent le principal marché d’exportation de CCM durant
l’ensemble de la période, l’entreprise procède à une internationalisation très rapide à
partir de la fin des années 1980. Selon la firme, les exportations permettent
248
d’augmenter l’entrée de devises étrangères, accroissant ainsi davantage les revenus de
la firme tout en la protégeant des risques de ralentissement économique au Mexique
(FEMSA, RA 1998). En moins de cinq ans, l’entreprise triple sa présence
internationale : en 1990, CCM exporte dans vingt et un pays ; en 1995, c’est dans plus
d’une soixantaine de pays qu’exporte la compagnie (VISA, ADR 1998).
Durant cette première phase d’internationalisation de CCM, le développement
international de la firme s’articule d’abord autour de l’Amérique du Nord, puis se
poursuit en Europe, en Amérique du Sud et en Asie. Outre les États-Unis, c’est en
Europe, plus particulièrement en Grande-Bretagne, que la croissance de l’entreprise
est la plus marquante. L’ouverture du bureau de Londres montre l’importance de ce
marché pour CCM. Entre 1989 et 1991, les ventes sur le marché anglais triplent
(FEMSA, RA 1992).
Si la régionalisation avait été la stratégie dominante de la firme durant les années
1980, la globalisation de l’entreprise marque la seconde partie de cette première
phase, de 1990 à 1997. La progression de l’entreprise sur les marchés internationaux
est à la fois rapide et vaste : entre 1990 et 1993, le nombre de pays où l’on retrouve
les bières de CCM passe de 21 à 55. Au terme de la croissance internationale de la
firme, c’est à une soixantaine de pays que sont exportées les marques de la compagnie
(FEMSA, RA 1990, 1992 et 1996; VISA, ADR 1998). L’un des principaux résultats
de cette stratégie est la diminution de l’importance relative du marché américain pour
les bières de CCM. Entre 1992 et 1996, la part des exportations de l’entreprise à
destination des États-Unis passe de 86% à 72% des exportations totales (FEMSA, RA
1993 et 1996). La stratégie globale semble avoir porté fruits pour CCM. Néanmoins,
si tel était réellement le cas, pourquoi l’entreprise décide-t-elle de modifier sa stratégie
telle qu’elle le fait en 1997 ?
6.3.2.2 Le recentrage sur les marchés-clés
Jusqu’à la fin des années 1990, la stratégie globale d’exportation de FEMSA se
développe autour de quatre axes : se concentrer sur les marchés les plus importants
(core markets) ; un positionnement par pays en ce qui a trait aux marques, à la
présentation et au prix ; le renforcement de ces marques (build brand equity) ;
249
finalement, profiter des alliances stratégiques afin de pénétrer les marchés (VISA,
ADR 1998). Si cette stratégie se poursuit toujours, son ampleur géographique a été
toutefois considérablement réduite à partir de 1997.
Suite à un changement stratégique en 1997, CCM décide d’abandonner
l’internationalisation basée sur l’ouverture de nouveaux marchés et de se concentrer
sur une douzaine d’entre eux, les marchés-clés.343 Cette décision est provoquée non
seulement par la non-rentabilité de plusieurs marchés et la nécessité d’accorder
davantage de ressources aux marchés les plus importants, mais également par une
modification des priorités de la firme. Jusqu’à la crise financière de 1994-1995, les
buts centraux de l’internationalisation de CCM sont d’accroître les volumes exportés
et le nombre de pays pénétrés (Salinas Arrambide, 13/05/2002; Astaburuaga Senjines,
23/06/2004).
Après la crise, les objectifs de l’entreprise évoluent. Il s’agit d’assurer une plus grande
profitabilité, ce qui passe par une gestion plus serrée de tous les secteurs, y compris la
division internationale. Les conséquences de cette décision sont multiples : l’arrêt de
l’ouverture de nouveaux marchés, le maintien d’une présence minimale dans les
marchés où se trouve déjà l’entreprise et le transfert de ressources humaines et
financières aux marchés les plus importants.
Cette décision doit permettre de mieux développer et de commercialiser les marques
de la compagnie, d’améliorer la couverture des marchés, de parfaire la présentation et
la stratégie de prix dans chaque pays ainsi que de bénéficier davantage de son alliance
stratégique avec Labatt. En étoffant la force de vente dans ces marchés, CCM espère
se positionner plus favorablement et ainsi accroître la pénétration de ses marques et
ses profits (Salinas Arrambide, 13/05/2002; FEMSA, 20-F 2000: 16).
343
États-Unis, Canada, Guatemala, Brésil, Argentine, Allemagne, Grande-Bretagne, Espagne, France,
Hong Kong, Chine et Taïwan.
250
Tableau 6.6 Revenus d’exportations de CCM,
1994-2000 (en millions de dollars)
Année
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
Revenus
61
70
76
80
88
100.6
114.5
Croissance du revenu (%)
N/A
14,7
8,6
5,9
10
14,3
13,8
Source : FEMSA, 20-F 1998 et 2000
En consultant le tableau 6.6, il semble que cette stratégie ait porté fruits. Pour l’année
du changement stratégique, 1997, la croissance des revenus de l’exportation est de
5,9%, la plus faible de toute la période. Entre 1997 et 2000, les revenus d’exportation
augmentent plus rapidement que durant la période 1994-1997.344
6.3.2.3
Le sud des États-Unis, nouvelle priorité de l’entreprise
À partir de 2000, cependant, et bien que l’approche des marchés-clés demeure en
place, CCM précise davantage sa stratégie internationale en portant l’essentiel de son
attention sur les États-Unis, en particulier les marchés du sud-ouest du pays.
Tout comme Modelo, le principal marché d’exportation de CCM demeure l’Amérique
du Nord, même si le groupe exporte vers plus de 60 pays, en particulier le sud des
États-Unis. En 1997, l’Amérique du Nord reçoit 75,6% des exportations de
l’entreprise, l’Amérique latine 13,6% et l’Europe 7,8% (VISA, ADR 1998). C’est à
travers la filiale Labatt USA que CCM exporte ses produits aux États-Unis. Répétant
en quelque sorte sa stratégie interne, l’entreprise concentre ses exportations autour de
ses trois principales marques : Tecate, Dos Equis et Sol.345 Dans l’optique de CCM,
le marché américain est considéré comme une extension du marché interne : “Les
états frontaliers comptent une grande concentration d’hispanoaméricains qui préfèrent
les marques de FEMSA. Nous considérons que la région représente une extension
naturelle des marchés de la compagnie” (FEMSA, RA 2000: 8, notre traduction).
344
L’exception étant 1995, alors que la crise financière et économique avait poussé CCM à accroître
notablement ses exportations.
345
En 1997, ces trois marques représentaient 89,1% des exportations de FEMSA. Les trois marques
sont exportées aux États-Unis, Dos Equis et Sol sont exportées au Brésil et Sol est la principale marque
exportée dans les autres marchés (VISA, ADR 1998: 73).
251
En 2000, la stratégie des marchés-clés est ajustée : CCM annonce qu’elle concentrera
ses efforts principalement au marché du sud des États-Unis, surtout la Californie, le
Texas, l’Arizona et le Nouveau-Mexique. Un recentrage sur ces états frontaliers
s’avère profitable selon la firme : ils possèdent une forte population hispanophone ; on
y observe une hausse appréciable du revenu par habitant ; finalement, ils présentaient
les plus importantes croissances en bières importées (FEMSA, 20-F 2000). En outre,
ce recentrage sur les États-Unis est marqué par la hausse de la part des États-Unis
dans les exportations de la firme : alors que ceux-ci absorbent 72% des exportations
de CCM en 1996, ce pourcentage avoisine 90% en 2004.346
346
Selon les chiffres de l’entreprise, l’Amérique du Nord représentait 92,2% des exportations de CCM
en 2004 (FEMSA, 20-F 2004: 48), les États-Unis constituant la quasi-totalité de ces exportations.
252
Conclusion
L’industrie brassicole mexicaine s’est grandement intégrée à l’industrie brassicole
régionale et internationale depuis les années 1980. Suite à la crise de 1982, la
contraction du marché interne pousse les brasseries mexicaines à chercher des
débouchés extérieurs. Durant les années 1980, tant l’internationalisation de Modelo
que de CCM passe par la pénétration et la couverture totale du marché américain.
Vers la fin de la décennie, les deux entreprises élargissent leur champ d’activité en
pénétrant plusieurs marchés internationaux. La première moitié des années 1990 voit
l’accélération de cette stratégie.
Modelo augmente le rythme de son développement international durant les années
1990. La firme amplifie son secteur exportateur afin de d’assurer le contrôle sur son
internationalisation, ce qui lui permet d’ouvrir de nouveaux marchés à une fréquence
soutenue. CCM, pour sa part, développe également son secteur exportateur de
manière rapide, ouvrant elle aussi un nombre conséquent de nouveaux marchés.
Toutefois, elle revoit sa stratégie à partir de 1997 et se replie sur ses marchés-clés,
abandonnant l’ouverture de nouveaux marchés.
Malgré l’augmentation de la présence internationale des deux entreprises durant les
années 1990, la dernière partie de la décennie voit un recentrage des exportations vers
les États-Unis. La théorie de la distance des échanges nous aide à mieux saisir le repli
des brasseries mexicaines. La réduction de la distance des échanges entre les nations
depuis les années 1960 irait dans le sens opposé de la globalisation, mais renforcerait
la régionalisation des activités des entreprises. Alors que la globalisation supposerait
un accroissement du commerce mondial et une augmentation de la distance, la
proximité géographique représenterait une variable encore plus importante que par le
passé. Cela est dû en grande partie aux transformations des modes de gestion, mais
surtout, dans le cas des brasseries mexicaines, de l’évolution des coûts de transports
(la diminution du coût terrestre vis-à-vis le fret maritime). Étant donné que les
exportations constituent l’unique forme d’internationalisation de CCM et de Modelo,
les deux firmes dépendent plus fortement que leurs concurrentes de la variation des
coûts de transport.
253
Dans l’environnement international et global dans lequel elles évoluent, les deux
entreprises ont choisi une stratégie d’internationalisation allant à l’encontre des
théories des firmes multinationales. En effet, ces théories nous apprennent que dans le
processus d’internationalisation de la firme, celle-ci se transformera de simple firme
exportatrice en une entreprise possédant des unités de production à l’étranger. Grupo
Modelo et CCM ne suivent pas ce “modèle”. Bien qu’elles élaborent des stratégies de
FMN (cf. chapitres 7 et 8), elles demeurent exclusivement mexicaines en terme de
production. Cela s’explique non seulement par les avantages compétitifs qu’elles
possèdent (cf. tableau 5.11), mais peut être davantage encore par la réticence des
dirigeants des brasseries à délocaliser une partie de la production.
Malgré des différences de stratégie à partir de la seconde moitié des années 1990, les
deux entreprises montrent une similarité importante : une dépendance grandissante
vis-à-vis du marché américain comme destination des exportations. En effet, bien que
Modelo ait adopté une stratégie de pénétration de marchés agressive, la part des ÉtatsUnis dans les exportations totales augmente durant la seconde moitié des années 1990.
En ce qui concerne CCM, le recentrage sur le sud des États-Unis à partir de l’an 2000
témoigne de l’importance de ce marché pour l’entreprise.
L’internationalisation de Modelo et de CCM transforme le réseau de valeur des deux
entreprises. En élargissant leurs activités aux marchés internationaux, les brasseries
touchent de nouveaux clients, font affaire avec de nouveaux fournisseurs (pas tant au
niveau manufacturier que sur le plan des services) et doivent concurrencer les BMN
sur des territoires où celles-ci possèdent généralement des avantages compétitifs. Les
résultats internationaux des deux entreprises signifient-ils que Modelo et CCM
constituent des acteurs majeurs de l’industrie brassicole internationale, au même titre
que des BMN telles que Heineken, SABMiller ou Inbev ? Les deux chapitres suivants
fourniront quelques éléments de réponse à cette question.
254
CHAPITRE VII
LA CONCURRENCE INTERNATIONALE : LA DIVERSITÉ DES
STRATÉGIES
La concurrence internationale constitue un phénomène relativement nouveau dans
l’industrie brassicole internationale. Longtemps une industrie caractérisée par des
rapports concurrentiels principalement nationaux, la consolidation ayant cours depuis
le début des années 1980 a diffusé le noyau de la concurrence des marchés nationaux
vers les marchés régionaux puis au marché global. De plus, la concentration que
connaissent les autres industries de breuvages alcoolisés entraîne une pression
concurrentielle additionnelle pour les brasseries multinationales (BMN). Ces éléments
provoquent des transformations importantes des stratégies des BMN.
Ce chapitre cherche à comprendre et à expliquer les stratégies concurrentielles
internationales des brasseries mexicaines à la lumière des transformations soulignées
au cours des chapitres précédents. La structure des différents niveaux de marché
(national, régional et global) explique-t-elle les différentes stratégies concurrentielles
des brasseries? Quelles sont les similitudes et les différences entre les stratégies de
concurrence des brasseries mexicaines et des brasseries internationales ? Le
développement de brasseries globales freine-t-il ou accélère-t-il la concurrence
internationale ? Un survol de la situation de la concurrence internationale permettra de
dégager trois niveaux de stratégies développées par les firmes : global (la nouvelle
triade), régional et national. À la suite des perspectives stratégique et managériale, il
sera argumenté que ces stratégies ne sont pas contradictoires mais plutôt
complémentaires. Elles résultent avant tout de l’évolution, de la taille et des
contraintes auxquelles font face les firmes.
L’étude des stratégies concurrentielles des BMN et des brasseries mexicaines
constitue un élément central de cette thèse. D’une part, au niveau de l’industrie, il est
soutenu que la concurrence globale caractérisant l’industrie brassicole internationale
résulte et renforce la globalisation de celle-ci. En fait, la concurrence, en combinaison
avec la constitution de réseaux de collaboration internationale, façonnent la
255
globalisation des industries. D’autre part, au niveau des brasseries, chacune doit
déterminer le type de stratégie approprié en tenant compte de son marché d’origine,
de ses ressources et de sa projection internationale.
Il existe deux manières d’appréhender l’évolution de la concurrence dans l’industrie
brassicole internationale. La première est d’étudier la consolidation aux différentes
échelles d’activité, nationale, régionale et globale. La seconde approche consiste à
analyser les stratégies concurrentielles des BMN et d’identifier les tendances
dominantes. La première partie de ce chapitre étudiera la transformation de l’industrie
à la lumière de ces deux méthodes. On observera alors un degré de concentration
oligopolistique au niveau international ainsi que des stratégies de pénétration de
marché centrées autour des exportations et de l’investissement direct étranger (IDE).
Si la concurrence internationale prend des formes diversifiées et implique un nombre
d’acteurs réduit, quelles en sont les conséquences pour les brasseries mexicaines ?
Adoptent-elles des stratégies similaires à celles des BMN ou choisissent-elles plutôt
une approche distincte ? Nous consacrerons les seconde et troisième partie de ce
chapitre aux stratégies concurrentielles internationales des brasseries mexicaines.
Nous verrons comment et pourquoi les Grupo Modelo et CCM ne participent pas, ou
très peu, à la consolidation internationale. Les deux brasseries “subissent” cette
concentration en étant la cible d’investissement de la part de BMN, mais
n’investissent pas à l’étranger.
Par ailleurs, en terme de stratégies de pénétration de marché, les firmes mexicaines,
Modelo en particulier, peuvent être considérées comme des innovatrices. À l’origine,
et contrairement aux approches traditionnelles de marketing international en vigueur
dans l’industrie, Modelo et CCM ont employé une stratégie de bouche à oreille. Outre
cette innovation, les firmes mexicaines n’ont pas toutes deux suivi la tendance des
marques mondiales qui se développe depuis le milieu des années 1990. Si Modelo, de
par sa stratégie nationale de promotion d’une marque phare, n’a aucune difficulté à
s’adapter à cette tendance, CCM choisira une autre voie.
256
L’étude des stratégies concurrentielles internationales de Modelo et de CCM constitue
le troisième pas dans la construction du réseau de valeur international des deux
entreprises et la compréhension de la co-opétition dans l’industrie. Après avoir
identifié le rôle joué par les principaux États (Mexique, États-Unis et Brésil, cf.
chapitre 3), nous avons présenté les autres acteurs affectant ce réseau (BMN, les
consommateurs [surtout américains], les distributeurs, etc, cf. chapitres 5 et 6). Il
s’agit ici d’analyser comment se déroulent les rapports concurrentiels à partir du point
de vue des brasseries mexicaines.
7.1 Situation de la concurrence internationale
La globalisation de l’industrie brassicole internationale est marquée par une
augmentation de la concurrence depuis le milieu des années 1980. Cette concurrence
se déroule aux échelons national, régional et global. Toutefois, ce n’est qu’à partir de
la seconde moitié des années 1990 que s’accélère la consolidation de l’industrie, celleci se transformant de plus en plus en une industrie oligopolistique. La réduction
graduelle du nombre de brasseries de taille internationale implique que les BMN
doivent prendre deux décisions majeures quant à leur stratégie internationale, l’une
concernant la forme et l’autre la portée. D’une part, elles doivent déterminer la forme
que prendra leur croissance internationale : l’exportation, l’IDE ou une combinaison
des deux. D’autre part, les brasseries doivent également décider de la portée de leur
internationalisation : compte tenu de leurs avantages compétitifs et de leurs
ressources, adopteront-elles une stratégie globale ou plutôt une stratégie régionale ?
7.1.1 Formation d’une industrie internationale oligopolistique
Depuis le début des années 1990, mais surtout à partir des années 2000, on assiste à
une course aux acquisitions, aux co-entreprises et à l’investissement créatif
(greenfield investment) dans les marchés émergents.347 La hausse de la production,
ainsi que les perspectives de croissance de la consommation per capita ont attiré
347
Larimo, Marinov et Marinova (2004) soulignent que ces trois formes d’IDE constituent les modes
d’entrée prisés par les BMN au détriment des licences et de l’exportation, car les préférences des
consommateurs vont aux bières locales. En outre, les coûts de production en Europe centrale et
orientale étant moindres qu’en Europe de l’Ouest, il devient avantageux de produire sur place.
257
l’intérêt des BMN. Cependant, dues à cette frénésie acquisitive, les possibilités de
nouvelles acquisitions s’amenuisent rapidement (Leijh et al., 2004).
L’Europe de l’Est représente l’un des terrains majeurs de la globalisation de
l’industrie brassicole. Suite à la chute du mur de Berlin et de l’ouverture subséquente
des économies de la région, les privatisations et les acquisitions se sont accélérées. De
plus, la stagnation des marchés d’Europe de l’Ouest et de l’Amérique du Nord pousse
les BMN à rechercher de nouvelles opportunités à l’Est (Larimo, Marinov et
Marinova, 2004).
Si la consolidation est principalement due aux BMN, celles-ci usent de multiples
stratégies afin de pénétrer ces marchés, notamment par le biais d’acquisitions, de coentreprises ou de nouvelles installations (Larimo, Marinov et Marinova, 2004). La
Russie représente bien l’importance croissante de l’Europe centrale et orientale dans
la globalisation de l’industrie brassicole internationale. En effet, les Russes ont
longtemps préféré la vodka à toute autre boisson alcoolisée. Cependant, depuis la
seconde moitié des années 1990, la consommation de bière croît continuellement.
Entre 1997 et 2003, la consommation per capita est passée de 28 à 51 litres, une
augmentation de 82% (Koster, 2004). Parallèlement à cette hausse de la
consommation, on assiste également à l’augmentation de la production : après une
hausse annuelle moyenne de 23%, la production russe passe de 21 millions
d’hectolitres en 1996 à 70 millions d’hectolitres en 2003 (Koster, 2004).
Alors que l’on remarque une consolidation à plusieurs vitesses et une vive
concurrence entre cinq BMN en Europe (S&N, Carlsberg, SABMiller, Heineken et
Interbrew), le panorama est sensiblement différent en Amérique latine. Bien que l’on
retrouve des joueurs majeurs à l’échelle régionale, ceux-ci demeurent des acteurs
mineurs sur l’échiquier international, étant des cibles potentielles d’acquisition des
BMN. En fait, la concentration nationale constitue une caractéristique encore plus
forte en Amérique latine que dans les marchés d’Europe et d’Amérique du Nord.
Dans une majorité de pays, une brasserie domine le marché national, tandis que les
autres brasseries jouent un rôle mineur. La consolidation au niveau régional sera
conduite par les brasseries latino-américaines dans un premier temps (BW,
258
01/03/1996), puis suivie par l’implication massive des brasseries nord-américaines et
européennes par la suite.
Bien que l’Europe centrale et orientale demeure un important enjeu dans la
consolidation de l’industrie brassicole internationale, l’Asie constitue le principal
foyer de concurrence de l’industrie, plus particulièrement la Chine. Les marchés
brassicoles asiatiques se divisent en deux groupes distincts : les marchés à très forte
concentration et les marchés fragmentés. Dans le premier cas, on retrouve
généralement la majorité des marchés de la région ; dans le second cas, deux pays
montrent une industrie extrêmement fragmentée : l’Inde et la Chine.348
Nous ne nous attarderons pas longuement aux États du premier groupe étant donné
leurs similitudes. Soulignons tout de même que ces marchés ont longtemps été sous le
contrôle effectif des États et qu’ils demeurent relativement fermés aux bières
étrangères. L’action gouvernementale se manifeste soit par le contrôle des matières
premières, des prix de vente ou des tarifs douaniers. En outre, les réseaux de
distribution bien souvent inadéquats limitaient les possibilités de croissance
(Heijbroek, de Schutter et Boon, 1997).
Malgré les déboires initiaux des BMN, SAB constituant l’une des rares exceptions, la
consolidation de l’industrie brassicole chinoise s’accélère rapidement, suivant en cela
la tendance internationale.349 Au début des années 1990, la Chine comptait plus de
800 brasseries ; dix ans plus tard, ce nombre est réduit à environ 500 (Chinese
Markets for Beer, 01/01/2003; Heracleous, 2001). Bien que les niveaux de
concentration demeurent loin des principaux marchés internationaux, on observe tout
de même une tendance en ce sens : en 1999, les parts de marché des trois premières
brasseries s’élèvent à 9%, en 2001, ce chiffre passe à 19% (Chinese Markets for Beer,
01/01/2003; Heracleous, 2001).
348
En comparaison de la taille de leurs populations, les marchés asiatiques montrent une très faible
production et consommation de bière (Heijbroek, de Schutter et Boon, 1997).
349
L’une des raisons poussant à la consolidation de l’industrie brassicole chinoise réside dans la
structure de propriété des brasseries. La majorité de celles-ci sont sous le contrôle du gouvernement
chinois et se trouvent en situation déficitaire (Chinese Markets for Beer, 01/01/2003).
259
Si la concurrence a évolué, et bien que chaque BMN adopte sa propre stratégie,
certains traits “nationaux” émergent de cette consolidation : les brasseries américaines
privilégient tout de même le marché interne aux marchés internationaux, et ce jusqu’à
la fin des années 1990. Les brasseries européennes optent pour l’expansion sur le
continent européen puis vers les marchés émergents, réorganisant leurs structures
organisationnelles autour de leurs activités brassicoles. Les brasseries japonaises
diversifient leurs activités dans l’agroalimentaire (Larimo, Marinov et Marinova,
2004). Finalement, les brasseries latino-américaines procèdent à une vague
d’acquisitions tout en se transformant en entreprises multi-breuvages (bières, boissons
gazeuses et eau principalement).
Par ailleurs, la consolidation ne touche pas uniquement les brasseries, mais concerne
également les fournisseurs de service. Les BMN requièrent des services extrêmement
spécialisés, tant dans la construction que dans les appareils liés au brassage de la
bière, et ce, pour l’ensemble de leurs usines. Étant donné l’expansion internationale
des brasseries, les entreprises complémentaires doivent suivre le même cheminement
afin de répondre à la demande (BW, 01/11/92). En outre, la spécialisation croissante
des fournisseurs de service et les avancées technologiques favorisent l’automatisation
de plus en plus poussée des brasseries. Les fournisseurs de services, tout comme les
BMN, peuvent aussi bénéficier des économies d’échelle qui découlent de cette
croissance.
En somme, la formation d’une industrie oligopole à l’échelle internationale n’élimine
pas l’importance de l’aspect national. Toutefois, la nature de la concurrence se
transforme : de purement nationale, elle devient régionale et globale. La consolidation
internationale réduit sans cesse le nombre de brasseries évoluant à l’échelle globale,
alors que la taille des firmes existantes s’accroît. Afin de poursuivre leur croissance
internationale, les BMN sont confrontées à deux choix, exporter et/ou investir à
l’étranger.
260
7.1.2 Les stratégies de pénétration de marché
En matière de concurrence internationale, les BMN adoptent généralement l’une des
deux stratégies suivantes : l’exportation ou la production internationale. Dans ce
dernier cas, on parle d’investissement direct étranger (IDE), celui-ci pouvant être
créatif ou de portefeuille (fusion-acquisition). Toutes les BMN utilisent un mélange
de production internationale et d’exportation. Les différences se retrouvent avant tout
dans le degré et l'intensité de la production internationale de la firme.350
7.1.2.1 Exportation versus IDE
L’exportation constitue généralement la première forme que prend l’expansion
internationale de l’entreprise (Vernon, 1971). Dans le cas de la production
internationale, l’entreprise peut procéder par des investissements créatifs ou par
fusion-acquisition.
Plusieurs raisons poussent la firme à privilégier l’exportation : elle élimine les coûts
reliés à l’établissement d’opérations manufacturières, ce qui, dans le cas de l’industrie
brassicole internationale, permet d’éviter les coûts irréversibles (sunk costs) liés à la
construction d’une brasserie (Monopolies and Mergers Commission, 2001). De plus,
elle facilite le processus d’apprentissage de la firme et entraîne des économies
locationnelles.351 Finalement, la centralisation de la production permet à la firme de
réaliser de fortes économies d’échelle (Hill, 2001).
Toutefois, dans un contexte de concurrence globale, le seul recours à l’exportation
présente plusieurs désavantages : premièrement, les coûts de transport s’avèrent
généralement plus élevés, ce qui a pour effet de renchérir les prix. Ensuite, les
barrières tarifaires et non tarifaires alourdissent les charges auxquelles est soumise la
350
Dans le cadre de ce chapitre, nous nous limiterons à la production propre de la BMN. Cela
comprend ses installations propres et les brasseries sous son contrôle effectif. Il existe plusieurs autres
formes de production dans l'industrie brassicole internationale, notamment la licence et la co-entreprise.
Ces modes de production seront abordés plus en détail dans le chapitre 8.
351
Hill (2001: 383) définit les économies locationnelles comme “les économies que réalise la firme en
situant les activités créatrices de valeur dans la localisation assurant leur développement optimal (notre
traduction).” Par exemple, les brasseries mexicaines, ayant de faibles coûts de main d’œuvre et de
matière première, en comparaison de leurs concurrentes BMN, ont intérêt à produire les bières
directement au Mexique.
261
firme. Finalement, l’absence d’une présence nationale physique entraîne une perte de
contrôle sur le marketing au profit des agents locaux (Hill, 2001; WIR, 1991).
Étant donné ces limites, l’IDE apparaît comme une solution permettant à la firme de
s’implanter plus facilement dans un nouveau marché. Selon le FMI, l’IDE “est
effectué dans le but d'acquérir un intérêt durable dans une entreprise exerçant ses
activités sur le territoire d'une économie autre que celle de l'investisseur, le but de ce
dernier étant d'avoir un pouvoir effectif dans la gestion de l'entreprise” (FMI, dans
Sachwald, 1998). La littérature reconnaît deux principales formes d’IDE productif,
selon qu’il crée une nouvelle unité productive, l’investissement créatif ou qu’il
permette l’obtention ou la gestion d’actifs d’une entreprise étrangère, les fusionsacquisitions (WIR, 2000 ; Sachwald, 1998 ; Ferrett, 2004 ; Calderón, Loayza et
Servén, 2004 ; Hill, 2001 ; Culpan, 2002).
L’investissement créatif implique l’établissement de nouveaux actifs ou tout transfert
financier de la maison-mère à l’une de ses filiales (Calderón, Loayza et Servén, 2004;
Andreff, 1996).352 Cette forme de pénétration est envisageable lorsque la législation
du pays d’accueil limite ou interdit les prises de contrôle ou lorsqu’il existe peu
d’entreprises à acquérir (WIR, 2000). L’IDE est également envisagé lorsque le ou les
pays d’accueil possèdent certains avantages comparatifs.353 D’un point de vue
stratégique et managériale, la firme choisit l’investissement créatif lorsqu’elle désire
profiter pleinement de ses avantages compétitifs. Elle est ainsi en mesure de contrôler
l’ensemble des activités de la nouvelle unité à travers l’établissement de ses pratiques
de gestion (Hennart et Park, 1993). Si l’investissement créatif garantit l’entière
maîtrise de la nouvelle opération, il s’avère moins avantageux en ce qui concerne la
connaissance du marché ou si l’investisseur requiert des inputs complémentaires
(Hennart et Park, 1993).
