Les chemins des proies - Une histoire de la flibuste

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Les chemins des proies - Une histoire de la flibuste
LeS CHemINS De ProIeS – uNe HISToIre De LA FLIBuSTe
Introduction
La flibuste est née au XVIe siècle avec l’installation durable de corsaires
dans la zone Caraïbe. Les flibustiers sont donc la version Caraïbe des corsaires dont les navires écumaient l’Atlantique Nord et la manche. Les corsaires – qu’il ne faut pas confondre avec les pirates – se donnent pour tâche
d’arraisonner les navires ennemis du roi qu’ils ont décidé de servir. Ce roi leur
délivre des « lettres de marque » qui les autorisent à « courir » l’ennemi.
Tantôt espagnol, tantôt Hollandais, Anglais ou Français, l’ennemi change
souvent au gré du renversement des alliances.
Ainsi, les corsaires et les flibustiers qui faisaient la course pour le compte
du roi Soleil se verront interdire de courir l’espagnol après le traité des
Pyrénées en 1659 qui consacre l’alliance de la France des Bourbons avec
l’espagne des Habsbourg. Furieux de voir réduit leur champ d’action et leurs
revenus, nombre de flibustiers et de corsaires changeront rapidement de statut et se feront pirates continuant à piller les galions espagnols sans lettre de
marque.
Histoire et légende
elles sont sans doute intimement mêlées, d’autant que de leur vivant, certains flibustiers furent très attentifs à construire leur propre statue. C’est ainsi
que nous sont parvenues les mémoires vraies ou fausses d’un certain yves
Timothée Le Golif dit « Borgne-Fesse » (un coup de canon lui aurait enlevé la
moitié du postérieur !) Ce flibustier, après avoir tout perdu dans la mer des
Caraïbes, serait venu demander reconnaissance pour sa bravoure et réparation
pour sa fortune jusqu’à la cour du roi Louis XIV qui ignorait ses services alors
qu’il couvrait d’honneur Jean Bart et Duguay-Trouin.
Que doivent à leur modèle les personnages créés par les romanciers, le
Corsaire rouge de Fenimore Cooper ne ressemble-t-il pas à Laffitte, dernier
grand flibustier de la zone Caraïbe ? Que dire de Long John Silver de
Stevenson, sosie de « Jambe-en-Bois », bien réel celui-là ! D’où sortait l’inquiétante silhouette, de Petit radet qui hante les pages de l’Ancre de
Miséricorde ?
Ce qui est certain, c’est que les personnages de fiction ont rejoint dans la
mémoire collective la cohorte des hommes de légende, qui de Khayr al Din à
Surcouf ont signé pendant quatre siècles les pages brillantes, de l’histoire de
la marine.
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Pourquoi la zone Caraïbe ?
Deux raisons majeures à ce choix des flibustiers.
• Première raison : C’est le lieu idéal pour intercepter les galions espagnols qui quittent les côtes du Venezuela et du mexique, chargés d’or et d’argent.
• Deuxième raison : Le réseau d’îles constitue un formidable refuge pour
les flottilles des flibustiers qui doivent pouvoir disparaître rapidement et se
faire oublier des escadres de guerre toujours à l’affût.
Certaines îles comme celle de la Tortue est dotée d’un véritable système
de défenses naturelles. Ceinturée de rochers, elle est inexpugnable.
Très tôt, les îles se spécialiseront. À la Jamaïque, les Anglais, à Cuba et
à Saint-Domingue, les Français.
Les espagnols, eux solidement implantés sur le continent, tenteront à
maintes reprises de contrôler les îles qu’ils trouvent particulièrement mal fréquentées. Ils y parviendront souvent, mais jamais durablement.
en effet, les flibustiers ne leur laissent aucun répit tant sur mer que sur
terre.
Aux plus beaux jours de la flibuste, ses plus grands capitaines sont capables de lever des flottes de plusieurs centaines de bâtiments et d’un millier
d’hommes capables d’enlever des places fortes très bien défendues.
Dès 1543, trois cents flibustiers français s’emparent de Carthagène.
en 1553, les sept cents hommes de « Jambe-en-bois » enlèvent Palma.
un an plus tard, le même, avec trois cents arquebusiers s’emparent de
Santiago de Cuba tandis qu’en 1555, le capitaine Jacques de Sorre règle son
compte à La Havane.
Ces villes seront prises, et reprises des dizaines de fois durant tout le XVIIe
siècle.
en mer, les coups de main des flibustiers sont tout aussi dévastateurs.
L’audace des flibustiers ainsi que leur courage au combat étaient sans limites.
Le butin qu’ils retirent de leurs courses est considérable et « dope » non
seulement le commerce des Caraïbes mais tout le commerce atlantique.
À l’époque des lettres de marques, les flibustiers faisaient part à trois :
• un tiers pour le roi ou son représentant à la Tortue,
• un tiers pour l’armateur du bateau, et son entretien,
• un tiers pour l’équipage.
Plus tard quand ils partiront en course sans lettre de marque, les flibustiers devenus pirates feront part à deux :
• une moitié pour le bateau,
• une moitié pour l’équipage.
Devenus pirates, ils ne respecteront plus aucune des règles de conduite
qui furent l’honneur de la flibuste.
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Le temps des utopies
Le sang et la poudre, la saveur brûlante du rhum des tropiques, un drapeau noir claquant au vent… L’histoire de la piraterie est synonyme d’aventures épiques et romantiques. Qui n’a pas rêvé de se trouver, sur la dunette
d’un navire forban chassant un lourd galion aux flancs gonflés de promesses
d’or et d’épices ? ripaillant et dépensant sans compter les pièces de huit sur
une plage, bercé par le ressac de l’océan, ricanant de manière cruelle pendant
que l’on dépèce un capitaine espagnol attaché au grand mât… euh ? Non pas
ça, bon ! Qu’en est-il de la vérité ?
Il faut tout d’abord pour être honnête, avouer que la piraterie telle que
nous la concevons de manière traditionnelle n’a duré qu’un temps relativement court.
en 1492 Christophe Colomb découvrit l’Amérique. Ce Génois inculte
croyait qu’il s’agissait des Indes, et faute de preuves fini par inventer n’importe quoi. Comme Colomb cassait les pieds à la cour d’espagne avec ses
revendications, on finit par le renvoyer en espagne couvert de chaînes. Les
souverains espagnols par contre ne se posent pas de questions métaphysiques
et mettent la main sur un nombre croissant de terres dans le golfe du mexique.
Ces conquêtes faciles, et l’or qu’ils en retirent permettent à l’espagne de
financer en europe un nombre croissant de guerres avec ses voisins. Inutile
de dire que cela déplaît « souverainement » à l’ensemble des cours européennes, qui réagissent en contestant dès 1586 la présence espagnole à
Hispaniola et dans toutes les Caraïbes ; la vieille europe ne peut se battre sur
deux fronts. Beaucoup de souverains de l’époque doutent de l’utilité de s’impliquer de manière forte dans cette région. Ils refusent pour la plupart de détacher leurs navires et leurs armées, ne pouvant affaiblir leur position en
europe. Ce sont donc des aventuriers de toutes les nations, que l’on voit se
déverser dans les îles. Des membres de familles à la noblesse, certaine mais
désargentée, des gibiers de potence, des filles de mauvaise vie, des réfugiés
politiques, des protestants traqués. Toute la lie de la vieille europe se retrouve
ici. Beaucoup meurent lors du voyage ou emporté après leur arrivée par les
fièvres. mais les survivants trouvent dans ces îles, un espace de liberté
jusque-là inconnu, propre à toutes les utopies.
Toutes les nations d’europe et plus particulièrement l’espagne, la
France, l’Angleterre et la Hollande ont donc des colonies. Au gré des guerres
en europe, on distribue des lettres de marques. Les gouverneurs de l’époque
sont à l’image des personnes qu’ils sont censés gouverner : des fripouilles
hautes en couleurs envoyées là, par des monarques désirant se débarrasser
d’eux. Il est donc aisé de se voir délivrer des lettres de marques… Blanc-seing
permettant d’attaquer un navire ennemi et de le piller en toute impunité. et si
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on a la vue qui baisse, et que l’on se trompe de pavillon ou que sa mémoire
flanche et que l’on ne se souvient plus de la date de validité de sa lettre et bien
il suffit de s’arranger avec cette fripouille de gouverneur…
mais déjà, les temps héroïques tendent à leur fin. Les boucaniers, ces fils
de la fumée, sont repoussés dans de minuscules îles dont on connaît les noms :
La Tortue, Providence, Saint-Domingue… Les États européens se sont rendus
compte du formidable potentiel de ces terres nouvelles : l’or, le sucre, les
épices, que l’on tire de ces terres servent à financer les guerres des États
européens.