352
Görg a montré qu’en situation de duopole, une firme étrangère a plutôt intérêt à acquérir l’une des
deux entreprises existantes. L’acquisition peut entraîner une perte de bien-être pour la population, ce
qui serait le contraire dans le cas d’un investissement créatif (Görg, 1998). Cet état caractérise plusieurs
marchés nationaux dans l’industrie brassicole internationale.
353
Andreff (1996) souligne que le rapport productivité-coût salarial, les disparités de taux de profit, la
demande sur le marché intérieur, de même que la diminution des coûts de transport constituent certains
des avantages comparatifs.
262
Les fusions-acquisitions transfrontalières constituent la seconde forme d’IDE dont se
prévalent les FMN afin de pénétrer un marché étranger.354 Comme le souligne
Sachwald, elles permettent “d’avoir un accès instantané non seulement à des capacités
de production, mais aussi à un réseau de distribution et à une image de marque connue
sur le marché convoité” (Sachwald, 1998: 207). Les acquisitions doivent aussi
permettre aux firmes d’atteindre la taille critique, celle qui lui permettra d’être
présente sur l’ensemble des marchés (Sachwald, 1998). Toutefois, l’étude des fusionsacquisitions montre que peu de transactions se déroulent entre égaux et qu’il s’agit
généralement d’une acquisition de l’une des deux entreprises par l’autre.355
Du point de vue du pays d’accueil toutefois, la fusion-acquisition est moins
avantageuse que l’investissement créatif, car elle n’entraîne pas la création de
nouvelles unités productives tout en s’accompagnant de multiples mises à pied (WIR,
2000). Dans les pires des cas, les fusions-acquisitions réduisent la concurrence sur le
marché domestique. En ce qui concerne les pays en développement en particulier, les
fusions-acquisitions ont acquis une importance prépondérante en tant forme
d’investissement privilégié par les entreprises durant les années 1990. Cette primauté
des fusions-acquisitions sur l’investissement créatif résulterait en partie des
programmes de privatisation et de libéralisation mis en place par les États. Cependant,
la hausse des fusions-acquisitions est généralement suivie d’une certaine hausse des
investissements créatifs (Calderón, Loayza et Servén, 2004).
En somme, le choix entre l’investissement créatif ou la fusion-acquisition dépendra de
la structure du marché national en question (Buckley et Casson, 1998 ; Görg, 1998),
des coûts auxquels est soumise la firme (Buckley et Casson, 1998 ; Ferrett, 2004), de
354
Lors d’une fusion, les actifs de deux ou plusieurs entreprises sont unies au sein d’une nouvelle entité
légale. L’acquisition transfrontalière survient alors qu’une firme transnationale acquiert le contrôle des
actifs et les opérations d’une firme locale, celle-ci se transformant en filiale de la FMN. Le World
Invesment Report reconnaît deux types de fusions, entre égaux (fusion de consolidation) et statutaire
(alors qu’une firme fusionnée survit, avec une nouvelle identité juridique), de même que deux types
d’acquisitions, l’acquisition d’une filiale étrangère et l’acquisition d’une firme locale. Les fusionsacquisitions peuvent être horizontales, entre des firmes concurrentes évoluant au sein de la même
industrie, verticales, entre des firmes entretenant des relations de type client-fournisseur ou de
conglomérat, c'est-à-dire entre des firmes n’ayant pas de relations entre elles (WIR, 2000).
355
Le WIR (2000) relève d’ailleurs que moins de 3% des fusions-acquisitions transfrontalières peuvent
être considérées comme des fusions. Il s’agit avant tout de l’achat d’une firme par une entreprise
étrangère.
263
l’histoire et des avantages compétitifs de la firme (Vermeulen, 2001)356 de la stratégie
(globale ou multidomestique), des objectifs que se fixe la firme, du coût de
l’acquisition d’une firme existante ou du coût des intrants (capital, travail et savoir)
(Hennart et Park, 1993). Pour la CNUCED par contre, la distinction entre
l’investissement créatif et la fusion-acquisition est plutôt ténue dans la mesure où dans
les deux cas, il s’agit d’un transfert de contrôle des actifs du pays hôte à la FMN
étrangère (WIR, 2000).
Un troisième type d’investissement doit être considéré ici : l’investissement de
portefeuille. Bien qu’il ne soit pas considéré comme un IDE (WIR, 2000),
l’investissement de portefeuille constitue un élément important de la stratégie
internationale des entreprises. On qualifie d’investissement de portefeuille
l’acquisition d’une minorité d’actions d’une firme, généralement moins de 10% des
actifs (WIR, 2000), dans le but d’en tirer un revenu de placement (Andreff, 1996).
L’objectif de la firme n’est pas d’obtenir le contrôle d’une entreprise à l’étranger,
mais de réaliser une opération financière lui permettant d’accroître ses revenus. Cette
forme d’investissement est avant tout financière, elle n’est pas productif (WIR, 2000).
L’investissement de portefeuille est plus volatile que l’investissement productif, dans
la mesure où l’investisseur peut se retirer très rapidement (WIR, 1995; Andreff,
1996). Il demande moins d’implication directe de l’investisseur ; par contre, il
n’accorde pas autant de pouvoir décisionnel que l’investissement productif. 357
356
Sleuwaegen, De Voldere et Pennings (2001) soulignent d’ailleurs qu’une firme devrait presque
toujours privilégier l’investissement créatif au lieu de l’acquisition. Bien que cette option soit de prime
abord plus laborieuse, elle comporte deux avantages déterminants : d’une part, elle force l’entreprise à
identifier exactement les facteurs lui conférant un avantage compétitif et d’autre part, elle permet une
meilleure exploitation de cet avantage que ne le ferait l’acquisition. Toutefois, dans le cas de l’industrie
brassicole, la Commission de la concurrence anglaise (Monopolies and Merger Commission, 2001) a
souligné qu’une telle stratégie d’investissement créatif poserait problème dans la mesure où cela
impliquerait une lente croissance interne et un très fort investissement en marketing, alors que
l’acquisition permettrait à une firme étrangère d’acquérir d’importantes parts de marché
immédiatement.
357
Andreff souligne par ailleurs le caractère arbitraire du niveau de participation de l’investisseur lui
permettant de contrôler une entreprise étrangère. Le seuil de contrôle et la volatilité de l’investissement
constitueraient les principales distinctions entre un investissement de portefeuille et un IDE (Andreff,
1996)
264
7.1.2.2
Les fusions-acquisitions dans l’industrie brassicole internationale
Depuis le début des années 1990, mais surtout à partir de la seconde moitié de la
décennie, on assiste à une flambée de fusions et d’acquisitions dans l’industrie
brassicole internationale. Deux causes expliquent cette tendance à la croissance par
acquisition. D’une part, pour les brasseries des marchés matures, il s’agit de pallier la
diminution de la consommation sur leurs marchés nationaux respectifs. D’autre part,
une telle stratégie permet de profiter des marchés à plus forte croissance.
L’ensemble des BMN utilise cette stratégie, mais à des degrés divers. Les brasseries
européennes, confrontées aux limitations de marchés de plus petite taille, procèdent à
davantage d’achats et de fusions que leurs concurrentes nord-américaines. Les deux
principales BMN d’Afrique et d’Amérique latine, SAB et Ambev, participent elles
aussi activement à ce processus. Le tableau 7.1 présente les principales acquisitions
dans l’industrie brassicole internationale depuis la seconde moitié des années 1980.
Tableau 7.1 Principales acquisitions des BMN, 1988-2004
BMN
Interbrew
Année
Compagnie
cible
1995 Labatt
1998 Nanjing
Brewery
Rosar
Brewery
1999 Cass
Pleven
Brewery
Jinling
Brewery
Nanjing
province
2000 Whitbread
PLC
Bass
2001 Brauerei Beck
GmbH & Co.
Diebels
2002 Gilde Brauerei
KK Group et
Zhuijiang
2004 Ambev
Type
d’acquisition
1
Acquisition
Canada
AP (80%)
Chine
Région
géographique
Amérique du
Nord
Asie
AP
Russie
ECO
Acquisition
AP (82.5%)
Corée du Sud
Bulgarie
Asie
ECO
AP
Chine
Asie
Acquisition
Europe
Europe
Acquisition
GrandeBretagne
GrandeBretagne
Allemagne
AP (80%)
AP
AP
Allemagne
Allemagne
Chine
Europe
Europe
Asie
Fusion
Belgique-Brésil
Amériques-
Acquisition
Pays
Europe
265
Ambev
AP (70%)
Acquisition
Acquisition
Russie
Chine
Allemagne
Embodom
C.por A.
Acquisition
République
Dominicaine
Caraïbes
Cervecera
Nacional
2001 Cympay
Acquisition
Venezuela
Acquisition
Uruguay
2001 Cervecería
Internacional
2003 Quilmes
Acquisition
Paraguay
AP (40.5%)
Argentine
Acquisition
Chili
AP (80%)
Équateur
Amérique du
Sud
Amérique du
Sud
Amérique du
Sud
Amérique du
Sud
Amérique du
Sud
Amérique du
Sud
Acquisition
Acquisition
Hongrie
Rép. Tchèque
ECO
ECO
Acquisition
Honduras
Amérique
centrale
2002 Miller
Acquisition
États-Unis
2003 Birra Peroni
Harbin
Breweries
AP (60%)
AP (29.3%)
Italie
Chine
Amérique du
Nord
Europe
Asie
1986 El Aguila
1991 Van Munching
a
& Co.
1994 Zywiec S.A
1996 St-Arnould et
Fischer
1999 Cruzcampo
2001 BrauHolding
Acquisition
Acquisition
Espagne
États-Unis
Europe
Amériques
AP (24.9%)
Acquisition
Pologne
France
ECO
Europe
AP (88%)
JV
Espagne
Acquisition
Egypte
Europe
EuropeAmériques
Afrique
AP (45%)
Acqusition
AP (25%)
AP (74.5%)
Allemagne
Russie
Costa Rica
Panama
Europe
ECO
Amériques
Amériques
Acquisition
Autriche
Europe
1994
Cervecería
Chile S.A.
Cerveceria
Suramericana
SABMiller
Heineken
Europe-Asie
ECO
Asie
Europe
Sun Brewery
Lion Nathan2
SpatenFranziskaner
Bräu KGaA
1993 Dreher
1999/2 Plzenvský
001 Prazdroj
et Radegast
200
Cerveceria
1
Hondureña
2002 Al
Ahram
Beverages
Company
Karlsberg
Bravo
FIFCO
Cervecerías
Barú Panama
2003 BBAG
266
CCU
Carlsberg
AP (50%)
Chili
Karlovacka
Pivovara
2004 Guangdong
Brewery
Fürstlich
Fürstenbergis
che Brauerei
Hoepfner
Brauerei
AP (68.8%)
Croatie
Amérique du
Sud
ECO
AP (21%)
Chine
Asie
Acquisition
Allemagne
Europe
Acquisition
Allemagne
Europe
1988 Hannen
Brauerei
1997 CarlsbergTetley Ltd.
2000 Orkla
Feldschloessch
en, Cardinal et
Moussy
Türk Tuborg
Acquisition
Allemagne
Europe
Acquisition4
GrandeBretagne
Norvège
Suisse
Europe
2001
Brasseries
Kasztelan,
Piast
et
Bosman
2002 Hite Brewery
Shumensko
2003 Kunming
Huashi
Brewery Co.
Fusion
Acquisition
Europe
Europe
AP
Acquisition
Acquisitions
Turquie
ECO
Pologne
ECO
AP (25%)
AP (59.4%)
Acquisition
Corée du Sud
Bulgarie
Chine
Asie
ECO
Asie
Acquisition
AP (51%)
Acquisition
Chine
SerbieMontenegro
Asie
ECO
Acquisition
Allemagne
Europe
AP (33%)
Tibet
Asie
AP (30%)
Chine
Asie
AP (34.5%)
Chine
Asie
AP (5% =>
27%)
AP (17.7%
=> 50.2%)
AP (80%)
Chine
Asie
Mexique
Amérique du
Nord
Asie
Ltd./
Dali Beer
Pivara
Celarevo
A.D.
2004 Holsten
Brauerei AG.
Lhasa
Brewery
Lanzhou
Brewery
Wusu
Brewery
AB
1993 Tsingtao
1993 Modelo
1995 Brasserie
Zhongde
1997 Budweiser
Stag
Acquisition2
Chine
GrandeBretagne
Europe
267
Brewing Co.
Ltd. (Scottish
Courage)
Compañhia
Antártica
Paulista
2001 Compania
Cervecerias
Unidas (CCU)
2004 Harbin
Brewery
Group
AP (5%)
Brésil
Amérique du
Sud
AP (20%)
Chili
Amérique du
Sud
Acquisition
Chine
Asie
Coors
2001 Carling
Acqusition
GrandeBretagne
Europe
S&N
2000 Brasserie
Kronenbourg
Aiken Maes
2002 Hartwall
Brasserie
Mythos
2003 Central
de
Cervejas
2004 Chongqing
Beer Group
United
Breweries
Acqusition
France
Europe
Acquisition
Acquisition
AP (46%)
Belgique
Finlande
Grèce
Europe
Europe
Europe
Acquisition
Portugal
Europe
AP (19.5%)
Chine
Asie
AP (37.5%)
Inde
Asie
AP: achat d’un pourcentage de la brasserie, mais non la totalité JV: joint-venture (co-entreprise)
1 : Cette acquisition comprend les 30% de participation que détenait Labatt au sein de FEMSACerveza
2 : Interbrew possédait 50% de Lion Nathan. La transaction de 2004 concerne les autres 50%.
3 : Anheuser-Busch possédait 50% de la brasserie, résultat d’une joint-venture en 1995
4 : Carlsberg possédait 50% de la brasserie. Le refus de la fusion Bass/Carlsberg-Titley par les autorités
de la concurrence anglaise entraîna la vente des 50% des parts de Bass à Carlsberg
a : Acquisition du distributeur américain de la firme. Elle devient Heineken USA par la suite
Deux constats majeurs se dégagent du tableau précédent. Premièrement, si nous
datons la globalisation de l’industrie brassicole internationale à partir de la seconde
moitié des années 1980, c’est seulement à partir de la seconde moitié des années 1990
que l’on assiste à une accélération d’acquisitions par les BMN. Deuxièmement, les
acquisitions de contrôle (achat de la totalité d’une brasserie étrangère ou d’un fort
pourcentage de la firme) dominent largement les fusions ou investissements de
portefeuille. Sur l’ensemble de la période étudiée, nous ne relevons que trois fusions
(Ambev-Interbrew, Carlsberg-Orkla et Molson-Coors). En ce qui concerne les
acquisitions partielles, seulement trois d’entre elles, Anheuser-Busch-Modelo et
Anheuser-Busch- Compañhia Antártica Paulista et S&N- Chongqing Beer Group
268
touchent moins de 20% des actions de la brasserie visée.358 Ces constats confirment
l’hypothèse de la CNUCED selon laquelle les acquisitions surpassent généralement
nettement les fusions dans la stratégie internationale des FMN.
* Heineken, Interbrew et SABMiller
Ces trois entreprises poursuivent une stratégie d’acquisition similaire, basée sur une
expansion géographique globale. Chacune réalise des investissements dans les
Amériques, en Europe et en Asie, cherchant surtout à profiter de la croissance des
marchés émergents, mais aussi parfois de la stabilité des marchés matures. Heineken
et SABMiller ont même procédé à plusieurs acquisitions en Afrique.
Dans le cas d’Interbrew, la stratégie d'acquisitions internationales de la firme se
décline généralement en deux temps : dans un premier temps, l’entreprise effectue un
investissement dans un nouveau pays sous forme d’entrée partielle au capital d’une
brasserie nationale. Dans un second temps, elle accroît sa participation au sein de la
brasserie totale et/ou achète d’une seconde brasserie afin de complémenter la
première. SABMiller, pour sa part, a surtout privilégié les marchés émergents.
S’appuyant sur une vaste expérience des marchés africains et des pays en
développement, l’entreprise a procédé à de multiples acquisitions en Europe centrale
et orientale puis en Asie (Heracleous, 2001). Par la suite, en 2002, elle fait
l’acquisition de la brasserie américaine Miller, son premier investissement majeur
dans un marché mature.
Après ses achats en Europe de l’Est durant la première moitié des années 1990, la
stratégie acquisitive d’Heineken a surtout porté sur les marchés émergents d’Asie et
d’Amérique latine, avec un regard non désintéressé à l’Afrique (Food Engineering &
Ingredients, 01/09/2001).
358
Dans le cas Anheuser-Busch, la compagnie américaine augmenta par la suite sa participation à
50,2% dans Modelo et se départit de ses actions de Compañhia Antártica Paulista. En ce qui a trait à
l’investissement de S&N au sein de Chongqing Beer Group, la firme anglaise n’a pas procédé à une
augmentation de sa participation au sein de la brasserie chinoise. Toutefois, ses acquisitions
précédentes laissent croire qu’une telle action se produira à court ou moyen terme (1 à 5 ans).
269
* Carlsberg et Scottish & Newcastle
Bien que ces deux BMN participent activement à la globalisation de l’industrie, leur
expansion s’est surtout réalisée en Europe. Les deux entreprises ont tout d’abord
privilégié l’Europe de l’Ouest pour ensuite continuer leur expansion en Europe de
l’Est. À la fin des années 1990, tant Carlsberg que S&N ont pénétré les marchés
asiatiques : Carlsberg investit en Asie du Sud-est et en Chine, alors que S&N choisit
l’Inde et la Chine afin d’assurer sa présence sur ce continent.
* Anheuser-Busch et Coors
Les brasseries américaines, contrairement à leurs concurrentes européennes, ont été
beaucoup plus réticentes à réaliser des IDE, concentrant leurs activités
presqu’exclusivement sur le marché américain (Larimo, Marinov et Marinova, 2004).
De par sa position dominante sur le marché américain et les avantages comparatifs
dont elle dispose, Anheuser-Busch, contrairement à la quasi-totalité des BMN, n’a
pas été obligée de suivre le même rythme d’acquisitions internationales. Elle peut
donc se permettre d’attendre que la consolidation internationale de l’industrie soit
assez avancée avant de procéder à des acquisitions majeures.359
La stratégie internationale d’Anheuseur-Busch se développe à deux niveaux : d’abord,
la promotion de Budweiser comme marque globale de la firme sur les marchés
internationaux360 ; ensuite, des partenariats avec une firme occupant une position
privilégiée sur le marché national. Généralement, lorsqu’Anheuser-Busch désire
pénétrer un marché par l’investissement, elle choisit une brasserie occupant le premier
359
La stratégie de croissance de la firme s’est principalement basée sur l’augmentation de ses parts de
marché aux États-Unis, les marchés étrangers étant vus comme une source de profit complémentaire.
Cela explique la stratégie d’investissement partiel dans des entreprises nationales dominantes. Étant
donné la profitabilité du marché américain, l’entreprise considère plus avantageux de renforcer sa
position sur celui-ci, sans négliger les marchés émergents. Ainsi aux États-Unis, la firme a concentré
ses efforts sur la réduction des coûts et l’augmentation de la production. Le revenu par baril représente
la moyenne du prix de vente obtenu des grossistes. Plus le revenu net par baril augmente, plus les
bénéfices de la firme croissent. En outre, la contribution de la hausse du revenu par baril aux profits est
environ le double de la contribution de la hausse du volume de production (Anheuser-Busch, 10K
2002).Cela se traduit par une plus forte contribution du revenu par baril aux profits de l’entreprise. En
2003, sur une hausse de 410 millions $US des ventes nationales, la part du revenu par baril y était de
324 millions $ et celle de l’augmentation du volume de 86 millions $US. En 2001, sur une hausse de
429 millions $US des ventes nationales, la part du revenu par baril s’est élevé à 298 millions $US et
celle de la hausse de la production à 131 millions $US (Anheuser-Busch, 10K 2003).
360
Sur le développement des marques globales, voir la section 7.1.3.4.
270
ou second rang de l’industrie brassicole nationale. L’association s’effectue en deux
temps : initialement, la firme réalise un faible investissement, entre 5% et 18% selon
le cas ; par la suite, elle augmente sa participation au sein de l’entreprise en question.
Cela peut aller de 20% dans le cas de CCU à plus de 50% dans le cas de Modelo.361
En ce qui concerne Coors, sa position de faiblesse sur le marché américain a
longtemps constitué un frein à une expansion internationale. Outre quelques accords
internationaux de licence et de distribution (cf. chapitre 8), la firme n’avait pas de
présence internationale. À partir des années 2000 toutefois, la stratégie internationale
de la firme se transforme alors qu’elle procède à deux transactions majeures.
Privilégiant les marchés matures, Coors acquiert la brasserie anglaise Carling en 2001,
puis quelques années plus tard, en 2004, annonce sa fusion avec la brasserie
canadienne Molson.
7.1.3 Les stratégies concurrentielles dans l’industrie brassicole internationale
La globalisation de l’industrie brassicole internationale durant les années 1990
favorise le développement de stratégies concurrentielles diversifiées. Deux approches
particulières retiennent notre attention : les stratégies globale et régionale/nationale.
Malgré la diversité des tactiques, toutes les firmes doivent identifier les niches
susceptibles d’assurer leur croissance à l’échelle internationale. Cela passe notamment
par la promotion de l’image de leurs bières et le développement de marques globales,
une tendance lourde de cette période.
Trois
aspects
doivent
être
considérés
dans
la
détermination
du
degré
d'internationalisation des BMN : l'aspect stratégique, l'aspect productif et les ventes. Il
existerait deux stratégies de concurrence dans l'industrie brassicole internationale : les
brasseries à stratégie globale et les brasseries à stratégie régionale et nationale.362
361
La stratégie d’achat est surtout dirigée vers les marchés émergents, délaissant grandement les
marchés matures d’Europe où la firme noue plutôt des partenariats ou des alliances (cf. chapitre 8). Si
l’entreprise a, dans un premier temps, privilégié des acquisitions en Amérique latine, c’est en Chine où
elle a poussé le plus à fond son implication directe. Au début des années 1990, Anheuser-Busch
acquiert plus de 90% de la brasserie chinoise Budweiser Wuhan International Brewing Co., part qui
passera ensuite à 98% (SLPD, 28/04/2002, Business Wire, 21/10/2002). Par ailleurs, en novembre
2004, Anheuser-Busch a vendu sa participation dans CCU à une banque chilienne.
362
Il existerait un troisième niveau stratégique, le niveau national. Celui-ci constitue en fait le terrain
effectif de la concurrence inter-firmes. Les stratégies des brasseries obéissent au principe des poupées
russes, chaque niveau supérieur incluant l'ensemble des niveaux inférieurs. Ainsi, une brasserie à
271
7.1.3.1 Prédominance des stratégies globales
Si les BMN adoptent à la fois l’exportation et la production internationale, cela se
déroule dans le cadre d’une stratégie globale ou régionale. Une firme adoptant une
stratégie globale “vend ses produits dans plusieurs pays et, afin d’y parvenir, emploie
une approche globale intégrée” (Porter, 1990: 54).363 Alors que Porter met l’accent sur
les aspects stratégiques et commerciaux, Andreff accorde, quant à lui, davantage
d’importance à la structure interne de la firme et à son environnement.364
La stratégie globale implique à la fois un aspect stratégique, un aspect productif et un
aspect commercial. Au niveau stratégique, l’entreprise adopte une perspective
globale. Cette attitude implique des activités globales, régionales et nationales, de
même qu’une structure de ressources humaines correspondante. Au niveau productif,
la firme divise ses activités en plusieurs unités géographiquement distinctes. En outre,
la fragmentation et la diversité des produits remplacent la standardisation en tant que
norme de production.365 La capacité d’adaptation devient la norme à suivre. En
développant ces aspects stratégiques et productifs, l’entreprise cherche à transformer
ses avantages comparatifs en avantages compétitifs (Segal Horn, 2002).366 Au niveau
des ventes, suivant en cela Rugman et Verbeke (2002 et 2004), les ventes de la firme
se répartissent géographiquement au sein des trois régions de la nouvelle Triade.
stratégie globale développe également des stratégies régionale et nationale, alors que la brasserie à
stratégie régionale possède aussi des stratégies nationales. De son côté, la firme à stratégie dominante
nationale, lorsqu’elle s’internationalisera, développera des stratégies régionales puis globales. De
même, Rugman et Verbeke (2004) soulignent que les stratégies globales doivent aller de pair avec une
capacité d’adaptation nationale (national responsiveness) afin que les firmes puissent bénéficier de
leurs avantages spécifiques.
363
Selon Porter, la firme tire deux avantages fondamentaux de la stratégie globale, un avantage de
configuration et un avantage de coordination. Dans le premier cas, l’entreprise est en mesure de
répartir les activités de sa chaîne de valeur entre un nombre important de pays afin de servir le marché
mondial. Dans le second cas, la compagnie possède la capacité de coordonner l’ensemble de ses
activités et de choisir les modes de pénétration de chaque marché ou région (Porter, 1990).
364
Selon Andreff, les stratégies globales des firmes résultent de la combinaison de trois facteurs : les
mutations technologiques, l’adaptation à l’après décomposition internationale du processus productif
(DIPP) et la réaction vis-à-vis des risques encourus dans les pays hôtes. Cinq indices permettraient de
conclure à une stratégie globale de la part d’une firme : la centralisation internationale du capital ; la
structure de groupe prise par les FMN ; leur traitement de la R&D et de la technologie ; les alliances
avec d’autres FMN ; l’intégration mondiale de leur production (Andreff, 1996).
365
Compte tenu de la non-disponibilité de la ventilation régionale de la production brassicole par
compagnie, la répartition des unités productives à travers le monde constitue la mesure de globalité de
cette variable.
366
Sur l’analyse de l’avantage compétitif, mais appliqué aux nations, on consultera aussi Porter (1990).
272
Dans le cas des BMN, l’existence de stratégies globales touche ces trois aspects, mais
à des degrés divers. Bien que ces brasseries possèdent des unités productives propres,
établies dans plusieurs pays du globe, c’est principalement à l’échelle stratégique
qu’on différencie entre les firmes où prédominent les stratégies globales des autres
entreprises. En effet, les activités de vente, de distribution, mais surtout de marketing
et des brasseries constituent les domaines où se révèlent le plus solidement l’existence
de brasseries globales. Trois firmes en particulier ont poussé plus à fond l’approche
globale, Interbrew/Inbev, Heineken et Carlsberg. Mais l’existence de stratégies
globales signifie-t-elle pour autant que ces firmes soient globales ?
* Interbrew/Inbev
Suite à l’intégration de la brasserie canadienne Labatt et jusqu’en 1999, Interbrew
avait adopté un fonctionnement dual, c'est-à-dire une gestion séparée entre les
activités nord-américaines et européennes (Interbrew, RA 1999). À partir de 1999,
toutefois, le développement international de la firme l’oblige à modifier sa structure
organisationnelle : elle est divisée en cinq zones géographiques. Cette division permet
à l’entreprise d’asseoir sa stratégie globale. Compte-tenu des nombreuses acquisitions
qu’elle réalise durant les années 1990, Interbrew dispose d’un portefeuille de marques
extrêmement varié. Afin de mettre à profit cet avantage, la réorganisation de
l’entreprise s’est accompagnée du lancement de marques mondiales (Beamish et
Goerzen, 2000; Interbrew, RA 1998 à 2004).
Dans un premier temps, Interbrew choisit une marque, Stella Artois, qui sera promue
sur l’ensemble des marchés où opèrent la firme ou ses filiales.367 L’entreprise
combine alors cette marque globale avec des marques multi-pays et nationales afin
d’offrir aux consommateurs un triple choix : premièrement, les bières locales,
connues, touchant généralement les premiers segments du marché et donc moins
dispendieuses ; deuxièmement, des marques “de spécialité” ou multi-pays, présentes
sur des marchés régionaux et positionnées entre les deux extrémités ; troisièmement,
367
En 1998, Interbrew dut décider entre ses deux principales marques, Stella Artois et Labatt Blue,
laquelle constituerait la marque centrale de la firme. Il fut considéré que le potentiel de croissance de
Labatt Blue se limitait aux États-Unis, alors que les ventes de Stella Artois montraient de meilleures
progressions sur les marchés d’Europe centrale et orientale, d’Asie et d’Océanie (Beamish et Goerzen,
2000).
273
une marque globale, représentant la firme sur tous les marchés et positionnée dans le
segment premium.368
* Heineken
La stratégie de Heineken ressemble quelque peu à l’approche qu’a adoptée Interbrew.
Tout comme sa concurrente, Heineken possède deux marques globales, Heineken et
Amstel, ainsi que plusieurs marques nationales et de spécialité. Cependant,
contrairement à Interbrew, qui ne dépend pas d’une marque en particulier, la firme
hollandaise dépend de sa principale marque, Heineken, pour une large part de son
volume et de ses ventes. Bien que les distributeurs nationaux disposent d’une plus
grande liberté sur les opérations locales, la maison-mère centralise les décisions en
matière de vente, de marketing et de communication (Heineken, RA 2003).
Les deux marques mondiales de la compagnie sont distribuées à travers le monde,
Heineken étant disponible dans plus de pays qu’Amstel, et sont positionnées dans le
segment premium et populaire respectivement. Comme le souligne l’entreprise, “la
présence de la marque (Heineken) est renforcée lorsqu’elle est ajoutée à un
portefeuille contenant des marques locales ou régionales” (Heineken, RA 2000: 17).