en 1700 se produit un événement qui changa du tout au tout l’équilibre
des forces dans les Caraïbes. Le roi d’espagne Charles II meurt sans descendant. C’est Philippe un Bourbon qui monte sur le trône. Ce dernier n’est autre
que le petit-fils de Louis XIV. Pour la première fois depuis longtemps
l’espagne et la France sont alliées. La France tolérait jusque-là les pirates sur
son île de Saint-Domingue. Ceux-ci y trouvaient une base arrière accueillante
pour radouber leurs navires, vendre leurs prises et dépenser leur butin. Dès
1700 on les chassa de cet endroit.
Certains se réfugièrent, sur l’île de la Providence et d’autres comme
Avery, partent explorer d’autres côtes et d’autres océans. Leurs nouveaux terrains de chasse sont la côte africaine, l’océan Indien et le Pacifique.
mais c’est le crépuscule de la piraterie dans les Caraïbes. en 1717 le roi
d’Angleterre envoya une flotte de guerre (commandée par Wood roger) sur
la Providence. Ses voisins français, espagnols et hollandais applaudissent.
Les pirates qui n’ont pas réussi à s’enfuir sont sommés de se soumettre ou
d’être pendus. Plusieurs centaines de flibustiers sont ainsi pendus. Les survivants s’échappèrent le plus souvent vers l’Afrique. Les Caraïbes ne connaîtront désormais que quelques actes de piraterie. La période des « anges noirs
de l’utopie » est définitivement tournée dans cette région : la place est maintenant aux bureaucrates et aux administrateurs.
Les survivants se réfugièrent dans l’océan Indien où ils feront encore
trembler pendant 15 ans les États européens. La plus grande crainte des rois
d’occident est alors que ces rebelles parviennent à constituer là-bas une nation
structurée. L’on connaît le nom de ces terribles forbans : La Buse, Taylor,
Bowen, White, england… mais ici aussi la civilisation les rejoint.
Pourchassés, pendus, recherchés, sans refuge, ils disparaissent tous les uns
après les autres. Les plus malins se retirent avec leur fortune. Les plus malchanceux sont pendus… L’histoire est dite, la nuit est là. Tombe l’obscurité
sur l’histoire des « anges noirs de l’utopie ».
Pirates des Caraïbes… Deux mots qui font rêver, qui se complètent, chacun apportant à l’autre
sa part d’imaginaire. À la vision des îles paradisiaques se juxtapose celle des
noirs vaisseaux des pirates des Caraïbes, sur fond d’esclavage, d’abordages et
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de pillages, sous un soleil implacable, ou dans la tourmente de cyclones
effrayants.
C’est bien d’un voyage en enfer qu’il s’agit, au cœur des plus belles îles
du monde. Les pirates des Caraïbes, environ 5000 entre 1716 et 1730,
n’avaient en face d’eux que les 13 000 hommes de la Navy pour les traquer
sur toutes les mers du globe où ils sévissaient.
Cela illustre bien, le sentiment de puissance qui habitait les pirates des
Caraïbes. Cette contre-société en formation, basée sur la transgression de la
règle sociale inhumaine avait saisi la nécessité de s’auto réguler. D’où l’abondance d’éléments régulateurs qui régissaient la vie quotidienne des pirates des
Caraïbes.
Le sentiment de mener une guerre juste face à l’injustice, et à la cruauté
des lois en général et de celles de la navigation en particulier entraîna chez les
pirates des Caraïbes une forte cohésion et une conscience de groupe sans
égale à l’époque. on a fort justement souligné, que la répartition de l’or gagné
par le fer et le feu des pirates des Caraïbes atteignit des niveaux de justesse et
d’équité qu’on serait bien en peine d’atteindre, même aujourd’hui.