* Carlsberg
Tout comme Heineken, la brasserie Carlsberg développe une stratégie globale centrée
autour de deux marques phares, Carlsberg et Tuborg, ainsi que plusieurs marques
régionales et les nationales. La firme a fortement internationalisé ses activités, tant en
matière de production que de ventes. En 2002, plus de 95% des ventes sonnt réalisées
hors du Danemark alors que l’entreprise contrôlait 49 brasseries à travers le monde,
appuie la stratégie globale de la firme (Carlsberg, RA 2002). Outre la propriété de ses
propres brasseries, la firme développe une politique de prise de participation
minoritaire au sein des brasseries nationales avec lesquelles elle fait affaire. Cela lui
permet d’assurer un plus grand contrôle sur la gestion de ses marques Carlsberg et
Tuborg.
368
Résultat de l’intégration des grandes acquisitions de la firme, Interbrew/Inbev a ajouté deux autres
marques globales à son portefeuille, Beck’s (Allemagne) et Brahma (Brésil) (Inbev, RA 2004).
274
Tableau 7.2
Distribution géographique des ventes de certaines BMN en 20031
Interbrew
Heineken
Carlsberg
SABMiller
Coors
Europe
4,5 (66%)
7,1 (71%)
4,5 (97%)
1,6 (20,3%)
Amériques
1,8 (26,8%)
1,5 (15%)
--
4,0 (49,1%)
Asie/Afrique
Total
0,5 (7,2%)
6,9
1,4 (14%)
10
0,2 (4%)
4,7
2,5 (30,6%)
8,1
1,6
(40%)
2,4
(60%)
4,0
AnheuserBusch
0, 636
(5,4%)2
ND
ND
11,6
1 : Pour Interbrew, Heineken et Carlsberg, les chiffres sont en milliards d’euros ; pour SABMiller,
Coors et Anheuser-Busch, en milliards de dollars.
2 : totalité des ventes internationales d’Anheuser-Busch ; la compagnie ne ventile pas
géographiquement ses ventes. Ce montant inclut également les licences accordées à des brasseries
étrangères.
Sources : Rapport annuel 2003 de chaque entreprise.
Alors qu’Interbrew, Heineken et Carlsberg peuvent être considérées comme des
firmes à stratégie globale, constituent-elles des firmes globales en termes de ventes ?
Selon le critère de globalité de Rugman et Verbeke (2002 et 2004), lorsque l’on étudie
les ventes internationales des trois brasseries (tableau 7.2), aucune d’entre elles n’est
globale : Interbrew est bi-régionale (Europe et Amériques), alors qu’Heineken et
Carlsberg apparaissent comme des firmes uni-régionales (Europe). On constate par
ailleurs une distinction entre les deux brasseries américaines, Coors et AnheuserBusch. La première est devenue, depuis 2001, une firme bi-régionale, suite à
l’acquisition de Carling en Grande-Bretagne. Anheuser-Busch est demeurée une firme
uni-régionale. Selon ce tableau, seule SABMiller est globale en termes de ventes : les
Amériques représentent 49,1%, l’Europe 20,3% et l’Afrique/Asie 30,6%.
SABMiller constitue un cas particulier dans l’industrie brassicole internationale. Elle
reste l’une des deux seules BMN ne provenant pas d’un marché mature, l’autre étant
Ambev. De plus, sa région d’origine, l’Afrique australe, ne montre pas un niveau de
consommation per capita élevé.369 Lorsque l’on se réfère à la variable stratégique, on
ne peut identifier une stratégie globale de SABMiller au même titre que ses trois
concurrentes. Jusqu'à l’acquisition de Miller en 2002, la firme avait surtout privilégié
les marchés émergents, ce qui la confinait surtout, outre sa base d’opération africaine,
à l’Europe de l’Est et à l’Asie. Au niveau productif, là aussi, la structure de la firme
n’était pas globale avant l’achat de Miller. Cette transaction fait de la firme une
369
La consommation per capita de l’Afrique du sud a baissé de 14,1% entre 1990 et 2003, passant de
65,2 litres/an à 56 litres/an (Impact, 2005).
275
entreprise à stratégie régionale, au sens de Rugman et Hodgetts (2001). Toutefois, en
termes de ventes, la compagnie constitue une firme globale.
La distribution géographique des ventes ne constitue toutefois pas la seule mesure du
caractère global des entreprises. Elle ne peut rendre compte de l’ensemble des
activités internationales de la firme car elle se limite à la répartition géographique des
ventes. La CNUCED a développé un indice de transnationalité basé sur trois ratios
distincts : les actifs internationaux sur les actifs totaux, les ventes internationales sur
les ventes totales et l’emploi international sur l’emploi total. L’indice de
transnationalité est la moyenne des trois ratios. L’union de ces trois éléments
permettrait de prendre en compte à la fois les ventes, l’emploi et les avoirs
internationaux de la firme : plus l’indice de transnationalité est élevé, plus la firme est
internationale (WIR, 2000: 78).370
370
Ce que fait ressortir l’indice de transnationalisation est la prévalence des firmes provenant de
marchés nationaux à taille réduite. La taille du marché national constituerait une variable-clé dans
l’internationalisation des firmes (WIR, 2000). Cela pourrait expliquer la tendance que l’on observe
dans l’industrie brassicole internationale, alors que les BMN en provenance de petites économies
s’internationalisent davantage que leurs concurrentes des économies plus importantes.
276
Tableau 7.3
Indice de transnationalisation de certaines brasseries, plusieurs
années
AI 13
Inter
brew
Hein
eken
Carl
sber
gde
SAB
M
Coor
s
Anhe
userBusc
h
Mod
AT 13
AI/A
T (%)
CAI1
CAT 1
2003
ND
8537
ND
ND
7044
CAI/
CAT
(%)
ND
2000
1998 a
ND
ND
ND
3352,5
ND
ND
5657
3403,6
2003a
ND
10 897
ND
ND
2
719,1
NDb
1999a
6 793
7853
86,5
1996
ND
2927
2003
ND
2000
1996/
97
2003
EI
2
ET 2
EI/ET
(%)
ND
ND
ND
ND
79,9
ND
ND
34 203
16 727
ND
ND
7700
ND
61 271
91,4
5965b
7028
84,9
56
015
31086
ND
4496
5506
81,7
46 712
ND
ND
34 626
ND
20 695
ND
ND
ND
12 641
ND
8124f
8480f
2000
882 f
1998
36 733
84,6
31 682
81,8
ND
25
916
ND
31 375
ND
25 712
ND
ND
23 641
ND
ND
14 918
ND
ND
18 081
ND
95,8
6362g
7632g
83,4
36 096
90,0
1391f
63,4
1249
2857
43,7
23 253
67,8
482f
972 f
49,6
1081
2885
37,5
19 395
57,9
1997i
2003
2000
1996
2003
2354
2828
0
0
250,1
5476
4486
1629
1363
8054,8
43,0
63,0
0
0
0,03
3101
2410
0
0
636,6
11 055
4000
2414
1732
11 621h
28,1
60,3
0
0
0,5
30
672
15
763
11
222
ND
3100
100c
100
ND
ND
8500
5850
5800
23 316
ND
36,5
0,02
0,02
ND
2000
213,1
7705,4
0,03
528,3
10
103,5h
0,5
ND
23 725
ND
1996
0
8458,6
0
ND
ND
0
25 123
0
2003
0
64 055
0
10
143,9
25 961
h
h
10
41,6
0
47 593
0
803
elo
2000
0
45 301
0
6643
26 943
24,7
0
46 890
0
1997
0
23 338
0
3961
14 451
27,4
0
38 757
0
CC
2003
0
28 936
0
1535
21 924
7,1
0
16 461
0
2000
0
24 291
0
1177
19 248
6,1
0
17 213
0
Mj
1996
0
22 548
0
886
16 195
5,5
0
13 910
0
A.I. : Actifs internationaux
A.T. : Actif total C.A.I. : Chiffre d’affaires international
C.A.T. : Chiffre d’affaires total net E.I. : Emploi International
E.T. : Emploi total
1 : les données sont en millions de dollars, sauf lorsqu’indiqué.
2 : En milliers d’employés
3 : actifs fixes. Comprennent les actifs tangibles et financiers fixes
A : montants en euros. Pour 1996, les montants sont en écus
B : à partir de 2000, Heineken ne fournit plus le chiffre des ventes aux Pays-Bas, mais ventile par
région du monde.
j
277
C : en 2000, Coors ferma son unité en Espagne, acquise en 1994 (environ 100 employés et une
production inférieure à 500 000 hl.). La participation de la brasserie espagnole dans les résultats de
Coors était comme négligeable par la compagnie (Coors, 10K 2000).
D : les données pour Carlsberg comprennent également les opérations de breuvages autres que la bière.
L’entreprise ne fournit pas d’information spécifique sur ses activités au Danemark. Les montants sont
exprimés en Couronnes danoises
E : couvre une période de 15 mois
F : actifs opérationnels de la division brassicole de SAB
G : ventes totales
H : inclut les licences qu’accorde Anheuser-Busch aux brasseries étrangères (Anheuser-Busch, RA
2002 et 2003)
I : les montants sont exprimés en Rands sud-africains
J : les montants sont exprimés en pesos mexicains
Sources : Rapports annuels des compagnies, diverses années ; documents soumis à l’autorité des
marchés financiers américaine (Securities and Exchange Commission, SEC).
Le tableau 7.3 montre la difficulté d’analyser le degré d’internationalisation des BMN
selon le critère de la transnationalité. Pour plusieurs entreprises, la ventilation des
données n’est pas fournie. Un autre problème se pose dans l’établissement de notre
indice : l’absence de référence spécifiquement au pays d’origine dans la présentation
des résultats de la firme. Un indice de transnationalisation a pu être calculé pour une
seule BMN pour les années retenues : SABMiller. Il est toutefois possible de formuler
un certain nombre de commentaires à partir du tableau et d’autres statistiques
disponibles.
En ce qui concerne Interbrew et Carlsberg, malgré la rareté de l’information, on peut
supposer que la transnationalisation des deux entreprises progresse entre 1996 et
2003. Le seul indice disponible, le chiffre d’affaires d’Interbrew en 1998, montre un
taux de transnationalisation de 79,9%.371 L’emploi et les actifs totaux suivent une
croissance similaire, ce qui laisse croire à une augmentation de la transnationalisation
de l’entreprise. Quant à Carlsberg, on peut pallier l’insuffisance des données par le
recours au pourcentage du volume international sur le volume total de ventes de
l’entreprise. Là aussi on observe une croissance de l’importance des marchés
internationaux : en 1996/97, le volume international représente 85,2% du volume total
de la firme ; en 2000, ce pourcentage augmente à 90,5%. Finalement, il s’établit à
95,3% en 2003.372 Parallèlement à la hausse des volumes internationaux, soulignons
371
Ce taux passe à 83,4% en 1999 (Interbrew, RA 1999). En outre, l’acquisition de la brasserie
canadienne Labatt en 1995 a fortement accru la transnationalisation de la brasserie.
372
Dans le cas de Carlsberg, deux forces se combinent : une diminution constante de la consommation
au Danemark et la multiplication des acquisitions de la firme, ce qui entraîne une forte poussée des
278
une progression correspondante du chiffre d’affaires de la firme : de 19,4 milliards de
couronnes danoises en 1996/97, il passe à 25,6 milliards de couronnes en 2000 puis à
34,6 milliards en 2003 (Carslberg, RA 2001 et 2004).
Dans le cas d’Heineken, trois remarques s’imposent. D’une part, l’indice de
transnationalisation de l’emploi croît sur les trois années retenues. Il passe de 81,8%
en 1996 à 85,2% en 2000 puis à 91,4% en 2003. Ensuite, et même si nous ne
disposons pas des trois indices de l’actif international, on peut supposer que lui aussi
augmente durant la période. En observant l’emploi et le chiffre d’affaires pour 1996 et
1999, on note une progression de l’indice de transnationalisation, ce qui permet de
croire à une tendance similaire pour l’actif.373 Finalement, en se basant sur les deux
remarques précédentes, on note que Heineken était la brasserie la plus transnationale
jusqu’au milieu des années 1990. Les autres BMN, en augmentant leurs niveaux
d’internationalisation, réduisent l’écart avec la brasserie hollandaise.
C’est le cas notamment de SABMiller. La firme montre une transnationalisation de
plus en plus poussée de ses activités. L’indice de transnationalisation augmente
régulièrement entre 1998 et 2000, passant de 48,3% à 58,3% puis très fortement
durant les trois années suivantes, s’établissant à 89,7% en 2003. Notons tout de même
que l’internationalisation du chiffre d’affaires demeure un peu en retrait des deux
autres.
Les compagnies américaines sont très faiblement transnationalisées. Jusqu’à la
seconde moitié des années 1990, elles n’étaient pas du tout transnationalisées,
préférant l’investissement de portefeuille (Anheuser-Busch) et le développement du
marché national (Coors). Il faut souligner, dans le cas d’Anheuser-Busch, que les
licences internationales remplacent la nécessité de transnationaliser les activités de la
firme. Les brasseries mexicaines sont les moins transnationalisées. Sauf pour les
ventes internationales, les entreprises mexicaines ne développent pas d’activité
productive internationale. Et même cette variable montre un plus faible degré
ventes à l’étranger. C’est en 2001 que l’écart se creuse le plus, alors que les ventes à l’étranger
s’établissent à 64 millions d’hl. contre 38 millions d’hl. en 2000 (Carlsberg, RA 2001).
373
L’entreprise a présenté ses résultats en écus en 1997, puis en euros par la suite. La conversion de la
Guilde néerlandaise à l’écu puis à l’euro est demeurée sensiblement identique : 1 euro = 2,2037 guildes
(1998) et 1 écu= 2,2275 guildes (1997) (Heineken, RA 1997 et 1998).
279
d’internationalisation des brasseries mexicaines vis-à-vis des autres brasseries
multinationales. En se basant sur l’indice de transnationalisation, on peut avancer que
les brasseries mexicaines dépendent davantage de leur marché national que les BMN.
Il ressort de cette analyse que les BMN autres que nord-américaines suivent la
tendance identifiée par la CNUCED : durant les années 1990, nous aurions assisté à
une transnationalisation de plus en plus poussée des activités des industries
manufacturières, celles-ci surpassant l’indice de transnationalité de 50% (WIR,
2000).374 En croisant les critères de transnationalisation de la CNUCED et le tableau
7.1, on parvient à la conclusion que la SABMiller n’est pas l’unique brasserie globale
dans l’industrie brassicole internationale. Interbrew, Carlsberg et Heineken peuvent
également être considérées comme des brasseries globales.375
7.1.3.2 Prédominance des stratégies régionales et nationales
Jusqu’au milieu des années 1990, les stratégies régionales constituaient l’apanage de
la majorité des BMN. Par la suite, la consolidation de l’industrie renforce la
domination des firmes à stratégie globale. Tout comme l’approche précédente,
l'approche régionale comporte un aspect stratégique, un aspect productif et un aspect
commercial. La firme articule l’ensemble de sa stratégie (domestique et
internationale) autour de sa région d’origine.376 Bien qu’elle vende ses produits sur
des
marchés
extra-régionaux,
ses
acquisitions
et
investissements
créatifs
s’effectueront principalement dans sa région d’opération, lui permettant ainsi
d’assurer une présence plus importante sur ces marchés. En ce qui concerne les
ventes, celles-ci seront là aussi concentrées sur la région.
374
Des six industries qu’analyse le WIR de 2000 (pétrolière, automobile, électronique/appareils
électroniques, pharmaceutique, chimique et aliments/breuvages), seule l’industrie automobile montre
un indice de transnationalisation inférieur à 50% durant l’ensemble des années 1990.
375
Le cas de la brasserie Coors montre cependant les limites de cet indice. Jusqu’en 2000, la firme
n’était aucunement transnationalisée. En 2003, son indice de transnationalisation surpasse les 50%,
s’établissant à 53,3%. Toutefois, la totalité de ce changement résulte de l’acquisition de la brasserie
Carling en Grande-Bretagne en 2001.
376
Les causes d’une telle approche sont multiples : la firme ne possède pas suffisamment d’expérience
des marchés internationaux ; elle désire réaliser des économies d’échelle, toutefois, compte tenu de sa
taille, cela ne peut se produire au niveau global, mais au niveau régional ; elle se positionne
régionalement afin de protéger son marché national ; finalement, les dirigeants veulent accroître la
valeur de l’entreprise et ainsi la rendre plus attractive auprès d’acquéreurs potentiels.
280
En ce qui concerne la firme à stratégie nationale, la quasi-totalité de ses activités et de
ses ventes demeurent centrées autour du marché national. Pour les brasseries
développant des stratégies régionales ou globales, la composante nationale sera
également présente. Les BMN doivent alors décider si elles veulent produire pour le
marché national ou plutôt assurer leur présence par l’exportation. Dans ce dernier cas,
elles doivent également identifier la firme nationale avec laquelle elles s’associeront
afin de promouvoir leurs marques (cf. chapitre 8).
Dans le cas de l’industrie brassicole internationale, outre les éléments soulignés
précédemment, l’approche régionale passe également par la promotion de marques
régionales, des bières présentes sur plusieurs ou la totalité des marchés de la région,
mais absentes des autres régions où évolue l’entreprise. Deux entreprises, Ambev en
Amérique du Sud et Scottish & Newcastle en Europe, ont développé de telles
stratégies régionales.
* Ambev en Amérique du Sud
À partir de 1994, Brahma amorce le processus qui conduit à l’internationalisation
d’Ambev.377 L’objectif de la firme est de pénétrer plusieurs marchés sud-américains, à
la fois par acquisition et par investissement créatif, ce qui la positionnerait comme la
brasserie majeure dans la région (Brahma/Ambev, 20-F 1998). L’expansion vers les
marchés sud-américains doit permettre à la firme de profiter d’économies d’échelle et
de développer certaines de ses marques.
Bien que la firme acquière la brasserie vénézuélienne Cervecera Nacional et procède à
la construction d’une brasserie en Argentine en 1994, et même si elle développe ses
propres capacités productives dans la région durant la seconde partie des années 1990,
c’est à partir de 2001 que la stratégie régionale de la firme se concrétise. Ambev
achète des brasseries en Uruguay, et au Paraguay (tableau 7.1). L’entrée au capital de
377
Ambev est née en 1999 de la fusion des deux principales brasseries brésiliennes, Brahma et
Antartica Paulista (cf. chapitre 5).
281
la brasserie argentine Quilmes en 2002378 permet à Ambev d’assumer une position
dominante en Amérique du Sud. 379
* Scottish & Newcastle en Europe et en Asie
La firme anglaise, tout comme ses principales concurrentes européennes, désire
atteindre le niveau de brasserie globale, mais son internationalisation demeure avant
tout régionale.380 Toutefois, contrairement à Ambev qui s’est limitée à l’Amérique du
Sud, la stratégie internationale de S&N est bi-régionale puisque la firme est présente
en Europe et en Asie (tableau 7.1). Au niveau productif, la firme n’a pas procédé à des
investissements créatifs, préférant une stratégie d’acquisition afin d’accroître ses
volumes. Sur les deux continents, S&N a privilégié une stratégie basée sur des
marques nationales fortes et la distribution d’une marque, Kronenbourg, dans
plusieurs marchés d’Europe de l’Ouest.381
7.1.3.3 Stratégies de niche et de promotion d’image
On entend deux choses par les stratégies de niche : d’une part, le développement de
nouveaux types de bières afin d’occuper de nouveaux segments de marché ; d’autre
part, l’occupation de segments spécifiques de marchés nationaux (Monopolies and
Mergers Commission, 2001). Une entreprise peut développer une telle stratégie en
réponse à une limitation de ses ressources financières (Morrison et Roth, 1992) ou
378
Opération qui s’officialisera en janvier 2003.
Quilmes dominait les marchés argentin, bolivien, uruguayen et paraguayen ; la brasserie possédait
également une unité de production au Chili (Ambev, 20-F 2002).
380
Une des hypothèses pouvant expliquer le retard d’internationalisation de la firme vis-à-vis ses
principales concurrentes européennes serait la consolidation du marché anglais à partir des Beer Orders
de 1989 (cf. chapitre 5). Suite à ces recommandations des autorités de la concurrence anglaise, on
assista à une réorganisation de l’industrie. Ce n’est qu’au début des années 2000 que ce processus est
complété. Les compagnies britanniques se sont donc préoccupées de leur marché interne avant de
procéder à des acquisitions internationales, ce qui limitait leurs options par la suite.
381
C’est d’ailleurs cette caractéristique qui distingue S&N de Carlsberg et Heineken. Si en termes de
ventes ces deux brasseries sont régionales (de leur région d’origine), la stratégie de promotion d’une ou
plusieurs marques internationales/globales les distingue de S&N. Dans le cas des marchés indien et
chinois, les transactions étant plutôt récentes, la firme n’a pas encore développé une stratégie de
marques de ses propres produits à destination de ces marchés. Il convient de souligner, par ailleurs, une
particularité importante touchant S&N : l’une des marques les plus importantes de son portefeuille en
terme de volume, Foster’s (qui constitue sa marque la plus vendue en Grande-Bretagne) découle en fait
d’un accord de licence avec la brasserie australienne Foster’s.
379
282
lorsqu’apparaissent des discontinuités dans l’environnement d’une industrie
(Swaminathan, 1998).382
Une entreprise peut s'accaparer d'une niche en développant un nouveau produit ou en
s'adressant à une clientèle particulière. Dans le cas de l'industrie brassicole, cela
signifie la création de nouveaux types de bières. Les bières Ice ou Dry représentent
des exemples de création de niche. Toutefois, cette niche tendra à disparaître lorsque
les concurrentes pénètreront le même segment du marché. Lorsque la firme s'adresse à
un public particulier, elle se positionne généralement en marge des entreprises
dominant le marché. Dans le cas des marchés matures d’Amérique du Nord et
d’Europe de l’Ouest, par exemple, la stratégie de niche touchera le segment des bières
importées et surtout celui des microbrasseries. Une telle approche, en se situant dans
des segments de marché avec de plus fortes marges bénéficiaires, accroît la
compétitivité des firmes (Heijbroek et al., 1996).
Dans le cas des BMN, la stratégie de niche s’inscrit dans une perspective de
complémentarité des marques : il s’agit de positionner les marques locales dans les
divers segments inférieurs de l’industrie brassicole nationale, de positionner Amstel
dans la catégorie sub-premium par exemple et Heineken en complément de ces
marques dans la catégorie des bières premiums.
Outre l’accès aux réseaux de distribution international et national, le marketing et la
publicité représentent le principal lieu de la concurrence dans l’industrie brassicole
internationale et l’un des principaux coûts irrécupérables auxquels font face les
brasseries (Monopolies and Mergers Commission, 2001). Compte tenu de la nature du
produit, la bière, les dépenses publicitaires et promotionnelles constituent l'un des
principaux postes budgétaires des brasseries (figure 7.1).
382
Les discontinuités intra-industrie résultent soit des innovations technologiques ou d’une évolution
du comportement des consommateurs. La création de niches, tant nationales qu’internationales, reflète
avant tout une segmentation plus poussée de ladite industrie.
283
Figure 7.1
Structure générale des marges et des coûts des BMN
Ventes
100%
Marges 10%
Taxes/impôts 4%
Profits 6%
Coûts 90%
Coûts fixes 58%
Coûts variables 32%
Administration
Marketing/prom
otion des ventes
Matières
premières
24%
Autres
Énergie
Rémunération/
Employés 24%
Eau
Transport 4%
Intérêts 2%
Dépréciation
28%
Empaquatege
8%
Maintenance
Source : Arend M.A. Heijbroek, E.M.L. de Schutter et M.J. Boon, The World Beer Market. A
Conglomerate of National Markets, Utrecht: Rabobank, 1996.
En analysant la structure des coûts des BMN, on remarque que les coûts fixes,
notamment les dépenses publicitaires, constituent la plus importante partie des
dépenses des brasseries. Cela est dû en grande partie à la structure de l’industrie. Nous
avons noté précédemment la nature oligopolistique de celle-ci et l’existence de fortes
barrières à l’entrée. Les coûts de réputation, dont font partie les dépenses publicitaires,
constituent l’une des principales barrières (Bain, 1956). Il s’ensuit que les brasseries
doivent investir fortement afin de maintenir ou de gagner des parts de marché.
En comparant la structure des coûts des BMN à la structure des coûts des brasseries
mexicaines (cf. figure 4.7), on constate certaines différences importantes. D’une part,
les impôts et les taxes constituent un part beaucoup plus importante des coûts de
Modelo et CCM que la norme de l’industrie. Les BMN consacrent 4% de leurs ventes
aux taxes et impôts, alors que les brasseries mexicaines y allouent 28%. Par ailleurs,
les coûts de la main-d’œuvre apparaissent nettement plus élevés pour les BMN que
pour Modelo et CCM. Les salaires représentent moins de 21% des dépenses des
brasseries mexicaines,383 alors qu’ils constituent 24% des dépenses des BMN. La
dernière distinction d’importance a trait aux coûts de commercialisation. Compte tenu
de l’histoire et de la nature de l’industrie brassicole mexicaine, les dépenses de
commercialisation et de marketing sont très élevées, représentant 34% du total. Dans
l’industrie brassicole internationale, les dépenses de marketing et de promotion des
ventes accaparent un pourcentage beaucoup moins élevé. Selon la figure 7.1, en y
associant les dépenses administratives et la catégorie “autres”, les coûts “d’image” ne
dépassent pas 24%.
Les brasseries font face à quatre attentes des consommateurs vis-à-vis des produits
qu’ils achètent : une image psychologique positive, des bénéfices identifiables, de la
qualité (et de la valeur) ainsi qu’un sentiment de découverte (Brandweek,
22/08/1994). Ce défi est d’autant plus grand pour les brasseries, car deux des objectifs
les plus importants de toute brasserie est de maintenir la loyauté des consommateurs
et d’innover (dans les recettes et les méthodes de production), tout en maintenant le
caractère traditionnel d’une bière (Modelo, 2000; Oliveira Vera-Cruz, 2000).
L’objectif des brasseries est donc de s'adapter aux goûts et aux caractéristiques de
leurs publics afin d'accroître l'efficacité de leur message et l'augmentation des ventes.
C'est ainsi qu’Heineken a par exemple adopté une double approche de marketing et de
croissance aux États-Unis. D’une part, la segmentation du marketing vers les
hispanophones et les noirs, ces deux groupes constituant un pourcentage plus
important de consommateurs des bières de la firme en proportion de leur poids
démographique. D'autre part, la couverture totale du territoire américain grâce à un
réseau de distribution centrée autour de son importateur/distributeur (BI, 01/07/2002;
Van Munching, 1997).
383
Les salaires font partie des coûts administratifs et manufacturiers des brasseries mexicaines , ceux-ci
totalisant 21%. Toutefois, ces deux coûts comprennent, outre les salaires, l’eau, les bouteilles,
l’énergie, l’empaquetage, les installations, la communication, l’informatique, les services
administratifs, les services financiers et les dépenses de voyage (ANAFACER, 2004b). Si on prend
l’année 2003 comme exemple, les salaires représentèrent 2,5% des coûts de Modelo, alors que
l’empaquetage et les contenants représentèrent 4,4% des dépenses (Grupo Modelo, RA 2003).
285
Un des outils privilégiés par les BMN afin d’assurer la permanence de leurs marques
est la commandite, tant d’événements culturels, académiques que sportifs.384 Ces
derniers représentent d’ailleurs le véhicule promotionnel préféré des brasseries, car ils
rejoignent généralement leur public cible, les hommes âgés de 18 à 40 ans.
7.1.3.4
Développement de marques globales
Les stratégies de marketing globales et de niche qui se développent depuis le début
des années 1990 accompagnent une nouvelle tendance : l’émergence de marques
globales. Toutes les BMN affirment détenir une marque globale, mais est-ce le cas ?
Quels sont les critères permettant d’identifier une marque comme étant globale ?
Il existe très peu d’études sur les bières globales. Dans une analyse du développement
des marques internationales, Koster (2002) soutient qu’une bière est globale lorsque le
niveau des ventes hors du territoire national représente un fort pourcentage des ventes
totales de la marque. Dans cette optique, Koster identifie uniquement six marques
globales : Heineken, Corona Extra, Amstel, Carlsberg, Guinness et Stella Artois. Bien
qu’elle soit intéressante, cette classification souffre d’un manque de clarté.385
Outre le niveau de ventes internationales sur les ventes totales, deux autres variables
doivent être prises en considération lorsque l’on considère la portée globale d’une
marque : le nombre de pays où l’on retrouve la marque ainsi que la ventilation
384
Heineken par exemple, énonce clairement sa politique de commandite: “Our sponsorship strategy
for the Heineken brand is to build brand equity through relevant associations with high-impact, highprofile sports and music events, films and the world of Hollywood.” (Heineken, RA 2004: 30).
385
Koster ne définit pas le pourcentage de vente hors du territoire national permettant de qualifier une
bière de globale. Ainsi, des six marques globales qu’il identifie en 2001, toutes sauf une, Corona Extra,
présentent un taux de vente hors du territoire national supérieur à 80%. Toutefois, Corona Extra, avec
35% des ventes hors du Mexique, constitue également une marque globale, alors que Budweiser avec
moins de 20% de ventes hors territoire national, n’est pas considérée comme telle. Par ailleurs, en
consultant les chiffres de 1999 (tableau 7.5), on remarque une nette tendance à la hausse des ventes
hors territoire national pour l’ensemble des marques. Le critère du pourcentage de vente hors territoire
national doit tenir compte de la grande taille du marché national de plusieurs BMN. À cette fin, nous
proposons un taux de 20%, puisque ce pourcentage tient compte des brasseries qui, tout en ayant un
niveau d’exportation nominale important, ne détiennent pas un rapport aussi fort que des marques
ayant un taux plus élevé. En outre, ce taux permet de d’éliminer le déséquilibre résultant d’une marque
ayant un haut volume de vente, mais provenant d’un marché d’origine où la consommation totale est
nettement moins élevée qu’un marché plus important.
286
géographique des ventes.386 La présence dans un nombre important de pays, au moins
une centaine, répartis sur tous les continents, témoigne d’une stratégie globale et non
seulement régionale ou multinationale. En combinant les deux variables, on obtient un
nombre de marques globales plus important que Koster, soit sept (tableau 7.5).387-388
Tableau 7.4
Principales marques internationales de bière par volume,
1990-2003 (en millions d’hl)
Marque
Compagnie
Bud Light
AnheuserBusch,Inc
AnheuserBusch,Inc
Inbev
Grupo Modelo
Heineken NV
Coors Brewing
Co.
Asahi Breweries
Ltd
SABMiller
Inbev
Budweiser
Skol
Corona Extra
Heineken
Coors Light
Asahi Super
Dry
Miller Lite
Brahma
Chopp
Polar
Pays
d’origine
États-Unis
1990
1995
2000
2003
14,0
21,7
37,7
44,7
États-Unis
59,3
49,3
46,2
43,5
Brésil
Mexique
Pays-Bas
États-Unis
6,0
10,6
15,5
14,4
11,8
15,5
17,1
16,7
28,9
24,1
21,6
19,6
31,9
27,0
22,1
19,5
Japon
14,3
15,5
24,6
18,8
États-Unis
Brésil
23,4
18,4
18,7
24,3
18,9
19,6
18,6
16,3
Cervecería Polar
Venezuela
10,2
14,4
15,0
CA
Source: Impact Databank, The Global Drinks Market. Impact Databank Review
and Forecast, 2004 Edition, New York: M. Shanken Communications, 2005.
14,4
Les tableaux 7.4 et 7.5, pris ensembles, nous permettent d’émettre une hypothèse
quant au développement des marques globales. Cette tendance résulterait de la
nécessité
pour
les
brasseries
de
pays
à
faible
population
d’accroître
l’internationalisation de leur produit. Seule une telle stratégie permet de poursuivre la
croissance de la marque, et par extension, de la firme. En procédant ainsi, les
brasseries diminuent leur dépendance vis-à-vis du marché national. Inversement, les
386
Avant les années 1990, l’existence de marques globales s’expliquait principalement par la petitesse
du marché national de certaines brasseries. Pour les BMN provenant de pays à faible population, la
croissance passait donc par l’internationalisation de certaines de leurs marques.
387
Heineken, Amstel, Corona Extra, Carlsberg, Guinness, Foster’s et Stella Artois.
388
Le cas de Budweiser constitue une exception dans cette liste. Depuis le début des années 1990, on
assiste à une diminution constante des ventes de Budweiser sur le marché américain. Il devient donc
important pour Anheuseur-Busch d’assurer de nouveaux marchés pour son produit. À partir de 1994,
Anheuseur-Busch augmente donc la promotion de la Budweiser afin de la positionner
internationalement. Due à la forte chute dans la consommation aux États-Unis, cette bière s’apparente
aujourd'hui à une marque globale, bien qu’elle ne remplisse pas notre critère de distribution
internationale.
287
brasseries profitant d’un vaste marché national ne développeraient pas de marques
globales dans la mesure où le marché national comblerait, dans l’ensemble, l’offre de
leurs produits.
En consultant la liste des principales marques de bières au monde (tableau 7.3), on
remarque que seules trois d’entre elles, Budweiser, Corona Extra et Heineken se
retrouvent également parmi les plus importantes marques de bières vendues hors du
territoire national (tableau 7.4). De ces trois marques, Heineken est de loin la plus
internationale avec un volume de ventes hors territoire national de 79,4% en 1999 et
de 83% en 2001. D’autre part, des huit marques les plus vendues internationalement,
seules deux, Corona Extra et Budweiser, ne proviennent pas de pays à faible
population. En outre, l’influence des ventes internationales augmente pour l’ensemble
des marques, celles provenant des petits marchés surpassant toutes les 80% de ventes
à l’étranger en 2001.389 En revanche, des dix premières marques mondiales, deux
seules, Heineken et Polar, n’originent pas d’un pays à forte population.
Tableau 7.5
Marque
Volume de vente des marques hors du territoire
national 1999 et 2001 (en millions d’hl)
Compagnie
Heineken
Heineken
Pays
d’origine
Pays-Bas
Corona
Extra
Amstel
Carlsberg
Budweiser
Guinness
Foster’s
Stella Artois
Modelo
Mexique
Ventes
1999
16,2
(79,4)
6,6 (29,3)
Pays-Bas
Danemark
États-Unis
Irlande
Australie
Belgique
5,8 (73,4)
7,9 (79)
7,5 (16)
7,4 (77,9)
6,9 (78,4)
ND
Amstel
Carlsberg
Anheuseur-Busch
Guinness (Diageo)
Foster’s
Interbrew
Ventes
2001
18,6 (83,0)
8,9 (82,4)
8,8 (83,0)
8,4 (18,6)
8,2 (81,2)
7,5 (87,2)
6,8 (84,0)
8,9 (34,9)
Entre parenthèse, le pourcentage des ventes réalisé hors du marché national
Sources : Impact Databank, The Global Drinks Market. Impact Databank Review
and Forecast, 2001 Edition, New York: M. Shanken Communications, 2002; Peter
Koster, Beer: it’s all about brands, Amsterdam: FBS Bankiers, 2002.
389
Le cas de Budweiser est particulier en ce sens qu’il s’agit de la seule marque de la liste qui
connaisse une baisse de la production. Cela contribue en partie à la hausse de la part des ventes
internationales sur les ventes totales.
288
Par ailleurs, l’émergence des marques globales pose un problème de propriété de la
marque. Étant donné que les brasseries sont de plus en plus présentes sur l’ensemble
des marchés, la possibilité que deux bières portant le même nom soient présentes sur
les mêmes marchés augmente. Cela est particulièrement vrai pour deux des marques
les plus importantes au monde : Budweiser d’Anheuseur-Busch et Corona Extra de
Modelo.
La croissance des marques globales est telle qu'elle a obligé des BMN à revoir leurs
stratégies internationales. Cela est particulièrement le cas d'Interbrew. Avant le
lancement de la Stella Artois comme marque globale de la firme en 1998, Interbrew
ne possédait pas une telle marque, la firme adoptant plutôt une stratégie reposant sur
les marques canadiennes, mexicaines et les bières de spécialité belges (Interbrew, RA
2001: 28). Afin d’asseoir sa stratégie de Brasseur local du monde,390 l’entreprise a
donc dû choisir une de ses marques afin d’uniformiser sa présence internationale.391
Alors que des brasseries telles que Carlsberg, Heineken, Foster's ou Guinness
(Diageo) n'ont pas eu à s'adapter à cette nouvelle configuration, les autres BMN se
trouvent dans l’obligation de développer une marque phare. L’avènement des marques
globales désavantage SABMiller. La firme ne possède pas une marque se démarquant
de son portefeuille de marques, celle se rapprochant le plus de ce statut étant Pilsner
Urquell. S&N se trouve dans une position similaire étant donné qu’elle non plus ne
possède pas une marque globale. Ce sont donc surtout les firmes qui avaient au
préalable mis l'accent sur une marque phare à l'échelle internationale qui se trouvent
avantagées par la nouvelle configuration de l'industrie.
390
Traduction du slogan anglais The World local Brewer. Après l’acquisition de Labatt en 1995, le
président d’Interbrew soulignait que l’entreprise devait avant tout promouvoir les marques locales,
puisque cela constituait l’une de ses plus grande forces, alors que la promotion d’une marque globale
favoriserait ses concurrentes (The European, 21/09/1995).
391
Suite à l’acquisition de la brasserie allemande Brauerei Beck GmbH & Co. en 2001 et de la fusion
Interbrew-Ambev en 2004, la nouvelle entreprise, Inbev, a amplifié la stratégie de marques globales.
En plus de Stella Artois, deux autres marques, Beck’s et Brahma, deviennent des marques globales.
Cette dernière a été préférée à la Skol, première marque de bière brésilienne en volume de ventes, car
elle jouissait d’une plus grande reconnaissance internationale, notamment en Amérique latine.
289
7.2
Stratégie concurrentielle de Grupo Modelo
Alors que l’industrie brassicole internationale se caractérise par une concurrence
globale, Modelo demeure une firme résolument régionale.392 Bien que la firme ait
développé des opérations internationales au cours des années 1990, la totalité de la
production et environ 90% des ventes internationales ont lieu sur le marché nordaméricain.393
7.2.1
Les déterminants de la pénétration d’un nouveau marché
La préoccupation centrale de Modelo, au-delà de toute autre considération
commerciale, légale ou économique est la protection et le succès de la marque Corona
Extra. S’il est vrai que l’entreprise exporte cinq marques distinctes, Corona Extra
représente plus de 95% de ses exportations. Ainsi, l’ensemble de la stratégie
concurrentielle de la firme est établi afin d’assurer la meilleure pénétration possible de
cette marque. Le second aspect d’importance de la stratégie concurrentielle de
Modelo concerne l’exportation. Contrairement à la totalité des BMN, la firme ne
possède pas de brasserie à l’étranger ni n’accorde de licence de production aux
brasseries étrangères. La totalité des bières de la firme étant produite au Mexique, la
pénétration des marchés internationaux se réalise par l’exportation. Il est donc
important que les législations concernant l’importation des bières soient les plus
ouvertes possibles, que les barrières tarifaires et non tarifaires permettent une entrée
sans heurts sur les marchés nationaux.394
Dans sa décision de pénétrer ou non un nouveau marché, l’entreprise se base sur trois
facteurs principaux : la consommation totale de bière du pays en question, la part de
marché des bières importées et l’existence ou la présence d’un marché de produits
392
Selon les définitions traditionnelles de la firme multinationale, les brasseries mexicaines ne peuvent
être considérées comme des FMN étant donné qu’elles ne possèdent pas d’unités productives à
l’étranger. Toutefois, Rugman et Verbeke fournissent une définition qui permettrait de considérer les
brasseries comme des FMN. Selon ces auteurs (Rugman et Verbeke, 2004), une firme est
multinationale si elle produit et/ou distribue des produits et/ou services au-delà de ses frontières
nationales. Si l’on accepte cette définition, on reconnaîtra alors le caractère multinational des brasseries
mexicaines. Pour notre part, nous nous limiterons à souligner que Grupo Modelo et CCM adoptent des
stratégies s’apparentant à celles des BMN.
393
Si l'on combine les ventes internationales et les ventes domestiques de la firme, c'est plus de 95% du
total qui est absorbé par l'Amérique du Nord.
394
C’est également cette politique de production strictement nationale et d’exportation à partir de sa
base mexicaine qui a conduit Modelo à construire l’usine de Zacatecas au milieu des années 1990.
290
alimentaires mexicains (Herrero, Massaro et Deshpandé, 2001: 7). Le premier pas
sera donc la réalisation d’une étude de marché, ce qui permettra de déterminer si la
firme doit poursuivre ou non cette stratégie. Une fois la décision prise, l’entreprise
doit aussi sélectionner un importateur, un distributeur, collaborer à l’élaboration de la
stratégie de marketing, de ventes et plus généralement participer à toutes les étapes
jusqu’à la consommation finale (Diez Morodo, 22/01/2003).395
Modelo pratique une stratégie que l’on peut qualifier d’extensive dans la mesure où
l’entreprise tente de pénétrer puis d’occuper une position de tête sur tous les marchés
(elle est présente dans plus de 150 pays). Même si la compagnie est présente sur tous
les continents grâce à la marque Corona Extra, son principal marché d’exportation
demeure l’Amérique du Nord (90,7% des exportations en 2000). Depuis 1992,
Modelo a plus que septuplé ses exportations, celles-ci passant de 1,63 million
d’hectolitres a 12,23 millions d’hectolitres en 2004 (Modelo, RA 2000 et 2005).
Lorsque Modelo entreprend son internationalisation, elle adopte une approche
totalement contraire aux stratégies habituellement en vigueur dans l'industrie. En
effet, il était commun pour les brasseries multinationales, à la fin des années 1970 et
durant les années 1980, de dépenser de fortes sommes en publicité lorsqu'elles
pénétraient un nouveau marché. On soutenait que seule une campagne de marketing à
grande échelle permettrait de faire connaître une marque avant son lancement, ce qui
faciliterait les ventes par la suite. Modelo prend le contre-pied en adoptant l’approche
de la “bouteille ouverte”. Il s'agit alors d'introduire les bières à travers des canaux de
distribution alternatifs : les bars, les discothèques et les événements spéciaux
(Expansión, 21/07/1999).
Alors que la stratégie internationale de pénétration de marché de Modelo est
extensive, elle apparaît plutôt graduelle au niveau des marchés internationaux. La
395
Deux autres éléments, plus généraux, influencent également la décision de pénétrer un nouveau
marché : la force de l’économie mexicaine et la situation économique internationale (Latin CEO,
01/01/2000). Lorsque l’économie mexicaine connaît de fortes périodes de croissance, la nécessité
d’exporter vers de nouveaux marchés est moins grande puisque les ventes nationales et aux États-Unis
permettent à l’entreprise d’engranger des profits satisfaisants. De même, une économie internationale
en croissance constitue une incitation vers l’exportation et l’ouverture de nouveaux marchés, car cela
indiquerait une meilleure capacité de consommation d’une bière dispendieuse.
291
firme vise tout d’abord les grandes villes avant d’étendre la couverture à l’ensemble
du territoire par la suite. En général, lorsque Modelo pénètre un nouveau marché, elle
évite les entrées fortement publicisées. L’introduction des bières de la compagnie
s’effectue généralement en deux phases : dans un premier temps, les représentants de
la firme ciblent les points de consommation sur place (on premise), c'est-à-dire les
bars, restaurants et hôtels. Dans un second temps, alors que Corona jouit d’une
reconnaissance de marque élevée, la distribution des bières s’élargit aux points de
consommation à emporter (off premise), notamment les supermarchés et magasins au
détail (BW, 01/04/1993; Latin Trade, 01/10/1999).
Au fil des ans, l’établissement de filiales à l’étranger aura également facilité la
pénétration de nouveaux marchés par Modelo. Celles-ci, chargées de la coordination
des activités internationales de la firme, permettront à la firme d’accroître sa présence
en appuyant les distributeurs locaux tout en servant de courroie de transmission de la
stratégie de marque et de prix de la brasserie.
7.2.2
Stratégie de marques et de niche
En terme de stratégie de marque, bien que Modelo exporte cinq marques, l’entreprise
est presque exclusivement reconnue pour sa marque phare, Corona Extra. Celle-ci
possède d’ailleurs les caractéristiques d’une marque globale (LT, octobre 1998).
Au début des exportations vers les États-Unis, Modelo commet une erreur de
marketing en modifiant la présentation de la Corona. La firme, suivant en cela les
tendances d’alors, avait décidé d’adopter les bouteilles dites “stubby”.396 Cependant,
les dirigeants de la firme constatent que ce changement ne fonctionnait pas, car les
consommateurs américains ne reconnaissaient plus le produit auquel ils étaient
habitués lors de leurs séjours au Mexique (Expansión, 21/07/1999 ; BI, 01/02/2001).
La stratégie de marque de Modelo prend trois formes distinctes selon les marchés : la
stratégie multimarques, la stratégie limitée et la stratégie Corona Extra. Dans le
premier cas, qui s’applique aux États-Unis, la firme exporte plusieurs marques afin de
396
Les bouteilles stubby sont des bouteilles à forme ronde et de couleur ambrée, alors que la
présentation traditionnelle de la Corona était dans une bouteille à cou longue et transparente.
292
combler les différents segments de ce marché.397 Compte tenu de l’importance du
marché américain pour Modelo (cf. chapitre 6), les stratégies qu’emploie la firme ont
une incidence directe tant sur la production que sur les résultats financiers.
Dans le second cas, Modelo exporte Corona Extra ainsi qu’une ou deux marques,
celles-ci appuyant l’offre de Corona Extra. Dans le dernier cas, seule Corona Extra
est exportée. Il s’agit pour l’entreprise d’assurer sa présence dans ces marchés sans y
consacrer trop de ressources, ce qui aurait pour effet de nuire aux marchés plus
importants.
Si les exportations de Modelo sont destinées à l’ensemble des consommateurs de
bières, il n’en fut pas toujours ainsi. Durant la première phase d’internationalisation,
c'est-à-dire l’exportation à destination des États-Unis, la firme avait adopté une
stratégie de niche. L’objectif de la firme est alors d’attirer les Mexicains d’origine de
même que les vacanciers ayant voyagé au Mexique et ses états frontaliers. Mais assez
rapidement, Modelo élargit cette stratégie puisque la couverture du territoire
américain s’accomplit à une vitesse vertigineuse. Ainsi, dès 1986, Corona Extra passe
au deuxième rang des bières importées aux États-Unis, ce qui témoigne de la justesse
de l’approche de la firme. Aux États-Unis, à partir du début des années 1990, la
stratégie de niche de Modelo est remplacée par une stratégie de segmentation, alors
que la firme diversifie son offre de produits.398 Le succès de Corona Extra est tel que
l’on pourrait émettre l’hypothèse que la marque a transcendé la catégorie des bières
importées et se situerait dans un segment entre bière domestique et bière importée.
397
Cinq des dix marques de Modelo sont exportées aux États-Unis : Corona Extra, Negra Modelo,
Pacifico, Modelo Especial et Modelo Light. Cette dernière a d’ailleurs été développée spécifiquement
pour le marché américain et n’était pas distribuée sur le marché mexicain jusqu’à très récemment. Le
positionnement des marques s’établit comme suit : Corona Extra pour l’ensemble de la population,
Modelo Light pour le segment des bières légères, Modelo Especial visant le groupe des personnes
d’origine latino-américaine, Pacífico dans l’ouest du pays et la Negra Modelo vers les consommateurs
de bières plus fortes. En juin 2000, la firme lance la Corona Extra en canette afin d’accroître ses points
de distribution tels que les stades, hôtels, plages, etc., des endroits où les bouteilles en vitre n’ont pas
accès.
398
Modelo Especial, Corona Extra Light, Modelo Light, Pacifico et Negra Modelo visent chacune un
segment bien spécifique du marché. Cela s’applique particulièrement à Corona Extra Light, disponible
uniquement aux États-Unis. Cette version de Corona Extra a été développée par Modelo afin de
profiter de la croissance du segment des bières lights à partir de la seconde moitié des années 1980
(BW, 01/04/1993).
293
Au niveau du marketing et de la promotion de l’image des marques, Modelo a
reproduit la double approche qu’elle avait adoptée au début des années 1980 en
matière de pénétration : un message destiné aux Mexicains et hispanophones et une
campagne plus générale. Mais contrairement à la stratégie de pénétration, ce double
message est demeuré constant tout au long de la croissance des marques de la
compagnie en sol américain. En ce qui concerne les hispanophones, le message de
Modelo est demeuré le même depuis son entrée sur le marché américain, à savoir sa
mexicanité399 et sa familiarité, i.e. un produit connu et apprécié par les Mexicains
depuis des générations. Par contre, on observe une évolution du message concernant
les autres groupes de consommateurs : durant les années 1980, Modelo se positionna,
surtout à travers la Corona Extra, vers les jeunes et les professionnels, afin de profiter
de l’atmosphère de l’époque. Toutefois, les difficultés que rencontre la firme à partir
de la fin des années 1980 l’obligent à modifier son approche et à s’adresser au public
en général (Food & Drink Weekly, 23/02/1998).400
Le caractère global de la stratégie de Modelo ne se retrouve pas uniquement dans le
choix de pénétrer l’ensemble des marchés internationaux, mais également dans
l’uniformité du marketing international de la firme. Cela se traduit principalement par
la permanence et l’unicité du message que cherche à véhiculer l’entreprise. Que ce
soit aux États-Unis, au Canada, en Europe ou en Asie, les campagnes publicitaires de
Modelo tournent autour des mêmes thèmes : la chaleur, le plaisir et le Mexique. Si la
brasserie appuie l’ensemble de ses marques, Corona Extra accapare tout de même la
part du lion des budgets publicitaires et promotionnels.
Tout comme sa principale concurrente internationale sur le marché américain,
Heineken, Corona Extra est devenue, durant les années 1990, une marque globale.
Comme l’indique le tableau 7.5, Corona Extra occupe la seconde place des marques
399
Mexicanité qui renvoie à l’origine de la production de la bière, celle-ci étant produite uniquement au
Mexique.
400
Durant les années 1980, la popularité de Corona s’est principalement cantonnée à deux groupes de
consommateurs aux États-Unis : les yuppies (Young Urban Professionals) et les Mexicains d’origine.
Si ces derniers représentaient un groupe de consommateurs stables, les yuppies apparurent comme un
groupe beaucoup moins stable, passant de tendances en tendances. Éventuellement, ils délaissèrent
quelque peu la Corona, ce qui explique en partie la chute de la marque aux États-Unis à partir de 1988.
C’est l’une des raisons ayant poussé Modelo à repositionner la marque à partir de 1991-1992 (BW,
01/02/1996).
294
de bières exportées avec 8,9 millions d’hectolitres en 2001, derrière Heineken et à
égalité avec Amstel. Compte tenu des variables retenues dans la classification des
marques globales, une présence géographique importante de même que des
exportations supérieures à 20% de la production totale, Corona peut être considérée
comme une marque globale. Elle est disponible dans plus de 150 pays et plus de 20%
de la production annuelle est exportée.401
7.2.3
Stratégie de prix
L’une des questions les plus délicates dans le processus de globalisation des firmes a
trait à la détermination du prix de vente des biens et/ou services à l’échelle
internationale. La firme doit-elle établir des prix différenciés, selon les
caractéristiques particulières de chaque marché, laissant du même coup la décision
aux mains des filiales locales (Segal-Horn, 2002) ou doit-elle plutôt adopter une
politique générale de prix, laissant peu de marge de manœuvre aux décideurs locaux ?
Modelo, grâce à l’existence de ses bureaux régionaux, a choisi une solution
mitoyenne. Ces filiales, relayant les décisions de la maison-mère, proposent les prix
de vente souhaités par Modelo. Les importateurs et distributeurs, prenant en compte
les caractéristiques de chaque marché, adaptent ces propositions aux conditions du
marché et aux promotions existantes.
La stratégie de prix de Modelo est intimement liée à la stratégie de marque. Il existe
en effet une grande différence entre l’approche qu’adopte l’entreprise au Mexique et
sur les marchés internationaux quant au positionnement de sa marque phare, Corona
Extra. Alors qu’au Mexique, celle-ci constitue la locomotive de la firme et qu’elle
s’adresse à l’ensemble des consommateurs, sur les marchés internationaux, la marque
est présentée comme une bière premium, ce qui permet à la brasserie mexicaine de la
vendre dans une fourchette de prix supérieure. En outre, en tant que bières importées,
401
Si Corona Extra s'est développée en tant que marque globale, Modelo a dû faire face, en deux
occasions, au problème que représentait l'existence au préalable d’une bière de marque Corona. Cette
barrière s'est présentée en deux occasions, l'une aux États-Unis, l'autre en Espagne. Lorsque Modelo
décida d'exporter cette bière aux États-Unis, une brasserie portoricaine possédait déjà les droits de la
marque Corona aux États-Unis. Modelo acheta les droits pour quatre états en 1979 (l’Arizona, la
Californie, le Nouveau Mexique et le Texas). En 1985, alors que ladite brasserie portoricaine était en
faillite, Modelo obtint les droits pour l’usage de la marque à travers les États-Unis. (Herrero, Massaro
et Deshpandé, 2001). Dans le cas de l’Espagne, Modelo n’a pu acquérir les droits sur le nom de
Corona, ce qui la força à renommer la bière Coronita.
295
Corona Extra et les autres marques de Modelo se vendent “naturellement” plus cher
que les marques locales.
La politique générale de Modelo sur les marchés internationaux est de positionner ses
marques à un prix plus élevé que les marques nationales, mais moins élevé que les
autres bières importées (Diez Morodo, 22 /01/2003). Cette stratégie permet à
l’entreprise de rejoindre un plus grand nombre de consommateurs. L’une des rares
exceptions à cette politique est le Japon, où l’entreprise a positionné ses bières au haut
de l’échelle des prix (Expansión, 12/10/1994).402
Un second facteur explique et justifie le choix de l’entreprise de vendre ses bières à un
prix nettement plus élevé que sur le marché national. Alors que le marché brassicole
mexicain se caractérise par la prévalence des bouteilles retournables, Modelo ne peut
récupérer les bouteilles vendues à l’étranger, ce qui implique un coût de production
plus élevé.
Si la stratégie concurrentielle de Modelo est vaste et complexe, compte tenu de
l’importance des exportations pour la firme, la stratégie concurrentielle de CCM, bien
que renfermant plusieurs similitudes à celle de Modelo, apparaît moins élaborée.
7.3
Stratégie concurrentielle de Cervecería Cuauhtémoc-Moctezuma
Jusqu’au début des années 1990, la stratégie concurrentielle internationale de CCM se
limitait principalement aux États-Unis, bien que la firme avait établi une présence
physique en Europe (Grande-Bretagne). Par la suite, l’internationalisation de la firme
la conduisit à adopter une approche différente de celle qui avait prévalu jusque là aux
États-Unis.
402
L’expression la plus achevée de cette politique fut lors du doublement de la taxe d’accise sur la
bière aux États-Unis en 1991, celle-ci passant de 0,65$ à 1,30$ par caisse. De concert avec Modelo, les
deux importateurs de la firme, Barton et Gambrinus, ne suivirent pas la tendance générale de répercuter
l’ensemble de l’augmentation sur le prix de vente. Gambrinus absorba complètement cette hausse
pendant deux ans, alors Barton haussa légèrement ses prix, particulièrement en Californie (BI,
01/02/2001).
296
7.3.1
Les déterminants de la pénétration d’un nouveau marché
La stratégie de pénétration de marché de CCM ne diffère pas énormément de Modelo.
Là aussi, l’entreprise privilégie une entrée en deux temps, débutant par les points de
vente on premise et développant les réseaux de distribution et la disponibilité de ses
produits dans les points de vente off premise par la suite. Compte tenu de la longue
présence de Cuauhtémoc aux États-Unis, la fusion entre cette dernière et Moctezuma
ne provoqua pas de changement majeur dans la stratégie de pénétration des marchés
internationaux dans un premier temps. La nouvelle firme, aux prises avec un
processus de consolidation interne, ne pouvait accorder beaucoup d’attention aux
marchés étrangers, se limitant principalement à conforter sa présence aux États-Unis
(Salinas Arrambide, 13/05/2002; Astaburuaga Senjines, 23/06/2004).
Tout comme sa concurrente Modelo, CCM accorde une importance fondamentale à la
situation économique d’un marché potentiel, les goûts des consommateurs, la
présence d’un distributeur national et une législation favorable à l’importation et à la
distribution de la bière (BW 01/04/1993; Herrero, Massaro et Deshpandé, 2001;
Salinas Arrambide, 14/05/2002).
Les habitudes de consommation interviennent à deux niveaux. Tout d’abord, elles
indiquent le potentiel et l’intérêt que portent les consommateurs à la bière, tant pour
les marques locales que pour les bières importées : un marché caractérisé par un
segment des bières importées en régression ou absent n’attirera pas une brasserie
étrangère. De même, un pays où la consommation est faible et ne montre pas de
tendance à la hausse ne suscitera pas l’intérêt de la firme. Toutefois, un pays à forte
consommation per capita et dont les bières lagers constituent les principales bières
consommées représente un marché potentiel intéressant.
Lorsque les études de marché confirment la possibilité d’exporter dans un marché
spécifique, la brasserie procède ensuite à l’étude de la législation en vigueur, tant en
matière de présentation des contenants que des tarifs douaniers et des taxes et impôts
auxquelles sont soumises les bières. Elle identifie également un partenaire national
capable d’assurer l’importation et la distribution de ses produits.