Des hommes sanguinaires et brutes, certes, mais régis par une organisation sociale égalitaire comprise dans les règles propres à chaque navire et
révisée à chaque expédition.
un capitaine élu et révocable, un contre-pouvoir en la personne du quartier-maître, pas de privilèges ni de cabine particulière pour le capitaine dont
la table était ouverte à tous, voilà qui avait de quoi faire rêver l’apprenti pirate
des Caraïbes, et qui explique pourquoi tant d’équipages, et même de capitaines se joignirent à leurs vainqueurs.
C’est l’histoire de ces pirates des Caraïbes, rebelles et libres comme le
vent qui poussaient leurs vaisseaux vers leurs terrains de chasse sous toutes
les latitudes, par tous les temps, se riant des risques encourus et flirtant sans
cesse avec la mort, au mépris de tout danger, qui va aujourd’hui revivre pour
vous.
Attention ! Le pouvoir de séduction de cette aventure humaine sans précédent n’est pas éteint ! Vous voilà prévenus.
Une aventure humaine
Caraïbes : C’est la papauté qui va être responsable de tous les désordres
de cette région. en mai 1493, le pape Alexandre VI met le feu aux poudres.
espagnol lui-même, il accède à la demande du roi d’espagne Ferdinand et
édicte une bulle qui ne fait rien de moins que de partager les terres récemment
découvertes entre l’espagne et le Portugal ! Il trace une ligne à cent lieues à
l’ouest des Açores : tout ce qui est à l’ouest appartient à l’espagne, et à l’est
au Portugal. Caraïbes et Nouveau monde seront espagnols !
un an plus tard, un peu gêné, le roi demande lui-même au pape de
repousser la ligne de 370 lieues à l’ouest. Cela entérine le contrôle du Brésil
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par les Portugais. Caraïbes et Nouveau monde restent interdits aux autres
européens. C’est le traité de Torquesillas (6).
L’or en quantité ne sera découvert qu’après la conquête du mexique et du
Pérou. Les appétits européens vont s’aiguiser. L’or circule en mer. Le décor
est planté. Les Caraïbes prennent une importance stratégique. La piraterie se
répand comme une traînée de poudre.
en 1517, la réforme (les protestants) touche tous les pays européens et
affaiblit la position du pape. La France la première envoie ses corsaires,
munis de « lettres de marque », dès la guerre déclarée avec l’espagne, attaquer
ses navires de retour des Caraïbes.
en 1523, c’est la révélation ! Jean Fleury s’empara au large des côtes
espagnoles de trois caravelles de retour des Caraïbes. Il s’empara de tout l’or
et les richesses arrachées par Cortès à l’empereur aztèque monteczuma !
Tombe aussi dans son escarcelle un autre trésor, les cartes marines des pilotes
espagnols ! Dans les Caraïbes, les routes suivies par les galions n’ont plus de
secrets pour les Français !
Caraïbes, c’est le passage obligé des lourds convois de galions chargés
d’or, d’argent, de pierres précieuses et d’étoffes de prix. Deux fois l’an, ils
quittent les Amériques à destination de Séville.
Caraïbes, l’ultime étape où ils se ravitaillèrent avant d’entreprendre la
grande aventure, la traversée de l’Atlantique. Plus de deux mois, livrés aux
caprices des vents, des courants… et des convoitises !
Les espagnols, trop peu nombreux pour occuper un tel empire, vont s’enfermer dans des villes coffres-forts comme Vera Cruz, Porto Bello,
Carthagène, maracaïbo en Amérique continentale. Dans les Caraïbes, c’est
par Cuba qu’ils font transiter leurs richesses.
Jean Ambot, de Dieppe arraisonne 9 galions chargés d’argent dans la mer
des Caraïbes, au large des Bahamas. Furieux de ces désastres, les espagnols
vont réagir en créant un système de convois pour protéger la flotte du trésor.
Inédit dans l’histoire de la navigation ! en 1527, toujours dans les Caraïbes,
Fleury s’attaque à un galion trop puissant pour lui. Fait prisonnier, il sera
pendu sur ordre du roi d’espagne la même année.
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