297
Durant la seconde moitié des années 1980, Cuauhtémoc, puis CCM suite à la fusion,
se sont principalement appuyées sur leurs propres effectifs afin de pénétrer de
nouveaux marchés et de gérer les opérations américaines. À cette fin, l’entreprise
ouvrit un bureau à Londres afin de gérer les activités européennes et délégua des
représentants mexicains auprès des distributeurs américains afin de maintenir un
contact direct avec le marché desservi (Domínguez, 03/05/2002 ; Salinas Arrambide,
14/05/2002). Les années 1990 et 2000 voient une transformation de la politique de
CCM et un retour à la stratégie décrite précédemment. L’accord avec Labatt
permettait alors à l’entreprise de déléguer la gestion des activités américaines à Labatt
USA, une filiale des deux entreprises. Dans la foulée du repli sur les marchés-clés,
l’entreprise ferma son bureau anglais et s’appuya davantage sur les importateurs et
distributeurs locaux.
Tout comme pour Modelo, la pénétration d’un nouveau marché par CCM s’effectue
en deux temps. L’entreprise débute par les points de consommation sur place avant de
développer la distribution aux points de vente pour emporter, notamment les
supermarchés et grands magasins au détail. Toutefois, les bières de CCM ne profitent
pas d’une aussi vaste distribution que leurs concurrentes de Modelo.403 Bien que la
concurrence dans le segment des bières importées implique un nombre toujours
croissant d’acteurs, les dirigeants de CCM ont longtemps identifié Modelo, à travers
Corona Extra, comme leur principal adversaire.
À partir de 1997, l’emphase mise sur la pénétration de nouveaux marchés cède le pas
à une stratégie de repli. L’entreprise ne cherche plus à accroître son
internationalisation, mais à consolider sa présence aux États-Unis ainsi que sur ses
marchés-clés (cf. chapitre 6). La pénétration de nouveaux marchés cesse d’être un
élément important dans la stratégie de croissance de CCM.
403
La principale cause de cette situation serait les niveaux d’exportation des deux firmes, Modelo ayant
un réseau international plus étendu que CCM. Ses bières seraient donc plus facilement disponibles.
298
7.3.2
Stratégie de marques et de niche
Contrairement à Modelo pour qui Corona Extra représente la quasi-totalité des ventes
internationales, la stratégie de marques de CCM a beaucoup évolué depuis la fin des
années 1970. Trois éléments caractérisent les trois phases de l’évolution de cette
stratégie : l’innovation, l’adaptation et la segmentation.
Jusqu’à la fusion de 1985, les exportations de Cuauhtémoc et de Moctezuma, bien que
supérieures à Modelo, ne représentent qu’une très faible part de la production des
deux entreprises. Au début des années 1980, Cuauhtémoc, cherchant à bénéficier de la
popularité des bières Light, entreprit d’exporter la Brisa, en complément de la
principale marque d’exportation de la firme, Tecate.404
Durant les années 1980, Cuauhtémoc et Moctezuma adoptèrent une présentation de
leur bouteille qui diffère de celles normalement utilisées au Mexique. Tout comme
Modelo, la nouvelle entreprise tenta de s’adapter au marché en proposant Tecate dans
une bouteille similaire à celle en vigueur à cette époque (une bouteille brune au long
cou). Cependant, tout comme sa concurrente, cette décision s’avéra plutôt un échec et
l’entreprise décida de revenir à la présentation traditionnelle de la marque, en
bouteille, mais surtout en canette (Rodriguez Garza, 02/05/2002).
Suite à l’intégration de Cuauhtémoc et de Moctezuma, la stratégie de marques de la
nouvelle entreprise ne varia pas énormément dans un premier temps, Tecate
demeurant la principale offre internationale de la brasserie. La primauté accordée au
marché américain, de même que le public cible de la firme, les Mexicains d’origine,
justifiait ce choix. Cependant, l’internationalisation de la firme vers les marchés
européens à la fin des années 1980 a conduit à une transformation de la stratégie de
marques de CCM.
Suivant en cela la stratégie développée au Mexique, CCM accorde une importance
accrue à la Sol. Cela se traduit par une double approche : une stratégie spécifique pour
404
À l’origine, Brisa n’était destinée qu’au marché mexicain. Toutefois, suite au succès de la bière
Miller Light aux États-Unis, l’entreprise décida d’exporter une bière Light vers le nord, une première
dans l’industrie brassicole mexicaine (Lozano, 30/04/2002).
299
le marché américain et une stratégie générale pour les autres marchés internationaux.
Dans le cas des États-Unis, l’entreprise poursuit sensiblement la même stratégie de
segmentation que sur le marché national. CCM promeut quatre marques : Tecate, Sol,
XX Amber et XX Lager. La première vise les Mexicains d’origine et autres
hispanophones ; Sol est plutôt orientée vers les anglophones et couvre la totalité du
territoire américain ; quant aux deux versions de XX, elles sont aussi destinées aux
consommateurs non hispaniques du nord-est des Etats-Unis, alors que la seconde est
dirigée vers les autres consommateurs.405
En ce qui concerne les autres marchés d’exportation de CCM, la firme adopte, à la
suite du relancement de Sol en tant que marque nationale au Mexique en 1993, une
stratégie similaire. Sol devient alors la marque internationale de CCM, alors que XX
Lager et Tecate servent de marques complémentaires. Le lancement aux États-Unis,
bien que la marque était déjà disponible sur de nombreux marchés internationaux,
représente le premier pas dans la stratégie de faire de celle-ci la principale marque
exportée de l’entreprise vers ses marchés-clés (FEMSA, RA 1998). Cependant,
contrairement à Corona Extra, Sol ne peut être considérée comme une marque
globale, la présence internationale de CCM étant limitée à une soixantaine de pays.406
405
CCM a profité de son alliance avec Labatt afin de développer le marché du nord-est des États-Unis.
En fait, l’existence du réseau de distribution de Labatt constitue l’un des facteurs ayant permis à la
brasserie mexicaine de maximiser sa stratégie de marques aux États-Unis. Par ailleurs, cette
segmentation du marché américain répond à la nécessité pour CCM de concurrencer Modelo dans les
États où la consommation de Corona Extra est la plus forte, la Californie et le Texas, ce qui implique
une attention toute particulière à Sol dans ces états (FEMSA, RA 1998 ; Tribune News Service,
08/06/2000 ; Abasolo, 14/05/2002).
406
Il est à noter que la raison ayant poussé CCM à choisir Sol comme marque internationale, sa
ressemblance à Corona Extra, est également celle ayant forcé les dirigeants de la firme à réduire les
ressources allouées à l’appui de l’image de la marque. Après avoir constaté que la publicité entourant
Sol bénéficiait en fait à Corona Extra sur plusieurs marchés internationaux, l’entreprise décida de
diminuer l’ampleur de la présence de Sol sur ces marchés secondaires (Abasolo, 14/05/2002 ; BW,
01/04/1993; ).
300
Conclusion
En matière de concurrence internationale, deux constatations s’imposent. En ce qui
concerne l’organisation de l’industrie brassicole internationale, celle-ci se transforme
d’une industrie principalement nationale en une industrie globale et oligopolistique.
Les brasseries multinationales, dans la période étudiée, développent trois types de
stratégies concurrentielles : des stratégies globales, des stratégies régionales et des
stratégies nationales, l’une s’emboîtant dans l’autre. Toutefois, peu de firmes peuvent
être définies en tant que brasseries globales.
Jusqu’à la fin des années 1980, les principales BMN privilégient, dans une forte
proportion, la pénétration du marché américain comme principale stratégie
concurrentielle internationale. À partir des années 1990, elles élargissent leur optique :
la concurrence ne passe plus uniquement par l’exportation et des accords de licence
nationaux. Elle implique désormais également le contrôle direct des unités de
production à travers l’IDE, soit créatif (greenfield investment) ou des fusionsacquisitions. La stagnation des marchés matures, combinée à la croissance de la
demande dans les marchés émergents et la nécessité d’être présent sur l’ensemble des
marchés expliquent ce revirement de stratégie.
Si la concurrence a évolué, et bien que chaque BMN adopte sa propre stratégie,
certains traits “nationaux” émergent de cette consolidation internationale : les
brasseries américaines favorisent le marché interne aux marchés internationaux, et ce
jusqu’à la seconde moitié des années 1990. Les brasseries européennes optent pour
l’expansion vers l’Europe de l’Ouest puis les marchés émergents, réorganisant leurs
structures organisationnelles autour de leurs activités brassicoles. Les brasseries
japonaises diversifient leurs activités dans l’agroalimentaire. Finalement, les
brasseries latino-américaines procèdent à une vague d’acquisitions tout en se
transformant en entreprises multi-breuvages (bières, boissons gazeuses et eau
principalement).
Dans le cas des brasseries mexicaines, l’internationalisation les conduit à développer
des stratégies concurrentielles internationales. Toutefois, contrairement aux BMN, qui
301
procèdent à la fois par exportation et IDE, CCM et Grupo Modelo n’ont privilégié que
l’exportation. Les brasseries mexicaines ne constituent pas des firmes multinationales.
Toutefois, elles élaborent des stratégies de pénétration de marché, de marque et de
niche tout comme les BMN. Les deux entreprises reproduisent, à l’échelle
internationale, la stratégie concurrentielle qu’elles adoptent sur leur marché national.
Modelo s’appuie fortement sur une marque phare, Corona Extra ; les autres marques
exportées n’étant que des compléments marginaux à l’extérieur des États-Unis. CCM
choisit plutôt la segmentation, offrant des marques différentes selon les marchés.
Si Modelo et CCM ont toutes deux articulé des stratégies concurrentielles
internationales, l’importance et l’expansion internationale qu’a connues Modelo
depuis son entrée sur les marchés internationaux conduiront l’entreprise à innover en
matière de concurrence. Dans le cas de CCM, l’entreprise a modifié sa stratégie
concurrentielle internationale suite à une évaluation de ses objectifs. Bien que la
stratégie de diversification semblait porter ses fruits, elle coûtait trop cher pour les
résultats obtenus. Le marché américain, l’extension du marché national, se trouve à
proximité et constitue la plus importante source de profit international de la firme. Un
recentrage sur ce marché devenait donc inévitable.
Quelles sont les conséquences des remarques précédentes sur le réseau de valeur des
brasseries mexicaines et le modèle de la co-opétition ? D’une part, CCM et Grupo
Modelo ne sont pas concernées par les fournisseurs au même titre que les BMN.
Compte tenu du choix de se limiter à l’exportation, elles ont moins recours aux
fournisseurs sur les marchés étrangers qu’une BMN. Toutefois, leurs concurrentes et
leurs complémenteurs sont identiques à ceux des BMN. D’autre part, si le réseau de
valeur des brasseries mexicaines est moins élaboré que celui des BMN, leur
contribution à la co-opétition internationale est également moins poussée que celle des
BMN. Selon la figure 2.2 sur la co-opétition dans l’industrie brassicole internationale,
les BMN possèdent des unités productives dans plus d’un pays ; dans le cas des
brasseries mexicaines, la production se limite à un seul pays, le Mexique.
302
CHAPITRE VIII
COOPÉRATION ET RÉSEAUX : L’AUTRE VERSANT DE LA
MONTAGNE
Bien avant la globalisation de l’industrie brassicole, les brasseries ayant des
opérations internationales ont développé des réseaux facilitant la distribution de leurs
produits. Si l’existence de ces réseaux ne constitue pas un phénomène nouveau,
l’ampleur que prend cette forme de coopération inter-firmes représente un élément
novateur. Ce chapitre, dans le prolongement du précédent, analyse plus à fond les
rapports coopératifs au sein de l’industrie brassicole internationale en général et les
liens qu’ont établis les brasseries mexicaines en particulier.
Les réseaux, qu’ils soient formels ou informels, prennent plusieurs formes. Ils peuvent
être internes (une restructuration spatiale ou organisationnelle de la firme) ou
externes. Dans le cas de relations inter-firmes, plusieurs options s’offrent à
l’entreprise : la licence, l’alliance stratégique, l’accord de distribution, la joint-venture
et la franchise sont quelques-unes des possibilités envisageables. Nous serons
conduits, dans la première partie du chapitre, à analyser l’évolution des rapports
coopératifs dans l’industrie brassicole internationale à la lumière de la globalisation de
celle-ci. Alors que la concurrence se déroule aux trois niveaux, national, régional et
global, les liens que nouent les entreprises se limitent généralement à l’échelle
nationale et, en certaines occasions, au palier régional.
Les brasseries mexicaines s’internationalisent en privilégiant exclusivement
l’exportation durant les années 1980. À partir des années 1990, elles intègrent
graduellement les réseaux internationaux et élaborent des stratégies offensives et
défensives afin de s’adapter à un environnement international en mutation. Dans cette
optique, et suivant le modèle de la co-opétition, nous nous interrogerons sur les
modalités de réseautage des brasseries mexicaines : quelles sont les formes d’alliances
adoptées par Grupo Modelo et CCM ? Quelles sont les principales différences que
l’on observe dans les stratégies des deux entreprises ? Plus généralement, enfin,
303
quelles sont les implications des accords de collaboration des brasseries mexicaines
sur leur réseau de valeur et sur le modèle de la co-opétition ?
Pour CCM et Grupo Modelo, les alliances offrent de multiples avantages : la
possibilité de renforcer leur position internationale ; une plus forte capitalisation,
permettant ainsi à celles-ci de disposer de plus importantes ressources financières afin
d’assurer le développement de projets ultérieurs. Toutefois, cette stratégie présente
deux risques sérieux : une éventuelle diminution de l’autonomie dans la prise de
décision des dirigeants ainsi que la possibilité que le partenaire international tire la
plus grande part des profits de l’association (Bratu Hernández, 1996).
Bien que les brasseries mexicaines nouent des alliances avec des brasseries
internationales dès la fin des années 1980 — Grupo Modelo avec Anheuseur-Busch et
CCM avec Heineken —, la négociation de l’ALENA marque un point tournant dans
l’approche de l’industrie brassicole mexicaine par rapport aux réseaux internationaux
(Fernández Sánchez-Navarro, 2000). En effet, l’augmentation de la concurrence qui
ne manquerait pas de survenir sur le marché national, surtout de la part des brasseries
américaines, entraîna la nécessité pour les brasseries mexicaines de nouer des
alliances avec de potentiels concurrents afin de limiter l’impact de l’ouverture totale
du marché.
8.1
Les réseaux dans l’industrie brassicole internationale
Les réseaux existent au sein de l’industrie brassicole internationale depuis que les
premières brasseries ont internationalisé leurs opérations et/ou ont débuté
l’exportation. Jusqu’au milieu des années 1980, seules les entreprises ayant fait de
l’internationalisation l’élément central de leur croissance, Heineken et Carlsberg entre
autres, avaient développé une véritable stratégie basée sur leurs réseaux
internationaux. Les autres brasseries n’avaient que quelques accords de distribution ou
de licence, mais cela ne constituait pas une stratégie clairement définie. À partir de la
seconde moitié des années 1980, avec la globalisation de l’industrie, les BMN
multiplieront les collaborations inter-firmes.
304
8.1.1
Réseaux et firmes multinationales
Lorsque la firme s’internationalise, deux des décisions les plus importantes auxquelles
elle fait face ont trait à la forme que doit prendre l’organisation de ses activités ainsi
que les modalités d’adaptation vis-à-vis de marchés et de clients distincts.407 Comme
le souligne Culpan : “La firme offre des produits et/ou services à des clients situés
dans différents marchés en gérant un certain nombre d’activités de la chaîne de valeur
à travers un mode de relation ou la combinaison de plusieurs modes : les contrats
basés sur le marché, l’internalisation ou les alliances” (Culpan, 2002: 55). Étant donné
la variété d’options à leur disposition en matière de coopération et/ou de concurrence,
les firmes ont trois choix : coopérer puis se concurrencer ; coopérer et se concurrencer
simultanément ; coopérer entre elles, mais concurrencer les entreprises “étrangères”
(Culpan, 2002).
La globalisation entraîne des modifications importantes dans les stratégies et les
comportements des entreprises. Elle provoque à la fois un accroissement de la
concurrence, et paradoxalement, la nécessité pour les firmes de coopérer (Culpan,
2002). Cette coopération s’instituera par la création de réseaux internationaux. Ceuxci peuvent être internes, lorsque les FMN organisent leurs filiales afin d’accroître
l’efficacité de leur chaîne de valeur. Plus généralement, les réseaux impliquent des
partenariats inter-firmes de diverses natures assurant la production, la vente ou la
recherche (Sachwald, 1998). En somme, ils constituent un mode d’organisation et de
coordination de la firme (Borrus, Ernst et Haggard, 2000).
Pourquoi les firmes choisissent-elle de s’organiser en réseaux ? Tout d’abord, les
réseaux permettent aux entreprises de mieux se positionner sur les marchés où elles
évoluent en se recentrant sur leurs activités de base (Kobrin, 1997; Jarillo, 1988) ;
bien que les entreprises évoluent généralement dans le continuum hiérarchie-marchés,
407
La littérature adopte généralement deux typologies quant à la nature de l’internationalisation des
firmes. Une première typologie distinguera quatre types de firmes : internationale, multidomestique,
globale et transnationale (Bartlett et Ghoshal, 1989; Harzing, 2002). On consultera la note 48 de cette
étude pour une présentation des principales caractéristiques de chacune. Une seconde étudiera plutôt les
industries en différenciant les industries globales des industries multidomestiques (Porter, 1990;
Culpan, 2002). Une industrie multidomestique se caractérise par l’unicité des marchés, i.e. que les
performances de la firme sur un marché particulier n’influence pas ses résultats sur les autres marchés.
Par contre, dans une industrie globale, la position de la firme sur un marché est fortement influencée
par sa position sur d’autres marchés.
305
la mise sur pied ou la participation à un ou plusieurs réseaux témoigne de la
possibilité de fonctionner hors de ce continuum, tout en facilitant la coopération entre
les entreprises (Kobrin, 1997; Powell, 1990). Étant donné que la concurrence induit
des coûts élevés, tant en terme de R&D, de production, d’apprentissage que
d’organisation, les réseaux réduisent les coûts associés à cette concurrence (Powell,
1990; Castells, 1996; Kobrin, 1997).
Les firmes développent également des réseaux afin de s’adapter aux changements
survenant dans leur environnement (Malnight, 1996) ou dans l’optique d’acquérir des
informations préalables en vue d’une future alliance (Gulati et Gargiulo, 1999). La
flexibilité que permet cette forme d’organisation témoigne d’une évolution du
capitalisme. Les alliances que nouent les firmes constituant la pierre angulaire de la
nouvelle économie globale (Kobrin, 1997), surgit alors l’hypothèse que nous
assisterions à l’émergence d’un capitalisme d’alliance (Dunning 1997b). Ainsi, les
réseaux traduiraient une disparition graduelle de la frontière de la firme, alors que
certaines fonctions seraient accomplies par des partenaires hors du contrôle effectif de
l’entreprise (Sachwald, 2000).
Par ailleurs, l’analyse des facteurs poussant les entreprises à adopter un
fonctionnement en réseau doit être complétée par un aperçu des formes que prennent
ces réseaux. Les firmes disposent d’une multitude de possibilités à cette fin, celles-ci
allant du simple accord de coopération informel à l’alliance stratégique. Le type de
collaboration et l’étendue de celle-ci (locale, nationale ou globale) sont généralement
déterminés par les objectifs des firmes. Bien qu’ils puissent être informels (Jones,
Hesterly et Borgatti, 1997; Powell, 1990), dans l’industrie brassicole internationale,
on constate que les réseaux prennent un caractère exclusivement formel.
Quatre types d’accords prédominent : la licence internationale, l’accord de
distribution, la joint-venture et l’alliance stratégique.408 Au même titre que
408
La franchise constitue un autre type de relation en réseaux. Elle s’apparente à la licence, mais est
plus contraignante, car elle implique un certain nombre de règles et de normes qu’impose la maisonmère au franchisé et un degré d’autonomie moindre. Cette dernière caractéristique la rend moins
propice à se propager dans l’industrie brassicole internationale. En outre, les licences prédominent dans
le secteur manufacturier, alors que les franchises constituent la forme privilégiée par les firmes de
service (Hill, 2001).
306
l’exportation et les deux formes d’investissement présentées au chapitre précédent,
ces formes de coopération sont considérées comme des stratégies de pénétration de
marché. Mais contrairement à l’exportation et l’IDE, les quatre modalités analysées
ici impliquent obligatoirement une collaboration entre deux entreprises ou davantage.
* Accords de distribution
L’accord de distribution représente le premier niveau d’union inter-firmes. Une
compagnie étrangère et une firme nationale s’entendent afin que cette dernière
distribue les produits de la première sur le marché de la seconde. Les divers types
d’accords de collaboration inter-firmes impliquent généralement la distribution des
biens ou produits de l’entreprise étrangère. Cependant, lorsqu’une compagnie choisit
l’exportation comme seule forme d’internationalisation ou lorsqu’elle décide de ne
pas conclure d’entente de licence ou de joint-venture pour un marché particulier,
l’accord de distribution devient le mode de pénétration de marché approprié.
La distribution constitue l’élément-clé du succès international des BMN. Sans un
système de distribution adéquat, une brasserie se trouve en situation concurrentielle
très préjudiciable. Afin de répondre aux demandes des consommateurs à travers le
monde, les entreprises doivent pouvoir établir des systèmes de distribution globaux
(Sleuwaegen, de Voldere et Pennings, 2001). Le défi auquel fait face la firme en
matière de distribution est complexe, car bien qu’elle mette en place des stratégies
globales, régionales et/ou nationales (cf. chapitre 7), la distribution se joue
essentiellement au niveau national. Les entreprises peuvent disposer d’un réseau de
distribution international ou global, mais celui-ci doit se subdiviser en unités
nationales. Cela découle des spécificités de chaque marché tant au niveau de la
législation que des goûts des consommateurs. Un système de distribution requiert une
infrastructure physique importante. Les coûts reliés à un tel système pouvant être
élevés, un réseau de distribution national s’apparente alors à une barrière à l’entrée
(Sleuwaegen, De Voldere et Pennings, 2001).
Il existe une multitude de systèmes nationaux de distribution. Le défi des BMN est de
s’adapter à l’ensemble de ceux-ci, ce qui implique des stratégies différenciées. Aux
États-Unis, par exemple, la distribution est séparée du brassage de la bière ; en
307
Grande-Bretagne, la distribution est liée aux tied-houses ; en Espagne, ce sont les
brasseries qui se chargeaient elles-mêmes de la distribution ; en Allemagne, la
distribution est éclatée, tout comme la production. Les brasseries contrôlaient environ
30% des distributeurs représentant 42% des bières vendues. En comparaison des
principaux autres marchés, la distribution en Allemagne est extrêmement éclatée, ce
qui en fait une industrie très ouverte à la concurrence (Monopolies and Mergers
Commission, 1989).
La distribution est également importante car elle permet d’accéder aux détaillants, le
lieu de l’achat final par le consommateur. Il est donc impossible pour une brasserie ne
possédant pas un système de distribution ou n’ayant pas accès à un distributeur
d’accéder aux supermarchés ou pubs.
* Licence internationale
Un accord de licence survient lorsqu’une entreprise accorde les droits de propriété sur
un produit ou service à un tiers pendant une période limitée. En retour, la firme
obtient des revenus sous forme de redevance de la part du tiers. Ce type de relation
élimine la nécessité pour la firme d’ouvrir un nouveau marché puisque les coûts et les
risques associés à cet effort sont assumés par le tiers ; ensuite, la licence évite à
l’entreprise d’investir d’importantes sommes d’argent dans un environnement
instable ; elle constitue un moyen d’entrée sur un nouveau marché lorsqu’il existe des
barrières à l’investissement ; finalement, lorsque l’entreprise possède un actif qu’elle
ne souhaite pas développer elle-même.
Toutefois, ce mode d’opération présente d’importantes limitations : premièrement, la
compagnie qui accorde une licence à un tiers pour un nouveau marché perd le
contrôle sur la production, la distribution et la commercialisation du produit. Ensuite,
elle limite la capacité de la firme à coordonner ses activités et à développer une
stratégie internationale. Finalement, en accordant une licence internationale à un
possible concurrent, à moyen ou long terme, l’entreprise risque d’assister à l’érosion,
voire la disparition de son avantage compétitif (Hill, 2001).
308
* Joint-ventures
Lorsque deux ou plusieurs entreprises indépendantes créent une nouvelle société
qu’elles contrôlent communément, nous parlons de joint-venture, ou de co-entreprise.
La forme la plus générale de co-entreprise est celle sous le contrôle égal (50-50) de
deux firmes ; toutefois, de nombreuses autres formules existent (Sachwald 1998 ; Hill,
2001, Culpan, 2002). En matière de co-entreprise internationale, deux options sont
possibles. D’une part, une FMN peut établir un partenariat avec une firme locale sur
le marché de cette dernière (Chwo-Ming et Ming-Je, 1992). D’autre part, la coentreprise peut être créée afin de pénétrer un marché étranger aux deux entreprises.409
La co-entreprise offre plusieurs avantages à la firme : elle permet de bénéficier de la
connaissance que détient le partenaire local du marché ; elle concourt au partage et à
la répartition des coûts et des risques liés à l’entrée sur un nouveau marché ; elle aide
à contourner les restrictions lorsqu’il existe des barrières politiques à l’entrée ; elle
contribue au renforcement des compétences centrales (core competencies) de la
FMN ; elle permet de réaliser des économies d’échelle (Hill, 2001; Culpan, 2002).
Toutefois, la joint-venture présente également plusieurs désavantages : la possibilité
que la firme cède certains de ses procédés techniques, abandonnant ainsi un avantage
compétitif vis-à-vis un concurrent potentiel ; l’absence d’un contrôle total sur les
activités de la co-entreprise, limitant ainsi sa courbe d’apprentissage et les économies
locationnelles ; ce partenariat peut engendrer des conflits entre les entreprises lorsque
les objectifs d’un des participants changent (Hill, 2001).
409
Culpan établit deux distinctions entre les joint-ventures internationales de la période actuelle des
joint-ventures traditionnelles. Premièrement, les accords de co-entreprise sont de plus en plus entre
deux FMN alors qu’auparavant, ces accords se nouaient entre une FMN et un gouvernement de pays en
développement. Deuxièmement, il y a divergence des objectifs. Antérieurement, l’accès aux matières
premières constituait le but central des FMN; aujourd'hui, les firmes cherchent surtout à exploiter leurs
avantages compétitifs. Quatre phases caractérisent la création d’une co-entreprise : la phase initiale, la
phase de formation, la phase opérationnelle et la phase d’évaluation. Durant le stage initial, la firme
décide si elle désire pénétrer un nouveau marché seule ou si un partenaire s’avère nécessaire. Lors du
second stage, la firme choisit son partenaire et le type de co-entreprise qu’elle souhaite (joint-venture
majoritaire, joint-venture 50-50 ou joint-venture minoritaire). Pendant le stade opérationnel, les
partenaires évaluent et contrôlent les performance de la co-entreprise. Finalement, lors du dernier stade,
la firme décide si elle désire poursuivre le partenariat (Culpan. 2002).
309
* Alliance stratégique
L’alliance stratégique est un arrangement volontaire entre des entreprises impliquant
l’échange, le partage ou le co-développement de produits, de technologies et/ou de
services (Gulati, 1998). Selon le type d’alliance, elle inclura une composante
financière ou pas. Deux conceptions distinctes de l’alliance stratégique, l’une
englobante, l’autre spécifique, sont présentes dans la littérature. Une première voit
l’alliance comme la catégorie générale des accords de coopération (Culpan, 2002 ;
Hill, 2001; Hennart, 1991). En ce sens, elle comprend les trois stratégies précédentes,
la licence, l’accord de distribution et la joint-venture, chaque choix constituant un
élément dans la stratégie de réseau de la firme. Une seconde approche, plus
restrictive, distingue l’alliance stratégique du réseau (Michalet, 1991). Bien que les
deux stratégies reposent sur une coopération inter-firmes, leur nature apparaît
fondamentalement différente. Dans le premier cas, le réseau, celui-ci découle d’une
approche d’externalisation de la firme (impliquant une réorganisation des activités et
de la structure de l’entreprise), alors que l’alliance n’implique pas de tels
changements. Elle n’aurait pour but que la mise en commun des ressources de deux
ou plusieurs firmes.410
L’alliance s’établit avec un objectif de long terme et doit améliorer le positionnement
de chaque partenaire. Depuis les années 1980, la nature de plus en plus
transfrontalière des alliances élargit leur portée. Elles ne concernent plus seulement
des rapports intra-nationaux, mais plutôt et surtout internationaux. En outre, elles
impliquent davantage d’accords entre firmes de pays développés et de PED ;
l’emphase est mis sur la création de nouveaux produits ou de nouvelles technologies ;
dans une optique de complémentarité, les alliances ne sont plus uniquement intraindustrie, mais aussi inter-industries ; finalement, elles visent à accroître le savoir
(knowledge) des firmes (Culpan, 2002).
410
Il semble que la transformation de la nature de la firme constitue le principal critère de distinction
pour Michalet. Toutefois, dans les deux cas de coopération, il y a évolution de la firme. Si dans le cas
du réseau, ce changement est radical, il ne l’est pas moins dans le cas de l’alliance, étant donné que
l’externalisation et l’accord interentreprises conduisent aux mêmes résultats : le partage des coûts pour
les participants, une déconstruction-refondation de la chaîne de valeur. On s’éloigne ici d’Andreff
(1996) pour qui l’alliance intervient à n’importe quel moment dans la chaîne de valeur, ce qui élimine
la distinction entre réseau et alliance stratégique.
310
Plusieurs raisons poussent les entreprises à forger des alliances stratégiques.
L’approche théorique dominante des coûts de transaction explique ces alliances par la
nécessité de partager les risques financiers et les coûts de R&D ; le besoin d’acquérir
des technologies et des compétences (skills) complémentaires ; l’opportunité de
réaliser des économies d’échelle et de surmonter des barrières à l’entrée sur de
nouveaux marchés ; finalement, l’établissement de nouveaux standards techniques
lorsque plusieurs technologies émergent simultanément (Dunning, 1988: 330;
Andreff, 1996; Hill, 2001; Porter, 1990).411 Dans une perspective stratégico-sociale,
les alliances se forment également lorsque les firmes se trouvent en position de
vulnérabilité stratégique ou lorsqu’elles détiennent une position sociale dominante.412
On reconnaît toutefois plusieurs faiblesses à cette stratégie. La firme partenaire
obtient l’accès à de nouvelles technologies et à de nouveaux marchés, ce qui peut la
transformer en un concurrent important (Hill, 2001). L’alliance entraîne également
des difficultés de coordination, dans la mesure où la firme n’est plus en mesure de
développer librement une stratégie globale. En outre, elle limite les profits de la
compagnie, elle est instable et représente souvent une option transitoire pour
l’entreprise (Porter, 1990).413 Si on peut considérer l’alliance stratégique comme une
alternative au même titre que les autres présentées ici, la variété des formes qu’elle
prend conduit certains auteurs à la considérer comme une option plus générale,
englobant l’ensemble des choix disponibles aux firmes (Culpan, 2002; Hill, 2001;
411
Au-delà de ces facteurs, Dunning soutient que les deux principales raisons pour nouer des
alliances sont d’une part d’accroître la compétitivité globale des firmes qui nouent l’alliance et de
l’autre, d’ajouter une nouvelle dimension à leurs produits ou à leurs stratégies de marketing (Dunning,
1988).
412
La position de vulnérabilité stratégique apparaît lorsque la firme se trouve en situation de faiblesse
vis-à-vis ses concurrentes. L’existence de marchés émergents, un haut degré de concurrence et
l’innovation technologique obligent l’entreprise à trouver des ressources externes afin de remédier à sa
situation. Étant donné qu’elle ne peut renverser sa position seule, la coopération, donc l’alliance,
devient sa meilleure option. Dans une perspective plus relationnelle, la possibilité d’alliance stratégique
est également favorisée lorsqu’il existe un haut niveau de confiance et de rapports personnalisés entre
individus. Plus particulièrement, la position sociale des hauts gestionnaires, en tant qu’initiateurs des
stratégies de l’entreprise, favorise le rapprochement entre des firmes par ailleurs concurrentes
(Eisenhardt et Bird Schoonhoven, 1996).
413
En comparant les objectifs à long terme que cherche la firme en établissant une alliance, on constate
ici la difficulté qu’éprouvent les auteurs à circonscrire l’importance et la portée des alliances. Dans une
même perspective stratégique, Culpan voit l’alliance comme un outil fondamental dans le
développement de l’entreprise, alors que Porter la conçoit comme une étape transitoire, la firme devant
par la suite assurer sa croissance seule. On comprend mieux alors pourquoi dans le premier cas on
considère l’alliance comme une mesure de long terme, alors que le second adopte une optique de court
terme.
311
Porter, 1990). L’alliance stratégique se situerait entre le marché et l’organisation, car
elle brouille la frontière des firmes en impliquant des relations internes et externes à la
l’entreprise (Andreff, 1996).
*
**
Dans une optique de réseaux, les stratégies de coopération ne constituent pas toujours
des substituts à la production internationale ou à l’IDE. Elles représentent un
complément permettant à la firme d’accroître son internationalisation sans qu’une
présence physique ne soit requise (Andreff, 1996). Quelle option de collaboration
choisira la BMN lorsqu’elle cherchera à s’allier à un partenaire en vue de pénétrer un
nouveau marché ou d’accroître sa présence sur un marché particulier ? Le tableau 8.1
présente les différentes stratégies à la disposition des BMN.
Tableau 8.1
Accord
Les accords de coopération et leur application à l’IBI
Avantage
Désavantage
Pénétrer de
nouveaux
marchés à
faible coût
Économie
d’investissement
Évite les coûts
d’apprentissage
Distribution
Spécificité des
marchés
nationaux
Pas d’obligation
d’une infrastructure
physique
Accès aux détaillants
Perte de contrôle
Diminution de la
coordination
globale
Perte d’avantage
compétitif
Contrôle non
complet
Joint-venture
Maintien de
l’indépendance
des firmes
Alliance
stratégique
Stratégie de
court ou long
terme
Améliorer la
situation de la
firme
Connaissance du
marché local
Partage des coûts
Évite les barrières
politiques
Renforce les
compétences de base
de l’entreprise
Économies d’échelle
Economies d’échelle
Réduction de la
vulnérabilité
Partage des coûts
Acquisition de
nouvelles
technologies
Licence
Justificatif
Cession de
procédés
techniques
Contrôle non total
sur la co-entreprise
Potentialité de
concurrence de la
firme partenaire
Difficultés de
coordination
Limitation des
profits
Option transitoire
Application
dans l’industrie
brassicole
internationale
Majorité des
marchés
brassicoles
Multiplicité de
réseaux nationaux
Variable-clé de
l’internationalisatio
n des brasseries
Marché chinois
Certains autres
marchés asiatiques
Certains marchés
d’ECO
Surtout des jointventure entre des
BMN et des
brasseries locales
312
Dépendamment des objectifs de la firme et des marchés qu’elle désire pénétrer, la
firme privilégiera l’une des quatre approches. Si la firme ne désire pas investir de
fortes sommes afin de pénétrer un nouveau marché, l’accord de distribution s’avère
indiqué.
Les joint-ventures seront adoptées lorsqu’il existe un concurrent local
puissant ou lorsqu’il est possible de combiner les forces de la FMN et de la firme
locale afin de réduire les coûts ; des licences multiples se développeront s’il existe un
nombre important de firmes locales (Chwo-Ming et Ming-Je, 1992).
8.1.2
Les accords interfirmes dans l’industrie brassicole internationale
Bien que les réseaux soient presqu’exclusivement formels dans l’industrie brassicole,
ils demeurent en constante recomposition, suite aux diverses transactions des BMN.
Lorsqu’une brasserie procède à une acquisition, cela entraîne parfois la fin des
accords précédents de distribution ou de licence liant une BMN à une firme locale.
Depuis les années 1990, cette recomposition s’accélère. L’expansion des FMN sur les
marchés mondiaux ne s’effectue pas uniquement par l’exportation et l’IDE, mais
comporte également une multitude d’accords de collaboration.414
Le tableau 8.2 fournit une présentation sommaire des principaux accords de
coopération au sein de l’industrie depuis les années 1980.415 Ce qu’il faut remarquer
avec ce tableau, en combinaison avec le tableau 7.1, ce sont les relations croisées
entre les brasseries à l’échelle internationale. Les acquisitions ou les accords de
coopération conduisent généralement à ce que des marques concurrentes à l’échelle
internationale soient comprises au sein de l’offre d’une compagnie sur un marché
national.
414
Il est certain que la stratégie d’exportation implique nécessairement un accord de distribution.
Lorsqu’elle exporte, la BMN signera un tel accord avec une brasserie nationale ou un distributeur
indépendant. Dans le cadre de cette étude, nous ne considérons pas la relation BMN-distributeur
indépendant dans l’optique du réseau. Seules les relations entre des brasseries, qu’elles soient des BMN
ou nationales participent au développement du réseau de la brasserie, dans la mesure où ces relations
peuvent s’approfondir dans le temps, ce qui n’est pas le cas avec un distributeur ne produisant pas de
bière.
415
Nous renvoyons le lecteur aux annexes pour une présentation plus exhaustive de ce tableau.
313
Tableau 8.2 Accords de coopération des principales BMN
BMN
Année
Interbrew
1995
1997
1998
1999
2001
2002
Ambev
2003
1995
2001
SABMille
r
1994
2000
2001
2003
Heineken
1983
1984
1988
1994
1998
Partenaire
Sleeman
Lion Nathan
Gouvernement
cubain (Cervecería
Bucanero)
Doosan (Oriental
Brewery)
Sun Brewing
(Sun-Interbrew)
EFES
EFES
Lion Nathan (KK
Breweries)
CabCorp
Miller (Miller
Brewing do
Brasil Ltda,)
Dado Bier
(compagnie
brésilienne)
China Resources
Breweries (China
Resources
Enterprise)
Narang Industries
Ltd.
Castel Group
Shaw Wallace
Breweries
(Shaw Wallace
and Company)
Coca-Cola
(Kaiser)
Kirin
Quilmes
Asia Pacific
Breweries
Hainan Brewery
Co. Ltd.
SABMiller
Type d’accord
Licence
Licence
Joint-venture (5050)
Pays couvert
(s)
Canada
Australie
Cuba
Région
visée
Amériques
Océanie
Caraïbes
Corée du Sud
Asie
ECO
Joint-venture (5050)
Alliance
stratégique1
Joint-venture (5050)
Licence
Joint-venture
RussieUkraine
Roumanie
ECO
Turquie
Chine
ECO
Asie
Joint-venture
Guatemala
Joint-venture (5050)
Brésil
Amérique
centrale
Amériques
du Sud
Distribution
Brésil
Amérique
du Sud
Joint-venture
Chine
Asie
Joint-venture (6040)
ASM
AS
Inde
Asie
Inde
Afrique
Asie
Joint-venture
Brésil
Licence
Joint-venture (1585)
Joint-venture
Japon
ArgentineCaraïbes
Chine
Asie
Joint-venture
Chine
Asie
Joint-venture
Afrique du
Sud
Allemagne
Chili
Afrique
2001
Schörghuber
(BrauHolding)
Joint-venture
2002
Hansa Borg
Licence
Norvège
Amérique
du Sud
Asie
Amériques
EuropeAmérique
latine
Europe
314
Bryggerier
Diageo et
Namibia
Breweries
(Brandhouse)
FEMSA
Joint-venture
Afrique du
Sud
Afrique
Distribution
États-Unis
Amérique
du Nord
1988
Labatt2
Licence
Canada
1991
Hartwall (Baltic
Beverages
Holdings)
Allied Lyons
(Carlsberg-Tetley
Brewing Ltd.)
Ambev
Joint-venture (5050 )
Russie
Amérique
du Nord
ECO
Joint-venture
GrandeBretagne
Europe
Licence
Brésil et
Amérique du
Sud
Thailande
Amérique
du Sud
2004
Carlsberg
1993
1996
2000
AnheuserBusch
1980
1984
Thai Chang2
Beverage
Company
(Carlsberg Asia
Pte
Ltd.)
Labatt
1989
Watney, Mann &
Truman
Suntory Ltd.
United Breweries
Ltd. (Carlsberg)
Guinness
Birra Peroni
Industriale
Kronenbourg
Oriental Brewing
Co. Ltd.
Modelo
1995
Damm
1996
Compañía
Antartica Paulista
Scottish Courage
(Stag Brewery)
Compania
Cervecerias
Unidas (Chili)
CCU Argentine
Kirin
1985
1986
1987
Joint-venture (5050)
Licence/distributio
n
Licence
Canada
Asie
Amérique
du Nord
Europe
Licence
Distribution
réciproque
Licence
Licence
GrandeBretagne
Japan
DanemarkÉtats-Unis
Irlande
Italie
Distribution
Licence
France
Corée du sud
Europe
Asie
Distribution
Mexique
Licence/distributio
n
Alliance
stratégique
Joint-venture (5050)
Licence
Espagne
Amérique
du Nord
Europe
Joint-venture (9010)
Japon
Brésil
GrandeBretagne
Argentine
Uruguay
Chili
Asie
Europe
Europe
Amérique
du Sud
Europe
Amérique
du Sud
Asie
315
Coors
2000
2002
Tsingtao
2003
1987
1991
Heineken Italie
Asahi
Jinro
1992
Scottish Courage
1985
2001
Molson4
Licence
Joint-venture
1993
Lion Nathan
Licence
Licence
Licence
Joint-venture (4951%)
Licence
Licence
États-Unis
Japon
GrandeBretagne
Amériques
Asie
Europe
Chine
Chine
Asie
Asie
Distribution
Mexique
Amériques
Grolsch
2004
S&N
Lion Nathan
CarlsbergGuangdong
CCM
Licence
Alliance
stratégique
Licence
Licence
Joint-venture (3367)
Licence
Chine
Asie
Italie
Japon
Corée
Europe
Asie
Asie
GrandeBretagne
Canada
États-Unis
Europe
Amériques
Amériques
2000
Central de
Joint-venture
Portugal
Europe
Cervejas
2002
United Breweries Joint-venture (40Inde
Asie
(UB) 3
40-20)
AP: achat d’un pourcentage de la brasserie, mais non la totalité JV: joint-venture (coentreprise)
ASM : Alliance stratégique multiple (couvrant plusieurs pays)
1 : Dans le cas de l’alliance SUN et Interbrew, chaque entreprise détient de 34% des actions,
les 32% restantes étant détenues par des investisseurs privés (Interbrew, RA 1999: 17)
2 :En août 2003, Carlsberg mit fin à la joint-venture avec Thai Chang Beverage Company et
en janvier 2004, elle résilia l’accord de licence le liant à Labatt ; une filiale coordonne la
production et la distribution des marques de la firme danoise (Carlsberg, RA 2004: 6)
3: S&N et UB obtiennent 40% des actions chacune et les dirigeants de la joint-venture 20%.
4 : En 1998, la licence que possédait Molson de Coors s’est transfomée en joint-venture [50.1
(Coors)-49.9 (Molson)].
Plusieurs observations peuvent être formulées à la lumière du tableau précédent.
Premièrement, si la globalisation se met en branle à partir de la seconde moitié des
années 1980, le développement des réseaux dans l’industrie n’accompagne pas
immédiatement ce processus. Bien que certaines brasseries nouent des alliances
durant ces premières années, ce sera à partir de la seconde moitié des années 1990 et
des années 2000 que cette tendance s’accélérera. Durant les années 1980, AnheuserBusch et Heineken furent les entreprises les plus actives dans la recherche d’accords
de collaboration internationaux. Fait à noter, parmi les BMN de ce tableau, ces deux
316
firmes demeurent les seules ayant également fait partie des dix premières brasseries
internationales durant les années 1980.
Deuxièmement, toutes les BMN participent au développement de réseaux
internationaux et ce à des degrés divers. Les alliances touchent toutes les régions du
monde et portent principalement sur les marchés nationaux. Seulement dans quelques
cas trouve-t-on un partenariat allant au-delà du marché national. La licence qu’octroie
Carlsberg à Ambev couvre plusieurs pays d’Amérique du Sud, alors que la jointventure entre Heineken et Schörghuber (BrauHolding) touche à la fois l’Allemagne et
certains pays d’Amérique du Sud. Dans le cas de la relation Heineken-Schörghuber, la
co-entreprise touche deux régions distinctes, l’Europe et l’Amérique du Sud.
Troisièmement, on constate la disparition de plusieurs partenaires nationaux. De
nombreuses brasseries nationales, qui avaient servi de relais nationaux pour les BMN
dans l’établissement de co-entreprises ou d’accords de licence ou de distribution ont
disparu, résultat de la consolidation de l’industrie. Cette situation met en lumière le
caractère incertain des relations inter-firmes lors d’un changement de propriété.
Lorsqu’une BMN prend le contrôle d’une brasserie nationale, les accords préalables
peuvent être influencés de deux manières différentes : soit qu’ils se maintiennent et la
nouvelle filiale poursuit la relation avec la BMN tierce416, soit la brasserie acquéreuse
ou la BMN tierce met fin à ces accords. La BMN acquéreuse doit également décider
si elle poursuit les accords qu’elle possédait de son côté avec une concurrente. Si la
BMN acquéreuse possédait un accord avec une brasserie nationale concurrente de sa
nouvelle filiale, elle doit aussi décider de la suite à donner à cette relation.
Généralement, elle mettra fin à la relation pré-existante afin de consolider l’ensemble
des ses activités et les opérations de sa nouvelle acquisition.417
416
Le cas Interbrew-Labatt-Anheuser-Busch illustre cette possibilité. En 1995, Interbrew acquiert la
brasserie Labatt, alors que celle-ci détenait une licence de fabrication, de distribution et de
commercialisation de la marque Budweiser d’Anheuser-Busch pour le marché canadien depuis 1980.
Bien qu’Interbrew et Anheuser-Busch soient concurrentes sur la plupart des marchés nationaux, au
Canada, les deux firmes collaborent.
417
Toujours dans le cas de l’acquisition de Labatt par Interbrew, cette dernière avait établi un accord de
licence pour la production de la marque Stella Artois avec la brasserie canadienne Sleeman. Quelques
mois après l’acquisition de Labatt, Interbrew mit fin à sa relation avec Sleeman. Une situation
identique s’est produite entre SABMiller et Heineken. En 1998, Heineken avait conclu un accord avec
SAB en vue de la production de la marque Amstel. En 2004, alors que Heineken, Diageo et Namibia
Breweries lancent une co-entreprise, la firme hollandaise termina son association avec SABMiller.
317
Quatrièmement, si les brasseries multinationales utilisent les quatre types d’accords de
collaboration, la joint-venture et la licence constituent les deux stratégies préférées
des firmes. Les accords de distribution inter-brasserie, bien que présents, ne semblent
pas être une option très prisée par les BMN. Une hypothèse explicative serait que la
BMN, ne pouvant établir des unités productives dans tous les pays où elle est
présente, privilégiera des rapports avec une firme connaissant mieux le marché local
et susceptible de mettre en valeur ses marques. La simple distribution n’étant pas une
option très attirante pour la brasserie nationale, la licence ou la joint-venture
apparaissent comme des options préférables. En outre, lorsque les BMN créent une
joint-venture, elles préféreront régulièrement un accord de type 50-50 ou sous leur
contrôle majoritaire. En certaines occasions, elles peuvent être le partenaire
minoritaire. Toutefois, dans les cas de joint-venture que nous avons étudié, cette
situation s’est rarement produite.
Cinquièmement, et contrairement aux stratégies de concurrence internationale où l’on
retrouve des firmes à stratégie globale et des firmes à stratégie régionale, en matière
d’accords de collaboration, presque toutes les firmes déploient une stratégie
d’alliances que nous qualifions de globale, c'est-à-dire qu’elles sont présentes dans
toutes les régions du monde. Cela découle d’une stratégie générale visant à globaliser
les activités de la firme, tant en termes de production que de commercialisation. Si en
terme productif et concurrentiel, certaines brasseries ne possèdent pas les ressources
suffisantes afin d’envisager une stratégie globale, en revanche, il est plus aisé de
nouer des alliances avec des firmes ayant déjà une présence sur un marché étranger,
cela entraînant des coûts moindres pour l’entreprise.
Sixièmement, la Chine apparaît être le marché le plus important en terme d’accords de
collaboration dans cette phase de globalisation de l’industrie. Compte tenu de la
structure et de l’attrait du marché chinois (cf. chapitre 5), toutes les BMN ont cherché
à
le
pénétrer.
Cependant,
malgré
l’assouplissement
des
réglementations
gouvernementales durant les années 1990, les BMN se sont trouvées dans l’obligation
de nouer des alliances avec des brasseries chinoises. Interbrew demeure l’unique
brasserie n’ayant pas mis sur pied une joint-venture ou conclu un accord de licence ou
318
de distribution. Néanmoins, l’entreprise avait été l’une des premières brasseries
étrangères à établir des liens avec des brasseries chinoises : dès 1984, elle fournissait
des conseils à plusieurs brasseries chinoises ; en outre, elle a effectué plusieurs
transferts technologiques.
Finalement, on remarque que les BMN développent des accords de licence afin de
produire pour un marché tiers. Deux cas sont possibles ici. Soit une BMN parachève
un accord avec une autre BMN possédant une brasserie dans un pays étranger. Cette
dernière brasse alors les marques de la première pour le marché en question. Par
exemple, Coors a conclu une entente avec Carlsberg-Guangdong, une filiale de
Carlsberg en Chine, pour le brassage et la distribution de sa marque Coors Light.
Dans le deuxième cas, une BMN accorde une licence de production à une brasserie
nationale, cette licence couvrant à la fois le territoire de cette dernière et d’autres
marchés. Plusieurs brasseries ont ainsi utilisé cette méthode afin de pénétrer le marché
américain : elles signaient des ententes avec une brasserie canadienne, une majorité
des bières produites étant ensuite exportées vers les États-Unis.
Par ailleurs, depuis la fin des années 1990, l’ampleur des réseaux a connu un
changement qualitatif important. Il ne s’agit plus uniquement de relations entre BMN
touchant les licences et/ou la distribution de bières. On assiste à une multiplication
d’unions entre des firmes de spiritueux et des brasseries. Ces alliances impliquent une
composante de R&D, dans la mesure où il s’agit de produire un nouveau type de
boisson alcoolisée à base de malt.
Pour les firmes de spiritueux, le développement de ce nouveau segment offrait
plusieurs avantages : la possibilité d’entrer dans le marché des boissons à base de
malt, l’accès aux réseaux de distribution des brasseries, plus importants que les
réseaux des spiritueux ; la possibilité de publiciser ces produits, les spiritueux étant
soumis à davantage de restrictions en matière de publicité ; finalement, une plus
grande marge bénéficiaire, puisque les malternatives génèrent trois fois plus de profits
que les spiritueux. Pour les brasseries, de meilleures perspectives de profits
constituent un puissant incitatif à s’associer avec les compagnies de spiritueux
(Stagnito's New Products Magazine, 01/05/2002). Toutefois, cette nouvelle tendance
319
semble surtout avoir été le fait des brasseries américaines et de certaines brasseries
britanniques. 418
La collaboration apparaît comme un élément central de la globalisation de l’industrie
brassicole internationale. Les firmes ont étendu leurs réseaux, tant internes
qu’externes, à l’ensemble des marchés de la planète. Les brasseries mexicaines ont
également participé à cette évolution, bien qu’à un rythme différent des principales
BMN.
8.2
Les brasseries mexicaines : alliances offensives versus alliances
défensives
Durant les années 1990, la croissance rapide de l’industrie brassicole mexicaine attire
l’attention des BMN américaines, celles-ci évoluant dans un marché à plus faible
croissance et dont la maturité conduit à une absence de fortes opportunités de profits.
En outre, avec l’entrée en vigueur d’un accord de libre-échange avec le Mexique, ce
marché apparaît de plus en plus prometteur. Toutefois, la fermeture effective du
marché mexicain (cf. chapitre 4) force les brasseries étrangères à employer d’autres
stratégies de pénétration. Les alliances s’avèrent donc un moyen privilégié.
Ces alliances permettent non seulement à l’industrie brassicole d’accroître son
expertise en matière de production, commercialisation et distribution, mais surtout
d’augmenter les possibilités d’exportation vers les voisins du Nord, opportunité que
ne rateront pas CCM et Modelo.
8.2.1
CCM : alliances offensives
Alors que les deux brasseries mexicaines nouent leur première alliance internationale
la même année (1989), CCM sera une participante beaucoup plus active dans ce
domaine. Les relations que tisse la brasserie mexicaine apparaissent comme des
alliances offensives dans la mesure où la firme cherche à accroître sa présence
internationale en intégrant des réseaux de distribution et de production internationales.
418
Deux des trois principales brasseries américaines, Anheuser-Busch et Miller, de même que Diageo,
la maison-mère de Guinness, ont été les principaux acteurs ayant développé ce nouveau segment de
marché.
320
La firme développe deux alliances stratégiques avec Heineken, s’associe avec
Labatt/Interbrew et, dans le contexte mexicain, innove avec Kaiser.
8.2.1.1
Heineken : une alliance en deux temps
En 1989, CCM signe un accord de distribution avec Heineken (FEMSA, RA 1990).
L’alliance permet à la brasserie mexicaine de devenir l’importatrice et la distributrice
exclusive des marques de Heineken au Mexique. L’accord prévoit également une
collaboration technique de cinq ans entre les deux firmes, Heineken devant fournir des
services-conseils à CCM en matière de technique et au niveau de la modernisation des
unités de production.419 En outre, Heineken acquiert 20% des actions de la compagnie
importatrice de CCM, Cervezas Mundiales (BW, 01/04/1993; FEMSA, RA 1990).
En juin 2004, après la rupture de la relation avec Intebrew (cf. 8.2.1.2), CCM et
Heineken renouent leur relation. Wisdom Import Sales Co. LLP, la subsidiaire
américaine de CCM, signe un accord avec Heineken USA, une filiale de Heineken,
grâce à laquelle Heineken USA devient l’importatrice et distributrice exclusive des
marques de la brasserie mexicaine. Heineken USA obtient également la responsabilité
de la publicité et des ventes des produits de CCM aux États-Unis. D’une durée de
trois ans, cette union vise à la fois à renforcer la position générale d’Heineken aux
États-Unis et à accroître le développement géographique des marques de CCM audelà du sud-ouest des États-Unis.
Pour Heineken, reléguée en seconde position dans le segment des bières importées
suite à la montée de Modelo, l’arrivée des marques de CCM dans son portefeuille
permet d’offrir une plus grande variété de produits. De plus, la firme hollandaise
considère que cet apport d’une firme mexicaine facilitera sa pénétration auprès des
hispanophones américains, le groupe démographique ayant la plus forte croissance
aux États-Unis (Heineken, Communiqué de presse, 21/06/2004). Pour CCM, suite à la
fin de la relation avec Labatt USA, la nécessité d’un partenariat s’avérait criante,
puisque la firme associée faciliterait la présence des marques de la brasserie
mexicaine au-delà de ses zones “naturelles” du sud-ouest américain. C’est d’ailleurs
419
Toutefois, cette partie de l’accord n’a pas donné suite à une véritable collaboration entre les deux
entreprises.
321
le principal avantage qu’avait procuré la gestion des marques de CCM par Labatt
USA.
8.2.1.2
L’alliance CCM-Labatt/Interbrew
Au début des années 1990, la perspective d’un accord de libre-échange nordaméricain entraînerait sûrement une réorganisation de l’industrie brassicole à l’échelle
régionale, bien que celui-ci ne devait pas remettre en question la stratégie
d’exportation de CCM vis-à-vis des marchés canadien et américain. CCM, prenant
acte de la consolidation internationale de l’industrie et de l’importance croissante du
marché américain, reconnaît la nécessité de s’associer à une BMN (Salinas
Arrambide, 14/05/2002; BW, 01/04/1993). Trois choix s’offrent à l’entreprise :
Heineken, avec laquelle la firme avait déjà signé un accord de distribution ; Miller,
qui avait acquis 7,9% des actions de la division brassicole de FEMSA ; finalement,
Labatt, une brasserie canadienne désirant accroître sa présence internationale.
FEMSA décide d’accepter l’offre de Labatt, car cette entreprise correspond davantage
à ce que la firme recherche pour sa division brassicole. Bien qu’Heineken offre des
possibilités intéressantes, la disparité de taille entre les deux entreprises risque de
conduire à la domination de CCM par sa partenaire hollandaise. Dans le cas de Miller,
les mêmes inquiétudes subsistent : les dirigeants de FEMSA sont convaincus que
l’objectif de la brasserie américaine n’est pas une association entre égaux, mais plutôt
l’absorption d’une compagnie plus petite par l’autre (Salinas Arrambide, 14/05/2002;
Reyes Salcido, 09/05/2002).
En septembre 1994, Labatt acquiert 22% des actions de CCM pour un montant de 510
millions de dollars.420 En décembre 1994, les deux entreprises créent une coentreprise, Labatt USA, résultat de la mise en commun de leurs actifs aux États-Unis.
La part de FEMSA dans la nouvelle entité s’élève à 30%. Au niveau organisationnel
et technique, l’alliance avec Labatt surpasse l’accord que CCM avait noué avec
420
L’entente permettait à Labatt d’augmenter sa participation au capital de la brasserie mexicaine
jusqu’à 30%. En mai 1998, Stellamerica Holdings, une compagnie subsidiaire d’Interbrew, exerça cette
option et acquit les 8% additionnels pour un montant de 221,6 millions de dollars. Suite à cette
opération, Stellamerica possédait 19% de FEMSA Cerveza, alors que Labatt en possédait 11%.
(FEMSA, ADR 2000).
322
Heineken : elle permet à l’entreprise d’accéder à de nouvelles technologies ainsi qu’à
une collaboration interentreprise en matière de brassage de la bière, de marketing, de
gestion des marques, des systèmes d’information et des opérations de distribution
(VISA, ADR 1998).
Au niveau stratégique, cette union doit permettre aux deux entreprises de développer
une stratégie commune pour les États-Unis, du moins c’est ce qu’envisageait CCM
(FEMSA, RA 1996).421 Labatt USA obtient les droits d’importation, de distribution,
de marketing et de vente des marques de CCM aux États-Unis. Labatt hérite des droits
similaires au Canada,422 alors que CCM prend en charge la commercialisation des
marques de Labatt au Mexique.423 Bien que l’alliance FEMSA-Labatt/Interbrew
connaisse passablement de succès durant ses premières années424 et qu’elle s’avère
bénéfique pour les deux entreprises, la relation se détériora au début des années 2001,
culminant par le rachat de FEMSA des actions de la compagnie aux mains
d’Interbrew.
Le point central du conflit entre FEMSA et Interbrew n’est pas la décision de cette
dernière de transférer ses parts de l’entreprise mexicaine à Ambev dans le cadre de
leur fusion de 2004, mais plutôt la crainte qu’éprouve la firme mexicaine quant à la
stratégie américaine de la brasserie belge. Le litige entre les deux entreprises date de
mai 2002 ; il se détériore en 2003 puis culmine en 2004.425 Dès le début du conflit, les
421
Outre son alliance avec Labatt, FEMSA souhaitait s’associer avec une brasserie américaine afin de
consolider, voire d’accroître son positionnement aux États-Unis. Toutefois, l’expérience vécue avec
Miller avait refroidi les ardeurs des dirigeants de FEMSA.
422
L’accord avec Labatt permit à CCM de mieux pénétrer le marché canadien (Salinas Arrambide,
13/05/02). Étant donné les différentes réglementations en vigueur dans les provinces canadiennes, la
connaissance du marché de Labatt éliminait les coûts liés à l’apprentissage de ce marché par CCM.
423
VISA (ADR 1998) et <http://www.alaface.com/privado/noticias/Noti364.htm> accès le 19 janvier
2002.
424
Les exportations de CCM augmentèrent de 57% entre 1995 et 1998, alors qu’elles crurent de 20%
entre 1990 et 1994 (tableaux 6.1 et 6.2). Le recentrage de l’entreprise sur les États-Unis contribua sans
doute à ce résultat, notamment en 1997 et 1998, mais l’alliance avec Labatt est une constante de ces
quatre années.
425
En 2002, suite à l’acquisition de la brasserie allemande Brauerei Beck GmbH & Co., Interbrew avait
décidé d’intégrer la marque Beck’s au portefeuille de Labatt USA. FEMSA poursuivit Interbrew,
alléguant que la décision de cette dernière nuirait aux intérêts de la compagnie, car Labatt USA risquait
de porter davantage d’attention à Beck’s et que cette dernière entrait directement en concurrence avec
certaines marques de CCM dans le segment des bières importées. Par ailleurs, Interbrew souhaitait
également intégrer la marque Bass au portefeuille de Labatt USA ; en avril 2003, alors que le conflit
concernant Beck’s poursuivait son cheminent juridique, FEMSA accepta que cette marque soit incluse
au portefeuille de Labatt USA pour une période d’essai de 12 à 18 mois. Finalement, en mars 2004,
323
dirigeants de FEMSA reconnaissent que le conflit avec leur partenaire stratégique nuit
grandement à la gestion des affaires aux États-Unis (Infolatina, 06/09/2002).
Quelques jours après l’annonce de la fusion Interbrew-Ambev en mars 2004, FEMSA
poursuit Interbrew, soutenant que les droits minoritaires de sa filiale Wisdom Import
Sales Co. LLP sont lésés par cette entente.
Alors que des rumeurs courrent depuis plusieurs mois sur l’imminente rupture entre
les deux firmes (Infolatina, 12/08/2003), la séparation s’officialise en mai 2004.
FEMSA rachète les 30% d’actions que détient Interbrew, au coût de 1,245 milliard de
dollars ; Labatt USA restitue les droits des marques de CCM à Wisdom Import Sales
Co. LLP ; finalement, les deux compagnies signent une entente temporaire de
distribution jusqu’au 31 décembre 2004 (FEMSA, Communiqués de presse,
23/05/2004; 21/06/2004).
8.2.1.3
L’extension du réseau de CCM : Kaiser et Coors
En 2004, outre la rupture de l’association entre Interbrew et FEMSA et l’entente
CCM-Heineken, deux autres événements majeurs contribuent à approfondir
l’implication de CCM au sein des réseaux brassicoles internationaux. Si les alliances
FEMSA-Heineken, mais surtout FEMSA-Labatt/Interbrew représentaient des
développements importants dans la stratégie de CCM, l’alliance FEMSA-Kaiser peut
être considérée comme révolutionnaire. Jusqu’au début des années 2000, les
brasseries mexicaines avaient exclusivement privilégié la production nationale au
détriment d’investissements créatifs ou d’accords de licence. Les seuls accords
internationaux qu’elles nouent ont trait à la distribution de leurs bières à l’étranger et
des bières étrangères au Mexique.
En 2002, la firme amorce une réflexion sur le bien-fondé de la production
internationale. Ce questionnement conduit à une première dans l’industrie brassicole
mexicaine : FEMSA signe un accord de licence avec la brasserie brésilienne Kaiser en
vue la production, de la distribution et de la commercialisation de la bière Sol. Bien
Interbrew et Ambev annoncent la fusion des deux entreprises. L’un des points saillants de la transaction
était le transfert du contrôle de Labatt, incluant les 30% des parts de FEMSA qu’elle possédait, à
Ambev. (El Norte, 09/08/2003; Brandweek, 14/04/2003; Infolatina, 06//09/2002; The Stamford
Advocate-Tribune Business News, 11/13/2003).
324
qu’il ne s’agisse pas de la première tentative de CCM de conclure un accord de
licence international, un essai précédent s’étant soldé par un échec en Allemagne
(Salinas Arrumbide, 14/05/2002), cette alliance constitue une première pour
l’industrie brassicole mexicaine car elle signale la fin de la production strictement
nationale. La firme n’écarte pas la possibilité de nouer d’autres alliances de ce type à
l’étranger, mais il n’est pas question qu’elle accorde une licence de production à une
brasserie établie aux États-Unis, car cela risquerait d’éliminer le principal avantage
compétitif qu’elle possède : le caractère étranger, dans ce cas-ci mexicain, du
produit.426
En juin 2004, deux jours après la notification de l’accord avec Heineken, CCM
annonce qu’elle est parvenue à une entente avec la brasserie américaine Coors. CCM
devient l’importateur et le distributeur exclusif de Coors Light au Mexique. La
question se pose de savoir si l’accord de licence entre CCM et Kaiser a influencé cette
union.427
8.2.2
Modelo : la protection du marché interne
Alors que les diverses relations qu’établit CCM depuis 1989 visent à la fois le marché
intérieur et les marchés internationaux, la stratégie de réseau de Modelo va dans le
sens opposé des tendances de l’industrie brassicole internationale. Alors que les
BMN, et même FEMSA, accélèrent leurs coopérations tant au niveau des licences que
des joint-ventures, Modelo refuse d’accorder des licences de production à l’étranger.
Il est argumenté qu’une telle stratégie entraînerait une perte de contrôle sur le
processus de production de la bière (BI, 01/05/1995), mais que surtout, les bières de
l’entreprise perdraient leur mexicanité, l’un des plus importants avantages compétitifs
de la firme (Diez Morodo, 22/01/2003).
426
Astaburuaga Senjines (23/06/2004) rappelle que CCM a beaucoup appris de l’expérience de la
brasserie allemande Löwenbräu. Durant les années 1980, la brasserie avait conclu des accords de
licence avec des brasseries américaines. Les consommateurs avaient par la suite délaissé cette marque,
car elle avait perdu le cachet de bière importée (Forbes, 18/04/1988).
427
Notons qu’au moment de cette annonce, Kaiser était une filiale de la brasserie Molson et que celleci avait établi une étroite collaboration avec Coors (cf. chapitre 5). De plus, moins d’un mois après
l’association CCM-Coors, Molson et Coors annoncèrent l’intention des deux firmes de fusionner.
325
Si Modelo n’est pas une participante importante dans le mouvement de coopération
inter-firme qui caractérise l’industrie brassicole internationale depuis le début des
années 1990, cela ne signifie pas pour autant une absence totale. L’entreprise a en
effet établi plusieurs accords internationaux, mais un seul apparaît d’importance : la
relation avec Anheuser-Busch. Les rapports entre les deux firmes passent par trois
moments importants : l’accord de distribution de 1989, l’entrée au capital de Modelo
par Anheuser-Busch en 1993 et l’augmentation de la participation de la brasserie
américaine dans l’actionnariat de Modelo en 1997.
En 1989, Modelo et Anheuser-Busch concluent un accord par lequel la brasserie
mexicaine devient l’importateur et le distributeur exclusif des bières de la firme
américaine. Afin d’élargir la collaboration entre les deux firmes, elles initient, en
1992, des pourparlers en vue d’une alliance plus poussée (Expansión, 30/03/1994).428
Les négociations débouchent, en juin 1993, sur une alliance entre les deux entreprises.
Trois éléments d’importance marquent cet accord : l’acquisition par Anheuser-Busch
de 17,7% des actions de Modelo, avec une option allant jusqu’à 35% ; l’obtention, par
Anheuser-Busch, de trois sièges au conseil d’administration de Modelo alors que cette
dernière obtient un siège au conseil d’administration d’Anheuser-Busch ; les deux
entreprises s’entendent pour échanger du personnel au niveau exécutif et
administratif, spécialement dans les champs de la commercialisation, de la
planification et des finances (Solas-Porras, 1998: 141; BW, 01/04/1993).
Pour l’entreprise mexicaine, cette alliance avec la plus importante brasserie
américaine est avant tout défensive. Il s’agit de prévenir l’entrée potentielle d’une
concurrente nettement plus puissante sur le marché national, alors que celui-ci doit
s’ouvrir complètement à la concurrence américaine avec la mise en œuvre de
l’ALENA.429 Si certains croient que l’alliance entre les deux entreprises est contre
428
Dès 1991 cependant, Anheuser-Busch avait manifesté son intention d’approfondir les liens entre les
deux entreprises, soit par une joint-venture ou une entrée au capital de la firme mexicaine (Bratu
Hernández). Les offres de la brasserie américaine, bien que rejetées à l’origine, pourraient avoir joué un
rôle important dans la transformation de Modelo, celle-ci cessant d’être une société anonyme à partir de
novembre 1991.
429
Cependant, tel n’était pas l’objectif d’Anheuser-Busch puisque la firme recherchait avant tout une
participation aux profits que réalisaient annuellement Modelo (Fernández Sánchez-Navarro, 2000: 4).
326
nature, dans la mesure où chacune a pour objectif de posséder la première marque
internationale, Diez Morodo souligne qu’en fait, les bières des deux entreprises se
complètent, car elles sont destinées à des segments de marché distincts (Expansión,
30/03/1994).430 Selon l’accord, les deux entreprises doivent partager leurs réseaux et
canaux de distribution à l’échelle internationale, mais dans les faits, cette coopération
ne s’est jamais matérialisée.
Au fil des ans, Anheuser-Busch accroît considérablement sa participation au sein de
l’entreprise mexicaine. En 1997, elle exerce ses options et augmente sa participation
au sein de Modelo, mais aussi de son principal subsidiaire, Diblo (à hauteur de
23,25%). Combiné à ses 35,12% du capital de Modelo, Anheuser-Busch est
l’actionnaire majoritaire pour tout se qui concerne le secteur bière de l’entreprise
mexicaine (Modelo, BMV 2002). La position dominante de Modelo sur le marché
mexicain, de même que ses bonnes performances en matière d’exportation expliquent
en grande partie l’attraction d’Anheuser-Busch pour l’entreprise mexicaine.
Alors que la relation Modelo-Anheuser-Busch peut être considérée comme un succès
par les dirigeants de la firme américaine,431 cela n’est pas nécessairement le cas pour
les dirigeants de Modelo. Dès 1994, certains des principaux actionnaires de Modelo432
admettent qu’Anheuser-Busch avait acquis les actions de la brasserie mexicaine à un
prix nettement en deçà de sa valeur de marchande (Ortiz Rivera, 1997; Sánchez
Navarro, 04/06/2002). Au début de 1997, après qu’Anheuser-Busch annonce son
intention d’exercer ses options d’achat, les deux entreprises ne peuvent s’entendre sur
un prix d’achat. Ce n’est qu’en octobre 1998 que la transaction se complète.433 Par
430
En outre, ce n’est pas tant la projection internationale de Grupo Modelo qui attira les dirigeants
d’Anheuser-Busch, mais plutôt la domination du marché national qu’exerçait la brasserie mexicaine,
une variable-clé dans toute décision d’association que prend Anheuser-Busch (Latin CEO,
01/01/2000).
431
Dans son rapport de 2002 à la commission des valeurs mobilières américaine (SEC), AnheuserBusch souligne le double avantage de son investissement dans Grupo Modelo. Ces bénéfices se situent
au niveau des dividendes perçus, mais surtout du surplus de la valeur de l’investissement sur son coût
(fair value of the investment over its cost, le prix déboursé pour les actions versus le prix de marché).
Anheuser-Busch évalue ce surplus à 3,6 milliards de dollars en 2002. L’investissement initial de 1,6
milliard de dollars représente 2,4 milliards de dollars en 2004, alors que sa valeur réelle serait
d’environ 5 milliards de dollars (Anheuser-Busch, 10K 2002).
432
Les principaux actionnaires de Modelo en sont également les principaux gestionnaires.
433
Les diverses étapes de l’investissement d’Anheuser-Busch au sein de Modelo se déclinent de la
manière suivante : en 1993, Anheuser-Busch acquit 10% des actions de Grupo Modelo et 10% de sa
327
ailleurs, Anheuser-Busch n’a jamais été en mesure de convaincre Modelo
d’abandonner ses importateurs et distributeurs américains au profit de son propre
réseau de distribution (Expansión, 16/12/1998; Latin CEO, 01/01/2000).
À la lumière des événements relatés ci-haut, on peut se demander si la relation
Modelo-Anheuser-Busch peut être qualifiée d’alliance ou de simple investissement de
portefeuille. Il semble que pour Modelo, les accords qu’elle signe avec la firme
américaine équivalent à une alliance stratégique. La firme mexicaine désire consolider
sa position de tête sur son marché national et bénéficier de certaines forces
d’Anheuser-Busch. Toutefois, les termes de l’entente relatifs à la gestion de la
brasserie mexicaine laissent croire que l’objectif central de la brasserie américaine est
de bénéficier des forts profits que dégage Modelo.434 En effet, Anheuser-Busch, bien
qu’elle soit le principal actionnaire de Modelo, n’a aucun pouvoir décisionnel sur la
gestion de l’entreprise. Le fidéicommis réunissant les principaux actionnaires
mexicains de Modelo conserve le contrôle de la firme, tant au niveau de la gestion que
des décisions stratégiques de l’entreprise (Sánchez Navarro, 04/06/2002).
Si Modelo apparaît plutôt craintive à conclure des accords avec des BMN sur des
marchés étrangers, elle développe cependant un réseau international interne. À partir
de 1985, l’entreprise met sur pied une première filiale aux États-Unis, Procermex,
chargée de la coordination de la vente et du marketing des marques de l’entreprise, en
lien avec les importateurs et distributeurs américains. Quatre ans plus tard, en 1989, la
firme établit une seconde filiale à Bruxelles. En dix ans, quatre filiales additionnelles
sont ajoutées. Elles ont toujours comme objectif de gérer les activités de vente et
promotionnelles de l’entreprise à l’étranger, mais ne produisent pas de bière.
filiale Diblo, ce qui portait sa participation totale directe et indirecte à 17,68% du capital de Diblo,
équivalent à 12,5% des actions avec droit de vote. En mai 1997, Anheuser-Busch porta sa participation
directe et indirecte à 36,95%, ce qui comprenait les 10% de Diblo ainsi que les 26,95% provenant de
l’achat de 35,12% des actions de Grupo Modelo. Cela équivalait à 43,9% du droit de vote. Finalement,
Anheuser-Busch accrut sa participation au capital de Diblo à 23,25%, ce qui augmenta sa participation
directe et indirecte à 50,2% du capital de Diblo, mais toujours avec 43,9% des droits de vote, le
maximum permis par l’accord initial entre les deux entreprises (Fernández Sánchez-Navarro, 2000: 2225).
434
Entre 1997 et 2003, Modelo occupe la quatrième position dans l’industrie brassicole internationale
pour le profit avant impôts (Impact, 2002 et 2005).
328
Conclusion
Les théories des réseaux accordent généralement une très grande importance à la
R&D et à la croissance des industries hautement technologiques comme facteurs
explicatifs de la croissance des réseaux. Toutefois, ces éléments ne correspondent pas
aux causes de l’augmentation de la coopération au sein de l’industrie brassicole
internationale. Ce chapitre a montré la possibilité pour une industrie de produit de
consommation courante de développer des réseaux internationaux. Les brasseries ne
peuvent se limiter uniquement à la concurrence comme mode de rapport
interentreprises. La nécessité de réduire leurs coûts et l’adaptation à la transformation
de l’environnement international pousseraient les BMN à nouer des alliances. Cellesci concerneraient principalement les marchés nationaux et, en certaines rares
occasions, couvriraient le niveau régional.
En terme de coopération, la nouveauté de la période globalisante de l’industrie
brassicole internationale est la généralisation des réseaux. Alors qu’avant les années
1980, les alliances et autres types d’accords de coopération étaient limités, ils se
multiplient à partir de cette décennie et impliquent toutes les BMN. Étant donné que
la collaboration inter-firmes s’effectue dans les dernières phases de la chaîne de
valeur des brasseries, en particulier les accords de distribution et les licences, les
réseaux sont exclusivement formels.
L’un des enseignements les plus importants de ce chapitre concerne le rôle de la
coopération comme forme de croissance internationale de la firme. En d’autres
termes, l’accord de collaboration permettrait à la BMN de mieux connaître sa
partenaire, ce qui conduirait en certaines occasions à une fusion ou une acquisition.
En consultant les tableaux 7.1 et 8.2, on découvre plusieurs cas de partenariats suivis
de fusion/acquisition (Coors-Molson, Carlsberg- Allied Lyons/Tetley, S&N- Central de
Cervejas entre autres.
En ce qui concerne les brasseries mexicaines, si on relevait certaines similitudes dans
les stratégies de concurrence, en matière de coopération, les deux firmes adoptent des
approches distinctes. CCM a opté pour une stratégie offensive. Les accords qu’elle
329
signe sont destinés à pénétrer de nouveaux marchés. Cette stratégie s’avère positive
dans l’ensemble. La firme bénéficie de son accord avec Labatt/Interbrew et connaît
une hausse de ses exportations aux États-Unis.
Quant à Modelo, la firme choisit plutôt une stratégie défensive. L’alliance qu’elle
noue avec Anheuser-Busch est surtout destinée à protéger le marché national. Dans le
cas de Modelo en revanche, l’alliance avec Anheuser-Busch ne constitue pas un
succès. Dans la mesure où la brasserie mexicaine n’a pas profité des réseaux
internationaux d’Anheuseur-Busch, que cette dernière détient plus de 50% des actions
combinées de Modelo et surtout que les exportations de Modelo en direction des
États-Unis ne transigent pas à travers le réseau de distribution d’Anheuser-Busch, il
nous paraît que la hâte démontrée par les dirigeants de la brasserie mexicaine n’était
pas fondée.
Dans l’analyse de l’émergence des réseaux au sein de l’industrie brassicole
internationale en général, et de l’industrie brassicole mexicaine en particulier, deux
éléments sont à souligner. Premièrement, étant donné leur stratégie de production
nationale et d’exportation, les réseaux qu’établissent les brasseries sont plus faibles
que ceux des grandes brasseries multinationales. Deuxièmement, les accords de
collaboration que nouent les brasseries mexicaines sont davantage à caractère national
que régional ou global, ce qui va dans le sens des tendances internationales. Ils sont
avant tout destinés à protéger le marché national ou à pénétrer le marché américain.
L’accord de licence entre CCM et Kaiser constitue l’unique exception à la stratégie
des firmes mexicaines.
Quelles sont les implications des stratégies de coopération des brasseries mexicaines
sur leur réseau de valeur et le modèle de la co-opétition ? Compte tenu du choix
d’exporter, ce qui limite les accords à la distribution uniquement, laissant de côté la
licence, la joint-venture et l’alliance stratégique à l’étranger, Modelo et CCM
n’entretiennent pas autant de liens avec les brasseries étrangères que les BMN en
général. Cela tend à réduire le nombre de leurs complémenteurs. Les BMN auraient
donc davantage tendance à se présenter comme des concurrentes que des
complémenteurs. Par ailleurs, la contribution des brasseries mexicaines à la co-
330
opétition dans l’industrie brassicole internationale est beaucoup moins forte que celle
des BMN. Dans la mesure où le nombre et la nature des alliances qu’elles forment
sont restreints, elles tissent moins de relations qu’une BMN typique.
331
CONCLUSION GÉNÉRALE
Au cours de cette recherche, nous avons voulu évaluer trois idées fondamentales
touchant la globalisation, à savoir que : 1) elle entraîne une transformation d’échelle
des firmes ; 2) elle provoque une concurrence globale et 3) elle conduit les États à
s’engager dans une diplomatie commerciale. Premièrement, la globalisation aurait
provoqué une mutation des firmes multinationales en firmes globales. Ces entreprises
organiseraient leur production afin de desservir les marchés mondiaux et non plus des
marchés particuliers. Deuxièmement, la globalisation obligerait les entreprises à
modifier leurs stratégies concurrentielles à deux niveaux. D’une part, les rapports
concurrentiels ne se limiteraient plus à la dimension nationale, ni même régionale,
mais se dérouleraient principalement à l’échelle globale. D’autre part, bien qu’elles se
fassent concurrence, les firmes doivent également collaborer si elles veulent profiter
de tous les avantages que procure la globalisation. Troisièmement, la globalisation
conduirait les États à s’engager dans une diplomatie commerciale, en parallèle à la
diplomatie traditionnelle, afin d’accroître leurs parts de marchés internationaux, ce qui
passerait par la mise en place de cadres normatifs favorisant l’internationalisation des
entreprises nationales et l’accélération de la concurrence internationale.
Un cas particulier a été retenu afin d’illustrer ces assertions, celui de la globalisation
de l’industrie brassicole mexicaine, composée de deux entreprises, Grupo Modelo et
Cerveceria Cuauhtémoc-Moctezuma (CCM), à partir de la crise économico-financière
de 1982. Ce cas a été choisi car il permettait d’analyser en profondeur le processus
d’internationalisation de deux entreprises évoluant dans la même industrie et
provenant du même pays. Il était possible d’étudier à la fois leur évolution à l’échelle
internationale, les stratégies concurrentielles et coopératives qu’elles mettent en place,
de même que les effets des décisions de l’État mexicain sur chacune. Afin d’analyser
l’internationalisation de Grupo Modelo et de CCM, nous avons développé un modèle
basé sur la co-opétition internationale. Ce modèle nous permettait de comprendre la
nature de la concurrence et de la collaboration interentreprises dans l’industrie
brassicole internationale.
332
La question de recherche ayant guidé notre étude prenait donc en compte les trois
idées de la globalisation mentionnées précédemment. Aussi, l’avons nous formulée
comme suit : Comment l'industrie brassicole mexicaine a-t-elle fait face au triple
changement survenu depuis le début des années 80, à savoir l’ouverture de
l’économie mexicaine, la globalisation de l’économie internationale et l’intégration
de plus en plus poussée de l’économie mexicaine à l’économie américaine ?
À partir de cette question centrale, trois hypothèses furent énoncées :
H.1 : La globalisation, ainsi que la concurrence internationale qu’elle a entraînée,
aurait transformé la firme multinationale en une firme globale. Celle-ci privilégierait
une stratégie et une organisation globales, étendant ses activités à tous les marchés.
H.2 : Les transformations de l’économie internationale obligent les firmes à la fois à
se concurrencer et à coopérer. La co-opétion résultant de cette dynamique conduit les
entreprises à développer leurs activités à trois niveaux : national, régional et global.
H.3 : L’État mexicain, dans le modèle de la diplomatie commerciale et triangulaire,
aurait joué un rôle central dans l’internationalisation des brasseries mexicaines. En
facilitant la mise en place d’un cadre favorable à la concurrence régionale et globale,
il aurait contribué à l’intégration du Mexique à l’économie internationale et permis
aux brasseries mexicaines d’assurer leur présence sur les marchés mondiaux.
Ces trois hypothèses sont-elles vérifiées ? La première hypothèse, la globalité des
firmes, ne se vérifie pas complètement. Seule SABMiller peut être qualifiée de
brasserie globale en terme de répartition géographique des ventes. Toutefois, si l’on
ajoute les aspects stratégique et productif à la variable commerciale, on peut affirmer
qu’un nombre croissant de brasseries se globalise. Malgré la difficulté à obtenir des
statistiques claires, l’indice de transnationalisation que nous avons développé montre
bien que les brasseries multinationales tendent de plus en plus à se globaliser.
Néanmoins, cette hypothèse ne peut être totalement vérifiée actuellement, car
plusieurs BMN demeurent au stade régionale. La concentration que connaît l’industrie
brassicole chinoise représente une étape majeure dans la consolidation de l’industrie
brassicole internationale. Aussi faut-il attendre la conclusion de ce processus avant
333
d’avoir une image claire de la structure “finale” de l’industrie à l’échelle
internationale. Seulement alors pourrons-nous dégager une réponse claire à
l’hypothèse.
Notre seconde hypothèse, la nature de la concurrence et de la coopération, se vérifie
aux deux niveaux régional et global. D’une part, nous assistons à la création d’une
industrie internationale oligopolistique. Les BMN ont pour objectif la conquête de
parts de marché internationales, accélérant ainsi les acquisitions et s’assurant une
augmentation des volumes de vente. La hausse des volumes et l’intensification de la
concurrence passent également par le développement des réseaux. Ceux-ci auront un
caractère formel et se traduiront par des accords de licences, de distribution ou des coentreprises. Ceux-ci facilitent la présence des bières des BMN sur tous les marchés.
Afin de profiter de leurs avantages compétitifs, les BMN adapteront leurs stratégies et
leurs structures organisationnelles aux marchés nationaux, régionaux et au marché
global.
Si la concurrence constitue la forme dominante de relation interentreprises à l’échelle
globale, aux niveaux régional et national, les rapports de coopération priment.
Lorsqu’elles désirent pénétrer un marché, les BMN utiliseront avant tout l’une des
quatre stratégies de coopération identifiées au chapitre huit (licence, distribution, coentreprise ou alliance stratégique) dans un premier temps. Par la suite, elles choisiront
de poursuivre cette option ou d’acquérir une brasserie locale (en tout ou en partie).
La
troisième
hypothèse,
le
rôle
prépondérant
de
l’État
mexicain
dans
l’internationalisation des brasseries mexicaines, est infirmée. Bien que l’État
mexicain, par l’ouverture unilatérale de 1985 et la négociation de l’ALENA au début
des années 1990, ait fourni un cadre favorisant la concurrence et les exportations,
celui-ci n’a pas eu d’influence marquante sur l’internationalisation de CCM ou de
Grupo Modelo. Les deux entreprises n’ont pas modifié leurs comportements ou leurs
objectifs, poursuivant une stratégie d’internationalisation qui ne répond pas aux
exigences politiques, mais aux opportunités d’entrées sur des marchés étrangers. Les
crises économiques et financières, plus que le rôle de l’État, exercent un impact
déterminant sur le développement international de Grupo Modelo et de CCM.
334
Le chapitre trois a montré que l’État mexicain a exercé une influence à la fois directe
et indirecte sur l’industrie brassicole mexicaine. Le rôle de l’État s’est surtout
manifesté sur le marché interne et peut être qualifié d’indirect, puisqu’il a transformé
le modèle économique mexicain et qu’il a mis en place un nouveau cadre de référence
en matière de concurrence. Prenant acte que la nature de la concurrence n’est plus
uniquement nationale, mais qu’elle prend une dimension de plus en plus globale, il
devient nécessaire que la politique de la concurrence mexicaine témoigne de cette
mutation. Outre les taxes auxquelles sont soumises les brasseries mexicaines, l’État
mexicain n’a pas exercé d’influence directe sur l’internationalisation de Grupo
Modelo et CCM.
Si l’ascendant de l’État mexicain sur le réseau de valeur global et
l’internationalisation des brasseries mexicaines est somme toute négligeable durant la
globalisation de celle-ci, deux États ont joué un rôle important : les États-Unis et le
Brésil. En accordant le droit d’entrée ou de production sur le territoire national, ce que
montrent les décisions des autorités américaines et brésiliennes est la permanence de
la souveraineté étatique sur le territoire national. Si l’État d’origine d’une FMN n’a
pas nécessairement une influence sur l’internationalisation de ses firmes, les États
d’accueil demeurent encore capables de modifier la stratégie de celles-ci.
L’objectif central du chapitre quatre était de montrer comment l’évolution historique
et l’organisation interne du marché brassicole mexicain conduit à un duopole et à la
fermeture de celui-ci aux bières étrangères. Malgré l’ouverture du Mexique à la
concurrence internationale, la structure du marché interne limite très sévèrement la
capacité des BMN à concurrencer les brasseries mexicaines. En outre, contrairement à
ce que suggère le modèle de la co-opétition, le réseau de valeur national de CCM et de
Grupo Modelo prend davantage la forme d’un triangle que d’un losange. Étant donné
la totale intégration verticale des deux entreprises, les deux brasseries éliminent
presque totalement la nécessité des fournisseurs.
Il apparaît assez clairement que les crises économiques constituent généralement des
points de rupture dans l’industrie brassicole mexicaine. La crise du peso en 1994-
335
1995, si elle réduit temporairement la production nationale, provoque une accélération
marquée des exportations de CCM et de Grupo Modelo. Toutefois, la crise de 1982
est fondamentale : elle provoque la transformation de l’industrie brassicole mexicaine
d’un oligopole à trois entreprises en un duopole. De plus, elle conforte la stratégie de
Grupo Modelo et a constitué l’un des facteurs déterminants dans la domination
qu’exerce depuis cette entreprise sur le marché national. Aussi, cette crise, en révélant
les limites d’un développement basé uniquement sur le marché interne, pousse les
firmes mexicaines à accélérer leurs exportations vers le marché américain dans un
premier temps, puis vers le marché mondial par la suite.
Le chapitre cinq a brossé un portrait de l’environnement international dans lequel
évolue l’industrie brassicole mexicaine. Puisque celle-ci est influencée à la fois par la
globalisation et la régionalisation, la proximité géographique des États-Unis
constituant un élément-clé dans l’internationalisation des deux entreprises, nous avons
cherché à comprendre l’évolution de la globalisation de l’industrie brassicole
internationale ainsi que les transformations plus spécifiques de cette industrie en
Amérique du Nord. Certaines différences existent entre les marchés d’Europe et
d’Amérique du Nord d’une part et les marchés Amérique latine, d’Asie et d’Europe
centrale et orientale d’autre part. Les deux premières régions sont constituées de
marchés matures, avec une faible croissance des volumes de production et une
diminution de la consommation per capita. Les autres régions représentent des
marchés émergents, avec des taux de croissance avoisinant ou surpassant les 3% par
année et une consommation per capita en augmentation. Ces marchés représentent
donc la principale origine de la croissance générale de l’industrie et soulèvent donc
l’intérêt des BMN.
Par contre, une tendance se dessine aux niveaux régional et global de l’industrie
brassicole, à savoir la concentration des marchés nationaux et l’émergence de
brasseries multinationales et globales. Sous l’impulsion d’un nombre restreint de
firmes, l’industrie brassicole internationale apparaît de plus en plus comme une
industrie oligopolistique. La globalisation de cette industrie passe tout d’abord par une
phase de régionalisation, alors que les brasseries organisent leurs réseaux et pénètrent
336
les marchés de leurs régions respectives, pour ensuite étendre leurs activités au-delà
de ces zones et procèdent à des acquisitions extra-régionales.
La globalisation des brasseries mexicaines a été étudiée en détail au cours du chapitre
six. Plus particulièrement, il s’agissait de répondre à certaines interrogations
concernant le processus d’internationalisation de Grupo Modelo et de CCM,
notamment les causes du développement international de ces firmes et l’influence
respective de la globalisation et de la régionalisation sur leurs stratégies respectives.
Bien que la globalisation joue un rôle important, il semble que la régionalisation,
caractérisée par la proximité géographique des États-Unis et l’existence d’une forte
population d’origine mexicaine, constitue le facteur explicatif le plus déterminant
dans l’internationalisation des brasseries mexicaines.
Tant par l’organisation des activités internationales de chaque brasserie que le niveau
des ventes, l’Amérique du Nord accapare davantage l’attention de Grupo Modelo et
CCM que les autres marchés internationaux. Les brasseries mexicaines passent ainsi
de la régionalisation à la globalisation puis, dans le cas de CCM, à un retour à la
régionalisation. En d’autres mots, si la globalisation affecte fondamentalement la
manière dont les dirigeants des brasseries mexicaines conçoivent l’industrie brassicole
en général, c’est tout de même à l’échelle régionale qu’ils concentrent la quasi-totalité
de leurs ressources et de leurs efforts.
Le chapitre 7 a été consacré aux stratégies concurrentielles des BMN et des brasseries
mexicaines. La concurrence internationale devient de plus en plus oligopolistique,
alors que le nombre de brasseries de taille internationale se réduit sans cesse. Les
niveaux d’action de l’activité de la firme (national, régional ou global) engendrent des
approches stratégiques différenciées. Ainsi, trois stratégies concurrentielles ont été
identifiées : les stratégies globales, les stratégies régionales et les stratégies nationales.
Aux niveaux global et régional, on retrouve des aspects productifs, stratégiques et
commerciaux à la stratégie concurrentielle des brasseries. À l’échelle nationale,
l’aspect productif n’est pas toujours présent, car l’entreprise a l’opportunité d’exporter
vers ce marché.
337
La globalisation de la concurrence entraîne également le développement de marques
globales. Cette situation favorise les BMN qui possédaient déjà de telles marques,
mais oblige les autres à s’adapter. Dans le cas des brasseries mexicaines, Grupo
Modelo est bien positionnée, car elle possède Corona Extra, alors que CCM a
cherché, sans succès, à développer une telle marque au cours des années 1990, Sol.
Même si les stratégies concurrentielles de Grupo Modelo et CCM comportent des
similitudes, elles ont aussi quelques différences. En terme de pénétration de marché,
toutes deux adoptent sensiblement la même approche centrée sur la promotion de la
mexicanité du produit et une entrée en deux temps. Par contre, lorsqu’il est question
de la promotion des marques de chaque entreprise, Modelo promeut surtout et presque
exclusivement Corona Extra, alors que CCM privilégie la segmentation des marques
selon les marchés.
Le chapitre huit a mis en évidence que le développement de vastes réseaux
internationaux apparaît également comme une transformation majeure dans l’industrie
brassicole internationale. Compte tenu des stratégies qu’elles élaborent, les BMN ne
peuvent assurer une présence physique sur les marchés nationaux. Afin d’assurer la
distribution de leur production, elles doivent conclure des alliances avec des
brasseries nationales ou d’autres BMN. Ces réseaux formels prennent généralement
quatre formes : la joint-venture, la licence, l’accord de distribution ou l’alliance
stratégique. Les brasseries mexicaines ne restent pas étrangères à cette tendance.
Cependant, elles adoptent des approches différentes. CCM noue plusieurs alliances,
destinées principalement à pénétrer des marchés étrangers, alors que Modelo ne
conclut qu’une alliance d’importance, afin de protéger son marché interne.
En somme, la globalisation ne conduit pas toujours à la formation de firmes globales ;
elle transforme certaines en firmes globales, alors que d’autres demeurent régionales
ou nationales. Par ailleurs, la globalisation entraîne une plus forte concentration
industrielle et favorise des rapports simultanés de coopération et de concurrence.
Finalement, l’État mexicain ne joue pas un rôle central dans l’internationalisation des
brasseries mexicaines. À travers son impact sur le développement national des
brasseries, il influence indirectement le processus d’internationalisation des firmes.
338
Telles sont les conclusions générales qui se dégagent des chapitres composant la
seconde et troisième partie de cette thèse.
*
**
Que nous apprend cette thèse sur la concurrence, la coopération et le rôle de l’État
dans l’internationalisation des entreprises ? Un retour sur les débats théoriques
amorcés lors des chapitres un et deux nous permettra de mieux cerner la contribution
de cette étude à une meilleure compréhension de ces questions. Deux littératures
traitent de l’influence des deux principaux acteurs de l’économie internationale, à
savoir les firmes et les États.
Une première littérature aborde les relations
interentreprises à partir de la double optique de la concurrence et de la coopération.
Les théories de la concurrence et des réseaux ont poussé plus a fond ces questions,
tant du point de vue national qu’international. Les théories de la concurrence et de
l’internationalisation de la firme rendent compte des facteurs affectant les rapports
concurrentiels entre les entreprises. Toutefois, elles demeurent incapables d’expliquer
pourquoi, dans un contexte où la concurrence domine, les firmes choisissent
également de coopérer en certaines occasions.
Les théories des réseaux comblent cette lacune en montrant comment les entreprises,
dans un contexte de plus en plus global, développent des réseaux afin de faciliter la
coopération. Au-delà d’un type de relation, les réseaux constituent également un mode
d’organisation. Ils émergent soit en réponse aux besoins de la firme ou comme
conséquence des transformations du système économique international. Les réseaux
favorisent l’expression des avantages compétitifs de la firme en encourageant la
spécialisation. Ils permettent également aux entreprises de mieux s’adapter à la
globalisation car ils contribuent à une plus grande flexibilité. Les réseaux, qu’ils
soient internes ou externes à la firme, constituent également une source d’information
importante et un moyen d’accéder à des marchés étrangers. Le caractère de plus en
plus oligopolistique de plusieurs industries internationales obligerait les firmes à
collaborer davantage que par le passé.
Les deux débats théoriques précédents, s’ils permettent de comprendre le
fonctionnement de la firme et d’expliquer ses stratégies, ne nous informent pas
339
entièrement sur l’environnement dans lequel elles évoluent. Une seconde littérature,
centrée sur les relations entre les firmes et les États, nous a permis d’aborder cette
problématique. La théorie de la diplomatie triangulaire montre comment les relations
économiques internationales contemporaines forcent les États et les firmes à prendre
en compte les objectifs et stratégies de chacun. Il en résulte une triple négociation :
État-État, État-firme et firme-firme. La science économique et l’administration des
affaires sont les deux disciplines ayant approfondi les rapports firmes-firmes, alors
que la science politique s’est avant tout concentrée sur la relation État-État. Cette
dernière discipline a peu poussé l’analyse du rôle des entreprises dans les relations
internationales. Nous avons tenté de remédier à cette faiblesse.
En développant le modèle de la co-opétition dans l’industrie brassicole internationale,
notre objectif était double : intégrer le rôle que joue l’État dans l’internationalisation
d’une industrie nationale à travers ses interventions sur le réseau de valeur des
entreprises et évaluer l’importance respective de la concurrence et de la coopération
dans le processus d’internationalisation. Notre contribution se situe à ces deux
niveaux. D’une part, nous possédons une meilleure compréhension des liens entre la
concurrence et les réseaux. Bien qu’il s’agisse de deux modes de rapports interfirmes
distincts, ils ne peuvent être écartés par les entreprises et doivent être poursuivis
conjointement, sous peine de perdre des parts de marché à l’échelle internationale.
Ainsi, les firmes peuvent développer des stratégies offensives et/ou défensive en
matière de concurrence et/ou d’alliances. Le cas de l’industrie brassicole
internationale illustre cette assertion. Modelo adopte une stratégie concurrentielle
offensive sur les marchés internationaux en globalisant sa stratégie, alors que CCM se
voit forcée de prendre une approche plus défensive, se repliant sur un marché étranger
clé, les États-Unis. En matière d’alliances toutefois, c’est CCM qui emploie une
stratégie offensive, cherchant à faciliter la pénétration des marchés étrangers, alors
que Modelo opte pour une approche défensive, la brasserie désirant protéger sa
position sur le marché national.
D’autre part, le rôle de l’État demeure important, bien que secondaire, dans
l’internationalisation de firmes en provenance d’un pays en développement. Son
impact se fait davantage sentir à l’échelle nationale qu’aux niveaux régional et global.
340
L’État fournit le cadre général sans lequel la croissance des firmes s’avèrerait
impossible. En ce sens, ses interventions, notamment en matière fiscale, touchent
indirectement les entreprises en agissant sur leur compétitivité. Par ailleurs, l’analyse
du développement international de Grupo Modelo et CCM montre que la prise en
compte de l’échelon national demeure fondamentale dans l’étude de la globalisation.
Sauf quelques exceptions dans l’industrie brassicole internationale, le niveau national
constitue généralement la base sur laquelle s’appuient les firmes pour ensuite se
développer régionalement et internationalement.
Ces remarques nous permettent de répondre à notre question de recherche de la
manière suivante : afin de faire face au triple changement survenu depuis le début des
années 1980, l’industrie brassicole mexicaine s’est internationalisée. Cette
internationalisation, bien qu’elle possède des caractéristiques globales, s’est surtout
centrée autour des États-Unis. Pour y parvenir, Grupo Modelo et CCM ont développé
des stratégies de concurrence et de coopération allant parfois dans le sens des
stratégies qu’adoptent généralement les BMN et parfois dans une direction opposée.
Cette spécificité des brasseries mexicaines ne se retrouve dans aucun autre cas et a des
implications importantes pour le concept de co-opétition. Contrairement à ce qui est
postulé dans la littérature, le réseau de valeur des brasseries mexicaines apparaît
beaucoup moins développé que celui des BMN. La question sera donc de savoir si
elles peuvent maintenir cette spécificité alors que la consolidation internationale se
poursuit rapidement.
341
ANNEXES
342
ANNEXE 1 STRUCTURE DU CONSEJO COORDINADOR EMPRESARIAL
(CONSEIL DU PATRONAT MEXICAIN, CCE)
CCE
Organisations
affiliées
Principal
secteur
d’activités
Taille des
entreprises
affiliées
Nombre
d’affiliées
Type de
structure
Canacintra Concamin AMCB CMHN
industrie
industrie
PME
PME
82 000
125 000
mixte
mixte
finances
PME
25
varié
AMIS
assurances agriculture commerce varié
et pêches
grandes grandes
37
CNA Concanaco Coparmex
59
PME
250 000
centrali- centrali- centrali- décentrasée
sée
sée
lisée
PME
PME
500 000
30 000
décentra- décentralisée
lisée
Source : Matilde Luna, “Intereses empresariales y activismo político en México : las
demandas de la modernización económica” in Matilde Luna (ed.), Los empresarios y el
cambio político : México 1970-1987, Mexico : UNAM, Instituto de Investigaciones Sociales,
1992.
343
ANNEXE 2 STRUCTURE DE LA COECE
COECE
CCE
Concanaco
Concamin
Coparmex
AMIS CHHN CNA
Canacintra
Canaco-Mex CCI
CEMAI ANIERM
Cap. Mex.
AMCB
Conacex
Coordonateur général
Comité consultatif sur le
commerce international
Personnel
Conseillers
légaux
Directeur exécutif
Bureau de
Washington
CEESP
Coordonateurs sectoriels
Finances
Assurances
Soussecteurs
Soussecteurs
Commerce et
services
Soussecteurs
Industrie
Soussecteurs
Agriculture et
pêcherie
Banque
Soussecteurs
Source : Cristina Puga, Organizaciones empresariales y Tratado de Libre Comercio, Proyecto
Organizaciones empresariales en México, Cuadernos 7, México : UNAM, Facultad de
Ciencias Políticas y Sociales, 1993: 64.
344
ANNEXE 3
PROCESSUS BRASSICOLE ET TYPES DE BIÈRES
Bien qu’il existe une multitude de bières différentes et plusieurs méthodes de
fermentation, le processus de brassage de la bière demeure sensiblement le même
depuis des siècles. Les ingrédients de base sont : l’eau, la levure, le malt et le houblon.
Selon les saveurs et les couleurs que veulent obtenir les brasseries, d’autres céréales,
épices ou additifs peuvent être ajoutés, notamment le maïs, le riz, le sorgho. Neuf
étapes sont requises dans la production de la bière : la purification de l’eau, le
maltage, l’empâtage, la filtration du moût, l’ébullition et le houblonnage, la séparation
du houblon et le refroidissement, la fermentation, les caves/l’entreposage et
finalement le conditionnement. La figure suivante montre le processus brassicole.
Orge
Purification de
l’eau
Malterie
Empâtage
Filtration du moût
Ébullition et
houblonnage
Séparation du
houblon et
Fermentation
Filtration/Pasteurisation
Caves/Entreposage
Mise en fût
Embouteillage
Canettes
345
Le malt est fabriqué à partir de l’orge. Transportée à une malterie, l’orge est trempée,
germée, séchée et/ou touraillée ou torrifiée. Le malt qui en résulte est ensuite ajouté à
l’eau purifiée à la brasserie. Lors de ce processus, l’empâtage, les enzymes de malt
transforment l’amidon en sucre. C’est lors de cette étape que d’autres types de
céréales, d’épices et d’additifs sont adjoints à la mixture afin de lui donner un goût
particulier.
Par la suite, le moût est transféré dans une cuve-filtre. Il en résulte un jus sucré qui est
transféré dans une cuve à cuisson. C’est l’étape du houblonnage ou de
l’aromatisation : le houblon ajouté au liquide déterminera le type de bière qui sera
obtenu. Une plus petite quantité, environ 200g/hl, donnera une lager de consommation
courante ; 500 g/hl donnera une Pilsen ; les bières anglaises du type Ale peuvent
recevoir jusqu’à 800 g ou 1 kg/hl. Cette cuisson, qui varie d’une à deux heures, est
suivie du refroidissement. Le moût doit être refroidi le plus rapidement possible à la
température de fermentation désirée.
La levure, dont la fonction est de dissoudre le sucre dans le moût, est ensuite ajoutée
incorporée à la mixture. La levure transformera le moût en alcool et en gaz
carbonique. Selon le type de bière désirée, la durée de la fermentation variera de
quatre à dix jours. Il existe essentiellement trois formes de fermentation : haute, basse
et spontanée, cette dernière n’étant pratiquée que par quelques brasseurs belges. Le
type de fermentation est déterminé par la température et la quantité de levure utilisée.
En fermentation haute ou spontanée, la température oscille entre 18 et 22-25 °C et la
quantité de levure utilisée est moindre.435 En basse fermentation, la température
oscille entre 5 et 13 °C et la quantité de levure utilisée est plus grande.
Après cette fermentation primaire, la bière est transférée dans des cuves de garde où
une a lieu une seconde fermentation. Cette étape peut varier entre quelques jours et
plusieurs mois. À la fin de la période de garde, la bière est filtrée afin de lui donner de
la limpidité et la rendre cristalline. Dans la majorité des cas, la bière sera ensuite
pasteurisée afin de la stériliser et de permettre une plus longue période de
conservation. La boisson est subséquemment entreposée, puis « embouteillée », soit
en fût, en canette ou en bouteille.
Sources : Mario D'Eer, Ales, lagers et lambics : la bière, Saint-Laurent : Trécarré,
BièreMAG Chambly, 1998; Nick Hamilton, Le guide de la bière au Québec, Montréal :
Chenelière,
McGraw-Hill,
1997;
Association
des
brasseurs
du
Canada,<
http://www.brewers.ca/>.
TYPES DE BIÈRES
Il existe une très grande variété de bières. Cette section ne présente qu’un aperçu
sommaire des différents types de bières. Pour une présentation plus exhaustive des
familles et styles de bière, nous renvoyons les lecteurs intéressés aux ouvrages de
Hamilton (1997) et D’Eer (1998). Il importe ici de souligner que les bières à
435
La levure Saccharomyces Cerevisiae est utilisée en fermentation haute, en fermentation basse, on
utilise la Saccharomyces Carlsbergensis, alors qu’en fermentation spontanée c’est la Brettanomyces
Bruxellensis qui est utilisée.
346
fermentation basse (lagers) sont de loin les plus consommées et que leurs parts de
marché à l’échelle internationale est en croissance.
* Bières à fermentation basse : lagers
Bock
Doppelbock
Dortmunder
Eisbock
Marzen/Oktobersfestbier
Münchener
Pilsner
Rauchbier
Steam Beer
Vienna
* Bières à fermentation haute : Ales
Alt
Barley wine
Bière d’abbaye
Bière de garde
Bitter Ale
Brown Ale
Cream Ale
Ice beer
Kolsch
Pale Ale
Porter
Stout
Trappiste
* Les bières à fermentation spontanée
Faro
Gueuze
Lambic
347
ANNEXE 4 ANALYSE DE L’ENVIRONNEMENT DE LA BRASSERIE
SWOT des BMN
Les stratégies de pénétration de marché sont fondamentales pour les brasseries. Elles
renvoient à l’acquisition de parts de marchés nationaux par les BMN à partir de leurs
produits existants (Heijbroek et al., 1996). Suite à une analyse interne et externe, la
brasserie doit décider de la stratégie qui permettra de maximiser ses forces et de
limiter ses faiblesses. Les analyses SWOT436 constitueront la première démarche de
l’entreprise. Ce type d’analyse permet à la firme de mieux connaître son
environnement et de déterminer quelle(s) stratégie(s) sera à même de répondre aux
défis que pose celui-ci.
SWOT des brasseries multinationales
Forces :
- Réputation
- Position dominante sur le marché
national d’origine
- Niveau de profitabilité
- Économies d’échelle
- Intégration verticale
- Diversification
- Accès à des ressources financières pour
des fusions-acquisitions
Opportunités :
- Globalisation des marques
- Portefeuille de marques adapté à tous
les marchés
- Marchés émergents en Amérique latine,
en Asie et en Europe centrale et orientale
Faiblesses :
- Marché national saturé
- Surcapacité de production dans les
marchés d’origine
- Marges de profits faibles sur les
produits phares
Menaces :
- Taux de change
- Taxes et tarifs douaniers
- Concurrence des autres BMN
- Campagnes de sensibilisation dans les
marchés matures
- Autres boissons alcoolisées
- Consolidation au sein des grandes
chaînes de vente au détail
- Concurrence des microbrasseries et des
brasseries “régionales”
- Incertitude politique
Source : Arend M.A. Heijbroek , E.M.L. de Schutter et M.J. Boon, The World Beer Market.
A Conglomerate of National Markets, Utrecht: Rabobank, 1996.
436
Strengths (forces), Weaknesses (faiblesses), Opportunities (opportunités) et Threats (menaces).
348
SWOT des brasseries nationales
Si les BMN ont un SWOT fortement influencé par la structure de l’industrie à
l’échelle internationale, les brasseries nationales font face à un autre SWOT. Elles
sont fortement dépendantes de leur marché national, beaucoup plus que les BMN,
celles-ci étant moins tributaires moins d’un marché en particulier.
SWOT des brasseries nationales dans les marchés émergents
Forces :
- Très fortes parts de marchés nationaux
- Marges bénéficiaires élevés
- Réseaux de distribution établis
Opportunités :
- Croissance du revenu disponible
- Croissance de la consommation per
capita
- Croissance démographique importante
- Partenaires possibles pour BMN
Faiblesses :
- Absence d’une bière premium
- Absence de gestionnaires qualifiés
- Manque d’équipements modernes
- Faibles budgets marketing
Menaces :
- Présence accrue de brasseries étrangères
sur le marché national
- Évolution des goûts des
consommateurs : montée des bières
premium
Source : Arend M.A. Heijbroek , E.M.L. de Schutter et M.J. Boon, The World Beer Market.
A Conglomerate of National Markets, Utrecht: Rabobank, 1996.
349
ANNEXE 5
PRIX DES BIÈRES À MEXICO ET MONTERREY
Mexico, 7 décembre 2002
À L’UNITÉ
Marques
Super
march
é1
Superm Superm Superm Superm Détail Détail Détail
arché 2 arché 3 arché 4 arché 5 1
2
3
Corona
Extra
Negra
Modelo
Victoria
Leon
Montejo
Modelo
Especial
Pacifico
4.99
5.00
7.03
6.50
4.99
4.50
4.50
5.00
6.50
6.50
6.50
4.50
6.50
XX
Sol
Indio
Bohemia
Tecate
bout.
Tecate can.
Superior
Carta
Blanca
Noche
Buena
Casta
Bud
Bud Light
Heineken
bout.
Heineken
can.
Old
Milwaukee
Old
Milwaukee
light
Coors
Lowenbraü
can.
Lowenbraü
bout.
O’Douls
River
Estrella
4.69
4.69
4.69
6.79
5.25
5.25
4.50
4.50
4.50
6.50
5.90
5.00
5.00
5.00
5.00
7.00
7.50
9.10
8.90
10.90
9.20
10.80
9.00
9.00
10.90
6.00
9.90
10.50
8.50
8.90
8.80
7.60
6.90
6.90
9.90
8.30
8.50
10.50
9.10
8.90
5.70
4.95
10.90
9.20
6.33
10.50
9.00
350
Galicia
Mort Subite
Cerv.
Sambadora
Sapporo
Quilmes
Bavaria
bout.
Bavaria
can.
Miller lite
Miller lite
can.
29.90
11.90
39.50
11.00
10.55
8.55
7.95
6.90
PRIX DES BIERES
6 pack
Marques
Corona
Extra
Negra
Modelo
Victoria
Leon
Montejo
Modelo
Especial
can.
Pacifico
Modelo
light
Corona
barril
XX bout.
XX can.
Sol bout.
Sol non.
Ret.
Sol can.
Indio
Bohemia
Tecate can.
Tecate
bout.
Superior
Carta
Blanca
Noche
Buena
Superm Superm Superm Superm Superm Détail Détail Détail 3
arché 1 arché 2 arché 3 arché 4 arché 5 1
2
25.30
24.40
28.50
27.55
25.90
39.95
38.65
42.20
39.95
36.90
27.55
26.50
28.50
27.55
25.90
39.90
39.90
45.10
45.00
39.90
bout/can
46.75
45.55
39.27
45.00
41.90
27.50
26.50
26.50
44.15
26.40
32.95
25.90
44.25
25.90
32.95
28.15
46.00
28.15
33.60
26.65
44.30
26.65
33.00
23.90
41.90
23.90
34.90
44.25
26.40
37.80
45.25
44.15
25.90
37.80
44.15
46.92
28.15
40.80
46.00
39.90
26.65
38.95
39.90
41.50
23.90
34.50
39.50
351
Casta (4)
59.80
Bud
Bud Light
Heineken
bout.
Heineken
can.
Old
39.00
Milwaukee
Old
39.00
Milwaukee
light
Coors
Lowenbraü
can.
Lowenbraü
bout.
O’Douls
River
Estrella
Galicia
Hoegaarde
n (250ml)
Lefee
(250ml)
La Becasse
(250ml)
Jenlain
(250ml)
Adelscott
Guinness
Sparten
München
(250ml)
59.00
59.90
59.40
53.50
58.50
39.30
53.40
46.90
39.90
41.50
39.30
32.75
74.90
89.90
84.90
69.90
84.90
130.00
79.90
CAJUAMA (bouteille de 940 ml)
Marques
Corona
Extra
Negra
Modelo
Victoria
Leon
Montejo
Modelo
Especial
Pacifico
Superm
arché 1
12.35
Superm Superm Superm Superm Détail Détail Détail 3
arché 2 arché 3 arché 4 arché 5 1
2
11.90
12.75
12.35
11.70
13.00
12.20
11.95
12.75
12.35
10.90
13.00
XX
352
Sol
Indio
Bohemia
Tecate
bout.
Tecate
can.
Superior
Carta
Blanca
11.00
11.00
12.75
12.75
12.00
12.00
10.90
10.90
11.50
11.50
12.00
12.00
13.00
13.00
Monterrey, 23 juin 2004
6 pack
Marques
Corona Extra
Corona Baril
Coronita
Negra Modelo
Victoria
Leon
Modelo
Especial
Modelo
Especial Light
Modelo Light
Modelo
Especial (12
can.)
Pacifico
XX
Sol
Indio
Bohemia
Tecate bout.
Tecate can.
Tecate light
Tecate (12
can.)
Superior
Carta Blanca
Carta Blanca
can.
Tecate Light
Casta
Bud
Bud Light
Heineken bout.
Heineken can.
Supermarché 6 Supermarché 7 Supermarché 3 Supermarché 2
30,95
32,40
28,25
30,95
31,50
31,90
31,40
22,90
44,50
32,40
47,90
48,00
47,90
47,90
41,50
44,55
45,80
35,00
83,90
47,90
47,90
49,23
49,45
44,30
45,80
45,25
45,25
35,00
36,20
34,30
46,00
49,45
58,75
44,30
47,45
35,50
34,30
35.50
60,00
78,90
35,00
44,30
49,00
49,50
62,50
62,50
61,30
61,30
8,651
49,00
61,10
52,20
51,00
353
Guinness
Sapporro
Quilmes
Hoegaarden
Old
31,50
Milwaukee
Old
38,50
Milwaukee
light
Coors
Coors Light
54,90
Lowenbraü
can.
Lowenbraü
bout.
Baron Pilsener
Bavaria (6
can.)
Bavaria (6
bout.)
Bavaria can.
Miller lite
49,00
Miller Genuine 49,50
Draft
Miller (12
96,00
can.)
Schaefer
28,90
Schaefer Light 28,90
Marlins
1 : par bouteille ou par canette
20,001
25,001
20,001
99,00
26,301
48,00
48,00
61,30
27,00
44,90
32,90
49,50
54,90
29,30
29,30
25,90
CAJUAMA (bouteille de 940 ml)
Marques
Corona Extra
Negra Modelo
Victoria
Leon
Montejo
Modelo
Especial
Pacifico
XX
Sol
Indio
Bohemia
Tecate bout.
Tecate can.
Superior
Carta Blanca
Noche Buena
Casta
Supermarché 6 Supermarché 7 Supermarché 3 Supermarché 2
13,60
11,90
13,50
13,95
15,50
15,35
354
Bud
Bud Light
Heineken bout.
Heineken can.
Old
Milwaukee
Old
Milwaukee
light
Coors
Schaefer
Schaefer Light 14,50
Miller Light
19,50
14,50
15,50
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past year, Rapports remis à la SEC, plusieurs années
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Food & Drink Weekly
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Latin CEO
Latin Finance
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National Petroleum News
Rocky Mountain News
Stagnito's New Products Magazine
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